TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE MELUN
N° 1300483
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Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne
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Mme Edert-Mulsant
Rapporteur
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M. Guillou
Rapporteur public
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Audience du 19 décembre 2014
Lecture du 22 décembre 2014
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Melun
(1ère chambre)
Vu la requête, enregistrée le 18 janvier 2013, présentée par la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, dont le siège est au 5 B quai maréchal Foch à Melun (77000), représentée par son président ; la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle le maire de la ville de Melun a installé une crèche de la Nativité sous le porche de l’Hôtel de Ville de Melun ;
2°) de mettre à la charge de la ville de Melun une somme de 1.000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
– que le 18 octobre 2012, elle a demandé au maire de Melun de ne pas installer de représentation de la Nativité dans des lieux publics en décembre ;
– qu’en l’absence de réponse, sa demande a été implicitement rejetée ; que ce rejet a été confirmé par l’installation d’une crèche sous le porche public de l’Hôtel de Ville ;
– que l’installation d’une crèche dans un lieu public est contraire aux dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ;
– que la commune a créé une discrimination entre les citoyens ;
Vu la demande préalable ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2014, présenté pour la commune de Melun, représentée par son maire, par Me Garreau, avocat, qui conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 4.000 euros soit mise à la charge de la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle fait valoir :
– que la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne n’a pas intérêt à agir contre une décision d’intérêt communal ;
– qu’elle ne viole pas les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, dès lors que la crèche de la Nativité ne peut être regardée comme un emblème religieux ; que la crèche correspond à une tradition locale qui remonte au XVIIIème siècle ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 octobre 2014, présenté par la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne qui persiste dans ses écritures et soutient en outre :
– qu’elle a intérêt à agir au niveau du département de Seine-et-Marne ainsi qu’au niveau de chaque commune qui compose le département ; que les libres-penseurs de Melun adhèrent à la fédération départementale ; qu’il n’y a pas d’association de libres-penseurs communale ;
– que la présence de Marie, Joseph et l’enfant Jésus suffisent à faire regarder la crèche de la Nativité comme un emblème religieux ;
– que la ville de Melun n’est pas fondée à invoquer une tradition, au demeurant non démontrée, antérieure à la loi de 1905 qui conférerait un droit à installer une crèche sur le domaine public chaque année ;
– que la jurisprudence relative aux processions funéraires qui garantit la liberté de culte ne peut être invoquée en l’espèce ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 décembre 2014, présenté par Me Garreau pour la commune de Melun qui demande au Tribunal de saisir, s’il l’estime fondé, le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 19 décembre 2014 ;
– le rapport de Mme Edert-Mulsant ;
– les conclusions de M. Guillou, rapporteur public ;
– et les observations de M. Tribouillard, président de la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne et celles de Me Pagnoux, avocat substituant Me Garreau, pour la commune de Melun ;
1. Considérant que par courrier du 18 octobre 2012, la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne a demandé au maire de la ville de Melun de ne pas procéder à l’installation d’une crèche de la Nativité sous le porche de l’Hôtel de ville ; que le 15 décembre 2012, une crèche a été installée sous ce porche ; que par la présente instance, la fédération requérante demande au tribunal d’annuler la décision implicite de rejet de leur demande et celle d’installer une crèche de la Nativité du 15 au 20 décembre 2012 sous le porche de l’Hôtel de ville ;
Sur les conclusions en annulation :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Melun
2. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » et aux termes de l’article 28 de la même loi : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions » ;
3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que l’apposition d’un emblème religieux sur un emplacement public, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens par la République, et la neutralité du service public à l’égard des cultes quels qu’ils soient ;
4. Considérant que si la fête de Noël a été longtemps confondue avec la fête chrétienne de la Nativité, dans une société largement sécularisée, elle a perdu ce caractère religieux pour devenir une fête familiale traditionnelle ; que de même, si une crèche peut être regardée comme une reproduction figurative de la naissance de Jésus, elle est dépourvue de toute signification religieuse lorsque elle est installée temporairement en dehors des lieux de culte à l’occasion de la fête de Noël et hors de tout contexte rappelant la religion chrétienne, et constitue alors une des décorations traditionnellement associées à Noël comme le sapin de Noël ou les illuminations ; qu’en l’espèce, la crèche objet du litige, installée de manière non ostentatoire du 15 au 30 décembre 2012 dans une niche sous le porche permettant de passer de la cour d’honneur de l’Hôtel de ville au jardin public y attenant, et dépourvue de tout autre symbole évoquant la religion chrétienne, doit être regardée comme une des décorations festives que la commune a coutume d’installer à l’occasion de Noël ; qu’elle ne constitue donc pas un emblème religieux prohibé par les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précitée et ne crée aussi aucune discrimination entre les citoyens ; que, par suite, la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne n’est pas fondée à demander l’annulation des décisions qu’elle conteste ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ; qu’en vertu de ces dispositions, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne doivent, dès lors, être rejetées ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances très particulières de l’espèce, de mettre à la charge de la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne la somme de 4.000 euros demandée par la commune de Melun au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Melun tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne et à la commune de Melun.
Délibéré après l’audience du 19 décembre 2014, à laquelle siégeaient :
M. Choplin, président,
Mme Edert-Mulsant, premier conseiller,
M. Karaoui, conseiller,
Lu en audience publique le 22 décembre 2014.
Le rapporteur,
S. EDERT-MULSANT
Le président,
D. CHOPLIN
Le greffier,
C. KENZOUA
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution du présent jugement.
Pour expédition conforme,
Le Greffier,
C. KENZOUA
N°1300483