ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
5 avril 2006 (*)
« Concurrence – Article 81 CE – Ententes – Marché de la méthionine – Caractère unique et continu de l’infraction – Amende – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Gravité et durée de l’infraction – Coopération durant la procédure administrative – Article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17/62 – Présomption d’innocence »
Dans l’affaire T-279/02,
Degussa AG, établie à Düsseldorf (Allemagne), représentée par Mes R. Bechtold, M. Karl et C. Steinle, avocats,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Bouquet et W. Mölls, en qualité d’agents, assistés de Me H.‑J. Freund, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
soutenue par
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme E. Karlsson et M. S. Marquardt, en qualité d’agents,
partie intervenante,
ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision 2003/674/CE de la Commission, du 2 juillet 2002, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord sur l’EEE (affaire C.37.519 – Méthionine) (JO 2003, L 255, p. 1), et, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée par cette décision à la requérante,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de M. M. Jaeger, président, Mme V. Tiili et M. O. Czúcz, juges,
greffier : Mme K. Andová, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 avril 2005,
rend le présent
Arrêt
Faits à l’origine du litige
1 Degussa AG (Düsseldorf) est une société allemande créée en 2000 par l’intégration de SKW Trostberg et Degussa-Hüls, cette dernière étant elle-même née de la fusion en 1998 des entreprises chimiques allemandes Degussa AG (Francfort-sur-le-Main) et Hüls AG (Marl) (ci-après « Degussa » ou la « requérante »). Elle opère notamment dans le secteur de l’alimentation animale et est la seule entreprise produisant l’ensemble des trois plus importants acides aminés essentiels : la méthionine, la lysine et la thréonine.
2 Les acides aminés essentiels sont les acides aminés qui ne peuvent pas être produits naturellement par l’organisme et qui doivent, par conséquent, être ajoutés aux aliments. Le premier acide aminé dont l’absence interrompt la synthèse protéique des autres acides aminés est appelé le « premier acide aminé limitant ». La méthionine est un acide aminé essentiel ajouté aux aliments composés et aux prémélanges destinés à toutes les espèces animales. Elle est essentiellement utilisée dans l’alimentation destinée aux volailles (pour lesquelles elle constitue le premier acide aminé limitant) ainsi que de manière croissante dans l’alimentation porcine et pour animaux spécialisés.
3 La méthionine se présente sous deux formes principales : la DL-méthionine (ci-après la « DLM ») et la méthionine hydroxyanalogue (ci-après la « MHA »). La DLM est produite sous forme cristallisée et présente un contenu actif proche de 100 %. La MHA, introduite par le producteur Monsanto, prédécesseur de Novus International Inc. dans les années 80, présente un contenu actif nominal de 88 %. Elle représentait, en 2002, environ 50 % de la consommation mondiale.
4 À l’époque des faits, les trois principaux producteurs mondiaux de méthionine étaient Rhône-Poulenc (aujourd’hui Aventis SA), dont la filiale responsable de la production de méthionine était Rhône-Poulenc Animal Nutrition (aujourd’hui Aventis Animal Nutrition SA), Degussa et Novus. Rhône-Poulenc produisait la méthionine sous ses deux formes alors que Degussa ne produisait que de la DLM et Novus de la MHA.
5 Le 26 mai 1999, Rhône-Poulenc a remis à la Commission une déclaration dans laquelle elle admettait avoir participé à une entente portant sur la fixation des prix et l’attribution de quotas pour la méthionine et a demandé à pouvoir bénéficier de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »).
6 Le 16 juin 1999, des fonctionnaires de la Commission et du Bundeskartellamt (office fédéral des ententes allemand) ont procédé à des vérifications, en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), alors en vigueur, dans les locaux de Degussa-Hüls, à Francfort-sur-le-Main.
7 À la suite de ces vérifications, la Commission a adressé une demande de renseignements à Degussa-Hüls le 27 juillet 1999, conformément à l’article 11 du règlement nº 17, au sujet des documents obtenus. Degussa-Hüls a répondu à cette demande le 9 septembre 1999.
8 La Commission a également adressé des demandes de renseignements à Nippon Soda Co. Ltd (ci-après « Nippon Soda »), Novus International Inc. (ci-après « Novus ») et Sumitomo Chemical Co. Ltd (ci-après « Sumitomo ») le 7 décembre 1999, et à Mitsui & Co. Ltd le 10 décembre 1999. Ces entreprises ont répondu au cours du mois de février 2000 et Nippon Soda a présenté une déclaration complémentaire le 16 mai 2000.
9 Le 1er octobre 2001, la Commission a adopté une communication des griefs à l’encontre de cinq producteurs de méthionine, parmi lesquels la requérante. La même communication des griefs a été adressée à Aventis Animal Nutrition (ci-après « AAN »), filiale à 100 % d’Aventis.
10 Dans sa communication des griefs, la Commission reprochait à ces entreprises d’avoir participé de 1986 jusque, dans la plupart des cas, au début de l’année 1999 à un accord continu contraire à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’« accord EEE ») et portant sur l’ensemble de l’EEE. Selon la Commission, l’accord en question consistait en la fixation des prix de la méthionine, la mise en œuvre d’un mécanisme d’application d’augmentation de prix, l’attribution de marchés nationaux et de quotas de parts de marché et en un mécanisme de surveillance et d’application de ces accords.
11 Toutes les parties ont présenté des observations écrites en réponse à la communication des griefs de la Commission, Aventis et AAN ayant toutefois informé la Commission qu’elles ne présenteraient qu’une seule réponse au nom des deux sociétés.
12 Les réponses ont été reçues par la Commission entre le 10 et le 18 janvier 2002. Aventis, AAN (ci-après, conjointement, « Aventis/AAN ») et Nippon Soda ont reconnu l’infraction et ont admis la matérialité des faits dans leur ensemble. Degussa a également admis l’infraction, mais uniquement pour la période 1992‑1997. Une audition avec les entreprises concernées s’est tenue le 25 janvier 2002.
13 Au terme de la procédure, considérant qu’Aventis/AAN, Degussa et Nippon Soda avaient participé à un accord et/ou à une action concertée de caractère continu, portant sur l’ensemble de l’EEE, dans le cadre desquels elles se sont entendues sur des objectifs de prix pour le produit, ont adopté et mis en œuvre un mécanisme d’application d’augmentation des prix, ont échangé des informations sur les volumes des ventes et les parts de marché et ont surveillé et fait appliquer leurs accords, la Commission a adopté la décision 2003/674/CE, du 2 juillet 2002, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire C.37.519 ― Méthionine) (JO 2003, L 255, p. 1, ci-après la « Décision »).
14 Aux considérants 63 à 81 de la Décision, la Commission a décrit l’entente comme visant à la fixation de fourchettes de prix et de « prix planchers absolus ». Les participants seraient convenus de la nécessité d’augmenter leurs prix et auraient examiné ce que le marché était capable d’accepter. Les augmentations de prix auraient ensuite été organisées par plusieurs « campagnes » successives, dont la mise en œuvre était examinée lors des réunions suivantes du cartel. En outre, les participants auraient échangé des informations sur les volumes de vente et les capacités de production ainsi que leurs estimations respectives du volume total du marché.
15 S’agissant de la mise en œuvre des objectifs de prix, la Commission a relevé que les ventes faisaient l’objet d’une surveillance de la part des participants, les chiffres échangés étant compilés et examinés lors de réunions régulières, sans toutefois qu’un système de maîtrise des volumes assorti d’un mécanisme de compensation ait existé, bien que Degussa eût fait une proposition en ce sens. Des réunions multilatérales (plus de 25 entre 1986 et 1999) et bilatérales régulières auraient été un élément essentiel de l’organisation du cartel. Elles auraient pris la forme de réunions « au sommet » et de réunions plus techniques au niveau des collaborateurs.
16 Enfin, le fonctionnement de l’entente aurait connu trois périodes distinctes. La première, durant laquelle les prix étaient à la hausse, irait du mois de février 1986 à 1989 et aurait pris fin avec le retrait de l’entente de Sumitomo et l’entrée sur le marché de Monsanto et de la MHA. Au cours de la deuxième période, allant de 1989 à 1991, les prix auraient commencé à chuter de manière spectaculaire. Les membres du cartel se seraient alors interrogés sur la façon de réagir à cette nouvelle situation (regagner des parts de marché ou se concentrer sur les prix) et auraient conclu, après plusieurs réunions tenues en 1989 et 1990, à la nécessité de concentrer leurs efforts sur l’augmentation des prix. Durant la troisième et dernière période, allant de 1991 au mois de février 1999, l’augmentation des ventes de la MHA produite par Monsanto (Novus depuis 1991) aurait conduit les participants à l’entente à soutenir avant tout le niveau des prix.
17 La Décision comprend notamment les dispositions suivantes :
« Article premier
Aventis […] et [AAN], conjointement responsables, Degussa […] et Nippon Soda […] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, du traité et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, en participant, de la manière et dans la mesure décrites dans les considérants, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur de la méthionine.
L’infraction a été commise
– de février 1986 à février 1999.
[…]
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées à l’article 1er pour l’infraction constatée audit article :
– Degussa […], une amende de 118 125 000 euros,
– Nippon Soda […], une amende de 9 000 000 d’euros
[…] »
18 Aux fins du calcul de l’amende, la Commission a, sans s’y référer explicitement, fait application en substance de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») ainsi que de la communication sur la coopération.
19 Afin de fixer le montant de base de l’amende, la Commission a considéré, en premier lieu, la gravité de l’infraction. Elle a constaté que, compte tenu de la nature du comportement en cause, de son incidence sur le marché de la méthionine et de l’étendue du marché géographique concerné, les entreprises visées par la Décision avaient commis une infraction très grave à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (considérants 270 à 293).
20 Estimant par ailleurs qu’il convenait de faire application d’un traitement différencié tenant compte de la capacité économique réelle des entreprises de porter un préjudice important à la concurrence et de fixer l’amende à un niveau qui garantisse un effet dissuasif suffisant, la Commission a considéré que, eu égard aux grandes différences de taille entre les entreprises, il convenait de prendre pour base les parts de marché de ces dernières sur le marché mondial de la méthionine et qu’ainsi Rhône-Poulenc et Degussa constituaient une première catégorie d’entreprises et Nippon Soda une seconde catégorie à elle seule. Par conséquent, la Commission a fixé les montants de départ des amendes d’Aventis/AAN et de Degussa à 35 millions d’euros et le montant de départ de l’amende de Nippon Soda à 8 millions (considérants 294 à 302).
21 Afin d’assurer un effet dissuasif suffisant et de tenir compte du fait que les grandes entreprises disposent de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence, la Commission a enfin estimé que le montant de départ, calculé en fonction de l’importance relative de l’entreprise sur le marché en cause, des amendes infligées à Aventis/AAN et à Degussa devait être majoré pour tenir compte de la taille et des ressources globales respectives de ces deux entreprises. La Commission a donc décidé qu’il convenait d’augmenter le montant de départ de l’amende d’Aventis/AAN et de Degussa de 100 % pour le porter à 70 millions d’euros (considérants 303 à 305).
22 S’agissant, en second lieu, de la durée de l’infraction, la Commission a estimé qu’Aventis/AAN, Degussa et Nippon Soda avaient participé à l’infraction de manière continue du mois de février 1986 au mois de février 1999, soit pendant douze ans et dix mois. Les montants de départ des amendes déterminés en fonction de la gravité de l’infraction ont, par conséquent, été majorés de 10 % par an et de 5 % par semestre, soit de 125 %. Le montant de base de l’amende a donc été fixé à 157,5 millions d’euros s’agissant d’Aventis/AAN et de Degussa, et à 18 millions s’agissant de Nippon Soda (considérants 306 à 312).
23 En troisième lieu, la Commission a considéré qu’aucune circonstance aggravante ni qu’aucune circonstance atténuante ne devait être retenue à l’égard des entreprises ayant participé à l’infraction (considérants 313 à 331).
24 En quatrième et dernier lieu, la Commission, par application de la communication sur la coopération, a réduit l’amende d’Aventis/AAN de 100 % en vertu du titre B de ladite communication. Elle a estimé en revanche que Nippon Soda et Degussa ne remplissaient ni les conditions d’une réduction très importante du montant de l’amende sur le fondement du titre B ni celles d’une réduction importante du montant de l’amende sur le fondement du titre C de la communication sur la coopération. Elle a néanmoins admis que Nippon Soda remplissait les conditions prévues au titre D, point 2, premier et second tirets, de ladite communication et que Degussa remplissait les conditions prévues au titre D, point 2, premier tiret, de cette dernière et a, en conséquence, réduit le montant des amendes infligées à ces entreprises respectivement de 50 % et de 25 % (considérants 332 à 355).
Procédure et conclusions des parties
25 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 septembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.
26 Le 13 décembre 2002, le Conseil a demandé à intervenir au litige. Par ordonnance du 13 février 2003, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis le Conseil à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
27 Par décision du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
28 Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties à répondre à certaines questions et à produire certains documents. Les parties ont déféré à cette demande.
29 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 27 avril 2005.
30 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la Décision ;
– à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée ;
– condamner la Commission aux dépens.
31 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
32 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– statuer sur les dépens comme de droit.
En droit
33 La requérante invoque en substance quatre moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen, dans le cadre duquel la requérante soulève une exception d’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, est tiré de la violation du principe de légalité des peines. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur d’appréciation quant au caractère unique et continu et quant à la durée de l’infraction à laquelle la requérante a participé. Le troisième moyen est tiré d’erreurs d’appréciation, d’erreurs de droit, d’erreurs de fait et de la violation des principes de proportionnalité, de non-rétroactivité des peines et d’égalité de traitement, et de l’obligation de motivation dans la détermination du montant de l’amende. Enfin, le quatrième moyen est tiré de la violation des principes de « respect du secret professionnel », de bonne administration et de la présomption d’innocence.
I – Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe de légalité des peines
A – Sur l’exception d’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17
1. Arguments des parties
34 La requérante soulève une exception d’illégalité au sens de l’article 241 CE et fait valoir que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, disposition habilitant la Commission à infliger des amendes en cas d’infraction au droit communautaire de la concurrence, viole le principe de légalité des peines, en tant que corollaire du principe de sécurité juridique, principe général du droit communautaire, compte tenu de ce que cette disposition ne prédéterminerait pas suffisamment la pratique décisionnelle de la Commission.
35 À titre liminaire, la requérante rappelle que le principe de légalité des peines est consacré à l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») qui prévoit qu’« il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ». Elle ajoute que ce même principe (nulla poena sine lege) se trouve également consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1) (ci-après la « Charte ») et fait partie intégrante des traditions constitutionnelles des États membres (voir, par exemple, l’article 103, paragraphe 2, de la constitution allemande). De ce principe découlerait, selon l’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour, tant le principe de non-rétroactivité que celui de la légalité des peines (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt S.W./Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A nº 335, § 35, et arrêt de la Cour du 12 décembre 1996, X, C‑74/95 et C‑129/95, Rec. p. I‑6609, point 25). Selon la jurisprudence de la Cour, le principe de légalité des peines constituerait une émanation du principe de sécurité juridique, lequel serait reconnu comme principe général du droit communautaire (arrêts de la Cour du 12 novembre 1981, Salumi e.a., 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 10, et du 22 février 1984, Kloppenburg, 70/83, Rec. p. 1075, point 11) et exigerait notamment que la législation communautaire soit claire et prévisible pour les justiciables, et que, s’agissant d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, l’exigence de certitude et de prévisibilité constitue un impératif qui s’impose avec une rigueur particulière, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qui leur sont imposées (voir arrêt de la Cour du 13 mars 1990, Commission/France, C‑30/89, Rec. p. I‑691, point 23, et la jurisprudence citée).
36 S’agissant des critères permettant d’apprécier le caractère suffisamment certain et prévisible d’une « loi », au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, la requérante rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme exige son accessibilité aux personnes concernées et une formulation assez précise pour leur permettre – en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Toutefois, selon la Cour européenne des droits de l’homme, une loi qui confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à cette exigence, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (Cour eur. D. H., arrêts Margareta et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, série A nº 226, § 75, et Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984, série A nº 82, § 66).
37 La requérante fait valoir que le principe de légalité des peines a vocation à s’appliquer tant aux sanctions pénales qu’aux sanctions dépourvues de caractère pénal au sens strict, et donc également à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, indépendamment de la question de la nature juridique des amendes imposées par la Commission sur le fondement de cette disposition. En effet, la Cour aurait considéré qu’« une sanction, même de caractère non pénal, ne p[ouvait] être infligée que si elle repos[ait] sur une base légale claire et non ambiguë » (arrêts de la Cour du 25 septembre 1984, Könecke, 117/83, Rec. p. 3291, point 11, et du 18 novembre 1987, Maizena, 137/85, Rec. p. 4587, point 15). L’indication figurant à l’article 15, paragraphe 4, du règlement nº 17, selon laquelle les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit communautaire de la concurrence « n’ont pas de caractère pénal », serait indifférente à cet égard, la désignation d’un acte juridique n’étant pas déterminante dans l’appréciation de ce dernier (Cour eur. D. H., arrêt Engel e.a. c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A nº 22, § 81). Il résulterait au contraire de la gravité des amendes infligées et de leur fonction répressive et préventive que celles-ci revêtent en substance un caractère quasi pénal, voire pénal au sens large.
38 Cette interprétation serait en outre conforme à celle donnée par la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant de la notion d’accusation pénale (Cour eur. D. H., arrêts Belilos c. Suisse du 29 avril 1988, série A nº 132, § 62 et 68 ; Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, § 46 et suivants, et Engel e.a. c. Pays-Bas, point 37 supra, § 80 et suivants), selon laquelle même les amendes de faible montant infligées dans le cadre de procédures administratives sont de nature pénale. La requérante considère a fortiori que tel est aussi le cas des amendes infligées par la Commission pour violation du droit communautaire étant donnée l’importance de leurs montants.
39 La requérante rappelle que, selon la Cour, l’exigence de clarté juridique est « particulièrement impérieuse dans un domaine où toute incertitude risque d’entraîner […] l’application de sanctions particulièrement sensibles » (arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Commission/Royaume-Uni, 32/79, Rec. p. 2403, point 46), ce qui serait le cas des amendes imposées au titre de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.
40 En outre, la requérante souligne qu’il résulte de la répartition des compétences entre le Conseil et la Commission prévue aux articles 83 CE et 85 CE que seul le Conseil est compétent pour établir les règlements ou directives utiles en vue de l’application des principes figurant aux articles 81 CE et 82 CE. Les exigences tirées du principe de légalité des peines impliqueraient donc que le Conseil ne soit pas en droit de déléguer le pouvoir d’imposer des amendes à la Commission en l’absence de système suffisamment déterminé.
41 Or, la requérante soutient que la Commission dispose de pouvoirs à la fois d’investigation, d’accusation et de jugement. De tels pouvoirs, non conformes aux traditions constitutionnelles des États membres, devraient être encadrés par des règles claires et univoques. La requérante estime ainsi que le règlement d’application des articles 81 CE et 82 CE du Conseil devrait définir précisément la teneur, l’objectif et l’intensité des sanctions. En outre, le principe de légalité des peines exigerait que soit prévu un plafond, lequel ne devrait pas être excessivement élevé afin que l’amende n’acquière pas un caractère pénal. En effet, dans l’hypothèse où l’amende pourrait être illimitée, elle ne serait en définitive pas déterminée à l’avance par le Conseil, mais imposée par la Commission en tant qu’autorité exécutive.
42 La requérante estime que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 ne remplit pas les exigences découlant du principe de légalité des peines décrites ci-dessus.
43 En premier lieu, elle soutient que le règlement nº 17 ne prévoit pas les cas dans lesquels une infraction aux articles 81 CE et 82 CE doit faire l’objet d’une amende, laissant à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider de l’opportunité de cette dernière. Elle rappelle à cet égard l’arrêt de la Cour du 12 juillet 1979, BMW Belgium e.a./Commission (32/78, 36/78 à 82/78, Rec. p. 2435, point 53), aux termes duquel la Commission bénéficierait d’une totale liberté dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose pour décider ou non d’infliger une amende.
44 En deuxième lieu, la requérante fait valoir que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 ne contient pas de limite chiffrée. La requérante estime ainsi que ce cadre n’est pas compatible avec le principe de légalité des peines et qu’il constitue un transfert à la Commission d’une compétence appartenant, en vertu du traité, au Conseil. Le montant de l’amende ne serait pas, en réalité, déterminé à l’avance par le règlement mais exclusivement par la Commission, et ce de manière ni prévisible ni vérifiable (voir arrêt Commission/France, point 35 supra, point 23, et la jurisprudence citée). La nécessité d’assurer un effet dissuasif à l’amende ne saurait justifier cette absence de plafond absolu dans la mesure où cette exigence devrait être conciliée avec le principe fondamental du droit communautaire, de valeur juridique supérieure, que constitue le principe de légalité des peines (arrêts Kloppenburg, point 35 supra, point 11, et Salumi e.a., point 35 supra, point 10).
45 En troisième lieu, la requérante fait observer l’absence de critères, établis par le législateur, pour la fixation de l’amende, hormis la gravité et la durée de l’infraction. Or, ces deux critères n’auraient, en pratique, aucun effet restrictif sur le pouvoir d’appréciation de la Commission. En effet, d’une part, la Commission ne serait tenue par aucune liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 54, et arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33 ; arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 443) et, d’autre part, la Commission tiendrait compte de nombreux facteurs aggravants ou atténuants que les justiciables ne pourraient connaître à l’avance.
46 En outre, les exigences tirées du respect du principe d’égalité de traitement ne permettraient pas de compenser cette imprécision compte tenu de ce que, selon la jurisprudence, la Commission n’est pas tenue de veiller à ce que les montants finals de l’amende traduisent toute différence entre les entreprises concernées quant à leur chiffre d’affaires (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 278).
47 La thèse de la requérante serait confortée par un arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle allemande) selon lequel une norme pénale prévoyant comme plafond de la peine le patrimoine du condamné doit être annulée comme contraire au principe de légalité des peines (arrêt du 20 mars 2002, BvR 794/95, NJW 2002, p. 1779). Contrairement aux affirmations du Conseil, l’article 81, paragraphe 2, de la loi allemande sur les restrictions de la concurrence [Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (GWB)] ne contiendrait aucune disposition analogue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, le législateur ayant volontairement renoncé à un tel cadre.
48 En quatrième lieu, la requérante indique que la pratique décisionnelle de la Commission illustre le bien‑fondé de sa thèse. Cette pratique serait marquée par des différences importantes entre les montants des amendes infligées et par une augmentation brutale et récente desdits montants. Elle relève ainsi notamment que huit des dix plus importantes amendes ont été infligées après 1998 et qu’une amende record de 855,23 millions d’euros, dont 462 millions à une seule entreprise, a été infligée en 2001 dans l’affaire dite des « vitamines » [décision de la Commission C (2001) 3695 final, du 21 novembre 2001, affaire COMP/E‑1/37.512]. Ce dernier montant serait quinze fois supérieur à la moyenne des amendes infligées entre 1994 et 2000 et la deuxième amende la plus élevée [décision de la Commission C (2001) 4573 final, COMP/E-1/36.212 – Papier autocopiant] pour l’année 2001 représenterait encore six fois cette valeur moyenne.
49 En cinquième lieu, la requérante estime que le système existant ne saurait être justifié par le nécessaire effet dissuasif que doivent revêtir les amendes à l’égard des entreprises. En effet, d’une part, la requérante admet que, si le montant exact de l’amende ne doit pas être déterminable à l’avance, l’objectif de dissuasion n’autorise toutefois pas le Conseil à s’abstenir d’« indiquer clairement les limites de la compétence conférée à la Commission ». D’autre part, elle fait observer que l’absence d’un minimum de prévisibilité de l’amende a, en réalité, eu pour effet de dissuader les entreprises de coopérer avec la Commission. La possibilité d’estimer, ne serait-ce qu’approximativement, les conséquences potentielles d’un comportement assurerait, au contraire, bien mieux l’effet de dissuasion poursuivi, à l’instar des lois pénales nationales.
50 En sixième lieu, la requérante soutient que les lignes directrices ne sauraient être considérées comme palliant le défaut de légalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. D’une part, lesdites lignes directrices ne sauraient, selon elle, constituer un acte juridique au sens de l’article 249 CE et, d’autre part, seul le Conseil serait habilité à adopter des dispositions en la matière, conformément à l’article 83 CE. Elle estime que c’est donc au Conseil qu’il appartient de respecter le principe de légalité des peines. Pour les mêmes raisons, la compétence de pleine juridiction reconnue à la Cour par l’article 17 du règlement nº 17 ne pourrait compenser le défaut de légalité de l’article 15, paragraphe 2, du même règlement. En effet, la requérante rappelle qu’en dépit de cette compétence c’est à la Commission qu’il appartient au premier chef de déterminer le montant de l’amende et d’établir les faits au cours de la procédure administrative. De surcroît, la requérante rappelle que l’imprécision de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et l’absence de critères de contrôle conduisent à vider de sens la compétence de pleine juridiction conférée aux juridictions communautaires. La requérante note enfin qu’il ne peut être exigé des justiciables qu’ils introduisent systématiquement un recours juridictionnel au motif que le cadre légal de l’imposition d’amendes est insuffisamment déterminé. Elle ajoute que la compensation par le juge communautaire des erreurs du législateur outrepasserait les tâches incombant à la jurisprudence et serait donc contestable au regard de l’article 7, paragraphe 1, CE.
51 La Commission estime que l’argumentation de la requérante n’est pas fondée.
52 Elle souligne que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 constitue une base juridique claire et dépourvue d’ambiguïté permettant aux entreprises de prévoir les conséquences possibles de leurs actes avec une précision suffisante.
53 En outre, elle rappelle que le pouvoir d’appréciation dont elle dispose doit s’exercer dans le respect des critères de gravité et de durée de l’infraction posés par cet article, des principes généraux du droit communautaire, notamment les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, ainsi que la jurisprudence de la Cour et du Tribunal. La Commission soutient ainsi qu’elle doit respecter lesdits principes à chaque fois qu’elle fait usage de son pouvoir discrétionnaire (voir, s’agissant du respect du principe d’égalité de traitement, arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, Brugg Rohrsysteme/Commission, T‑15/99, Rec. p. II‑1613, points 149 et suivants, et du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, points 69, 207, 281 et 308 ; conclusions de l’avocat général M. Ruiz Jarabo Colomer sous l’arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I-123, p. I-133, points 96 et suivants).
54 Contrairement aux allégations de la requérante, il ne saurait à cet égard être déduit de l’arrêt BMW Belgium e.a./Commission, point 43 supra, que ce contrôle ne s’étend pas à la décision d’infliger ou non une amende. En effet, dans cette affaire, le fait que la Cour ait admis la possibilité pour la Commission d’infliger une amende aux revendeurs alors qu’elle ne l’avait pas fait dans des affaires antérieures ne signifierait pas que le pouvoir de la Commission d’infliger ou non une amende soit sans limite, ce dernier devant être exercé sur le fondement de raisons objectives correspondant à la finalité de la disposition conférant à la Commission ledit pouvoir.
55 La requérante ne serait pas fondée à invoquer le fait que la Décision serait une « décision surprise », dans la mesure où la fonction dissuasive de l’amende implique que cette dernière ne puisse être calculée à l’avance par les entreprises et comparée au gain escompté. La Commission rappelle que, en tout état de cause, la requérante n’était pas fondée à placer sa confiance légitime dans le fait qu’elle ne se verrait pas infliger une amende supérieure aux amendes les plus élevées infligées au cours de l’infraction (arrêts LR AF 1998/Commission, point 46 supra, point 241, et Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, points 63 et 64).
56 En outre, la compétence de pleine juridiction du Tribunal ainsi que l’adoption des lignes directrices en janvier 1998, lesquelles auraient été déclarées compatibles avec l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, contrediraient la position de la requérante selon laquelle la détermination de l’amende serait arbitraire et sans transparence.
57 Il ne saurait non plus être reproché au Conseil d’avoir opéré un transfert de compétence en faveur de la Commission en violation du traité compte tenu de ce que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, du fait des critères, tels qu’interprétés par les juridictions communautaires, qu’il mentionne et de l’exigence du respect des principes généraux du droit communautaire, constitue une base juridique suffisamment déterminée au regard de l’objectif poursuivi par l’imposition d’amendes. Le grief tiré de ce que les lignes directrices ne pourraient pallier le défaut de détermination de cette disposition serait donc sans objet. Ces dernières auraient en outre amélioré la sécurité juridique et la transparence de la procédure décisionnelle.
58 Enfin, s’agissant de l’augmentation du montant des amendes au cours des dernières années, la Commission relève, d’une part, que l’augmentation du chiffre d’affaires des entreprises depuis les années 60 justifie en soi la marge de manœuvre laissée à la Commission par la disposition attaquée et, d’autre part, que, selon une jurisprudence constante (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 108 et 109 ; arrêts du Tribunal LR AF 1998/Commission, point 46 supra, point 237, et du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, points 144 et 145), la Commission doit pouvoir relever le niveau des amendes afin de renforcer leur effet dissuasif. Ce pouvoir discrétionnaire ne serait toutefois pas sans limite, la Cour et le Tribunal examinant si les hausses décidées par la Commission sont justifiées par l’intérêt allégué (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, T‑334/94, Rec. p. II‑1439, points 323 à 335, et du 20 mars 2002, Lögstör Rör/Commission, T‑16/99, Rec. p. II‑1633, point 251). Elle note enfin que, malgré cette augmentation du niveau des amendes, les infractions manifestes, graves et de longue durée restent relativement fréquentes.
59 Le Conseil, intervenant au litige, estime que l’exception d’illégalité de l’article 15 du règlement nº 17 doit être rejetée comme non fondée. Le Conseil admet qu’une amende, même s’il s’agit d’une sanction dépourvue de caractère pénal, doit reposer sur une base légale claire et non ambiguë. Il considère toutefois que l’article 15 du règlement nº 17 remplit cette exigence. Il rappelle en outre que le principe nulla poena sine lege n’a vocation à s’appliquer qu’aux sanctions pénales, ce qui ne serait pas le cas des amendes imposées en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, conformément au paragraphe 4 de ce même article. Les exigences tirées de ce principe ne pourraient donc être appliquées en l’espèce (arrêt Maizena, point 37 supra, point 14 ; Cour eur. D. H., arrêt Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, série A nº 307).
60 En outre, le Conseil estime que la hauteur de la sanction est suffisamment déterminée dans la mesure où l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 prévoit un plafond de l’amende en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. Un plafond absolu ne serait pas adapté étant donné que les décisions de la Commission concernent des cas particuliers. Le pouvoir d’appréciation de la Commission, loin d’être absolu, serait par ailleurs limité par la prise en compte obligatoire des critères de durée et de gravité de l’infraction prévus audit article. La Commission serait aussi soumise au respect des principes de proportionnalité et de non-discrimination.
61 Le Conseil considère qu’il serait difficile de définir un cadre plus restrictif permettant de tenir compte des circonstances propres au contexte de chaque infraction et d’assurer un effet dissuasif suffisant. Le Tribunal n’aurait d’ailleurs jamais mis en doute la validité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et l’aurait plutôt confirmée (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 58 supra, points 98 à 101).
62 S’agissant du grief de la requérante tiré de ce que la pratique de la Commission serait caractérisée par des différences très importantes dans les montants des amendes infligées et par une augmentation brutale et récente, le Conseil relève que ces constatations ne font que refléter le fait que les entreprises en cause ont des chiffres d’affaires différents et que la taille des entreprises concernées augmente.
63 Il serait également erroné d’affirmer que la Commission cumule les fonctions d’autorité d’enquête, d’accusateur et de juge étant donné qu’elle est soumise à un contrôle de pleine juridiction et qu’elle ne peut donc être considérée comme juge et partie.
64 Il en irait de même de l’affirmation selon laquelle le Conseil aurait délégué à la Commission sa compétence pour l’institution d’amendes. En effet, le Conseil rappelle que la délégation dont bénéficie la Commission ne concerne que la compétence pour prendre des décisions sur la base de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, lequel constitue l’expression de la compétence du Conseil. Cela serait conforme à l’article 202, troisième tiret, CE.
65 Enfin, le Conseil fait observer que, contrairement aux allégations de la requérante, il existe au niveau des États membres, notamment en Suède et en Allemagne, des règles comparables.
2. Appréciation du Tribunal
66 Il y a lieu de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que le principe de légalité des peines est un corollaire du principe de sécurité juridique, lequel constitue un principe général du droit communautaire et exige, notamment, que toute réglementation communautaire, en particulier lorsqu’elle impose ou permet d’imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et puissent prendre leurs dispositions en conséquence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 9 juillet 1981, Gondrand Frères et Garancini, 169/80, Rec. p. 1931, point 17 ; Maizena, point 37 supra, point 15 ; du 13 février 1996, van Es Douane Agenten, C‑143/93, Rec. p. I‑431, point 27, et X, point 35 supra, point 25).
67 Ce principe, qui fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par différents traités internationaux, notamment par l’article 7 de la CEDH, s’impose tant aux normes de caractère pénal qu’aux instruments administratifs spécifiques imposant ou permettant d’imposer des sanctions administratives (voir arrêt Maizena, point 37 supra, points 14 et 15, et la jurisprudence citée). Il s’applique non seulement aux normes qui établissent les éléments constitutifs d’une infraction, mais également à celles qui définissent les conséquences qui découlent d’une infraction aux premières (voir, en ce sens, arrêt X, point 35 supra, points 22 et 25).
68 À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »
69 Selon la Cour européenne des droits de l’homme, il résulte de cette disposition que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (Cour eur. D. H., arrêt Coëme c. Belgique du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions, 2000-VII, § 145).
70 Le Conseil soutient que le Tribunal ne peut s’inspirer de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à cet article pour analyser la légalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, compte tenu de ce que l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 dispose que les décisions prises par la Commission en vertu, notamment, du paragraphe 2 de cette disposition n’ont pas un caractère pénal.
71 Or, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, en raison notamment de la nature et du degré de sévérité des amendes infligées par la Commission en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH a vocation à s’appliquer à de telles sanctions, force est de constater que, même dans l’hypothèse où l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH devrait être considéré comme applicable à de telles sanctions, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, pour satisfaire aux exigences de cette disposition, il n’est pas exigé que les termes des dispositions en vertu desquelles sont infligées ces sanctions soient à ce point précis que les conséquences pouvant découler d’une infraction à ces dispositions soient prévisibles avec une certitude absolue.
72 En effet, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’existence de termes vagues dans la disposition n’entraîne pas nécessairement une violation de l’article 7 de la CEDH et le fait qu’une loi confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à l’exigence de prévisibilité, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (Cour eur. D. H., arrêt Margareta et Roger Andersson c. Suède, point 36 supra, § 75). À ce sujet, outre le texte de la loi elle-même, la Cour européenne des droits de l’homme tient compte de la question de savoir si les notions indéterminées utilisées ont été précisées par une jurisprudence constante et publiée (arrêt G. c. France du 27 septembre 1995, série A nº 325-B, § 25).
73 Par ailleurs, la prise en compte des traditions constitutionnelles communes aux États membres ne conduit pas à donner au principe général du droit communautaire que constitue le principe de légalité des peines une interprétation différente. S’agissant des arguments de la requérante fondés sur l’arrêt du Bundesverfassungsgericht du 20 mars 2002 (point 47 ci-dessus), à supposer même qu’il puisse s’avérer pertinent dans le cadre des amendes infligées à des entreprises pour violation des règles de concurrence, et sur l’article 81, paragraphe 2, du GWB, lequel ne contiendrait aucune disposition analogue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, il convient de souligner qu’une tradition constitutionnelle commune aux États membres ne saurait être déduite de la situation juridique d’un seul État membre. À cet égard, il y a lieu de relever, au contraire, ainsi que le fait observer le Conseil, non contredit sur ce point par la requérante, que le droit pertinent d’autres États membres connaît, pour l’octroi de sanctions administratives telles que celles infligées pour la violation des règles nationales de la concurrence, un niveau de délimitation comparable à celui de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, voire des critères semblables ou identiques à ceux prévus par cette disposition communautaire, le Conseil citant à cet égard l’exemple du Royaume de Suède.
74 S’agissant de la validité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 au regard du principe de légalité des peines, tel qu’il a été reconnu par le juge communautaire en conformité avec les indications fournies par la CEDH et les traditions constitutionnelles des États membres, force est de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission ne dispose pas d’une marge d’appréciation illimitée pour la fixation des amendes pour infraction aux règles de la concurrence.
75 En effet, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 limite lui-même le pouvoir d’appréciation de la Commission. D’une part, en précisant que « la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de [1 000 euros] au moins et de [1 million d’euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction », il prévoit un plafond des amendes en fonction du chiffre d’affaires des entreprises concernées, c’est-à-dire en fonction d’un critère objectif. Ainsi, si, comme l’indique la requérante, il n’existe pas de plafond absolu applicable à la globalité des infractions aux règles de concurrence, l’amende pouvant être imposée connaît toutefois un plafond chiffrable et absolu, calculé en fonction de chaque entreprise, pour chaque cas d’infraction, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être infligée à une entreprise donnée est déterminable à l’avance. D’autre part, cette disposition impose à la Commission de fixer les amendes dans chaque cas d’espèce en prenant « en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ».
76 S’il est vrai que ces deux critères laissent à la Commission une large marge d’appréciation, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de critères retenus par d’autres législateurs pour des dispositions similaires, permettant à la Commission d’adopter des sanctions en tenant compte du degré d’illégalité du comportement en cause. Dès lors, il y a lieu de considérer, à ce stade, que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, tout en laissant à la Commission une certaine marge d’appréciation, définit les critères et les limites qui s’imposent à elle dans l’exercice de son pouvoir en matière d’amendes.
77 En outre, il convient d’observer que, pour fixer des amendes en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, tout particulièrement les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, tels que développés par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal.
78 Contrairement aux affirmations de la requérante, les limites au pouvoir d’appréciation de la Commission décrites précédemment s’appliquent également à la décision d’infliger ou non une amende, notamment lorsque la Commission fait application de la communication sur la coopération, dont la validité n’est d’ailleurs pas contestée. À cet égard, le fait que la Cour ait admis, dans l’arrêt cité par la requérante (arrêt BMW Belgium e.a./Commission, point 43 supra, point 53), que la circonstance que, dans des affaires similaires antérieures, la Commission n’ait pas estimé qu’il y avait lieu d’infliger une amende à certains opérateurs économiques ne la privait pas d’un tel pouvoir expressément reconnu par le règlement nº 17, dès lors que les conditions requises pour son exercice étaient réunies, ne saurait signifier que la Commission dispose du pouvoir discrétionnaire de ne pas infliger une amende, sans que s’impose à elle le respect, d’une part, de l’autolimitation de l’exercice de son pouvoir d’appréciation résultant des lignes directrices et de la communication sur la coopération et surtout, d’autre part, des principes généraux du droit, notamment les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, ainsi que, de manière générale, de l’effet utile des articles 81 CE et 82 CE et du principe de libre concurrence résultant de l’article 4, paragraphe 1, CE.
79 Il convient également d’ajouter que, en vertu de l’article 229 CE et de l’article 17 du règlement n° 17, la Cour et le Tribunal statuent avec une compétence de pleine juridiction sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe des amendes et peuvent ainsi non seulement annuler les décisions prises par la Commission, mais également supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée. Ainsi, la pratique administrative de la Commission est soumise au plein contrôle du juge communautaire. Contrairement aux affirmations de la requérante, ce contrôle ne conduit pas le juge communautaire à outrepasser ses compétences en violation de l’article 7, paragraphe 1, CE, compte tenu de ce que, d’une part, un tel contrôle est expressément prévu par les dispositions précitées, dont la validité n’est pas contestée, et, d’autre part, le juge communautaire l’exerce dans le respect des critères visés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Dès lors, le contrôle exercé par le juge communautaire a précisément permis, par une jurisprudence constante et publiée, de préciser les notions indéterminées que pouvait contenir l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.
80 Par ailleurs, sur la base des critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et précisés dans la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, la Commission elle-même a développé une pratique administrative connue et accessible. Bien que la pratique décisionnelle de la Commission ne serve pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir arrêt du Tribunal du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, non encore publié au Recueil, point 87, et la jurisprudence citée), il n’en reste pas moins que, en vertu du principe d’égalité de traitement, la Commission ne peut traiter des situations comparables de manière différente ou des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).
81 En outre, il est de jurisprudence constante que la Commission peut adapter à tout moment le niveau des amendes si l’application efficace des règles communautaires de la concurrence l’exige (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, point 109, et arrêt LR AF 1998/Commission, point 46 supra, points 236 et 237), une telle altération d’une pratique administrative pouvant alors être considérée comme objectivement justifiée par l’objectif de prévention générale des infractions aux règles communautaires de la concurrence. L’augmentation récente du niveau des amendes alléguée et contestée par la requérante ne saurait donc, en soi, être considérée comme illégale au regard du principe de légalité des peines, dès lors qu’elle reste dans le cadre légal défini par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 tel qu’interprété par les juridictions communautaires.
82 Par ailleurs, il convient de tenir compte de ce que, dans un souci de transparence et afin d’accroître la sécurité juridique des entreprises concernées, la Commission a publié des lignes directrices dans lesquelles elle énonce la méthode de calcul qu’elle s’impose dans chaque cas d’espèce. À cet égard, la Cour a d’ailleurs considéré que, en adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement et la protection de la confiance légitime. En outre, les lignes directrices, si elles ne constituent pas le fondement juridique de la Décision, déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées par ladite Décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, non encore publié au Recueil, points 211 et 213). Il s’ensuit que, contrairement aux affirmations de la requérante, l’adoption par la Commission des lignes directrices, dans la mesure où elle s’est inscrite dans le cadre légal imposé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, ne saurait être considérée comme entachée d’incompétence et a seulement contribué à préciser les limites de l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission résultant déjà de cette disposition.
83 Ainsi, au vu des différents éléments relevés ci-dessus, un opérateur avisé peut, en s’entourant au besoin d’un conseil juridique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode et l’ordre de grandeur des amendes qu’il encourt pour un comportement donné. Le fait que cet opérateur ne puisse, à l’avance, connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce ne saurait constituer une violation du principe de légalité des peines, compte tenu de ce que, en raison de la gravité des infractions que la Commission est appelée à sanctionner, les objectifs de répression et de dissuasion justifient d’éviter que les entreprises soient en mesure d’évaluer les bénéfices qu’elles retireraient de leur participation à une infraction en tenant compte, par avance, du montant de l’amende qui leur serait infligée en raison de ce comportement illicite.
84 À cet égard, même si les entreprises ne sont pas en mesure, à l’avance, de connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission retiendra dans chaque cas d’espèce, il convient de noter que, conformément à l’article 253 CE, dans la décision infligeant une amende, la Commission est tenue, et ce malgré le contexte généralement connu de la décision, de fournir une motivation, notamment quant au montant de l’amende infligée et quant à la méthode choisie à cet égard. Cette motivation doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin d’apprécier l’opportunité de saisir le juge communautaire et, le cas échéant, de permettre à celui-ci d’exercer son contrôle.
85 Enfin, quant à l’argument selon lequel, en définissant le cadre de l’amende conformément aux dispositions de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, le Conseil aurait, de fait, transféré à la Commission une compétence lui appartenant en vertu du traité, en violation des articles 83 CE et 229 CE, il y a lieu de considérer qu’il est dépourvu de fondement.
86 D’une part, comme il a été exposé précédemment, si l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 laisse à la Commission une large marge d’appréciation, il en limite cependant l’exercice en instaurant des critères objectifs auxquels la Commission doit se tenir. D’autre part, il y a lieu de rappeler, ainsi que l’a fait observer le Conseil lors de l’audience, que le règlement nº 17 a été adopté sur la base de l’article 83, paragraphe 1, CE, lequel prévoit que « [l]es règlements ou directives utiles en vue de l’application des principes figurant aux articles 81 CE et 82 CE sont établis par le Conseil […] sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen ». Ces règlements ou directives ont notamment pour but, aux termes de l’article 83, paragraphe 2, sous a) et d), CE, respectivement d’« assurer le respect des interdictions visées à l’article 81, paragraphe 1, [CE] et à l’article 82 [CE], par l’institution d’amendes et d’astreintes », et de « définir le rôle respectif de la Commission et de la Cour de justice dans les dispositions visées dans le présent paragraphe ». Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que, en vertu de l’article 211, premier tiret, CE, la Commission « veille à l’application des dispositions du présent traité ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci » et qu’elle dispose, en vertu du troisième tiret de ce même article, d’« un pouvoir de décision propre ».
87 Il en résulte que le pouvoir d’infliger des amendes en cas de violation des articles 81 CE et 82 CE ne saurait être considéré comme appartenant originairement au Conseil, qui l’aurait transféré ou en aurait délégué l’exécution à la Commission, au sens de l’article 202, troisième tiret, CE. Conformément aux dispositions du traité citées précédemment, ce pouvoir relève en effet du rôle propre à la Commission de veiller à l’application du droit communautaire, ce rôle ayant été précisé, encadré et formalisé, s’agissant de l’application des articles 81 CE et 82 CE, par le règlement nº 17. Le pouvoir d’infliger des amendes que ce règlement attribue à la Commission découle donc des prévisions du traité lui-même et vise à permettre l’application effective des interdictions prévues auxdits articles (voir, en ce sens, arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 58 supra, point 133). Dès lors, l’argument de la requérante doit être rejeté.
88 Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 doit être rejetée comme non fondée.
B – Sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 à la lumière du principe de légalité des peines
89 Dans l’hypothèse où le Tribunal ne déclarerait pas l’invalidité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, la requérante soutient subsidiairement que cette disposition devrait faire l’objet d’une concrétisation et être interprétée strictement au regard du principe de légalité des peines, à l’instar de la pratique décisionnelle de la Commission et de la jurisprudence relatives aux articles 81 CE et 82 CE. Elle expose, à cet égard, certaines propositions destinées à permettre une prévisibilité suffisante de l’amende et conclut à l’annulation de la Décision.
90 La Commission et le Conseil considèrent que ces arguments ne sont pas fondés.
91 Or, il suffit à cet égard de constater, tout d’abord, que les arguments de la requérante exposés dans le cadre de la seconde branche, invoquée à titre subsidiaire, du moyen pris de la violation du principe de légalité des peines ne font que réitérer, pour une partie, certains des arguments déjà développés dans le cadre de la première branche de ce même moyen, en les dirigeant contre la pratique décisionnelle de la Commission résultant de l’application des lignes directrices et contre la Décision, en tant qu’elle illustre cette pratique. Or, outre que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait faire l’objet d’un quelconque recours en annulation, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il a été exposé précédemment, que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 ne méconnaît pas le principe de légalité des peines et que la pratique décisionnelle de la Commission et les lignes directrices ont précisément contribué, sous le contrôle des juridictions communautaires, à accroître la sécurité juridique des entreprises. La Décision ne saurait ainsi être considérée comme illégale au seul motif qu’elle constitue une application de la pratique décisionnelle prétendument illégale de la Commission en matière d’amendes. Ces griefs doivent donc être écartés.
92 En outre, pour autant que la requérante soulève, dans le cadre de la présente branche, des arguments relatifs au prétendu défaut de motivation de la Décision, s’agissant en particulier de la détermination du montant de base, de l’impact réel de l’infraction sur le marché et de la majoration du montant de l’amende afin d’assurer à celle-ci un effet dissuasif suffisant, il y a lieu de relever que ces arguments relèvent en substance du troisième moyen, lequel traite spécifiquement de la question de la motivation de la Décision, et dans le cadre duquel il convient donc de les examiner.
93 Enfin, pour le reste, les arguments de la requérante consistent en des considérations générales et théoriques sur la pratique décisionnelle que devrait conduire la Commission, sur de nouvelles dispositions que le Conseil devrait adopter ainsi que sur les développements jurisprudentiels que le Tribunal devrait entreprendre et, dès lors, ne soulèvent aucun grief d’ordre juridique à l’encontre de la Décision et doivent par suite être écartés.
94 Par ailleurs, dans le mémoire en réplique et lors de l’audience, la requérante a ajouté que le chiffre d’affaires visé par la limite maximale de l’amende fixée à 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédant l’adoption de la décision infligeant l’amende devait être considéré comme le chiffre d’affaires réalisé sur le marché concerné et non comme le chiffre d’affaires global.
95 Pour autant qu’il puisse être déduit de cette allégation que la requérante entend contester la Décision en ce qu’elle lui a infligé une amende dépassant le montant de 10 % du chiffre d’affaires qu’elle a réalisé sur le marché de la méthionine lors de l’exercice social précédant l’adoption de la Décision, sans même qu’il soit nécessaire de s’interroger quant à la recevabilité de cette argumentation au regard de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, et notamment quant à l’existence d’un lien étroit entre cette argumentation et l’un des moyens figurant dans la requête, il suffit de rappeler que ni le règlement n° 17, ni la jurisprudence, ni les lignes directrices ne prévoient que le montant des amendes doit être fixé directement en fonction de la taille du marché affecté, ce facteur n’étant qu’un élément pertinent parmi d’autres. En effet, conformément au règlement n° 17, tel qu’interprété par la jurisprudence, le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 240, et, par analogie, du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127). Comme la Cour l’a affirmé au point 120 de son arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, il est nécessaire de tenir compte, pour apprécier la gravité d’une infraction, d’un grand nombre d’éléments dont le caractère et l’importance varient selon le type d’infraction en cause et les circonstances particulières de celle-ci (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, non encore publié au Recueil, point 532).
96 Il convient de relever également, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, la seule référence expresse au chiffre d’affaires de l’entreprise en cause, soit la limite de 10 % du chiffre d’affaires retenu aux fins de la fixation des amendes à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, vise le chiffre d’affaires global de l’entreprise réalisé dans le monde entier (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, point 119) et non le chiffre d’affaires réalisé par elle sur le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel sanctionné. Il ressort du même point de cet arrêt, en effet, que cette limite vise à éviter que les amendes soient disproportionnées par rapport à l’importance de l’entreprise dans son ensemble (arrêt JFE Engineering/Commission, point 95 supra, point 533).
97 Il s’ensuit que la seconde branche du premier moyen doit être rejetée.
98 Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.
II – Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation quant au caractère unique et continu et quant à la durée de l’infraction
99 La requérante conteste, à titre principal, avoir participé à une infraction unique et continue entre le mois de février 1986 et le mois de février 1999. Elle admet sa participation à une infraction entre 1986 et 1988 et après 1992 mais prétend, d’une part, que la pratique anticoncurrentielle a été interrompue entre 1988 et 1992, et, d’autre part, qu’elle a définitivement pris fin en 1997. À titre subsidiaire, elle considère que la Commission aurait dû, en tout état de cause, prendre en compte le fait que les accords ont, à tout le moins, été suspendus de 1988 à 1992 et après 1997.
A – Sur l’interruption de l’infraction entre 1988 et 1992
1. Arguments des parties
100 Selon la requérante, à la suite du retrait de l’entente de Sumitomo, les réunions « au sommet » et les accords anticoncurrentiels ont été interrompus en 1988 et n’ont repris qu’en 1992.
101 En premier lieu, elle estime que, en affirmant au considérant 212 de la Décision que, dès lors que les participants à l’entente n’avaient pas exprimé leur intention de modifier les accords ou d’y renoncer, il ne pouvait être considéré comme établi que l’entente ait cessé entre 1988 et 1992, et en retenant aux considérants 251 et suivants de la Décision que, les participants à l’entente ne s’étant jamais mutuellement communiqué leur intention de mettre fin aux accords, il fallait en déduire qu’il n’y avait pas eu formation d’une nouvelle entente mais uniquement développement organique d’une structure d’entente complexe, la Commission a implicitement reconnu qu’elle ne disposait pas de preuve directe de l’existence de l’entente entre 1988 et 1992. Elle se serait ainsi fondée sur des présomptions et des comportements selon elle obligés, et ce en méconnaissance des exigences en matière d’administration de la preuve et du principe in dubio pro reo (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 354 ; du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, points 261 à 266, et du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 16). En outre, la communication mutuelle de l’intention de mettre fin à une entente ne constituerait aucunement une condition de la cessation d’un accord contraire au droit de la concurrence (arrêt LR AF 1998/Commission, point 46 supra, points 59 et suivants). Dès lors, il n’appartiendrait pas à la requérante de prouver qu’elle n’a pas participé à l’infraction durant la période considérée, mais à la Commission d’apporter la preuve qu’elle y a effectivement pris part (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58).
102 En second lieu, la requérante fait valoir en substance que la Commission a apprécié de manière erronée les différents documents tendant à prouver l’existence d’une entente entre 1988 et 1992.
103 À l’appui de ses affirmations, premièrement, la requérante fait observer que la présentation des faits par Nippon Soda dans ses observations du 23 février 2000, sur laquelle se fonde la Commission, ne mentionne qu’à une seule reprise l’existence de réunions entre 1988 et 1990, lesquelles se seraient poursuivies sous une forme ou une autre et uniquement au niveau des collaborateurs jusqu’au 13 mai 1998. Or, la Commission omettrait de prendre en compte le fait que les déclarations de Nippon Soda font état, d’une part, de ce que les réunions « au sommet » ont cessé en 1988 et, d’autre part, de ce que les réunions au niveau des collaborateurs entre 1988 et 1990 ne portaient que sur la manière dont les participants pouvaient se protéger de la concurrence de Monsanto et sur l’organisation d’un échange d’informations, laquelle ne constituerait pas une infraction au droit de la concurrence.
104 Deuxièmement, s’agissant de la note du 5 mai 1990 produite par Nippon Soda (ci-après la « note du 5 mai 1990 ») et dont la Commission déduirait qu’une réunion a eu lieu en 1989, la requérante fait valoir au contraire que ce document énonce en introduction les raisons pour lesquelles les relations de coopération commerciale ont été rompues en 1989, à savoir l’existence d’une controverse entre Sumitomo, d’une part, et Degussa et Rhône-Poulenc, d’autre part. En outre, la note du 5 mai 1990 indiquerait que la réunion d’août 1989 avait pour objet de dissuader Degussa de vendre de la méthionine au rabais. Il ressortirait toutefois de ladite note que Degussa a catégoriquement repoussé tout effort de dissuasion, son objectif commercial étant de concurrencer Monsanto et Sumitomo. Cette réunion ne pourrait donc tout au plus être considérée que comme une tentative de Nippon Soda et de Rhône-Poulenc d’inciter la requérante à participer à une infraction et prouverait en tout état de cause son absence d’intention anticoncurrentielle.
105 Ce serait, par ailleurs, à tort que la Commission a déduit de la note du 5 mai 1990, aux considérants 103 à 106 de la Décision, que la possibilité d’une nouvelle réunion avait été posée mais qu’on ignorait si une telle réunion avait effectivement eu lieu, alors que Nippon Soda y constaterait au contraire qu’il n’était pas possible d’aboutir à une estimation commune du prix de vente, compte tenu de ce que même Rhône-Poulenc n’était pas intéressée par une politique commune de prix.
106 Enfin, la note du 5 mai 1990 conclurait qu’il y avait « tout lieu de croire que Degussa ne se préoccup[ait] pas beaucoup de ce que Rhône-Poulenc pens[ait] réellement ». La requérante déclare donc s’interroger sur le fondement de l’affirmation de la Commission, au considérant 106 de la Décision, selon laquelle Degussa, Rhône-Poulenc et Nippon Soda se sont rencontrées à plusieurs reprises en 1989 et 1990 pour discuter des prix et des données concernant le marché et pour décider de leur réaction commune face à la nouvelle situation du marché. Elle rappelle que, au contraire, Degussa a clairement exprimé à l’égard des autres entreprises concernées son intention de ne pas poursuivre la mise en œuvre des accords.
107 Troisièmement, la requérante soutient que la Commission n’a pas démontré non plus à suffisance de droit sa participation à une infraction entre 1990 et 1992. En effet, il ressortirait de la déclaration complémentaire de Rhône-Poulenc du 5 décembre 2000 que la réunion du 10 juin 1990 entre Degussa et Rhône-Poulenc avait uniquement abouti à la décision de prendre contact avec Nippon Soda en vue de discuter de la baisse des prix et de l’organisation de réunions plus régulières. L’affirmation de la Commission selon laquelle l’entente de 1986 n’a jamais cessé et Nippon Soda était déjà impliquée dans l’adoption de telles mesures serait donc erronée (considérant 110 de la Décision).
108 Par ailleurs, la note de Nippon Soda concernant la réunion de Séoul du 7 novembre 1990 (ci-après la « note de la réunion du 7 novembre 1990 ») ne contiendrait aucune indication relative à un accord sur l’annonce d’une hausse de prix ou sa mise en œuvre, mais ferait au contraire état de ce que Rhône-Poulenc et Degussa n’envisageaient pas de deuxième hausse de prix sans la participation de Monsanto. Ce document ne permettrait pas non plus de conclure, comme le prétend la Commission, à l’existence d’une première hausse de prix, ainsi que l’attesterait la note du 5 mai 1990. De surcroît, la requérante affirme en substance que l’on ne peut se fier aux formulations contenues dans cette note, compte tenu de ce qu’il ne s’agirait pas de l’original, mais d’une traduction, probablement à partir du japonais, comme en témoignerait sa typographie ainsi que l’erreur manifeste relative à l’année relevée dans la date « novembre 1998 ».
109 De même, la Commission n’aurait pas été en mesure d’établir l’existence d’un quelconque accord pour l’année 1991. Dans sa déclaration du 26 mai 1999, Rhône-Poulenc indiquerait en effet que les réunions de 1991 « avaient pour but de créer et d’augmenter le niveau de confiance entre les trois concurrents ». Ces réunions auraient donc constitué des négociations préparatoires n’ayant pas atteint le stade de la tentative d’accord ou celui de pratique concertée. Cette analyse serait en outre confirmée dans la déclaration complémentaire de Rhône-Poulenc du 5 décembre 2000.
110 La Commission soutient qu’elle a démontré à suffisance de droit la participation de la requérante à une infraction unique et continue entre le mois de février 1986 et le mois de février 1999 et réitère ses affirmations figurant aux considérants 96 à 115, 212, 255 et 256 de la Décision.
2. Appréciation du Tribunal
111 Il y a lieu de constater que la requérante ne conteste pas, à l’occasion du présent recours, sa participation à deux ententes qu’elle estime distinctes, l’une allant du mois de février 1986 à l’automne 1988, période durant laquelle l’entente incluait le producteur japonais Sumitomo, l’autre allant du mois de mars 1992 au mois d’octobre 1997, date à laquelle elle estime que l’infraction a cessé, contrairement aux affirmations de la Commission selon lesquelles l’infraction a continué jusqu’en février 1999. S’agissant de la période 1988‑1992, elle considère que la Commission n’a pas démontré l’existence d’une entente à laquelle elle aurait participé et que, dès lors, la Commission a commis une erreur d’appréciation en estimant qu’elle avait participé à une infraction unique et continue du mois de mars 1986 au mois de mars 1999.
112 Il importe donc de déterminer si la Commission a établi à suffisance de droit que, durant la période allant de l’automne 1988 au mois de mars 1992, la requérante a participé à des actions constitutives d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53 de l’accord EEE, et s’inscrivant, au regard des infractions non contestées antérieures et postérieures à cette période, dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Dans cette perspective, il convient d’apprécier, pour cette période, les preuves rassemblées par la Commission ainsi que les conclusions auxquelles elle a abouti aux considérants 95 et suivants de la Décision.
a) Sur la participation de la requérante à un accord et/ou à une pratique concertée entre 1988 et 1992
113 À titre liminaire, il convient de relever que la requérante reproche en premier lieu à la Commission d’avoir déduit, aux considérants 212 et 251 et suivants de la Décision, de la seule circonstance que les participants à l’entente de 1986 n’avaient pas manifesté leur intention, postérieurement au retrait de Sumitomo en 1988, de mettre fin aux arrangements qu’il n’était pas établi que l’entente ait été interrompue. En se fondant sur une telle présomption, la Commission aurait renversé la charge de la preuve qu’il lui incombe en principe de rapporter.
114 Il y a lieu de rappeler à cet égard qu’il est de jurisprudence constante que l’exigence de sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs économiques implique que, lorsqu’il y a litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, la Commission, qui a la charge de la preuve des infractions qu’elle constate, avance des éléments de preuve propres à établir, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs de l’infraction. S’agissant de la durée alléguée d’une infraction, le même principe de sécurité juridique impose que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée de l’infraction, la Commission invoque, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (arrêt Baustahlgewebe/Commission, point 101 supra, point 58, et arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 79).
115 Le principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée par le préambule de l’Acte unique européen et par l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne ainsi que par l’article 47 de la Charte, sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, notamment, Cour eur. D. H., arrêts Öztürk c. Allemagne , point 38 supra, et Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123-A ; arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, points 175 et 176).
116 En l’espèce, il y a effectivement lieu de noter que la Commission, au considérant 212 de la Décision, a relevé ce qui suit :
« […] De fait, il est démontré aux considérants 95 à 125 que les participants ont continué de prendre part à des réunions en 1989, 1990 et 1991, sans se distancier publiquement de leur contenu. Étant donné le caractère manifestement anticoncurrentiel des réunions antérieures, l’absence de preuves attestant que la participation aux réunions était exempte de toute intention anticoncurrentielle permet d’établir que le projet illégal s’est en fait poursuivi […] »
117 Toutefois, il ressort de l’argumentation de la Commission figurant aux considérants 96 à 125, 212 et 255 de la Décision que, loin de se fonder uniquement, ou même de manière prépondérante, sur l’absence de manifestation par les parties à l’entente de 1986 de leur intention de mettre un terme à cette dernière après 1988, elle a procédé à une analyse circonstanciée des preuves documentaires mises à sa disposition par les participants à l’entente, dont elle a déduit que non seulement ces derniers n’avaient jamais manifesté leur intention de mettre fin aux arrangements, mais qu’en outre les activités du cartel n’avaient jamais été interrompues.
118 Au regard de la Décision dans son ensemble, il ne saurait donc être reproché à la Commission d’avoir fondé son appréciation du caractère unique et continu de l’infraction, et donc de l’existence de celle-ci entre 1988 et 1992, sur la seule considération selon laquelle, dès lors que les participants à l’entente de 1986 n’avaient pas marqué leur intention de mettre fin à cette dernière, il devait être présumé que les réunions tenues de 1989 à 1991 avaient un objet anticoncurrentiel et qu’elles constituaient la continuation de l’entente antérieure. Par conséquent, l’argument de la requérante selon lequel la Commission a établi l’existence de l’infraction postérieurement à l’automne 1988 en se fondant sur une simple présomption ne saurait être accueilli.
119 En revanche, il y a lieu de déterminer si les preuves documentaires sur lesquelles la Commission s’est fondée sont de nature à démontrer à suffisance de droit que la requérante a participé à une infraction au droit de la concurrence entre 1988 et 1992 et, dans l’affirmative, que cette infraction constitue la continuation de l’entente antérieure, dont l’existence n’est pas contestée par la requérante.
120 Il ressort de l’examen du dossier que, entre 1988 et 1992, il convient de distinguer deux périodes, la première allant de la fin de l’année 1988, époque du retrait de Sumitomo de l’entente initiale, à la fin de l’été 1990, et la seconde allant de la fin de l’été 1990 au mois de mars 1992, époque à laquelle la requérante admet avoir participé à ce qu’elle considère comme une infraction distincte.
Sur la période allant de la fin de l’année 1988 à la fin de l’été 1990
121 S’agissant de la période allant de la fin de l’année 1988 à l’été 1990, il y a lieu de rappeler que la Commission a soutenu, aux considérants 98 à 106 de la Décision que, à la suite du retrait de Sumitomo de l’entente initiale, Degussa, Rhône-Poulenc et Nippon Soda, en dépit des difficultés majeures qu’elles ont eues à coordonner leur action, se sont rencontrées à plusieurs reprises en 1989 et 1990 pour discuter des prix et des données concernant le marché et pour décider de leur réaction commune face à la nouvelle situation du marché caractérisée par l’entrée de Monsanto. À cette fin, la Commission s’est référée aux réunions suivantes, dont la requérante ne conteste au demeurant pas la tenue :
Date
Lieu
Participants
août 1989
Non mentionné
Nippon Soda, Degussa, Rhône-Poulenc
automne 1989
Japon
Nippon Soda, Degussa
10 juin 1990
Francfort-sur-le-Main
Degussa, Rhône-Poulenc
122 L’argumentation de la requérante consiste, en substance, à soutenir que ces réunions ne permettent pas de démontrer la continuation de l’entente et que les documents sur lesquels se fonde la Commission conduisent au contraire à prouver que les participants auxdites réunions étaient en désaccord et notamment que la requérante a refusé toute proposition relative à une entente sur les prix.
123 Or, il résulte de la réponse de Nippon Soda du 23 février 2000 à la demande de renseignements de la Commission (ci-après la « déclaration de Nippon Soda du 23 février 2000 ») et de la note du 5 mai 1990 que, s’il y a lieu d’admettre que les réunions « au sommet » ont cessé en 1988, il n’en reste pas moins que, et la requérante ne conteste pas ce fait, selon ces mêmes documents, des réunions des collaborateurs ont continué à se tenir entre 1988 et 1998 et que ces réunions avaient partiellement pour objet de remplacer les réunions au sommet antérieures.
124 En outre, s’il est vrai que l’on ne saurait déduire de la déclaration de Nippon Soda du 23 février 2000 que, pour la période allant de 1989 à 1990, les participants aux réunions étaient convenus d’une fixation de prix, d’une attribution de clientèle ou d’une restriction de capacités de production, il y a toutefois lieu de souligner que cette déclaration mentionne, aux points 2.8 et 2.9, qu’un système plus souple de « prix cibles » s’était développé et que les réunions avaient pour objet de se protéger de la concurrence du nouvel entrant sur le marché, Monsanto, et d’échanger des informations à cette fin. Au point 6.2, sous l’intitulé « Objet des réunions intervenues après le 1er janvier 1990 », Nippon Soda confirme cette description en indiquant que, en 1990, les activités de Monsanto représentaient la principale menace pour les parties aux accords et qu’ainsi les réunions, lesquelles sont présentées comme régulières, se concentraient sur la mise en commun des renseignements relatifs auxdites activités et sur la discussion de prix cibles.
125 Par ailleurs, il ressort en particulier de la note du 5 mai 1990 qu’une réunion s’est tenue entre Nippon Soda, Rhône-Poulenc et Degussa en août 1989 et une autre, à l’automne 1989, entre Degussa et Nippon Soda, ce que la requérante ne conteste pas. Ces réunions avaient pour objet de dissuader Degussa de vendre la méthionine au rabais. Selon ce même document, celle-ci a rejeté cette proposition, de sorte qu’il n’y pas lieu de considérer que les parties soient convenues d’un accord sur les prix lors de ces réunions. Toutefois, la note relève que Degussa a indiqué à cette occasion, notamment, d’une part, que ces baisses de prix lui étaient nécessaires pour maintenir ses volumes de vente et donc ses coûts fixes et, d’autre part, que selon elle le prix raisonnable de la méthionine se situait autour de 2,80 dollars des États-Unis (USD) par kilogramme et qu’ainsi le niveau actuel de 3 USD/kg était trop élevé.
126 La requérante soutient que cette note démontre qu’une entente était impossible entre les participants aux réunions à cette époque.
127 À cet égard, il y a lieu de reconnaître que la note du 5 mai 1990 laisse apparaître que Degussa a, de 1989 à l’été 1990, pratiqué une baisse des prix importante afin, notamment, de reprendre des clients à Monsanto. De même, Nippon Soda affirme que les rapports entre Degussa et Rhône-Poulenc s’étaient détériorés et qu’ainsi il était probable que la stratégie de cette dernière serait probablement, à court terme, de continuer à concurrencer Monsanto, Degussa, Sumitomo et Nippon Soda.
128 Toutefois, il importe de souligner que, bien que la Commission n’ait pas établi l’existence d’un accord sur les prix, elle a prouvé que la requérante avait participé à des réunions avec Nippon Soda et Rhône-Poulenc durant toute cette période et que, lors de ces réunions, des informations sur les conditions du marché étaient échangées, le niveau des prix était discuté et les participants exposaient la stratégie commerciale qu’ils entendaient tenir sur le marché, la requérante ayant notamment annoncé le prix qu’elle estimait raisonnable à cette époque, à savoir 2,80 USD/kg.
129 Dès lors, il ne saurait être déduit de cette brève période, allant de la fin de l’année 1988 à la fin de l’été 1990, de mésentente entre les participants que la collusion avait cessé, compte tenu de ce que non seulement les réunions ont continué à se tenir de manière régulière, mais qu’en outre ces réunions avaient précisément pour objet de convenir de la réaction à adopter face aux nouvelles données du marché. La circonstance que la requérante ait temporairement pratiqué des baisses de prix en vue de reprendre des clients à Monsanto et qu’elle ait ponctuellement refusé les propositions faites par Nippon Soda et Rhône-Poulenc de ne pas baisser les prix ne saurait donc mener à la conclusion que la requérante entendait se distancier du contenu des réunions et agir de manière autonome, d’autant que, selon la note du 5 mai 1990, elle entendait s’accorder avec les autres participants pour une hausse des prix dès le mois de juillet 1990 et que, à cette fin, il était crucial de persuader Rhône-Poulenc de se joindre aux efforts mutuels de hausse des prix.
130 Force est d’ailleurs de constater que le prétendu différend entre Degussa et Rhône-Poulenc, lequel n’est au demeurant présenté que comme une conjecture dans la note du 5 mai 1990, n’a pas empêché ces entreprises de se rencontrer à deux reprises durant l’été 1990, la première fois dans les bureaux de Degussa le 10 juin 1990 à Francfort-sur-le-Main et la deuxième fois à Paris. À l’occasion de cette dernière rencontre, selon les déclarations non contestées de Rhône-Poulenc, les parties ont échangé des informations sur le marché. En particulier, Rhône-Poulenc a présenté à Degussa ses chiffres de vente mondiaux et les ventes de Degussa ont fait l’objet de discussions bien qu’aucun chiffre spécifique n’ait été communiqué par cette dernière.
131 Il s’ensuit que, ainsi que le fait observer en substance la Commission au considérant 103 de la Décision, bien que l’entente initiale ait connu, entre la fin de l’année 1988 et l’été 1990, un certain flottement dû au retrait de Sumitomo et à l’arrivée de Monsanto sur le marché, Degussa, Rhône-Poulenc et Nippon Soda ont continué, durant cette période, à se réunir en vue de convenir d’une stratégie commune pour lutter contre la concurrence de Monsanto et que, dans cette perspective, des informations relatives notamment aux prix et aux ventes de Rhône-Poulenc, de Nippon Soda et de Degussa, ainsi que des renseignements relatifs aux activités de Monsanto, étaient échangées.
132 Or, il suffit de rappeler à ce stade que la notion de « pratique concertée » consiste en une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 64). Les critères de coordination et de coopération en cause, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable « plan », doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à, ou que l’on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 101 supra, points 173 et 174 ; arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 720).
133 Ainsi, pour établir une pratique concertée, il n’est pas nécessaire de démontrer que le concurrent en question s’est formellement engagé, à l’égard d’un ou de plusieurs autres, à adopter tel ou tel comportement ou que les concurrents ont fixé en commun leur comportement futur sur le marché (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 1852). Il suffit que, à travers sa déclaration d’intention, le concurrent ait éliminé ou, à tout le moins, substantiellement réduit l’incertitude quant au comportement à attendre de sa part sur le marché (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, BASF/Commission, T‑4/89, Rec. p. II‑1523, point 242, et Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 260).
134 En outre, bien que, ainsi que le rappelle la requérante, la communication mutuelle, de la part des participants à une entente, de leur intention d’y mettre fin ne soit pas une condition de sa cessation, il n’en reste pas moins que, selon une jurisprudence bien établie, dès lors qu’une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu’elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu’elle souscrit au résultat des réunions et qu’elle s’y conformera, il peut être considéré comme établi qu’elle participe à l’entente résultant desdites réunions (arrêts du Tribunal Hercules Chemicals/Commission, point 133 supra, point 232 ; du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, point 98, et du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T‑141/89, Rec. p. II‑791, points 85 et 86).
135 Or, s’il est vrai qu’il ressort des éléments du dossier exposés ci-dessus que les participants aux réunions ont pu connaître certains différends, il n’en reste pas moins que les réunions ont continué d’avoir lieu et que Degussa ne peut être considérée comme s’étant distanciée publiquement de leur contenu, dans la mesure, notamment, où elle a indiqué quel serait son comportement sur le marché et le prix qu’elle estimait raisonnable et dans la mesure où elle a elle-même montré son intention de mettre en place une action concertée en vue d’augmenter les prix en juillet 1990.
136 De plus, s’il résulte des termes mêmes de l’article 81, paragraphe 1, CE qu’une pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 118, et Hüls/Commission, point 115 supra, point 161), il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 121, et Hüls/Commission, précité, point 162). Il en est d’autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d’une longue période, comme c’était le cas en l’espèce, l’entente ayant débuté en 1986.
137 Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de conclure que c’est à bon droit que la Commission a estimé, au considérant 106 de la Décision, qu’« il [était] au moins établi que […] les parties [étaient] en contact, [avaient] échangé des informations sur les prix et les ventes et [avaient] discuté d’augmentations des prix en 1989 et 1990 » et qu’elle en a déduit, en se fondant aux considérants 194 et suivants de la Décision sur la jurisprudence citée ci-dessus, que la requérante avait participé à un accord et/ou à une pratique concertée durant cette période.
138 La question de savoir si, comme le relève la Commission au considérant 106, la note de Nippon Soda du 7 novembre 1990 permettait de conclure qu’une « première » campagne de hausse des prix avait déjà eu lieu durant l’été 1990 est indifférente à cet égard, dans la mesure où la Commission ne fonde pas ses conclusions sur cette circonstance, laquelle est présentée, à titre accessoire, comme simplement vraisemblable. Au demeurant, il y a lieu d’admettre qu’une telle supposition ne saurait être considérée comme dépourvue de tout fondement compte tenu de ce que, d’une part, ladite note indique clairement, en introduction, que Rhône-Poulenc et Degussa étaient « nerveuses concernant la deuxième hausse de prix proposée » et, d’autre part, Degussa avait déjà montré son intention de procéder à une hausse des prix en juillet 1990 et avait, à cette fin, pris contact avec Rhône-Poulenc et Nippon Soda afin d’organiser une réunion tripartite.
139 De même, l’argument de la requérante selon lequel il ressortirait de la déclaration complémentaire de Rhône-Poulenc du 5 décembre 2000 que les représentants de cette dernière et de Degussa se sont rencontrés pour la première fois le 10 juin 1990, qu’ils ont décidé à cette occasion de prendre contact avec Nippon Soda et qu’ainsi il n’existait, à cette époque, ni accord ni continuation d’un quelconque programme ne saurait remettre en cause les déclarations de Nippon Soda, ainsi que la note du 5 mai 1990 fournie par cette dernière, dont il résulte que les réunions entre collaborateurs ont perduré durant la période en cause et, en particulier, qu’une réunion s’est tenue entre Nippon Soda, Rhône-Poulenc et Degussa en août 1989 et une autre, à l’automne 1989, entre Degussa et Nippon Soda.
140 En effet, la déclaration complémentaire de Rhône-Poulenc du 5 décembre 2000, sur laquelle se fonde la requérante, indique simplement que MM. H. et B., de Rhône-Poulenc, ont encouragé M. K., arrivé dans l’entreprise en avril 1990, à contacter Mme R., de Degussa, afin de se présenter à cette dernière comme le successeur de M. B. Dès lors, le fait que M. K. et Mme R. se sont rencontrés pour la première fois le 10 juin 1990 ne saurait signifier que les contacts entre Rhône-Poulenc, Degussa et Nippon Soda avaient cessé entre la fin de l’année 1988 et cette date. De même, la seule indication figurant dans ladite déclaration selon laquelle, lors de la réunion bilatérale du 10 juin 1990, Rhône-Poulenc et Degussa ont décidé de contacter Nippon Soda en vue de discuter de la chute des prix de la méthionine et de la possibilité de tenir des réunions plus régulières ne saurait mener à la conclusion que ces entreprises avaient cessé tout contact, bilatéral ou trilatéral, postérieurement au retrait de Sumitomo de l’entente à la fin de l’année 1988.
Sur la période allant de la fin de l’été 1990 au mois de mars 1992
141 S’agissant de la période allant de la fin de l’été 1990 au mois de mars 1992, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que la déclaration de Rhône-Poulenc du 26 mai 1999 indique sans équivoque que Degussa, Rhône-Poulenc et Nippon Soda se sont rencontrées à Hong Kong à la fin de l’été 1990 pour discuter de la baisse récente du prix de la méthionine et sont convenues, à cette occasion, d’augmenter leurs prix en les portant de 2,50 à 2,80 USD/kg.
142 La note de Nippon Soda relative à la réunion tenue à Séoul le 7 novembre 1990, dont la Commission se demande s’il ne s’agit pas en réalité de la même réunion que celle du 19 novembre 1990 que Rhône-Poulenc situe à Hong Kong dans sa déclaration complémentaire du 5 décembre 2000, fait état, quant à elle, de ce que les participants s’étaient mis d’accord sur les points suivants : primo, maintien des prix en vigueur dans la zone de prévalence du mark allemand (DEM) (à savoir 5,10 DEM/kg) durant le premier trimestre de l’année 1991 ; secundo, annonce d’une hausse des prix d’environ 10 % dans cette même zone avec effet à partir du mois d’avril 1991 ; tertio, hausse générale des prix dans le cadre d’une deuxième campagne dès le mois de janvier 1991 et, par la suite, quarto, adaptation des prix dans les zones où le niveau des prix était faible (en particulier le Canada) afin de dissuader les revendeurs de réexporter. En outre, une réunion devait avoir lieu à la fin du mois de février 1991 en Europe afin de discuter des prix pour le mois d’avril 1991 et la période suivant cette date.
143 Il s’ensuit que, en novembre 1990 au plus tard, il existait une volonté commune entre les participants aux réunions de procéder à une hausse des prix dont les modalités étaient déterminées et, ainsi, il convient de considérer qu’un accord existait entre elles.
144 À cet égard, l’argument de la requérante, qui ne conteste pas le contenu de la note de Nippon Soda, tiré de ce que, au contraire, cette note démontrerait que Degussa n’envisageait pas de hausse de prix sans la participation de Monsanto, ne saurait être accueilli.
145 En effet, d’une part, il ne ressort aucunement de cette note, et notamment sous iii) (« Tant Rhône-Poulenc que Degussa devront prendre contact séparément avec Monsanto et tenter de la persuader de se joindre à la seconde campagne de hausse des prix. Afin d’être prêt pour la hausse des prix proposée, prévue durant et après le mois de janvier 1991, il faudrait que des réunions se tiennent avec Monsanto au cours du mois de novembre 199[0] ») cité par la requérante, que la participation de Monsanto fût une condition nécessaire de l’accord. Ladite note ne fait que mentionner le fait que Rhône-Poulenc et Degussa devaient essayer de convaincre Monsanto de participer à l’entente, et ce avant la hausse des prix proposée en janvier 1991, sans indiquer que les accords tomberaient en l’absence d’une telle participation. Les démarches prévues apparaissent donc davantage comme destinées à augmenter l’efficacité de l’accord que comme une condition de son existence.
146 D’autre part, à supposer même que cette mention puisse être comprise comme posant une condition à la mise en œuvre de l’accord, il n’en demeure pas moins qu’il existait entre les parties une volonté commune d’augmenter le prix de la méthionine sur le marché et que, dès lors, l’accord anticoncurrentiel était formé (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 228). En outre, la partie de l’accord consistant en l’adaptation des prix dans les zones où le niveau des prix était faible afin de dissuader les revendeurs de réexporter était indépendante de toute participation de Monsanto.
147 Par ailleurs, les prétendus indices relevés par la requérante tendant à démontrer que la note de Nippon Soda du 7 novembre 1990 ne serait pas un original mais une traduction non seulement constituent de simples allégations dont elle n’a pas été à même d’établir la réalité, mais, de surcroît, ne sont aucunement de nature à remettre en cause la valeur probante de ce document et doivent être rejetés comme non fondés.
148 Enfin, force est de constater que, en tout état de cause, la requérante ne conteste pas l’affirmation de Rhône-Poulenc figurant dans sa déclaration du 26 mai 1999, et rappelée par la Commission dans son mémoire en défense, selon laquelle Nippon Soda, Degussa et Rhône-Poulenc sont convenues à la fin de l’été 1990, à Hong Kong, d’augmenter les prix en les portant de 2,50 à 2,80 USD/kg.
149 En ce qui concerne la période postérieure à l’accord de novembre 1990, la requérante prétend à nouveau que la Commission n’a pas démontré sa participation à un accord ou à une pratique concertée jusqu’en mars 1992, les réunions auxquelles elle admet avoir participé ayant uniquement consisté, selon elle, à augmenter le niveau de confiance entre les concurrents.
150 Cette affirmation est manifestement infondée. En effet, la requérante omet de prendre en compte le fait que, si, effectivement, comme elle l’affirme, la déclaration de Rhône-Poulenc du 26 mai 1999 mentionne que les réunions trimestrielles ayant débuté en 1991 se tenaient dans diverses villes d’Europe et d’Asie et étaient destinées à élever le niveau de confiance entre les parties, ce même document ajoute que, lors de ces réunions, les participants « discutaient de production, des concurrents en Chine et en Asie, des clients et de récents contrats » et qu’« [i]ls échangeaient souvent des chiffres de ventes calculés sur une base régionale ou par pays ». Ainsi, « [b]ien qu’il n’y ait jamais eu d’allocation de clients, il y avait un effort constant visant à maintenir les prix ». La déclaration complémentaire de Rhône-Poulenc du 5 décembre 2000 complète cet exposé en indiquant que ces réunions trimestrielles donnaient lieu à un échange d’informations sur les stratégies de prix et des questions de production, et que des prix cibles étaient convenus par région. En outre, il y est indiqué que, lorsque l’un des participants se plaignait du comportement d’un autre concurrent sur le marché, les parties essayaient de résoudre le différend. Enfin, Rhône-Poulenc conclut que le message unanimement partagé était de s’abstenir de prendre des actions drastiques, notamment en diminuant significativement les prix.
151 C’est ainsi à bon droit que, en se fondant, aux considérants 115 à 123 de la Décision, sur les documents décrits ci-dessus, la Commission a rejeté, au considérant 125 de la Décision, l’argumentation de Degussa selon laquelle sa participation à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel n’aurait pas été démontrée avant 1992.
152 Il est vrai que la Décision ne mentionne pas d’éléments précis quant aux dates et aux lieux de ces réunions pour l’année 1991. Toutefois, les déclarations de Rhône-Poulenc, non contestées par la requérante, indiquent clairement que la décision de tenir des réunions trimestrielles a été prise dès le début de l’année 1991. En outre, tant Nippon Soda que Rhône-Poulenc présentent ces réunions comme une pratique continue à partir de 1991 et jusqu’en 1998. Dès lors, le simple fait, invoqué par la requérante, qu’aucune précision quant aux circonstances de temps et de lieu des réunions du cartel pendant l’année 1991 n’ait pu être établie ne saurait suffire à mener à la conclusion selon laquelle les activités dudit cartel ont cessé pendant cette période, d’autant qu’il a été démontré qu’un accord avait été trouvé dès la fin de l’année 1990 et que la requérante ne conteste pas sa participation à un accord en mars 1992.
153 Or, il y a lieu de rappeler que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, la Commission doit invoquer, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (arrêts du Tribunal Dunlop Slazenger/Commission, point 114 supra, point 79, et du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 188). Compte tenu de ce que, d’une part, la Commission a correctement établi l’existence d’un accord illicite en novembre 1990, d’autre part, la requérante ne conteste pas l’existence d’une infraction à partir de 1992 et, enfin, les déclarations concordantes de Rhône-Poulenc et de Nippon Soda font état de réunions trimestrielles régulières à partir du début de l’année 1991, ces exigences doivent être considérées comme satisfaites en l’espèce.
154 Il résulte de tout ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a considéré que la requérante avait participé à un accord et/ou à une pratique concertée entre la fin de l’année 1988 et le mois de mars 1992.
b) Sur le caractère unique et continu de l’infraction
155 Il y a lieu de rappeler qu’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu’un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 136 supra, point 81). Lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I-123, point 258).
156 Or, il convient de relever que les ententes auxquelles la requérante reconnaît avoir participé, avant la fin de l’année 1988 et après le mois de mars 1992, ont comme acteurs, à l’exception de Sumitomo, laquelle s’est retirée en 1988, les mêmes participants et ont un objet identique à celui de l’entente à laquelle la requérante a participé entre 1988 et 1992, à savoir une action concertée en vue de maintenir et d’augmenter les prix sur le marché de la méthionine dans l’EEE ainsi qu’un échange d’informations sur les prix, les parts de marché et les volumes de vente.
157 Il s’ensuit que c’est à bon droit que la Commission a conclu, aux considérants 206 à 212 de la Décision, que l’infraction à laquelle Degussa, Rhône-Poulenc et Nippon Soda avaient participé devait être qualifiée d’unique et continue.
158 Le grief de la requérante tiré de ce que l’infraction aurait été interrompue entre la fin de l’année 1988 et le mois de mars 1992 doit donc être rejeté.
B – Sur la fin de l’infraction
1. Arguments des parties
159 La requérante estime que la Commission n’a pas été en mesure d’établir sa participation à l’entente après l’automne 1997, moment où l’entente aurait cessé consécutivement au départ de M. H. de Rhône-Poulenc, le successeur de ce dernier, M. Z., ayant décidé de mettre fin à tout contact avec les concurrents.
160 La reprise des contacts n’aurait été autorisée, en mars 1998, par M. G., nouveau directeur général de Rhône-Poulenc, qu’en vue de mettre fin à l’entente en évitant des perturbations trop importantes sur le marché.
161 Enfin, l’existence d’un accord relatif à des hausses de prix conclu entre Degussa et Rhône-Poulenc ne permettrait pas d’établir la continuation des activités de l’entente initiale, laquelle comprenait Degussa, Rhône-Poulenc et Nippon Soda.
162 La Commission estime que les objections de la requérante relatives au défaut de preuve de ses allégations, figurant aux considérants 180 à 185 de la Décision, ne sont pas fondées.
2. Appréciation du Tribunal
163 En premier lieu, il y a lieu de relever que si, ainsi que la Commission le relève au considérant 180, à la suite du départ de M. H. à l’automne 1997, son remplaçant, M. Z., a effectivement ordonné de cesser toute communication de Rhône-Poulenc avec ses concurrents, il est constant que, dès le mois de mars 1998, le successeur de M. Z., à savoir M. G., a autorisé la continuation des contacts avec les concurrents afin de permettre un « atterrissage en douceur » et d’éviter des perturbations trop importantes sur le marché, tout en ordonnant la cessation des réunions trimestrielles.
164 Or, la considération selon laquelle, selon le directeur général de Rhône-Poulenc, lequel ne participait pas aux réunions, les contacts entre les parties à l’entente devaient avoir pour objet de permettre de mettre fin à l’entente en douceur non seulement ne permet pas d’établir que tel ait véritablement été le cas, mais, de surcroît, tend au contraire à démontrer que Rhône-Poulenc et ses concurrents avaient l’intention de continuer à se concerter jusqu’à une date ultérieure où il serait mis fin définitivement à l’entente. Cela se trouve d’ailleurs corroboré par l’objet des réunions qui se sont tenues postérieurement à l’autorisation de M. G., ainsi qu’il sera examiné ci-après. En outre, selon les déclarations de Rhône-Poulenc elle-même, ce n’est finalement qu’en février 1999 que la direction a ordonné la cessation définitive des contacts avec les concurrents.
165 La circonstance que la Commission a proposé comme explication probable à la cessation des réunions trimestrielles, au considérant 181 de la Décision, le fait que ces dernières étaient extrêmement visibles et qu’elles risquaient d’être découvertes, en raison de l’avancée des enquêtes des autorités de la concurrence américaines dans le secteur des vitamines à cette époque, est indifférente à cet égard. En effet, cette explication, d’une part, ne constitue qu’une supposition dont la Commission ne tire aucune conséquence à l’égard de la requérante et, d’autre part, n’affecte en rien l’exactitude de la constatation faite par la Commission selon laquelle, dès le mois de mars 1998, les contacts avec les concurrents ont à nouveau été autorisés par M. G., directeur général de Rhône-Poulenc.
166 En deuxième lieu, le Tribunal constate que la requérante ne conteste pas la tenue des réunions suivantes, lesquelles sont mentionnées aux considérants 179 à 184 de la Décision :
Date
Lieu
Participants
mai 1998
Francfort-sur-le-Main ou Düsseldorf
Degussa, Rhône-Poulenc, Nippon Soda
fin de l’été/début de l’automne 1998
Heidelberg
Degussa, Rhône-Poulenc
4 février 1999
Nancy
Degussa, Rhône-Poulenc
4 février 1999 (soir)
Paris
Nippon Soda, Rhône-Poulenc
167 Il y a ainsi lieu de constater que, durant la période allant de l’automne 1997 au mois de février 1999, Degussa et Rhône-Poulenc se sont rencontrées à deux reprises, la première à la fin de l’été ou au début de l’automne 1998 à Heidelberg, et la seconde le 4 février 1999 à Nancy. Selon la Commission, Degussa et Rhône-Poulenc sont convenues à ces deux occasions, respectivement, d’augmenter les prix et de fixer des objectifs de prix (3,20 USD/kg, soit 5,30 DEM/kg).
168 La requérante ne conteste pas expressément ces circonstances, mais prétend que la Commission ne saurait se fonder sur celles-ci pour démontrer qu’elles constituaient la continuation de l’entente antérieure, laquelle impliquait trois participants (Degussa, Rhône-Poulenc et Nippon Soda).
169 Cette argumentation ne saurait être accueillie.
170 En effet, comme le relève à juste titre la Commission, il ressort des déclarations de Rhône-Poulenc que des contacts bilatéraux, notamment téléphoniques, se sont poursuivis entre Rhône-Poulenc et Degussa, d’une part, et Rhône-Poulenc et Nippon Soda, d’autre part, entre le mois d’avril 1998 et le 4 février 1999.
171 Par ailleurs, dans ses déclarations, lesquelles ont été produites en annexe par la requérante elle-même, Nippon Soda indique en particulier avoir rencontré un représentant de Rhône-Poulenc lors d’un dîner à Paris en octobre 1998, et des représentants de Degussa, une première fois à Francfort-sur-le-Main en octobre 1998, et une seconde fois à Tokyo à l’automne 1998. Selon Nippon Soda, ces réunions avaient pour objet de permettre aux participants de discuter des conditions du marché et des tendances des prix. En outre, toujours selon ce document, Rhône-Poulenc et Nippon Soda se sont rencontrées le 4 février 1999 à Paris, le soir même de la réunion s’étant tenue entre Degussa et Rhône-Poulenc à Nancy, et ont discuté à cette occasion de la demande et des conditions du marché de la méthionine (considérant 183 de la Décision).
172 Enfin, la requérante ne conteste pas non plus le fait qu’une réunion tripartite s’est tenue en mai 1998 (Rhône-Poulenc la situant à Francfort-sur-le-Main, Nippon Soda à Düsseldorf), au cours de laquelle, selon les déclarations de Rhône-Poulenc non contestées par la requérante, Nippon Soda a affirmé qu’elle suivrait toute hausse des prix.
173 Il résulte de ce qui précède que la requérante ne saurait prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation de Nippon Soda à ladite concertation entre l’automne 1997 et le mois de février 1999. En effet, durant toute cette période, force est de constater que, ainsi que le relève la Décision au considérant 184, les trois participants à l’entente ont maintenu des contacts bilatéraux. Tant Rhône-Poulenc que la requérante ont continué à être en contact avec Nippon Soda afin de discuter des conditions du marché et du niveau des prix, et ce alors que Nippon Soda avait marqué son accord de principe avec toute hausse des prix lors de la dernière réunion tripartite du mois de mai 1998. Dans ces circonstances, le simple fait que ces trois sociétés ne se soient pas réunies de manière trilatérale postérieurement à ladite réunion tripartite ne saurait, à l’évidence, mener à la conclusion que l’entente avait cessé à cette époque.
174 À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel il ressortirait du considérant 184 de la Décision que la Commission a fondé son raisonnement sur la simple présomption que des contacts bilatéraux avaient été maintenus après la réunion du mois de mai 1998 est manifestement dépourvu de tout fondement. En effet, il ressort des considérants 182 à 184 que la Commission a mis en évidence, sur la base des déclarations concordantes de Rhône-Poulenc et de Nippon Soda, l’existence de tels contacts, ainsi qu’il a été détaillé ci-dessus. La seule supposition que la Commission émet au considérant 184 concerne la détermination de la réunion tripartite au cours de laquelle les participants ont décidé de mettre fin aux contacts trilatéraux, ce qui n’a aucune incidence sur l’exactitude de ses constatations.
175 En tout état de cause, à supposer même qu’il ne puisse être démontré que Nippon Soda a participé à l’entente après l’automne 1997, il demeure qu’il ressort de la déclaration complémentaire de Rhône-Poulenc du 5 décembre 2000, dont la requérante n’a pas été en mesure de faire douter de la force probante, que Rhône-Poulenc et la requérante ont participé à deux réunions, l’une à la fin de l’été ou au début de l’automne 1998 à Heidelberg, l’autre le 4 février 1999 à Nancy, au cours desquelles ont été convenus des objectifs et des hausses de prix. Or, l’hypothétique retrait de Nippon Soda de l’entente antérieure ne saurait affecter ni le caractère manifestement anticoncurrentiel de ces réunions ni le fait que celles-ci constituent la continuation de l’entente antérieure, conformément à la jurisprudence citée au point 155 ci-dessus.
176 Il résulte de ce qui précède que le grief de la requérante relatif à la date de cessation de l’infraction retenue par la Commission doit être rejeté.
C – Sur la suspension de l’entente
177 La requérante soutient, à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où l’infraction devrait être considérée comme unique et continue, que la Commission aurait dû prendre en compte le fait que celle-ci a, à tout le moins, été suspendue de la fin de l’année 1988 au mois de mars 1992 et à partir de l’automne 1997, à l’instar de ce qui a été considéré dans l’affaire dite des « conduites précalorifugées » [décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 – Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1)].
178 À cet égard, il convient d’emblée d’observer que ce grief est dépourvu de toute pertinence dans la mesure où il concerne la période postérieure à l’automne 1997. En effet, la suspension d’une entente ne saurait être reconnue que dans l’hypothèse où il s’avérerait qu’une infraction donnée, bien qu’unique et continue, a, pendant une brève période, fait l’objet de perturbations de sorte que cette période ne peut être comptabilisée dans la durée totale de l’infraction, étant entendu que l’entente a ensuite été reprise pleinement. Cette méthode permet ainsi de concilier l’emploi de la notion d’infraction unique et continue avec les exigences tirées de l’exactitude de la durée de l’infraction et donc, dans la mesure où le calcul du montant de l’amende est notamment fonction de ce dernier critère, du principe de proportionnalité de l’amende.
179 Or, la requérante prétend que l’entente a été suspendue de l’automne 1997 au 4 février 1999, soit la date retenue par la Commission comme fin de l’infraction. Cette argumentation revient ainsi en substance à contester la date de cessation de l’infraction et donc à réitérer les prétentions de la requérante à cet égard. Le grief de la requérante relatif à la suspension de l’entente après l’automne 1997 doit par conséquent être rejeté pour les motifs exposés aux points 163 à 176 ci-dessus, dont il ressort que, à la suite de la dernière réunion tripartite du mois de mai 1998, des contacts bilatéraux entre Nippon Soda, Rhône-Poulenc et la requérante ont perduré jusqu’au 4 février 1999.
180 S’agissant de la période allant de la fin de l’année 1988 au mois de mars 1992, il convient de rappeler que la pratique décisionnelle de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir, notamment, arrêt Scandinavian Airlines System/Commission, point 80 supra, point 87, et la jurisprudence citée). En outre, force est de constater que, dans l’arrêt Lögstör Rör/Commission, point 58 supra (points 59 à 65), le Tribunal s’est contenté de relever que la Commission avait elle-même admis et pris en compte, dans sa décision relative à l’affaire des conduites précalorifugées, la circonstance que l’entente avait été suspendue du mois d’octobre 1993 au mois de mars 1994 et qu’ainsi, contrairement aux allégations de la requérante, la Commission ne lui avait pas reproché d’avoir participé à une activité anticoncurrentielle durant cette période.
181 Il s’ensuit que la circonstance que la Commission a pris en compte, dans l’affaire des conduites précalorifugées, le fait que, selon elle, l’entente avait été suspendue ne saurait, à elle seule, suffire à démontrer l’illégalité de la Décision en ce que la Commission n’y a pas procédé de même.
182 De surcroît, il convient de distinguer l’espèce de l’affaire des conduites précalorifugées invoquée par la requérante. En effet, dans cette dernière affaire, la Commission a effectivement estimé, au considérant 152 de sa décision, que, durant une période de six mois allant du mois d’octobre 1993 au mois de mars 1994, l’entente, qualifiée d’infraction unique et continue, avait été suspendue. Elle a tenu compte à cet égard du fait, d’une part, que les producteurs avaient déclaré qu’une « guerre des prix » avait éclaté et que le niveau des prix sur les principaux marchés avait effectivement baissé de 20 % et, d’autre part, que, bien que les producteurs aient continué à se réunir de manière bilatérale ou trilatérale durant cette période, aucun détail, hormis la demande de compensation formulée par Tarco et refusée par Lögstör, n’était disponible quant à l’objet de ces réunions (considérant 52).
183 En l’espèce, s’il est exact qu’il ressort de la note de Nippon Soda du 5 mai 1990 que Degussa a temporairement pratiqué une baisse des prix de la méthionine, la similitude avec l’affaire des conduites précalorifugées ne saurait aller au-delà de cette seule constatation. En effet, contrairement à la situation qui a prévalu dans cette dernière affaire, la Commission disposait en l’espèce d’éléments concluants démontrant que, bien que les participants à l’entente ne soient pas parvenus à convenir d’une hausse des prix avant, au plus tard, le mois de novembre 1990, les réunions qui se sont tenues entre la fin de l’année 1988 et le mois de novembre 1990, auxquelles la requérante a participé, avaient pour objet de convenir d’une réaction commune face à l’entrée sur le marché de Monsanto et d’échanger des informations relatives aux activités de cette dernière, aux volumes des ventes et aux prix de la méthionine, ainsi qu’il a été établi précédemment.
184 En outre, contrairement à ce qui a été retenu dans l’affaire des conduites précalorifugées, il ressort de la déclaration de Rhône-Poulenc du 26 mai 1999 que la chute des prix de la méthionine dès l’été 1989 était due non au fait que les participants à l’entente avaient rétabli entre eux une libre concurrence, mais à l’arrivée sur le marché de Monsanto et de la MHA, ainsi qu’à la baisse générale de la demande. Il résulte également de la note de Nippon Soda du 5 décembre 1990 que c’est précisément pour reprendre des clients à Monsanto que Degussa a, dans un premier temps, baissé ses prix et qu’elle a ensuite proposé aux participants à l’entente une hausse des prix pour le mois de juillet 1990, Monsanto ayant elle-même annoncé une hausse de ses prix en juillet 1990.
185 Enfin, ainsi qu’il a été constaté précédemment, la Commission a correctement établi qu’un accord visant à augmenter les prix avait été conclu à la fin de l’été et/ou en novembre 1990, lequel avait été suivi de réunions trimestrielles au cours desquelles des informations sur le marché étaient échangées et des prix cibles étaient fixés.
186 Au vu des éléments probants dont la Commission a fait état, le grief de la requérante, pris de ce que l’infraction a, à tout le moins, été suspendue entre 1988 et 1992, doit donc être rejeté comme non fondé. Cette conclusion ne préjuge toutefois pas de la question des effets concrets de l’infraction sur le marché durant cette période.
187 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le deuxième moyen doit être rejeté dans son ensemble.
III – Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation, d’une erreur de droit et de fait, de la violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-rétroactivité des peines ainsi que de l’obligation de motivation dans la détermination du montant de l’amende
188 Le troisième moyen se divise en substance en quatre branches, relatives, respectivement, à la gravité de l’infraction, à la majoration de l’amende afin d’assurer un effet dissuasif suffisant, à la coopération de la requérante et à la violation du principe de non-rétroactivité des peines.
A – Sur la gravité de l’infraction
189 La requérante invoque, en substance, trois griefs, tirés, premièrement, d’un défaut de motivation dans la détermination de la gravité de l’infraction, deuxièmement, d’une erreur d’appréciation quant à l’étendue du marché géographique concerné et, troisièmement, d’une erreur d’appréciation quant à l’impact de l’infraction sur le marché.
1. Sur la motivation de la gravité de l’infraction
a) Arguments des parties
190 La requérante fait valoir, en substance, que l’appréciation par la Commission du caractère très grave de l’infraction ne fait pas l’objet d’une motivation suffisante, notamment s’agissant du fait que le montant de base de l’amende, à savoir 35 millions d’euros, est supérieur au minimum prévu par les lignes directrices pour les infractions qualifiées de très graves, soit 20 millions d’euros. Elle soutient en particulier que, conformément au principe de légalité des peines, la Commission aurait dû effectuer une pondération des différents éléments retenus aux fins de qualifier l’infraction de très grave et de fixer ledit montant de base.
191 La Commission estime que ce grief n’est pas fondé.
b) Appréciation du Tribunal
192 Il ressort d’une jurisprudence constante que la motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63).
193 S’agissant en particulier du calcul du montant des amendes infligées par la Commission pour infraction au droit communautaire de la concurrence, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 73). Par ailleurs, la portée de l’obligation de motivation doit être déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, point 45 supra, point 54 ; arrêts du Tribunal LR AF 1998/Commission, point 46 supra, point 378, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 1532).
194 Il convient également de rappeler que l’obligation de motivation n’impose pas à la Commission d’indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul des amendes, mais uniquement les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêts Sarrió/Commission, point 193 supra, points 73 et 76, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 193 supra, point 1558).
195 Or, en l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission a d’abord exposé, aux considérants 271 à 275, que l’infraction ayant consisté en des pratiques de partage du marché et de fixation de prix, principal facteur de concurrence, elle devait par nature être qualifiée de très grave. La Commission a ensuite indiqué, aux considérants 276 à 291, les motifs pour lesquels elle estimait que l’infraction avait eu une incidence réelle sur le marché. Puis, la Commission a relevé, au considérant 292, que le marché géographique en cause était constitué de la Communauté dans son ensemble et, après sa création, de l’EEE dans son ensemble. Enfin, elle a exposé, aux considérants 294 à 300, qu’il convenait de tenir compte de la capacité réelle des entreprises de porter un préjudice important à la concurrence et ainsi, eu égard aux parts de marché des participants à l’entente, de constituer deux catégories d’entreprises, la première comprenant Degussa et Rhône-Poulenc, et la seconde Nippon Soda. La Commission en a finalement déduit, au considérant 302, que le montant de base des amendes en fonction de la gravité devait être fixé à 35 millions d’euros s’agissant de Degussa et de Rhône-Poulenc, et à 8 millions d’euros s’agissant de Nippon Soda.
196 Il y a ainsi lieu de conclure, à la lumière des éléments factuels décrivant le fonctionnement de l’entente présentés aux considérants 79 à 185, que la Commission a exposé à suffisance de droit les motifs qui, selon elle, justifiaient la qualification d’infraction « très grave ». En effet, conformément à la jurisprudence citée aux points 193 et 194 ci-dessus, l’exigence de motivation n’impose pas à la Commission de préciser la pondération arithmétique des critères pris en compte dans la détermination de la gravité de l’infraction. L’argument de la requérante selon lequel la Commission, en n’indiquant pas la pondération des critères retenus à cet égard, à savoir la nature de l’infraction, l’étendue du marché géographique concerné et l’incidence réelle de l’infraction sur le marché, aurait violé le principe de légalité, dont l’obligation de motivation constitue l’une des expressions, doit donc être écarté.
197 S’agissant, enfin, de l’argument de la requérante selon lequel la Décision ne fait pas état des motifs justifiant la fixation d’un montant supérieur au montant minimal prévu par les lignes directrices pour les infractions très graves, il y a lieu de rappeler que, conformément au point 1 A, troisième tiret, desdites lignes directrices, dont la légalité n’est pas contestée par la requérante, les montants de base « envisageables » pour une infraction qualifiée de très grave se situent « au-delà de 20 millions d’[euros] ». La Commission a ainsi entendu se réserver, conformément au large pouvoir d’appréciation dont elle bénéficie en matière d’amendes, la possibilité de fixer des montants de base supérieurs à ce montant en fonction des circonstances de chaque espèce. Dans ces circonstances, il n’y a aucune raison d’exiger d’elle qu’elle expose les motifs spécifiques l’ayant décidée à fixer un montant de base supérieur à 20 millions d’euros, dès lors que sa décision fait apparaître à suffisance de droit les motifs justifiant en soi la fixation du montant de base au niveau déterminé par ladite décision. Or, ainsi qu’il ressort du point 196 ci-dessus, force est de considérer que la Commission a exposé à suffisance de droit les éléments qui, selon elle, justifiaient que le montant de base de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction soit fixé à 35 millions d’euros.
198 Le grief de la requérante pris d’un défaut de motivation de la qualification de l’infraction de très grave et de la fixation du montant de base de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction à 35 millions d’euros doit donc être rejeté comme non fondé.
2. Sur l’étendue du marché géographique en cause
a) Arguments des parties
199 La requérante soutient que, contrairement à ce que la Commission prétend dans son mémoire en défense, il résulte implicitement de certains passages de la Décision que l’entente a été considérée comme mondiale. En effet, la Commission aurait notamment indiqué que des hausses de prix avaient été discutées « pour chaque région et chaque pays » (considérant 128), et aurait fait référence à d’autres régions du monde que l’EEE tout au long de la Décision (considérants 138, 139, 155 et 158). Or, d’une part, cette constatation ne serait aucunement étayée par des éléments de preuve. D’autre part, en retenant le fait que l’infraction était de portée mondiale, la Commission aurait violé le principe ne bis in idem et aurait abouti à une évaluation disproportionnée des répercussions de l’entente.
200 La Commission considère que cette argumentation n’est pas fondée.
b) Appréciation du Tribunal
201 Le Tribunal relève que, si certains passages de la Décision font brièvement mention de discussions portant sur des pays autres qu’européens (voir, notamment, considérants 87, 138 et 139), il résulte néanmoins clairement du considérant 2 de la Décision que la Commission a limité sa constatation de l’infraction à l’ensemble de l’EEE. Cela se trouve confirmé au considérant 292, lors de l’examen de la taille du marché géographique en cause.
202 Il est donc inexact d’affirmer, comme le fait la requérante, que la Commission a considéré que l’entente avait eu une portée mondiale. En tout état de cause, à supposer même que tel ait été le cas, il y a lieu d’observer que, dans la détermination du montant de l’amende exposée aux considérants 268 à 312, la Commission n’a aucunement pris en considération l’éventuelle portée mondiale de l’entente, les quelques éléments, cités ci-dessus, qui accréditeraient une telle portée ne figurant, à titre incident, que dans la partie descriptive du fonctionnement de l’entente (considérants 79 à 185). Au contraire, il résulte notamment des considérants 272, 275 et 293, ainsi que de l’intitulé même de la rubrique relative à l’« [i]ncidence réelle de l’infraction sur le marché de la méthionine de l’EEE », que seules les caractéristiques de l’infraction relatives au marché commun et, à la suite de sa création, à l’EEE ont été prises en compte lors de la détermination du montant de l’amende.
203 Il y a ainsi lieu de conclure que la Commission n’a pas retenu, contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance aggravante tirée de la prétendue dimension mondiale de l’entente. Le présent grief doit donc être écarté.
3. Sur l’appréciation de l’impact de l’infraction sur le marché
a) Arguments des parties
204 La requérante estime que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit l’impact concret que l’infraction avait eu sur le marché.
205 Elle fait observer que l’entente ne prévoyait aucun mécanisme de hausse des prix et que seuls des prix cibles étaient définis. De même, il n’aurait existé aucun mécanisme de répartition de quotas, de volumes ou de clients, ni de mécanisme de surveillance et de compensation pour assurer le respect des prix cibles.
206 La requérante souligne également que la Commission, tout en relevant le fait que l’absence de participation de Novus à l’entente empêchait d’atteindre les prix cibles (considérants 276 et suivants) et que, malgré l’infraction, les prix avaient baissé de 1992 à 1997 (considérants 287 et suivants), a, à tort, estimé que ces circonstances ne démontraient pas que la mise en œuvre des accords n’avait pas influencé la structure et les fluctuations des prix sur le marché de la méthionine, et a ainsi évalué de manière erronée les répercussions concrètes de l’infraction sur le marché.
207 En se contentant de constater l’impact de l’infraction sur le marché, la Commission aurait violé les lignes directrices, lesquelles prévoiraient, au point 1 A, troisième alinéa, s’agissant des catégories d’infraction en fonction de leur gravité, que, « [à] l’intérieur de chaque catégorie, et notamment pour les catégories graves et très graves, l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises ». De même, bien qu’elle admette que l’infraction constituait une situation de fait complexe s’étant adaptée, au fil des années, aux conditions réelles du marché, la Commission n’aurait aucunement procédé à une différenciation des répercussions concrètes de cette situation complexe.
208 En omettant de rapporter la preuve de l’impact concret de l’entente, la Commission aurait ainsi méconnu les exigences relatives à la charge de la preuve. La requérante souligne en effet que, au considérant 287 de la Décision, la Commission indique que les entreprises participantes n’ont pas rapporté la preuve de ce que la mise en œuvre de l’accord n’avait pas influencé la fixation et la fluctuation des prix sur le marché de la méthionine. Or, il appartiendrait précisément à la Commission d’établir tant l’ampleur de l’impact que l’existence même de l’infraction (arrêts Hüls/Commission, point 115 supra, point 154, et Baustahlgewebe/Commission, point 101 supra, point 58). Dès lors que, selon la requérante, la Commission n’a pas établi l’ampleur de l’impact concret de l’infraction sur le marché, il y a lieu de considérer qu’un tel impact n’a pas existé, et donc que le montant de l’amende aurait dû être inférieur. Dans ces circonstances, la requérante estime que seul le montant minimal prévu pour les infractions très graves aurait été acceptable, soit 20 millions d’euros.
209 La Commission estime que cette argumentation n’est pas fondée.
210 Elle fait tout d’abord observer qu’elle n’a aucunement affirmé, dans la partie de la Décision relative à l’incidence réelle de l’infraction, qu’il existait des mécanismes soit de hausse des prix, soit de répartition de quotas, de volumes ou de clients, soit encore de surveillance et de compensation pour assurer le respect des prix cibles, de sorte que les arguments de la requérante à cet égard sont dépourvus d’objet.
211 Ensuite, elle fait valoir que, outre son effet concret sur le marché, elle a pris en compte la nature de l’infraction et l’étendue du marché géographique concerné, lesquelles ne seraient pas contestées par la requérante.
212 En outre, elle rappelle que les accords anticoncurrentiels ont été mis en œuvre et que les prix indicatifs étaient généralement annoncés aux clients par le canal de la presse spécialisée. Or, de telles annonces auraient nécessairement une incidence sur le marché (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, Rec. p. II‑925, point 177). Les efforts des participants pour inverser la chute des prix à la suite de l’arrivée de Monsanto sur le marché et de la baisse de la demande auraient d’ailleurs été couronnés de succès.
213 La Commission en conclut qu’il ne fait pas de doute que l’entente a eu une incidence réelle sur le marché, susceptible d’être évaluée, bien qu’il soit impossible de déterminer dans quelle mesure les prix effectifs se sont écartés des prix qui auraient été pratiqués en l’absence de collusion. Les lignes directrices prévoiraient en effet que la Commission prend en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché et non l’ampleur de cet impact.
b) Appréciation du Tribunal
214 Il y a tout d’abord lieu de relever que, si la Commission n’a pas expressément invoqué les lignes directrices dans la Décision, elle a néanmoins déterminé le montant de l’amende infligée à la requérante en faisant application de la méthode de calcul qu’elle s’y est imposée.
215 Or, aux termes des lignes directrices (point 1 A, premier alinéa), « [l]évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération […] son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable ».
216 De même, conformément à la jurisprudence, la Commission est tenue de procéder à un tel examen lorsqu’il apparaît que cet impact est mesurable (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 143).
217 C’est dans ce contexte que la Commission s’est fondée sur le fait que l’infraction avait eu, selon elle, une incidence réelle sur le marché de la méthionine dans l’EEE (considérants 276 à 291).
218 À titre liminaire, il y a lieu de considérer que, en l’espèce, aux fins du contrôle de l’appréciation portée par la Commission sur les effets de l’infraction, il suffit d’examiner l’appréciation portée par elle sur les effets de l’entente sur les prix.
219 En effet, d’une part, il y a lieu d’observer que, si l’infraction a été décrite par la Commission comme une entente visant à maintenir ou à augmenter les prix, dans le cadre de laquelle étaient échangées des informations sur les volumes des ventes et les parts de marché, l’impact de l’infraction sur le marché a été apprécié uniquement au regard de ses effets sur les prix. D’autre part, l’examen des effets de l’entente sur les prix permet, en tout état de cause, d’apprécier également si l’objectif poursuivi par les échanges d’informations sur les volumes de vente et les parts de marché a été atteint, compte tenu de ce que cet échange visait précisément à permettre l’application effective de l’entente sur les prix (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 148, et la jurisprudence citée).
220 En outre, en réponse à l’argumentation de la requérante selon laquelle l’absence, non contestée par la Commission dans le cadre du présent grief, de mécanismes de hausse des prix, de répartition des volumes ou des clients, de surveillance et de compensation démontre l’inexistence d’effets concrets de l’infraction sur le marché, il y a lieu de relever que, si l’absence desdits mécanismes est susceptible d’apporter une explication à l’inexistence d’effets concrets de l’infraction sur les prix, dans l’hypothèse où une telle inexistence devrait être constatée, elle ne permet toutefois pas de présumer que l’infraction n’a pas eu de tels effets. Dès lors, il convient d’examiner les éléments invoqués par la Commission tendant à démontrer l’existence d’un tel impact.
221 À cet égard, la Commission a considéré que, pendant toute la durée de l’entente, les membres du cartel ont réussi à maintenir les prix à un niveau supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence des arrangements illicites (considérant 289).
222 Or, il convient de rappeler que, lors de la détermination de la gravité de l’infraction, il y a lieu de tenir compte, notamment, du contexte réglementaire et économique du comportement incriminé (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 101 supra, point 612, et Ferriere Nord/Commission, point 45 supra, point 38). Il ressort de la jurisprudence que, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir, en ce sens, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 619 et 620 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 235, et du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 645).
223 Il s’ensuit que, dans le cas d’ententes sur les prix, la constatation par la Commission de ce que les accords ont effectivement permis aux entreprises concernées d’atteindre un niveau de prix de transaction supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence d’entente autorise la Commission à prendre en considération, dans la détermination du montant de l’amende, l’importance des effets néfastes de l’infraction sur le marché et ainsi à fixer le montant de l’amende au regard de la gravité de l’infraction à un niveau supérieur à celui qui aurait été fixé en l’absence d’une telle constatation.
224 Dans le cadre de cette appréciation, la Commission doit prendre en compte toutes les conditions objectives du marché concerné, eu égard au contexte économique et éventuellement réglementaire qui prévaut. Il convient de tenir compte de l’existence, le cas échéant, de « facteurs économiques objectifs » faisant ressortir que, dans le cadre d’un « libre jeu de la concurrence », le niveau des prix n’aurait pas évolué de manière identique à celui des prix pratiqués (arrêts Cascades/Commission, point 212 supra, points 183 et 184, et Mayr-Melnhof/Commission, point 222 supra, points 234 et 235).
225 En l’espèce, la Commission a invoqué trois éléments essentiels à l’appui de ses conclusions quant à l’incidence réelle de l’entente sur le niveau des prix.
226 En premier lieu, elle a considéré, d’une part, que l’infraction avait été commise par des entreprises qui, à l’époque des faits, « se taillaient la part du lion » et, d’autre part, que, compte tenu de ce que les arrangements mis en évidence étaient spécifiquement destinés à porter les prix à un niveau supérieur à celui qu’ils auraient atteint autrement et à restreindre les quantités vendues et qu’ils avaient été mis en œuvre de façon continue pendant plus de dix ans, ils avaient nécessairement eu une incidence réelle sur le marché (considérants 276, 278, 281 et 287).
227 À cet égard, la Commission a relevé que les arrangements collusoires ont été mis en œuvre et que les parties ont échangé leurs chiffres de vente pendant toute la durée de l’entente afin de convenir de nouveaux objectifs de prix. La Commission ajoute que les nouveaux objectifs de prix étaient effectivement annoncés aux clients par le canal de la presse spécialisée (considérant 278).
228 En deuxième lieu, la Commission a noté que, pendant les premières années de l’entente, les participants ont cherché avant tout à augmenter les prix de la méthionine. Avec l’arrivée sur le marché de Monsanto, en 1989, et la diminution générale de la demande, la tendance des prix à la baisse aurait néanmoins été inversée grâce aux efforts conjugués des membres du cartel. Par la suite, ils se seraient surtout efforcés de maintenir les prix à leur niveau existant (considérant 279).
229 Cela serait confirmé dans une note communiquée par Nippon Soda concernant une réunion tenue le 17 mai 1993, dont il ressortirait que les prix de la méthionine étaient en hausse. Degussa aurait réussi à vendre de la méthionine à un prix de 6,80 DEM/kg à l’un de ses plus gros clients, Cebeco. Or, avant la réunion du 7 novembre 1990, les prix auraient encore été de 2,50 USD/kg (4,03 DEM/kg). En outre, lors de leur réunion du mois de novembre 1990, les membres du cartel auraient été convenus de porter les prix de 2,50 à 2,80 USD/kg (4,51 DEM/kg). Nippon Soda mentionnerait des prix plus élevés : la première augmentation, relative au mois de janvier 1991, était censée porter le prix à 3,30-3,50 USD/kg [soit une valeur moyenne de 5,10 DEM/kg, selon les informations fournies par Nippon Soda elle-même, et une fourchette de prix de 5,31-5,64 DEM/kg sur la base des chiffres de l’Office statistique des Communautés européennes (Eurostat)] et la seconde à 3,60-3,70 USD/kg (5,80-5,92 DEM/ kg) (considérant 280).
230 En troisième et dernier lieu, la Commission a relevé, au considérant 290, qu’il est difficile de concevoir que les parties soient régulièrement convenues de se rencontrer aux quatre coins du monde pour fixer des objectifs de prix pendant la durée de l’infraction, compte tenu des risques que cela comportait, si elles avaient eu l’impression que l’entente n’avait guère d’effets sur le marché de la méthionine.
231 Il y a d’abord lieu d’observer, ainsi que l’évoque en substance la Commission au considérant 277 de la Décision, que la preuve des effets concrets d’une infraction sur le marché peut, dans certains cas, s’avérer particulièrement difficile compte tenu de ce que cette preuve implique la comparaison de la situation résultant de cette infraction avec la situation qui aurait été observée en son absence, laquelle est par nature hypothétique. À cet égard, il y a lieu de tenir compte, dans l’appréciation des éléments sur lesquels s’est fondée la Commission afin de démontrer l’impact sur le marché, d’une part, de ce que l’infraction remonte en partie à une période ancienne (le point de départ de l’infraction, non contesté par la requérante, a été fixé par la Commission au début de l’année 1986) et, d’autre part, s’agissant de la période postérieure à 1993, de ce que la tendance des prix était à la baisse (en raison, notamment, de la concurrence exercée par Novus), ce qui implique qu’il convenait pour la Commission de démontrer non pas que les prix augmentaient en raison de la collusion, mais qu’ils auraient davantage baissé, par rapport à leur niveau réel, en son absence.
232 S’agissant de la première série d’éléments relevés par la Commission, force est de constater que tant le fait que les parties à l’entente détenaient une part majoritaire du marché que la circonstance que les arrangements mis en évidence étaient spécifiquement destinés à porter les prix à un niveau supérieur à celui qu’ils auraient atteint autrement et à restreindre les quantités vendues, ce qui relève de l’objet de l’entente et non de ses effets, sont uniquement des indications tendant à démontrer que l’infraction était susceptible d’engendrer des effets anticoncurrentiels significatifs et non que tel ait réellement été le cas. En outre, il y a lieu de souligner que, selon les constatations de la Commission elle-même, la part de marché des membres de l’entente avait progressivement diminué, à partir de l’entrée de Monsanto sur le marché, pour atteindre 60 % vers la fin de l’infraction, alors que Novus (anciennement Monsanto) était devenue, pendant cette période, le premier producteur mondial de méthionine avec plus de 30 % de parts de marché (considérant 44), ce qui avait d’ailleurs suscité l’inquiétude desdits membres dès la fin de l’année 1993 (considérant 150).
233 Toutefois, il y a lieu de relever par ailleurs que la Commission a démontré à suffisance de droit que les arrangements avaient été mis en œuvre et, notamment, selon les termes du considérant 278, que les prix étaient ajustés en fonction des conditions du marché (considérants 88, 128, 130, 139, 150 et 154) et, s’agissant en particulier des périodes allant de l’année 1986 à l’année 1988 et de l’année 1992 à l’année 1995, que les nouveaux objectifs de prix étaient effectivement annoncés aux clients, généralement par le canal de la presse spécialisée (considérants 88, 136, 157 et 167). Or, ainsi que le fait valoir la Commission, de telles annonces de prix ont par nature une incidence sur le marché et sur le comportement des différents acteurs, tant du côté de l’offre que du côté de la demande, compte tenu de ce que ces annonces influencent le processus de détermination des prix en ce que le prix annoncé constitue une référence en cas de négociation individuelle des prix de transaction avec les clients (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 342), lesquels ont nécessairement vu leur marge de négociation des prix limitée (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 132 supra, point 745).
234 En revanche, il y a lieu de relever que la mise en œuvre d’accords collusoires sur les prix et l’annonce d’objectifs de prix n’a pas été démontrée entre l’automne 1988 et l’été 1990, et ce alors même que la Commission admet que l’entrée de Monsanto sur le marché a jeté à cette époque le trouble parmi les participants (considérant 100).
235 En ce qui concerne, ensuite, l’analyse de la hausse des prix effectuée par la Commission au considérant 280, il y a lieu de considérer qu’elle permet de manière probante de constater que les objectifs de prix fixés par les membres du cartel ont augmenté entre 1990 et 1993. En effet, il y a lieu de rappeler que, selon la note du 5 mai 1990, les prix de la méthionine ont chuté de manière substantielle en 1989, pour atteindre 2,00 USD/kg. Or, ainsi que le fait observer la Commission, il ressort des déclarations de Rhône-Poulenc que, à la fin de l’été 1990, le prix de la méthionine était de 2,50 USD/kg (4,03 DEM/kg) et qu’il devait être augmenté pour atteindre 2,80 USD/kg (4,51 DEM/kg). En outre, dans la note de la réunion du 7 novembre 1990, Nippon Soda indique que, à cette époque, les prix étaient de l’ordre de 3,40 à 3,50 USD/kg dans la zone de prévalence du mark allemand. Enfin, dans la note du 17 mai 1993, Nippon Soda indique que la tendance des prix était à la hausse et que Degussa avait vendu de la méthionine, lors du deuxième trimestre de l’année 1993, à l’un de ses clients au prix de 6,80 DEM/kg. En outre, il ressort des considérants 132 à 152, dont la teneur n’est pas contestée par la requérante, que, de 1992 à 1993, les objectifs de prix ont été portés de 6,05 (considérant 132) à 6,20 DEM/kg (considérant 137), ce dernier chiffre devant rester en vigueur, avec cependant certaines exceptions, jusqu’au troisième trimestre de l’année 1993 (considérant 144). Bien que ces objectifs n’aient pas toujours été atteints, il résulte du considérant 136 que le prix moyen de la méthionine en Europe était de 5,60 DEM/kg (soit 3,35 USD/kg) lors du quatrième trimestre de l’année 1992 et de 5,20 DEM/kg (soit 3,23 USD/kg) lors du premier trimestre de l’année 1993. Il s’ensuit que, à partir de l’été 1990, alors que la tendance des prix était auparavant à la baisse, les objectifs de prix ainsi que les prix de transaction ont augmenté et, dans une certaine mesure, ont été stabilisés, ce dont la Commission a pu déduire à juste titre que les efforts conjugués des participants à l’entente avaient eu un impact concret sur le marché durant cette période.
236 Néanmoins, il y a également lieu de relever que la Commission n’a pas mis en évidence de la même manière l’influence de l’entente avant l’été 1990, ce qu’elle semble expressément reconnaître s’agissant en particulier de la période allant de l’automne 1988 à l’été 1990, non plus que sur la baisse tendancielle des prix à partir de 1993.
237 Or, s’agissant de la période allant de l’automne 1988 à l’été 1990, il a été relevé précédemment que, à la suite du retrait de l’entente de Sumitomo, de l’arrivée sur le marché de Monsanto et de la diminution générale de la demande, l’entente a connu un certain flottement, qui s’est notamment manifesté par une baisse significative des prix pratiqués par Degussa, laquelle entendait avant tout regagner des parts de marché vis-à-vis de Monsanto, cette baisse ayant eu des répercussions sur le marché dans son ensemble.
238 De même, s’agissant de la période allant de l’année 1993 à la fin de l’entente, il résulte des considérants 152 à 179 que les objectifs de prix ont graduellement baissé et que les participants ont constaté que ces objectifs n’étaient pas atteints (considérants 152, 153 et 160). Force est de constater, en outre, que la Commission a elle-même admis que les objectifs de prix n’avaient pas été atteints et que les arguments avancés par Degussa, à savoir l’absence de participation de Novus à l’entente et l’absence de mécanismes d’augmentation des prix, de répartition des volumes ou des clients et de surveillance, permettaient d’expliquer cette circonstance (considérants 284 à 287). Elle a également reconnu que le fait que les prix de la méthionine avaient diminué au fil du temps illustrait les difficultés éprouvées par les parties pour augmenter les prix dans une situation de marché difficile (considérant 288).
239 Malgré ces constatations, la Commission a toutefois conclu, au considérant 289, que, pendant toute la durée de l’entente, les membres du cartel avaient réussi à maintenir les prix à un niveau supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence des arrangements illicites.
240 Enfin, s’agissant du dernier élément mis en exergue par la Commission, réitéré dans le cadre du présent recours, selon lequel les participants à l’entente ne se seraient pas réunis régulièrement durant toute la durée de l’entente si celle-ci n’avait eu aucun effet sur le marché, il y a lieu de considérer qu’il est fondé sur de pures conjectures et non sur des facteurs économiques objectifs. Étant dépourvu de toute force probante, il y a lieu de l’écarter (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 159).
241 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’a que partiellement démontré l’incidence réelle de l’entente sur le marché de la méthionine de 1986 à 1999. En particulier, la Commission aurait dû prendre en compte le fait que, de l’automne 1988 à l’été 1990, le désaccord entre les membres de l’entente associé à la concurrence exercée par le nouvel entrant sur le marché et la baisse générale de la demande a conduit à une chute significative des prix, mettant en cause la preuve des effets concrets de la collusion durant cette période et renforçant l’hypothèse de l’absence desdits effets. Cela est d’autant plus vrai qu’aucune conclusion d’accord sur les prix n’a pu être démontrée durant cette période, ainsi qu’il a été relevé lors de l’examen de la durée de l’infraction.
242 Or, il ne ressort pas de la Décision que la Commission ait spécifiquement pris en compte cet élément. Au contraire, la Commission a affirmé, aux considérants 97 et 255, que les activités du cartel s’étaient poursuivies avec la même intensité. De même, il ressort du considérant 291 que la Commission a rejeté les objections de la requérante à cet égard et a estimé que le comportement de celle-ci durant cette période n’impliquait pas que les participants n’aient pas mis en œuvre l’accord collusoire. Toutefois, ainsi qu’il a été exposé précédemment, force est de constater que la Commission n’a mis en évidence la conclusion d’aucun nouvel accord sur les prix entre l’automne 1988 et l’été 1990, non plus que la mise en œuvre de l’accord antérieur après le retrait de Sumitomo du cartel à la fin de l’année 1988.
243 En outre, il convient de relever que les prix de la méthionine ont graduellement baissé de 1993 jusqu’à la fin de l’infraction et que, durant cette période, les objectifs de prix n’étaient pas atteints, notamment en raison de la concurrence exercée par Novus, laquelle détenait une part de plus de 30 % du marché mondial de la méthionine à la fin de l’infraction (25 à 26 % au niveau de l’EEE, aux termes du considérant 286) et, de l’avis même desdits membres énoncé dès la fin de l’année 1993, était en train de s’adjuger la part la plus élevée du marché de la méthionine (considérant 150). Par ailleurs, il est vrai que la Commission a mis en évidence l’annonce, dans la presse spécialisée, d’objectifs de prix fixés par les participants à l’entente jusqu’au début de l’année 1995 (considérants 136, 155, 157 et 167), laquelle doit être considérée comme ayant eu nécessairement certains effets sur le processus de fixation des prix. En revanche, il importe de souligner que la Décision ne fait état d’aucune annonce de prix à compter de cette date. Dès lors, force est de considérer que la Commission n’a pas pleinement démontré, contrairement à ses affirmations figurant au considérant 289, qu’après la période 1992/1993 les prix avaient été maintenus à un niveau supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence des arrangements illicites, une telle démonstration faisant particulièrement défaut en ce qui concerne la période allant du début de l’année 1995 à la fin de l’infraction.
244 Il y a donc lieu pour le Tribunal d’analyser la portée de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d’amendes.
4. Conclusion sur la détermination du montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction
245 Ainsi qu’il a été exposé précédemment, il y a lieu de constater que la Commission n’a que partiellement démontré l’impact concret de l’infraction sur le marché, en particulier s’agissant de la période allant de l’automne 1988 à l’été 1990 et de 1995 jusqu’à la fin de l’infraction.
246 Or, il y a également lieu de relever que la Commission a néanmoins retenu, au considérant 289, que, pendant toute la durée de l’entente, notamment après la période 1992/1993, les membres du cartel avaient réussi à maintenir les prix à un niveau supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence des arrangements illicites. De même, dans sa conclusion concernant la gravité de l’infraction (considérant 293), la Commission a pris en compte le fait que, selon elle, le comportement reproché aux participants à l’entente avait eu une incidence réelle sur le marché.
247 Il s’ensuit que la Commission a déterminé le montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction en considération de la circonstance selon laquelle ladite infraction avait, selon elle, eu un impact concret sur le marché, alors même qu’un tel impact n’a pu être pleinement démontré pendant toute la durée de l’entente.
248 Dans ces circonstances, le Tribunal estime, en vertu de sa compétence de pleine juridiction en matière d’amendes, qu’il y a lieu de réduire le montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, lequel a été fixé par la Commission au considérant 302 à 35 millions d’euros.
249 Il y a toutefois lieu de tenir compte, à cet égard, de ce que, ainsi que le fait observer la Commission, il ressort du considérant 273 de la Décision que l’infraction a été qualifiée de très grave au regard de « sa nature même », la Commission ayant relevé que l’infraction avait consisté en un partage du marché et en une fixation des prix, « qui constituent, de par leur nature même, le type le plus grave d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, […] CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE » (considérant 271). Par ailleurs, la Commission a ajouté, au considérant 275, qu’« [i]l est clair que des ententes illicites ayant pour objet la fixation des prix et le partage du marché compromettent, de par leur nature, le bon fonctionnement du marché unique ».
250 Or, le Tribunal a déjà jugé, dans son arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission (T‑203/01, Rec. p. II‑4071, points 258 et 259), que la gravité de l’infraction peut être établie par référence à la nature et à l’objet des comportements abusifs et que, selon une jurisprudence constante, des éléments relevant de l’objet d’un comportement peuvent avoir plus d’importance aux fins de la fixation du montant de l’amende que ceux relatifs à ses effets (arrêts du Tribunal Thyssen Stahl/Commission, point 222 supra, point 636, et du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 199).
251 La Cour a confirmé cette approche en considérant que l’effet d’une pratique anticoncurrentielle n’est pas un critère déterminant dans l’appréciation du montant adéquat de l’amende. Des éléments relevant de l’aspect intentionnel peuvent avoir plus d’importance que ceux relatifs auxdits effets, surtout lorsqu’il s’agit d’infractions intrinsèquement graves telles que la fixation des prix et la répartition des marchés (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, Rec. p. I‑10821, point 118).
252 En outre, il y a lieu de rappeler que les ententes horizontales en matière de prix ont toujours été considérées comme faisant partie des infractions les plus graves au droit communautaire de la concurrence (arrêts du Tribunal Tate & Lyle e.a./Commission, point 58 supra, point 103, et du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 262).
253 Enfin, il importe également de souligner que la Commission n’a pas accordé au critère de l’impact réel de l’infraction sur le marché une importance prépondérante dans la fixation du montant de base de l’amende. En effet, la Commission a également fondé son appréciation sur d’autres éléments, à savoir la constatation que l’infraction devait être qualifiée de très grave de par sa nature même (considérants 271 à 275) et que le marché géographique concerné était constitué de la Communauté dans son ensemble et, après sa création, de l’EEE dans son ensemble (considérant 292).
254 Dès lors, au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal considère que c’est à bon droit que la Commission a qualifié l’infraction de très grave. Toutefois, compte tenu de ce que les effets concrets de l’infraction n’ont que partiellement été démontrés, le Tribunal considère qu’il y a lieu de ramener le montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction de 35 à 30 millions d’euros.
B – Sur la majoration de l’amende afin d’assurer un effet dissuasif suffisant
255 La requérante invoque dans ce cadre, premièrement, une erreur de droit et une erreur de fait dans la détermination de son chiffre d’affaires, deuxièmement, une violation du principe de légalité des peines, de l’obligation de motivation et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement dans la détermination du taux de majoration et, troisièmement, une erreur d’appréciation quant à l’effet dissuasif suffisant au regard de son comportement postérieur à la cessation de l’infraction.
1. Sur l’erreur de droit et l’erreur de fait quant au chiffre d’affaires de la requérante
a) Arguments des parties
256 En premier lieu, la requérante fait valoir que le montant de son chiffre d’affaires retenu par la Commission pour l’année 2000 est erroné. Ce montant serait, en effet, non de 16,9, mais de 10,715 milliards d’euros, ainsi que la Commission en aurait pris connaissance dans la lettre de la requérante du 5 juin 2002, en réponse à sa demande du 28 mai 2002. Eu égard au lien direct entre les objectifs poursuivis par la majoration de l’amende et le chiffre d’affaires de l’entreprise, l’erreur commise par la Commission constituerait une méconnaissance par cette dernière des circonstances essentielles dont la prise en considération l’aurait amenée à prendre une autre décision. Dès lors, la Commission aurait commis une erreur d’appréciation de nature à justifier l’annulation de la Décision.
257 En second lieu, la requérante estime que la Commission a, à tort, pris en compte, pour le calcul du montant de l’amende, la situation de la nouvelle entreprise Degussa AG (Düsseldorf). Cette dernière est, en effet, issue de la fusion entre Degussa-Hüls et SKW réalisée en 2000 (voir point 1 ci-dessus), soit, selon la requérante, postérieurement à la cessation de l’infraction. En outre, Degussa-Hüls est elle-même le résultat de la fusion entre Degussa AG (Francfort‑sur‑le‑Main) et Hüls AG (Marl), réalisée en 1998 (voir même point), soit également postérieurement au comportement anticoncurrentiel reproché, selon la requérante. L’auteur de l’infraction serait ainsi Degussa AG (Francfort‑sur‑le‑Main), entreprise à laquelle la Commission aurait dû se référer lors du calcul du montant de l’amende. Or, le chiffre d’affaires de cette entreprise s’élèverait à 15,905 milliards de DEM pour l’exercice 1997/1998.
258 La requérante admet que la nouvelle entité économique résultant de la fusion est, en principe, responsable des infractions commises antérieurement par les entités ayant fusionné. Toutefois, cette responsabilité serait limitée à l’infraction originelle et au tort causé de ce fait. En prenant en compte le chiffre d’affaires de l’entité issue de la fusion, la Commission aurait donc violé le « principe de culpabilité » (nulla poena sine culpa), reconnu par les ordres juridiques pénaux des États membres et par l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH ainsi que l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, selon lequel la sanction infligée doit être proportionnée à la culpabilité de l’entreprise qui en fait l’objet. La jurisprudence de la Cour aurait également reconnu ce principe, qui résulterait en partie du principe de proportionnalité, comme élément déterminant de l’intensité de la peine (arrêts de la Cour du 19 octobre 1983, Lucchini/Commission, 179/82, Rec. p. 3083, point 27 ; du 14 février 1984, Alfer/Commission, 2/83, Rec. p. 799, points 17 et 18, et du 17 mai 1984, Estel/Commission, 83/83, Rec. p. 2195, points 39 et suivants).
259 La requérante déduit du fait que l’objectif de l’amende est autant de réprimer des comportements illicites que d’en prévenir le renouvellement (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 172 à 176) que l’infraction constitue la condition tant de l’existence de la sanction que de son intensité.
260 Dès lors, en considérant la situation de l’entreprise postérieurement à l’époque de la commission de l’infraction, la Commission aurait fondé le calcul du montant de l’amende sur le seul objectif de dissuasion et de prévention, omettant ainsi de prendre en compte la relation entre la sanction et la gravité du tort causé.
261 S’agissant du premier de ces griefs, la Commission reconnaît que le chiffre d’affaires mondial de la requérante en 2000 était de 10,715 milliards d’euros selon les données fournies dans la lettre du 5 juin 2002. Toutefois, elle prétend que ce chiffre est manifestement erroné.
262 À cet égard, en premier lieu, la Commission rappelle que la requérante avait indiqué dans son rapport d’activité pour l’année 2000 un chiffre d’affaires de 16,9 milliards d’euros. Ce chiffre aurait été repris dans la communication des griefs puis, en l’absence d’objection de la part de la requérante dans sa réponse à ladite communication, dans la Décision.
263 En deuxième lieu, la Commission souligne que le rapport d’activité ainsi que le rapport de gestion pour l’année 2000 mentionnent un chiffre d’affaires pro forma de 20,3 milliards d’euros et un chiffre d’affaires hors vente et achat de métaux précieux de 16,9 milliards d’euros. Le compte de profits et pertes abrégé du groupe Degussa, comprenant les résultats de Degussa-Hüls entre le 1er janvier et le 31 décembre 2000 et de SKW du 1er juillet au 31 décembre 2000, aurait affiché des recettes de 18,198 milliards d’euros au 31 décembre 2000. La Commission en déduit que le chiffre de 10,715 milliards d’euros avancé par la requérante dans sa lettre du 5 juin 2002, et présenté comme le chiffre d’affaires de Degussa-Hüls incluant le chiffre d’affaires réalisé par SKW au cours des six mois consécutifs à la fusion entre ces deux entreprises, est erroné.
264 En outre, la requérante aurait indiqué, dans son rapport de gestion, que l’évaluation pro forma couvrant les résultats de Degussa-Hüls et de SKW pour une période de douze mois devait être considérée comme « plus significative d’un point de vue économique » que l’appréciation en bonne et due forme ne comptabilisant les résultats de SKW que pour une période de six mois. La gestion interne et l’orientation stratégique de l’entreprise auraient ainsi été établies sur la base de ces données. Dans ces circonstances, la Commission considère que la requérante ne saurait lui reprocher d’avoir pris en compte des chiffres qu’elle-même considérait comme économiquement plus significatifs et mettait en évidence dans son rapport d’activité destiné au public.
265 En tout état de cause, la Commission fait valoir que la prise en compte du chiffre d’affaires excluant les résultats pro forma (de l’ordre de 2 milliards d’euros) de SKW pour le premier semestre de l’année 2000 aurait abouti à un résultat à peine différent.
266 La Commission suppose enfin que la requérante entend faire valoir le fait que la fusion entre Degussa-Hüls et SKW n’a été inscrite au registre du commerce que le 9 février 2001 et qu’ainsi seul le chiffre d’affaires de Degussa-Hüls, lequel était peut-être de 10,715 milliards d’euros, pouvait être pris en compte pour l’exercice 2000. Elle fait observer, d’une part, que, dans ce cas, la requérante n’aurait pas dû indiquer, dans sa lettre du 5 juin 2002, que le montant de 10,715 milliards d’euros comprenait le chiffre d’affaires de SKW réalisé au cours des six mois postérieurs à la fusion avec Degussa-Hüls et, d’autre part, que, selon le rapport d’activité de la requérante, les deux sociétés ont fusionné avec effet rétroactif au 30 juin 2000, comme l’attesterait d’ailleurs le fait que la requérante a pu établir les comptes du groupe au 31 décembre 2000 en cumulant ceux de Degussa-Hüls et de SKW.
267 S’agissant du second de ces griefs, en premier lieu, la Commission fait valoir qu’elle a pris en compte dans le calcul du montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, outre le chiffre d’affaires de la requérante, la participation de la requérante à une infraction très grave (considérant 293) et la part de marché de la requérante au niveau mondial et au niveau de l’EEE pour l’année 1998.
268 En second lieu, la Commission fait observer que l’infraction s’est poursuivie jusqu’en février 1999, soit postérieurement à la fusion entre Degussa et Hüls (considérant 306). À cet égard, la requérante aurait fait mention, lors de la procédure administrative, d’un chiffre d’affaires de 12,354 milliards d’euros au titre de l’exercice 1998/1999.
269 Or, selon la Commission, un chiffre d’affaires de 8,1, 10,715, 12,354 ou 16,9 milliards d’euros justifie, en tout état de cause, la qualification de grande entreprise attribuée à la requérante et donc une majoration de l’amende pour les motifs exposés au considérant 303.
b) Appréciation du Tribunal
270 La requérante reproche en substance à la Commission, d’une part, d’avoir commis une erreur de fait quant au montant de son chiffre d’affaires pour l’année 2000 et, d’autre part, d’avoir commis une erreur de droit en retenant, aux fins de la détermination de la majoration de l’amende, son chiffre d’affaires au titre de l’année 2000 alors que l’infraction avait, selon la Décision, cessé en février 1999.
271 Il y a lieu d’examiner tout d’abord le second de ces griefs.
Sur la prise en compte du chiffre d’affaires de la requérante au titre de l’année 2000
272 Dans la détermination du montant des amendes pour infraction au droit de la concurrence, la Commission doit non seulement prendre en compte la gravité de l’infraction et les circonstances particulières de l’espèce, mais aussi le contexte dans lequel ladite infraction a été commise et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, point 106).
273 À cet égard, les lignes directrices prévoient d’ailleurs que, mis à part la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché et l’étendue géographique de celui-ci, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).
274 Il peut également être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension sont mieux à même d’apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent (point 1 A, cinquième alinéa).
275 En l’espèce, la Commission, sans se référer expressément auxdites lignes directrices, a relevé, au considérant 303, qu’il y avait lieu « d’assurer [à l’amende] un effet suffisamment dissuasif et de tenir compte du fait que les grandes entreprises dispos[ai]ent de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques qui leur permett[ai]ent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découl[ai]ent du point de vue du droit de la concurrence ». Elle a ainsi estimé, aux considérants 304 et 305, qu’eu égard aux chiffres d’affaires globaux d’Aventis, de Degussa et de Nippon Soda, à savoir, respectivement, 22,3 milliards d’euros, 16,9 milliards d’euros et 1,6 milliard d’euros au titre de l’exercice 2000, il y avait lieu de majorer de 100 % le montant de départ calculé en fonction de l’importance relative sur le marché en cause pour tenir compte de la taille et des ressources globales respectives d’Aventis et de Degussa.
276 Aux termes de la Décision, la Commission a considéré, à bon droit, ainsi qu’il a été jugé précédemment, que l’infraction avait pris fin en février 1999. Or, il y a lieu de constater, comme le fait observer la requérante, que la Commission a fondé son appréciation de la majoration du montant de base sur les chiffres d’affaires réalisés par les entreprises en cause au cours de l’exercice 2000 (considérant 304), donc postérieurement à la cessation de l’infraction. Contrairement aux affirmations de la requérante, cette circonstance n’est pas de nature à vicier la méthode de calcul suivie par la Commission.
277 Il résulte du considérant 303 que la Commission a eu égard à deux éléments justifiant la majoration du montant de base de 100 % s’agissant d’Aventis et de Degussa. Une telle majoration aurait été nécessaire, d’une part, pour assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende et, d’autre part, pour tenir compte du fait que les grandes entreprises disposent d’infrastructures juridico-économiques leur permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement.
278 S’agissant du premier de ces éléments, il y a lieu de rappeler que l’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité pour la conduite de leurs activités au sein de la Communauté ou de l’EEE. Or, le Tribunal considère que cet objectif ne peut être valablement atteint qu’en considération de la situation de l’entreprise au jour où l’amende est infligée.
279 En effet, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, l’ampleur de l’infraction sur le marché et la part de responsabilité qui en incombe à chaque participant à l’entente (ce que recouvre le point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices) et, d’autre part, l’effet dissuasif que doit recouvrir l’imposition de l’amende.
280 S’agissant de l’ampleur de l’infraction sur le marché et de la part de responsabilité qui en incombe à chaque participant à l’entente, il a été jugé que la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné (voir, notamment, arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, point 121, et Mayr-Melnhof/Commission, point 222 supra, point 369) et que le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T‑151/94, Rec. p. II‑629, point 643).
281 Cette démarche a d’ailleurs été suivie par la Commission aux considérants 294 à 302, lors de la détermination du montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction. La Commission a pris en considération, à cette occasion, la part de marché mondiale et dans l’EEE de chacune des entreprises présentes sur le marché de la méthionine en 1998, lors de la dernière année civile de l’infraction, et en a déduit qu’Aventis et Degussa représentaient une première catégorie, et Nippon Soda une seconde, de sorte qu’un traitement différencié devait leur être appliqué. La requérante ne conteste pas, au demeurant, cette conclusion.
282 Dès lors, il convient de relever, à ce stade, que l’argument de la requérante, selon lequel la Commission aurait considéré le seul chiffre d’affaires de la nouvelle entité Degussa AG (Düsseldorf) créée en 2000 et aurait ainsi fondé son raisonnement sur le seul objectif de dissuasion, sans prendre en compte la nuisance anticoncurrentielle résultant de son comportement à l’époque de l’infraction, n’est pas fondé.
283 Toutefois, la seconde de ces notions, à savoir la nécessité d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, lorsqu’elle ne motive pas l’élévation du niveau général des amendes dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de concurrence, exige que le montant de l’amende soit modulé afin de tenir compte de l’impact recherché sur l’entreprise à laquelle elle est infligée, et ce afin que l’amende ne soit pas rendue négligeable, ou au contraire excessive, notamment au regard de la capacité financière de l’entreprise en question, conformément aux exigences tirées, d’une part, de la nécessité d’assurer l’effectivité de l’amende et, d’autre part, du respect du principe de proportionnalité.
284 Le Tribunal a ainsi déjà relevé que l’une des entreprises concernées, « en raison de son chiffre d’affaires global énorme par rapport à celui des autres membres de l’entente, mobiliserait plus facilement les fonds nécessaires pour le paiement de son amende, ce qui justifiait, en vue d’un effet dissuasif suffisant de cette dernière, l’application d’un multiplicateur » (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, non encore publié au Recueil, point 241).
285 Or, notamment du fait d’opérations de cession ou de concentration, les ressources globales d’une entreprise peuvent varier, en diminuant ou en augmentant, de manière significative en un laps de temps relativement bref, en particulier entre la cessation de l’infraction et l’adoption de la décision infligeant l’amende. Il s’ensuit que lesdites ressources doivent être évaluées, afin de correctement atteindre l’objectif de dissuasion, et ce dans le respect du principe de proportionnalité, au jour où l’amende est infligée. À cet égard, pour les mêmes motifs, il y a lieu de noter que, dans le cadre de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, la limite supérieure de l’amende fixée à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée est déterminée en fonction du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédant la décision (arrêt Sarrió/Commission, point 193 supra, point 85).
286 Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de considérer que la Commission a erré en droit en se fondant sur des chiffres d’affaires se rapportant à un exercice postérieur à la cessation de l’infraction. Toutefois, il y a lieu d’observer que, conformément à ce qui a été exposé précédemment, et compte tenu de ce que la Décision a été adoptée le 2 juillet 2002, la Commission aurait dû en principe prendre en compte, pour assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, le chiffre d’affaires réalisé par les différents destinataires de la Décision lors de l’exercice social 2001. En réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, la Commission a néanmoins indiqué, d’une part, que les chiffres d’affaires de Sumitomo et de Nippon Soda pour cet exercice n’étaient pas disponibles lors de l’adoption de la Décision et, d’autre part, que les chiffres d’affaires réalisés par les entreprises concernées en 2000 avaient fait l’objet d’une vérification des comptes. Or, il y a lieu de considérer que ces circonstances, non contestées par la requérante, sont de nature à justifier le fait que la Commission n’ait pas pris en considération les chiffres d’affaires réalisés en 2001 par les entreprises concernées, mais les chiffres d’affaires les plus récents à sa disposition, à savoir les chiffres relatifs à l’exercice social 2000.
287 Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir pris en considération, lors de la détermination de la majoration au titre de l’effet dissuasif, le chiffre d’affaires réalisé par la requérante en 2000.
288 L’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait, à tort, pris en compte le chiffre d’affaires issu des fusions intervenues, respectivement, entre Degussa et Hüls en 1998, et Degussa-Hüls et SKW en 2000, lesquelles seraient postérieures à la cessation de l’infraction, outre qu’il manque partiellement en fait dans la mesure où il a été démontré que l’infraction avait cessé en février 1999, est donc dépourvu de pertinence à cet égard. Il y a d’ailleurs lieu de noter que les circonstances de l’espèce illustrent précisément la nécessité d’évaluer les ressources globales de l’entreprise concernée en fonction de son dernier chiffre d’affaires disponible.
289 S’agissant du deuxième élément pris en compte par la Commission aux fins de la majoration du montant de base de l’amende, à savoir les infrastructures juridico-économiques dont disposent les entreprises afin d’être en mesure d’apprécier le caractère infractionnel de leur comportement, il y a lieu de souligner, par opposition à ce qui a été exposé précédemment, qu’il vise à punir davantage les grandes entreprises dont il est présumé qu’elles jouissent des connaissances et des moyens structurels suffisants afin d’avoir conscience du caractère infractionnel de leur comportement et d’en évaluer les bénéfices éventuels.
290 Or, il y a lieu de considérer que, dans cette hypothèse, le chiffre d’affaires sur la base duquel la Commission détermine la taille des entreprises en cause, et donc leur capacité à déterminer le caractère et les conséquences de leur comportement, doit se rapporter à leur situation au moment de l’infraction. En l’espèce, s’agissant de cet aspect, la Commission n’était donc pas en droit de prendre en compte le chiffre d’affaires réalisé par la requérante au titre de l’année 2000, l’infraction ayant cessé en février 1999.
291 Toutefois, cette constatation n’est pas, en soi, de nature à altérer la validité de la conclusion de la Commission selon laquelle le montant de base de l’amende infligée à la requérante devait être majoré de 100 %.
292 En effet, d’une part, aux termes des considérants 303 à 305 de la Décision :
« Effet dissuasif suffisant
(303)Afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif et de tenir compte du fait que les grandes entreprises disposent de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence, la Commission déterminera en outre s’il convient, pour l’une quelconque des entreprises, d’ajuster ce montant de départ.
(304)Avec des chiffres d’affaires respectifs à l’échelle mondiale de 22,3 milliards d’euros et 16,9 milliards d’euros en 2000, Aventis et Degussa sont des acteurs beaucoup plus importants que Nippon Soda (chiffre d’affaires à l’échelle mondiale de 1,6 milliard d’euros en 2000). À cet égard, la Commission considère qu’il y a lieu de majorer le montant de départ calculé en fonction de l’importance relative sur le marché en cause pour tenir compte de la taille et des ressources globales respectives d’Aventis et de Degussa.
(305)Eu égard à ce qui précède, la Commission considère qu’afin d’assurer un caractère dissuasif, il convient d’augmenter le montant de départ déterminé au considérant 302 de 100 % (× 2) pour le porter à 70 millions d’euros dans le cas de Degussa et d’Aventis […] »
293 Il résulte de ce qui précède que, si la Commission a mentionné l’élément relatif aux infrastructures juridico-économiques, elle a en réalité essentiellement justifié la majoration du montant de base par la nécessité d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, ainsi qu’en témoignent la conclusion figurant au considérant 305 et l’intitulé même de la rubrique.
294 D’autre part, il y a lieu d’observer que, en tout état de cause, le chiffre d’affaires global de la requérante au titre de l’exercice 1997/1998 s’élève, conformément aux données fournies par celle-ci, à environ 15,9 milliards de DEM. Or, il ne saurait être soutenu que, de ce fait, la requérante ne disposait pas des infrastructures juridico-économiques dont disposent les entreprises de taille importante, ce que la requérante ne prétend d’ailleurs pas. La prise en compte du chiffre d’affaires de la requérante en 2000 (établi par la Commission à 16,9 milliards d’euros) ne saurait donc avoir une quelconque incidence sur la considération de la Commission selon laquelle le montant de base devait être majoré pour tenir compte du fait que la requérante disposait des ressources nécessaires pour lui permettre d’apprécier le caractère infractionnel de son comportement et les conséquences qui en découlaient.
295 Il s’ensuit que le moyen de la requérante tiré de ce que la Commission aurait commis une erreur de droit en prenant en compte, afin de fonder la majoration du montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, son chiffre d’affaires au titre de l’exercice 2000 ne saurait justifier l’annulation de la Décision ni la réduction du montant de l’amende.
Sur l’erreur de fait quant au montant du chiffre d’affaires de la requérante au titre de l’année 2000
296 La requérante prétend que le chiffre d’affaires au titre de l’année 2000 (16,9 milliards d’euros) pris en compte par la Commission est erroné, celui-ci s’élevant en réalité à 10,715 milliards d’euros, ainsi qu’il résulterait de la lettre adressée par elle à la Commission le 5 juin 2002, en réponse à une demande de cette dernière du 28 mai 2002.
297 Dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal et lors de l’audience, la requérante a indiqué que le chiffre d’affaires de 10,715 milliards d’euros était le seul à avoir été attesté par des vérificateurs aux comptes comme conforme aux principes comptables des États-Unis généralement reconnus (United States generally accepted accounting principles). Elle soutient que, en l’absence de dispositions communautaires définissant les règles de calcul du chiffre d’affaires des entreprises, la sécurité juridique exige que seuls soient pris en considération les chiffres d’affaires établis et attestés conformément aux règles applicables à l’entreprise concernée, soit, en l’espèce, lesdits principes comptables.
298 La Commission prétend que le montant de 16,9 milliards d’euros qu’elle a pris en compte résulte du rapport de gestion de la requérante établi au titre de l’année 2000. Toutefois, lors de l’audience, la Commission a admis que le chiffre d’affaires à prendre en considération devait refléter la situation réelle de l’entreprise et que, par conséquent, compte tenu de ce que la fusion entre la requérante et SKW avait eu lieu le 1er juillet 2000, il n’y avait pas lieu de retenir le chiffre d’affaires pro forma réalisé par SKW du 1er janvier au 30 juin 2000.
299 Il ressort du dossier, et notamment des réponses de la requérante aux questions écrites du Tribunal, les éléments suivants :
– le montant de 16,9 milliards d’euros pris en compte par la Commission inclut une évaluation pro forma du chiffre d’affaires de SKW du 1er janvier au 31 décembre 2000 ainsi que le chiffre d’affaires réalisé dans trois secteurs d’activité non essentiels (dmc², Dental et Phenolchemie) cédés par la requérante en 2001 (ci-après le « chiffre d’affaires réalisé dans les trois secteurs d’activité cédés en 2001 ») ;
– le montant de 10,715 milliards d’euros, invoqué par la requérante, n’inclut le chiffre d’affaires de SKW qu’au titre de la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2000 et exclut le chiffre d’affaires réalisé dans les trois secteurs d’activité cédés en 2001 ;
– le chiffre d’affaires réalisé dans les trois secteurs d’activité cédés en 2001 s’élève à un montant de 4,131 milliards d’euros.
300 Les parties se sont accordées sur ces données lors de l’audience, ce dont le Tribunal a pris acte.
301 Il résulte de ce qui précède que la différence entre les chiffres d’affaires dont font état les parties s’explique par le fait que ces chiffres n’incluent pas les mêmes éléments. Tandis que le montant pris en compte par la Commission inclut tant le chiffre d’affaires réalisé par la société SKW du 1er janvier au 31 décembre 2000 que le chiffre d’affaires réalisé dans les trois secteurs d’activité cédés en 2001, le chiffre d’affaires invoqué par la requérante, d’une part, n’inclut le chiffre d’affaires réalisé par SKW que pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2000 et, d’autre part, n’inclut pas le chiffre d’affaires réalisé dans les trois secteurs d’activité cédés en 2001.
302 Or, le Tribunal considère que, ainsi qu’il a été exposé précédemment, dans le cadre de la détermination de l’éventuelle majoration de l’amende destinée à assurer à celle-ci un effet dissuasif, il importe de prendre en compte la capacité financière et les ressources réelles de l’entreprise au moment où l’amende lui est infligée et non l’évaluation pro forma inscrite à son bilan, par nature fictive, résultant de l’application de règles comptables que l’entreprise concernée s’est imposées.
303 Dès lors, il n’y a lieu de tenir compte ni du chiffre d’affaires pro forma de SKW durant la période allant du 1er janvier au 30 juin 2000 ni de la soustraction pro forma du chiffre d’affaires réalisé dans les trois secteurs d’activité cédés en 2001.
304 En effet, force est de constater que, lors de l’exercice social 2000, lequel devait être pris en compte dans la détermination de la majoration de l’amende afin d’assurer à cette dernière un effet dissuasif suffisant, conformément à ce qui a été exposé précédemment, la requérante, d’une part, n’a pas perçu le chiffre d’affaires réalisé par SKW du 1er janvier au 30 juin 2000, la fusion de cette société avec la requérante ayant eu lieu le 1er juillet 2000, mais, d’autre part, a bien perçu le chiffre d’affaires provenant des trois secteurs d’activité cédés en 2001.
305 Par conséquent, le chiffre d’affaires pertinent en l’espèce résulte de l’addition du chiffre d’affaires de 10,715 milliards d’euros invoqué par la requérante et du chiffre d’affaires de 4,131 milliards d’euros réalisé dans les trois secteurs d’activité cédés en 2001, soit 14,846 milliards d’euros.
306 Aucun des arguments exposés par la Commission, laquelle a d’ailleurs admis lors de l’audience que le chiffre d’affaires pris en compte dans la Décision était erroné, ne saurait remettre en cause cette conclusion.
307 En premier lieu, le fait que, dans sa réponse du 10 janvier 2002 à la communication des griefs du 1er octobre 2001 (ci-après la « CG »), la requérante n’ait soulevé aucune objection quant à la prise en compte du montant de 16,9 milliards d’euros non seulement n’est pas en soi décisif, mais, en outre, n’est pas pertinent dans la mesure où la Commission n’a évoqué ce montant que dans la partie descriptive des membres de l’entente, la CG ne contenant, d’ailleurs, aucune évaluation de l’amende envisageable. Si la Commission avait entendu de toute façon prendre en compte le montant indiqué dans la CG, il y aurait au demeurant lieu de s’interroger sur les motifs justifiant qu’elle ait adressé à la requérante, le 28 mai 2002, une demande de renseignements en vue d’obtenir des données relatives à son chiffre d’affaires. En outre, force est de constater que, dans sa réponse du 5 juin 2002 à cette demande de renseignements, la requérante a expressément fait mention de ce que le chiffre d’affaires, d’un montant de 10,715 milliards d’euros, indiqué au titre de l’exercice 2000 incluait uniquement le chiffre d’affaires réalisé par SKW du 1er juillet au 31 décembre 2000. Il s’ensuit que la Commission était en mesure de constater une discordance entre ce montant et le montant de 16,9 milliards indiqué dans la CG. Dans ces circonstances, la Commission aurait pu, voire dû, demander à la requérante des renseignements complémentaires afin de s’assurer de l’exactitude du montant à prendre en considération.
308 En deuxième lieu, le fait que l’évaluation pro forma mentionnée dans le rapport de gestion de la requérante y soit considérée par cette dernière comme plus significative d’un point de vue économique, d’une part, n’est pas établi par la Commission et, d’autre part, n’est en tout état de cause pas de nature à infirmer la conclusion selon laquelle, dans l’appréciation de l’effet dissuasif que doit revêtir l’amende, la Commission est tenue de prendre en considération la situation réelle de l’entreprise au moment où elle évalue l’amende qu’elle envisage de lui infliger, ce qu’elle a d’ailleurs admis lors de l’audience.
309 Enfin, en troisième lieu, contrairement aux suppositions de la Commission, il y a lieu de souligner que la requérante ne prétend aucunement que seul le chiffre d’affaires de Degussa-Hüls, à l’exclusion de celui de SKW, devait être pris en compte dans la détermination du montant de son chiffre d’affaires au titre de l’année 2000 en raison de l’inscription de la fusion au registre du commerce le 9 février 2001. La lettre du 5 juin 2002 adressée par la requérante à la Commission indique d’ailleurs sans équivoque que le chiffre d’affaires indiqué comprend celui réalisé par SKW pendant les six derniers mois de l’année 2000. L’argument de la Commission se fondant sur cette considération est donc inopérant.
310 Il résulte de ce qui précède que le chiffre d’affaires pris en compte par la Commission dans la détermination de la majoration de l’amende destinée à assurer à cette dernière un effet dissuasif suffisant est erroné. Ce montant ne constitue pas, néanmoins, le support nécessaire de la constatation, par la Commission, de l’infraction à laquelle la requérante a participé. En effet, l’erreur commise par la Commission ne pourrait avoir d’incidence que sur la détermination du montant de l’amende, à l’égard de laquelle le Tribunal dispose d’une compétence de pleine juridiction. Il s’ensuit que le caractère erroné du chiffre d’affaires pris en considération par la Commission n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la Décision. La demande de la requérante en ce sens doit donc être rejetée.
311 Toutefois, il y a lieu pour le Tribunal d’examiner si cette circonstance est de nature à entraîner une violation du principe d’égalité de traitement et à justifier ainsi une réduction de l’amende infligée à la requérante.
2. Sur la violation du principe de légalité des peines, de l’obligation de motivation et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement dans la majoration du montant de l’amende au titre de l’effet dissuasif
a) Sur la violation du principe de légalité des peines et de l’obligation de motivation
Arguments des parties
312 La requérante soutient que la Commission n’a pas satisfait, lors de la détermination de la majoration du montant de base, à son obligation de motivation, laquelle devrait faire apparaître les critères de détermination de l’amende (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T‑295/94, Rec. p. II‑813, point 173). Elle conteste en outre la majoration de 100 % du montant de base effectuée par la Commission au titre de l’effet dissuasif que l’amende doit revêtir, en ce que ladite majoration apparaît comme arbitraire et ne peut faire l’objet d’un quelconque contrôle de légalité. Cette méthode aboutirait en effet à laisser à la Commission une liberté de décision totale dans la détermination du montant de l’amende, et ce quel que soit le montant de base de l’amende initialement déterminé.
313 La Commission estime que cette argumentation n’est pas fondée. Elle soutient que la Décision a clairement exposé les raisons l’ayant amenée à doubler le montant de base appliqué à la requérante aux considérants 303 à 305 de ladite Décision.
Appréciation du Tribunal
314 S’agissant tout d’abord de la prétendue violation, par la Commission, de l’obligation de motivation, force est de constater que la Décision indique clairement, aux considérants 303 à 305, que la majoration de 100 %, à l’égard de la requérante, du montant de base de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction trouve son fondement dans la nécessité d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende en considération de la taille et des ressources globales de la requérante et de prendre en compte le fait que les grandes entreprises disposent de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques leur permettant de mieux apprécier le caractère et les conséquences de leur comportement. La Décision relève ensuite explicitement le chiffre d’affaires de la requérante réalisé en 2000 pour justifier la majoration du montant de départ de l’amende.
315 La Décision fait ainsi apparaître de manière claire le raisonnement de la Commission, permettant de la sorte à la requérante de connaître les éléments d’appréciation pris en compte pour majorer le montant de l’amende ainsi que d’en contester le bien-fondé, et au Tribunal d’exercer son contrôle. Le grief de la requérante pris d’une violation de l’obligation de motivation sur ce point doit donc être rejeté.
316 Pour autant que la requérante considère en outre que la méthode consistant à doubler le montant de base est arbitraire et constitue une violation du principe de légalité des peines, il y a lieu de rappeler que la nécessité d’assurer à l’amende un effet dissuasif suffisant est un objectif légitime que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende et vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité. Néanmoins, ainsi qu’il a été exposé dans le cadre du premier moyen, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, et notamment les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, non seulement dans la détermination du montant de base, mais aussi lors de la majoration de ce montant dans le but d’assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende.
317 Il s’ensuit que, si la Commission bénéficie effectivement d’une nécessaire marge d’appréciation dans la fixation du taux de majoration au titre de l’effet dissuasif, il n’en demeure pas moins que son pouvoir est limité par le respect desdits principes, lequel est susceptible d’un contrôle juridictionnel dans le cadre duquel le Tribunal dispose d’ailleurs d’une compétence de pleine juridiction. Le grief de la requérante doit donc être écarté.
b) Sur la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement
Arguments des parties
318 La requérante soutient que la majoration par la Commission de 100 % du montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction (35 millions d’euros) pour assurer un effet dissuasif suffisant à ladite amende constitue une violation du principe d’égalité de traitement.
319 Elle prétend que, selon ses estimations, en 2000, la taille de Degussa atteignait à peine la moitié de celle d’Aventis. En imposant la même majoration de l’amende à ces deux entreprises, la Commission aurait ainsi violé le principe d’égalité de traitement, et ce y compris dans l’hypothèse où il serait tenu compte du montant erronément retenu par la Commission. Compte tenu de ce que son chiffre d’affaires se situerait entre celui de Nippon Soda et celui d’Aventis, la requérante soutient que la majoration qui aurait dû lui être appliquée correspond à la moitié de celle appliquée à Aventis, soit un résultat de 27,5 millions d’euros.
320 En outre, la requérante considère que le doublement du montant de base constitue une violation du principe de proportionnalité de la peine, en ce qu’une importance excessive aurait été accordée à l’objectif de dissuasion, et ce au regard du comportement infractionnel qui lui est reproché.
321 La Commission soutient que le doublement du montant de base de l’amende d’Aventis et de Degussa reflète le fait que ces deux entreprises, au regard de leur taille et de leurs ressources globales, sont nettement plus importantes que Nippon Soda (considérant 304).
322 Elle rappelle, à cet égard, que la majoration du montant de base répond à la nécessité d’assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende et de tenir éventuellement compte de ce que les grandes entreprises disposent de connaissances économiques et d’infrastructures plus importantes (considérant 303). Or, en l’espèce, il importerait avant tout d’avoir égard à la différence de taille entre la requérante et Aventis, d’une part, et Nippon Soda, d’autre part (considérant 304). En effet, dans l’hypothèse où il faudrait prendre en considération le montant avancé par la requérante, le chiffre d’affaires de cette dernière correspondrait à 6,7 fois celui de Nippon Soda, alors que le chiffre d’affaires d’Aventis représenterait seulement le double de celui de la requérante. Ainsi, la Commission aurait de toute façon dû accorder un même traitement à la requérante et à Aventis. En outre, la Commission rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’appliquer une formule arithmétique prévoyant d’accroître le montant de l’amende proportionnellement au chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, les objectifs visés par la majoration des amendes pouvant déjà être atteints par la catégorisation des entreprises selon leur taille (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 464).
Appréciation du Tribunal
323 En ce qui concerne le grief de la requérante pris d’une violation du principe d’égalité de traitement, il convient de rappeler, ainsi que le fait observer la Commission, que l’approche consistant à répartir les membres d’une entente en plusieurs catégories, ce qui entraîne une forfaitisation du montant de départ fixé aux entreprises appartenant à une même catégorie, bien qu’elle revienne à ignorer les différences de taille entre entreprises d’une même catégorie, ne saurait, en principe, être censurée (arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 284 supra, points 217 à 221). En effet, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes, d’assurer, au cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finaux des amendes traduisent toute différenciation entre les entreprises concernées quant à leur chiffre d’affaires global (voir arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 252 supra, point 385, et la jurisprudence citée).
324 Il n’en reste pas moins, selon la jurisprudence, qu’une telle répartition par catégories doit respecter le principe d’égalité de traitement selon lequel il est interdit de traiter des situations comparables de manière différente et des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 252 supra, point 406). Dans cette même optique, les lignes directrices prévoient en leur point 1 A, sixième alinéa, qu’une disparité « considérable » dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature est, notamment, de nature à justifier une différenciation aux fins de l’appréciation de la gravité de l’infraction. Par ailleurs, selon la jurisprudence, le montant des amendes doit, au moins, être proportionné par rapport aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 58 supra, point 106).
325 Par conséquent, lorsque la Commission répartit les entreprises concernées en catégories aux fins de la fixation du montant des amendes, la détermination des seuils pour chacune des catégories ainsi identifiées doit être cohérente et objectivement justifiée (arrêts CMA CGM e.a./Commission, point 252 supra, point 416, et LR AF 1998/Commission, point 46 supra, point 298).
326 En l’espèce, il y a lieu de souligner que la classification des entreprises par catégories en considération de leurs parts de marché a été opérée par la Commission aux considérants 294 à 301 de la Décision. Cette classification n’est pas contestée par la requérante et a abouti, au considérant 302, à la fixation d’un montant de base déterminé en fonction de la gravité de l’infraction de 35 millions d’euros pour Degussa et Aventis et de 8 millions d’euros pour Nippon Soda.
327 La requérante conteste néanmoins le fait que la Commission ait appliqué à ce montant, afin d’assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende, le même taux de majoration à Degussa et à Aventis (100 %) en considération des chiffres d’affaires globaux de ces entreprises, alors que ces chiffres sont, selon elle, dissemblables.
328 Or, il y a lieu de souligner que, eu égard à l’objectif qu’elle poursuit, à savoir l’adaptation du montant de l’amende en considération des ressources globales de l’entreprise et de la capacité à mobiliser les fonds nécessaires pour le paiement de ladite amende, la fixation du taux de majoration du montant de base pour assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende vise davantage à garantir l’effectivité de l’amende qu’à rendre compte de la nocivité de l’infraction pour le jeu normal de la concurrence et donc de la gravité de ladite infraction.
329 Il s’ensuit que l’exigence relative au caractère objectivement justifié de la méthode consistant à classer les entreprises par catégorie doit s’interpréter plus strictement dans l’hypothèse où cette classification est opérée non aux fins de la détermination du montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, mais à celles de la détermination de la majoration du montant de base dans le but d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende infligée.
330 En effet, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende en fonction de la gravité, même si, en raison de la répartition en groupes, certaines entreprises se voient appliquer un montant de base identique alors qu’elles sont de tailles différentes, cette différence de traitement est objectivement justifiée par la prééminence accordée à la nature de l’infraction par rapport à la taille des entreprises lors de la détermination de la gravité de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 50 à 53, et arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 252 supra, point 411).
331 Toutefois, cette justification n’a pas vocation à s’appliquer à la détermination du taux de majoration de l’amende dans le but d’assurer à cette dernière un effet dissuasif suffisant, compte tenu de ce que cette majoration est fondée essentiellement et objectivement sur la taille et les ressources des entreprises, et non sur la nature de l’infraction. Il importe d’ailleurs de souligner que, dans la Décision, le taux de majoration en vue d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende a été fixé alors que le montant de base en fonction de la gravité avait préalablement été établi (considérant 303).
332 En outre, il résulte du considérant 304 de la Décision, lequel indique qu’« il y a lieu de majorer le montant de départ calculé en fonction de l’importance relative sur le marché en cause pour tenir compte de la taille et des ressources globales respectives d’Aventis et [de] Degussa », que la Commission ne mentionne par ailleurs aucun autre élément, hormis la possession par la requérante d’infrastructures juridico-économiques lui permettant d’évaluer le caractère anticoncurrentiel et les conséquences de son comportement, de nature à justifier de manière objective que les montants concernant la requérante et Aventis aient fait l’objet de la même majoration.
333 Dans ces circonstances, et compte tenu de ce que la Commission s’est explicitement fondée, au considérant 304, sur les chiffres d’affaires globaux respectifs des entreprises concernées, il convient de considérer que le taux de majoration du montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction aurait dû refléter, à tout le moins approximativement, la différence significative apparaissant entre lesdits chiffres.
334 Or, si la Commission a pu considérer que les chiffres d’affaires respectifs de Degussa (16,9 milliards d’euros) et d’Aventis (22,3 milliards d’euros) en 2000 démontraient qu’ils étaient des « acteurs beaucoup plus importants que Nippon Soda » (1,6 milliard d’euros) et qu’ainsi cette dernière ne devait pas se voir imposer une majoration en vue d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, force est de constater qu’elle a appliqué le même taux de majoration à Degussa et à Aventis alors que, selon les propres chiffres de la Commission, le chiffre d’affaires de Degussa était approximativement inférieur de 25 % à celui d’Aventis. Cette proportion s’élève même à plus de 33 % en prenant en compte le chiffre d’affaires de 14,846 milliards d’euros, conformément à ce qui a été exposé aux points 302 à 305 ci-dessus.
335 Dès lors, la Commission ne pouvait, sans violer le principe d’égalité de traitement, majorer le montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction par application du même taux que celui appliqué à Aventis.
336 Aucun des arguments de la Commission n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.
337 En premier lieu, s’il est vrai qu’il importait de tenir compte de la différence importante de taille entre Degussa et Aventis, d’une part, et Nippon Soda, d’autre part, laquelle justifiait l’absence de majoration de l’amende au titre de l’effet dissuasif à l’égard de cette dernière, cette considération ne pouvait dispenser la Commission de tenir compte également de la différence de taille entre Degussa, d’une part, et Aventis, d’autre part. Cette analyse s’impose d’autant plus que le chiffre d’affaires erroné retenu par la Commission a, en réalité, abouti à sous-estimer cette différence.
338 En second lieu, ainsi qu’il a été relevé précédemment, s’il est vrai que la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes, d’assurer, au cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finaux des amendes traduisent toute différenciation entre les entreprises concernées quant à leur chiffre d’affaires global (voir arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 252 supra, point 385, et la jurisprudence citée), il n’en demeure pas moins que la classification des entreprises par catégories, conformément au principe d’égalité de traitement, doit être objectivement justifiée, cette exigence devant être interprétée plus strictement dans l’hypothèse où ladite classification vise non pas à la détermination du poids spécifique du comportement infractionnel de chaque entreprise, mais à la fixation du taux de majoration du montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction afin d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, laquelle poursuit une finalité différente et autonome et se fonde sur une appréciation objective de la capacité des entreprises à mobiliser les fonds nécessaires au paiement de l’amende.
339 Par conséquent, le Tribunal considère qu’il y a lieu, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de réduire le taux de majoration du montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction appliqué à Degussa de telle sorte que ce taux reflète la différence de taille significative entre Degussa et Aventis (voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 284 supra, points 244 à 249).
340 À cet effet, il y a toutefois lieu de relever que, bien que la Commission ait essentiellement fondé la détermination du taux de majoration de l’amende sur la nécessité d’assurer à celle-ci un effet dissuasif suffisant, ainsi qu’il résulte tant de l’intitulé de la rubrique couvrant les considérants 303 à 305 que des considérants 304 et 305 eux-mêmes, elle a également tenu compte, au considérant 303, du fait que les grandes entreprises disposaient de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques leur permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlaient. Or, ainsi que le fait observer la Commission et comme il a été relevé précédemment, il n’y a pas lieu à cet égard de distinguer entre deux entreprises dont les chiffres d’affaires justifient en tout état de cause qu’elles soient qualifiées de grandes entreprises disposant de telles infrastructures.
341 Il s’ensuit qu’il y a lieu de tenir compte de cet aspect en considérant que l’élément commun à Aventis et à Degussa, à savoir, ainsi qu’il a été vu précédemment, la possession d’une infrastructure juridico-économique du fait de leur grande taille, justifie que le taux de majoration ne traduise pas toute la différence entre les chiffres d’affaires de ces entreprises.
342 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, estime qu’il convient de majorer le montant de l’amende déterminé en fonction de la gravité de l’infraction fixé pour la requérante, à savoir 30 millions d’euros conformément au point 254 ci-dessus, de 80 % pour atteindre 54 millions d’euros.
343 Dans ces circonstances, s’agissant du second grief, invoqué par la requérante dans le mémoire en réplique, pris de la violation du principe de proportionnalité, le Tribunal estime que la majoration de 80 % du montant de base en considération de la taille globale de la requérante ne doit pas être considérée comme disproportionnée au regard de sa responsabilité au sein de l’entente et de sa capacité à porter une atteinte importante à la concurrence, lesquelles résultent de la part de marché substantielle qu’elle détenait sur le marché de la méthionine durant la période infractionnelle (de l’ordre de 25 % sur le marché dans l’EEE en 1998), que la Commission a dûment prise en compte (considérants 297 à 301). Une telle majoration ne saurait ainsi conduire à accorder à l’objectif de dissuasion une importance excessive par rapport au comportement reproché à la requérante. Le présent grief doit donc être écarté.
3. Sur l’erreur d’appréciation quant à l’effet dissuasif de l’amende au regard du comportement de la requérante postérieurement à la cessation de l’infraction
a) Arguments des parties
344 La requérante soutient que, en considérant que le montant de base de l’amende devait être doublé, la Commission a apprécié de manière exagérée l’effet dissuasif de ladite amende en omettant de prendre en compte le fait que Degussa avait déjà mis fin à l’infraction avant l’engagement de la procédure par la Commission et qu’elle a ensuite immédiatement pris des mesures visant à éviter toute infraction à l’avenir, à savoir un « programme de conformation aux règles en vigueur ». En particulier, la Commission aurait rejeté à tort, au considérant 330 de la Décision, les efforts en cause de la requérante en affirmant qu’ils ne sauraient constituer des circonstances atténuantes au regard des lignes directrices. En effet, une telle attitude ne récompenserait pas les entreprises désireuses de s’assurer du respect des dispositions du droit de la concurrence et qui, dès lors, ne requièrent pas que des mesures visant à un effet dissuasif supplémentaire soient prises à leur égard.
345 La requérante fait observer que, si les lignes directrices devaient être interprétées en ce sens que l’attitude de la requérante en l’espèce n’a eu aucune incidence sur le montant de l’amende, elles seraient dans cette mesure en contradiction avec le principe de proportionnalité des délits et des peines, lequel s’appliquerait à l’ordre communautaire, en tant que principe de l’État de droit généralement reconnu, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, UE.
346 Enfin, la requérante note que la notion de dissuasion comprend un aspect préventif à l’égard de l’auteur de l’infraction (prévention spéciale) et à l’égard des autres acteurs économiques susceptibles, à l’avenir, de commettre une infraction similaire (prévention générale). En l’espèce, la prévention spéciale serait déjà assurée par l’adoption, par la requérante, du programme de mise en conformité avec les règles en vigueur. Or, si la Commission devait considérer que la majoration n’est guidée que par des considérations de prévention générale, la requérante estime qu’elle serait en contradiction avec la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (arrêts de la Cour du 28 octobre 1975, Rutili, 36/75, Rec. p. 1219, points 51 à 53 ; du 27 octobre 1977, Bouchereau, 30/77, Rec. p. 1999, points 27 à 30, et du 10 février 2000, Nazli e.a., C‑340/97, Rec. p. I‑957, point 63).
347 La Commission estime que ce grief n’est pas fondé.
b) Appréciation du Tribunal
348 La requérante reproche en substance à la Commission de ne pas avoir pris en compte, lors de l’appréciation de l’effet dissuasif que doit revêtir l’amende, le fait, d’une part, qu’elle avait mis fin à l’infraction avant l’ouverture de la procédure par la Commission et, d’autre part, qu’elle avait adopté un programme interne de mise en conformité avec le droit communautaire de la concurrence.
349 S’agissant du premier de ces éléments, il suffit de rappeler que, si, conformément à la Décision, l’infraction a bien cessé en février 1999, soit antérieurement à l’ouverture de la procédure le 1er octobre 2001, cette cessation s’est produite à l’initiative de Rhône-Poulenc, ainsi que l’indique le considérant 185. En outre, la requérante, qui ne conteste pas véritablement cette constatation, se contente en tout état de cause d’affirmer que l’infraction a pris fin en 1997 à la suite du départ de M. H. de Rhône-Poulenc et de la politique menée par ses successeurs. Elle ne saurait donc se prévaloir de cette circonstance afin de prétendre à une réduction de la majoration au titre de la nécessité d’assurer un effet dissuasif à l’amende. De surcroît, le fait que l’infraction ait déjà cessé au jour de l’ouverture de la procédure ne saurait en aucun cas constituer un élément concluant tendant à démontrer que la requérante entendait, à l’avenir, se conformer définitivement aux règles communautaires de concurrence. Or, l’objectif de prévention spéciale poursuivi par l’imposition de l’amende, évoqué par la requérante, tend non seulement à faire cesser l’infraction, mais également à éviter que leurs auteurs renouvellent ultérieurement leur comportement.
350 S’agissant du second de ces éléments, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, s’il est certes important qu’une entreprise ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l’infraction constatée. Il en résulte que le seul fait que, dans certains cas, la Commission ait pris en considération, dans sa pratique décisionnelle, la mise en place d’un programme d’alignement en tant que circonstance atténuante n’implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans un cas déterminé (arrêts du Tribunal Hercules Chemicals/Commission, point 133 supra, point 357 ; du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, points 417 et 419, et Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 280).
351 Selon cette jurisprudence, la Commission n’est donc pas tenue de retenir un tel élément comme circonstance atténuante pour autant qu’elle se conforme au principe d’égalité de traitement, qui implique qu’il ne soit pas procédé à une appréciation différente sur ce point entre les entreprises destinataires d’une même décision (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 281).
352 Bien que la requérante invoque cette circonstance dans le cadre de la majoration du montant de base de l’amende au titre de l’effet dissuasif, et non formellement à titre de circonstance atténuante, la même solution doit s’appliquer en l’espèce.
353 Or, il ne ressort aucunement de la Décision que la Commission ait procédé, sur ce point, à une appréciation différente entre les trois entreprises destinataires, ce que la requérante ne prétend d’ailleurs pas.
354 Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte de ce que la requérante aurait adopté un programme de mise en conformité avec le droit communautaire de la concurrence après la cessation de l’infraction.
355 Aucun des arguments de la requérante ne saurait remettre en cause cette conclusion.
356 En premier lieu, s’agissant de la prétendue violation du principe de proportionnalité, conformément à la jurisprudence évoquée précédemment, il y a lieu de souligner que l’attitude de la requérante postérieure à l’infraction ne modifie en rien l’existence et la gravité de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 82 supra, point 373), laquelle constitue une violation durable et manifeste de l’article 81, paragraphe 1, CE. Compte tenu de ces circonstances, le principe de proportionnalité, lequel implique que l’amende infligée ne soit pas excessive au regard des caractéristiques de l’infraction, n’imposait pas à la Commission de prendre en compte l’attitude de la requérante postérieure à la cessation de ladite infraction.
357 Il s’ensuit que ni la Décision ni les lignes directrices, lesquelles en tout état de cause ne prévoient ni n’excluent la prise en compte de telles circonstances, ne sauraient, sur ce fondement, être considérées comme violant le principe de proportionnalité.
358 En second lieu, s’agissant de l’argument tiré de ce que la Commission, en refusant de tenir compte de l’adoption du programme de mise en conformité de la requérante, se serait à tort fondée exclusivement sur un objectif de prévention générale, en contradiction avec la jurisprudence de la Cour, il y a lieu de souligner que la jurisprudence citée par la requérante concerne les mesures d’expulsion prononcées par les États membres à l’encontre de ressortissants d’autres États membres pour motif d’ordre public. Dans ce cadre, la Cour a jugé que, conformément à l’article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, 56, p. 850), pour être justifiées, de telles mesures doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet (voir, récemment, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri, C‑482/01 et C‑493/01, Rec. p. I‑5257, point 66). La Cour en a déduit, notamment, que le droit communautaire s’oppose à l’expulsion d’un ressortissant d’un État membre fondée sur des motifs de prévention générale, à savoir qui a été décidée dans un but de dissuasion à l’égard d’autres étrangers, en particulier lorsque cette mesure a été prononcée de manière automatique à la suite d’une condamnation pénale, sans tenir compte du comportement personnel de l’auteur de l’infraction ni du danger qu’il représente pour l’ordre public (arrêts de la Cour du 26 février 1975, Bonsignore, 67/74, Rec. p. 297, point 7 ; Nazli e.a., point 346 supra, point 59, et Orfanopoulos et Oliveri, précité, point 68).
359 Il en résulte que, loin de constituer un principe général, l’interdiction des motifs de prévention générale s’applique à la situation particulière des mesures dérogatoires au principe de libre circulation des citoyens de l’Union consacré à l’article 18, paragraphe 1, CE et prises par les États membres pour un motif d’ordre public. À l’évidence, cette interdiction ne saurait ainsi être transposée purement et simplement dans le cadre des amendes infligées par la Commission aux entreprises pour infraction au droit communautaire de la concurrence.
360 Au contraire, il résulte d’une jurisprudence constante qu’il est loisible à la Commission de tenir compte du fait que les pratiques anticoncurrentielles telles que celles de l’espèce sont encore, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire de concurrence, relativement fréquentes en raison du profit que certaines entreprises intéressées peuvent en tirer et, partant, d’estimer qu’il y a lieu d’élever le niveau des amendes en vue de renforcer l’effet dissuasif de celles-ci (voir, par exemple, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, point 108), ce qui répond, à tout le moins partiellement, à la nécessité de conférer aux amendes un caractère dissuasif à l’égard d’entreprises autres que celles auxquelles ces amendes sont infligées.
361 En outre, il y a lieu de relever qu’il ne fait pas de doute que la simple adoption, par une entreprise, d’un programme de mise en conformité aux règles de concurrence ne saurait constituer une garantie valable et certaine du respect futur et durable par celle-ci desdites règles, de sorte qu’un tel programme ne saurait contraindre la Commission à une diminution de l’amende au motif que l’objectif de prévention que cette dernière poursuit serait déjà au moins partiellement atteint. Par ailleurs, contrairement aux allégations de la requérante, il ne ressort aucunement de la Décision que la Commission ait exclusivement fondé la majoration du montant de base sur la nécessité d’assurer un effet dissuasif à l’égard d’autres entreprises.
362 En effet, d’une part, la prise en compte de la taille de la requérante, aux considérants 303 à 305, et la majoration du montant de base en résultant constituent précisément un élément destiné à adapter l’amende en fonction de facteurs propres à cette dernière. D’autre part, il ressort du considérant 330 que la Commission a rejeté comme circonstance atténuante l’adoption du programme de mise en conformité au motif que « cette initiative [venait] trop tard et ne saurait, parce qu’il s’agit d’un instrument de prévention, l’exonérer de son devoir de sanctionner une infraction aux règles de concurrence déjà commise par l’entreprise ». Cela doit être compris comme rappelant, à juste titre, et comme le souligne la requérante dans le cadre de son moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, que l’amende poursuit un objectif non seulement préventif, mais également répressif. Ce n’est donc pas uniquement dans le but de dissuader des entreprises étrangères à l’infraction que la Commission a rejeté l’argument de la requérante sur ce point, mais parce qu’elle a estimé que le programme de mise en conformité ne justifiait pas que la sanction de l’infraction commise soit réduite.
363 La circonstance que la requérante expose, à présent, cet argument dans le cadre de l’appréciation de l’effet dissuasif de l’amende, et non dans celui des circonstances atténuantes, est indifférent à cet égard, compte tenu de ce que la nécessité d’assurer un tel effet ne répond pas uniquement à l’objectif de prévention que poursuit l’amende, comme semble l’envisager la requérante, mais également à celui de répression.
364 Il résulte de tout ce qui précède que le grief de la requérante tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, par la Commission, de l’effet dissuasif de l’amende au regard de son comportement postérieur à la cessation de l’infraction doit être rejeté comme non fondé.
C – Sur la coopération de la requérante
1. Arguments des parties
365 La requérante conteste le refus par la Commission de lui accorder une réduction de l’amende au titre de la section D, point 2, deuxième tiret, de la communication sur la coopération, au motif qu’elle aurait contesté les faits relatifs à la durée de l’entente, tels que présentés dans la CG. La requérante soutient, en effet, qu’elle a admis les documents probants produits mais qu’elle a simplement émis une opinion divergente s’agissant de l’interprétation faite par la Commission desdits documents, aboutissant à des appréciations juridiques et à des conclusions différentes. Ainsi, la détermination de la durée de l’infraction ne constituerait pas, en l’espèce, une constatation de fait mais une question de qualification juridique, concepts que la Commission aurait confondus dans le titre C de la CG.
366 La Commission estime que ce grief n’est pas fondé.
2. Appréciation du Tribunal
367 Il y a lieu de rappeler que la requérante a bénéficié, aux termes des considérants 353 et 354 de la Décision, d’une réduction du montant de l’amende de 25 %, en application du titre D, point 2, premier tiret de la communication sur la coopération.
368 Le titre D de la communication sur la coopération est libellé comme suit :
« 1. Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux titres B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.
2. Tel peut notamment être le cas si :
– avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,
– après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »
369 La Commission a toutefois estimé, au considérant 354, que Degussa avait contesté les faits exposés dans la CG en ce qui concerne la durée de l’entente. Elle en a déduit que celle-ci ne remplissait pas les conditions prévues au titre D, point 2, second tiret, de la communication sur la coopération et qu’ainsi elle ne pouvait pas bénéficier d’une réduction supplémentaire du montant de l’amende à ce titre.
370 Dès lors, il convient de déterminer si la Décision est entachée d’une erreur de fait s’agissant de la question de savoir si la requérante a contesté, postérieurement à la CG, la matérialité des faits sur lesquels la Commission a fondé ses allégations.
371 À cette fin, il y a lieu d’examiner la réponse faite par la requérante à la CG.
372 En premier lieu, ainsi que le fait observer la requérante, ce document indique que l’exposé des faits présenté dans la CG « n’est pour l’essentiel pas contesté » (p. 3 et 9 de la réponse à la CG). Or, contrairement à l’interprétation qu’en fait la requérante, cette affirmation tendait précisément à démontrer que les faits étaient partiellement contestés et ne permettait pas à la Commission, de surcroît, de déterminer avec certitude les faits contestés et ceux qui ne l’étaient pas. Cette considération est d’ailleurs renforcée par l’indication de la requérante (p. 9 de la réponse à la CG) selon laquelle la présentation, par la Commission, des faits quant à la durée de l’infraction était en partie inexacte. La requérante a même ajouté, au point 12 de sa réponse (p. 14 de la réponse à la CG), que l’exposé des faits n’était exact qu’à partir du milieu de l’année 1992, date à laquelle Degussa aurait participé à l’infraction lors de la réunion de Barcelone, tout en précisant que la durée de l’entente était limitée aux années 1992 à 1997 (p. 33 de la réponse à la CG).
373 Si ces éléments formels ne peuvent, en soi, mener à la conclusion que la requérante a contesté, en substance, la matérialité des faits présentés par la Commission dans la CG, ils suffisent en tout cas à établir que la requérante n’a pas positivement marqué le fait qu’elle ne la contestait pas dans son ensemble. La requérante a, au contraire, créé une ambiguïté s’agissant, pour la Commission, de la question de savoir si elle contestait ou non la matérialité des faits allégués et, dans l’affirmative, quels étaient précisément les faits qui étaient contestés.
374 En second lieu, si, sous l’intitulé « D. Les faits » (p. 9 de la réponse à la CG), la requérante a effectivement présenté des commentaires contestant la position de la Commission, il y a toutefois lieu d’admettre que, pour la plupart, ces commentaires visent, en substance, non pas à réfuter directement la matérialité de ces faits (notamment la tenue de réunions et les sujets qui y étaient abordés), mais à contredire l’interprétation qu’en a fait la Commission et la conclusion à laquelle elle a abouti quant à l’existence d’une infraction avant 1992 et après 1997.
375 Or, il est vrai qu’on ne saurait assimiler la contestation de l’appréciation juridique faite par la Commission de certains faits à une contestation de l’existence même de ces faits, même si, en l’espèce, la distinction entre ces deux notions s’avère ambiguë.
376 Néanmoins, en tout état de cause, force est de constater, ainsi que le relève la Commission, que, au point 13 de sa réponse à la CG (p. 14 et 15), la requérante a affirmé que, selon elle, après la réunion « au sommet » de Copenhague en 1997, il n’y avait plus eu de réunion à l’issue desquelles avaient été établis des prix cibles. Or, il ressort du point 61 de la CG que la Commission a clairement exposé que Degussa et Rhône-Poulenc s’étaient rencontrées à Heidelberg à la fin de l’été ou au début de l’automne 1998 et qu’une hausse de prix avait été conclue à cette occasion. La Commission a ajouté qu’une autre réunion entre ces deux entreprises s’était ensuite tenue à Nancy le 4 février 1999 et qu’elle avait abouti à la fixation d’un prix cible de 3,20 USD/kg (5,30 DEM/kg). Dès lors, il apparaît, à tout le moins dans la mesure décrite ci-dessus, que la requérante a contesté la matérialité des faits exposés par la Commission postérieurement à la CG.
377 En outre, il y a lieu de relever que, dans sa réponse, sous l’intitulé « E. Appréciation juridique », la requérante a affirmé, dans la partie consacrée à la durée de l’infraction, qu’elle ne disposait d’aucune information sur l’existence de réunions durant la période 1989/1990 et qu’elle ne pouvait ainsi pas explicitement contester la tenue de telles réunions (p. 29 de la réponse à la CG) ni la confirmer (p. 30 de la réponse à la CG). Or, la Commission avait décrit en détail, aux points 22 à 29 de la CG trois réunions auxquelles Degussa avait participé durant cette période (en août 1989 en un lieu non précisé, le 10 juin 1990 à Francfort-sur-le-Main et en novembre 1990 à Hong Kong et/ou à Séoul). Ainsi, à nouveau, si la formulation ambiguë de la requérante ne permet pas de conclure qu’elle ait nié la tenue de ces réunions, force est toutefois de constater qu’elle ne permettait pas non plus à la Commission d’estimer qu’elle admettait les faits à cet égard.
378 De même, alors que la Commission a décrit l’entente, dans la CG, comme ayant débuté en février 1986 (voir, notamment, points 18 à 21 et 97), force est de constater que la requérante n’a pas pris explicitement position, dans sa réponse à la CG, sur les affirmations de la Commission concernant la période allant du mois de février 1986 à la fin de l’année 1988, tout en précisant que, selon elle, l’entente n’avait duré que de 1992 à 1997.
379 Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur de fait en constatant que la requérante avait partiellement contesté la matérialité des faits exposés dans la CG.
380 Quant à la question de savoir si la Commission a pu, sur ce fondement, considérer que la requérante ne pouvait bénéficier d’une réduction supplémentaire du montant de l’amende en application du titre D, point 2, second tiret, de la communication sur la coopération, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la réduction des amendes en cas de coopération des entreprises participant à des infractions au droit communautaire de la concurrence trouve son fondement dans la considération selon laquelle une telle coopération facilite la tâche de la Commission (arrêts BPB de Eendracht/Commission, point 80 supra, point 325, et Finnboard/Commission, point 233 supra, point 363, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, et arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 222 supra, point 330).
381 À cet égard, il a néanmoins été jugé qu’une entreprise qui s’est contentée, lors de la procédure administrative, de ne pas prendre position sur les allégations de fait avancées par la Commission, et s’est donc abstenue de reconnaître leur véracité, ne contribue pas à faciliter effectivement la tâche de cette dernière (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101, point 37).
382 De même, il ne suffit pas qu’une entreprise affirme d’une manière générale qu’elle ne conteste pas les faits allégués, conformément à la communication sur la coopération, si, dans les circonstances du cas d’espèce, cette affirmation ne présente pas la moindre utilité pour la Commission (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, non encore publié au Recueil, point 193).
383 Enfin, une réduction sur le fondement de la communication sur la coopération ne saurait être justifiée que lorsque les informations fournies et, plus généralement, le comportement de l’entreprise concernée pourraient à cet égard être considérés comme démontrant une véritable coopération de sa part. Ainsi qu’il résulte de la notion même de coopération, telle que mise en évidence dans le texte de la communication sur la coopération, et notamment l’introduction et le chapitre D, point 1, de cette communication, c’est en effet uniquement lorsque le comportement de l’entreprise concernée témoigne d’un tel esprit de coopération qu’une réduction sur la base de ladite communication peut être accordée (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 82 supra, points 395 et 396).
384 Il résulte de tout ce qui précède que, en l’espèce, la reconnaissance ambiguë par la requérante de certains faits allégués dans la CG, alors même qu’elle en a contesté certains autres, n’a pas contribué à faciliter la tâche de la Commission de manière suffisamment effective pour que cette reconnaissance puisse être retenue dans le cadre de l’application de la communication sur la coopération. Ainsi, la Commission a pu considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que cette reconnaissance n’était pas susceptible de justifier une minoration du montant de son amende au regard de ladite communication, telle qu’interprétée par la jurisprudence.
385 Il s’ensuit que le grief pris, en substance, d’une erreur de fait et/ou d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la coopération de la requérante durant la procédure administrative doit être rejeté comme non fondé.
D – Sur la violation du principe de non-rétroactivité des peines
386 Lors de l’audience, la requérante a soutenu que, en appliquant les nouveaux critères de fixation des amendes contenus dans les lignes directrices à des infractions antérieures à l’adoption, en 1998, desdites lignes directrices, la Commission a violé le principe de non-rétroactivité des peines.
387 Sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la recevabilité de cette argumentation développée lors de l’audience au regard de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, et notamment quant à la question de savoir s’il s’agit d’un moyen nouveau ou d’une simple ampliation d’un moyen énoncé dans la requête présentant un lien étroit avec celui-ci, il suffit de constater que la Cour et le Tribunal se sont déjà prononcés sur le bien-fondé de ladite argumentation.
388 Or, aux termes des points 224 à 231 de l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 82 supra, afin de contrôler le respect du principe de non-rétroactivité, il y a lieu de vérifier si la modification de la politique générale de la concurrence de la Commission en matière d’amendes résultant, notamment, des lignes directrices était raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises.
389 À cet égard, il convient de constater que la principale innovation des lignes directrices consiste à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard, ces fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais qui, comme telles, n’ont pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent. Cette méthode repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes.
390 Il importe donc d’examiner si cette nouvelle méthode de calcul des amendes, à supposer qu’elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, était raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises.
391 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à différents types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence, mais que, au contraire, l’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, point 109, et du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005).
392 Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières.
393 Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide, dans le respect des normes s’imposant à son action, d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé.
394 Cela vaut non seulement lorsque la Commission procède à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également lorsque ce relèvement est opéré par l’application, à des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices.
395 Il ressort d’ailleurs de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-V, § 35).
396 Il doit en être conclu que les lignes directrices et, en particulier, la nouvelle méthode de calcul des amendes qu’elles comportent, à supposer qu’elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, étaient raisonnablement prévisibles pour des entreprises telles que la requérante à l’époque où l’infraction concernée a été commise.
397 Partant, en appliquant en substance, dans la Décision, les lignes directrices à une infraction commise avant leur adoption, la Commission n’a pas violé le principe de non-rétroactivité.
398 Il s’ensuit que le grief de la requérante pris de la violation du principe de non-rétroactivité des peines doit être rejeté comme non fondé.
IV – Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du secret professionnel, du principe de bonne administration et de la présomption d’innocence
A – Arguments des parties
399 La requérante prétend que la Commission a, dès avant l’adoption de la Décision, fourni des informations confidentielles à la presse, violant ainsi le secret professionnel protégé par l’article 287 CE, le principe de bonne administration et la présomption d’innocence.
400 Elle rappelle, en effet, que le mardi 2 juillet 2002, le journal « Handelsblatt » a publié un article intitulé « Degussa doit payer plus de 100 millions ». L’article indiquait que le journal avait été informé par l’entourage de la Commission à Bruxelles et précisait que « M. Monti [avait] reconnu que le groupe chimique de Düsseldorf était la force motrice d’une entente sur les acides aminés qui, pendant une décennie, a[vait] réparti le marché des additifs pour animaux par le biais d’accords systématiques sur les prix ».
401 Or, les informations publiées n’auraient pas pu être obtenues sans la collaboration d’un fonctionnaire de la Commission, ce qui serait constitutif d’une violation de l’obligation de respect du secret professionnel prévue à l’article 287 CE. En effet, le Tribunal aurait jugé que, dans des procédures contradictoires susceptibles d’aboutir à une condamnation, la nature et le quantum de la sanction proposée sont, par nature, couverts par le secret professionnel, tant que la sanction n’a pas été définitivement approuvée et prononcée. Ce principe découlerait, notamment, de la nécessité de respecter la réputation et la dignité de l’intéressé tant que celui-ci n’a pas été condamné (arrêt Volkswagen/Commission, point 153 supra, point 281).
402 La requérante estime que la manière dont la Commission a informé la presse est indifférente, dans la mesure où seul importe le fait que la Commission ait été à l’origine d’une situation dans laquelle l’entreprise a été informée par la presse de la teneur exacte de la sanction qui, selon toute vraisemblance, allait lui être infligée (arrêt Volkswagen/Commission, point 153 supra, point 281). Or, la Commission n’aurait pas expressément contesté le fait que l’un de ses fonctionnaires ait divulgué les informations confidentielles en cause. En tout état de cause, seule la Commission pourrait être à l’origine de cette divulgation. Dans ces circonstances, il appartiendrait à la Commission de prouver le contraire, d’autant que l’article en question aurait mentionné que l’information émanait de « milieux proches de la Commission à Bruxelles ».
403 La requérante estime en outre que la Commission a violé le principe de bonne administration, consacré à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, en vertu duquel « [t]oute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union ». La divulgation dont la Commission est à l’origine laisserait en effet transparaître sa partialité à l’égard de la requérante.
404 Enfin, la Commission se serait rendue coupable d’une violation de la présomption d’innocence prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH et à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, et faisant partie des droits fondamentaux de l’ordre juridique communautaire (arrêt Hüls/Commission, point 115 supra, point 149). Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour et du Tribunal, ce principe serait applicable aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence (arrêts Öztürk c. Allemagne, point 38 supra, § 46 ; Hüls/Commission, point 115 supra, point 50, et Volkswagen/Commission, point 153 supra, point 281). En révélant à la presse le contenu de la décision avant sa présentation au collège des commissaires en vue de la délibération, donc avant la condamnation de l’entreprise, la Commission aurait manifestement violé le principe de la présomption d’innocence.
405 La requérante réfute l’argumentation de la Commission selon laquelle la divulgation à la presse des informations en cause ne lui serait pas imputable. Selon elle, il importe peu que les informations aient été transmises de manière officielle. En effet, conformément à l’article 288 CE, la Commission serait responsable d’une infraction commise par l’un de ses fonctionnaires lorsque cette infraction est directement liée à l’exercice de sa fonction (arrêt de la Cour du 10 juillet 1969, Sayag e.a., 9/69, Rec. p. 329), ce qui serait le cas en l’espèce. La question de savoir si l’infraction a été autorisée ou non par la Commission serait donc dépourvue de pertinence, par analogie avec l’imputation à une entreprise des infractions à la concurrence commises par ses collaborateurs (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 58 supra, points 37 à 70, et point 112).
406 La requérante en conclut que l’effectivité de la protection des droits fondamentaux exige que la Décision soit annulée sur ce fondement (arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 19). Cela serait rendu nécessaire par le fait que ce type de violation par la Commission serait courant (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 101 supra, point 90 ; Dunlop Slazenger/Commission, point 114 supra, point 27, et Volkswagen/Commission, point 153 supra). En outre, la jurisprudence selon laquelle une telle irrégularité ne justifierait l’annulation de la décision que s’il était établi qu’en l’absence de cette irrégularité ladite décision aurait eu un contenu différent n’aurait manifestement eu aucun effet dissuasif et exigerait de l’entreprise une preuve qu’elle n’est pas en mesure de rapporter. Cette jurisprudence ne satisferait donc pas à l’exigence d’une protection effective des droits en cause et mettrait l’entreprise concernée dans une situation préjudiciable vis-à-vis de ses clients, collaborateurs et actionnaires et des médias, au mépris du principe « d’égalité des armes ».
407 La requérante estime ainsi qu’il est suffisant de démontrer qu’il ne saurait être exclu que la décision ait pu avoir un contenu différent en l’absence de la révélation prématurée des informations en cause, ainsi qu’il aurait été jugé en matière de vice de procédure (arrêt de la Cour du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, 68/86, Rec. p. 855, point 49 ; arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, point 58). Tel serait le cas en l’espèce, compte tenu de ce que la divulgation du contenu de la Décision avant son adoption aurait rendu impossible l’adoption, par la Commission, d’une décision qui diffère de l’annonce faite à la presse, laquelle aurait constitué un désaveu difficilement envisageable du membre de la Commission en charge de la concurrence.
408 La Commission estime que ce moyen n’est pas fondé.
B – Appréciation du Tribunal
409 Il y a lieu de rappeler que l’article 287 CE fait obligation aux membres, fonctionnaires et agents des institutions de la Communauté « de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient ». Si cette disposition vise surtout les renseignements recueillis auprès d’entreprises, l’adverbe « notamment » montre qu’il s’agit d’un principe général qui s’applique aussi bien à d’autres informations confidentielles (arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission, 145/83, Rec. p. 3539, point 34, et arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission, T‑353/94, Rec. p. II‑921, point 86).
410 Or, il convient de souligner que, dans des procédures contradictoires susceptibles d’aboutir à une condamnation, la nature et le quantum de la sanction proposée sont, par nature, couverts par le secret professionnel, tant que la sanction n’a pas été définitivement approuvée et prononcée. Ce principe découle, notamment, de la nécessité de respecter la réputation et la dignité de l’intéressé tant que celui-ci n’a pas été condamné (arrêt Volkswagen/Commission, point 153 supra, point 281).
411 Ainsi, le devoir de la Commission de ne pas divulguer à la presse des informations sur la sanction précise envisagée ne coïncide pas seulement avec son obligation de respecter le secret professionnel, mais également avec son obligation de bonne administration. Enfin, il y a lieu de rappeler que le principe de la présomption d’innocence s’applique aux procédures relatives aux violations des règles de la concurrence par les entreprises et susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (arrêts Hüls/Commission, point 115 supra, point 150 ; Öztürk c. Allemagne, point 38 supra, et Lutz c. Allemagne, point 115 supra). Cette présomption n’est manifestement pas respectée par la Commission lorsque celle-ci, avant de condamner formellement l’entreprise qu’elle accuse, communique à la presse le verdict soumis au délibéré du comité consultatif et du collège des commissaires (arrêt Volkswagen/Commission, point 153 supra, point 281).
412 Toutefois, en l’espèce, force est de constater que, contrairement à la situation ayant donné lieu à l’arrêt Volkswagen/Commission, point 153 supra, il n’est pas établi que la Commission soit à l’origine de la divulgation par la presse de la teneur de la Décision. En effet, alors que, dans l’affaire précitée, il était constant que le membre de la Commission en charge de la concurrence à l’époque des faits avait annoncé à la presse, dès avant la décision de la Commission, le montant de l’amende qui serait infligée à Volkswagen, en l’espèce, la requérante indique elle-même que l’article en cause ne fait que mentionner que l’information émanait de milieux proches de la Commission (« Kommissionskreisen »). En outre, contrairement aux affirmations de la requérante, force est de constater que la Commission n’a pas admis sa responsabilité à cet égard. S’il est vraisemblable que la Commission puisse être à l’origine de cette fuite, cette seule éventualité ne suffit pas, comme le prétend la requérante, à faire peser sur la Commission la charge de prouver le contraire.
413 En tout état de cause, à supposer même qu’il puisse être admis que les services de la Commission soient effectivement responsables de la divulgation relatée par l’article de presse auquel se réfère la requérante, cette circonstance serait sans incidence sur la légalité de la Décision.
414 En effet, d’une part, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel cette divulgation démontrerait la partialité de la Commission à son égard, il convient d’observer que la matérialité d’une infraction effectivement établie au terme de la procédure administrative ne saurait être remise en cause par la preuve de la manifestation prématurée, par la Commission, de sa croyance en l’existence de l’infraction et du montant de l’amende qu’elle envisage, en conséquence, d’imposer à une entreprise. Il a d’ailleurs été exposé, à l’occasion de l’examen des différents moyens de la requérante, que la Décision est correctement fondée en fait et en droit s’agissant de l’existence et des éléments constitutifs de l’infraction.
415 En outre, il ne saurait être prétendu que la divulgation, par la Commission, du contenu d’une décision à l’issue de la procédure administrative et à la veille de son adoption formelle est, à elle seule, de nature à démontrer qu’elle a préjugé l’affaire ou enquêté avec parti pris (voir, en ce sens, arrêt Volkswagen/Commission, point 153 supra, points 270 à 272).
416 D’autre part, il est de jurisprudence constante qu’une irrégularité telle que celle alléguée par la requérante peut entraîner l’annulation de la décision en cause s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, ladite décision aurait eu un contenu différent (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 101 supra, point 91 ; Dunlop Slazenger/Commission, point 114 supra, point 29, et Volkswagen/Commission, point 153 supra, point 283).
417 Or, en l’espèce, force est de constater que la requérante n’a pas rapporté une telle preuve. En effet, rien ne laisse supposer que, si les informations en cause n’avaient pas été divulguées, le collège des commissaires aurait modifié le montant de l’amende ou le contenu de la décision proposés. En outre, contrairement aux allégations purement hypothétiques de la requérante, compte tenu du principe de collégialité auquel doivent obéir les décisions de la Commission, il ne saurait être présumé que les membres de la Commission aient été conditionnés par un sentiment de solidarité à l’égard de leur collègue en charge de la concurrence, ou qu’ils aient de fait été empêchés d’infliger une amende d’un montant inférieur.
418 Il s’ensuit que le présent moyen doit être rejeté.
419 Aucun des arguments de la requérante ne saurait remettre en cause cette conclusion.
420 La requérante prétend que la jurisprudence citée ci-dessus ne satisfait pas aux exigences tirées du principe de la protection juridictionnelle effective. Afin de respecter ce principe, il y aurait lieu, pour justifier l’annulation de la Décision, de considérer comme suffisante la preuve de ce qu’il ne saurait être exclu que la décision ait pu avoir un contenu différent en l’absence de la révélation en cause.
421 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, les particuliers doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique communautaire, le droit à une telle protection faisant partie des principes généraux de droit qui découlent des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce droit a également été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH (voir, notamment, arrêts de la Cour Johnston, point 406 supra, point 18 ; du 27 novembre 2001, Commission/Autriche, C‑424/99, Rec. p. I‑9285, point 45, et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 39).
422 Toutefois, ce principe doit être concilié avec le principe de sécurité juridique et la présomption de légalité dont jouissent les actes des institutions communautaires (arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, point 48), laquelle implique qu’il appartient à celui qui se prévaut de l’illégalité d’un tel acte d’en rapporter la preuve.
423 Or, ainsi qu’il a été exposé précédemment, la prétendue divulgation, par la Commission, du contenu d’une décision avant son adoption formelle ne saurait avoir, en soi, contrairement à l’irrespect des formes substantielles, une quelconque incidence sur la légalité de ladite décision.
424 En outre, force est de constater, d’une part, que la solution dégagée par la jurisprudence citée au point 416 ci-dessus n’empêche pas la requérante d’établir la preuve de l’illégalité de la Décision du fait de l’irrégularité constatée et ne rend pas non plus cette preuve excessivement difficile et, d’autre part, que, à supposer même que la requérante ne parvienne pas à démontrer que la Décision eût été différente en l’absence de ladite irrégularité, le recours prévu à l’article 288, deuxième alinéa, CE permet à celle-ci, le cas échéant, de réclamer réparation du dommage causé par la Communauté de ce fait.
425 Dès lors, il n’y a pas lieu de considérer que le principe de la protection juridictionnelle effective s’oppose à l’exigence selon laquelle, en présence d’une irrégularité du type de celle alléguée en l’espèce, il appartient à la requérante, pour justifier l’annulation de la Décision, de démontrer qu’en l’absence de cette irrégularité le contenu en aurait été différent.
426 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré d’une violation du secret professionnel, du principe de bonne administration et de la présomption d’innocence doit être rejeté.
Conclusion
427 Conformément au point 254 ci-dessus, le Tribunal considère qu’il y a lieu de ramener de 35 à 30 millions d’euros le montant de base de l’amende calculé en fonction de la gravité de l’infraction de la requérante. Conformément au point 343 ci-dessus, ce montant doit être majoré, à l’égard de la requérante, de 80 % afin d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, pour atteindre 54 millions d’euros.
428 En outre, il a été constaté que la Commission avait correctement établi la durée de l’infraction, laquelle justifie une majoration de 125 % de ce montant. Enfin, il convient de prendre en compte la réduction de 25 % de l’amende que la Commission a accordée à la requérante en application du titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération.
429 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de réduire le montant de l’amende infligée à la requérante pour le porter à 91 125 000 euros.
Sur les dépens
430 Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions, étant entendu que, conformément à l’article 87, paragraphe 4, dudit règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le recours n’ayant été que partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que 75 % des dépens exposés par la Commission, et que la Commission supportera 25 % de ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) Le montant de l’amende infligée à la requérante à l’article 3 de la décision 2003/674/CE de la Commission, du 2 juillet 2002, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord sur l’EEE (affaire C.37.519 – Méthionine), est ramené à 91 125 000 euros.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La requérante supportera ses propres dépens et 75 % des dépens exposés par la Commission.
4) La Commission supportera 25 % de ses propres dépens.
5) Le Conseil supportera ses propres dépens.