Vu la requête, enregistrée le 9 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. Frédéric A, vice-président au tribunal de grande instance d’Albertville, à Albertville (73203 cedex) ; M. A demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 décembre 2004 par laquelle le premier président de la cour d’appel de Chambéry a fixé à 8,54% le taux d’attribution individuelle de sa prime modulable à compter du 1er janvier 2005, ensemble le rejet opposé le 7 mars 2005 à son recours gracieux dirigé contre cette décision ;
2°) d’annuler pour excès de pouvoir la note d’information du 23 juillet 2004 du premier président de la cour d’appel de Chambéry ;
3°) d’annuler pour excès de pouvoir les arrêtés interministériels des 26 décembre 2003 et 17 septembre 2004, pris pour l’application du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire ;
4°) de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu le décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Olivier Henrard, Auditeur,
– les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le Syndicat de la magistrature a intérêt à l’annulation de la décision attaquée ; qu’ainsi, son intervention est recevable ;
Considérant que le décret du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire prévoit, à son article 1er, qu’une indemnité peut être allouée aux magistrats de l’ordre judiciaire exerçant leurs fonctions en juridiction ; que cette indemnité, destinée à rémunérer l’importance et la valeur des services rendus et à tenir compte des sujétions afférentes à l’exercice de leurs fonctions, comprend notamment une prime modulable attribuée, en vertu de l’article 3 du décret, « en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l’institution judiciaire » ; que l’article 7 du décret précise que « La prime modulable est calculée en pourcentage du traitement indiciaire brut. Elle est versée mensuellement./ Le montant des crédits disponibles au titre de la prime modulable pour les magistrats du siège, d’une part, et du parquet, d’autre part (…), est déterminé par application d’un taux moyen à la masse des traitements indiciaires des magistrats concernés./ Le taux d’attribution individuelle de la prime modulable est fixé:/ – pour les magistrats exerçant en juridiction, (…) par le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal supérieur d’appel pour chaque magistrat du siège de leur ressort (…) sur proposition du chef de juridiction sous l’autorité duquel est placé le magistrat pour ceux qui sont affectés dans une juridiction du premier degré (…) » ; que l’arrêté interministériel du 17 septembre 2004, pris pour l’application de ce décret et applicable à la prime modulable attribuée au titre du quatrième trimestre 2004, précise à son article 2 : « Le taux moyen de la prime modulable (…) est fixé à 8 %./ Le taux maximal d’attribution individuelle de cette prime est fixé à 15 % (…) » ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
Considérant que si le requérant, à l’occasion du recours gracieux formé contre la décision attaquée du 24 décembre 2004, a demandé au premier président de lui attribuer un taux de prime de 8 %, inférieur au taux contesté de 8,54%, cette circonstance n’a pas eu en elle-même pour effet de le priver d’intérêt lui donnant qualité pour agir à l’encontre de cette décision ; qu’il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice, doit être écartée ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation dirigées contre les arrêtés interministériels des 26 décembre 2003 et 17 septembre 2004 :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » ; qu’il ressort des pièces du dossier que les arrêtés interministériels attaqués des 26 décembre 2003 et 17 septembre 2004 ont été respectivement publiés les 30 décembre 2003 et 22 septembre 2004 au Journal officiel ; que la requête n’a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’État que le 9 mai 2005 ; que, dès lors, les conclusions aux fins d’annulation dirigées contre ces arrêtés ont été présentées tardivement et ne sont, par suite, pas recevables ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation dirigées contre la note d’information du 23 juillet 2004 :
Considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en oeuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en faisant connaître, par avance, les aspects de la contribution au bon fonctionnement du service public de la justice qu’il entendait plus particulièrement prendre en compte à l’occasion de la fixation des taux individuels de prime des magistrats de son ressort, le premier président de la cour d’appel n’a fixé aucune règle impérative ; que, dès lors, les conclusions aux fins d’annulation dirigées contre cette note sont manifestement irrecevables et ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation dirigées contre la décision du 24 décembre 2004 du premier président de la cour d’appel de Chambéry et le rejet opposé le 7 mars 2005 au recours gracieux dirigé contre cette décision :
Considérant que le requérant, vice-président au tribunal de grande instance d’Albertville, demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 décembre 2004, par laquelle le premier président de la cour d’appel de Chambéry a fixé à 8,54% le taux d’attribution individuelle de sa prime modulable à compter du 1er janvier 2005, ensemble le rejet opposé le 7 mars 2005 à son recours gracieux dirigé contre cette décision ;
Considérant qu’il ressort des termes mêmes du décret précité du 26 décembre 2003 que l’attribution de la prime modulable ne peut être légalement fondée que sur l’appréciation de la qualité et de la quantité du travail fourni par un magistrat et, de manière générale, de sa contribution au bon fonctionnement du service public de la justice ; que si la faible ancienneté d’un magistrat peut expliquer, en raison de sa moindre expérience, une contribution moins importante au bon fonctionnement de la juridiction, tant sur le plan qualitatif que sur le plan quantitatif, la durée des fonctions exercées ne révèle rien, par elle-même, de la qualité et de la quantité du travail fourni ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de sa « note d’information » diffusée le 23 juillet 2004, que le premier président a retenu, au titre des éléments pris en compte pour déterminer le taux de prime alloué au requérant son ancienneté dans ses fonctions, indépendamment de sa contribution au bon fonctionnement du tribunal ; qu’ainsi le premier président a fait une inexacte application du décret du 26 décembre 2003 ; que le requérant est, par suite, fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, à demander l’annulation des décisions attaquées ;
Sur les conclusions aux fins d’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, sur le fondement de ces dispositions, de mettre à la charge de l’État le paiement à M. A de la somme de 2 000 euros au titre des frais que celui-ci a exposés et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, doivent être rejetées les conclusions présentées par le garde des sceaux, ministre de la justice, tendant au bénéfice des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’intervention du Syndicat de la magistrature est admise.
Article 2 : Les décisions en date des 24 décembre 2004 et 7 mai 2005 du premier président de la cour d’appel de Chambéry sont annulées.
Article 3 : L’Etat versera à M. A la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le garde des sceaux, ministre de la justice, aux fins d’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Frédéric A, au Syndicat de la magistrature et au garde des sceaux, ministre de la justice.