Les faits à l’origine de cette décision sont des plus élémentaires. Se fondant sur les dispositions de la loi portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public (Loi numéro 78-753, 17 juillet 1978, JO 18 juillet 1978, p. 2851), une association demande la communication de documents auprès d’une personne privée. Or les dispositions de l’article 2 de ladite loi limite son champ d’application aux seuls organismes privés gérant un service public. Pour répondre à cette question, il fallait au préalable déterminer la nature de l’activité exercée par l’association visée.
Par cette décision, le Conseil d’État invite à distinguer trois situations suivant une méthode très détaillée.
Soit le législateur a, explicitement ou implicitement, décerné ou dénié à l’activité le « label » de service public. En ce cas, la tâche du juge administratif se borne simplement à constater l’intention du législateur. Elle s’impose à lui. À l’inverse, si l’activité est qualifiée de service public par un règlement, le juge administratif pourra toujours procéder à sa requalification.
Souvent, le silence du législateur contraint le juge à qualifier lui-même l’activité exercée par l’organisme privé. À cet égard, l’arrêt A.P.R.E.I. vient perfectionner la méthode jurisprudentielle d’identification d’une service public assuré par un organisme privé en distinguant deux situations auxquelles correspondent deux faisceaux d’indices : soit l’organisme privé dispose de prérogatives de puissance publique, soit il n’en détient pas.
En tout état de cause, l’activité doit obligatoirement être d’intérêt général. Peu importe les situations, cet indice est toujours nécessaire mais non suffisant. Il ne peut exister de service public sans activité d’intérêt général même si le juge ne le précise pas explicitement (solution positive : CE Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire Aide et protection : rec. 417 ; solution négative : CE Sect., 27 octobre 1999, Rolin, requête numéro 171169, rec. 327). Dès lors, l’inexistence d’une activité d’intérêt général conduit le juge à refuser la qualification de service public.
En admettant cette première étape satisfaite, le juge examine alors si l’organisme détient ou non des prérogatives de puissance publique. Cette seconde étape aiguille l’identification. Dans l’affirmative, la jurisprudence Narcy (CE Sect., 28 juin 1963, Narcy, requête numéro 4383 : rec. 401) s’applique : « une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public » (jurisprudence constante : TC, 5 juillet 1982, Nicolet, requête numéro 02235 : rec. t. 565).
Dans la négative, le juge adopte un second faisceau d’indices pour identifier le service assumé par une personne privée « eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectif qui lui sont assignés sont atteints ». Il permet de remédier en partie aux lacunes résultant de la jurisprudence Ville de Melun sur ce point (CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun et association Melun culture loisirs c/ Vivien, requête numéro 69867 : rec. p. 220) et constitue la réelle novation de l’arrêt A.P.R.E.I.
Cet ensemble d’indices dégagés par le juge va lui permettre de s’assurer de l’emprise de l’Administration sur l’activité d’intérêt général. D’une part, il peut s’agir des conditions de création, d’organisation ou de fonctionnement de l’organisme. Le juge administratif ne considère visiblement pas ces indices comme cumulatifs, non plus qu’il ne semble les hiérarchiser. Toutefois, la qualification est naturellement plus aisée lorsqu’ils convergent (CE Sect., 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, requête numéro 284736). D’autre part, il peut aussi s’agir des obligations qui pèsent sur la personne privée. Enfin, l’arrêt mentionne des mesures de vérification qui ne sont pas sans rappeler le contrôle de l’Administration déjà présent dans la jurisprudence Narcy. Par conséquent, le juge refuse la qualité de service public en raison notamment de l’absence d’obligation imposée par une commune et de « contrôle objectif » (CE, 5 octobre 2007, Soc. UGC-Ciné-Cité, requête numéro 298773).
Si la méthode paraît clairement établie, la solution de l’espèce peut déconcerter. Après avoir relevé la présence d’une activité d’intérêt général et en l’absence de prérogatives de puissance publique, le Conseil d’État met en œuvre le second faisceau d’indices. Il relève l’existence d’une autorisation donnée discrétionnairement par l’autorité compétente et l’obligation d’accueil qui pèse sur l’organisme privé. Pourtant, au lieu de considérer l’insuffisance de ces indices pour marquer l’emprise de l’Administration ou de conclure à l’existence d’un service public, le juge conclut, de manière assez illogique, que le législateur a entendu dénier à cette activité la qualité de service public.
L’arrêt A.P.R.E.I. fournit un « mode d’emploi » en clair-obscur. Certes, il satisfait en dissociant le service public de la détention de prérogatives de puissance publique par les personnes privées. Mais il dilue et multiplie les indices, rendant moins certaine la méthode d’identification du service public géré par une personne privée.