Contexte : Loin d’être toujours un événement, la naissance d’un enfant peut être, comme l’illustre cet arrêt d’espèce rendu le 16 janvier 2013, à l’origine d’une situation dramatique lorsqu’une faute est commise dans le choix de l’anesthésie de la parturiente.
Litige : Le 19 juillet 2005, une femme enceinte d’environ huit mois est hospitalisée en raison de signes de pré-éclampsie. Le gynécologue obstétricien décide de déclencher le travail et une anesthésie péridurale est mise en place par le médecin anesthésiste. A la suite de signes de souffrance fœtale aigüe, le gynécologue obstétricien décide de pratiquer une césarienne et pose une rachianesthésie. L’enfant est extrait en état de mort apparente mais a pu être réanimé sans séquelle. En revanche, la mère a présenté un arrêt cardio-respiratoire et atteinte d’encéphalopathie de type anoxique, elle a conservé de très lourdes séquelles. Ses proches ont demandé réparation, tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de tuteurs, en recourant à la procédure amiable d’indemnisation. Celle-ci n’a pas abouti car l’ONIAM a refusé de se substituer à l’assureur défaillant. Devant les juges du fond, ils ont recherché la responsabilité de l’anesthésiste ayant posé la rachianesthésie et celle de l’hôpital privé. L’anesthésiste et son assureur ont appelé en garantie le gynécologue obstétricien. La Cour d’appel de Paris a condamné in solidum l’anesthésiste et son assureur et les a déboutés de leur appel en garantie dirigé contre le gynécologue-obstétricien.
Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’anesthésiste et de son assureur en approuvant les juges du fond d’avoir retenu d’une part, que l’anesthésiste avait commis des fautes en rapport de causalité avec l’accident survenu et, d’autre part, que le choix de la rachianesthésie, au lieu d’une anesthésie générale moins risquée, lui étant entièrement imputable, son appel à garantie contre le gynécologue et l’hôpital privé doit être rejeté.
Analyse : La Cour de cassation a été amenée à examiner le comportement de deux praticiens et celui de l’hôpital privé.
♦ S’agissant de l’anesthésiste-réanimateur, ses fautes ont été clairement mises en évidence par les rapports d’expertise qui ont constaté qu’il avait pratiqué une rachianesthésie à la suite d’une anesthésie péridurale « en contradiction avec les bonnes pratiques de sa spécialité » et qu’il avait « effectué une ponction à un niveau du rachis trop élevé et avait utilisé une dose de produit supérieure à la dose recommandée ».
En revanche, le lien causal était affirmé avec moins de certitude puisque les juges du fond ont relevé que ces choix « expliquaient de façon scientifique et objective la survenue d’une rachianesthésie totale, et que celle-ci apparaissait, selon les experts, être la cause la plus probable de l’accident être la cause la plus probable de l’accident cardio-circulatoire, tandis que la seule autre explication, la survenue d’une embolie amniotique, était une hypothèse imprévisible, exceptionnelle et considérée par les experts comme étant la moins probable ».
Pour la première chambre civile, « de ces constatations et appréciations, constitutives de présomptions graves, précises et concordantes, elle a pu déduire le lien de causalité entre les manquements reprochés à (l’anesthésiste) et l’accident survenu ».
En statuant ainsi, la Cour de cassation rappelle que le droit se montre moins exigeant que la science. Un lien causal peut, sans être scientifiquement indiscutable, être juridiquement déduit par le juge de la constatation de présomptions graves, précis et concordants en application de l’article 1353 du Code civil.
♦ S’agissant du gynécologue-obstétricien et de l’hôpital privé, aucune faute n’a été relevée à leur encontre au stade de la prise en charge de la patiente à la suite de son arrêt cardio-respiratoire.
La première chambre civile a jugé que l’anesthésiste ne saurait prétendre que « la sage-femme n’eussent pas donné l’alerte en temps voulu sur l’état de (la patiente), que c’est à lui qu’il appartenait d’appeler en temps opportun les deux anesthésistes présents dans l’établissement de soins, ce qu’il avait pu faire, que dès lors que ces deux praticiens l’avaient assisté afin de procéder à la réanimation de la patiente, rien ne justifiait qu’il n’eût pas été fait appel à l’un d’eux pour que la mère reste sous la surveillance constante d’un anesthésiste pendant la réanimation de l’enfant, et que le choix de la rachianesthésie, quand une anesthésie générale, moins risquée aurait pu être pratiquée dans la salle où avait lieu l’intervention, était entièrement imputable à (l’anesthésiste), la cour d’appel a pu estimer que ni l’établissement, ni (le gynécologue obstétricien) n’avaient commis de faute en relation avec le dommage et qu’ils devaient être mis hors de cause ».
Ces motifs rappellent implicitement que l’anesthésie n’est plus pratiquée par une personne non formée ou même par une infirmière spécialisée placée sous la responsabilité d’un médecin. Il s’agit d’une spécialité médicale à part entière exercée par un médecin anesthésiste-réanimateur qui doit, en contrepartie de l’indépendance inaliénable dont il jouit dans l’exercice, supporter les conséquences juridiques de ses actes fautifs.