Contexte : Par cette décision rendue le 20 mars 2013, la Cour de cassation confirme son récent revirement de jurisprudence aux termes duquel elle subordonne désormais la responsabilité des chirurgiens du fait d’une prothèse à la preuve d’une faute.
Litige : Souffrant d’un déchaussement parodontal, une patiente est soignée pendant de nombreuses années. A partir de 1988 jusqu’en décembre 2002, son chirurgien-dentiste ne pratique que des soins de « maintenance » destinés à stabiliser sa pathologie. Le 27 décembre 2002, il soumet un devis à la patiente et met en place un appareillage dentaire. Se plaignant de la persistance des douleurs, elle assigne la praticien en lui reprochant de ne pas avoir prodigué des soins dans les règles de l’art. Elle est déboutée en première instance, puis par la cour d’appel de Paris de sa demande en réparation de ses préjudices. Elle forme un pourvoi en cassation en reprochant à la cour d’appel d’avoir privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil en se bornant à retenir, pour écarter sa demande, l’absence de faute du chirurgien-dentiste dans le choix du traitement proposé et la qualité des soins dispensés, « sans rechercher, comme il lui était demandé, si les prothèses litigieuses fournies par ce dernier étaient aptes à rendre à Mme X… le service qu’elle pouvait légitimement en attendre ».
Solution : La première chambre civile rejette le pourvoi en jugeant :
« qu’ayant constaté que les prestations de M. Y…, qui comprenaient la conception et la délivrance d’un appareillage, étaient opportunes, adaptées et nécessaires eu égard à la pathologie de Mme X…, que les soins avaient été dispensés dans les règles de l’art en fonction de la difficulté particulière du cas de la patiente et que les résultats obtenus correspondaient au pronostic qu’il était raisonnable d’envisager, la cour d’appel a, par ces motifs, exclusifs d’une faute quelconque imputable à M. Y…, légalement justifié sa décision».
Analyse : Par cette décision, la première chambre civile confirme le revirement de jurisprudence opéré par son arrêt du 12 juillet 2012, lorsqu’elle a jugé que le chirurgien qui implante une prothèse défectueuse n’est responsable qu’en cas de faute (Cass. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510, à paraître au bulletin : Resp. civ. et assur. 2012, comm. 314 et étude 8 par S. Hocquet-Berg ; D. 2012, p. 2277, note M. Bacache ; JCP G 2012, n° 40, p. 1036, note P. Sargos ; RTD civ. 2012, p. 737, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 26-27 sept. 2012, obs. M. Mekki).
La règle est ici appliquée à un chirurgien-dentiste dont la responsabilité était jusqu’alors engagée de plein droit en tant que fournisseur de prothèse. La Cour de cassation retenait, en effet, que le chirurgien-dentiste est, en vertu du contrat le liant à son patient, tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu’il peut légitimement en attendre, une telle obligation, incluant la conception et la confection de cet appareillage, est de résultat (Cass. 1re civ., 23 nov. 2004, n° 03-12.146 : Bull. civ. 2004, I, n° 286 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 6 et 24 ; RTD civ. 2005, p. 139, obs. P. Jourdain).
Désormais, quelle que soit l’origine du dommage, la responsabilité de tout professionnel de santé, y compris le chirurgien-dentiste, est toujours subordonnée à la preuve d’une faute en cas de dommages causés par un produit de santé. Cette règle, qui simplifie indiscutablement le régime de responsabilité applicable aux professionnels de santé, est perçue comme une régression des droits des patients puisqu’il limite indiscutablement leurs possibilités d’obtenir réparation (En ce sens, M. Bacache, D. 2012, p. 2277 ; P. Sargos, JCP G 2012, n° 40, p. 1036).
Elle s’explique par le renvoi implicite opéré par l’article L. 1142-1, I, du code de la santé publique aux règles des articles 1386-1 et suivants du code santé qui, selon les termes impératifs de la directive du 25 juillet 1985, limitent le domaine d’application de la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux aux seuls producteurs, c’est-à-dire fabricants. Lorsque le professionnel de santé n’est qu’un utilisateur, ou comme ici un simple fournisseur de prothèse, le patient ne peut agir à son encontre qu’à la condition de rapporter la preuve de sa faute dans la réalisation de soins. Si cette preuve ne peut être rapportée, il doit agir contre le fabricant de l’appareillage dentaire à condition toutefois de rapporter la preuve de son défaut au sens de l’article 1386-4 du code civil.