Le Conseil d’Etat a rendu le 10 février 2014 une très intéressante décision.
Madame A, vivant dans une petite maison à flanc de côte sur le ban de la commune de Plan-de-Cuques dans les Bouches-du-Rhône avait subi plusieurs inondations en 2004 et 2005.
Ces inondations, qui avaient causé d’importants dommages à la maison d’habitation de Madame A…, étaient causées par des ruptures du réseau d’alimentation en eau potable appartenant à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole. Le dommage étant un dommage de travaux publics, la responsabilité sans faute de la communauté urbaine de Marseille était recherchée.
Le Tribunal administratif de Marseille reconnaissait la responsabilité de la communauté en la limitant à 30% en raison semble-t-il de la très mauvaise qualité constructive de la maison victime de l’inondation. Les désordres causés par l’inondation auraient été amplifiés par la mauvaise qualité de la maison touchée.
Sur appel de Madame A…, le président de la CAA de Marseille renvoie au Conseil d’Etat, juge de cassation des jugements rendus à juge unique sur les demandes indemnitaires de moins de 10.000 €.
La décision du Conseil d’Etat est intéressante à un double titre. En premier lieu, mais ce n’est pas pour cela qu’elle sera publiée au recueil, le Conseil rappelle les modalités de calcul des seuils à partir desquels une demande indemnitaire sera jugée en formation collégiale et pourra faire l’objet d’un appel (A).
En second lieu et c’est là l’apport le plus important, le Conseil pose pour principe que la mauvaise qualité du procédé constructif de la maison ne ne constitue pas une faute de la victime exonératoire de responsabilité (B).
A./ Une demande indemnitaire complémentaire n’est pas une demande accessoire
Afin de sauver la juridiction administrative menacée par l’encombrement du contentieux de masse, un nombre croissant d’affaires ne sont plus jugées en formation collégiale par les tribunaux administratifs (art. R. 222-13 CJA) et ne sont plus susceptibles d’appel (art. R. 811-1 CJA).
Ainsi en va-t-il des réclamations indemnitaires dont le montant est inférieur à un certain seuil (actuellement 10.000 €; art. R. 222-14 CJA). Le seuil est évalué au vu de la requête introductive d’instance (art. R. 222-15).
Lorsque la requête introductive d’instance n’est pas chiffrée, le juge ne peut pas considérée qu’elle porte une demande supérieure au seuil prévu, à moins qu’elle comporte une demande d’expertise avant-dire droit (Conseil d’Etat, Section, 5 mai 2006, Commune de la Jaudonnière, requête numéro 280223).
Pour la détermination du montant de la réclamation initiale, le juge administratif prend en compte la demande jugée principale, et les demandes dites accessoires, incidentes ou reconventionnelles.
En l’espèce la requête introductive portant une demande principale de moins de 4.000 €, le jugement a été rendu en premier et dernier ressort. Peu importe à cet égard que la demande indemnitaire initiale ait été ensuite augmentée pour prendre en compte une aggravation du préjudice. Le code de justice administrative fait en effet référence à la requête introductive d’instance dont le montant global seul détermine le seuil pris en compte.
Le Conseil d’Etat, dans la décision rapportée, précise que l’augmentation de la demande indemnitaire ne constitue pas une demande accessoire au sens de l’alinéa 2 de l’article R. 222-15 CJA.
Notons enfin que le Conseil était saisi par une ordonnance de renvoi du président de la Cour administrative d’appel de Marseille, elle-même saisie par voie d’appel. Une CAA, saisie à tort d’un appel alors que seul était possible un pourvoi en cassation contre le jugement rendu en premier et dernier ressort doit en effet renvoyer l’affaire, en application de l’article R. 351-4 du code de justice administrative. Une ordonnance d’un président de CAA déclarant la requête en appel irrecevable et manifestement insusceptible d’être couverte en cours d’instance est annulée par le Conseil d’Etat qui peut être saisi à la fois d’un pourvoi en cassation contre le jugement du TA et l’ordonnance de la CAA (Conseil d’Etat, Section, 18 juillet 2006, Société Darty Alsace Lorraine, requête numéro 267894, publié au recueil).
B./ Dommages de travaux publics et faute de la victime
Mais l’intérêt essentiel de la décision rapportée est de rappeler les causes d’exonération de la responsabilité sans faute de l’administration.
En l’espèce, la requérante cherchait à être indemnisée du préjudice par elle subi du fait de dommages causés à sa maison par des inondation causées par le fonctionnement d’un ouvrage public.
Le juge administratif identifie sans difficiluté le fait générateur (la rupture de canalisations d’eau), le lien de causalité et le préjudice. Mais même lorsque ces trois conditions sont remplies, le lien de causalité peut être altéré ou disparaître pour deux séries de raisons : la faute de la victime ou une cause étrangère au rang desquelles le fait du tiers et la force majeure (v. TIFINE (Pierre), Droit administratif français, Partie VI, Chapitre 3: Conditions d’engagement de la responsabilité de l’administration).
Ici, la requérante étant un tiers par rapport à l’ouvrage public, elle bénéficie d’un régime de responsabilité sans faute en raison du caractère anormal et spécial du préjudice.
Le régime de la responsabilité sans faute diminue le nombre de cas dans lesquels une cause exonératoire de responsabilité peut être invoquée. Si la force majeure ou la faute de la victime peuvent être invoquées (Conseil d’Etat, SSR., 21 mai 2008, Valois, requête numéro 276357) ce n’est en principe pas le cas du fait du tiers (Conseil d’Etat, SSR., 31 juillet 1996, Fonds de garantie automobile, requête numéro 129158, rec. p. 337)
En l’espèce, le tribunal administratif avait considéré que « la circonstance que les infiltrations en litige auraient pour origine le mauvais état de construction de la villa atténue l’engagement de la responsabilité de la communauté urbaine à l’égard de Mme CHAVENT ; qu’il suit de là que la communauté urbaine Marseille Provence Métropole doit être condamnée à indemniser Mme C., tiers par rapport à l’ouvrage public dont elle devait assurer l’entretien, à concurrence de 30% »
En d’autres termes, le premier juge considérait que la mauvaise qualité de la construction, ayant participé à l’étendue du préjudice, constituait une faute de la victime.
Ce raisonnement est rejeté par le Conseil d’Etat, qui établit dans un beau considérant de principe :
5. Considérant que le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; qu’il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure ; que, dans le cas d’un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l’ouvrage, sauf lorsqu’elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime ; qu’en dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable ;
Le procédé constructif d’un ouvrage ne peut pas être considéré en lui-même comme une faute de la victime, sauf si elle a elle-même participé à la fragilisation de l’ouvrage (par un défaut d »entretien par exemple). La vulnérabilité intrinsèque de l’ouvrage n’aura un éventuel impact que sur le montant du préjudice subi : réparer un petit pavillon est moins onéreux que de réparer une maison de maître.
En d’autres termes, et c’est heureux, même si l’eau s’est infiltrée parce que l’ouvrage était de mauvaise qualité, et ne se serait pas infiltrée ou pas autant dans une maison en pierre de taille par exemple, cette circonstance est sans emport sur la détermination des responsabilités : on a le droit d’être indemnisé de son entier préjudice, même quand on est pauvre.
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