Lors de l’examen d’une demande d’avis en matière d’asile, le Conseil d’Etat saisit l’occasion de clarifier les conséquences de l’illégalité d’un acte sur d’autres actes liés à ce dernier.
En particulier, le Conseil devait examiner les conséquences du défaut de remise du document d’information sur les droits et obligations du demandeur d’asile prévue à l’article R. 741-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). En effet, ce document est important lorsque le demandeur d’asile s’adresse à la préfecture pour obtenir un titre d’admission provisoire au séjour (APS). En cas de refus, la procédure prioritaire d’examen de la demande d’asile peut être mise en œuvre, ce qui signifie que le préfet peut prendre les décisions lui refusant le séjour et l’obligeant à quitter le territoire français avant que la Cour nationale du droit d’asile, en cas de recours formé devant elle contre la décision négative de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA), n’ait statué sur ce recours. Le Conseil rappelle que de telles décisions du préfet ne peuvent légalement être prises en l’absence de décision initiale refusant l’admission provisoire au séjour.
A titre préliminaire, le Conseil s’attache à préciser que la remise du document conformément à l’article R. 741-2 du CESEDA constitue une garantie pour le demandeur d’asile, car il permet à l’intéressé de présenter utilement sa demande aux autorités compétentes. Le défaut de remise fait, par ailleurs, obstacle au déclenchement du délai de 21 jours dont dispose l’intéressé pour déposer sa demande d’asile à l’OFPRA (Conseil d’Etat, Avis, 1er février 2013, requête numéro 363581). Ces dispositions constituent en effet la transposition de la directive 2005/85 qui vise à garantir le droit à un recours effectif en cas de procédure accélérée ou prioritaire (CJUE, 28 juillet 2011, Samba Diouf, C-69/10). Le Conseil analyse donc l’omission de cette remise à la lumière de sa jurisprudence Danthony (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, requête numéro 335033), qui invite le juge de l’excès de pouvoir à apprécier si l’intéressé a été, en l’espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de cette décision. Le Conseil d’Etat a déjà admis, en effet, que l’absence complète d’une formalité permet de ne pas annuler l’acte (Conseil d’Etat, SSR., 19 juin 2013, Fédération professionnelle des entreprises du sport et des loisirs, requête numéro 352898). Même en cas de défaut de remise de ce document, il pourra être considéré que l’étranger a été informé par d’autres moyens. En cas d’annulation, le juge ne doit pas nécessairement enjoindre au préfet de délivrer une APS, mais seulement d’informer l’étranger conformément à l’article R. 741-2 du CESEDA et de réexaminer la demande de l’intéressé tendant à son admission provisoire au séjour au titre de l’asile.
Les conséquences de l’illégalité du refus d’APS sur les décisions préfectorales successives permettent au Conseil d’Etat d’illustrer l’alternative qui s’ouvre entre l’exception d’illégalité, qui répond à des règles partiellement différentes pour les actes réglementaires et les actes non réglementaires (I) et l’annulation par voie de conséquence, pour laquelle le juge dispose d’un pouvoir spécifique (II).
I. Le maintien de conditions restrictives pour l’exception d’illégalité
L’exception d’illégalité peut être invoquée dans des circonstances qui sont communes à tous les actes administratifs (A). Son régime, en revanche, varie selon la nature des actes (B).
A. L’unification des conditions de fond
L’exception d’illégalité, qui est apparue dans la jurisprudence administrative au début du XXème siècle (CE, 24 janvier 1902, n° 10, Rec. p. 44), permet d’invoquer l’illégalité d’un acte à l’appui du recours contre l’acte contesté. Comme le rappelait Xavier Domino dans ses nouvelles fonctions de rapporteur public, la jurisprudence avait exigé une plus grande rigueur concernant la possibilité d’exciper de l’illégalité d’un acte règlementaire, pour des raisons de sécurité juridique, alors que les actes individuels étaient soumis à une jurisprudence empirique. Pour les actes réglementaires, le juge administratif exigeait que l’acte attaqué constituât « une mesure d’application de celle dont l’illégalité est invoquée par voie d’exception et où sa légalité est subordonnée à celle du premier texte » (Conseil d’Etat, Section, 10 février 1967, Société des établissements Petitjean et autres, requête numéro 59125, 59126 et 59329, Rec. p. 63). L’exception d’illégalité constitue un instrument de grand intérêt pour le justiciable, parce que l’acte dont la légalité est subordonnée à la mesure réglementaire est annulé pour défaut de base juridique, l’administrions ne pouvant plus utiliser cet acte réglementaire pour l’adoption d’actes ultérieurs.
Dans cet avis du 30 décembre 2013, le Conseil d’Etat reprend la solution de l’arrêt Sodemel, par lequel il a opéré une réunification du droit relatif à l’exception d’illégalité (Conseil d’Etat, Section, 11 juillet 2011, Société d’équipement du département de Maine-et-Loire Sodemel et ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration (SODEMEL), requête numéro 320735 et 320854, Rec. p. 346) :
« L’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l’application du premier acte ou s’il en constitue la base légale ».
Si l’exception d’illégalité d’un acte administratif, réglementaire ou non, répond au même principe, les conséquences de l’expiration du délai contentieux n’ont pas les mêmes conséquences selon la nature de l’acte dont l’illégalité est invoquée.
B. La distinction relative au délai
La distinction entre actes réglementaires et actes non réglementaires retrouve sa pertinence s’agissant du moment auquel l’exception est soulevée.
« S’agissant d’un acte réglementaire, une telle exception peut être formée à toute époque, même après l’expiration du délai du recours contentieux contre cet acte. S’agissant d’un acte non réglementaire, l’exception n’est, en revanche, recevable que si l’acte n’est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l’acte et la décision ultérieure constituant les éléments d’une même opération complexe, l’illégalité dont l’acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte ».
C’est sur le terrain de l’opération complexe que se joue la possibilité d’exciper l’illégalité d’un acte non réglementaire après l’expiration du délai contentieux. Font partie d’une opération complexe les actes qui, « en raison de leurs liens étroits, forment une série de décisions successives indispensables pour permettre l’édiction de la mesure finale » (P.-L. Frier, J. Petit, Droit administratif, Montchrestien, 7ème éd., 2012, p. 505). Selon le rapporteur public, cette voie aurait pu être entreprise en l’espèce, car les demandes d’asile débouchent toujours sur une question de droit au séjour, alors que le droit français est excessivement cloisonné parmi différentes phases. On aurait pu considérer qu’on est ici face à une « procédure administrative complexe », mais cela aurait signifié faire preuve d’une très grande inventivité jurisprudentielle, en introduisant une nouvelle catégorie dans la jurisprudence, alors qu’une réforme de l’asile est actuellement à l’étude du Gouvernement. Pour cette raison, dans cet avis, la qualification d’opération complexe est écartée, et avec elle l’application des règles sur l’exception d’illégalité : « Les décisions par lesquelles le préfet refuse, en fin de procédure, le séjour à l’étranger dont la demande d’asile a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l’oblige à quitter le territoire français ne sont pas prises pour l’application de la décision par laquelle le préfet statue, en début de procédure, sur l’admission provisoire au séjour. La décision prise sur l’admission au séjour ne constitue pas davantage la base légale du refus de séjour et de l’obligation de quitter le territoire français ».
C’est sur le terrain de l’annulation par voie de conséquence que cette question mérite d’être examinée.
II. Un cadre pragmatique pour l’annulation par voie de conséquence
Dans cet avis contentieux du 30 décembre 2013, le Conseil d’Etat précise les circonstances dans lesquelles un acte peut être annulé par voie de conséquence de l’annulation d’un autre acte (A). Cette annulation par voie de conséquence devrait constituer un instrument efficace, mais sans entraîner une fragilisation excessive des actes administratifs (B).
A. Un rapprochement, mais pas d’identité par rapport à l’exception d’illégalité
La jurisprudence du Conseil d’Etat avait commencé à opérer un alignement des conditions requises pour annuler un acte par voie de conséquence de l’illégalité d’un acte antérieur sur celles requises pour faire droit à une exception d’illégalité aux termes de la jurisprudence Sodemel. En particulier, elle avait pris soin de vérifier si le deuxième acte constituait une mesure d’application du premier, et en particulier si l’annulation du premier aurait pu avoir d’effet sur l’acte attaqué, ou si le premier acte en constituait la base légale (Conseil d’Etat, SSR., 20 mars 2013, Société d’aménagement de Lot-et-Garonne et syndicat mixte de développement économique du marmandais, requête numéro 351101, à mentionner aux Tables). Dans un arrêt antérieur, elle avait même exigé le cumul de la condition tenant à ce que le premier acte soit la base légale de l’acte attaqué et que ce dernier en constitue une mesure d’application (Conseil d’Etat, SSR., 26 juillet 2011, Garde des sceaux, ministre de la justice, requête numéro 328535).
En réalité, l’annulation par voie de conséquence a des possibilités d’intervention plus larges que l’exception d’illégalité, car elle est empreinte d’un plus grand pragmatisme, fondé sur la causalité adéquate et la divisibilité des actes. En suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’Etat accepte donc de subordonner l’annulation par voie de conséquence à la condition que l’acte annulé soit nécessaire pour l’adoption de l’acte ultérieur ou que ce lien soit avéré en l’espèce, en formulant le motif de principe suivant :
« En raison des effets qui s’y attachent, l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l’annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n’auraient pu légalement être prises en l’absence de l’acte annulé ou qui sont en l’espèce intervenues en raison de l’acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l’acte annulé et de celles dont l’acte annulé constitue la base légale ».
La possibilité d’annuler un acte par voie de conséquence ne se limite donc pas seulement aux conditions qui permettent d’invoquer l’exception d’illégalité. La mise en œuvre de ce principe devrait, à la fois, garantir l’efficacité du dispositif et éviter tout effet de contamination.
B. La recherche de l’équilibre dans la mise en œuvre
Pour la mise en œuvre du principe dégagé en matière d’annulation par voie de conséquence, le juge administratif est doté du plus redoutable des pouvoirs : il peut relever d’office le moyen « qui découle de l’autorité absolue de chose jugée qui s’attache à l’annulation du premier acte ». Le juge peut donc annuler par voie de conséquence l’ensemble des décisions appartenant à une même chaîne d’actes.
Ce pouvoir ne va pas jusqu’à fragiliser des actes pour lesquels la jurisprudence a prévu des garde-fous particuliers. Il s’agit en particulier des conséquences qui peuvent être tirées de l’illégalité d’un acte en matière de contrats et d’urbanisme. S’agissant des contrats, il est de jurisprudence constante que l’annulation d’un acte détachable n’entraîne par nécessairement l’annulation du contrat. Dans le prolongement de la jurisprudence Beziers I (Conseil d’Etat, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers (Béziers I), requête numéro 304802, rec. p. 509), le Conseil d’Etat a jugé que, en cas d’illégalité d’un acte détachable, il appartient au juge de l’exécution « soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée » (Conseil d’Etat, SSR., 21 février 2011, Société Ophrys, requête numéro 337349 et 337394, publié au recueil). Dans le même esprit, en matière d’urbanisme, il a été jugé que l’illégalité d’un document d’urbanisme n’affecte pas la validité d’un permis de construire (Conseil d’Etat, Section, 7 février 2008, Commune de Courbevoie, requête numéro 297227).
Il n va autrement en ce qui concerne l’annulation d’une mesure d’éloignement après un refus d’APS. En effet, le refus d’APS conditionne le régime juridique dans lequel l’administration se prononce. En cas d’illégalité du refus d’APS, « il incombe au juge de l’excès de pouvoir, saisi de conclusions recevables contre les décisions de refus de séjour et d’obligation de quitter le territoire français, de prononcer, en cas d’annulation du refus d’admission provisoire au séjour, l’annulation par voie de conséquence de ces décisions ».