Il serait aisé de dramatiser les conséquences de notre arrêt, qui, par une singulière fortune, se trouve en contradiction formelle avec un arrêt de la Cour de cassation, ch. crim., rendu le même jour et sur la même question (Cass. crim. 5 janv. 1924, Bull, crim., n. 11). Il vaut peut-être mieux réduire l’incident à ses justes proportions en interprétant de la façon la plus stricte les intentions du Conseil d’Etat. Ce qu’il faut éviter d’en conclure c’est que, dorénavant, les maires des communes n’auraient plus aucun pouvoir de police en ce qui concerne les situations créées par l’exploitation des services publics concédés. Cette formule trop absolue serait évidemment fausse, car le principe est que la police municipale vient toujours, dans une certaine mesure, se combiner soit avec les autres polices, soit avec les cahiers des charges des services concédés.
Il sera beaucoup plus exact de dire que notre arrêt tend à séparer, plus nettement que par le passé, deux catégories de polices, celle de l’ordre public territorial et celle des services publics.
Ce qu’il signifie avant tout, c’est que le maire de la commune n’a pas la police organique des services municipaux concédés, notamment des services d’éclairage. Il y a une police organique des chemins de fer et des tramways; elle appartient au ministre des travaux publics ou au préfet, mais en vertu de textes législatifs (LL. 15 juill. 1845; 11 juin 1880; 31 juill. 1913). Comme aucun texte de loi ne reconnaît au maire de la commune la police organique des services d’éclairage, le Conseil d’Etat en conclut que le maire n’a pas cette police.
Or, il convient de remarquer que le règlement de police annulé par notre arrêt se présentait avec les allures d’un règlement organique ; il se bornait, en effet, à assurer l’exécution des clauses du traité de concession par une prescription de police; il n’était qu’une sorte de doublure réglementaire du contrat par lequel était organisé le service; à la vérité, il avait la prétention d’ajouter aux sanctions du contrat une sanction pénale, celle de l’art. 471, n. 15, C. pén.
Mais voilà bien la contradiction. Les sanctions de l’art. 471, n. 15, C. pén., apparaissent de plus en plus comme réservées aux règlements de la police de l’ordre public et comme ne devant point être étendues à ceux de la police organique et ce, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation elle-même (Cass. crim. 6 mai 1899, S. 1901.1.381; Pand. pér., 1900.1.38; 23 mai 1901, S. 1902.1.377, et la note de M. Mestre). Les règlements organiques n’ont de sanction pénale que s’ils en ont reçu des lois spéciales qui les prévoient (V. Cass. crim. 23 mai 1901, précité, et les renvois de la note de M. Mestre). Dès lors, le règlement pris par le maire de Remiremont dans notre espèce n’étant qu’un règlement organique, ne pouvait pas être muni des sanctions de l’art. 471, n. 15, C. pén., et si le Conseil d’Etat l’a annulé c’est parce qu’il émettait la prétention d’obtenir une sanction qui ne lui était pas due, donc une prétention illégale. En un certain sens, le Conseil d’Etat ne fait que tirer les conséquences logiques de la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’interprétation restrictive de l’art. 471, n. 15, C. pén., et l’on pourrait dire que dans notre affaire il se montre plus logique que la Cour de cassation elle-même.
Mais ce n’est pas à dire que le maire d’une commune ne pourra jamais prendre aucun arrêté réglementaire concernant l’éclairage public. Il le pourra toutes les fois que son arrêté aura pour objet, non pas l’exécution du service du concessionnaire, mais une situation connexe à l’exécution de ce service et intéressant directement l’ordre public territorial, par exemple, au point de vue de la salubrité, si celle-ci était compromise par l’installation des canalisations, au point de vue de la sécurité, s’il se révélait des dangers d’incendie. De plus, au point de vue de l’éclairage proprement dit, il convient de réserver les droits du maire, en cas de circonstances exceptionnelles entraînant un grand concours de population et la possibilité pour lui d’édicter, à cette occasion, des règlements non permanents. C’est ainsi, par exemple, que, pour le jour de la fête nationale, un maire a le droit d’interdire la circulation d’un chemin de fer sur route (Cons. d’Etat, 27 janv. 1899, Comp. des chem. de fer sur routes d’Algérie, S. 1899.3.89, et la note de M. Hauriou ; cf. aussi sur les pouvoirs de police du maire en matière de tramways, Cons. d’Etat, 14 février 1908, Soc. des tramways et omnibus de Toulouse [2 arrêts], S. 1910.3.59.)
En ce qui concerne l’exécution du cahier des charges, si les sanctions contractuelles sont insuffisantes, il faudra évidemment qu’elles soient renforcées lors de la conclusion des nouveaux traités.