Le contentieux administratif français, dont on a déterminé au chapitre précédent le caractère essentiel et la portée générale, est cependant d’une nature plus complexe qu’on ne pourrait le croire si l’on s’en tenait à ce qui a été dit jusqu’à présent. Il a d’ailleurs suivi une évolution et reçu une transformation dont il n’est pas inutile de décrire l’aspect général pour achever d’exposer la transformation du droit public.
I. Formation de la jurisprudence sur le recours pour excès de pouvoir.
La conception impérialiste du droit public correspondait à la conception individualiste du droit privé. L’État était considéré comme titulaire du droit subjectif de puissance, qui se manifestait non seulement dans la loi, mais aussi dans l’activité administrative. L’individu était conçu comme titulaire en tant qu’homme d’un certain nombre de droits subjectifs se synthétisant dans les deux droits de liberté et de propriété. Ainsi se trouvaient toujours en présence l’État titulaire du droit subjectif de puissance et l’individu titulaire des droits subjectifs de liberté et de propriété. A cette liberté, à cette propriété l’État ne peut pas toucher, ou du moins ne peut toucher que dans une certaine mesure et sous certaines conditions. Dès lors, dans cette double conception du droit public et du droit privé, tout procès administratif soulève au fond cette question le droit subjectif de l’individu a-t-il été ou non atteint par l’État, par l’activité administrative au delà des limites où il peut l’être ? Dans tout procès administratif se posait donc une question de droit subjectif.
Le contentieux administratif était ainsi toujours exclusivement un contentieux subjectif, et pour l’administration, puisque pour elle se posait la question de l’étendue de son droit de puissance, et pour l’administré, puisque pour lui se posait la question de savoir si ses droits subjectifs de liberté ou de propriété avaient été violés. Tout procès devait donc aboutir à la reconnaissance d’un droit subjectif de l’administration ou de l’administré, et aboutir par conséquent à une condamnation. C’est l’idée qu’exprimait M. Ducrocq, quand il écrivait que pour qu’il y ait contentieux administratif par nature, « il faut que le litige soit suscité par un acte administratif proprement dit et que la réclamation à laquelle donne lieu l’acte administratif soit fondée sur la violation d’un droit, et non pas seulement sur la violation d’un intérêt1 ».
Or il suffit d’ouvrir le Recueil des arrêts du conseil d’État pour s’apercevoir que depuis de longues années déjà la haute assemblée rend deux catégories de décisions, qui, au simple aspect extérieur, apparaissent tout à fait différentes. Dans les unes le conseil se borne à prononcer l’annulation d’un acte administratif ou à rejeter la requête. Dans les autres le conseil prononce bien parfois l’annulation d’un acte administratif ; mais il ne s’en tient pas là ; il prononce aussi une condamnation contre le particulier ou contre l’administration. S’il y a ainsi deux catégories de jugements aussi différentes, c’est évidemment qu’il y a deux catégories de recours.
En effet depuis longtemps, suivant la terminologie reçue au conseil, on distingue le recours ordinaire aboutissant à une condamnation, et le recours pour excès de pouvoir tendant simplement à l’annulation d’un acte. Le législateur lui-même a consacré cette terminologie. A l’art. 9 de la loi du 24 mai 1872, qui a organisé le conseil d’État de la troisième République, on lit : « Le conseil d’État statue souverainement sur les recours en matière contentieuse administrative (recours ordinaires) et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formées contre les actes des diverses autorités administratives. »
Par suite des faveurs qui leur étaient faites par le décret du 2 novembre 1864 (dispense de tous frais autres que ceux de timbre et d’enregistrement, dispense du ministère d’un avocat), par suite aussi de la confiance que le conseil d’État inspire chaque jour davantage aux justiciables, les recours pour excès de pouvoir se multiplièrent. Sans doute le conseil d’État continuait de n’y voir qu’une sorte de recours subsidiaire et de subordonner sa recevabilité à cette condition que l’administré n’eût pas d’autre action. Malgré cela le nombre des recours pour excès de pouvoir augmente toujours et le conseil d’État est obligé d’abandonner la fin de non recevoir tirée de l’existence d’un recours parallèle.
Il fallut bien aussi en arriver à déterminer ce qui distinguait au fond le recours pour excès de pouvoir du recours ordinaire. Les juristes se mirent à la tâche ; mais il ne leur fut pas facile de résoudre le problème, parce qu’ils restaient dominés par la conception subjectiviste, par cette idée que tout procès suppose un droit déduit en justice. Ils n’apercevaient pas que l’extension considérable donnée au recours pour excès de pouvoir par le conseil d’État, sous la pression des faits et comme malgré lui, révélait une transformation profonde qui s’était accomplie, à l’insu des juristes souvent aveugles, et qui était caractérisée par l’élimination progressive de la double conception subjectiviste de puissance publique et de droit individuel.
On ne peut rapporter ici même le simple résumé de tout ce qui a été écrit sur le recours pour excès de pouvoir. Cependant il est impossible de passer sous silence la tentative de construction juridique de M. Laferrière, dont le livre paru en 1887 marque, on l’a déjà dit, une date dans l’évolution du droit public. M. Laferrière distinguait le contentieux de l’annulation et le contentieux de la pleine juridiction. Dans le premier, disait-il, le rôle du tribunal se borne à annuler ou à refuser d’annuler. Dans le second le tribunal peut statuer sur toutes les questions de fait et de droit ; il a la plénitude de juridiction. L’exemple type du contentieux d’annulation était pour M. Laferrière le recours pour excès de pouvoir. Quatre causes lui donnaient ouverture ; la violation d’une loi de compétence, la violation d’une loi de forme, le détournement de pouvoir et la violation d’une loi de fond. Mais dans ce dernier cas le recours pour excès de pouvoir ne pouvait être formé que par le titulaire du droit auquel avait fait grief l’acte attaqué. Enfin le recours pour excès de pouvoir était toujours une voie de droit subsidiaire2.
De tout cela M. Laferrière en réalité ne donnait point la raison. Pourquoi cette distinction entre le contentieux d’annulation et le contentieux de pleine juridiction ? Sur quel fondement repose-t-elle ? On ne le dit point. Pourquoi le recours pour excès de pouvoir est-il une voie de recours subsidiaire ? On n’en donne aucune bonne raison. Pourquoi dans certains cas le recours est-il ouvert à toute personne ayant un intérêt ? Pourquoi dans d’autres cas ne veut-on le donner qu’à celui dont un droit subjectif aurait été atteint ? A y regarder de près dans toute cette théorie il n’y avait qu’incertitude et contradiction.
Au reste la jurisprudence du conseil d’État allait, sous la pression des besoins pratiques, à la fois s’élargir et se préciser. Le recours pour excès de pouvoir cesse d’être subsidiaire. Notamment il triomphe contre la délibération des conseils généraux faisant des sectionnements irréguliers, bien que l’intéressé ait pu former une réclamation contre l’élection. Puis le recours pour excès de pouvoir est ouvert à toute personne ayant un intérêt, même simplement moral et indirect, à faire cesser les effets de l’acte attaqué. En réalité jamais le recours pour excès de pouvoir n’a pour but et pour effet de sanctionner un droit subjectif de l’administré. Le conseil d’État notamment déclare couramment recevable le recours formé contre des nominations irrégulières par toute personne ayant les titres exigés pour les fonctions considérées, et même les recours formés par les associations professionnelles de fonctionnaires appartenant au service intéressé3. On ne prétendra pas vraisemblablement que tous les licenciés en droit de France, qui sont recevables à former un recours contre une nomination irrégulière faite dans la magistrature, aient le droit d’être nommés magistrats.
Dans ces conditions toute la théorie de Laferrière s’écroulait. Il fallait chercher autre chose. Tout s’éclaire si l’on écarte la notion de droit subjectif et si l’on fait intervenir la notion fondamentale du droit moderne, la notion de fonction sociale, de situation légale, dont la notion de service public est intimement connexe. La merveilleuse jurisprudence du conseil d’État sur le recours pour excès de pouvoir n’est que la mise en œuvre de ces notions.
II. Le contentieux subjectif et le contentieux objectif.
La question que soulève un procès administratif peut être celle de savoir s’il existe une situation juridique subjective et quelle en est l’étendue. Elle se pose lorsque, un acte administratif ayant été fait, il s’agit de savoir s’il a donné naissance à une situation juridique subjective ou s’il a pu modifier ou éteindre une situation préexistante. Lorsque le procès soulève pareille question il appartient au contentieux subjectif et le rôle de la juridiction administrative est de constater l’existence et l’étendue de cette situation et de prononcer une condamnation en conséquence. Alors la décision du tribunal a une portée individuelle toute relative, identique à celle de la situation juridique subjective dont elle constate l’existence. Le recours ne peut jamais être formé que par celui qui se prétend bénéficiaire de la situation dont l’existence ou l’étendue sont contestées.
Il peut se faire, au contraire, que la seule question du procès soit celle de savoir si une disposition légale (au sens général de l’expression désignant toute disposition par voie générale, loi formelle ou règlement) a été violée par l’administration. C’est alors uniquement une question de droit objectif que doit résoudre le juge. Le recours appartient au contentieux que l’on peut appeler objectif. Le juge constate seulement que la loi a été ou non violée : s’il estime qu’elle ne l’a pas été ; il rejette la requête ; s’il estime qu’elle l’a été, il annule l’acte attaqué ; sa décision a une portée générale ; l’acte est annulé à l’égard de tous, à l’égard de tous les administrés, à l’égard de l’administration tout entière. La décision juridictionnelle dans ce cas a une portée générale comme la loi dont elle constate la violation.
Mais un pareil recours n’est certainement pas recevable contre tout acte administratif. Il ne peut pas l’être évidemment contre les opérations matérielles administratives, pour lesquelles il ne peut pas être question d’annulation : on annule un effet de droit ; on n’annule pas un fait. Il n’est pas davantage recevable contre les actes administratifs d’ordre juridique dont l’effet est seulement de faire naître une situation subjective. Pour ceux-là en effet la question qui peut se poser n’est pas celle de savoir s’ils sont conformes ou contraires à la loi, mais de savoir s’ils ont fait naître une situation juridique subjective ou s’ils ont éteint ou modifié une situation antérieure ; le recours ne peut être formé que par ceux qui prétendent être parties à cette situation. En d’autres termes à l’occasion des actes tendant à faire naître une situation juridique subjective ne peut exister qu’un contentieux subjectif. Le recours objectif n’est possible que contre les actes administratifs qui présentent eux-mêmes un caractère objectif. Ces actes sont très nombreux ce sont d’abord tous les actes réglementaires. Sans doute au point de vue matériel ces actes sont des lois ; mais au point de vue formel ce sont des actes administratifs susceptibles d’être attaqués par le recours pour excès de pouvoir, puisqu’ils émanent d’un agent administratif.
D’autre part beaucoup d’actes administratifs n’ont point pour effet de donner naissance à une situation juridique subjective. Ils sont en réalité des actes conditionnant la naissance d’une situation objective ou légale, ou la compétence d’un agent. Ces sortes d’actes sont très fréquents dans le droit public et leur nombre va d’ailleurs en augmentant à mesure que s’élargit la conception objectiviste du droit. Un des exemples les plus nets de ces actes-conditions est la nomination de fonctionnaire, laquelle on réalité ne produit point d’effet de droit, ne donne pas naissance à la compétence, à la situation du fonctionnaire, mais est simplement la condition de la naissance, en ce qui concerne la personne nommée, de la situation légale qu’est l’état de fonctionnaire avec tout ce qui s’y rattache, compétence, statut, traitement, retraite. Le plus souvent la délibération d’un conseil administratif est une déclaration de volonté qui conditionne la validité d’un acte administratif. Par exemple le vote d’une dépense par un conseil général ou un conseil municipal est la condition nécessaire pour que le préfet ou le maire ait compétence pour l’ordonnancer.
Ces divers actes, tout comme les actes réglementaires, ont un caractère objectif. Ils ne font pas naître une situation juridique concrète, individuelle, n’intéressant qu’une ou plusieurs personnes déterminées. Ils intéressent tout le fonctionnement d’un service public. Ils atteignent une série indéterminée de personnes, et notamment toutes celles qui sont associées au fonctionnement du service ou qui en usent. A vrai dire ils ne produisent par eux-mêmes et directement aucun effet de droit ; mais conditionnant l’application de la loi qui crée une situation légale ou une compétence, ils ont indirectement des conséquences dans le domaine du droit ; ils sont des actes volontaires et dès lors ils ne peuvent échapper au contrôle juridictionnel. Précisément à cause de leur caractère objectif, ils ne donneront naissance qu’à un contentieux objectif. Le recours sera ouvert à tous les intéressés ; le juge ne prononcera point de condamnation ; il annulera ou refusera d’annuler ; et sa décision d’annulation aura une portée générale.
Ce contentieux objectif, dont on vient de déterminer en bref le fondement et le domaine, nous apparaît surtout dans le recours pour excès de pouvoir, la grande et originale création de la jurisprudence française. II domine aujourd’hui tout le droit public. On en a montré au § I les humbles origines. Il faut maintenant en délimiter le domaine et montrer comment son développement et ses applications s’harmonisent admirablement avec la notion fondamentale de service public.
III. Caractère et domaine du recours pour excès de pouvoir.
La loi française a spécialement organisé certains recours de caractère objectif, par exemple le contentieux électoral, qui en est un cas très net puisque la question qu’il pose est uniquement celle de la régularité légale de l’élection et que, si l’élection est annulée, elle l’est pour tout le monde. La juridiction des conflits a le même caractère, puisque le tribunal n’a qu’à juger la régularité de l’arrêté de conflit. Dans ces hypothèses le contentieux objectif est délimité par la loi elle-même.
Au contraire le recours pour excès de pouvoir est comme la synthèse générale du contentieux objectif qui domine tout le droit. Quand un acte ayant le caractère objectif précédemment défini a été fait par un organe ou un agent administratif quelconque, depuis le président de la République jusqu’au plus modeste des agents, tout administré peut former le recours pour excès de pouvoir et demander au conseil d’État de juger si l’acte a été fait ou non conformément à la loi. Ce recours ne lui coûtera d’autres frais que 0 fr. 60 de timbre. Il n’a pas besoin d’invoquer un droit ; il vit sous le régime de l’État de droit et par conséquent il est recevable à provoquer la censure juridictionnelle de tout acte de l’administration violant le droit. Cependant, pour éviter des abus, la jurisprudence exige encore, pour la recevabilité du recours, que le requérant ait un intérêt spécial à le former ; mais il suffit d’un intérêt tout à fait indirect comme celui qu’a tout contribuable de la commune à ce que le conseil municipal n’engage pas des dépenses irrégulières4, ou d’un simple intérêt moral comme celui qu’ont les individus, possédant les titres nécessaires pour être nommés à certaines fonctions, à ce qu’on n’y nomme pas des individus n’ayant pas ces titres5.
Le caractère objectif du recours pour excès de pouvoir apparaît encore très nettement dans ce fait que le conseil d’État saisi de ce recours ne peut qu’annuler l’acte ou refuser de l’annuler ; il ne peut point prononcer de condamnation. Parfois il renvoie les parties devant le ministre mais c’est seulement une invitation directe adressée au ministre de se conformer à la décision juridictionnelle. L’acte est annulé à l’égard de l’administration tout entière comme à l’égard de tous les administrés.
On a dit plus haut qu’à un moment la jurisprudence avait paru distinguer plusieurs causes d’ouverture du recours, l’incompétence, le vice de forme, le détournement de pouvoir, la violation d’une loi de fond et appliquer des règles différentes pour la recevabilité du recours. Aujourd’hui on ne fait plus aucune distinction. La question est toujours celle-ci : y a-t-il violation d’une loi, d’une loi quelconque, d’une loi de compétence, d’une loi de forme, d’une loi de fond ? La question est toujours la même et les conditions de recevabilité aussi toujours les mêmes. Quelquefois encore on parait distinguer l’incompétence, la violation de la loi et le détournement de pouvoir ; mais c’est une terminologie que l’on emploie encore par habitude prise ; en réalité on ne fait plus aucune distinction6.
Le recours pour excès de pouvoir est recevable contre tous les actes objectifs de tous les organes et de tous les agents publics, à l’exception du parlement, des chambres, des tribunaux et agents judiciaires. Pour les actes de ces derniers on comprend très facilement pourquoi il ne peut être question du recours. Il existe, en effet, un contrôle propre au personnel judiciaire et le recours dirigé contre la décision d’un tribunal ou d’un agent ne peut naturellement être porté que devant une juridiction de même ordre. S’il en était autrement il y aurait une violation du principe resté toujours intact de la séparation des deux ordres judiciaire et administratif.
Pourquoi le recours n’est-il pas recevable contre les décisions du parlement ou d’une chambre ? Évidemment on arrivera dans un avenir, qui n’est peut-être pas éloigné, à admettre le recours contre ces actes. Mais l’évolution n’est pas encore accomplie. La non-recevabilité du recours tient ici certainement à ce qu’il subsiste encore quelque chose de l’ancienne idée d’après laquelle le parlement, les chambres exprimaient directement la volonté nationale souveraine. On a montré au § IV du chapitre III qu’il y avait aujourd’hui une tendance très nette à reconnaître la possibilité d’instituer un contrôle juridictionnel des lois formelles. A fortiori arrivera-t-on à reconnaître le pouvoir appartenant à une haute juridiction d’apprécier la régularité d’une décision émanant d’une chambre unique ou de son bureau.
Quant aux actes du président de la République personnifiant le gouvernement, ils peuvent tous aujourd’hui en principe être attaqués par le recours pour excès de pouvoir. Incontestablement il s’est produit depuis 1878 dans le caractère du président de la République une transformation notable que l’on doit signaler en passant, sans y insister cependant, car, si elle a son importance, elle est en réalité étrangère à la transformation proprement dite du droit public. Dans le système politique institué par les constitutions de 1791 et de 1848, le chef de l’État était investi du pouvoir exécutif au sens originaire de l’expression et ainsi il incarnait véritablement un des éléments constitutifs de la souveraineté. Il avait le caractère représentatif tout autant que le parlement, le caractère représentatif dans l’ordre de l’exécutif comme le parlement dans l’ordre du législatif. Dès lors les actes du chef de l’État étaient une émanation directe de la souveraineté nationale, comme les actes du parlement et comme eux ils devaient échapper à tout recours contentieux.
Incontestablement les auteurs de la Constitution de 1878 eurent la même conception du caractère qui devait être attribué au chef de l’État président de de la République. Elle est très nettement exprimée dans la loi du 20 novembre 1873, dite loi du septennat « qui confie au maréchal de Mac-Mahon le pouvoir exécutif pour sept ans ». Les présidents successifs auront le même caractère que celui conféré au premier d’entre eux. Comme lui ils seront investis du pouvoir exécutif proprement dit, élément constitutif de la souveraineté ; ils auront le caractère représentatif ; et logiquement leurs actes échapperont à tout recours contentieux.
Depuis 1876 le président de la République a perdu progressivement ce caractère. Il a peu à peu cessé d’être un représentant de la souveraineté nationale ; il est devenu simplement un agent administratif, un agent supérieur de la hiérarchie administrative, mais un simple agent. Par suite, tous ses actes peuvent en principe être attaqués par le recours pour excès de pouvoir. Ce changement ne se rattache point à la disparition du concept impérialiste de puissance publique. Il aurait pu rester intact et le caractère du président de la République se transformer quand même. Ce sont deux évolutions parallèles, mais tout à fait indépendantes l’une de l’autre. La cause principale de la transformation du caractère attribué par la Constitution de 1875 au chef de l’État se trouve à notre estime essentiellement dans son origine. De ce fait qu’il est élu par le parlement on a conclu que seul celui-ci est un organe représentatif, qu’il concentre toute la souveraineté et que le président de la République qui est fait par lui ne peut être qu’un agent d’exécution, un agent administratif. Voilà comment cette transformation vient concorder avec l’évolution générale du droit public et conduit à reconnaître la recevabilité du recours pour excès de pouvoir formé contre tous les actes du gouvernement, personnifié par le président de la République.
Cependant il y a deux catégories d’actes pour lesquels l’évolution ne s’est pas encore accomplie et qui ne sont pas susceptibles d’être attaqués par le recours contentieux. Ce sont d’abord les actes relatifs aux rapports constitutionnels des chambres et du gouvernement, par exemple les actes par lesquels le président de la République convoque ou ajourne les chambres, prononce la clôture de la session parlementaire ou la dissolution de la Chambre des députés, convoque les collèges électoraux en vue des élections législatives ou sénatoriales. Ici la non-recevabilité du recours se comprend à merveille. Le gouvernement fait ces actes sous le contrôle direct du parlement, et si on les pouvait attaquer par un recours contentieux, on soumettrait indirectement l’action du parlement au contrôle du conseil d’État. Or, pour le moment du moins, on considère un pareil contrôle comme impossible, on l’a dit plus haut.
Cela apparaît nettement, par exemple, en ce qui concerne le décret de convocation en vue des élections. Chaque chambre ayant en vertu de la constitution elle-même « le jugement de l’éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection » (loi constitutionnelle 16 juillet 1875, art. 10), reconnaître au conseil d’État le pouvoir de juger la régularité des décrets de convocation, ce serait lui permettre d’empiéter sur le pouvoir des chambres. C’est ce que vient de décider précisément le conseil d’État dans un arrêt du 9 août 1912 par lequel il rejette le recours formé par un conseiller général contre un décret du 2 avril 1912 fixant au 19 mai l’élection d’un sénateur dans le territoire de Belfort : « Considérant que les assemblées législatives, à qui il appartient de vérifier les pouvoirs de leurs membres sont seules compétentes à moins d’un texte contraire pour apprécier la légalité des actes qui constituent les préliminaires des opérations électorales7. »
Une autre catégorie d’actes échappe au recours pour excès de pouvoir, les actes diplomatiques, c’est-à-dire les actes relatifs aux relations de la France avec les puissances étrangères. D’après une jurisprudence constante aucun recours contentieux n’est recevable contre ces actes. Notamment par des arrêts du 5 août 1904, le conseil d’État a jugé qu’un particulier ne peut pas se prévaloir par la voie contentieuse contre l’État français des conséquences de la déclaration d’annexion de Madagascar8. On aperçoit aisément la pensée qui détermine cette solution. Les actes diplomatiques intéressent directement la sécurité nationale ; il ne faut pas que la possibilité d’une critique contentieuse puisse entraver la liberté d’action du gouvernement, qui est indispensable pour sauvegarder les intérêts nationaux. Le service public diplomatique fonctionne évidemment dans des conditions qui lui sont propres : c’est le seul service pour la gestion duquel les gouvernants et leurs agents entrent en relation avec les gouvernants étrangers. On comprend dès lors que le contrôle juridictionnel si large, que le droit public a établi sur le fonctionnement de tous les services internes, ne puisse pas s’étendre au service diplomatique. En fin de compte c’est toujours la notion de service public que nous retrouvons comme principe de toutes les solutions.
IV. Il n’y a plus d’actes de gouvernement.
Ces deux catégories d’actes mises à part, tous les actes faits par le président de la République personnifiant le gouvernement, sans exception, peuvent être attaqués par le recours pour excès de pouvoir. C’est un progrès considérable sur lequel on ne saurait trop insister.
Il n’y a pas longtemps encore on décidait que les décrets portant règlement d’administration publique, c’est-à-dire les règlements faits sur l’invitation du législateur avec avis du conseil d’État délibérant en assemblée générale, échappaient à tout recours. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Le conseil d’État a reconnu d’une manière expresse la recevabilité du recours dans son arrêt déjà cité du 6 décembre 1907, qui a déclaré recevable le recours formé par les grandes compagnies de chemins de fer contre le règlement d’administration publique du 1er mars 1901. Sans doute le conseil et le commissaire du gouvernement ont conservé une formule malheureuse : ils parlent de délégation législative. Mais cette expression ne donne que plus de portée à l’arrêt. D’autre part on y lit le considérant suivant, qui est à retenir à cause des conséquences qu’il implique : « Considérant qu’aux termes de l’article 9 de la loi du 24 mai 1872 le recours en annulation pour excès de pouvoir est ouvert contre les actes des diverses autorités administratives, que si les actes du chef de l’État portant règlement d’administration publique sont accomplis en vertu d’une délégation législative et comportent en conséquence l’exercice dans toute leur plénitude des pouvoirs qui ont été conférés par le législateur au gouvernement dans ce cas particulier, ils n’échappent pas néanmoins et en raison de ce qu’ils émanent d’une autorité administrative au recours prévu par l’article 9 précité9… »
Ainsi le recours pour excès de pouvoir est recevable contre les actes de tous les agents et organes administratifs, même contre tous les actes du gouvernement à la condition bien entendu qu’ils soient des actes d’ordre juridique. C’est la condamnation définitive d’une conception qui a eu pendant longtemps en France la force d’un dogme et que certains pays étrangers acceptent encore. C’est la condamnation de ce qu’on appelait en France les actes de gouvernement ou actes politiques, de ce qu’on appelle en Allemagne le Staatsnotrecht ou les Notverordnungen10.
On désignait par ces expressions (actes de gouvernement, actes politiques) des actes, qui, en raison de leur nature intrinsèque et des organes ou agents desquels ils émanaient, auraient pu être attaqués par le recours pour excès de pouvoir, mais qui étaient déclarés inattaquables à raison du but d’ordre politique qui avait déterminé le gouvernement à les faire ou à donner l’ordre à l’un de ses agents de les faire. En parlant de but politique on entendait le mot en son sens le plus bas. Le mot politique a en effet deux sens il désigne l’art de gouverner les peuples, de leur assurer le bonheur et la richesse ; c’est le sens noble et élevé. Le mot désigne aussi (c’est le sens bas) l’art d’arriver aux places, au pouvoir et de s’y maintenir quand on y est parvenu. En parlant de but politique et en déclarant inattaquables les actes déterminés par un pareil but, on avait en vue les actes accomplis par les gouvernants pour conserver le pouvoir. C’était, sous un autre nom, la raison d’État.
Tout cela est fort heureusement aujourd’hui en France un passé mort ; et ce n’est point un des moindres éléments de cette transformation du droit public que nous essayons de décrire. Sans doute la disparition des actes de gouvernement est due à la jurisprudence si impartiale et si indépendante du tribunal des conflits et du conseil d’État. Mais certainement cette jurisprudence ne se serait pas formée ou du moins elle ne se serait pas imposée si elle n’avait coïncidé avec l’élimination de la conception impérialiste. Disons que les deux faits ont été, comme il arrive souvent dans l’évolution sociale, à la fois cause et effet l’un de l’autre.
La doctrine des actes de gouvernement a été défendue longtemps en France par des jurisconsultes éminents. On a cité bien souvent les déclarations de M. Vivien, rapporteur de la loi organique de 1849 sur le conseil d’État : « II est même des droits, disait-il, dont la violation ne donne pas lieu à un recours par la voie contentieuse. Dans un gouvernement représentatif, sous le principe de la responsabilité, il est des circonstances où, en vue d’une grande nécessité publique, les ministres prennent des mesures qui blessent des droits privés. Ils en répondent devant le pouvoir politique. Les rendre justiciables du tribunal administratif, ce serait paralyser une action qui s’exerce en vue de l’intérêt commun et créer dans l’État un pouvoir nouveau qui menacerait tous les autres. » C’était le sophisme de la raison d’État défendu par un habile légiste. On aperçoit aisément les dangers d’un pareille doctrine. Elle était cependant soutenue par des jurisconsultes comme Dufour11 et Batbie12.
Le conseil d’État en faisait une retentissante application en 1867 à propos de la saisie des œuvres du duc d’Aumale par le préfet de police, saisie approuvée par le ministre de l’Intérieur. Le conseil d’État déclarait le recours non recevable comme étant dirigé contre un acte déterminé par des raisons politiques13. Neuf ans après, sous un gouvernement républicain, la cour d’appel de Paris invoque encore la théorie des actes de gouvernement pour se déclarer incompétente dans l’action intentée par le prince Napoléon contre le ministre de l’Intérieur et le préfet de police à l’occasion de l’arrêté d’expulsion pris contre lui le 10 octobre 1872 et exécuté par la force14. Mais ce fut la dernière fois qu’une juridiction française invoqua, pour déclarer un recours non recevable, ce principe d’arbitraire et de despotisme.
Aujourd’hui la jurisprudence constante du tribunal des conflits et du conseil d’État rejette toute fin de non-recevoir tirée de ce que l’acte attaqué aurait été déterminé par des raisons politiques.
Le tribunal des conflits a repoussé la doctrine des actes de gouvernement, implicitement mais très nettement, par ses jugements des 4, 5, 13, 17 et 20 novembre 1880 rendus à propos de l’exécution des décrets du 29 mars 1880 (dits décrets Jules Ferry) contre les congrégations religieuses. Dans ses conclusions, M. Ronjat commissaire du gouvernement avait dit : « On peut soutenir que l’acte fait par l’autorité publique est un acte de gouvernement, qui ne peut être l’objet d’un recours quelconque devant les tribunaux administratifs ou judiciaires… S’il existe de pareils actes, le décret du 29 mars 1880 en est un. Si vous pensez que l’acte n’a pas le caractère que nous venons d’indiquer, vous avez à examiner si cet acte est un acte administratif qui ne peut être déféré qu’aux tribunaux administratifs ou s’il constitue une voie de fait de la compétence des tribunaux judiciaires. » La question était bien posée. Le tribunal des conflits décide « qu’il ne saurait appartenir à l’autorité judiciaire d’annuler les effets et d’empêcher l’exécution de cet acte administratif… Que si les demandeurs se croyaient fondés à soutenir que la mesure prise contre eux n’était autorisée par aucune loi… c’était à l’autorité administrative qu’ils devaient s’adresser pour faire prononcer l’annulation de cet acte15. » Le tribunal des conflits repoussait ainsi le prétendu caractère politique des décrets du 29 mars et affirmait la recevabilité du recours pour excès de pouvoir qui serait dirigé contre eux.
Le conseil d’État a lui aussi très nettement rejeté la théorie régalienne des actes de gouvernement à propos des recours formés par les princes d’Orléans et le prince Murat contre la décision du ministre de la Guerre qui, invoquant la loi du 22 juin 1886 relative aux membres des familles ayant régné sur la France, les avait rayés des cadres du contrôle de l’armée. Le ministre de la Guerre opposait aux pourvois une fin de non-recevoir tirée de ce que les décisions attaquées avaient été déterminées par des raisons exclusivement politiques. Le conseil repousse cette fin de non-recevoir, « considérant qu’il résulte du texte même des décisions attaquées, que le ministre de la Guerre les a prises en vue d’appliquer l’article 4 de la loi du 22 juin 1886, qu’ainsi il a agi dans l’exercice des pouvoirs d’administration qui appartiennent au ministre pour assurer l’exécution des lois et que ces décisions constituent des actes administratifs susceptibles d’être déférés au conseil d’État16 ». Le conseil rejetait au fond les recours des princes d’Orléans, mais faisait triompher celui du prince Murat.
Quelques années après, le tribunal des conflits confirmait sa jurisprudence. Il repoussait la doctrine des actes de gouvernement par trois jugements reconnaissant la compétence judiciaire pour apprécier la validité de saisies ordonnées par des préfets, agissant sur les instructions du gouvernement en vertu de l’art. 10 du code d’instruction criminelle, saisies de brochures et de portraits du comte de Paris, « considérant qu’en admettant que les instructions verbales invoquées par le préfet de police eussent été données pour l’application de la loi du 22 juin 1886, elles ne sauraient imprimer au mandat et à la saisie le caractère d’actes de gouvernement, qu’en effet la saisie ne change pas de nature par le fait qu’elle est ordonnée par le ministre de l’Intérieur dans un but politique et que la mesure a été approuvée par les chambres17… »
Malgré ces décisions réitérées la néfaste théorie reparaît toujours. C’est une tendance naturelle aux hommes qui occupent le pouvoir de vouloir soustraire leurs actes au contrôle des tribunaux. En 1911 le tribunal des conflits a dû encore condamner cette prétention. Le 25 mars, il reconnaissait la compétence judiciaire pour statuer sur l’action en responsabilité engagée contre le ministre de France à Haïti qui avait, après une série d’incidents, refusé de procéder au mariage de deux nationaux. Le tribunal des conflits décide que si les recours juridictionnels ne sont pas recevables contre des actes diplomatiques, il n’en est point ainsi en ce qui concerne des actes qui n’ont point ce caractère en eux-mêmes, mais qui auraient été inspirés par des raisons diplomatiques. On lit dans le jugement « qu’il importe peu, quand, comme dans la cause, l’intervention de l’agent diplomatique n’est pas contraire aux clauses d’un traité et que son office n’est pas interdit par la législation locale, que le refus opposé aux parties puisse être inspiré par des considérations d’ordre politique18. » La décision est particulièrement intéressante, parce que la haute juridiction décide expressément que les raisons de politique extérieure pas plus que celles de politique intérieure ne peuvent empêcher la recevabilité des recours contentieux.
Ainsi toute l’activité administrative se trouve soumise au contrôle juridictionnel, mis en œuvre avant tout par le moyen du recours pour excès de pouvoir. Mais il importe de le retenir, car c’est la caractéristique essentielle de révolution juridique actuelle et de l’institution qui s’est formée, ce contrôle n’est point fondé sur le droit subjectif de l’individu, s’opposant au droit de puissance de l’État ; il est tout entier fondé sur la défense de la légalité, du droit objectif, de la loi du service public. Chaque individu est en quelque sorte agent du ministère public ; il collabore à la protection de la légalité ; il peut agir pour demander au tribunal compétent d’annuler tous les actes contraires à la loi. Sans doute les individus qui agissent ont un intérêt ; mais ce n’est pas en réalité cet intérêt que protège le droit ; c’est le service public ; c’est son bon fonctionnement ; c’est le respect de la loi. L’administré est armé d’une sorte d’action populaire pour obtenir cette protection. Ce n’est ni son droit, ni même son intérêt qui sont déduits en justice. Il profite du recours ; mais celui-ci est tout objectif dans son but, dans ses effets.
On reconnaîtra que c’est bien là une institution d’ordre vraiment socialiste et qu’elle nous révèle une transformation singulièrement profonde dans les conceptions traditionnelles du droit.
V. Le détournement de pouvoir ; il n’y a plus d’actes discrétionnaires.
On vient de voir qu’avec la portée que le droit public moderne donne au recours pour excès de pouvoir, il n’y a plus d’actes de gouvernement, que le recours est recevable même quand l’acte est inspiré par des raisons politiques. L’évolution du droit public est encore allée plus loin. On reconnaît en effet que, lorsqu’un acte administratif est déterminé par certains motifs, il est de ce fait frappé de nullité et ainsi, de même qu’il n’y a plus d’actes de gouvernement, de même il n’y a plus d’actes discrétionnaires ou actes de pure administration.
L’acte discrétionnaire n’échappait pas à tout recours ; il pouvait être attaqué pour incompétence ou vice de forme. Mais quand un pareil acte était fait par l’agent compétent, en la forme légale, on décidait qu’il était inattaquable quel que fut le but en vue duquel il avait été fait. Il n’appartenait à aucun tribunal, pas même au conseil d’État, de rechercher le but qui avait déterminé l’agent et d’annuler l’acte pour la raison que le but aurait été illégal.
La grande majorité des actes administratifs présentait ce caractère et l’on pouvait très justement parler du pouvoir discrétionnaire de l’administration. C’était une expression qui se retrouvait à peu près à chaque page dans les traités de droit administratif écrits il y a trente ans environ. Dans beaucoup d’arrêts remontant à la même époque le recours pour excès de pouvoir était écarté par une fin de non-recevoir tirée de ce que « la décision attaquée est un acte de pure administration qui n’est pas de nature à être déféré au conseil par la voie contentieuse ». Ces actes correspondaient à ceux que les juristes allemands appellent actes de libre appréciation (Freies Ermessen) et sur lesquels règnent encore beaucoup de controverses19. En France l’acte discrétionnaire appartient au passé. Il n’en existe plus dans le droit d’aujourd’hui. Le conseil d’État est toujours compétent pour apprécier le but qui a déterminé l’acte et il en prononce l’annulation s’il estime que l’administrateur, tout en étant resté dans les limites formelles de sa compétence, a poursuivi un but autre que celui que la loi avait en vue en lui donnant cette compétence.
Il y a alors ce que, suivant la terminologie consacrée, on appelle un détournement de pouvoir. Au fond il y a tout simplement excès de pouvoir et le recours formé est purement et simplement le recours pour excès de pouvoir. En effet l’agent administratif viole la loi de compétence quand il fait une chose qui n’est pas formellement de sa compétence et encore quand il fait une chose en vue d’un but qu’il n’a pas le pouvoir de poursuivre. L’expression détournement de pouvoir est heureusement trouvée, car elle montre nettement l’aspect sous lequel apparait alors la violation de la loi.
Sans doute l’application de cette notion avec toutes ses conséquences pratiques est due à la haute indépendance du conseil d’État, au savoir, à l’esprit de justice des commissaires du gouvernement qui, depuis M. Aucoc sous le Second Empire jusqu’aux hommes éminents qui occupent aujourd’hui ces fonctions, ont été par un long et laborieux effort les bons ouvriers de cette œuvre. Mais il convient de dire que la jurisprudence du détournement de pouvoir n’est cependant que la mise en œuvre de la notion de but, qui pénètre chaque jour davantage les institutions de droit privé et de droit public. En droit privé tant que l’on a rattaché l’effet de droit à l’autonomie de la volonté individuelle, on n’a point eu pour apprécier la validité d’un acte juridique à rechercher par quel but l’individu avait été déterminé ; il suffisait qu’il ait voulu une chose qu’il avait la capacité de vouloir. Les deux éléments de l’acte juridique étaient la capacité personnelle et l’objet20. De même en droit public tant que l’on a rattaché l’effet de l’acte administratif uniquement au droit de puissance publique, il suffisait pour qu’il fût valable qu’il fut fait par un agent compétent d’après l’objet de l’acte.
Dès le moment où l’élimination du concept de puissance publique a commencé de se réaliser, dès le moment où l’on a compris que la puissance publique n’occupait plus le premier rang dans l’activité administrative, l’élément but y a pris une place éminente. Il ne suffit plus pour être valable que l’acte administratif émane de l’agent compétent ; il faut encore que celui-ci en le faisant se détermine par le but qu’avait en vue la loi en lui donnant cette compétence. Ce but est en définitive toujours le même : le bon fonctionnement du service à la gestion duquel est préposé l’auteur de l’acte.
On comprend maintenant comment il n’y a plus, comment il ne peut plus y avoir d’actes discrétionnaires ou de pure administration. Quelque étendue que soit la compétence d’un administrateur, l’administré a toujours le pouvoir de lui demander compte des motifs qui l’ont déterminé ; le conseil d’État est compétent pour apprécier ces motifs et pour annuler l’acte s’il juge qu’il a été inspiré à l’agent par un but qui n’était pas de sa compétence. Peu importe d’ailleurs le rang qu’occupe l’agent, que ce soit le président de la République ou le plus humble des fonctionnaires. Peu importe l’acte dont il s’agit. Il n’y a pas un acte fait par un agent administratif quelconque qui puisse échapper au contrôle juridictionnel du but.
Cela nous révèle encore une transformation du droit public et c’est en même temps une preuve nouvelle que la notion de puissance commandante n’est plus le fondement de ce droit.
L’évolution, qui est ainsi arrivée à l’institution du recours pour détournement de pouvoir, avec la portée qu’elle a maintenant, ne s’est pas faite en un jour. Le début en remonte à la fin du Second Empire et la première application de la notion fut faite dans des espèces qui en elles-mêmes ne présentaient qu’un intérêt secondaire. Il s’agissait d’arrêtés préfectoraux réglementant la circulation des voitures dans des cours de gares. Il était établi qu’en prenant ces arrêtés les préfets avaient eu en vue, non pas la sécurité et le bon ordre de la circulation, mais l’intérêt d’un entrepreneur de transport qu’ils voulaient favoriser. Le conseil d’État annula ces arrêtés pour détournement de pouvoir. Plus tard en 1872, le monopole des allumettes ayant été établi par une loi, pour éviter à l’État de payer une indemnité aux propriétaires de fabriques d’allumettes supprimés, certains préfets, conformément aux instructions du ministre des Finances, fermèrent des fabriques d’allumettes en invoquant le pouvoir leur appartenant en vertu du décret de 1810 relativement aux établissements dangereux et insalubres. Ces arrêtés furent aussi annulés pour détournement de pouvoir. L’institution était ainsi entrée définitivement dans le droit public français et allait bientôt recevoir un large développement.
Voici quelques espèces récentes, particulièrement caractéristiques, dans lesquelles le conseil d’État a fait une application très nette de la notion. Il a annulé pour détournement de pouvoir le décret par lequel le gouvernement, invoquant l’article 43 de la loi du 5 avril 1884 sur l’administration municipale, a prononcé la dissolution d’un conseil municipal pour obtenir le redressement d’irrégularités qui se seraient produites au cours des élections. Le gouvernement ne peut prononcer la dissolution d’un conseil municipal que pour assurer la bonne administration de la commune ; il a donc commis un détournement de pouvoir équivalant à un excès de pouvoir en faisant un acte, qui sans doute était formellement de sa compétence, en vue d’un but qu’il ne pouvait pas poursuivre par ce moyen21.
Le conseil d’État a brisé la décision du ministre de la Guerre, qui était alors le général André, par laquelle un négociant en grains était exclu des marchés et adjudications du service de la guerre parce qu’il avait des opinions politiques et religieuses qui déplaisaient au général. Le conseil annule la décision, « considérant que le ministre s’est fondé sur des motifs étrangers soit à l’exécution des marchés, soit à la situation ou à la capacité professionnelle du commerçant22. »
Il arrive assez fréquemment depuis quelques années que les préfets, dans l’exercice des pouvoirs de contrôle que la loi de 1884 leur accorde sur les conseils municipaux, se laissent guider par des considérations étrangères à la bonne administration de la commune et usent de ces pouvoirs pour exercer ce que M. Hauriou a appelé un chantage sur les conseils municipaux dont les tendances politiques ou religieuses leur déplaisent. Toutes les fois que le conseil d’État a été saisi d’un recours dans de pareilles circonstances, il a justement réprimé ces procédés. Ainsi le préfet du Doubs voulant contraindre une commune à louer son presbytère avait déclaré qu’il n’approuverait les délibérations du conseil municipal sur la répartition des coupes affouagères qu’après que le conseil aurait procédé à la location du presbytère conformément à l’article 1er de la loi du 2 janvier 1907. Le conseil d’État annule impitoyablement cette décision, « considérant que le préfet a fait usage des pouvoirs qu’il tient de la loi du 8 avril 1884 dans un but autre que celui pour lequel ces pouvoirs lui ont été conférés23. »
Pendant longtemps on admettait que chaque ministre avait le pouvoir d’arrêter la liste des candidats aux différents concours de son département et qu’il pouvait écarter discrétionnairement tel candidat que bon lui semblait. Un arrêt du conseil d’État du 5 juillet 1851 avait rejeté un recours formé contre une semblable décision, considérant « que l’appréciation des motifs de cette décision n’était pas du domaine de la juridiction contentieuse ». La haute assemblée vient d’être saisie de la même question et tout en maintenant l’exclusion prononcée par le ministre elle a reconnu la recevabilité du recours et condamné très nettement la théorie de l’acte discrétionnaire. M. le commissaire du gouvernement Helbronner a très bien posé la question : « Un ministre a-t-il le droit d’écarter discrétionnairement d’un concours professionnel un candidat qui réunit toutes les conditions de capacité déterminées par les lois et les règlements, d’exclure un candidat comme appartenant à une catégorie de citoyens ? » Il s’agissait dans l’espèce d’un candidat au concours d’agrégation de philosophie qui était prêtre et qui avait été exclu à raison de cette qualité. Le conseil d’État maintient la décision, mais admet la recevabilité du recours. Il rejette la requête, non pas parce qu’il ne se reconnaît pas compétent pour apprécier les motifs qui ont déterminé le ministre, mais parce que, les appréciant, il estime qu’ils étaient légaux et que le ministre n’a eu en vue que la bonne gestion du service. Après avoir rappelé le caractère de l’agrégation qui est un concours professionnel conférant non point un grade universitaire, mais l’aptitude à enseigner dans les établissements secondaires de l’État, la haute juridiction dit : « En refusant par la décision attaquée d’admettre le requérant à prendre part au concours d’agrégation de philosophie, le ministre de l’Instruction publique n’a fait qu’user à l’égard de ce candidat, dans l’intérêt du service public placé sous son autorité, du droit d’appréciation qui lui a été reconnu par le décret du 10 avril 1852 et le règlement du 24 juillet 1885, et ladite décision n’est entachée par suite ni d’excès ni de détournement de pouvoir24. »
La portée de l’arrêt est nettement précisée par les conclusions de M. le commissaire du gouvernement, qui disait notamment : « La théorie de l’acte discrétionnaire est aujourd’hui abandonnée. Vous en êtes arrivés à restreindre le sens des mots pouvoir discrétionnaire à ceci : c’est un plein pouvoir d’appréciation pour celui qui en est investi, à condition qu’il l’exerce légalement et dans le but pour lequel il a été créé. » En excluant un prêtre du concours professionnel servant à recruter les professeurs de l’enseignement secondaire, le ministre s’est conformé à la pensée de la loi qui veut la laïcité de l’enseignement secondaire comme de l’enseignement primaire. Mais M. le commissaire du gouvernement dit très nettement que la solution devrait être différente pour les agrégations d’enseignement supérieur, dont le recrutement doit être déterminé uniquement par la valeur scientifique des candidats.
Nous n’en finirions pas si nous citions tous les arrêts annulant des arrêtés municipaux pour détournement de pouvoir. C’est par exemple l’arrêt annulant l’arrêté du maire de Denam qui, sous prétexte d’exercer son pouvoir disciplinaire, frappe un agent de police qui a dressé un procès-verbal contre la tenancière d’un cabaret où se réunissait le comité politique dudit maire25. Ce sont les nombreux arrêts qui ont annulé des arrêtés de maires qui, voulant faire du zèle anti-religieux, ont interdit au clergé de suivre les enterrements en habits sacerdotaux, notamment l’arrêté du maire de Sens, « considérant qu’il résulte de l’instruction que dans la ville de Sens aucun motif tiré de la nécessité de maintenir l’ordre sur la voie publique ne pouvait être invoqué par le maire pour réglementer dans les conditions fixées par son arrêté les convois funèbres et qu’ainsi le maire a fait de ses pouvoirs un usage non autorisé par la loi26. »
Dans ces derniers arrêts semble même se dessiner une extension nouvelle donnée à l’ouverture du recours. Jusqu’ici pour triompher le requérant devait faire la preuve directe et positive que c’étaient des raisons étrangères au service qui avaient déterminé l’agent. Au contraire il paraît bien résulter des arrêts rendus dans les dernières espèces rapportées qu’il suffit au requérant d’établir que les raisons de police, qui devaient exister pour que le maire pût prendre légalement la mesure, n’existaient pas en fait. Il n’a point à prouver que la raison qui a déterminé l’agent est étrangère au service ; il lui suffit de prouver que les raisons qui pouvaient légalement déterminer l’agent n’existent pas. Cela ne change rien évidemment à la nature du détournement de pouvoir, au caractère du recours ; mais cela le rend plus facile et cela vient encore élargir le contrôle juridictionnel exercé sur l’administration active.
VI. Sanction des décisions juridictionnelles.
Cependant l’évolution du droit public français que nous venons de décrire n’est point parvenue encore à son complet achèvement. Pour que le contrôle juridictionnel de l’activité administrative soit une protection véritablement efficace de l’administré, il reste à combler une lacune importante.
Le conseil d’État annule impitoyablement tout acte juridique à caractère objectif, émané de l’administration lorsqu’il y a violation de la loi ; il condamne l’administration toutes les fois qu’il reconnaît qu’elle est placée vis-à-vis d’un particulier dans une situation juridique subjective, par exemple dans une situation contractuelle ; il condamne l’administration, comme on le verra au chapitre suivant, toutes les fois que le fonctionnement d’un service public a lésé un particulier.
Tout cela est parfait et révèle une transformation profonde. Mais l’administré porteur d’un arrêt de condamnation a-t-il un moyen de contraindre l’administration à l’exécuter ? L’administré porteur d’un arrêt prononçant l’annulation d’un acte administratif a-t-il le moyen d’empêcher l’administrateur de refaire l’acte annulé et de le refaire autant de fois que le conseil d’État l’annulera ? L’administré peut-il contraindre l’administrateur à se conformer à l’arrêt d’annulation, par exemple à réintégrer dans sa fonction le fonctionnaire dont la révocation est annulée, à accorder l’alignement, la permission de voirie, la permission de repos hebdomadaire par roulement, dont le refus a été annulé par le conseil d’État ? Théoriquement ce n’est pas douteux : la décision juridictionnelle s’impose à l’administration.
Mais en fait, il faut bien le dire, ce moyen de contrainte n’existe pas. Comme le dit très justement M. Hauriou « cette absence de sanction n’a pas eu d’inconvénient tant que les administrateurs ont mis leur point d’honneur administratif à s’exécuter spontanément ». Mais, continue M. Hauriou, « sous l’action combinée de la décentralisation et des mœurs électorales le point d’honneur administratif a disparu. Les administrations publiques en sont venues à ruser, à biaiser, à se défendre contre la juridiction administrative qui les gêne dans leurs combinaisons administrative-électorales… Il ne faut pas croire que cette sorte de mauvaise foi soit le propre des municipalités ; on la retrouve aussi dans les préfectures ; on ne peut plus compter sur le préfet pour rappeler les municipalités à la tenue administrative… Cette même mauvaise volonté s’est insinuée dans les ministères. Selon une expression qui a été employée et qui est fort juste, ces administrations centrales boycottent le conseil d’État. Et bien entendu ce n’est pas le ministre. Ce sont les bureaux. Il y a insurrection des bureaux contre le conseil d’État qui est le gêneur27. »
Ce tableau est évidemment poussé trop au noir. Dans la grande majorité des cas l’administration supérieure se soumet spontanément à la décision juridictionnelle, soit qu’elle demande un crédit au parlement pour payer le montant de la condamnation, soit qu’elle inscrive la somme nécessaire comme dépense obligatoire au budget d’un département, d’une commune, d’un établissement public, soit qu’elle réintègre immédiatement dans leurs fonctions les agents irrégulièrement suspendus, révoqués ou mis à la retraite, soit qu’elle considère comme ayant cessé leurs fonctions par le fait même de l’arrêt les agents dont la nomination a été annulée, soit enfin qu’elle accorde les alignements, les permissions dont le refus a été annulé. Quoi qu’en dise M. Hauriou, c’est ainsi que se passent les choses dans la grande majorité des cas.
Mais il est certain que parfois des résistances se sont fait sentir. Souvent elles ont eu pour cause, c’est malheureusement trop vrai, l’odieuse politique électorale, pénétrant dans l’administration et en faussant tous les ressorts. En même temps l’extension du contrôle juridictionnel a naturellement provoqué une certaine résistance de la part des administrateurs. Il n’y a pas de transformation qui ne rencontre des obstacles : tout élément social nouveau qui tend à s’imposer se heurte à une force contraire, celle des éléments préexistants. L’introduction de la politique dans l’administration est en réalité une cause secondaire. La cause première et profonde est ce fait normal que l’administration active en possession d’une situation acquise, presque privilégiée, tend naturellement et spontanément à la conserver et à enrayer l’action de la force nouvelle que représente l’extension constante du contrôle juridictionnel.
Le conseil d’État en a le sentiment. Dans ses arrêts apparaît souvent l’effort pour briser préventivement la résistance possible des administrateurs. Sans doute il ne prétend point se substituer à l’administration active ; il annule la décision irrégulière mais il n’y substitue point sa propre décision. Il reste juge ; il ne se fait pas administrateur.
Notamment dans les affaires de permission de repos hebdomadaire par roulement, la haute assemblée annule la décision du préfet qui a refusé la permission de roulement, quand elle estime qu’étant données les circonstances, le préfet en refusant la permission a violé la loi ; elle annule l’acte préfectoral pour fausse application de la loi, mais elle n’accorde point elle-même la permission. Seulement prévoyant une résistance possible et voulant mettre le préfet en demeure de se conformer à l’arrêt, le conseil d’État « renvoie le sieur X… devant le préfet du département de… pour la délivrance de l’autorisation à laquelle il a droit28. »
Ces formules de renvoi devant l’administration active, équivalant à une mise en demeure à elle adressée, sont maintenant très fréquentes dans les arrêts du conseil. Elles se rencontrent dans tous les arrêts très nombreux annulant les décisions des préfets sur le repos hebdomadaire. Le conseil, qui n’ose pas encore annuler expressément la décision par laquelle un préfet refuse d’inscrire une dépense obligatoire au budget d’une commune, a cependant dans un arrêt du 26 juin 1908 renvoyé l’intéressé devant le ministre de l’Intérieur pour y être statué par la voie administrative, adressant ainsi une véritable injonction au ministre29.
Mais ce ne sont pas là de vrais moyens de contrainte contre l’administration. Si le ministre, le préfet, le maire, ne veulent tenir compte ni de la décision, ni même de l’injonction qui leur est adressée, il n’y a pas, pour le moment du moins, de moyen direct ou indirect de les y contraindre. Une affaire, dont l’importance réelle n’est pas bien grande, est cependant tout à fait caractéristique, parce qu’elle nous montre le maire d’une petite commune tenant en échec la plus haute juridiction administrative du pays. Aux termes de l’article 102 de la loi municipale du 5 avril 1884 le maire ne peut pas révoquer le garde champêtre ; mais il peut le suspendre pour un mois. Le maire de la commune de Cotignac pour tourner la loi prend un arrêté de suspension contre le garde champêtre et le renouvelle chaque mois, ce qui équivaut en fait à une révocation. Un premier arrêt du 23 juillet 1909 annule les dix arrêtés du maire. Mais cette annulation laisse le maire parfaitement indifférent ; il continue après comme avant à prendre chaque mois un arrêté suspendant le garde champêtre. Par un second arrêt du 22 juillet 1910 le conseil d’État annule sept nouveaux arrêtés du maire. Cela peut continuer indéfiniment ; et si le ministre ne révoque pas le maire il est évident qu’il n’y a pas de moyen pour contraindre celui-ci à s’incliner devant la décision juridictionnelle30.
On touche ainsi du doigt la lacune de notre droit public. Quel moyen aperçoit-on pour arriver à la combler ? Nous n’en voyons pas d’autre que la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du fonctionnaire, par le fait duquel la décision juridictionnelle reste sans effet. On verra au chapitre suivant que la jurisprudence et la doctrine sont arrivées à faire une distinction ingénieuse et très précise entre le fait de fonction et le fait personnel, ce dernier entraînant seul la responsabilité personnelle du fonctionnaire. On verra qu’il y a fait personnel quand le fonctionnaire est déterminé dans son action ou son abstention par un but étranger à la gestion du service. Or le fonctionnaire qui sciemment refuse de se conformer à une décision juridictionnelle se met incontestablement en dehors du service. Tout jugement est présumé conforme à la loi ; toute loi a pour fondement, on l’a montré plus haut, le service public lui-même ; le fonctionnaire en méconnaissant ce jugement méconnaît sciemment la loi du service et commet une faute personnelle.
Il ne nous parait pas douteux que les intéressés, agissant en responsabilité personnelle contre le fonctionnaire récalcitrant, triompheraient. Le garde-champêtre de Cotignac aurait certainement gain de cause s’il formait une action en responsabilité contre son maire. Mais la procédure est, on le verra au chapitre suivant, encore longue, compliquée, coûteuse. Ce sont les tribunaux judiciaires qui sont compétents ; le conflit peut être élevé ; il l’est presque toujours. Dès lors le plaideur hésitera ; il aurait tort, car son succès serait certain. Il hésiterait peut-être moins s’il pouvait s’adresser au conseil d’État, si son recours comme le recours pour excès de pouvoir était dispensé du ministère d’un avocat, enregistré en débet et n’avait à supporter que les droits de timbre. Le conseil serait tout naturellement amené à condamner pour responsabilité personnelle l’agent administratif qui a méconnu l’arrêt d’annulation on de condamnation.
Il est probable que c’est en ce sens que s’accomplira l’évolution31.
- Droit administratif, 7e édit., II, p. 17. [↩]
- Laferrière, Juridiction et contentieux, 2e édit., 1896, II, p. 394 et suiv. [↩]
- Les arrêts sont très nombreux ; voir notamment conseil d’État, 2 arrêts, 11 décembre 1909 (Lot, Molinier), Recueil, p. 780 ; 4 arrêts, 1er juin 1906 (Alcindor), Recueil, p. 906 ; 11 décembre 1908 (Association professionnelle du ministère des colonies), Recueil, p. 1016 ; 6 août 1910 (Association des fonctionnaires du ministère de l’instruction publique), Recueil, p. 719. [↩]
- Arrêt Casanova, 29 mars 1901, Recueil, p. 333. [↩]
- Arrêts Lot et Molinier, 11 décembre 1903, Recueil p. 780. [↩]
- Cf. Hauriou, Droit administratif, 7e édit., 1911, p. 429 ; Tournyol du Clos, Essai sur le recours pour excès de pouvoir, 1905. [↩]
- Le Temps, 11 août 1912. [↩]
- Recueil, 1904, p. 662 et Revue du droit public, 1905, p. 91. [↩]
- Recueil, 1907, p. 913, avec les conclusions de M. Tardieu. Rap. arrêts 26 décembre 1908, Recueil, p. 1094 et 7 juillet 1911, Recueil, p. 797. [↩]
- Cf. Jellinek, Gesetz und Verordnung, p. 377. Les auteurs allemands ont édifié toute une théorie des Notverordnungen que naturellement on ne peut exposer ici. [↩]
- Droit public, IV, p. 600. [↩]
- Droit administratif, VII, p. 401. [↩]
- Conseil d’État, 9 mai 1867, Recueil, p. 472. [↩]
- Cour de Paris, 29 janvier 1876, Sirey, 1876, II, p. 297. [↩]
- Tribunal des conflits, 4, 5, 13, 17 et 20 novembre 1880, Sirey, 1881, III, p. 85, avec les conclusions de M. Ronjat. [↩]
- Conseil d’État, 20 mai 1887, Sirey, 1889, III, p. 29. [↩]
- Tribunal des conflits, 25 mars 1889, Sirey, 1890, III, p. 32. [↩]
- Tribunal des conflits, 25 mars 1911 (Rouziers), Recueil, 1911, p. 400 ; Sirey, 1911, III, p. 105, avec les remarquables conclusions de M. Chardenet et une note de M. Hauriou. [↩]
- Cf. Otto Mayer, Droit administratif allemand, édit. française, 1903, I, p. 212 ; Laun, Das freie Ermessen und seine Grenzen, 1910. [↩]
- Cf. Duguit, Les Transformations du droit privé, 1912, p. 82 et suiv. [↩]
- Conseil d’État, 31 janvier 1902, Recueil, p. 55 ; Sirey, 1903, III, p. 113, avec une note de M. Hauriou. [↩]
- Conseil d’État, 4 août 1905, Recueil, p. 757. [↩]
- Conseil d’État, 10 mars 1911, Recueil, p. 289 ; Sirey, 1912, III, p. 41. [↩]
- Conseil d’État (Bouteyre), 10 mai 1912, Revue du droit public, 1912, p. 453, avec les conclusions de M. Helbronner et une note de M. Jèze. [↩]
- Conseil d’État, 16 novembre 1900, Recueil, 1900, p. 617. [↩]
- Conseil d’État, 19 février 1909, Recueil, p. 180, avec les conclusions de M. Chardenet. Rap. conseil d’État, 19 mars 1909, Recueil, p. 307 ; 21 janvier 1910, Recueil, p. 49 ; 4 mai 1910, Recueil, p. 192. [↩]
- Note sous arrêts du 23 juillet 1909 et 22 juillet 1910, Sirey, 1911, III, p. 121. [↩]
- Voyez les différents arrêts rendus dans les affaires de repos hebdomadaire, notamment 30 novembre 1906, Recueil, 1906, p. 880 et Sirey, 1907, III, p. 17, avec une note de M. Hauriou. [↩]
- Conseil d’État, (Daraux), 26 juin 1908, Recueil, p. 689 ; Sirey, 1909, III, p. 129. [↩]
- Conseil d’État, 23 juillet 1909, Recueil, p. 606 ; Sirey, 1911, III, p. 121. [↩]
- Consultez sur la question la note précitée de M. Hauriou, Sirey, 1911, III, p. 121 ; Berthélemy, L’Obligation de faire en droit public, 1912, p. 511 et suiv. [↩]
Table des matières