Vu la requête, enregistrée le 17 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la commune de Chirongui, représentée par son maire ; la commune demande au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 1200743 du 29 décembre 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint de faire cesser immédiatement les travaux qu’elle a entrepris sur la parcelle dont la propriété est revendiquée par Mme A…B…à Malamani ;
2°) de mettre à la charge de Mme B…la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
– le juge des référés de première instance a méconnu le principe du contradictoire garanti par les articles L. 5 et L. 522-1 du code de justice administrative en ne lui laissant pas un délai suffisant pour produire une défense écrite ou organiser sa présence à l’audience ;
– la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que les travaux ont débuté à l’issue d’une procédure de discussion et de négociation préalable ;
– le titre de propriété revendiqué par Mme B…n’étant pas définitivement établi, les travaux entrepris ne portent aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2013, présenté pour Mme B…, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Chirongui au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que :
– le principe du contradictoire a été respecté dès lors que le délai laissé à la commune pour produire une défense écrite ou organiser sa présence à l’audience était suffisant ;
– la condition d’urgence est remplie dès lors que la réalisation des travaux entrepris par la commune emportera des conséquences difficilement réversibles ;
– les travaux contestés portent une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la commune de Chirongui et, d’autre part, Mme B…;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 21 janvier 2013 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Garreau, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Chirongui, qui déclare renoncer au moyen tiré du défaut d’urgence ;
– Me Barthélemy, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de MmeB… ;
les parties ayant été invitées à l’audience à présenter leurs observations sur la question d’ordre public de la compétence du juge administratif des référés pour ordonner des mesures visant à faire cesser une voie de fait ;
et à l’issue de laquelle le juge des référés a clôturé l’instruction ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » ;
2. Considérant que Mme A…B…a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu’il ordonne à la commune de Chirongui de faire cesser immédiatement les travaux entrepris sur une parcelle dont Mme B…estime être propriétaire dans le village de Malamani qui dépend de cette commune ; que, par l’ordonnance du 29 décembre 2012 dont la commune fait appel, le juge des référés a fait droit à cette demande ;
Sur la régularité de l’ordonnance attaquée :
3. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 522-1 du code de justice administrative : » Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. » et que, selon l’article L. 5 de ce code : » L’instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence. » ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le juge des référés a été saisi de la demande de Mme B…dans la soirée du 27 décembre 2012 ; que cette demande et l’avis d’audience ont été communiqués par télécopie, le 28 décembre 2012 vers 1 heure, à la commune de Chirongui, l’audience étant fixée le 29 décembre 2012 à 9 heures ; qu’un tel délai, qui laissait à la commune la journée du vendredi 28 pour préparer sa défense et organiser sa présence à l’audience, était adapté aux nécessités de l’urgence ; que, dès lors, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure suivie en première instance doit être écarté ;
Au fond :
5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que MmeB…, qui occupait une parcelle d’environ un hectare à Malamani, a demandé à la collectivité de Mayotte, devenue le Département de Mayotte, de reconnaître son droit de propriété sur cette parcelle, dans le cadre des opérations de régularisation foncière entreprises par cette collectivité, où il n’existait pas de cadastre ; que la commission du patrimoine et du foncier du conseil général a rendu, le 25 juin 2010, un avis favorable à cette reconnaissance, au vu de l’avis également favorable de la commune de Chirongui sur le territoire de laquelle se situe cette parcelle ; que, le même jour, le président du conseil général a requis du conservateur de la propriété foncière l’immatriculation de cette parcelle, référencée AR 50136, qui jusque-là était réputée appartenir au domaine privé de la collectivité de Mayotte, en précisant qu’après immatriculation elle serait mutée au nom de MmeB…, désormais propriétaire au terme de la procédure de régularisation foncière ; que cette régularisation a été approuvée par délibération de la commission permanente du 22 novembre 2010 ; que toutefois la commune de Chirongui a entrepris des travaux sur ce terrain, au mois de novembre 2012, en vue de réaliser un lotissement à caractère social ; que les premiers travaux ont notamment consisté à supprimer la végétation qui le recouvrait ;
6. Considérant que, sous réserve que la condition d’urgence soit remplie, il appartient au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d’une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d’une voie de fait ;
7. Considérant, en premier lieu, que la commune se prévaut, pour justifier sa décision d’engager les travaux litigieux sur ce terrain, d’une délibération du 10 mai 2012 par laquelle la commission permanente du conseil général a décidé de lui céder des parcelles appartenant au Département en vue de permettre la réalisation de ce lotissement ; qu’il est cependant constant, d’une part, que la parcelle AR 50136 ne figure pas parmi celles dont la cession est ainsi prévue à l’article 3 de cette délibération ; que, d’autre part, après avoir rappelé que » le conseil général considère comme propriétaire à part entière » les personnes qui, comme MmeB…, ont bénéficié de l’opération de régularisation foncière, l’article 8 de la même délibération dispose que » ces personnes doivent automatiquement bénéficier de lot(s) dans le lotissement … en fonction de la valeur et de la superficie de leurs parcelles concernées par le projet » : que toutefois une telle mention ne saurait autoriser la commune de Chirongui, faute d’accord de Mme B…à l’échange ainsi prévu, à entreprendre des travaux sur cette parcelle ; que la circonstance, invoquée par la commune, qu’elle a fait opposition au bornage de la parcelle en cause ne saurait lui conférer un titre l’autorisant à y réaliser des travaux sans l’accord de l’intéressée ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que le premier juge a estimé que la commune de Chirongui avait porté au droit de propriété de Mme B… une atteinte grave et manifestement illégale ;
9. Considérant, en second lieu, que, dans le dernier état de ses conclusions, telles qu’elles ont été précisées à l’audience, la commune ne conteste pas que la condition particulière d’urgence requise par les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune appelante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou a fait droit à la demande de MmeB… ; que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu’être rejetées ; qu’en revanche, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à Mme B… d’une somme de 2 000 euros en application de ces mêmes dispositions ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la commune de Chirongui est rejetée.
Article 2 : La commune de Chirongui versera à Mme B…une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Chirongui et à Mme A… B….