Le législateur, nous disait Portalis «ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois » (Portalis 1801). L’avertissement est sans doute un peu solennel mais il prend, nous le verrons, un relief singulier lorsque l’on examine la réforme sous le prisme des « heuristiques ».
Qu’est-ce qu’une réforme d’ailleurs, alors que, paradoxalement, le terme ne renvoie pas à une notion juridique ? Dans son sens commun, le dictionnaire Larousse nous indique qu’il s’agit d’un « Changement de caractère profond, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, et visant à améliorer son fonctionnement ». Le droit positif, si l’on s’en tient au socle que constitue le Code civil, ne nous offre, ainsi, que des solutions fragmentaires pour l’encadrer. Relevons pour mémoire : l’entrée en vigueur de la loi (article 1), son champ d’application dans le temps et l’espace (article 2 & 3), le rôle du juge dans sa mise en œuvre (article 4 & 5). Voilà tout. Ces prescriptions ont pour seul objet, semble-t-il, d’articuler le passage d’une loi ancienne à une loi nouvelle et de garantir l’effectivité de cette dernière.
Il ne s’agit cependant que d’un agencement mécanique. Or, comme nous l’indiquait Portalis, « les lois sont faites pour les hommes ». Force est ainsi de constater que le facteur humain n’est qu’imparfaitement pris en considération dans ce qu’il est convenu d’appeler la légistique.
En effet, l’essentiel de la tradition juridique1 repose sur le postulat implicite que le sujet de droit est parfaitement rationnel. Or, cette hypothèse – que n’importe quel magistrat ou praticien contredirait d’expérience – a été infirmée par de nombreux travaux théoriques issus de l’économie, de la psychologie et des sciences de la décision (Simon 1945 1955, 1972, 1976 ; Tversky & Kahneman 1974, 1979 ; Gilovitch & alii, 2002). Ces dernières ont en effet permis d’établir que les comportements individuels et les choix personnels reposent souvent sur des heuristiques (de eureka en grec) c’est à dire des « procédés cognitifs de jugement sans démarche analytique ni contrainte de quantification ou de traitement » (Tversky & Kahneman, 1974).
Confronté à une réforme, ainsi, le sujet de droit percevrait le nouveau texte sous le seul prisme de ces automatismes qui simplifient les tâches mentales de traitement de l’information et, donc, en général, la prise de décision. Il demeure que l’utilisation (toujours involontaire et inconsciente) de ces automatismes, si elle s’avère efficace dans de nombreuses situations concrètes, peut également être l’occasion d’erreurs d’appréciation systématiques (Sunstein, 2000 ; Kahneman & alii, 1982).
Ce serait notamment le cas, pensons-nous, pour les réformes, notamment parce que le législateur part du postulat que le sujet de droit adopte un comportement rationnel, raison pour laquelle la loi est conçue de façon abstraite et logique. Or, les comportements réels des personnes physiques reposent très souvent sur des heuristiques qui introduisent des biais dans la perception des textes et surtout des effets comportementaux contre-productifs. L’attitude que ces personnes adoptent à ce propos, en particulier vis-à-vis des réformes, est parfois très éloignée de la rationalité.
Il s’ensuit que le législateur pourrait, sans doute, prendre en considération l’existence de biais de comportements des sujets de droit plutôt que de raisonner exclusivement sur le fondement de la logique et, ce, afin de renforcer l’efficience des lois nouvelles.
Le traitement de cette question est cependant complexe car il nécessite, d’abord, d’appréhender les heuristiques sous l’angle de l’efficacité des réformes (I) ce qui, à notre connaissance, n’a pas été encore réalisé, du moins pour le droit interne. Pourtant, la démarche n’est pas véritablement nouvelle car un autre concept, popularisé sous la notion de nudge semble actuellement s’imposer. Il repose sur une nouvelle méthodologie légistique, supposée améliorer les outils de l’action publique (II).
I / Heuristiques et efficacité des réformes
L’étude des heuristiques trouve sa plus célèbre illustration doctrinale dans l’application au droit de certains résultats du programme de recherche « jugements et prise de décision » mis en évidence par les travaux fondateurs d’Amos Tversky et Daniel Kahneman en 1974. Il existe, selon ces deux auteurs trois heuristiques majeures que sont la représentativité, la disponibilité, et le double mécanisme d’ancrage et d’ajustement (A) qui paraissent facilement utilisables afin d’accroître l’efficacité de la législation (B).
A / Les heuristiques majeures
L’heuristique de disponibilité, d’abord, décrit les raisonnements qui se fondent sur les informations immédiatement disponibles tout en ignorant les informations les plus pertinentes, ces dernières ne pouvant être retrouvées qu’au prix d’un effort mémoriel nécessitant un certain temps de réflexion. Elle se traduit, en pratique, par la tendance à évaluer la probabilité associée à un évènement en fonction de la facilité avec laquelle des exemples d’un tel évènement nous viennent à l’esprit.
Ainsi, toute personne a-t-elle tendance à surestimer le poids des informations facilement mobilisables ainsi que celles qui sont particulièrement stéréotypées qui sont dites saillantes. De nombreuses expériences empiriques, menées en laboratoire, démontrent en effet que l’être humain (le sujet de droit pour notre part) perçoit mal la réalité. Par exemple, les réactions personnelles face aux évolutions du droit pénal se fondent pratiquement systématiquement sur le souvenir de faits divers médiatisés et non sur les statistiques de la délinquance. Les crimes récents paraissent de plus en plus odieux, au regard des anciens, notamment en raison de leur proximité temporelle : le souvenir en est plus vif. Le citoyen perçoit alors les lois pénales nouvelles comme étant laxistes car il se fonde sur une fausse appréciation de l’augmentation de la criminalité (il croît, au surplus, que l’exemplarité de la sanction est le facteur essentiel, sinon unique, de la diminution de la délinquance) 2 .
L’heuristique d’« ancrage et d’ajustement », ensuite, renvoie à la difficulté qu’éprouve toute personne à se départir d’une première impression. Cette difficulté conduit à retenir prioritairement l’information perçue en premier lieu pour raisonner et prendre une décision. Ce mécanisme s’articule en deux temps. Dans un premier temps, les sujets fondent leur appréciation sur une information qui peut être pertinente ou non (on l’appelle – métaphore maritime – : une ancre). Dans un second temps, cette « ancre » va constituer la base du raisonnement que le sujet va ajuster pour l’adapter à une autre situation. Or, on observe expérimentalement que cet ajustement est toujours insuffisant (Tversky & Kahmenan, 1974) et que cette insuffisance résulte de l’intensité et de l’orientation de l’ancrage.
Cette heuristique est ainsi très souvent utilisée en matière de vente : le commerçant, par exemple, présentera systématiquement dans sa gamme un produit très cher qu’il placera en évidence sur ses rayons. L’ancrage sera réalisé par le client sur ce produit et l’ajustement qui en résultera prendra pour référence le haut de gamme, de sorte que les produits moins chers paraîtront artificiellement bon marché. En l’absence de présentation de ce produit plus cher, l’ancrage disparaissant, le prix que l’acheteur sera disposé à payer pour obtenir le produit va diminuer. En matière de négociation, par exemple, cette heuristique est très souvent mise à l’œuvre par les parties.
Quant à l’heuristique de représentativité, enfin, elle « consiste à estimer la probabilité d’appartenance d’un objet à une classe d’objets, à partir de sa ressemblance avec un cas prototypique de cette classe » (Bédard et alii, 2006). Ainsi, par exemple, on explique à un sujet d’expérience qu’il existe un groupe théorique de 100 personnes composé de 70 entrepreneurs et de 30 bibliothécaires. On lui présente ensuite le profil d’une personne de ce groupe, Paul, dont on n’indique pas la profession, mais dont on lui dit qu’il est bricoleur, sportif, dynamique etc. On lui demande alors quelle est la probabilité que Paul soit entrepreneurs. (En l’absence d’a priori et d’autre information, la réponse devrait être 70 %)3.
Si l’on repose la question en changeant la composition du groupe (pourquoi pas : 70 bibliothécaires et 30 entrepreneurs ?) la réponse devrait être de 30 %. En effet, si les sujets réalisaient un calcul de probabilité pertinent, leur réponse devrait changer en fonction de la composition du groupe. Or, il n’en est rien, et les réponses fournies sont en général invariables, quelle que soit la composition du groupe théorique (la probabilité que Paul soit entrepreneur dépasserait largement les 30% , dans notre exemple). Cela tient au fait que l’appréciation repose sur la proximité de l’image mentale que le public se fait du bibliothécaire ou de l’entrepreneur, image mentale qui rentre en résonnance avec la description proposée dans le test. Un exemple topique d’une situation voisine peut être fourni par la réforme baissant la limite de vitesse de 10 km/h sur certaines routes, applicable en France à compter du 1er juillet 2018. Les sujets de droit, en moyenne, ont eu une perception extrêmement négative de cette réforme, car l’idée qu’ils se font de leur conduite leur fait estimer qu’ils sont représentatifs de la classe des bons conducteurs.
En pratique, ces trois heuristiques interagissent automatiquement, se combinent et donnent naissance à des comportements prévisibles, comportements sur lesquels le législateur peut s’appuyer pour concevoir la loi. Les heuristiques, en effet, ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes : elles existent et ce ne sont que des automatismes cognitifs permettant de simplifier et/ ou standardiser mentalement les situations rencontrées4). Elles sont par ailleurs stables, ce dont attestent les multiples expérimentations réalisées et transmises par la littérature, ce qui nous autorise à penser qu’il est possible de les prendre en compte dans l’élaboration des réformes.
Il convient donc d’ajouter que les heuristiques compliquent singulièrement la perception des réformes par leurs destinataires (vous et moi), d’autant qu’elles ont souvent tendance à se renforcer mutuellement. A ce titre, elles contribuent, en général, à ce que le sujet de droit perçoive le statu quo législatif comme étant plus performant que le nouveau texte et emportent, donc, une appréciation négative de toute réforme.
B / Les heuristiques outils d’une nouvelle démarche légistique
Notre hypothèse étant posée, l’utilisation des heuristiques au regard de la construction traditionnelle de la norme peut paraître choquante : la loi, à l’époque de l’élaboration du code civil, s’appuyait en effet principalement sur une logique déontique (du grec déon, déontos : devoir, ce qu’il faut, ce qui convient) qui faisait reposer techniquement l’édiction de textes sur la détermination des comportements conformes aux besoins de la société. Leibnitz est censé être à l’origine de cette représentation de la logique juridique : l’obligatoire, écrivait-il, « est ce qu’il est nécessaire que fasse l’homme bon » (Leibnitz 1670). Cela renvoie, à la notion d’ordre public classique tel qu’il sera reconnu par la communauté des juristes5.
Gérard Farjat, toutefois, dans sa thèse intitulée « L’ordre public économique » (Farjat 1963) mettra en évidence, dans les années soixante, l’existence de nouvelles techniques légistiques. En effet, les besoins de l’économie on fait naître d’autres attentes que celles qui marquaient l’ordre public classique. L’économie requiert la mise en œuvre de mécanismes d’incitation, en particulier, à travers la mise en œuvre de l’ordre public de direction théorisé par le doyen Carbonnier. Ainsi, par exemple, le législateur oriente les comportements économiques de l’inventeur, l’incitant à la créativité en lui accordant, a priori, une protection exorbitante du droit commun, celle du brevet, lorsqu’il introduit une innovation (Frison-Roche 2015).
La prise en compte des heuristiques dans l’élaboration de la norme bouscule cette présentation contemporaine (déontique/incitatif) en ajoutant de nouvelles techniques légistiques permettant d’accroître l’efficacité des réformes. Dans l’incitation, le législateur estime que le sujet de droit va optimiser consciemment ses comportements (comme il le fait, par exemple, en matière fiscale) : dans l’utilisation d’heuristiques, il va agencer la norme de façon à ce que ce même sujet adopte automatiquement le comportement attendu.
Une des illustrations les plus significatives de cette technique réside dans l’analyse du droit comparé concernant la réglementation sur le don d’organes. En la matière, en effet, un raisonnement social commanderait de considérer que le prélèvement d’organes en vue de greffe(s) relève de l’intérêt général et justifie l’édiction d’une législation contraignante d’ordre public. Cette solution, fondée sur la logique déontique, ne saurait toutefois être envisagée car elle serait, cela se conçoit aisément, même pour un non juriste, attentatoire aux libertés individuelles6.
Le législateur n’a ainsi pu retenir que la solution du don. Deux choix techniques étaient cependant envisageables pour encadrer ledit don. Le premier consistait à considérer que le prélèvement d’organe n’était possible qu’à la condition que le donateur ait manifesté de son vivant sa volonté explicite en ce sens. Le seconde de poser, dans la loi, une présomption que la personne prélevée avait donné son consentement avant son décès7.
Or, différentes études (Gold & alii, 2001 ; Gabel 2004 ; Johnson, Goldstein 2003) ont établi que l’efficacité des textes était significativement différente selon que la première ou la seconde solution avait été choisie. Ainsi, pour la France8 et les pays limitrophes, la technique retenue a été celle de la présomption de consentement – sauf option contraire explicite – ce qui a permis d’obtenir, en moyenne, un pourcentage de dons de 26, 6 %. Dans les États, en revanche, où le consentement explicite est requis du vivant du donateur, le pourcentage tombe à 15%9. En sciences comportementales, la littérature nous indique que ces résultats s’expliquent par le procédé, dit de « l’option par défaut », qui met en jeu les trois heuristiques précitées et tend à déclencher un comportement automatique10.
Un autre exemple de la prise en compte de l’importance de l’effet de l’option par défaut mérite également d’être rapporté. Il réside dans certaines dispositions de la loi Châtel du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur11. L’article L136-1 du code de la consommation, modifié à cette occasion, a eu pour objectif d’encadrer la tacite reconduction des contrats. En effet, cette reconduction automatique, qui ne pouvait auparavant être paralysée que par résiliation dans les délais d’un préavis étroit, débouchait sur une continuation automatique des rapports contractuels, les parties ne prenant pas garde à la date et aux conditions de la résiliation. Le contexte était ici relativement simple, caractérisé par l’oubli par le consommateur de deux éléments juridiques : d’une part, de la date anniversaire du contrat et, d’autre part, de la procédure de résiliation12). C’est la raison pour laquelle l’article précité impose désormais au professionnel d’informer le consommateur par écrit, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu’il a conclu avec une clause de reconduction tacite (al. 1). Si cette obligation n’est pas respectée, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat (al. 2).
Ces deux exemples montrent que le législateur pourrait délibérément s’inspirer de l’approche heuristique pour accroître l’efficacité d’un texte de réforme. La question se pose, de la sorte, de généraliser son usage pour la mise en œuvre des politiques publiques. Il s’agirait, alors, de recourir à ce qu’on appelle communément le nudge, qu’on traduit en français par le terme de « coup de coude » ou « coup de pouce » (selon les traducteurs) procédé qui deviendrait un nouvel instrument de l’action publique.
II / Les nudges, outils controversés de l’action publique
L’analyse du contexte (l’architecture de la décision – Thaler, Sunstein, Balz, 2012 –) qui entoure le raisonnement et l’action du sujet de droit pourrait constituer, comme nous venons de l’indiquer, le socle d’une nouvelle approche légistique13. Cependant, si l’utilisation de cette approche des nudges inspirée des résultats du programme de recherche des sciences comportementales14 (behavioural sciences)15 se généralise (A) depuis peu de temps ; elle paraît déjà être de plus en plus remise en cause par une partie de la doctrine (B).
A / La mise en œuvre des nudges et sa justification
L’approche heuristique s’illustre plus particulièrement par le succès planétaire rencontré par la notion de « nudge », apparue pour la première fois dans l’ouvrage éponyme de Richard Thaler et Cass Sunstein (Nudge, 2008)16. En 2009, soit un an après la publication de « Nudge », Cass Sunstein en vient à conseiller officiellement Barak Obama pour orienter l’action des agences du gouvernement fédéral17. L’exemple américain est rapidement imité en Europe et, en France, le Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique (SGMAP) voit le jour en 2013. Cet organisme va alors s’attacher à imposer (notamment) l’usage du nudge dans l’action publique. Il est ainsi, par exemple, à l’origine de la déclaration obligatoire de l’impôt sur le revenu par internet (usage de la technique de l’option par défaut que nous avons décrite auparavant – I, B -).
L’OCDE, la même année, publie une compilation des expériences sur les « approches fondées sur les sciences comportementales » dont le résumé comporte une trentaine de pages. En 2017, soit trois ans plus tard, le même document mis à jour comportera plus de 400 pages. C’est dire l’essor de la notion qui, à l’époque, apparaît constituer une technique majeure pour l’amélioration de l’action publique. Le rapport de l’OCDE établit ainsi que les réformes inspirées par les techniques issues des sciences comportementale couvrent pratiquement tout le domaine de l’action publique. Il s’agit aussi bien de fiscalité, de protection des consommateurs, d’économies d’énergie, de protection de l’environnement, du domaine éducatif, de celui des produits d’épargne, de la santé et la sécurité publique et, plus généralement de l’encadrement des activités de service public (OECD 2017).
Les heuristiques utilisées visent, ainsi, à orienter des comportements grâce à la mise en œuvre d’architectures décisionnelles bien conçues qui laissent une entière liberté au sujet de droit, mais dont le législateur connaît par avance l’effet moyen, et dont il sait, surtout, qu’il sera conforme au but d’intérêt général recherché.
Cass Sustein et Richard Thaler ont esquissé une théorisation de cette approche en la décrivant comme l’émergence d’un nouveau concept reposant en apparence sur un oxymore, celui du « paternalisme libertaire ». Cette expression, selon ces auteurs, permet de révéler l’articulation des deux composantes centrales de la nouvelle technique légistique. Elle consiste à laisser une totale liberté au sujet de droit tout en orientant, au préalable, son choix grâce au recours à une architecture de décision dont le législateur connait le résultat « moyen ». L’approche est donc « libertaire » car elle s’interdit d’atteindre aux libertés individuelles (Sunstein et Thaler [2003], p. 1161-1162) et « paternaliste », en ce sens qu’elle renvoie à l’idée « ‘’qu’il est moralement légitime pour un agent privé ou public de décider à la place d’un autre pour son propre bien (Rawls [1987], p. 286)’’. Ainsi, interdire à un agent de fumer, de se droguer, de boire au nom de son bien-être (et non pas au nom des externalités que pourrait produire ce comportement) sont typiquement les conséquences d’une doctrine paternaliste » (Ferey 2011). Pour les auteurs, il convient, ainsi, de demeurer dans un cadre où chaque sujet de droit peut décider personnellement de son propre bien-être. Ce même sujet de droit pourra, toutefois, se trouver légitimement influencé dans ses choix par la puissance publique au nom même de l’intérêt général.
Sunstein expliquait, sur ce point, lors d’une conférence à l’ENS Paris (2017) qu’une des actions dont il était le plus fier lors de sa mission auprès de Barack Obama était la mise en œuvre du programme de lutte contre la sous-alimentation des enfants scolarisés. En effet, lorsque le programme conditionnait l’attribution de l’aide à la déclaration d’un parent, seuls un tiers des enfants concernés avaient pu en bénéficier. Après avoir réformé la procédure d’attribution de l’aide en confiant, cette fois, le soin de la déclaration à toute personne ayant connaissance de la situation critique de l’enfant, le nombre de bénéficiaires avait doublé. Cette réforme s’est directement inspirée des réflexions sur le choix de « l’option par défaut » que nous avons présenté ci-avant : l’architecture décisionnelle a été reconfigurée. En l’espèce, il n’y avait aucune logique déontique à l’œuvre ni d’incitation à proprement parler (cf. I, B) et, pourtant, l’effet de la modification à la fois considérable au plan quantitatif et conforme aux objectifs de la politique publique poursuivie.
Cet exemple est à rapprocher de celui du don d’organe que nous avions choisi précédemment (cf. I, B) : le respect de la liberté individuelle interdisant d’imposer légalement le prélèvement, le législateur a dû imaginer un mécanisme proposant un choix aux sujets de droit, tout en faisant en sorte d’orienter ces choix vers la solution la plus proche de la satisfaction de l’intérêt général. On mesure donc que le paternalisme libertaire a déjà marqué, dans le passé, certaines productions normatives, même en France.
B / L’approche heuristique en question
Reste à savoir si la prise en considération des heuristiques telle que, par exemple, le « coup de coude » décrit plus avant augmente véritablement l’efficacité d’une réforme. Au-delà de l’effet de mode qui voudrait faire des heuristiques l’alpha et l’oméga des réformes contemporaines, la théorie du paternalisme libertaire ne renverse pas la distinction traditionnelle entre l’ordre public classique (déontique) et l’ordre public économique incitatif. Elle se contente d’y ajouter une nouvelle modalité d’intervention publique, ce qui n’en demeure pas moins une évolution légistique majeure même si son efficacité mérite d’être discutée.
A ce titre, les critiques principales adressées à l’usage des heuristiques dans la loi peut être ramenée à trois points essentiels : leur utilisation reposerait, d’abord, sur une hypothèse contestable d’irrationalité des sujets de droit, ce qui n’est pas forcément exact ; leur mise en œuvre, ensuite, serait dissimulée et constituerait une manipulation, ce qui serait moralement répréhensible. Enfin, il ne semblerait pas envisageable de les utiliser pour structurer l’ensemble des textes utiles à la politique publique (la logique déontique a également ses vertus).
S’agissant de l’irrationalité18, Gigerenzer (2006, 2015) observe, d’abord, que ce qu’on appelle aujourd’hui « nudge(s) » renvoie en réalité à un corps de techniques utilisées depuis bien longtemps et, ce, dans la plupart des domaines de la politique publique. Son argument principal, ensuite, consiste à critiquer la position des tenants du paternalisme libertaire en soutenant, que si les biais cognitifs font dévier le raisonnement de la logique rationnelle, c’est parce que le concept même de rationalité qui a été retenu dans les expériences l’a été de façon trop restrictive. Retenant, dès lors, une définition élargie de la rationalité, qualifiée ici « d’écologique », parce que non réduite à une norme logique mais aux relations entre l’action du sujet de droit et son contexte. (« l’environnement »), il s’oppose résolument à la position du paternalisme libertaire.
Prenons un exemple. Dans le cadre de la théorie du paternalisme libertaire, on peut tirer parti du fait que l’appréciation d’une perte diffère très sensiblement de celle d’un gain (Kahneman, Tverski 1979). Or, considérer qu’une variation de l’environnement constitue un gain ou une perte dépend du point de référence initial. La fixation préalable de ce point de référence (par un expérimentateur) dans l’architecture d’un choix déterminera une appréciation en termes de gains et de pertes, ce qui permettra d’influencer les comportements. Kahneman et Tverski (1981) démontrent, ainsi, qu’en situation de pertes, les sujets réagissent, paradoxalement, en prenant de plus en plus de risques (par aversion aux pertes). La même situation présentée en termes de gains déclenchera à l’inverse, des réactions automatiques averses aux risques (cf. encadré ci-dessous).
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L’expérience de la grippe asiatique
Ci-dessous, le traitement de crise de la grippe asiatique, expérimentation présentée sous son versant positif (la situation est soumise au choix d’un premier groupe de décideurs)
Un pays du sud-est asiatique est menacé par une grave épidémie qui met en danger la vie de 600 salariés d’une filiale d’un groupe de sociétés. Deux actions sanitaires, dites A et B sont envisagées. Quelle action choisissez-vous ?
L’action A. Elle permet de sauver 200 vies avec certitude (65 % de sondés choisissent la solution A)
L’action B. Elle emporte la conséquence suivante : soit 33% de chances de sauver 600 vies, soit 67% de n’en sauver aucune (35 % des sondés choisissent la solution B)
Le traitement de crise de la grippe asiatique, présentée sous son versant négatif (la situation est situation soumise à un second groupe de décideurs)
Un pays de sud-est asiatique est menacé par une grave épidémie qui met en danger la vie de 600 salariés d’une filiale d’un groupe de sociétés. Deux actions sanitaires, dites C et D sont envisagées. Quelle action choisissez-vous ?
L’action C. Elle a pour conséquence, avec certitude, de provoquer 400 morts (26% choisissent la solution C)
L’action D. Elle emporte la conséquence suivante : soit 33% de chance qu’il n’y ait aucun mort soit 67% de chances qu’il y ait 600 morts (74 % choisissent la solution D)
Tout le monde conviendra que les décisions A et C sont des solutions comparables ; et que les décisions B et D sont des solutions identiques.
Pourtant le choix est très largement modifié par la présentation négative ou positive de la situation. La présentation en termes négatifs incite à retenir l’option risquée (majoritairement) en raison de l’aversion aux pertes. La présentation en termes positifs incite, à l’inverse, à retenir l’option sans risque (majoritairement) en raison de l’aversion au risque.
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Gigerenzer, pour sa part, en élargissant le concept de rationalité, dénie toute irrationalité à ce comportement. Pour lui, si les comportements sont différents, c’est parce que l’information transmise n’est pas la même. Ainsi, il existerait une rationalité « écologique » des choix, adaptée et issue de l’information tirée de l’environnement.
En outre, ajoute-t-il, de nombreux résultats expérimentaux démontrent la pertinence et le caractère définitivement raisonnable des raccourcis mentaux appelés « biais cognitifs »19 par les défenseurs du paternalisme libertaire. Donc, sans contester l’effet des nudges, il réfute l’argumentation consistant à bâtir des politiques publiques sur une supposée « irrationalité » des comportements. Citons à nouveau, comme il le fait, Herbert Simon (1985) « Bounded rationalité is not irrationality … On the contrary, I think there is plenty of evidence that people are generaly quite rational, that is, they usualy have reasons for what they do ».
Sur cette question de la rationalité, Sunstein (2018) répondra à l’interpellation, trois ans plus tard, de manière assez vive. Il rappellera, d’abord, que les tenants du paternalisme libertaire ne considèrent pas les heuristiques comme de pures irrationalités, puisque ces raccourcis et automatismes mentaux sont le plus souvent efficaces. Il ajoutera, ensuite, que la définition d’une rationalité « écologique » retenue par Gigerenzer n’est pas très claire. Il soulignera, enfin, que la plupart des résultats obtenus en matière de réforme ne l’ont pas été en laboratoire, mais bien en situation de terrain, notamment avec l’usage de la technique de l’option par défaut. Les biais ne sont donc pas, selon lui, un simple artefact expérimental de langage.
S’agissant du deuxième grief, celui de la manipulation, il est souvent avancé l’argument éthique (soutenu également par Gigerenzer) en vertu duquel les pouvoirs publics ne devraient pas pouvoir utiliser des techniques occultes d’orientation des comportements, même si ces interventions augmentent le bien être des sujets de droit20. Les normes, aussi bien que les actes individuels – dans leur acception juridique -, sont publics et devraient donc être transparents alors que les nudges procèderaient de la mystification car ils influencent les personnes et gauchissent leur décision.
Cet argument est contredit par Sunstein (2018) à l’appui de deux remarques. D’abord, la plupart des nudges n’ont d’effet que parce qu’ils sont affichés et, de la sorte, perceptible par les sujets de droit. La communication préalable de l’effet d’un nudge, en effet, n’en réduit pas l’efficacité, bien au contraire (Bruns & alii, 2016). Il ajoute que nombreux sont les nudges qui ont été adoptés après un long débat public sur leurs conséquences attendues. Ce fut le cas, ainsi, aux États-Unis, à propos des programmes de retraites offerts par défaut dans les entreprises.
Sunstein, ensuite, critique l’utilisation extensive du terme « manipulation ». Pour lui, un acte manipulatoire ne peut être entendu que comme un acte qui subvertit la capacité de délibération rationnelle, hypothèse qui ne concernerait que très peu de nudges (Sunstein 2015). Enfin, dans un article plus récent (Sunstein 2016), l’auteur démontre que lorsque des sujets de droit sont informés que leur choix vient d’être orienté par un nudge, leur réaction est positive, ce qui contredit la critique portant sur l’absence d’éthique du mécanisme.
Quant au dernier argument, qui tend à dénier aux nudges la pouvoir de régir l’ensemble de l’action publique, il ne souffre guère la critique, et permet de conclure notre propos. A l’évidence, ajouter aux instruments des politiques publiques un nouvel outil ne conduit pas nécessairement à supprimer les anciens. Les interdictions, les incitations, demeurent à l’évidence des dispositifs d’action publiques très efficaces dans la plupart des situations. Il nous faut, ainsi, garder la mesure et tempérer l’enthousiasme qu’a suscité initialement l’apparition des nudges dans la réglementation : l’utilisation des heuristiques est utile, elle est parfois nécessaire, mais elle ne saurait être analysée comme étant indispensable.
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- Beccaria, dans son célèbre ouvrage : Des délits et des peines ; insiste, par exemple, sur le caractère essentiellement exemplaire de la peine : « Le but des châtiments ne peut être dès lors que d’empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et de dissuader les autres d’en commettre de semblables. Il faut donc choisir des peines et une manière de les infliger qui, toute proportion gardée, fassent l’impression la plus efficace et la plus durable possible sur l’esprit des hommes, et la moins cruelle sur le corps du coupable » (Beccaria, Des délits et des peines, 1764, §12 : 24) ; plus loin : « Quel est le but politique des châtiments ? La terreur qu’ils inspirent aux autres hommes » (ibid, §16 : 30). Pour approfondir la question : A.P. Pires, “Beccaria, l’utilitarisme et la rationalité pénale moderne”, in, Histoire des savoirs sur le crime et la peine, Tome II : La rationalité pénale et la naissance de la criminologie, Chapitre 3, pp. 83-143 ; Les Presses de l’Université de Montréal, Les Presses de l’Université d’Ottawa, Collection : Perspectives criminologiques. De Boeck Université, 518 pp, 1998. [↩]
- Peut-on attendre d’un délinquant qu’il adopte un raisonnement fondé sur un pur calcul d’optimisation, c’est-à-dire qu’il arbitre entre le caractère dissuasif d’une peine et les avantages attendus de l’infraction qu’il envisage de commettre ? Il est permis d’en douter, du moins dans la majorité des cas. C’est pourtant la logique parfois suivie en matière pénale aux Etats-Unis depuis les travaux initiateurs de Gary Becker portant sur l’économie appliquée au droit (1968). Sa théorie suppose en effet que le comportement du sujet de droit résulte d’un calcul d’optimisation. Ainsi, un système de « tolérance zéro » déboucherait – selon ce raisonnement – sur l’instauration de peines plancher, ôtant ainsi toute latitude au juge, qui n’aurait pas ou peu à tenir compte du contexte environnant la commission de l’infraction. [↩]
- Nous connaissons tous, en effet, des bibliothécaires bricoleurs, sportifs, dynamiques etc., et des entrepreneurs lymphatiques. [↩]
- Issu d’un long processus de sélection darwinien, les heuristiques permettent d’économiser la ressource mentale la plus rare : notre attention. C’est la raison pour laquelle un débat sous-jacent est encore en cours sur le point de savoir si lesdites heuristiques améliorent la prise de décision ou la détériorent (cf. Kahneman v Gigerenzer, infra [↩]
- Nous soulignerons le caractère volontairement simpliste de ce rapprochement : il tient, naturellement à la pluridisciplinarité de l’approche retenue par les co-auteurs. [↩]
- Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, article 3, al. 2, « Les intérêts et le bien-être de l’individu devraient l’emporter sur le seul intérêt de la science ou de la société », http://portal.unesco.org/fr/ev.phpURL_ID=31058&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html [↩]
- Le système comporte des variantes qui ont également une influence sur le taux de dons, ainsi, à l’origine, le législateur français, à l’occasion de l’édiction de la loi du 29 juillet 1994, a estimé nécessaire de préciser que, sauf expression d’une opposition sur un registre national du refus, le médecin doit recueillir auprès de la famille la volonté du défunt. Depuis la loi santé, applicable au 1er janvier 2017, toutefois, le système a changé, dans l’objectif avoué d’augmenter le pourcentage de dons d’organes : désormais un amendement introduit dans la loi précitée et applicable au 1er janvier 2017 durcit les conditions de refus, en précisant que « le prélèvement d’organes post-mortem peut être pratiqué sur une personne majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement, principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet ». A défaut, le législateur présumera du don, sauf si les proches du défunt attestent des circonstances précises du refus de don formulé par ce dernier, par un document écrit et signé. [↩]
- Ces statistiques devraient augmenter dans les années à venir, la France ayant adopté un système plus favorable aux dons depuis la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (dite lois santé), JO du 27 janvier 2016, précitée ; cf. supra. [↩]
- Ainsi, en 2009, les statistiques étaient les suivantes (données récentes non disponibles)
– Consentement par défaut : France (loi du…), Espagne, Italie
– 24,1 de dons d’organe en France, 34,4 en Espagne et 21,3 en Italie.
– Consentement explicite ex ante : Allemagne, Royaume-Uni
– 14,9 en Allemagne,
– 15,1 au Royaume-Uni,
Source, « Encadrement juridique international dans les différents domaines de la bioéthique », Agence de la biomédecine, 2010, https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/document_encadrement_juridik2010.pdf [↩]
- Il nous semble difficile, cependant, d’attribuer cet effet aux seules heuristiques cognitives ; en effet, d’autres facteurs se combinent avec elles, facteurs contradictoires qui affectent la démonstration précédente de trop d’incertitude. D’une part, en effet, lorsque le consentement est présumé, la méconnaissance de la législation par la personne décédée joue un rôle majeur dans l’augmentation du pourcentage : de facto, le défunt n’a pas pu renverser la présomption car il n’en connaissait pas l’existence. D’autre part, en cas d’ignorance de la législation par le donataire présumé, la décision n’ayant pas été prise de son vivant, elle revient (en France) à la seule famille. Or, l’affectivité qui entoure la situation du décès d’une personne proche joue cette fois en sens inverse, c’est-à-dire en défaveur du don d’organe. Nous sommes donc confrontés ici à une combinaison de facteurs particulièrement complexe, et cette accumulation de facteurs particulièrement complexe nous semble rendre la mesure exacte des effets des heuristiques assez vaine. [↩]
- LOI n° 2005-67 du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur, JORF n°26 du 1 février 2005 page 1648, Ces dispositions ont été complétées par la loi n° 2014-344 relative à la consommation du 17 mars 2014 dite Hamon, JORF n°0065 du 18 mars 2014, page 5400. [↩]
- (type d’information, par lettre recommandée – ou non – à adresser à l’autre partie, par exemple [↩]
- La légistique a pour objet de présenter l’ensemble des règles, principes et méthodes qui doivent être observés dans la préparation des textes normatifs : lois, ordonnances, décrets, arrêtés. Cf guide de la légistique du conseil d’Etat et du secrétariat général du gouvernement (3ème ed 2017). [↩]
- Ces deux auteurs reprendront pour base, à cette occasion, les travaux de l’économie comportementale entrepris depuis les années 70, travaux distingués par l’attribution de deux prix Nobel, le premier à Daniel Kahneman en 2002, et le second à Richard Thaler en 2017. [↩]
- Sunstein 2018 « misconceptions about nudges », in: journal of behavioural economics for policy, vol..n° 1 p. 61-67.) « nudges are private or public initiatives thats steer people in particular directions but that also allow them to go their own way », (p.61). Thaler & Sustein, in Nudges 2008: « a nudge, as we shall use the terms is any aspect of the choice architecture that alters people behaviour in predictible way without forbidding any options or significantly changing their economic incentives ». [↩]
- Thaler et Sunstein, 2008, Nudge: Improving Decisions About Health, Wealth and Happiness, Yale University Press [↩]
- Cass Sustein a été administrateur de l’OIRA (Office of Information and Regulatory Affairs) jusqu’en 2012. [↩]
- Cette question a été également discutée à l’occasion de l’article en 1998 de Jolls, Sunstein et Kelman l’approche comportementale en droit et en économie par le Juge Posner et le professeur Kelman. Il nous semble que la réponse à ces critiques des trois auteurs précités clos la discussion : “Judge Posner and Professor Kelman frequently use the word « irrationality, » and they write as if « irrationality » and « irrational behavior » are at the heart of behavioral economics and behavioral law and economics. But our article intentionally avoided that word, on the ground that it is not useful and is likely to mislead. We do far better to specify how human beings actually behave (and depart from the conventional theory) than to argue whether they are « irrational. » Hence we refer to quasi rational agents and to bounded rationality, bounded willpower, and bounded self-interest …”, (Jolls, Sunstein, Thaler, 1998 p1594). [↩]
- Pour l’auteur, il n’y a pas de biais. En effet le comportement est rationnel en fonction de l’information fournie. [↩]
- Sur ce courant défavorable aux nudges, voir, par exemple : Cave, Eric M. (2014), “Unsavory Seduction and Manipulation,” in Manipulation: Theory and Practice , ed. Christian Coons and Michael Weber, Oxford University Press, 176–200 ; Felsen, Gidon, Noah Castelo, and Peter B. Reiner (2013), “Decisional Enhancement and Autonomy: Public Attitudes Toward Overt and Covert Nudges,” Judgment and Decision Making , 8(3), 202–13 ; Hansen, Pelle Guldborg and Andreas Maaløe Jespersen (2013), “Nudge and the Manipulation of Choice,” The European Journal of Risk Regulation , 4(1), 3–28. [↩]
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