L’admission de la soft law, ce droit « flou », « mou », « doux » (C. Thibierge, Le droit souple, réflexions sur les textures du droit, RTD civ. 2003.599) dans la conduite des activités de régulation économique est désormais parfaite.
Après la précision apportée au régime contentieux des circulaires issu de la jurisprudence Notre-Dame du Kreisker (CE, Ass., 29 janvier 1954, req. n° 07134), par la décision Duvignères (CE, Sect. 18 décembre 2002, req. n° 233618), le temps est désormais à la précision du régime spécifique aux actes des autorités de régulation, tel que l’a récemment modelé le Conseil d’État (CE, 11 octobre 2012, Société Casino Guichard-Perrachon, req. n° 357193 ; CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta, req. n° 368082).
Par requête directe devant le Conseil d’État, le Syndicat des radios indépendantes (SIRTI) a sollicité du Conseil d’État l’annulation de la décision implicite de refus du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de fournir son interprétation de la notion de « musique de variétés », au sens et pour l’application du 2° bis de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986.
Le Conseil rejette la requête tant au motif que le CSA ne dispose pas, en l’espèce, de pouvoir règlementaire qu’au motif qu’une autorité administrative n’est, en tout état de cause, pas tenue d’informer les administrés de l’interprétation qu’elle entend faire d’une disposition normative qu’elle est amenée à appliquer.
Le premier motif n’appelle pas de commentaire particulier. Si le Conseil constitutionnel a reconnu au législateur le pouvoir d’habiliter une autorité autre que le Premier ministre à prendre des actes règlementaires d’application de la loi, ce ne peut être qu’un pouvoir d’attribution (CC, 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, n° 86-217 DC). Cela implique qu’il doit être expressément prévu par la loi et limité dans son objet, c’est-à-dire qu’il « ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu » (CC, 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, n° 88-248 DC). Or, en l’espèce, la loi ne renvoie à aucune mesure règlementaire dont l’édiction serait requise pour son application. Il faut en outre souligner que l’interprétation de la notion de « musique de variété », au sens de la disposition précitée de la loi de 1986 est une question qui semble catalyser l’énergie contentieuse des acteurs économiques du secteur radiophoniques. En effet, dans une très longue et détaillée décision, qui permet de saisir l’étendue de l’office du juge négatif de constitutionnalité des lois, le Conseil d’État avait jugé
qu’en employant les termes de » musique de variétés « , le législateur s’est référé à une notion commune et d’usage courant désignant l’ensemble de la chanson populaire et de divertissement accessible à un large public, par opposition, notamment, à l’art lyrique et au chant du répertoire savant ; que le législateur n’est ainsi pas resté en deçà de sa compétence en ne définissant pas davantage cette notion, dont il appartient au CSA de préciser, le cas échéant, la portée, sous le contrôle du juge.
CE, 14 février 2018, Syndicat des radios indépendantes, req. n° 412296, cons. 10
et, en conséquence, rejeté la demande de question prioritaire de constitutionnalité présentée par la même requérante.
Le rejet de l’assimilation de l’adoption d’une prise de position avec l’exercice du pouvoir règlementaire entraîne mécaniquement le fait que le CSA, non seulement, n’était pas tenu de répondre positivement à la demande formulée par le SIRTI, mais au contraire, était même tenu de la rejeter. Toute solution contraire aurait été illégale.
En d’autres termes, le refus de systématiser ou de publier l’interprétation qu’entend faire une autorité de régulation d’une notion législative ne peut équivaloir à un refus d’adopter un acte règlementaire dès lors que le législateur n’a de toute façon pas habilité l’autorité à adopter de tels actes.
S’agissant du second motif retenu, on pourrait toutefois regretter que le Conseil d’État n’ait pas suivi le mouvement d’accueil du rescrit initié par le législateur avec la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance. L’édiction d’une ligne de conduite administrative générale, voire même d’une prise de position, à la demande de l’administré permet d’affermir la sécurité juridique du demandeur.
Car, au-delà de la sécurité juridique qu’assure la formalisation d’une prise de position, d’évidence, un autre intérêt réside dans ce que cette prise de position doit être opposable à l’administration. Il n’y aurait en effet aucun bénéfice, pour l’administré, à se soumettre au « dispositif » d’un acte amené à influer sur sa situation juridique – car faisant grief, un recours en excès de pouvoir est ouvert – s’il ne peut l’opposer à l’administration : tu patere legem quam ipse fecisti.
Deux considérations plaident cependant en faveur de la solution retenue en l’espèce.
D’une part, le rescrit administratif tel qu’il est aujourd’hui défini à l’article L. 124-1 CRPA est limité à la seule demande d’être contrôlé par l’autorité compétente. Le caractère opposable du rescrit ne vaut que pour l’objet de ce contrôle, dans les limites de droit et de fait dans lequel il a été réalisé (art. L. 124-2 CRPA). On peut tout à fait imaginer a priorique, dans le cas d’espèce, une telle procédure pourrait être mise en œuvre, le CSA ayant pour mission d’assurer le contrôle des dispositions de la loi de 1986 ainsi que, le cas échéant, d’assurer la sanction de leur violation.
Par ailleurs, le rescrit de droit commun institué à l’article L. 124-1 CRPA s’oppose dans son contenu et dans ses effets au rescrit fiscal prévu à l’article L. 80A du Livre des procédures fiscales, en ce que, dans ce dernier cas, l’assujetti peut solliciter de l’administration tant l’interprétation des textes que l’application de ceux-ci à sa situation personnelle. Il se distingue encore du rescrit en matière d’urbanisme (au sens large) prévu par l’article 54 de la loi n° 2018-727 précitée. Il s’agit ici d’un « rescrit juridictionnel » adoptant la forme d’un recours particulier dénommé « demande en appréciation de régularité », en cours d’expérimentation.
L’érection par voie prétorienne d’une obligation de réponse à une demande de prise de position sur l’interprétation générale qu’elle entend retenir d’une disposition législative irait bien au-delà de ce que le législateur a déjà pu admettre. Si la sécurité juridique semble être devenue un fil conducteur des innovations récentes du Conseil d’État en matière de procédure contentieuse, le sens de cette jurisprudence en cours de perfectionnement se laisse difficilement qualifier comme étant a prioriparticulièrement favorable à l’administré (on pense ici, entre autres, aux décisions CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony, req. n° 335033 ; CE, Ass., 13 juillet 2016, Czabaj, req. n° 387763 ; ou encore CE, Ass., 18 mai 2018, CFDT Finances, req. n° 414583).
D’autre part, et surtout, il n’est pas du tout certain que les faits d’espèce se soient particulièrement prêtés à une oreille bienveillante du juge. Il faut en effet rappeler que dans la décision du 14 février 2018, le Conseil d’État avait rappelé la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel à l’occasion de son contrôle de la loi de 1988 (n° 88-248 DC, préc.) :
le CSA ne peut, ainsi, prononcer une sanction contre le titulaire d’une autorisation qu’en cas de réitération d’un comportement ayant fait auparavant l’objet d’une mise en demeure par laquelle il a été au besoin éclairé sur ses obligations et qu’il est en mesure de contester ; que, s’agissant des obligations de diffusion de chansons francophones imposées par les dispositions législatives contestée, une telle mise en demeure est de nature à éclairer les éditeurs de services de radio sur la portée que le CSA donne à la notion de musique de variétés
n° 412296, préc.
Le Conseil d’État assoit sur cette réserve sa conclusion selon laquelle le principe de légalité des délits et des peines, qui impose notamment la prévisibilité tant de l’infraction que de sa sanction, est respecté. Ce faisant, le Conseil d’État neutralise tout risque lié au caractère indéterminable de la notion de « musique de variété ». Surtout, dans ces conditions, le CSA contribue à l’interprétation de la notion par sédimentation, par itération et affinage ponctuel, au gré des mises en demeure individuelles. Cette technique « pointilliste » étant imposée au CSA, il était logiquement tout à fait exclu que le Conseil d’État puisse admettre une obligation générale de fournir aux entités régulées – et, en définitive, à tout administré – une interprétation systématisée de la notion. La question méritait d’être posée. Espérons qu’elle soit de nouveau soulevée, mais dans une espèce plus favorable.