REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour le 11 juillet 2005 sous le n° 05NC00897, complétée par mémoires enregistrés le 29 septembre 2005 et le 31 octobre 2007, présentée pour la société VIVENDI UNIVERSAL, dont le siège est situé 42 avenue de Friedland à Paris 75380 Cedex 08, représentée par ses représentants légaux, par Me Deruy, avocat associé ;
La société VIVENDI UNIVERSAL demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement en date du 10 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Dizier à lui verser la somme de 5 466 697,51 euros (35 859,185 F) en réparation du préjudice subi du fait de la modification unilatérale du contrat d’affermage de l’eau ;
2°) de condamner la commune de Saint-Dizier à lui verser, en l’état de ses dernières écritures, la somme de 4 675 239 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Dizier le paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
– le jugement est entaché d’irrégularité en ce que le Tribunal a relevé d’office le moyen tiré de la faute exonératoire sans le soumettre préalablement aux parties ;
– si le Tribunal a reconnu à bon droit la responsabilité contractuelle de la commune qui n’avait pas le pouvoir de modifier unilatéralement les clauses financières du contrat, il a en revanche estimé, à tort, que la société VIVENDI n’avait pas justifié des motifs qui l’ont conduite à refuser de conclure un avenant reprenant les propositions de la commission tripartite, alors qu’elle a régulièrement contesté la méthode et les conclusions de ladite commission ; ces conclusions n’ont pas constitué une application exacte du traité mais ont entraîné un bouleversement de l’économie générale du contrat ;
– au surplus, les parties étaient libres de conclure ou non un avenant reprenant les conclusions du rapport ; aucune clause du contrat n’imposait au fermier de justifier son refus ;
– a fortiori, le refus de conclure l’avenant n°2 n’a pas constitué une faute grave de nature à exonérer la commune de toute responsabilité contractuelle à son égard ; la société fermière n’a pas arbitrairement refusé la révision du traité d’affermage ; le désaccord entre les parties n’a pas porté sur le principe de la révision mais sur le niveau de la modification tarifaire ;
– la commission tripartite n’est pas un tribunal arbitral ; l’article 42 du traité d’affermage confie simplement à la commission tripartite une fonction de médiation ;
– le préjudice invoqué, constitué du manque à gagner, présente un caractère certain ; les prétendues carences de la société fermière dans l’exécution du service public sont infondées ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les mémoires en défense, enregistrés le 16 mars et le 3 novembre 2007, présentés pour la commune de Saint-Dizier, représentée par son maire en exercice, par Me Gauch, avocat ; la commune conclut :
– au rejet de la requête ;
– à ce que soit mis à la charge de la société VIVENDI UNIVERSAL le paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que l’exonération de responsabilité de la ville ne saurait être regardée comme constituant un moyen relevé d’office ; que les parties ont mis en oeuvre la stricte application du contrat d’affermage concernant la procédure de révision du prix ; qu’en s’opposant de manière injustifiée, à la signature d’un avenant conforme aux propositions de la commission tripartite, la société a commis une faute d’une gravité telle qu’elle aurait pu justifier une résiliation du contrat à ses torts exclusifs ; que la modification unilatérale du contrat est l’aboutissement d’un processus à l’origine duquel se trouve la faute du fermier ; qu’en toute hypothèse, le caractère certain du préjudice n’est aucunement démontré ; qu’au surplus, le montant du préjudice allégué ne résulte que d’une simple équation dont les données sont inexactes ;
Vu, en date du 20 février 2007, l’ordonnance fixant au 19 mars 2007 la clôture de l’instruction ;
Vu, en date du 10 mai 2007, l’ordonnance décidant de rouvrir l’instruction ;
Vu, en date du 9 novembre 2007, la note en délibéré présentée pour la société VIVENDI UNIVERSAL ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 8 novembre 2007 :
– le rapport de Mme Guichaoua, premier conseiller,
– les observations de Me Levain, de la S.C.P. Gide, Loyrette, Nouel, avocat de la société VIVENDI UNIVERSAL, et de Me Gauch, avocat de la commune de Saint-Dizier,
– et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que la société VIVENDI UNIVERSAL demandait la condamnation de la commune de Saint-Dizier à réparer le préjudice résultant pour elle de la modification initiale du contrat d’affermage de l’eau dont elle était titulaire ; qu’il résulte de l’instruction que la commune de Saint-Dizier qui s’est bornée, en première instance, à retracer le contexte général du litige et à relever le caractère indu des sommes réclamées par la société VIVENDI UNIVERSAL, n’a pas soulevé le moyen tiré de l’existence d’une faute exonératoire imputable à ladite société ; qu’en soulevant d’office ce moyen pour écarter la responsabilité de la commune, sans en informer préalablement les parties comme il était tenu de le faire en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure et a entaché sa décision d’irrégularité ; qu’il y a lieu d’annuler ladite décision et de statuer immédiatement, par la voie de l’évocation, sur les conclusions de la société VIVENDI UNIVERSAL présentées devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant qu’aux termes de l’article 40 du traité d’affermage conclu le 28 juin 1990 entre la commune de Saint-Dizier et la Compagnie générale des Eaux, devenue la société VIVENDI UNIVERSAL : Pour tenir compte de l’évolution des conditions économiques et techniques et pour s’assurer que la formule d’indexation est bien représentative des coûts réels, le niveau du tarif fermier, d’une part, et la composition de la formule de variation, y compris la partie fixe, d’autre part, devront être soumis à un réexamen sur production par le fermier des justifications nécessaires et notamment des comptes de l’exploitation, dans les cas suivants : 1) après cinq ans… »; que l’article 42 relatif à la procédure de révision stipule que : « … Si, dans les trois mois à compter de la date de la demande de révision présentée par l’une des parties, un accord n’est pas intervenu, il sera procédé à cette révision par une commission composée de trois membres, dont l’un sera désigné par la collectivité, l’autre par le fermier et le troisième par les deux premiers. Faute à ceux-ci de s’entendre dans un délai de quinze jours, la désignation du troisième membre sera faite par le président du tribunal administratif. …» ;
Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction que la procédure de révision des tarifs du service de distribution d’eau potable de la commune de Saint-Dizier a été entreprise en 1998, à l’initiative de la collectivité, à la suite d’un audit effectué en application des stipulations du traité d’affermage par le cabinet Service Public 2000 et en parallèle à un contrôle de la Chambre Régionale des Comptes, concluant, au vu des éléments à la disposition du consultant, à une différence importante entre la marge annoncée par le fermier dans son compte rendu financier (2,5 %) et celle résultant de ses propres évaluations (30 %) ; que la société VIVENDI UNIVERSAL avait, de son côté, acquiescé à l’engagement d’une nouvelle négociation sur les aspects économiques du traité dans la mesure, notamment, où une période de plus de cinq ans s’était écoulée depuis la révision du contrat d’affermage ; qu’en l’absence d’accord entre les parties sur le niveau de rémunération du fermier, une commission tripartite a été mise en place dans les conditions prévues par l’article 42 précité du contrat d’affermage pour procéder, conformément aux stipulations dudit article, à la révision demandée ; qu’après plusieurs mois de travaux, la commission, constatant que l’augmentation annuelle du prix de l’eau, par le jeu de la formule d’indexation figurant dans le traité d’affermage, avait suivi depuis 1990 une évolution supérieure à celle des charges portées par le fermier dans ses comptes rendus financiers annuels, a conclu à une diminution du tarif fermier du prix de l’eau de 1,548 F par m3 et à l’adoption d’une nouvelle formule de révision du prix tenant mieux compte des coûts réels d’exploitation ; qu’en décidant, par délibération du 20 janvier 2000, d’adopter les préconisations de la commission, la commune n’a fait que tirer les conséquences des choix de procédure auxquelles les parties ont entendu se soumettre en cas de désaccord sur la révision des prix de l’eau et des formules de variation ; qu’ainsi, aucune faute ne pouvant être imputable à la commune dans l’exécution du contrat, la société VIVENDI UNIVERSAL n’est pas fondée à demander, à ce titre, la condamnation de la collectivité à lui verser la somme de 4 675 239 euros en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de la modification unilatérale dudit contrat ;
Considérant, d’autre part, que si la nouvelle tarification retient, dans des proportions au demeurant limitées, une diminution des tarifs plus importante que celle que la société VIVENDI UNIVERSAL se déclarait disposée à consentir, celle-ci n’établit pas et il ne résulte pas de l’instruction, compte tenu des constatations opérées dans le cadre de l’audit et vérifiées par la commission, que la détermination, dans les conditions prévues au contrat, de la nouvelle tarification ait entraîné un bouleversement de l’équilibre financier de celui-ci ; que la société VIVENDI UNIVERSAL ne peut, dès lors, fonder ses prétentions à être indemnisée d’un manque à gagner sur la méconnaissance dudit principe ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la demande de la société VIVENDI UNIVERSAL doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Dizier, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société VIVENDI UNIVERSAL demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société VIVENDI UNIVERSAL le paiement à la commune de Saint-Dizier de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement en date du 10 mai 2005 du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société VIVENDI UNIVERSAL devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le surplus de la requête d’appel sont rejetés.
Article 3 : La société VIVENDI UNIVERSAL versera à la commune de Saint-Dizier la somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société VIVENDI UNIVERSAL et à la commune de Saint-Dizier.