Chapitre deux- Les contrats administratifs
Trois problématiques seront successivement évoquées : la notion de contrat administratif, le régime des contrats administratifs et le contentieux des contrats administratifs.
Section I- Notion de contrat administratif
La qualification de contrat administratif peut résulter d’un texte de loi. A défaut, les juges ont recours à des critères jurisprudentiels de qualification.
§I- Contrats administratifs par détermination de la loi
Lorsque la qualification de contrat administratif est précisée par la loi, le juge administratif est tenu de la respecter :
Exemples :
– Les contrats relatifs à l’exécution de travaux publics sont des contrats administratifs en application de la loi du 28 pluviôse an VIII.
– Depuis la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (loi dite « MURCEF », art 2), les marchés passés en application du Code des marchés publics sont des contrats administratifs. Ce texte avait mis fin à la jurisprudence du Tribunal des conflits selon laquelle le fait qu’un contrat était soumis, en raison de son montant, au Code des marchés publics, ne pouvait suffire à lui conférer le caractère de contrat administratif (TC, 5 juillet 1999, requête numéro 3142, Commune de Sauve c. Société Gestetner : AJDA 1999, p. 554, chron. Raynaud et Fombeur ; Dr. adm. 1999, 248, obs. Schwartz ; RDP 2000, p. 247, note Llorens ; RFDA 1999, p. 1163, concl. Schwartz).
– L’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession précise que ces contrats sont des contrats administratifs.
Il faut aussi relever que lorsque le cocontractant public devient, en cours d’exécution, une personne privée, par exemple en cas de privatisation d’un établissement public à caractère industriel et commercial, les juges considèrent que « sauf disposition législative contraire, la nature juridique d’un contrat s’apprécie à la date à laquelle il a été conclu » (TC, 16 octobre 2006, requête numéro 3506, Caisse centrale de réassurance c. Mutuelle des architectes français : AJDA 2006, p. 2382, chron. Landais et Lenica ; CJEG 2007, p. 30, concl. Stahl ; Contrats-marchés publ. 2016, 319, note Zimmer ; Dr. adm. 2006, focus 21, obs. Noguellou ; JCPA 2007, 2077, note Plessix ; RFDA 2007, p.284, concl. Stahl, note Delaunay). Cette solution s’applique y compris en cas de cession du contrat par la nouvelle société à une autre société privée (TC, 11 avril 2016, requête numéro 4043, Société Fosmax Lng c/ Société TCM FR, Tecnimont et Saipem : Contrats-Marchés publ. 2016, 146, note Pietri.- V. également TC, 4 juillet 2016, requête numéro 4055, Société JSC Investissement et Société SODEC Commercialisation et Gestion c/ Société Aéroports de Paris).
§II- Critères jurisprudentiels de qualification
Dans le silence des textes, la jurisprudence a dégagé différents critères de qualification des contrats. Un contrat administratif doit d’abord mettre en présence au moins une personne publique (critère organique). Il doit ensuite soit contenir une clause exorbitante du droit commun, soit avoir pour objet l’exécution même du service public (critère matériel). Pour qu’un contrat soit qualifié de contrat administratif le critère organique et le critère matériel doivent être satisfaits de façon cumulative.
I- Critère organique
En principe, un contrat ne peut être un contrat administratif que si au moins l’une des parties est une personne publique. Ce principe fait cependant l’objet d’un certain nombre d’aménagements.
A- Principe
Un contrat passé uniquement entre des personnes privées est en principe toujours un contrat de droit privé soumis aux règles du Code civil.
Ce principe s’applique y compris dans les hypothèses où l’une des personnes privées signataires exerce une mission de service public et dispose de prérogatives de puissance publique.
Exemple :
– CE, 15 mars 1999, requête numéro 199889, Union des Mutuelles de la Drôme (RFDA 2002, p. 350, note Lichère): les conventions d’objectifs passées par les caisses mutuelles régionales, qui sont des personnes morales de droit privé gérant un service public, sont des contrats de droit privé.
Il en va de même lorsque le contrat porte sur l’exécution d’un travail public (TC, 21 juillet 1972, requête numéro 78563, SA Entreprise ossude : Rec. p.562) ou s’il est conclu pour la mise en œuvre d’une mission de service public (CE Sect., 13 décembre 1963, Syndicat des praticiens de l’art dentaire du département du Nord et Merlin : Rec. p. 623).
Ainsi, l’élément organique joue un rôle majeur, ce qui constitue une différence notable entre le régime des contrats et celui appliqué aux actes administratifs unilatéraux. En effet, pour les actes unilatéraux, les considérations organiques s’effacent : lorsqu’est contesté un acte administratif unilatéral pris par une personne privée, c’est le juge administratif qui est compétent.
B- Aménagements
Il existe des hypothèses où un contrat conclu entre deux personnes privées est néanmoins qualifié de contrat administratif. En revanche, ce n’est pas parce qu’un contrat est passé par deux personnes publiques qu’il est nécessairement un contrat administratif.
1° Contrats conclus entre personnes privées
Dans un arrêt Société d’HLM pour Paris du 14 décembre 2009 (requête numéro C3716), le Tribunal des conflits a rappelé que « le contrat conclu entre deux personnes morales de droit privé est présumé être un contrat de droit privé » dès lors en tout cas qu’elles ont agi pour leur « propre compte »
La jurisprudence admet en effet qu’une personne publique dont la présence est exigée au contrat peut ne pas l’avoir signé, à condition qu’elle soit en quelque sorte représentée par l’une des parties privées signataires. Trois hypothèses sont ici à distinguer : celle où le contrat est conclu par une association transparente, celle du mandat et celle où le contrat litigieux est l’accessoire d’un contrat administratif.
a- Contrats conclus par des associations transparentes
Une association est transparente lorsqu’elle est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources. Il en résulte que « les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs » (CE, 21 mars 2007, requête numéro 281796, Commune de Boulogne-Billancourt : Rec. p. 130 ; BJCP 2007, 230, concl. Boulouis, note Ch. M. ; AJDA 2007, p. 915, note Dreyfus ; RJEP 2007, p. 270, note N. E).- V. également CAA Nancy, 22 mars 2012, requête numéro 11NC00238, Si Abdallah : LPA 22 avril 2013, p. 10, note Tifine
b- Mandat
Avant d’évoquer précisément la question du mandat administratif il faut relever que les juges ont longtemps considéré que l’objet du contrat, c’est-à-dire la nature de certaines prestations réalisées par une personne privée, pouvait permettre de reconnaître le caractère administratif d’un contrat. Plus précisément, le juge estimait, dans certains cas, que la personne privée concernée a agi sans mandat mais pour le compte d’une personne publique, et le critère organique était alors indirectement satisfait.
Cette hypothèse avait été dégagée par le Tribunal des conflits dans son arrêt Société entreprise Peyrot du 8 juillet 1963 (Rec. p. 787 ; AJDA 1963, p. 463, chron. Gentot et Fourré ; D. 1963, jurispr. p. 543, concl. Lasry, note Josse ; JCP G 1963, II, 13375, note Auby ; RDP 1963, p. 766, concl. Lasry ; RDP 1964, p. 767, note Fabre et Morin). Dans cette affaire, les juges relèvent que la construction des routes nationales et des autoroutes appartient par nature à l’Etat. Toutefois elle peut être concédée à des sociétés d’économie mixte, lesquelles sont assimilables à des personnes privées. Mais puisque le concessionnaire agit pour le compte de l’Etat, les contrats publics passés par le maître de l’ouvrage avec ses sous-traitants – qui ne peuvent être qualifiés de marchés publics, sont soumis aux règles du droit public, que la construction soit assurée par l’Etat ou par un concessionnaire. La solution retenue permettait ainsi de soumettre au seul juge administratif ce type de contrats, que l’autoroute ait été directement construite par l’Etat ou que sa construction ait été concédée.
Cette jurisprudence avait été étendue à d’autres hypothèses assez proches.
Exemple :
– TC, 4 novembre 1996, requête numéro 02990, Espinosa (Rec. p.553): présentent une nature administrative les contrats passés par le concessionnaire d’une autoroute, fût-ce avec d’autres personnes privées, dès lors que leur objet est d’édifier les ouvrages principaux ou accessoires de l’autoroute. Cette règle s’applique aux contrats dont l’objet est de permettre la réalisation des travaux nécessaires pour lutter contre le bruit provoqué par cette infrastructure de transports terrestres, et cela même si ces travaux doivent être réalisés hors de l’emprise de l’autoroute ou sur un immeuble privé.
Ceci étant, cette jurisprudence avait vocation à s’appliquer peu fréquemment, la notion de travaux « appartenant par nature à l’Etat » étant entendue de façon très restrictive.
Exemple :
– TC, 17 décembre 2001, requête numéro C3274, Hartmann et Association P.R.I.S.M.E, (Contrats Marchés publ. 2002, 66 ; RFDA 2002, p. 43) : une association chargée de sélectionner l’artiste qui devra édifier une œuvre d’art sur la place publique d’une commune ne saurait être considérée comme agissant au nom et pour le compte de cette commune.
Le fait même que la jurisprudence Peyrot était demeurée isolée et cantonnée à une hypothèse précise remettait en cause sa pertinence : si l’on peut admettre l’idée selon laquelle certaines activités appartiennent par nature à l’Etat – alors même que l’on serait bien embarrassé de devoir définir exactement le contenu de ces activités – on ne voit pas pourquoi cette notion ne s’appliquerait qu’au type d’activités visées par l’arrêt Peyrot.
Finalement, le Tribunal des conflits a opéré un revirement de jurisprudence à l’occasion de son arrêt du 9 mars 2015, Rispal c/ Société des Autoroutes du Sud de la France (Tribunal des conflits, 9 mars 2015, Rispal c/ Société Autoroutes du Sud de la France, requête numéro 3984:AJCT 2015, p. 403, obs. Dreyfus ; AJDA 2015, p. 1204, chron. Lessi et Dutheillet de Lamothe et p. 601, tribune Clamour ; Dr. adm. 2015, 34, note Brenet ; Contrats-marchés publ. 2015, 110, note Devillers ; JCP A 2015, 2157, note Sestier et 2157, chron. Hul ; RFDA 2015, p. 265, concl. Escaut et p. 273, note Canedo-Paris ; RTD com. 2015, p. 247, chron. Orsoni.- V. également Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 17 juin 2015, Société des Autoroutes Paris-Rhone-Rhin, requête numéro 383203: JCPA 2015, 2359, note Martin). Il résulte de cet arrêt « qu’une société concessionnaire d’autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat » et « que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ». Notons toutefois qu’eu égard aux conséquences de ce revirement, le Tribunal des conflits a décidé de moduler ses effets : la qualification des contrats signés avant le 9 mars 2015 – soit la date de lecture l’arrêt Rispal – n’est pas remise en cause. Le revirement ne vaut donc que pour l’avenir. Par ailleurs on peut s’interroger sur la portée de la référence faite par le Tribunal des conflits à des « conditions particulières » qui pourraient conduire à considérer que, dans certains cas, le contrat litigieux pourrait malgré tout être qualifié de contrat administratif.
Ce revirement de jurisprudence ne remet pas en cause le cas où une personne privée, en concluant un contrat, agit en tant que mandataire d’une personne publique. Dans cette hypothèse, ce n’est pas l’objet particulier du contrat, mais c’est le lien de l’une des personnes privées contractante avec une personne publique qui justifie le caractère administratif du contrat. L’hypothèse du mandat administratif est un cas de figure très proche de celui du mandat en droit civil (sur ces questions V. M. Canedo, Le mandat administratif, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public 2001, t. 216). Dans ce cadre, le mandataire a le pouvoir de faire un ou des actes juridiques au nom et pour le compte du mandant.
Le mandat peut être exprès, et dans ce cas il n’y a aucun obstacle à considérer que le critère organique est satisfait puisque le mandataire ne fait que représenter une personne morale de droit public qui est partie au contrat. Cette hypothèse est notamment visée par l’article 3 de loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, qui prévoit que dans la limite du programme et de l’enveloppe financière prévisionnelle qu’il a arrêtés, le maître de l’ouvrage peut confier à un mandataire tout ou partie de ses attributions.
Cette hypothèse a été envisagée pour la première fois par le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section du 30 mai 1975, Société d’équipement de la région montpelliéraine a ensuite admis la possibilité d’un mandat implicite dans certaines hypothèses (requête numéro 86738 : Rec. p. 326 ; AJDA 1975, p. 345, chron. Franc et Boyon ; D. 1976, jurispr. p. 3, note Moderne ; RDP 1976, p. 1730.- V. également TC, 7 juillet 1975, requête numéro 02013, Commune d’Agde : Rec. p. 798). Les juges estiment en l’espèce que présente un caractère administratif le contrat par lequel une société, concessionnaire de l’aménagement d’une zone à urbaniser en priorité, a confié à une entreprise la construction des voies publiques traversant cette zone au motif qu’elle « agissait non pas pour son propre compte, ni en sa qualité de concessionnaire mais pour le compte des collectivités publiques auxquelles les voies devaient être remises ».
Si les juges se réfèrent également à des contrats conclus « pour le compte » d’une personne publique, ce n’est donc pas le seul objet du contrat, comme dans la jurisprudence Peyrot, qui permet de conclure à son caractère administratif, mais différents indices tirés des relations très étroites entre l’une des parties au contrat et une personne publique extérieure à ce contrat.
Cette différence est patente dans l’arrêt de Section du Conseil d’Etat de Section, du 1er juillet 2010, Société Bioenerg (requête numéro 333275 : Rec. p. 687 ; BJCL 2011, p. 86, concl. Colin ; JCPA 2010, 2359, note Pacteau ; RJEP 2011, 17, concl. Colin). Etaient en cause dans cette affaire un contrat conclu entre EDF, société anonyme de droit privé et des producteurs d’électricité privés. Les juges relèvent que ces contrats « contribuent au service public de l’électricité ». Cependant, « les contrats conclus entre eux ne peuvent être regardés comme conclus pour le compte d’une personne publique, alors que la production d’électricité ne relève de l’Etat ou d’une autre personne publique, ni par nature ni par détermination de la loi, et est au contraire une activité économique exercée par des entreprises privées … ». La jurisprudence Peyrot, qui était encore en vigueur, n’a pas vocation à s’appliquer. Les juges précisent ensuite que « EDF n’exerce donc dans ce domaine aucune mission pour le compte d’une personne publique et n’est pas placée, pour la mission de service public à laquelle elle contribue, sous l’autorité de l’Etat ou d’une autre personne publique ». La jurisprudence Société d’équipement de la région montpelliéraine n’ayant donc vocation à recevoir application, le contrat litigieux est donc un contrat de droit privé.
Contrairement à la jurisprudence Peyrot, qui est demeurée limitée au domaine des travaux routiers et autoroutiers, la jurisprudence Société d’équipement de la région montpelliéraine s’est étendue à d’autres hypothèses.
Elle a vocation, tout d’abord, à s’appliquer à d’autres travaux que les travaux routiers et autoroutiers.
Exemple :
– TC, 10 mai 1993, requête numéro 02840, Société Wanner Isofi Isolation et Société Nersa (Dr. adm. 1993, 349 ; RFDA 1994, p. 181 ; CJEG 1994, p. 86, concl. Martin, note Delpirou) : le marché passé par la société Nersa a pour objet la construction d’un ouvrage public concourant à la réalisation des mêmes objectifs que ceux d’Electricité de France.
Les juges relèvent dans cette affaire plusieurs indices.
Tout d’abord, la constitution de la société Nersa a été autorisée par un décret en application d’une loi prévoyant la création d’entreprises exerçant en France une activité d’intérêt « européen » en matière d’électricité et en conformité avec la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.
Ensuite, l’exploitation des centrales doit se faire dans les conditions prévues par la loi du 8 avril 1946.
De même, le personnel français de la société Nersa est soumis au même statut que celui d’Electricité de France.
Enfin, Electricité de France – qui est à l’époque une personne publique – détient 51 % des actions de la société Nersa.
Compte tenu de ces indices, le marché passé par cette société a pour objet la construction d’un ouvrage public concourant à la réalisation des mêmes objectifs que ceux d’Electricité de France. La société Nersa doit donc être regardée comme agissant pour le compte de cet établissement public. Dès lors, le marché litigieux est un marché de travaux publics.
La jurisprudence Société d’équipement de la région montpelliéraine s’est ensuite étendue à d’autres hypothèses que celles des travaux publics.
Dans toutes ces hypothèses, la solution retenue présente pour intérêt d’attribuer compétence au juge administratif pour des litiges qui portent sur la construction d’ouvrages qui ont fait l’objet d’un financement public alors même qu’ils n’ont pas été réalisés au moyen d’un marché public de travaux.
S’agissant des travaux publics, la portée de cette solution a toutefois été remise en cause par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 11 mars 2011, Communauté d’agglomération du Grand Toulouse (
Dans toutes ces hypothèses, la solution retenue présente pour intérêt d’attribuer compétence au juge administratif pour des litiges qui portent sur la construction d’ouvrages qui ont fait l’objet d’un financement public alors même qu’ils n’ont pas été réalisés au moyen d’un marché public de travaux.
S’agissant des travaux publics, la portée de cette solution a toutefois été remise en cause par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 11 mars 2011, Communauté d’agglomération du Grand Toulouse (requête numéro 330722 : BJCP 2011, p.222, concl. Boulouis, obs. R.S. ; BJDU 2011, p. 198, concl. Boulouis, obs. Ch. L ; RJEP 2011, étude 4, note Llorens ; Contrats-Marchés publ. 2011, 130, note Devillers ; JCP A 2011, 2205, note Devès ; RD imm. 2011, p. 278, note Noguellou ; Construction – Urb. 2011, 67, obs. Couton). Il résulte de cette décision qu’un aménageur qui ne réalise pas exclusivement des équipements ou ouvrages devant être remis à la collectivité publique dès leur achèvement ou leur réception ne peut être regardé comme agissant pour le compte de la personne publique. Cette solution a été ensuite reprise par le Tribunal des conflits dans son arrêt SARL Port croisade du 15 octobre 2012 (requête numéro 3853 : Rec. tables, p. 653 ; Contrats-Marchés publ. 2013, 17, note Eckert.- V. également TA Strasbourg, 31 mars 2016, requête numéro 1601218, Société Eiffage Énergie Alsace Franche-Comté : Contrats-Marchés publ. 2016, 131, note Ubaud-Bergeron). Dans cette affaire, sont qualifiés de contrats de droit privé des conventions passées par une société titulaire d’une convention publique d’aménagement, au motif que celle-ci n’a pas pour unique objet la réalisation d’ouvrages publics, dès lors qu’elle prévoit également la construction puis la vente de logements privés par ce titulaire.
Les critères du mandat ont ensuite été reformulé dans un sens tout aussi restrictif par le Tribunal des conflits à l’occasion de l’arrêt Commune de Capbreton du 11 décembre 2017 (requête numéro 4103). Les juges posent d’abord le principe que « le titulaire d’une convention conclue avec une collectivité publique pour la réalisation d’une opération d’aménagement ne saurait être regardé comme un mandataire de cette collectivité ». Il n’en ira autrement que si les stipulations de la convention définissant les missions du cocontractant de la collectivité publique ou un « ensemble de conditions particulières prévues pour l’exécution de celle-ci » permettent d’affirmer que la convention est, en tout ou partie, un « contrat de mandat par lequel la collectivité publique demande seulement à son cocontractant d’agir en son nom et pour son compte, notamment pour conclure les contrats nécessaires ». Il en ira ainsi notamment lorsqu’il est prévu « le maintien de la compétence de la collectivité publique pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l’opération ou la substitution de la collectivité publique à son cocontractant pour engager des actions contre les personnes avec lesquelles celui-ci a conclu des contrats ».
Si cette jurisprudence manque encore de clarté, il faut enfin souligner que la logique de la jurisprudence Société d’équipement de la région montpelliéraine s’est étendue à d’autres hypothèses que celles des travaux publics qui, si elles sont rares, ne paraissent pas devoir être remises en cause.
Exemples :
– CE, avis, 16 mai 2001, requête numéro 229811, requête numéro 229810, Joly et Padroza (AJFP 2001, n° 5, p. 4, concl. Fombeur ; RDP 2001, p. 1513, note Canedo) : il appartient au juge administratif de rechercher, en recourant à la méthode du faisceau d’indices, si l’Etat peut être désigné comme l’employeur d’une personne recrutée par une association dans le cadre d’un contrat emploi solidarité.
– TC, 23 septembre 2002, requête numéro C3300, Société Sotrame et Metalform c. GIE SESAM Vitale (AJDA 2002, p. 1437, chron. Donnat et Casas) : un litige mettant en cause la responsabilité extra contractuelle de la personne morale de droit privé chargée de l’exécution même du service public administratif de mise en œuvre du système de saisie électronique des données de l’assurance maladie, qu’elle assume au nom et pour le compte des caisses qui l’ont constituée et notamment de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, ressortit à la compétence du juge administratif.
c- Théorie de l’accessoire
Le recours à la théorie de l’accessoire, suivant l’ancien principe civiliste accessorium sequitur principale, peut permettre de qualifier de contrats administratifs des contrats conclus entre personnes privées. Longtemps cette théorie a été essentiellement cantonnée aux contrats de cautionnement accessoires d’un marché public (CE Sect., 13 octobre 1972, SA de Banque Le Crédit du Nord : AJDA 1973, p. 213. – CE, 22 mars 1974, Banque Alexandre de Saint-Phalle : Rec. p. 211 .- V. également CE, 10 juillet 2013, requête numéro 361122, Banque calédonienne d’investissement : Rec. tables, p. 698). Cette utilisation limitée a notamment conduit les juges à dénier le caractère administratif d’un contrat de crédit-bail emportant occupation du domaine public, lequel ne saurait être considéré comme l’accessoire d’une délégation du service public (TC, 21 mars 2005, requête numéro 3436, Société Slibail énergie c/ Ville Conflans-Sainte-Honorine : Rec. p. 653 ; AJDA 2005, p. 1186, note Dreyfus ; BJCL 2005, p. 302, concl. Roul, obs. B. P. ; BJCP 2005, p. 241 ; CJEG 2005, 293, concl. Roul ; Contrats-marchés publ. 2005, étude 14, Tenailleau et Tixier ; Dr. adm. 2005, 115, note Ménéménis). Selon cet arrêt, en effet ; le contrat de crédit-bail ne pouvait être qualifié de contrat administratif dès lors qu’il « se borne à mettre en place une opération de financement entre deux sociétés commerciales ». Une autre hypothèse admise était celle d’un contrat passé entre des entrepreneurs et des architectes en vue de régler à l’amiable un litige relatif à l’exécution de travaux publics (CE, 23 octobre 1970, requête numéro 73663, Clot et Société Orefice : Rec. p. 616).
Dans un arrêt du 8 juillet 2013 (requête numéro 3906, Société d’exploitation des énergies photovoltaïques : Contrats-Marchés publ. 2013, 241, note Devillers ; Dr. rur. 2013, 14, note Tifine), le Tribunal des conflits a paru vouloir donner une place plus importante à la théorie de l’accessoire, le considérant de principe de cet arrêt visant expressément cette hypothèse comme une dérogation possible à l’exigence du critère organique. Ainsi, « les contrats conclus entre personnes privées sont en principe des contrats de droit privé, hormis le cas où l’une des parties agit pour le compte d’une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l’accessoire d’un contrat de droit public ».
Il est toutefois difficile, en l’état actuel de la jurisprudence d’apprécier la portée de cette évolution puisque les juges ont considéré, en l’espèce, que le contrat de raccordement d’une installation de production d’électricité photovoltaïque au réseau EDF ne peut pas être considéré comme l’accessoire du contrat d’achat d’électricité (ce dernier contrat étant un contrat administratif en application de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000). Il s’agissait pourtant d’une hypothèse dans laquelle on aurait pu envisager l’application de la théorie de l’accessoire. Quoi qu’il en soit, il n’est pas sûr que l’introduction de cette théorie, parmi les critères de qualification des contrats administratifs, conduira à une extension du domaine des contrats administratifs, conduira à une extension du domaine des contrats administratifs. S’agissant des montages contractuels complexes, on peut même redouter qu’elle introduise davantage de confusion en rendant plus incertaine la qualification des contrats conclus entre personnes privées dans le cadre de ces montages.
2° Contrats conclus entre personnes publiques
Pour ces contrats, le respect du critère organique est évident. La question qui se pose est alors de savoir si ces contrats obéissent à un statut particulier, qui diffèrerait de celui des autres contrats administratifs, qu’ils soient passés entre deux personnes privées, ou entre une personne privée et une personne publique. Plus précisément, il s’agit de déterminer si la présence au contrat de deux personnes publiques suffit à qualifier ces contrats de contrats administratifs.
Dans son arrêt du 21 mars 1983 UAP (requête numéro 02256 : Rec. p. 537 ; AJDA 1983, p. 356, concl. Labetoulle ; D. 1984, jurispr. p. 33, note Auby et Hubrecht ; Rev. adm. 1983, p. 368, note Pacteau), le Tribunal des conflits semble s’être prononcé en faveur du statut particulier des contrats conclus entre deux personnes publiques. Il a en effet posé une présomption selon laquelle « un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif ».
Cependant, la jurisprudence ultérieure a démontré que cette présomption n’avait aucune valeur juridique. La formule de l’arrêt UAP établit une sorte de constat : il est logique de présumer, en effet, qu’un contrat conclu entre deux personnes publiques est un contrat administratif. Cependant, comme pour tous les autres contrats, ces conventions n’ont un caractère administratif que si le critère matériel de qualification est également satisfait. Dans le cas contraire, elles seront qualifiées de contrat de droit privé.
Exemple :
– CE, 11 mai 1990, requête numéro 60247, Bureau d’aide sociale de Blénod-lès-Pont-à-Mousson (Rec. p. 123 ; CJEG 1990, p. 347, concl. Hubert) : aux termes d’une « convention de location » passée entre un office public d’HLM et un bureau d’aide sociale, le premier a donné à bail au second pour une durée d’un an renouvelable un ensemble de bâtiments moyennant une redevance fixée en fonction de la législation sur les HLM, et la convention stipulant que le bureau d’aide sociale aurait « la responsabilité entière et exclusive de tous les services… fonctionnant dans les lieux loués ». Dès lors, eu égard à son objet, le contrat n’a fait naître entre l’office et le bureau que des rapports de droit privé. (V. également TC, 4 juillet 2016, requête numéro 4057, Commune de Gélaucourt c/ Office public d’habitat de la ville de Toul : Contrats-Marchés publ. 2016, 230, note Pietri) .
– CAA Paris, 5 juin 2001, requête numéro 00PA02972, Union des groupements d’achats publics (Contrats Marchés publ. 2001, 20) : le litige portait sur un contrat conclu entre l’Etat et l’UGAP, qui est une autre personne publique, pour la fourniture de véhicules destinés à appartenir au domaine privé de l’Etat. Eu égard à son objet, un tel contrat, qui par ailleurs ne comprend aucune clause exorbitante du droit commun, ne peut faire naître que des relations de droit privé.
Ceci implique clairement qu’en dépit de la rédaction de l’arrêt UAP, les contrats conclus entre deux personnes publiques ne sont pas soumis à un régime particulier. Le critère matériel est également requis.
Un raisonnement inspiré par la jurisprudence UAP a récemment été adopté par le Tribunal des conflits à propos des contrats conclus par les établissements publics industriels et commerciaux avec une personne privée (Tribunal des conflits, 7 avril 2014, Société d´édition de ventes publicitaires (SEVP) c/ Office du tourisme de Rambouillet, requete numéro 3949 ; Dr. adm. 2014, 49, note Sée). Il résulte de cet arrêt que sauf disposition législative contraire, le contrat est un contrat de droit privé « à l’exception de ceux comportant des clauses exorbitantes du droit commun ou relevant d’un régime exorbitant du droit commun ainsi que de ceux relatifs à celles de ses activités qui ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ». Là encore, il s’agit plus d’un constat : normalement ces contrats sont de droit privé, mais ce ne sera pas le cas si, le critère organique étant respecté, les autres critères de qualification des contrats administratifs sont également satisfaits.
II- Critère matériel
Ce critère se cumule au critère organique, mais il se présente sous une forme alternative : pour être considéré comme administratif, le contrat qui satisfait au critère organique doit en outre soit comprendre des clauses exorbitantes du droit commun, soit avoir pour objet l’exécution même du service public.
A- Clauses exorbitantes du droit commun
Ce critère est apparu à l’occasion de l’arrêt du Conseil d’Etat du 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges (Rec. p. 909, concl. Blum ; RDP 1914, p. 145, note Jèze). Cette affaire concernait un litige relatif à un contrat entre la ville de Lille et cette société sur le montant du prix d’une livraison de pavés. Le Conseil d’Etat se borne à relever que ce contrat « avait pour objet unique des fournitures à livrer selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers ». Par conséquent, les litiges liés à l’exécution de ces contrats, qui ne contiennent aucune clause exorbitante du droit commun, relèvent du juge judiciaire. Cette notion de « clauses exorbitantes du droit commun » a été constamment utilisée par le juge administratif depuis 1912. Elle a été redéfinie par le Tribunal des conflits à l’occasion de l’arrêt Tribunal des Conflits, 13 octobre 2014, SA Axa IARD, requete numéro 3963.
Le recours à cette notion, telle qu’elle résulte de l’arrêt du 31 juillet 1912, présentait un certain nombre d’inconvénients, qui sont tous liés au caractère négatif de sa définition. Selon le Conseil d’Etat il s’agit de clauses qui ont « pour effet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales » (CE, Sect, 20 octobre 1950, Stein : Rec. p. 505). Le Conseil d’Etat a pu également se référer à « des clauses attribuant à la puissance publique des prérogatives exorbitantes du droit commun » (CE, 21 janvier 1948, Société Penaroya : S. 1949, III, p. 6). Un arrêt d’une cour d’appel se réfère quant à lui à « une clause qui serait illicite ou impossible à insérer dans un contrat de droit privé » (CA Caen, 26 juin 2008, numéro 08/00826, Le Cleach c/ Commune de Ranes : Loyers et Copropriété 2008, 271, note Vial-Pedroletti). A contrario, ne présentent pas un caractère exorbitant du droit commun les clauses « qui diffèrent par leur nature de celles qui peuvent être stipulées dans un contrat analogue de droit privé » (Cass. 1re civ., 18 février 1992, pourvoi numéro 90-18.826, Compagnie d’assurances La Mondiale : Bull. civ. 1992, I, n° 59) ou qui imposent au cocontractant des « obligations particulières … dans un intérêt public » (CE Sect., 17 décembre 1954, Grosy : Rec. p. 674).
Exemples :
– Conseil d´Etat, 19 novembre 2010, Office national des forets, requête numéro 331837 (Contrats-Marchés publ. 2011, 36, note Devillers) : en l’espèce, un particulier avait été autorisé à occuper une parcelle de forêt relevant du domaine privé de l’Etat afin d’établir un centre équestre, avant que l’Office national des forêts (ONF) ne prononce la résiliation du contrat. Le Conseil d’Etat identifie plusieurs clauses exorbitantes du droit commun : l’ONF dispose d’un pouvoir de contrôle direct de l’ensemble des documents comptables du titulaire ; l’ONF peut exécuter des travaux sur la voie publique ou sur des immeubles voisins et dans ce cas le titulaire n’aura aucun recours contre l’ONF et ne pourra prétendre à aucune indemnité, ni diminution de loyer ; le cocontractant doit observer les instructions que pourraient lui donner les agents assermentés de l’ONF, compétents pour rechercher et constater les contraventions et délits dans les forêts et terrains soumis au régime forestier.
–Conseil d´Etat, 14 octobre 2005, Commune de Chantonnay c/ Robert, requête numéro 275446 : cette affaire est relative à un contrat de bail conclu entre une commune et des particuliers. Constitue une clause exorbitante du droit commun, une clause du contrat qui stipule que les preneurs s’engagent, au cas où la commune bailleresse aurait besoin de récupérer le logement, à le libérer dans un délai de deux mois à compter de la réception d’un simple préavis et sans pouvoir prétendre à la moindre indemnité.
– Tribunal des Conflits, 20 juin 2005, SNC Société hôtelière Guyanaise c/ Centre national d´études spatiales, requête numéro C3446 : était ici en cause un contrat en vue de la vente d’un hôtel et d’un terrain attenant en vertu duquel la société acquéreuse s’engageait à réaliser des travaux d’extension de l’hôtel au profit du Centre national d’études spatiales (CNES). Pour le Tribunal des conflits, le contrat contenait des clauses exorbitantes car il conférait au CNES un pouvoir de contrôle sur son cocontractant en lui imposant des modalités d’exploitation, en lui réservant, postérieurement à la vente, l’appréciation de la qualité du projet architectural ainsi que des normes et du prix des chambres de l’ensemble hôtelier dont la réalisation était à entreprendre avant la réitération des actes définitifs de vente, en garantissant un taux d’occupation des locaux, et en prévoyant des conditions de remboursement pouvant aboutir à une revente en faveur du CNES à un coût déterminé et non au prix du marché.
L’utilisation de cette définition est délicate et elle manque de fiabilité puisqu’elle est entièrement dépendante du droit des obligations, tel qu’il est interprété par le juge administratif.
Or, d’une part, la notion même de clause exorbitante du droit commun est évolutive. Ainsi, une clause de résiliation unilatérale n’est plus nécessairement considérée comme une clause exorbitante du droit commun, ce qui est lié à l’évolution du droit civil des obligations qui admet aujourd’hui plus facilement qu’une telle clause peut être stipulée dans un contrat de droit privé.Ainsi, lorsqu’est en cause une convention d’occupation temporaire du domaine privé, une clause permettant à la personne publique de reprendre la jouissance de l’immeuble à tout moment et pour tout motif n’est pas considérée comme une clause exorbitante du droit commun (Tribunal des Conflits, 20 février 2008, Verrière c/ Courly, requête numéro 08-03623 : Contrats – Marchés publ., 2008, 122, note Eckert.- V. également TC, 12 décembre 2011, requête numéro 3824, Commune de Nouméa c/Société Lima : Rec. tables, p. 843). En effet, la juridiction judiciaire admet la conclusion de conventions d’occupation précaire, exonérées du régime des baux commerciaux, à condition que leur caractère provisoire soit justifié par des circonstances spéciales connues des deux parties (Cass. 3e civ., 14 novembre 1973, pourvoi numéro 72-13.043 : D. 1974, p. 139. – Cass. 3e civ., 25 mai 1977, pourvoi n°76-102.26 : Bull. civ. 1977, III, n° 220).
D’autre part, les juges ne procèdent pas à une analyse clause par clause du contrat, mais ils prennent en compte l’équilibre général de la convention. En d’autres termes, le critère ne sera pas satisfait dès lors qu’une clause imposant une sujétion au cocontractant privé est contrebalancée par un avantage qui lui est concédé et qui est également inusuel dans un contrat de droit privé. Ainsi, dans l’arrêt Verrière c/ COURLY du 20 février 2008 (préc.), si le contrat permet au bailleur d’utiliser librement le bien, l’ensemble des dépenses liées à l’entretien sont à sa charge, ce qui fait que la première clause n’est pas considérée comme étant exorbitante du droit commun.
C’est pour tenter de résoudre les difficultés liées à la définition « en creux » de la notion de clause exorbitante que le Tribunal des conflits à fait évoluer sa jurisprudence en imposant une définition positive du critère des clauses exorbitantes.
Dans ses conclusions sur l’arrêt SA Axa IARD (préc.), le commissaire du gouvernement Desportes est revenu sur les difficultés liées à la notion de clause exorbitante en insistant sur le fait qu’en « se bornant à désigner cette clause comme celle qui ne se trouve pas dans les contrats de droit privé, la définition donne peu d’indications permettant de déterminer, de manière positive, l’élément objectif caractérisant l’existence d’une relation de droit public ». Le commissaire du gouvernement a alors proposé de « revenir à ce qui fait la spécificité de l’action administrative : l’accomplissement d’une mission d’intérêt général par la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ».
C’est cette nouvelle approche qui a été choisie par le Tribunal des conflits, les clauses exorbitantes se définissant alors « comme celles qui, dans un but d’intérêt général, soit confèrent à la personne publique, des prérogatives ou des avantages exorbitants, soit imposent à son cocontractant des obligations ou des sujétions exorbitantes ». Ainsi, deux conditions cumulatives sont désormais nécessaires pour considérer qu’une clause est exorbitante du droit commun : elle doit nécessairement s’exercer dans un but d’intérêt général et, soit conférer « à la personne publique, des prérogatives ou des avantages exorbitants », soit imposer « à son cocontractant des obligations ou des sujétions exorbitantes ».
Cette nouvelle approche permet de mieux comprendre des solutions jurisprudentielles qui, comme on l’a évoqué plus haut, sont souvent très nuancées. Si l’on revient sur l’arrêt Verrière c/ COURLY du 20 février 2008 (préc.), on peut ainsi considérer que c’est aussi l’absence d’une telle finalité d’intérêt général dans une convention d’occupation précaire du domaine privé qui a conduit les juges à considérer qu’une clause dotant la collectivité publique contractante d’un pouvoir de résiliation unilatérale n’était pas exorbitante.
Il semble toutefois que cette évolution ne soit pas de nature à dissiper toutes les difficultés liées à l’utilisation du critère des clauses exorbitantes, notamment parce que le juge fait référence à la notion éminemment imprécise « d’intérêt général ». L’intérêt pratique de la jurisprudence SA Axa IARD apparaît limité et il est probable que son application au cas par cas n’emportera pas d’évolutions notables sur la qualification des contrats soumis au juge administratif.
Il faut enfin relever l’existence d’une variante au critère des clauses exorbitantes du droit commun droit qui résulte de l’arrêt de Section du Conseil d´Etat du 19 janvier 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant (requête numéro 82338 : Rec. p. 48 ; CJEG 1973, p. 239, concl. Rougevin-Baville, note Carron ; AJDA 1973, p.358, chron. Léger et Boyon ; JCP G 1974, II, 17629, note Pellet ; Rev. adm. 1973, p. 633, note Amselek). Plutôt qu’à la notion de clause exorbitante du droit commun, c’est à celle de régime exorbitant du droit commun en application duquel le contrat a été conclu que se réfère le juge. Prosper Weil a pu écrire, à propos de ces conventions, qu’il s’agit de contrats conclus dans une « ambiance de droit public » (Le critère du contrat administratif en crise, Mélanges Waline, p.847).
L´arrêt de 1973 concernait le régime des contrats passés entre EDF et les producteurs privés propriétaires de mini centrales électriques. Le Conseil d’Etat constate notamment que les producteurs sont obligés de contracter avec EDF pour vendre leur électricité et, en cas de litige, qu’ils doivent obligatoirement saisir le ministre de l’Industrie préalablement à tout recours juridictionnel. L’existence de ce régime particulier conduit à qualifier les conventions en cause de contrats administratifs. Dans cette affaire, c’est donc le régime du contrat qui justifie ce caractère administratif, alors qu’en principe, à l’inverse du raisonnement du Conseil d’Etat, c’est le régime du contrat qui devrait être la conséquence de sa qualification.
Il est à noter cependant que, concernant les contrats d’achat d’électricité, cette jurisprudence n’est plus d’actualité depuis la transformation d’EDF en société anonyme. Dans son arrêt Société Bioenerg du 1er juillet 2010 (requête numéro 333275, préc.) le Conseil d’Etat a en effet estimé que « à supposer que le contrat soit soumis à un régime exorbitant du droit commun, ce qui ne peut résulter des seules conditions relatives à sa passation, cette circonstance serait en tout état de cause sans incidence, s’agissant d’un contrat entre deux personnes privées ».
Notons cependant que cette jurisprudence a été remise en cause par l’article 88 III de la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national sur l’environnement. Cette loi a modifié l’article 10 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 qui précise désormais que les contrats d’achat d’électricité sont des contrats administratifs.
Quoi qu’il en soit le critère du régime exorbitant du droit commun peut s’appliquer à d’autres catégories de contrats.
Exemple :
– Cass. 1re civ., 30 septembre 2003, pourvoi numéro 01-03717, SMPDC c. Société CGU Courtage et a. (AJDA 2003, p. 2205, note Dreyfus) : un syndicat mixte avait souscrit une convention avec une société intervenant comme mandataire de l’Etat, puis d’un établissement public administratif, en vue de gérer un fonds alimenté par des deniers publics dont les interventions étaient limitées par les dispositions qui l’avaient créé et qui ne pouvait fonctionner qu’avec le concours d’assureurs dont l’action s’inscrivait dans un contexte administratif et selon des règles exorbitantes du droit commun et dont les garanties ne pouvaient jouer qu’en fonction du dépassement des engagement financiers dudit fonds administrés par un mandataire de la puissance publique.
La persistance de ce critère a été très clairement rappelée par le Tribunal des conflits à l’occasion de son arrêt du Tribunal des Conflits, 7 avril 2014, Société d´édition de ventes publicitaires (SEVP) c/ Office du tourisme de Rambouillet, requête numéro 3949. Il résulte en effet de cet arrêt que sauf disposition législative contraire, lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement public industriel et commercial « les contrats conclus pour les besoins de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux comportant des clauses exorbitantes du droit commun ou relevant d’un régime exorbitant du droit commun ainsi que de ceux relatifs à celles de ses activités qui ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ».
B- Objet du contrat
Apparu au début du XXème siècle, ce critère a connu une éclipse avant d’être à nouveau utilisé à partir du milieu des années 1950. Sa mise en œuvre suscite cependant un certain nombre de difficultés.
1° Apparition du critère de l’objet du contrat
Ce critère a été dégagé par le Conseil d’Etat dès l’arrêt Thérond du 4 avril 1910 (Rec. p.193 ; D. 1912, III, p.57, concl. Pichat, note Hauriou ; RDP 1910, p.249, note Jèze). Il est donc antérieur à celui tiré de l’existence de clauses exorbitantes du droit commun. Très longtemps, cependant, ces critères ont été exclusifs l’un de l’autre.
Dans l’affaire Thérond, la ville de Montpellier avait confié le service public de capture et de mise en fourrière des chiens errants et d’enlèvement des animaux morts à une personne privée. Le Conseil d’Etat a alors considéré que l’objet du contrat, ajouté au fait qu’une des parties était une personne publique, lui conférait un caractère administratif.
La solution dégagée par l’arrêt Thérond a cependant été abandonnée à l’occasion de l’arrêt Société des granits porphyroïdes des Vosges (préc.) au profit du critère tiré de l’existence de clauses exorbitantes du droit commun. Cet abandon n’a toutefois jamais été total, ce critère réapparaissant dans des espèces isolées (V. ainsi TC, 6 avril 1946, Société franco-tunisienne d’armement : Rec. p. 327).
Ce n’est toutefois qu’avec les arrêts de Section du 20 avril 1956, Epoux Bertin et ministre de l’Agriculture c/ Consorts Grimouard (Rec. p.167 et 168 ; AJDA 1956, II, p.272, concl. Long, chron. Fournier et Braibant ; RDP 1956, p.869, concl. Long, note Waline ; D. 1956, p.433, note de Laubadère ; Rev. Adm. 1956, p.496, note Liet-Veaux) que le Conseil d’Etat a réhabilité le critère de l’objet du contrat, tout en conservant l’autre critère dégagé en 1912.
Les arrêts de 1956 visent deux hypothèses. Celle, tout d’abord où le contrat confie au cocontractant privé l’exécution même du service public.
Dans l’arrêt Epoux Bertin, par exemple, le Conseil d’Etat relève ainsi qu’un contrat conclu entre les requérants et l’administration pour qu’ils assurent l’hébergement et la nourriture de réfugiés « a eu pour objet de confier aux intéressés l’exécution même du service public alors chargé d’assurer le rapatriement des réfugiés de nationalité étrangère ». Ainsi, en vertu de cette jurisprudence, les contrats de délégation de service public étaient des contrats administratifs, bien avant que cette qualification ne leur soit reconnue par l’article 3 de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016. Cette solution connaît un prolongement dans l’hypothèse de contrats conclus avec des agents en charge d’une mission de service public administratif (V. sur ce point infra p. 503).
La seconde hypothèse est celle où le contrat constitue « une modalité d’exécution » du service public par l’administration elle-même.
C’est l’hypothèse de l’arrêt Grimouard dans lequel était en cause une opération de reboisement opérée par l’Etat sur des terrains privés, à la suite d’un contrat conclu avec les propriétaires.
Une dernière hypothèse a été dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section Département de la Moselle du 31 mars 1989 (requête numéro 60384 : Rec. p. 105 ; AJDA 1989, p. 315, chron. Baptiste et Honorat ; Rev. adm. 1989, p. 341, note Terneyre ; RFDA 1989, p. 466, concl. Fornacciari ; RDP 1989, p. 1171, note Llorens). Elle concerne spécifiquement les contrats conclus entre deux personnes en charge d’une mission de service public, dès lors que le contrat a pour objet l’organisation d’un service public et notamment la coordination entre deux personnes publiques (TC, 16 janvier 1995, requête numéro 02946, Préfet de la région Île-de-France, Préfet de Paris, Compagnie nationale du Rhône c/ EDF : Rec. p. 489 ; CJEG 1995, p. 259, concl. Martin, note Delpirou)- V. également Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 24 novembre 2008, Syndicat mixte d´assainissement de la région du Pic Saint-Loup, requête numéro 290540 : Rec. tables, p. 648 ; AJDA 2009, p. 319, note Dreyfus ; Contrats-Marchés publ. 2009, 7, note Eckert ; Dr. adm. 2009, 19, note Melleray ; JCP G 2009, I, 130, chron. Plessix ; RJEP 2009, 21, note Pellissier). Ainsi, dans l’arrêt Département de la Moselle, le contrat conclu entre un département et l’Etat, en vertu duquel celui-ci s’engage à continuer d’assurer le service de la paye des personnels de police de l’Etat, est qualifié de contrat administratif.
Par conséquent, désormais, un contrat a un caractère administratif si, d’une part, l’une des parties est une personne publique – sous réserve des aménagements évoqués plus haut – et si, d’autre part, le contrat contient une clause exorbitante du droit commun ou bien s’il concerne l’exécution même du service public.
2° Difficultés liées à l’application du critère
Le critère tiré de l’objet du contrat pose un certain nombre de difficultés. Un premier problème concerne la portée de ce critère. Une seconde difficulté concerne un type particulier de contrats : les contrats d’engagement des agents des services publics à caractère administratif.
a- Portée du critère
On pourrait penser, de prime abord, que le critère de l’objet du contrat devrait conduire à une conception très extensive de la notion de contrat administratif, notamment en ce qu’il permet de considérer, conformément à la jurisprudence Grimouard, qu’un contrat peut être administratif dès lors qu’il est conclu par l’administration dans le but d’exercer ses missions de service public. En effet, puisque les contrats conclus par les personnes publiques se rattachent en général à leurs missions de service public, l’outil contractuel apparaît comme le moyen privilégié d’accomplissement de ces missions.
Il convient cependant de distinguer les contrats visant à l’exécution même du service public des contrats qui sont conclus pour les besoins du service public. Dans la première hypothèse, la personne privée cocontractante est associée à l’exécution des missions de service public prises en charge par l’administration exécute elle-même une mission de service public, elle concourt à la réalisation d’un but d’intérêt général. Dans la seconde hypothèse, la personne privée ne fait que fournir au service public les biens travaux ou services nécessaires à son exécution. Cette distinction entre ce qui est un contrat de délégation de service public et ce qui est un marché public est essentielle, non pas parce qu’elle aboutit à déterminer la nature publique ou privée du contrat – il s’agit de contrats administratifs par détermination de la loi dans les deux cas – mais parce qu’elle détermine quelle procédure de passation devra utilisée par la collectivité publique contractante. Dans certains cas se pose toutefois la question de savoir si l’activité en cause est ou non une activité de service public, ce qui détermine ici le caractère administratif ou privé du contrat.
La qualification est parfois difficile à établir, puisqu’elle nécessite que soit déterminée exactement la consistance du service public concerné.
Exemples :
– TC, 17 décembre 2007, requête numéro C3646, Société clinique de l’espérance : La convention conclue entre un centre hospitalier intercommunal, personne morale de droit public, et la clinique, personne morale de droit privé, réalisant la cession d’une entité économique, dans le contexte des difficultés financières que cette clinique connaissait, alors même qu’elle a pour effet de concourir à la rationalisation de l’offre locale de soins, ne porte pas sur l’organisation du service public de la santé et n’a pas pour objet de faire participer la clinique à l’exécution de ce service public.
– CE, 2 mai 2016, requête numéro 381370, Centre hospitalier régional universitaire de Montpellier (AJDA 2016, p. 929 ; BJCP 2016, p. 333, concl. Marion ; Contrats-Marchés publ. 2016, 169, note Pietri ; JCP A 2017, 2063, note Harada) une « charte du tour de rôle des transports sanitaires privés agréés et des sociétés de taxis conventionnées » a pour seul objet de faciliter la mise en relation des patients sortants avec des entreprises de transport privé. Ce contrat ne comporte ni de « dispositions relatives au transport des usagers vers le CHRU … ni à leur transport du CHRU vers d’autres établissements ou professionnels de santé au cours de leur prise en charge pour la réalisation d’actes médicaux ». Ce contrat ne confie donc aucune mission de service public à la société. En l’absence de clause exorbitante, il s’agit donc d’un contrat de droit privé.
Un exemple plus frappant encore peut être fourni par le cas des contrats de location d’appareils de télévision :
– TC, 23 novembre 1998, requête numéro 3124, Bergas (Rec. p.50 ; JCP 1999, IV, 770 ; RFDA 1999, p.426) : un contrat liant une maison d’arrêt à une entreprise par lequel cette dernière s’engage, d’une part, à fournir à la maison d’arrêt le matériel et la technique nécessaires à l’installation d’une antenne collective de télévision et au câblage de tous les locaux de détention, d’autre part, à louer un téléviseur à chaque détenu qui en ferait la demande, n’a pas pour objet de faire participer l’entreprise à l’exécution du service public administratif.
– CE, 28 mai 2003, requête numéro 90818, Assistance publique – Hôpitaux de Paris (BJCP 2003, n° 30, p. 385) : un contrat de location de téléviseurs à des malades hospitalisés relève de la compétence administrative aux motifs que « le service hospitalier comprend non seulement la dispense de soins mais également l’aménagement des conditions de séjour des malades … la fourniture d’appareils de télévision aux personnes hospitalisées relève des éléments de confort proposés aux intéressés pendant cette période ».
Cette différenciation, assez étonnante, entre deux types d’activités de service public, n’est toutefois aujourd’hui pas opérée par le Conseil d’Etat ayant récemment décidé qu’un contrat portant sur la gestion et l’exploitation d’un réseau d’appareils de télévision mis à la disposition des malades d’un hôpital n’a pas pour objet de faire participer l’entreprise titulaire du contrat à l’exécution du service public administratif, mais seulement de permettre d’assurer les besoins du service (TC, 21 mai 2007, requête numéro C3609, SA Codiam : AJDA 2008, p. 200, note Robbe).
Le Conseil d’Etat a ensuite eu l’occasion de nuancer cette solution en appliquant les critères dégagés par l’arrêt APREI (requête numéro 264541, préc.) pour qualifier un contrat conclu par un établissement de santé pour des prestations de mise à disposition des patients d’abonnements de télévision, mais également de téléphone et d’accès à internet, ainsi que pour des prestations associées (CE, 7 mars 2014, requête numéro 372897, Centre hospitalier universitaire de Rouen :AJDA 2014, p. 1497, note Hardy ; Contrats-Marchés publ. 2014, 151, note Eckert; Dr. adm. 2014, 32, note Sée). Les juges considèrent que le contrat ne porte pas sur une simple prestation de service mais qu’il a bien pour effet de confier à une personne privée une mission d’intérêt général « liée à l’activité de soins de l’hôpital ». En outre, les éléments contenus dans le cahier des clauses administratives et techniques démontrent que la prestation est effectuée sous le contrôle de la personne publique. Ainsi, le pouvoir adjudicateur a entendu confier à la personne privée contractante une mission de « service public portant sur l’ensemble de la communication extérieure des patients ».
b- Problème des contrats d’engagement des personnels employés dans les services publics administratifs
La résolution de ce problème ne concerne évidemment pas les fonctionnaires qui sont des agents statutaires et qui bénéficient d’un statut de droit public. Elle ne concerne pas non plus les agents des services publics industriels et commerciaux qui se voient appliquer des règles particulières (V. sur ce point supra p. 277).
S’agissant maintenant des agents contractuels des services publics administratifs, la solution est apparemment simple : on devrait considérer, sans difficultés, que ces contrats ont pour objet l’exécution même du service public et qu’ils sont donc des contrats administratifs si le critère organique est également respecté.
Cette solution trouve exception, logiquement, pour les catégories de contrats qualifiés de contrats de droit privé par le législateur, particulièrement des contrats dits « aidés ». Tel est le cas notamment des contrats uniques d’insertion – contrats d’accompagnement dans l’emploi visés par l’article L. 5134-20 du Code du travail.
Par ailleurs, l’hypothèse de qualification législative mise à part, la jurisprudence a longtemps considéré qu’une distinction devait être réalisée entre les différents agents contractuels des services publics administratifs. Cette solution avait été dégagée à l’occasion des arrêts de Section du 4 juin 1954, Vingtain et Affortit (Rec. p.342, concl. Chardeau ; AJDA 1954, II, p.6, chron. Gazier et Long .- V. également CE Sect. 20 mars 1956, Lauthier : Rec. p. 198 ; AJDA 1959, p. 68, chron. Combarnous et Galabert ; D. 1960, jurispr. p. 280, note de Laubadère ; RDP 1959, p. 770, concl. Bernard). Ces arrêts précisaient que seuls étaient unis au service par un lien administratif les agents qui participaient directement à son exécution. Ceci signifiait que seuls les agents dont les qualifications répondaient à la spécialisation du service étaient liés à ce service par un contrat administratif. Tel était le cas, par exemple, d’un enseignant vacataire recruté par un établissement scolaire. A l’inverse, le juge considérait qu’une femme de service, ou qu’une femme de ménage, recrutée dans un même établissement, était liée par un contrat de droit privé. Cette solution s’expliquait par le fait que ces personnels ne participaient pas à l’exécution même du service public de l’enseignement.
Il résultait de cette jurisprudence des situations parfois absurdes.
Exemple:
– TC, 25 novembre 1963, Veuve Mazerand (Rec. p.792 ; JCP G 1964, 13466, note R.L.) : Mme Mazerand, agent contractuel, est employée par une commune comme femme de ménage dans une école. Par la suite, elle a été chargée de prendre en charge la garderie de cette école. Est alors survenu un litige avec la commune concernant la rémunération de Mme Mazerand et couvrant l’ensemble de la durée de son contrat. La détermination du juge compétent va alors dépendre du caractère administratif ou privé de ce contrat. Cette question a été soumise au Tribunal des conflits qui a statué dans le cadre d’une procédure de conflit positif. Le Tribunal des conflits a estimé que le contrat de Mme Mazerand était d’abord un contrat de droit privé avant de devenir un contrat de droit public lors de son changement de fonction. Ceci impliquait que Mme Mazerand devait intenter deux actions contre la commune devant deux juges différents.
Finalement, le Tribunal des conflits est revenu à une solution beaucoup plus simple avec l’arrêt du Tribunal des conflits du 25 mars 1996, Berkani c CROUS de Lyon Saint-Etienne (requête numéro 03000 : Rec. p.535, concl. Martin ; AJDA 1996, p.355, chron. Stahl et Chauvaux ; D. 1996, p.598, note Saint-Jours ; Droit adm. 1996, 319, obs. J.B.A ; Droit soc. 1996, p.735, obs. Prétot ; JCP G 1996, 22664, note Moudoudou ; RFDA 1996, p.819, concl. Martin). Le litige concernait le contrat d’un aide-cuisinier d’un CROUS. Le Tribunal des conflits précise que « les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public administratif sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi ».
Cette solution a été reprise par le Conseil d’Etat (CE, 26 juin 1996, requête numéro 135453, Commune de Céreste : Rec. p. 246 ; Dr. adm. 1996, 536 ; RFDA 1996, p. 851) et par la Cour de cassation (Cass. soc., 18 juin 1996, pourvoi numéro 95-40.491, Gonin : Dr. adm. 1996, 536). Elle est toujours valable sauf – on l’a vu – dans les cas où la loi prévoit que le contrat conclu entre un service public administratif et son agent est un contrat de droit privé. De telles exceptions, qui concernent essentiellement les contrats aidés, ne sont pas motivées par des raisons d’ordre juridique, mais par des considérations d’ordre politique : il s’agit de faire baisser artificiellement les chiffres de l’emploi public en France tout en insistant sur le fait que les personnes recrutées n’ont pas vocation à être intégrées, à terme, dans la fonction publique. Il ne s’agit toutefois pas de la seule explication de ces exceptions. Ainsi, par exemple, en sens inverse, l’article L. 6322-3 du Code des transports déroge à la règle selon laquelle un agent public mis à la disposition d’un organisme de droit privé pour accomplir un travail pour le compte de celui-ci et sous sa direction est lié à cet organisme par un contrat de travail (V. Cass. soc., 29 septembre 2014, pourvoi numéro 13-11.191).
Une autre dérogation à l’application de la jurisprudence Berkani avait été prévue par l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 22 octobre 2004, Lamblin (requête numéro 245154 : AJDA 2004, p.2153, chron. Landais et Lenica et p. 2241, obs. de Montecler ; JCP A 2004, 14788, note Jean-Pierre ; Gaz. cnes, 15 novembre 2004, p.82). Cet arrêt concernait l’hypothèse de reprise en régie par une personne publique d’un service public administratif dont la gestion avait été jusqu’alors déléguée à une personne privée. Dans un tel cas, il se pose la question de la reprise des contrats des agents du service. Les juges estiment en l’espèce qu’en « l’absence de dispositions législatives spécifiques, et réserve faite du cas où le transfert entraînerait un changement d’identité de l’entité transférée, la collectivité a le choix soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur ancien contrat ». Sur ce point, il faut relever que dès lors que le salarié a accepté une modification substantielle de son contrat, il ne peut pas se plaindre ensuite de ce que le nouveau contrat qui lui est proposé soit à durée déterminée (CAA Paris, 6 mai 2008, requête numéro 07PA01072, Selimovic : Dr. adm. 2008, 82).
Il résultait donc de l’arrêt Lamblin qu’en cas de reprise en régie par une collectivité publique d’un service public à caractère administratif, les contrats de droit privé des agents concernés pouvaient être maintenus, ce qui faisait échec à la jurisprudence Berkani.
Les règles issues de l’arrêt Lamblin ont toutefois été modifiées par la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (JO, 28 juillet 2005, p.12183) L’article 20 de cette loi, aujourd’hui codifié à l’article L. 1224-3 du Code du travail précise notamment que lorsqu’une personne publique gérant un service public administratif reprend une activité employant des salariés de droit privé, elle doit proposer à ces salariés un contrat de droit public à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires. Précisons également que ce contrat doit reprendre les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération.
En conséquence, la voie ouverte par l’arrêt Lamblin de conserver les contrats de droit privé des salariés est définitivement fermée.
Section II- Régime juridique des contrats administratifs
Même si le régime juridique des contrats administratifs est marqué par un déséquilibre entre les parties au profit de l’administration, le contrat administratif est formé par un échange de consentements. Les règles relatives à la formation de ces contrats sont assez strictement encadrées par les textes, notamment pour ce qui concerne la conclusion des marchés publics, alors que les règles relatives à leur exécution sont essentiellement d’origine jurisprudentielle.
§I- Formation du contrat
La question de la formation du contrat administratif suppose que l’on s’interroge sur l’autorité compétente pour contracter, sur la forme des contrats, sur les procédures à respecter et sur le contenu du contrat.
I- Autorité compétente
La décision administrative de contracter doit être prise par l’autorité compétente, telle qu’elle est déterminée par les règles générales de compétence applicables à l’Etat, aux collectivités territoriales et aux différents établissements publics.
A- Etat
Les contrats de l’Etat sont en général signés par le ministre compétent ou par la personne désignée par lui. A l’échelon déconcentré, cette compétence est en principe exercée par le préfet.
Dans certaines hypothèses, le contrat devra faire l’objet d’une approbation par une loi ou par un décret. Ainsi, par exemple, l’article L. 122-4 du Code de la voirie routière prévoit que les contrats de concessions d’autoroutes doivent être approuvés par décret en Conseil d’Etat.
B- Collectivités territoriales
Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, le contrat est signé par l’exécutif de l’autorité, dûment habilité par l’assemblée délibérante. Ce principe, dont la mise en œuvre est assez lourde, connaît néanmoins un certain nombre d’aménagements.
Ainsi, l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales permet au conseil municipal de déléguer au maire la compétence de « prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des marchés de travaux, de fournitures et de services qui peuvent être passés sans formalités préalables en raison de leur montant, lorsque les crédits sont inscrits au budget » (des dispositions équivalentes sont prévues pour le conseil départemental et le conseil régional, V. respectivement CGCT, art. L. 3221-11 et L. 4231-8).
De même, l’article L. 2122-21-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit qu’en l’absence de délégation « la délibération du conseil municipal chargeant le maire de souscrire un marché déterminé peut être prise avant l’engagement de la procédure de passation de ce marché. Elle comporte alors obligatoirement la définition de l’étendue du besoin à satisfaire et le montant prévisionnel du marché ». Cette possibilité, instituée par l’ordonnance nº 2005-645 du 6 juin 2005 relative aux procédures de passation des marchés publics des collectivités territoriales, permet de faire échec à la jurisprudence Commune de Montélimar qui avait posé pour principe que le maire ne pouvait signer un marché public au nom de la commune que s’il avait été habilité par une délibération du conseil municipal se prononçant sur les éléments essentiels du contrat (CE, 13 octobre 2004, requête numéro 254007, Commune de Montélimar : rec. p.369; Contrats-Marchés publ.2004, étude 10, concl. Casas ; AJDA 2004, p. 2107, note Dreyfus; Dr. adm. 2004, 172, note Ménéménis; JCP A 2004, RDI 2004, p.564, note Dreyfus). La règle définie par l’article L 2122-21-1 est toutefois limitée aux seuls marchés publics, ce qui implique notamment leur exclusion pour les délégations de service public (CE, 10 janvier 2007, requête numéro 284063, Société des Pompes funèbres et conseillers funéraires du Roussillon : AJDA 2007, p. 636, note Deryfus).
Conformément aux dispositions du Code général des collectivités territoriales, la délibération doit être transmise au préfet avant la signature, à défaut de quoi le Conseil d’Etat a longtemps considéré que « l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa conclusion entraîne l’illégalité dudit contrat, ou s’agissant d’un contrat privé, de la décision de signer le contrat » (CE, avis, 10 juin 1996, requête numéro 176873, requête numéro 176874, requête numéro 178875, Préfet de la Côte d’Or, préc.- V. également CAA Versailles, 13 juin 2006, requête numéro 04VE02101, Commune de Sannois c. Société RGC Restauration : JCP A 2006, 1222, note Linditch). La jurisprudence est longtemps demeurée très ferme sur ce point, les juges estimant en particulier qu’une transmission ultérieure de la décision ne pouvait régulariser la situation (CE, 20 octobre 2000, requête numéro 196553, Citécâble-Est : RFDA 2009, p.359, concl. Savoie). Cette solution a toutefois évolué à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Ville de Béziers du 28 décembre 2009, dit arrêt « Béziers I » (requête numéro 304802, Rec. p. 509, concl. Glaser ; AJDA 2010, p. 142, chron. Liéber et Botteghi ; AJDA 2011, p. 665, chron. Lallet et Domino ; Contrats Marchés publ. 2010, 123, note Rees ; Gaz. Pal. 16 mars 2010, p. 13, note Seiller ; JCPA 2010, 2072, note Linditch ; RDimm 2010, p. 265, note Noguellou ; RDP 2010, p. 553, note Pauliat ; RFDA 2010, p. 506, concl. Glaser et p. 519, note Pouyaud ; RJEP 2010, note Gourdou et Terneyre). Le Conseil d’Etat estime désormais, en se fondant sur l’exigence de la loyauté contractuelle, que l’absence de transmission de la délibération n’entraîne pas nécessairement la nullité du contrat.
Une solution comparable, mais qui n’a rien avoir avec l’exigence susvisée est retenue lorsque le préfet défère au juge administratif un contrat qui ne lui a pas été transmis, et qu’il accompagne son recours d’une demande de suspension au titre de l’article L. 554-1 du Code de justice administrative. Le Conseil d’Etat a en effet considéré qu’un tel vice n’entraîne pas nécessairement l’illégalité du contrat si les conditions de la transmission n’ont pas privé le préfet de sa capacité à exercer le contrôle de légalité et dès lors que cette délibération a été prise avant la signature du contrat (CE, 9 mai 2012, requête numéro 355665, Syndicat départemental des ordures ménagères de l’Aude : Rec. p. 192 ; AJDA 2012, p. 1688, note Martin ; JCP A 2012, 2291, note Pontier).
C- Etablissements publics
Pour ce qui concerne les établissements publics, l’autorité compétente est déterminée par les textes qui les instituent. Selon le cas, l’exécutif peut être seul désigné, mais il est plus fréquent que cette compétence s’exerce après autorisation de l’assemblée délibérante. L’approbation du contrat par une autre autorité est parfois exigée.
II- Formes du contrat
Un contrat administratif peut, le cas échéant, être conclu oralement, mais cela demeure une hypothèse exceptionnelle (v. pour un exemple classique de contrat oral : CE Sect., 20 avril 1956, Époux Bertin, préc.). Qui plus est, l’obligation de l’écrit est fréquemment mentionnée par les textes applicables aux différentes catégories de contrats.
Exemples :
– L’article 15 du décret n°2016-360 du 5 mars 2016 relatif aux marchés publics précise que « les marchés publics répondant à un besoin dont la valeur estimée est égale ou supérieure à 25 000 euros HT sont conclus par écrit ».
– Les contrats ou engagements d’agents non titulaires de la fonction publique d’Etat, territoriale et hospitalière doivent être obligatoirement écrits (Voir respectivement D. n°86-83 du 17 janvier 1986, art. 4 ; D. n°88-145 du 15 février 1988, art. 3 ; D. n°91-155 du 6 février 1991, art. 4 .- V. cependant, sur les conséquences de l’absence d’écrit et la possibilité de reconnaître l’existence d’un contrat verbal : CE, 17 janvier 1996, requête numéro 152713, Thoury : Rec. p. 995 ; AJFP 1/1996, p. 47, note Mathieu.- CAA Marseille, 22 février 2005, requête numéro 03MA00640, Angélique X. c. Commune de Rogliano : JCPA 2005, 1230, note Jean-Pierre).
III- Choix du cocontractant
Sous la pression du droit de l’Union européenne, une règlementation récente a renforcé les mécanismes de publicité et de mise en concurrence, principalement pour les marchés publics et les contrats de concession.
A- Règles applicables aux marchés publics
Selon l’article 4 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics « les marchés (publics) sont les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».
Les procédures de marché public ont pour objectif, comme le précise l’article 52 de la même ordonnance, de permettre aux collectivités publiques de choisir « l’offre économiquement la plus avantageuse ».
La procédure formalisée de droit commun – même si elle n’est plus expressément qualifiée comme telle par les textes en vigueur – est celle de l’appel d’offres, mais il peut être recouru à une procédure adaptée moins formaliste, en fonction essentiellement du montant du marché. Il existe également des procédures spéciales qui s’appliquent dans différentes hypothèses, et notamment celles où la collectivité acheteuse éprouve des difficultés à définir ses besoins. Tel est le cas, notamment, des marchés à bons de commande, de la procédure de dialogue compétitif, des marchés négociés ou encore de la procédure de concours.
Il faut ajouter que certains contrats qui ne sont pas définis comme des marchés publics, pourront néanmoins être considérés comme tels, et donc soumis aux règles de publicité préalable et de mise en concurrence organisées , lorsqu’ils répondent à la définition de cette notion donnée par le même code. Tel est le cas, en particulier, des contrats de mobilier urbain, ainsi que l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux (requête numéro 247299, requête numéro 247299 : Rec. p. 476, concl. Casas ; AJDA 2006, p.120, note Ménéménis ; Dr. adm. 2006, 25, note Auby ; RFDA 2005, p.1083, concl. Casas). Les juges ont en effet estimé que ces contrats, qui portent sur la fourniture, l’installation et l’entretien sur le domaine public d’éléments de mobilier urbain entrent dans le champ d’application du Code des marchés publics alors en vigueur. Une décision plus récente nuance cette solution, le Conseil d’Etat considérant désormais que dans certains cas, au regard de leur contenu, ces contrats peuvent être qualifiés de conventions d’occupation domaniale non soumise à une obligation de mise en concurrence (CE, 15 mai 2013, requête numéro 364593, Ville de Paris : AJDA 2013, p. 1271, chron. Domino et Bretonneau ; BJCP 2013, p. 359, concl. Dacosta; Contrats-Marchés publ. 2013, 199, note Eckert ; Dr. adm. 2013, 63, note Brenet ; JCP A 2013, act. 453, obs. Dubreuil et 2180, note Giacuzzo RDI 2013, p. 1023, obs. Braconnier ; RJEP 2013, 39, concl. Dacosta. – V. également Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 3 décembre 2014, Etablissement public Tisséo, requête numéro 384170 : BJCP 2015, n° 99, p. 128 ; JCP A 2014, act. 983 ; Contrats-Marchés publ. 2015, 48 ; conclusions Pellissier). C’est le cas dans l’arrêt Ville de Paris où les juges prennent en compte « l’affectation culturelle des mobiliers » dans un litige concernant l’installation et l’exploitation à Paris des célèbres « colonnes Morris ». En effet, si la promotion d’activités culturelles sur son territoire répond à un intérêt général pour la ville « elle ne concerne pas des activités menées par les services municipaux ni exercées pour leur compte ». Il s’agit donc bien ici seulement d’autoriser une personne privée à utiliser le domaine public. En effet, « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ». Cette solution était toutefois douteuse au regard de la définition des contrats de concession , notion issue du droit de l’Union européenne et introduite en droit français par l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 (V. infra p. 464 s.). Elle est clairement condamnée par l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 qui impose la mise en oeuvre, à compter du 1er janvier 2017, d’une procédure de sélection préalable lorsqu’il s’agit de permettre au titulaire du contrat d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique (V. CGCT, art. L. 2122-1-1 s.)
Enfin, des contrats qui ne sont pas des marchés publics au regard des critères de définition fixés par les textes seront néanmoins considérés comme tels, au regard des directives européennes, lorsque celles-ci ont vocation à s’appliquer en raison du montant du marché. C´était le cas, à l´origine, des contrats de partenariat public privé « qui ont vocation à être passés avec un ou plusieurs opérateurs économiques et en vertu desquels la rémunération du cocontractant fait l’objet d’un paiement par la personne publique » (CE Sect., 29 octobre 2004, requête numéro 269814, requête numéro 271357, requête numéro 271362, Sueur et a. : Mon. TP 5 nov. 2004, suppl. TO, p. 248). Plus précisément, les contrats de partenariat public privé étaient considérés comme des marchés publics dès lors qu’ils dépassaient le seuil actuellement fixé à 5 000 000 d’euros HT les seuils financiers définis par la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. Désormais, en application de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015, les contrats de partenariat public privé ont été expressément qualifiés des marchés de partenariat. Il s’agit donc bien de marchés publics comme le précise l’article 4 de l’ordonnance.
B- Règles applicables aux contrats de concession
Il faut entendre ici la notion de concession au sens européen du terme, et non pas au sens restreint qui désigne un type de contrat en particulier relevant de la sous-catégorie des concessions de service et plus précisément de la sous-sous-catégorie des délégations de service public.
Selon l’article 5 de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016, qui introduit cette nouvelle approche de la concession en droit interne, il s’agit de contrats « conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix. »
Comme on l’a dit, traditionnellement en droit français, le contrat de concession – tel qu’il est apparu dans le courant du XIX ° siècle – désigne non pas un ensemble de contrats mais un contrat en particulier, relevant de la catégorie plus vaste des contrats de délégation de service public. La terminologie utilisée par l’ordonnance du 29 janvier 2016 est donc pour le moins ambiguë : un contrat de concession au sens de l’ordonnance de 2016 peut être un contrat de concession relevant de la catégorie particulière des délégations de service public, mais il peut s’agir tout aussi bien d’un contrat d’affermage, lequel se définit habituellement par opposition au contrat de concession au sens de délégation du service public.
Les délégations de service public étaient considérées à l’origine comme des contrats intuitu personae pour lesquels l’administration, pour des raisons tenant à l’intérêt général, disposait d’une grande latitude pour fixer les obligations imposées au délégataire.
La transposition en France de directives communautaires favorisant la libre concurrence a abouti à l’adoption de lois visant à lutter contre la corruption dont le champ d’application a été étendu à l’ensemble des contrats de délégation de service public. C´est le cas en particulier de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi « Sapin ».
La loi Sapin avait abouti à nuancer l’opposition existant entre les contrats de délégation de service public et les marchés publics. Elle avait notamment conduit à exiger, pour les contrats de délégation de service public, le respect de mesures de publicité préalable. Suite à la directive concession n°2014/23 du 26 février 2014 la loi Sapin a été partiellement abrogée et les dispositions nationales relèvent désormais de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession (au sens large du terme) et du décret n°2016-86 du 1er février 2016.
Ces textes ne se bornent toutefois pas à transposer la directive du 26 février 2014. Ils ont en effet pour objectif de simplifier et de rationaliser le droit des concessions en rassemblant dans un même texte notamment deux catégories de contrats qui relevaient jusqu’alors de règles distinctes : les délégations de service public régies par la loi Sapin et les concessions de travaux qui relevaient jusqu’alors de l’ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009.
Ces nouvelles dispositions font référence non seulement aux concessions de travaux mais également aux concessions de services dont les délégations de service public constituent une sous-catégorie toujours régie par les articles L. 1411-1 et suivant du Code général des collectivités territoriales. Sont concernés, en application de cet article, les contrats de concession qui confient « la gestion d’un service public à un ou plusieurs opérateurs économiques »,
Finalement, le droit de la commande publique se retrouve organisé, dans son ensemble, autour de la summa divisio européenne marchés publics-concession.
L’ordonnance du 23 juillet 2014 relative aux marchés, et l’ordonnance du 29 janvier 2016 poursuivent également le mouvement initié par la loi Sapin en rapprochant encore les règles procédurales afférentes aux marchés publics et aux concessions. En particulier, l’article 1er de l’ordonnance du 29 janvier 2016 précise que, comme pour les marchés publics, les contrats de concession respectent « les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».
Comme pour les marchés publics, les formalités de publicité et les règles de mise en concurrence dépendent essentiellement du montant du contrat de concession.
Dans l’hypothèse où le contrat est passé par une collectivité territoriale, il est également nécessaire, après que l’assemblée délibérante s’est prononcée sur le principe même de la délégation, qu’une commission dresse la liste des candidats admis à présenter une offre, en fonction de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du Code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse alors à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s’il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l’usager.
A l’issue de la procédure (V.Ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016, art. 46 et plus spécialement pour les délégations de service public), CGCT, art L.1411-4 s.) le principe de l’intuitu personae reparaît, puisque l’autorité concédante de la personne publique délégante négocie librement les offres et choisit le délégataire au terme de ces négociations. Toutefois, la liberté de négociation doit respecter l’égalité entre les candidats (V. par exemple CE, 9 août 2006, requête numéro 286107, Compagnie générale des eaux : AJDA 2006, p. 2064, note Morel ; BJCP 2006, p. 448, concl. Casas, obs. C.M. ; Contrats – Marchés publ. 2006, 267, obs. Delacour). En outre, l’article 47 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 précise que « le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution ». En tout état de cause, le même article précise que « les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’autorité concédante et garantissent une concurrence effective ».
C- Sanctions du non-respect des règles de mise en concurrence
La violation des règles de mise en concurrence peut donner lieu à la mise en œuvre de la procédure de référé précontractuel qui permet au juge administratif des référés d’interdire la signature du contrat (CJA, art. L. 551-1). A défaut de référé précontractuel, la décision de conclure le contrat pourra néanmoins être annulée par le juge de l’excès de pouvoir si elle est illégale, ce qui pourra rejaillir sur le contrat lui-même.
Il existe également une procédure de référé contractuel qui peut être exercée après que le contrat a été conclu et qui a également pour objet de sanctionner les manquements aux obligations des règles de publicité et de mise en concurrence préalable (CJA, art. L. 551-13 s.). Peuvent agir les personnes qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ces manquements, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local.
Enfin, des sanctions pénales sont prévues en cas d’atteintes à l’égalité entre les candidats. Sont plus précisément concernés les délits de prise illégale d’intérêt (Code pénal, art. 432-12) et de favoritisme (Code pénal, art. 432-14).
IV- Contenu du contrat
La liberté contractuelle conduit à considérer que le contenu des contrats administratifs peut être extrêmement variable. Toutefois, ici encore, des textes peuvent imposer un contenu plus ou moins précis, en fonction du type de contrats qu’ils visent, ainsi que la présence de documents annexes.
Exemple :
– Les conditions d’exécution des marchés publics sont définies par des cahiers des charges. Les règles générales sont définies par les cahiers des clauses administratives générales et les cahiers des clauses techniques générales qui sont des documents types établis par arrêté du ministre de l’Economie et des Finances. Les conditions particulières à chaque marché considéré, qui dérogent à ces documents, sont mentionnées, quant à elles, par le cahier des clauses administratives particulières et le cahier des clauses techniques particulières.
§II- Exécution des contrats
Les conditions dans lesquelles sont exécutés les contrats administratifs dénotent un fort déséquilibre entre les parties, au profit de l’administration. Toutefois, ce déséquilibre est en partie compensé par la reconnaissance de garanties reconnues aux cocontractants privés de l’administration.
I- Pouvoirs de l’administration
L’administration contractante dispose d’un certain nombre de prérogatives qu’elle peut exercer sur son cocontractant : pouvoir d’exiger l’exécution personnelle du contrat, pouvoir de contrôle et de direction, pouvoir de sanction et pouvoir de modification et de résiliation unilatérale.
A- Pouvoir d’exiger l’exécution personnelle du contrat
Le titulaire d’un contrat administratif, et notamment d’un marché public, est tenu d’exécuter personnellement ses obligations. Ce principe connaît néanmoins une exception dont l’importance pratique est réelle : au titre de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, le cocontractant de l’administration est en effet autorisé à sous-traiter certaines parties d’un marché public. Cependant, la sous-traitance, qui concerne les marchés de travaux et de service, n’est possible que lorsqu’elle est autorisée explicitement par l’administration. Plus précisément, l’administration doit agréer la personne du sous-traitant ainsi que ses conditions de paiement. Dans cette hypothèse, un rapport direct est établi entre l’administration et le sous-traitant. Ce dernier peut notamment être directement payé par l’administration pour la partie du marché dont il a assuré l’exécution lorsque le montant du contrat de sous-traitance est égal ou supérieur à 600 euros TTC ((D. n° 2016-360 du 25 mars 2016, art. 135).
Enfin, précisons que la sous-traitance est possible dans le cadre d’une délégation de service public. Il faut alors parler, plutôt que de sous-traitance, de sous-délégation de service public (V. par exemple CE, avis, 16 mai 2002, requête numéro 366305 : EDCE 2003, n° 54, p. 201 EDCE 2003, p. 201 ; BJCP 2003, p. 235, note Glaser et Mauguë.- V. également Rép. min. n°12577 : JO Sénat, 2 juin 2011, p. 1470).
B- Pouvoir de contrôle et de direction
L’administration peut vérifier à tout moment que son cocontractant privé se comporte conformément aux clauses du contrat. Elle peut ainsi exiger que celui lui fournisse tous les renseignements qui lui permettent d’effectuer ces vérifications.
En outre, l’administration exerce un véritable pouvoir de direction. Notamment, elle peut exiger de son cocontractant qu’il emploie certains procédés d’exécution de ses prestations, où encore lui imposer l’ordre dans lequel il devra les réaliser. Elle peut également adresser un ordre de service écrit à son cocontractant, par exemple pour l’enjoindre de débuter ses prestations dans le cadre d’un marché de travaux.
C- Pouvoir de sanction
L’administration peut infliger des sanctions à son cocontractant privé en cas d’inobservation, par celui-ci, des clauses du contrat ou des instructions reçues.
Dans un premier temps, si le Conseil d’Etat avait admis qu’un cocontractant défaillant pouvait être sanctionné même en l’absence de sanction prévue par le contrat (CE, 31 mai 1907, Deplanque : Rec. p.513, concl. Romieu ; D. 1907, III, p.81, concl. Romieu ; RDP 1907, p.678, note Jèze ; S. 1907, III. p.113, note Hauriou), seul le juge pouvait allouer une indemnité à l’administration ou prononcer la résiliation du contrat. Mais ensuite, les juges ont admis que l’administration, en vertu du privilège du préalable, pouvait elle-même infliger une sanction au cocontractant défaillant.
Ces sanctions ne peuvent toutefois pas être prononcées d’office, ce qui signifie qu’elles devront donner lieu à une mise en demeure préalable du cocontractant privé réalisée par l’administration. Plus précisément, l’administration sera tenue de respecter les droits de la défense de son cocontractant et lui notifier précisément les manquements qu’elle lui reproche. Ces sanctions sont de trois ordres : elles peuvent être pécuniaires, coercitives ou consister en la résiliation du contrat.
1° Sanctions pécuniaires
Les sanctions pécuniaires consistent en des pénalités, prévues par le contrat lui-même, ou en des amendes fixées par l’administration. Toutefois, pour que la sanction soit légale, elle doit correspondre effectivement à un manquement fautif du cocontractant de l’administration.
Exemple :
– CE, 1er juillet 2005, requête numéro 269342, requête numéro 269343, Commune de Saint-Paul de la Réunion (Contrats-Marchés publ. 2005, 281, note Delacour) : le cahier des charges d’un contrat de délégation de service public prévoyait que, pour l’exécution du service, le cocontractant privé devait reprendre des agents du personnel communal affectés auparavant au même service. Or, malgré des offres réitérées d’embauche dont le contenu correspondait aux conditions de rémunération et de reprise d’ancienneté offertes par le marché du travail local, aucun agent communal n’avait accepté de conclure un contrat de travail avec la société en question. Le Conseil d’Etat en a déduit que la société n’avait pas commis de faute contractuelle en n’embauchant aucun agent communal.
2° Sanctions coercitives
Dans ce cas, le cocontractant privé est pénalisé plus fortement, mais sans que cela aboutisse à la rupture du contrat, l’administration se substituant au cocontractant ou lui substituant un tiers.
Dans les deux hypothèses, l’exécution des prestations se poursuit aux frais et risques du cocontractant sanctionné. On parle ainsi, notamment, de « mise sous séquestre » d’un contrat de concession ou encore de « mise en régie » d’un marché de travaux publics.
Dans un arrêt de Section Office public d’HLM d’Avignon du 6 mai 1985 (requête numéro 44130 : RDP 1985 p.1706) le Conseil d’Etat a précisé qu’il s’agit de « pouvoirs de coercition inhérents à tout contrat passé pour l’exécution du service public ». Il a récemment rappelé que la mise en régie d’un contrat en cas de manquement du cocontractant initial « résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs » (CE, 14 février 2017, requête numéro 405157, Société de manutention portuaire d’Aquitaine et Grand port maritime de Bordeaux : Contrats-Marchés publ. 2017, 99 et 100, note Eckert).
3° Résiliation sanction
L’administration peut également résilier le contrat à titre de sanction et dans ce cas aucune indemnité ne sera en principe due au cocontractant privé. Toutefois, l’administration ne peut utiliser cette possibilité qu’en cas de faute d’une particulière gravité commise par son cocontractant.
Exemple :
– CE, 12 mars 1999, requête numéro 176694, SA Méribel 92 (Rec. p. 61 ; BJCP 1999, p. 444, concl. Bergeal ; RD imm. 1999, p. 244 ; Dr. adm. 1999, 190) : un retard dans la réalisation de travaux, si elle apparaît constitutive d’une faute en l’espèce, n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier la déchéance du concessionnaire.
–CE, 26 février 2014, requête numéro 365546, Société Environnement service (AJDA 2014, p. 1561, note Lombard) : en n’étant pas en mesure d’exécuter les prestations objet du marché à compter du délai stipulé pour la réalisation des installations indispensables au conditionnement des déchets ménagers et assimilés la société requérante a commis une faute de nature à justifier la résiliation à ses torts exclusifs sans qu’y fasse obstacle l’absence de bons de commande, ni l’omission, dans la mise en demeure qui lui a été adressée, d’un délai de réalisation de ces installations.
S’il apparaît que la sanction était disproportionnée, l’administration peut être condamnée au versement de dommages-intérêts (V. par exemple CE, 10 février 2016, requête numéro 387769, Société Signacité : Contrats – Marchés publ. 2016, 98, note Ubaud-Bergeron). De même l’indemnité peut être minorée s’il apparaît que la défaillance du cocontractant privé s’explique en partie par des faits imputables à l’administration (V. par exemple CE, 17 mars 2004, requête numéro 24341, Ville d’Aix-en-Provence : Contrats-Marchés publ. 2004, 150 ; Collectivités-Intercommunalité 2004, 167).
Il faut aussi noter que le pouvoir de résiliation ne pouvait, à l’origine, en principe, être exercé par l’administration elle-même en matière de contrats de concession. Notons que dans ce domaine on parle plutôt de déchéance que de résiliation. Ce principe pouvait cependant être contourné lorsque le cahier des charges du contrat prévoyait que l’administration pouvait résilier elle-même le contrat (CE, 20 janvier 1905, Compagnie départementale des eaux et services municipaux : Rec. p. 57, concl. Romieu.- V. également CE, 25 mars 1991, requête numéro 90747, Copel : Rec. tables, p. 1045), ou lorsque le pouvoir de résiliation était conféré par le contrat à une autre autorité (CE, 22 novembre 1967, Société générale technique : CJEG 1969, p. 263, note A.P).
En outre, le pouvoir de résiliation peut toujours être prévu par un texte de loi.
Exemple :
– L’article L. 1321-6 du Code de la santé publique, qui concerne le service public de l’alimentation en eau potable et de l’assainissement prévoit que « en cas de condamnation du délégataire par application des dispositions de l’article L. 1324-3, le ministre chargé de la Santé peut, après avoir entendu le délégataire et demandé l’avis de la collectivité territoriale intéressée, et après avis du Haut Conseil de la santé publique, prononcer la déchéance de la délégation, sauf recours devant la juridiction administrative ».
Ces exceptions mises à part, seul le juge pouvait prononcer la résiliation du contrat de concession, ce qui s’expliquait par le fait que dans le cadre d’un tel contrat, le concessionnaire doit à la fois exploiter un service public, mais également en principe construire les ouvrages nécessaires à son fonctionnement. Conférer un pouvoir unilatéral de résiliation sanction à l’administration pouvait donc entraîner des conséquences très graves, ce qui justifiait la compétence de principe du juge en la matière. Ceci explique que cette solution se soit ensuite étendue à l’ensemble des contrats de longue durée exigeant, de la part du cocontractant de l’administration, des investissements importants (CE, 30 septembre 1983, requête numéro 26611, SARL Comexp : Rec. p.393).
Toutefois, l’évolution des règles du contentieux contractuel, dans un sens plus favorable à la préservation des droits des cocontractants de l’administration, avait conduit à relativiser l’intérêt de ce principe du recours au juge. Dans son arrêt du 21 mars 2011, Ville de Béziers, dit « Béziers II » (requête numéro 304806 : Rec. p. 117 ; AJDA 2011, p. 670, note Lallet ; Dr. Adm. 2011, 46, note Brenet et Melleray ; RDI 2010, p. 270, obs. Braconnier ; RFDA 2011, p. 507, concl. Cortot-Boucher et p. 518, note Pouyaud) le Conseil d’Etat a ainsi admis la possibilité pour le cocontractant de l’administration de contester une décision de résiliation devant le juge du contrat, lequel pourra décider la reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, le cas échéant en ajoutant une indemnité. De même, le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour le juge des référés de suspendre, en application de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, une décision de résiliation d’une délégation de service public (CE, 17 juin 2015, Commune d’Aix-en-Provence : AJDA 2015, p. 2127 ; RFDA 2015, p. 930, concl. Pellissier).
C’est dans ce contexte que le Conseil a finalement décidé, dans un arrêt Société le jardin d’acclimatation du 12 novembre 2015, de poser le principe en vertu duquel en « l’absence même de stipulations du contrat lui donnant cette possibilité, le concédant dispose de la faculté de résilier unilatéralement le contrat pour faute et sans indemnité ». Il ne s’agit toutefois ici que d’une faculté, l’administration contractante ayant toujours la possibilité de choisir de saisir le juge en vue qu’il prononce la déchéance du contrat (requête numéro 387660 : Rec. tables, p. 395 ; AJDA 2016, p. 911, note Marcantoni ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 16, note Ubaud-Bergeron et comm. 2123, note Hoffmann).
Le Conseil d’Etat a aussi voulu récemment préciser quelles étaient les conséquences d’une décision de résiliation d’un contrat portant exécution d’un service public (Conseil d´Etat, Sect, 19 décembre 2014, Commune de Propriano, requête numéro 368294: Dans cette hypothèse, en effet, il y a lieu de combiner pouvoir de résiliation de l’administration contractante et principe de continuité du service public. Pour ménager ce dernier principe, l’administration contractante va se substituer de plein droit à son ancien cocontractant pour l’exécution des contrats conclus avec les usagers ou avec d’autres tiers pour l’exécution même du service. Toutefois, la substitution de la personne publique n’emporte pas le transfert des dettes et créances nées de l’exécution antérieure des contrats conclus par l’ancien cocontractant de la personne publique. Une exception est également faite au principe de cession du contrat, concernant les « engagements anormalement pris, c’est-à-dire des engagements qu’une interprétation raisonnable du contrat relatif à l’exécution d’un service public ne permettait pas de prendre au regard notamment de leur objet, de leurs conditions d’exécution ou de leur durée, à moins que, dans ce cas, la personne publique n’ait donné, dans le respect de la réglementation applicable, son accord à leur conclusion ».
Notons enfin que, traditionnellement, le juge administratif considérait que le cocontractant de l’administration ne pouvait disposer d’un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat (Conseil d´Etat, 15 janvier 1986, Société l´habitat moderne, requête numéro 37321). Cette solution est liée à l’idée que conformément au principe de continuité du service public, le cocontractant de l’administration, contrairement à l’hypothèse où le contrat est de droit privé, ne saurait bénéficier d’une exception d’inexécution. Selon cette approche, s’il cessait l’exécution de son contrat, le cocontractant privé commettait une faute susceptible d’engager sa responsabilité. En conséquence, s’il considérait que le contrat devait être résilié, il devait saisir l’administration d’une demande dans ce sens, une décision de refus pouvant ensuite être contestée devant le juge du plein contentieux contractuel (CE, 7 octobre 1988, requête numéro 68729, OPHLM du Havre).
Le Conseil d’Etat a toutefois récemment admis la légalité des clauses pouvant autoriser le cocontractant d’une personne publique à prononcer unilatéralement la résiliation de certains contrats administratifs en cas de méconnaissance par la personne publique de ses obligations contractuelles (Conseil d´Etat, 8 octobre 2014, Société Grenke location, requête numéro 370644 : Rec. p. 302, concl. Pellissier ; AJDA 2015, p. 396, obs. Melleray ; BJCP 2015, p. 3, concl. Pellissier ; D. 2015, p. 145, note Pugeault ; Dr. adm. 2015, 12, obs. Brenet ; JCP E 2014, 1623, obs. Sée ; JCP A 2014, 2327, obs. Ziani ; Contrats-Marchés publ. 2014, 329, obs. Eckert ; RFDA 2015, p. 47, note Pros-Philippon.- V. également CAA Douai, 4 février 2016, requête numéro 15DA01296, SA d’économie mixte Séquano Aménagement et Communauté d’agglomération creilloise : Contrats-marchés publ. 2016, 110, note Eckert). Si cette avancée est bénéfique pour le cocontractant privé de l’administration, cette possibilité est toutefois très encadrée, eu égard notamment à la prise en compte de l’intérêt général. En effet, demeure le principe selon lequel « le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l’administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat ». Une clause de résiliation unilatérale pouvant être utilisée par le cocontractant privé peut toutefois être introduite dans le contrat mais uniquement si celui-ci n’a pas pour objet l’exécution même du service public. En outre, « le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préalable, la personne publique de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général, tiré notamment des exigences du service public ». Si ce motif d’intérêt général existe, le cocontractant privé devra poursuivre l’exécution du contrat et il s’expose, en cas de manquement à ses obligations, à une résiliation à ses torts exclusifs. Il ne pourra alors que contester devant le juge du contrat le motif d’intérêt général qui lui est opposé en vue d’obtenir des indemnités.
D- Pouvoirs de modification et de résiliation unilatérale
L’existence de tels pouvoirs déroge au principe civiliste selon lequel le contrat est la loi des parties. Ils constituent les principales manifestations du pouvoir exorbitant accordé à l’administration dans le cadre des contrats. Les règles en la matière sont essentiellement d’origine jurisprudentielle. Toutefois, s’agissant des contrats de concession (au sens européen du terme) et les marchés publics les conditions de modification unilatérale et de résiliation unilatérale ont été précisées par les nouveaux textes édictés en 2015 et en 2016. Comme on le verra elles sont susceptibles de remettre en cause une construction jurisprudentielle qui constitue l’une des principales spécificités du régime juridique des contrats administratifs. La justification théorique de l’existence de ces pouvoirs se trouve dans la notion d’intérêt général qui est en principe poursuivi chaque fois que l’administration conclut un contrat.
Le pouvoir de modification unilatérale a été reconnu à l’administration partie à un contrat par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt du 10 février 1902, Gaz de Déville-les-Rouen (Rec. p. 5 ; S. 1902, III, p. 17, note Hauriou). En l’espèce une commune avait concédé à une société privée le service public d’éclairage. A l’époque où ce contrat avait été conclu, en 1874, l’éclairage des villes était assuré au gaz. Quelques années plus tard, la commune a demandé à son cocontractant de modifier la nature de ses prestations en vue qu’il accepte d’assurer l’éclairage au moyen de l’électricité. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a reconnu que l’administration avait le pouvoir de mettre en demeure son cocontractant d’accepter les modifications des prestations initialement prévues. Ainsi, l’intérêt général commandait une modification du contrat qui pouvait être imposée au cocontractant privé.
Dans l’arrêt du 2 février 1983, Union des transports urbains et régionaux (requête numéro 34027: Rec. p. 33 ; RFDA 1984, p. 45, note Llorens ; RDP 1984, p.212, note Auby), le Conseil d’Etat a estimé que l’existence d’un tel pouvoir de modification unilatérale est « une règle générale applicable aux contrats administratifs ». Par conséquent, ce pouvoir peut être exercé par l’administration, même s’il n’est pas prévu dans les clauses du contrat. Cette solution, qui sous-tendait déjà le raisonnement du Conseil d’Etat dans l’arrêt Compagnie des tramways du 11 mars 1910 (Rec. p. 216, concl. Blum ; D. 1912, III, p. 49, concl. Blum ; S. 1911, III, p. 1, concl. Hauriou ; RDP 1910, p. 270, note Jèze), se démarque de la logique de l’arrêt Gaz de Déville-les-Rouen qui fondait le pouvoir de modification unilatérale sur la recherche de la commune volonté des parties. Ce n’est que lorsque la modification unilatérale entraîne un bouleversement de l’équilibre du contrat qu’elle pourra justifier une demande de résiliation présentée par le cocontractant de l’administration (CAA Paris, 6 décembre 2005, requête numéro 02PA03983, Sapim c. Commune de Tremblay-en-France: Contrats-Marchés publ. 2006, 86 , note Delacour).
Le non-respect de l’obligation d’exécution du contrat modifié est constitutif d’une faute de nature à justifier la résiliation du contrat administratif (CE, 27 octobre 2010, requête numéro 318617, Syndicat intercommunal des transports publics de Cannes, Le Cannet, Mandelieu-la Napoule : Dr. adm. 2011, 3, note Brenet).
Bien évidemment, l’exercice de ce pouvoir ne se fait pas sans contrepartie : si elle met à la charge du cocontractant privé des prestations plus onéreuses, l’administration devra l’indemniser en vue de rétablir l’équilibre financier du contrat. En revanche, sera considérée comme illégale une clause d’un marché public de services qui prévoit que l’indemnité versée au délégataire peut excéder le montant du préjudice subi par celui-ci, du fait de cette résiliation (CAA Versailles, 7 mars 2006, requête numéro 04VE01381, Commune de Davreil : Contrats-marchés publ. 2006, 136, note Delacour). En outre, la réparation n’est due que si c’est bien l’administration qui est à l’origine de la modification. Ainsi, il n’y a aura pas lieu à verser des indemnités lorsque c’est son cocontractant qui a suggéré la modification (CAA Paris, 21 mars 1996, requête numéro 94PA01130, SARL Citra-Pacifique : Dr. adm. 1996, 309).
Par ailleurs, ce pouvoir ne peut s’exercer sur l’ensemble des éléments du contrat. En effet, en principe, il ne peut pas concerner les clauses financières qui ne peuvent être modifiées que d’un commun accord entre les parties, sauf rectification d’erreurs matérielles (CE, 23 mai 1936, Commune du Vésinet : Rec. p. 59). Une cour administrative d’appel a décidé qu’une modification unilatérale pouvait également intervenir au terme d’un processus de renégociation organisé par le contrat (CAA Nancy, 20 décembre 2007, requête numéro 05NC00897, Société Vivendi c. Commune de Saint-Dizier : Contrats-Marchés publ. 2008, 77, note Frérot). Dans ce cas, en effet, la modification unilatérale des clauses financières n’est qu’une conséquence de l’accord initial des parties. L’autorité délégante peut donc modifier unilatéralement les clauses financières du contrat lorsque le délégataire a refusé de signer l’avenant élaboré en application d’une clause du contrat.
On retrouve la même logique dans le pouvoir qui est conféré à l’administration de résilier unilatéralement les contrats qu’elle souscrit. Ici encore, c’est l’intérêt général, ou plus précisément, selon les termes employés dans la plupart des arrêts, l’intérêt du service, qui justifie ce pouvoir.
Exemples :
– CE, 7 mai 2013, requête numéro 365043, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne (AJDA 2013, p. 1271, chron. Domino et Bretonneau ; JCP A 2013, 2297 note Vila) : eu égard à l’impératif d’ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d’accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d’une délégation de service public constitue un motif d’intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique, sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge.
–CE, 10 juillet 1996, requête numéro 140606, Coisne (Rec. tables, p. 1006, concl. Chantepy ; RFDA 1997, p. 504) : en invoquant pour la résiliation d’une convention de prestation de service relative à l’information communale des motifs tirés de l’imprécision de ses dispositions, des irrégularités de rédaction notamment en ce qui concerne sa résiliation et pour la résiliation de la convention relative à la promotion de la ville, des motifs tirés de la nécessité d’une meilleure cohérence entre les différents organismes intervenant dans ce domaine, la commune de Divonne-les-Bains qui a informé les conseillers municipaux, au cours de cette même séance que la gestion de ces activités serait mieux assurée par le biais d’une régie, a suffisamment motivé sa décision. Ces motifs doivent être regardés comme des motifs d’intérêt général de nature à justifier la mesure litigieuse.
Dans cette hypothèse, il ne s’agit pas, comme dans le cadre de la résiliation sanction, de punir le cocontractant. (sur les difficultés de distinction entre ces deux hypothèses de résiliation, V. CAA Nancy, 27 juin 2013, requête numéro 12NC01799, Commune de Verdun : LPA 5 mai 2014, p.11, note Tifine) Pour cette raison, celui-ci percevra une indemnité, ce qui n’est pas le cas en principe dans le cadre de la résiliation sanction.
Exemple :
– CE, 21 décembre 2007, requête numéro 293260, Région du Limousin (AJDA 2008, p.481, note Dreyfus): le Conseil d’Etat engage la responsabilité contractuelle de l’Etat à l’égard d’une région avec laquelle il avait conclu une convention relative à la modernisation d’une liaison ferroviaire, pour ensuite modifier unilatéralement son engagement. L’Etat est donc condamné à indemniser la région des dépenses d’études effectuées en application de la convention.
L’administration contractante doit prendre garde de ne pas se tromper de motif de résiliation. Ainsi, dans l’hypothèse où le contrat est résilié pour motif d’intérêt général, elle ne saurait écarter l’indemnisation du manque à gagner en invoquant les fautes qui auraient été commises par le délégataire (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 31 juillet 2009, Société Jonathan Loisirs, requête numéro 316534: Rec. tables, p. 739 ; Dr. adm. 2009, 129 ; RJEP 2010, 17, note Chamard-Heim).
Le pouvoir de résiliation est reconnu par la jurisprudence dans des termes aussi généraux que celui de modification unilatérale. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat, dans son arrêt d’Assemblée du 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, l’administration contractante peut « en tout Etat de cause … en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs … mettre fin aux contrats administratifs … sous réserve des droits à indemnité des intéressés » (Rec. p. 246 ; AJDA 1958, II, p. 282 ; D. 1958, p. 73, note de Laubadère). Dans le cas particulier où est en cause une convention de coopération entre personnes publiques, un simple déséquilibre financier ne constitue pas un motif suffisant. Il est exigé, dans ce cas, un bouleversement de son équilibre où – c’est une autre hypothèse – une disparition de la cause du contrat (Conseil d´Etat, 27 février 2014, Commune de Béziers, requête numéro 357028: Contrats-Marchés publ. 2015, 101, note Eckert ; JCP G 2015, act. 301, obs. Erstein ; AJDA 2015, p. 1482, note Bourdon).
En application des principes dégagés par la jurisprudence, il a été jugé que si une personne publique peut aménager les conditions dans lesquelles elle sera susceptible de procéder à cette résiliation (CE, 11 mai 1990, requête numéro 68689, OPHLM de la Ville Toulon) elle n’a pas la possibilité d’y renoncer à l’avance par une stipulation contractuelle (CE, 6 mai 1985, requête numéro 41589, requête numéro 41699, Association Eurolat et Crédit foncier de France : Rec. p. 141 ; AJDA 1985, p. 620, note Fatôme et Moreau ; LPA, 23 octobre 1985, p.4, note Llorens ; RFDA 1986, p. 21, concl. Genevois ; RDP 1986, p. 21).
Enfin, on ne manquera pas de noter que les nouveaux textes relatifs aux concessions et aux marchés sont susceptibles de remettre en cause les règles jurisprudentielles dégagées par le Conseil d’Etat. En effet, ces textes limitent les cas dans lesquels le cocontractant public peut modifier unilatéralement le contrat. En particulier, les modifications apportées au contrat ne peuvent être « substantielles » ce qui veut dire qu’elles ne peuvent changer « la nature globale » du contrat (V. pour les contrats de concession : Ord. n°2016-65 du 29 janvier 2016, art. 55 et D. n°2016-86 du 1er février 2016, art. 36 .- Pour les marchés publics : Ord. n°2015-899 du 23 juillet 2015, art. 65 et D. n°2016-360 du 25 mars 2016, art. 139). Par ailleurs, le montant des modifications prévues ne peut être supérieur à 50 % du montant du marché public initial (V. respectivement D. n°2016-86 du 1er février 2016, art. 36 et D. n°2016-360 du 25 mars 2016, art. 140). Il s’agit ici de limites sérieuses à l’exercice de son pouvoir de modification unilatérale par l’administration contractante.
La question, au regard de ces mêmes textes, de l’exercice d’une pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général ne se pose pas exactement dans les mêmes termes. En effet, ce pouvoir peut être exercé dès lors que « l’exécution du contrat … ne peut être poursuivie sans une modification contraire aux dispositions prévues par (les ordonnances encadrant ce pouvoir de modification) » (Ord. n°2016-65 du 29 janvier 2016, art. 55 et Ord. n°2015-899 du 23 juillet 2015, art. 65). Il semble donc que si l’exercice d’un pouvoir de modification unilatérale pour motif d’intérêt général est strictement encadré par les textes susvisés, le pouvoir de résiliation unilatérale exercé pour le même motif devrait avoir un champ d’application au moins aussi large que celui qui lui est actuellement reconnu.
II- Droits du cocontractant de l’administration
Le cocontractant de l’administration bénéficie du droit d’être rémunéré pour les prestations réalisées prévues au contrat, ainsi que du droit d’être indemnisé de certaines dépenses supplémentaires qui n’étaient pas prévues à l’origine.
A- Rémunération du cocontractant
Le cocontractant privé a le droit d’être payé pour les prestations réalisées.
Les marchés publics donnent lieu au paiement d’un prix, alors que les contrats de délégation de service public, selon la définition donnée par l’article 3 de la loi MURCEF n°2001-1168 du 11 décembre 2001, codifié à l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales, étaient des contrats « par (lesquels) une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la charge à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service ».
Ainsi, pour qu’un contrat soit qualifié de contrat de délégation de service public, il était nécessaire que la part variable de la rémunération soit suffisamment importante pour que la rémunération du cocontractant puisse être considérée comme « substantiellement liée aux résultats de l’exploitation », ce qui était susceptible de poser un certain nombre de problèmes d’appréciation.
Exemple :
– CE, 30 juin 1999, requête numéro 198147, Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères centre-ouest et seine-et-marnais (Rec. p. 299 ; AJDA 1999 p. 714, concl. Bergeal et note Peyrical ; LPA 28 février 2000, p. 10, note Boiteau ; RFDA 1999, p. 1134, note Douence et Vidal ; RGCT 1999, p. 440, note Mescheriakoff) : une part de recettes tirées de l’exploitation du service représentant 30 % du total des recettes perçues doit être considérée comme substantielle.
Cet élément de définition du contrat de délégation du service public avait été remis en cause par la jurisprudence du Conseil d´Etat qui avait fini par privilégier le critère du risque d’exploitation. En d’autres termes l’exploitant, s’il attend un bénéfice du contrat, doit également être en en mesure de supporter un éventuel déficit. Il s’agissait ici d’un alignement sur la distinction opérée par la Cour de justice des communautés européennes entre les marchés publics et les contrats de concessions (CJCE, 13 octobre 2005, affaire numéro C-458/03, Parking Brixen Gmbh : AJDA 2005, p. 1983. – CJCE, 18 juillet 2007, affaire numéro C-382/05, Commission c. Italie. – CJCE, 10 septembre 2009, affaire numéro C- 206/08, Wasser Gotha : Contrats-Marchés publ. 2009, 329, note Zimmer).
La nouvelle directive sur l’attribution de contrats de concession (PE et Cons. UE 2014/23) précise quant à elle dans son article 5 que « le concessionnaire est réputé assumer le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas certain d’amortir les investissements qu’il a effectués ou les coûts qu’il a supportés lors de l’exploitation des ouvrages ou services qui font l’objet de la concession ». Elle indique également que « la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, telle que toute perte potentielle estimée qui serait supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable »
Ce critère avait été expressément repris par le Conseil d’Etat dans son arrêt Département de la Vendée du 7 novembre 2008 (requête numéro 291794 : Rec. tables, p. 805 ; AJDA 2009, p. 2454, note Richer et Le Chatelier ; Contrats-Marchés publ. 2009, 296, note Eckert ; CP-ACCP mars 2009, p. 59, note Le Chatelier ; BJCP 2009, p. 76, note Pez ; Dr. adm. 2009, 5.- V. également CE, 5 juin 2009, requête numéro 298641, Société Avenance enseignement santé : Contrats – Marchés publ. 2009, 236, note Eckert.- CE, 1er avril 2009, requête numéro 323585, Communauté urbaine Bordeaux et Société Koélis : Contrats-Marchés publ. 2009, 162, note Soler-Couteaux). Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 19 novembre 2010, Dingreville, requête numéro 320169 : BJCP 2011, p. 95, concl. Dacosta ; Contrats-Marchés publ. 2011, 22, note Eckert.). En l’espèce, un contrat relatif à un service de transport scolaire est qualifié de convention de délégation de service public seulement parce que le cocontractant assumait « une part significative du risque d’exploitation ».
La transposition en droit français de la directive du 26 février 2014 a conduit à rendre les textes nationaux cohérents avec le droit de l’Union européenne. En effet, l’article 5 de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 sur les contrats de concession précise que « les contrats de concession sont les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ». L’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales qui vise plus spécialement, parmi les contrats de concession au sens du droit de l’Union européen, les délégations de service public, adopte une définition similaire en visant les contrats confiant « la gestion d’un service public à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».
B- Droit à l’indemnisation de certaines dépenses
Il peut arriver que le cocontractant privé réalise certaines dépenses non prévues au contrat, ce qui peut être lié à quatre types de circonstances : l’exercice du pouvoir de modification unilatérale du contrat dont dispose l’administration contractante, des difficultés matérielles non prévues, des travaux indispensables ou encore un aléa administratif ou économique.
1° Dépenses liées à l’exercice du pouvoir de modification unilatérale du contrat
Dans ce cas, comme on l’a évoqué, le cocontractant privé a le droit à une compensation intégrale des charges nouvelles qu’il subit. L’équilibre financier initial du contrat est rétabli, même si le déséquilibre du contrat ne présente qu’un caractère mineur.
2° Dépenses liées à des difficultés matérielles non prévues
Elaborée en matière de travaux publics, la théorie des sujétions imprévues permet à l’entrepreneur qui se heurte à des obstacles naturels exceptionnels non prévus dans le cahier des charges à obtenir une indemnité. Ce droit bénéficie également au sous-traitant (CAA Lyon, 15 mai 2008, requête numéro 07LY02701, Société entreprise Martoia). Plus précisément, le Conseil d’Etat a précisé que les sujétions imprévues sont « des difficultés matérielles rencontrées lors de l’exécution d’un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties » (Conseil d´Etat, 7ème et 5ème SSR, 30 juillet 2003, Commune de Lens, requête numéro 223445 : Rec. p. 862 ; BJCP 2003, p.462, concl. Piveteau ; AJDA 2003, p. 1727, note Dreyfus).
Les difficultés susceptibles de provoquer l’application de la théorie des sujétions imprévues tiennent le plus souvent à des sujétions liées à la composition du sous-sol : roches dures, poches de sable, nappes d’eau dont les sondages n’avaient pu déceler la présence, etc. Elles peuvent également résulter de pluies diluviennes inattendues ayant entravé l’activité d’un chantier (CE, 13 mai 1987, requête numéro 35374, Société Citra-France : Rec. p. 821 ; D. 1987, somm. p. 433, obs. Terneyre ; RDP 1988, p. 1426).
La difficulté consiste, dans tous les cas, à apprécier le caractère imprévisible des obstacles rencontrés.
Exemple :
– CAA Marseille, 21 novembre 2000, requête numéro 98MA00892, Département du Var : l’augmentation du coût des travaux a été occasionnée par une définition insuffisante de la consistance de ces travaux et non par la rencontre de sujétions techniques imprévues comme la présence de parties du sous-sol friables ne pouvant permettre l’assise des fondations de l’ouvrage. Les services départementaux étaient, en effet, en mesure d’identifier la nature particulière du terrain en menant des investigations peu onéreuses et ne nécessitant pas la mise en œuvre de moyens techniques exceptionnels.
Dans cette hypothèse, une solution identique à celle du cas précédent s’applique et le cocontractant de l’administration a donc le droit au rétablissement de l’équilibre financier initial du contrat. En revanche, l’indemnité ne couvre ni les aléas normaux du chantier ni une marge bénéficiaire supplémentaire, par rapport à celle incluse dans le prix initial du marché (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 7 novembre 2008, Société Guintoli et a., requête numéro 290699 : les aléas normaux sont évalués à 5% du surcoût global du chantier).
En matière de marchés publics, les solutions dégagées par la jurisprudence avaient été reprises par le Code des marchés publics de 2006 dont l’article 20 précisait que « sauf en cas de sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties, un avenant ne peut bouleverser l’économie du marché ». On ne manquera toutefois pas de signaler que la question de la pérennité de la théorie des sujétions imprévues doit se poser eu égard aux nouveaux textes relatifs aux marchés publics et aux concessions. Certes, selon ces textes, un contrat peut être modifié « lorsque … la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’une autorité concédante (ou un acheteur) diligent(e) ne pouvait pas prévoir » (D. n° 2016-86, relatif aux contrats de concession, art. 36, 3° ; D. n° 2016-360 relatif aux marchés publics, art. 139, 3°). Toutefois, lorsque le contrat est conclu par un pouvoir adjudicateur, le montant des modifications ne doit pas être supérieur à 50 % du montant du contrat initial (D. n° 2016-86, art. 37, I ; D. n° 2016-360, art. 140, I), ce qui pose problème au regard du principe retenu jusqu’alors par la jurisprudence dans le cadre de la théorie des sujétions imprévues en vertu de laquelle cette limitation n’existe pas.
3° Travaux indispensables
Dans le cadre d’un marché de travaux, le titulaire du marché peut réaliser spontanément des travaux non prévus, dès lors qu’ils sont « indispensables à la bonne exécution des ouvrages compris dans les prévisions du marché » (CE Sect., 17 octobre 1975, requête numéro 93704, Commune de Canari : Rec. p. 516 ; CJEG 1976, p. 26, note Le Galcher et Michel ; AJDA 1975, p. 562, chron. Boyon et Nauwelaers.- CE, 20 décembre 2017, requête numéro 401747, Communauté d’agglomération du Grand Troyes : Contrats-Marchés pub. 2018, 33, obs. Ubaud-Bergeron). Dans ce cas, l’entreprise sera payée conformément aux conditions fixées par le contrat. En revanche, des travaux simplement « utiles » à la bonne exécution du marché, ne feront pas l’objet d’une indemnisation en l’absence d’ordre de service du maître d’ouvrage (même arrêt).
On notera enfin, comme en matière de sujétions imprévues, que la possibilité de réaliser des travaux indispensables est limitée par la règle qui veut que le montant des modifications ne doit pas être supérieur à 50 % du montant du contrat initial (D. n°2016-360, art. 140, I). Il semble toutefois que s’agissant de travaux en général accessoires à ceux prévus par le marché que cette limitation ne constitue pas un réel obstacle à l’indemnisation du cocontractant de l’administration.
4° Dépenses liées à un aléa administratif ou à un aléa économique
L’aléa administratif et l’aléa économique sont des évènements extérieurs à la volonté des parties, agissant en tant que parties au contrat, imprévisibles, mais en aucun cas irrésistibles. Dans ces deux cas de figure des principes généraux s’appliquent. S’y ajoutent des règles spécifiques à l’aléa économique et à l’aléa administratif.
a- Principes généraux applicables
La survenance d’un aléa administratif, ou d’un aléa économique, peut conduire le juge à appliquer, concurremment ou isolément, deux théories jurisprudentielles.
Il s’agit, en premier lieu, de la théorie du fait du prince qui concerne exclusivement le cas d’un aléa administratif. Cette théorie est susceptible de jouer lorsque l’intervention de la puissance publique influe sur l’exécution du contrat.
Il s’agit ensuite de la théorie de l’imprévision qui concerne à la fois le cas d’un aléa administratif et celui d’un aléa économique : on parle d’Etat d’imprévision lorsque le fait du prince, ou tout autre événement extérieur aux relations contractuelles, aboutit à un bouleversement de l’équilibre financier du contrat.
Dans les deux hypothèses visées, le principe, qui connaît quelques exceptions, est que l’existence d’une simple rupture de l’équilibre financier résultant de l’aggravation des charges du cocontractant n’est normalement pas réparée. L’idée générale qui sous-tend la jurisprudence, c’est que l’administration contractante, si elle n’est pas à l’origine de cette aggravation, ne doit pas, en principe, d’indemnités. En effet, les difficultés de la personne privée sont liées, qu’il s’agisse d’un aléa administratif ou bien d’un aléa économique, à un événement extérieur au contrat.
Toutefois, si la réparation n’est pas due, en principe, en cas de simple rupture de l’équilibre financier du contrat, l’administration devra indemniser son cocontractant en cas de véritable bouleversement de cet équilibre mettant en danger l’exécution même du contrat. En effet, un tel déséquilibre peut rendre impossible, pour le cocontractant privé, l’exécution de ses obligations. Dans ce cas, la personne publique partie au contrat devra en quelque sorte aider son cocontractant à continuer d’exécuter ses prestations en lui versant une indemnité, si toutefois cette exécution demeure possible. Là encore, cette solution est justifiée par la notion d’intérêt général. Toutefois, la jurisprudence relative à l’imprévision pourrait être remise en cause par les textes récents relatifs aux marchés publics et aux concessions.
b- Théorie du fait du prince
La théorie du fait du prince recouvre elle-même deux hypothèses différentes qui donnent lieu à des solutions distinctes. Dans les deux cas, cependant, c’est une intervention de l’administration qui est à l’origine de l’aggravation des charges du cocontractant privé.
α- Intervention d’une personne publique autre que celle qui est partie au contrat
Un exemple classique de cette jurisprudence est fourni par l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 juillet 1949, Ville d’Elbeuf (Rec. p.359 ; D. 1950, p. 60, note Blaevoet ; S. 1950, III, p.61, note Mestre). Dans cette affaire, l’aggravation des charges du cocontractant privé, concessionnaire du service public d’électricité, résultait, non pas de l’action de la commune liée par la convention, mais de l’intervention d’un décret augmentant de façon substantielle les cours de l’énergie.
Le principe est que le fait du prince extérieur aux parties contractantes n’ouvre pas le droit au rétablissement de l’équilibre financier du contrat. Il n’en va autrement que si ce déséquilibre est tel, qu’il constitue un véritable bouleversement de l’économie du contrat rendant presque impossible l’exécution par le cocontractant privé de ses obligations. Dans cette hypothèse, pour permettre la continuation du contrat, la théorie de l’imprévision s’appliquera et le cocontractant pourra percevoir une indemnité.
β- Intervention de la personne publique contractante agissant à un autre titre que celui de partie au contrat
Ce cas de figure peut être illustré par l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 janvier 1985 Association le relais culturel d’Aix-en-Provence (requête numéro 51534 : RDSS 1985, n° 4, p. 537.- V. également CE, 21 décembre 2007, requête numéro 293260, requête numéro 293261, requête numéro 293262, requête numéro 293263, Région Limousin : JCPA 2008, 205, note Pontier).
Dans cette affaire, était en cause un contrat conclu entre cette association et la ville d’Aix-en-Provence. Une délibération du conseil municipal intervient et supprime la subvention jusqu’alors versée à l’association. Celle-ci est alors dans l’impossibilité de continuer à assurer ses prestations, du fait d’un agissement de son cocontractant agissant à un autre titre que celui de cocontractant.
Sur ce point précis, la jurisprudence est à la fois rare et incertaine. Elle paraît cependant distinguer deux cas de figure.
Si la mesure prise par la personne publique frappe spécifiquement son cocontractant privé – ce qui est le cas dans l’arrêt du 18 janvier 1985 – l’administration partie au contrat devra verser une indemnité à l’intéressé, comme dans les cas où elle utilise son pouvoir de modification unilatérale. Plus précisément, c’est l’intégralité du préjudice subi qui sera réparé, quelle que soit son importance, même lorsque l’équilibre financier du contrat n’est pas bouleversé.
En revanche, si la mesure prise par la personne publique ne frappe pas exclusivement son cocontractant, si elle présente un caractère général, la réparation du préjudice est en principe écartée.
Exemple :
–CAA Paris, 25 mai 1993, requête numéro 91PA00863, Société Renoveco (Rec. p. 874 ; Dr. adm. 1993, 446) : un contrat conclu entre l’Etat et cette société prévoyait le remboursement partiel ou total d’une aide spéciale en cas de non réalisation des objectifs économiques et financiers fixés par ce contrat. Pour le Conseil d’Etat, les modifications règlementaires apportées par l’Etat dans les conditions de passation des marchés de travaux d’économie d’énergie et dans les modalités de prêts ainsi que dans les avantages fiscaux et financiers consentis aux particuliers en ce domaine, ne sont pas constitutives d’un fait du prince de nature à l’exonérer de son obligation de rembourser.
Toutefois, par exception, le cocontractant de l’administration percevra une indemnité si la mesure prise porte atteinte à un élément essentiel du contrat. C’est la solution qui a été retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt Compagnie marseillaise de navigation du 20 mai 1904 (Rec. p. 425 ; D. 1906, III, p. 17, concl. Teissier). Cette affaire mettait en cause un contrat conclu entre l’Etat et une société de transport maritime qui s’engageait à assurer ses prestations à des prix réduits, voire gratuitement dans certains cas. La mise en place par un décret de droits de péage dans les ports constitue ici un fait du prince indemnisable.
Par ailleurs, en application de la théorie de l’imprévision, une indemnité sera due en cas de bouleversement de l’équilibre du contrat. Ainsi, il n’y aura lieu à indemnisation du cocontractant privé que dans les cas où son versement aura pour objet de permettre à la personne privée de continuer d’exécuter ses prestations.
Tel est le cas, par exemple, dans une affaire où des réductions de tarifs importantes, mettant en danger la continuation d’un contrat, avaient été imposées par la signature d’une convention internationale (CE Sect., 22 décembre 1961, SNCF : Rec. p. 738).
Au final, il apparaît que la théorie du fait du prince connaît un certain recul en raison de la concurrence que lui fait la théorie de l’imprévision. En effet, comme on l’a vu, le fait du prince ne donne en principe lieu à une indemnité qu’en cas de bouleversement de l’équilibre financier du contrat. La seule hypothèse où la théorie du fait du prince s’applique de façon autonome paraissent marginales : il s’agit du cas où le déséquilibre a pour origine une mesure prise par la personne publique, n’agissant pas en sa qualité de cocontractant, et touchant exclusivement son cocontractant privé et celui d’une mesure générale portant atteinte à un élément essentiel du contrat.
c- Imprévision
En principe, toute activité économique est considérée comme soumise à certains aléas. Ainsi, lorsqu’en droit privé l’exécution d’un contrat s’avère être une mauvaise affaire pour l’une des parties, elle n’a le droit à aucune indemnité.
C’est ce qui résulte clairement du célèbre arrêt « Canal de Craponne » du 6 mars 1876, rendu au visa de l’article 1134 du Code civil, dans lequel on peut lire que « dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants » (D. 1876, I, p. 193, note Giboulot .- V. toutefois sur l’introduction récente de la théorie de l’imprévision en droit privé, infra p.532). Tel n’est pas le cas pour les contrats administratifs ce qui est lié, une fois encore, à la notion d’intérêt général qui, pour une fois, bénéficie au cocontractant privé. Ainsi, lorsque les conditions économiques d’exécution d’un contrat administratif sont bouleversées et compromettent cette exécution, le cocontractant privé doit bénéficier d’une aide financière lui permettant de poursuivre cette exécution.
α- Apparition de la théorie
La théorie de l’imprévision est apparue à l’occasion de l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux (Rec. p.125, concl. Chardenet ; RDP 1916, p.206 et p.388, concl. Chardenet, note Jèze ; S. 1916, III, p.17, concl. Chardenet, note Hauriou).
En l’espèce, la société requérante, concessionnaire du service public d’éclairage de la ville de Bordeaux, demande à la ville le versement d’une indemnité réparant la perte que lui a fait subir la hausse du prix du charbon. En un an, le prix du charbon avait en effet été multiplié par quatre, ce qui s’expliquait par les circonstances de guerre et l’occupation par l’ennemi des principales régions productrices.
Le Conseil d’Etat pose alors pour principe que le contrat litigieux règle d’une façon définitive jusqu’à son expiration les obligations respectives des parties. Par conséquent, le cocontractant privé est tenu d’exécuter les prestations prévues, à ses risques et périls. Ainsi, en principe, la variation du prix des matières premières est un aléa du marché qui demeure à sa charge.
Toutefois, ce principe connaît un aménagement qui est lié à la notion d’intérêt général. Les juges précisent que lorsqu’il survient un évènement qui dépasse les prévisions des parties au moment de la conclusion du contrat, et qui aboutit à un bouleversement de son économie, la personne publique cocontractante est tenue de verser une indemnité pour permettre la poursuite du contrat.
β- Conséquences de l’état d’imprévision
En cas d’imprévision, l’indemnisation du cocontractant n’est pas intégrale. Généralement, l’indemnité ne couvre en effet que 90 à 95% des charges supplémentaires subies par le cocontractant privé, ce qui se justifie de deux points de vue différents.
D’une part, l’alourdissement des charges du contractant privé n’est pas le fait de l’administration agissant en tant que partie au contrat. S’il est logique de la contraindre à indemniser intégralement la personne privée lorsqu’elle use de son pouvoir de modification unilatérale, il est également logique de ne pas mettre entièrement à sa charge les conséquences de circonstances extérieures au contrat.
D’autre part, les juges réalisent une distinction entre les aléas normaux pouvant survenir durant l’exécution du contrat, qui restent à la charge du cocontractant privé, et les évènements exceptionnels qui remettent en cause son équilibre économique. Il convient, dès lors, de prendre en compte, dans le calcul de l’indemnité, la part de l’aléa normal susceptible d’affecter l’exécution du contrat.
L’indemnité d’imprévision permet à l’administration d’aider son cocontractant privé à exécuter ses prestations. Il s’agit donc d’assurer, dans un but d’intérêt général, la continuité du service public. Il est donc normal de considérer qu’il n’y a pas lieu de verser d’indemnités, quand bien même les conditions visées par la jurisprudence Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux seraient respectées, dans deux cas de figure.
En premier lieu, l’indemnité d’imprévision n’est pas due lorsque le cocontractant privé a interrompu ses prestations (CE Sect., 5 novembre 1982, requête numéro 19413, Société Propétrol : Rec. p. 381 ; AJDA 1983, p.259, concl. Labetoulle ; D. 1983, jurispr. p. 245, note Dubois ; JCP G 1984, II, 20168, note Paillet).
En second lieu, l’indemnité d’imprévision n’est versée que si les difficultés d’exécution du contrat présentent un caractère temporaire. Tel n’est pas le cas si ces difficultés constituent un cas de force majeure, c’est-à-dire un événement imprévisible, extérieur à la volonté des parties et également irrésistible. En effet, la survenance d’un cas de force majeure rend inutile le versement d’une indemnité d’imprévision puisque, de toutes façons, le contrat ne peut plus faire l’objet d’une exécution. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg (Rec. p.1050, concl. Josse) lorsque « contrairement aux prévisions essentielles du contrat … le fonctionnement d’un service a cessé d’être viable … la situation nouvelle ainsi créée constitue un cas de force majeure et autorise à ce titre (les parties) à demander au juge la résiliation du contrat ». Dans cette hypothèse, l’une ou l’autre des parties est habilitée à solliciter la résiliation judiciaire du contrat (CE, 14 juin 2000, requête numéro 184722, Commune de Staffelfelden : Rec. p. 227 ; BJCP 2000, p. 434, concl. Bergeal ; LPA 8 décembre 2000, p. 14, note Jégouzo-Viénot). Le cocontractant privé peut également obtenir le remboursement des amendes mises à sa charge pour inexécution de ses obligations contractuelles infligées par l’administration.
En suivant la même logique, on devrait également estimer que la théorie de l’imprévision ne devrait pas recevoir application lorsque le contrat dont l’économie a été bouleversée est venu à son terme. En effet, dans ce cas de figure, il n’y a plus lieu de verser une indemnité qui aurait pour objet d’assurer le prolongement de l’exécution du contrat. Pourtant, depuis l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 12 mars 1976 Département des Hautes-Pyrénées (requête numéro 91471 : AJDA 1976, p.552, concl. Labetoulle), le Conseil d’Etat accepte de condamner l’administration contractante au versement d’une indemnité dans de tels cas. Cette solution, qui est conforme à l’équité, rompt manifestement avec la logique de la théorie de l’imprévision.
Dans le même ordre d’idées, mais de façon plus contestable, le Conseil d’Etat estime désormais que le cocontractant de l’administration peut percevoir une indemnité d’imprévision alors même que le contrat a fait l’objet d’une décision de résiliation par l’administration. Cette solution s’explique par le fait que même si ce contractant n’a pas respecté ses obligations, il a pu subir les conséquences d’un bouleversement imprévisible des conditions d’exécution du contrat (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 10 février 2010, Société Prest´action, requête numéro 301116, Société Prest’action : ACCP 94/2009, p. 15, obs. Jouguelet ; Contrats-Marchés publ. 2010, 133). En revanche, cette solution ne s’applique pas pour un marché entaché de nullité. Ceci s’explique par le fait que la théorie de l’imprévision « a nécessairement un fondement contractuel » et que dans une telle hypothèse le contrat a été anéanti rétroactivement (CAA Marseille, 10 février 2010, Société Securitas France SARL, requête numéro 07MA02181).Enfin, il faut relever que dans la pratique, la théorie de l’imprévision a conduit à introduire dans les contrats des clauses de révision qui permettent une adaptation aux évolutions de la situation économique et financière, ce qui évite généralement d’avoir recours à cette théorie.
Exemples :
– CAA Bordeaux, 3 mai 2011, requête numéro 10BX01996, Société Gagne (Contrats- Marchés publ. 2011, 207, obs. Llorens) : dans l’hypothèse où un événement extérieur aux parties, imprévisible au moment de la conclusion du contrat, a pour effet de bouleverser l’économie du contrat, le titulaire du marché est en droit de réclamer au maître d’ouvrage une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle qu’il a supportée en exécutant les prestations dont il avait la charge. Une augmentation de 3 % du montant global du marché imputable à la hausse du prix de l’acier ne modifie pas l’économie du contrat dans une proportion suffisante pour ouvrir droit, au profit de l’intéressée, à l’allocation d’une indemnité pour charges extracontractuelles. En tant que professionnel avisé, l’entrepreneur ne pouvait ignorer que la formule contractuelle de révision du prix du marché ne permet de prendre en compte que de manière très partielle les hausses des prix de l’acier utilisé qui doivent ainsi entrer dans ses prévisions.
– CAA Nancy, 27 janvier 2011, requête numéro 10NC00154, Société EUROVIA Champagne Ardenne (Contrats- Marchés publ. 2011, 145, obs. Llorens) : si la société requérante soutient que lors de la formulation de son offre et de la signature des marchés, l’augmentation brutale du prix des produits pétroliers n’était pas prévisible, le prix du pétrole est régulièrement soumis à de fortes variations se répercutant sur le coût de produits à forte teneur en bitume comme ceux utilisés pour la réalisation des prestations des marchés en cause. La société, qui ne pouvait méconnaître la situation du marché des produits pétroliers, n’est pas fondée à soutenir que de telles variations des prix des produits utilisés présentaient un caractère imprévisible. Alors même que les clauses de révision des prix prévues aux contrats n’auraient pas corrigé l’évolution des prix des produits pétroliers, elle ne saurait prétendre à une indemnité d’imprévision.
Ceci ne veut pas dire pour autant que la théorie de l’imprévision a perdu de son utilité. On relèvera d’ailleurs qu’elle vient d’être introduite en droit privé par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 qui remet en cause la solution plus que centenaire rendue par la Cour de cassation à l’occasion de l’arrêt « Canal de Craponne » (préc.). Ces dispositions, introduites par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, modifient l’article 1195 du Code civil dont il résulte désormais que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».
γ- Remise en cause possible de la théorie de l’imprévision
Les textes récents applicables à la fois aux marchés publics et aux concessions pourraient aboutir à une remise en cause de la théorie de l’imprévision, au moment même où cette théorie fait son entrée dans le Code civil.
Tout d’abord, en effet, les textes en vigueur, s’ils sont inspirés par la notion européenne de « circonstances imprévisibles » ne font pas référence à un fait extérieur aux parties, ni au bouleversement de l’économie du contrat, lesquelles constituent les conditions de reconnaissance de la théorie de l’imprévision.
Ensuite, la mise en œuvre de cette théorie n’entraînait pas nécessairement la modification du contrat, puisqu’il s’agissait en réalité d’un mécanisme d’aide extra-contractuelle.
Enfin, comme on l’a évoqué plus haut, la modification du contrat est désormais plafonnée à une augmentation de 50 % du montant du contrat initial, alors que cette limite n’existait pas dans le cadre de la théorie de l’imprévision (D. n° 2016-86, art. 37, I ; D. n° 2016-360, art. 140, I),
Il n’est pas dit, pour autant, que le Conseil d’Etat renoncera à la théorie jurisprudentielle de l’imprévision, en complément des hypothèses résolues par les nouveaux textes en vigueur, et cela alors même (et peut-être en raison du fait) que son application demeure extrêmement rare.
Section III- Contentieux des contrats administratifs
Le contentieux des contrats administratifs est soumis à des règles qui divergent de celles du contentieux de l’annulation des actes administratifs unilatéraux : les règles de compétence juridictionnelles ne sont pas les mêmes et, surtout, le recours pour excès de pouvoir contre les clauses des contrats administratifs est en principe irrecevable en matière contractuelle. Le contentieux contractuel a été entièrement reconfiguré par plusieurs décisions récentes du Conseil d’Etat, qui sont inspirées par la recherche d’un équilibre entre sécurité des contractants et légalité, qu’il s’agisse du contentieux de la formation des contrats administratifs comme du contentieux de leur exécution. Par ailleurs, le recours pour excès de pouvoir en matière contractuelle demeure recevable, par exception, contre certaines clauses des contrats et contre une catégorie particulière de contrats administratifs.
§I- Contentieux de la formation des contrats administratifs
L’illégalité de la procédure de conclusion de certaines catégories de contrats administratifs peut être sanctionnée dans le cadre d’une procédure de référé précontractuel. Une fois le contrat conclu, il est également possible pour les certains tiers de faire sanctionner la méconnaissance des règles relatives à sa formation dans le cadre d’une procédure de référé contractuel ou dans le cadre d’un recours en contestation de la validité du contrat. Les parties disposent quant à elle d’un recours de plein contentieux. En revanche, le recours contre les actes détachables préalable à la conclusion du contrat n’est plus en principe ouvert aux requérants.
I- Référé précontractuel
Conformément aux directives communautaires « recours » (Directives 86/665 du 21 décembre 1989 et 92/13 du 25 février 1992, modifiées par la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007), en vue de mieux sanctionner les manquements aux obligations de publicité préalable et de mise concurrence, notamment en matière de marchés publics, le législateur a créé une procédure de référé précontractuel. Selon l’article L. 551-1 du Code de justice administrative sont concernés les « contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». Saisi avant la conclusion du contrat – étant précisé que l’autorité compétente doit respecter un délai de 11 jours entre l’attribution du contrat et sa signature (D. n°2016-360, art. 101 pour les marchés publics et D. n°2016-86, art. 29 pour les contrats de concession) – le juge dispose d’un délai de 20 jours pour statuer (CJA, art. R. 551-5). Il peut « ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat » (CJA, art. L. 551-2) Il peut également « annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations » (Ibid.). Toutefois le juge du référé précontractuel dispose d’un pouvoir d’appréciation qui lui permet de renoncer à de telles mesures « s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages.» (Ibid.).
Le référé précontractuel est irrecevable dès lors qu’il est présenté après la signature du contrat (CE Sect., 3 novembre 1995, requête numéro 157304, Chambre de commerce et d’industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, Société Stentofon-Communications : Rec. p. 394, concl. Chantepy ; AJDA 1995, p. 888, chron. Stahl et Chauvaux ; CJEG 1996, p. 167, concl. Chantepy ; RFDA 1995, p. 1177, concl. Chantepy .- CE, 7 mars 2005, requête numéro 270778, Saco : Rec. p. 96).
Il avait été jugé que si contrat est signé après la saisine du juge des référés, sans attendre sa décision, le juge ne peut que constater qu’il n’y a plus lieu de statuer, la demande ayant perdu son objet (CE, 28 mai 2003, requête numéro 251719, Société PK7-Certinomis : Rec. p. 916). Compte tenu de la « course à la signature » que favorisait cette jurisprudence, l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 a introduit dans le Code de justice administrative un nouvel article L. 551-4 qui précise désormais que « le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ». Cette solution n’exclut pas que l’administration signe le contrat en méconnaissance de cette obligation de suspension, ce qui provoquera un non-lieu à statuer. Toutefois, dans cette hypothèse le recours en contestation de validité et surtout le référé contractuel sont désormais ouverts pour contrer une telle manœuvre.
Si cette évolution corrige un travers qui avait été dénoncé à de multiples reprises par la doctrine, une autre évolution, jurisprudentielle celle-ci, a voulu corriger un autre aspect critiquable de la procédure qui conduisait le juge à sanctionner systématiquement tout manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence préalable. Dans l’arrêt de Section SMIRGEOMES du 3 octobre 2008 (CE, 3 octobre 2008, requête numéro 305420 : Rec. p. 324, concl. Dacosta ; AJDA 2008, p. 855, 2161, chron. Geffray et Liéber et p. 2374, étude Cassia ; Contrats-Marchés publ. 2008, 264, note Pietri ; Dr. adm. 2008, 154, note Bonnet et Lalanne ; JCP A 2008, 2262, note Linditch ; RDimm 2008, p. 499, note Braconnier; RFDA 2008, p. 1128, concl. Dacosta, note Delvolvé), le Conseil d’Etat, a ainsi considéré que le requérant ne peut plus se prévaloir des manquements à ces règles que s’il a été lésé ou s’il risque d’être lésé par ces manquements.
En outre, cette procédure ne vise qu’à sanctionner des manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence. Par exemple, il a été jugé qu’il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de contrôler le respect par un établissement public de coopération intercommunale du principe de spécialité qui s’impose à lui (CE, 21 juin 2000, requête numéro 209319, Syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île guérandaise : Rec. p. 283 ; CJEG 2000, 362, concl. Bergeal ; RFDA 2000, p. 1031, concl. Bergeal). Comme on va le voir, de tels vices peuvent en revanche être sanctionnés dans le cadre du recours en contestation de la validité du contrat.
II- Recours en contestation de la validité du contrat et référé contractuel
Classiquement, une fois le contrat signé, le juge du contrat n’était accessible qu’aux seuls cocontractants. Cette solution classique a été progressivement remise en cause, d’abord par le juge, qui a admis l’existence d’un recours en contestation de la validité du contrat qui a progressivement ouvert, puis par le législateur qui a créé une nouvelle procédure de référé contractuel.
A- Le recours en contestation de la validité du contrat
Le Conseil d’Etat a bouleversé des principes fermement établis en créant un nouveau recours à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Société Tropic travaux signalisation du 16 juillet 2007 (requête numéro 291545, préc.).
Cet arrêt a admis que certains tiers peuvent contester la validité d’un contrat administratif soumis à concurrence auprès du juge du plein contentieux qui dispose, en la matière, d’une grande variété de pouvoirs.
Il résulte de cet arrêt que tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former, devant le juge du contrat, un recours de plein contentieux accompagné de demande indemnitaire. Plus précisément, est concerné tout candidat évincé dans le cadre de la passation d’un contrat soumis à une mise en concurrence qui se plaindrait d’une violation des règles de concurrence et de publicité préalable. Ce recours ne peut être exercé que dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle la conclusion du contrat est rendue publique, par des mesures de publicité appropriées. Ce délai ne s’impose toutefois pas aux conclusions indemnitaires accessoires lesquelles obéissent aux règles du droit commun de la responsabilité et notamment à la règle de la décision préalable (CE, avis, 11 mai 2011, requête numéro 347002, Société Rebillon Schmit Prevot : AJDA 2011, p. 932 ; BJCP 2011, p. 226, concl. Boulouis, obs. Poitreau ; Contrats-Marchés publ. 2011, 220, note Pietri ; Dr. adm. 2011, 66, note Brenet ; RDimm 2011, p. 397, obs. Noguellou).
Le champ du recours en contestation de la validité du contrat a été ensuite étendu par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 4 avril 2014 Département du Tarn-et-Garonne (requête numéro 358994, préc.). Désormais, ce recours, pour les contrats de la commande publique, est ouvert à « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses ». Le recours est donc plus largement ouvert, mais dans l’esprit de la jurisprudence SMIRGEOMES (préc.), seuls seront sanctionnés les manquements invoqués qui ont effectivement lésé le requérant dans ses intérêts ou ceux d’une gravité telle que le juge a l’obligation de les soulever d’office.
En conséquence, en vertu de l’exception de recours parallèle, le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables préalables à la conclusion du contrat est désormais en principe fermé pour les tiers. Une exception est toutefois faite pour le préfet, dans le cadre du contrôle de légalité. Il peut en effet, lui seul, demander l’annulation des actes détachables du contrat préalables à sa conclusion tant que celui-ci n’est pas signé. Il peut donc s’opposer à la conclusion du contrat.
Par ailleurs, lorsqu’il choisit d’exercer le recours en contestation de la validité du contrat devant le juge du plein contentieux, le préfet, compte tenu des intérêts dont il a la charge, peut invoquer tout moyen à l’appui de son recours. Cette possibilité est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné.
Notons également que la solution issue de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne ne vaut que dans les hypothèses où le contrat litigieux est un contrat administratif. En revanche, la décision administrative constitutive d’un acte détachable d’un contrat de droit privé conclu par une collectivité publique peut toujours faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (Conseil d´Etat, 9ème et 10ème SSR, 27 octobre 2015, Arrou, requête numéro 386595 : JCP A 2016, 2247, note Martin).
En outre ce sont « la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer » qui ne peuvent être contestées dans le cadre d’un recours de plein contentieux. Cette liste est limitative. Ainsi, le recours pour excès de pouvoir demeure recevable contre une délibération se prononçant sur le principe de recourir à une délégation de service public ou encore contre l’acte d’approbation d’un contrat administratif (CE, 23 décembre 2016, requête numéro 392815, Association études et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon).
Dans le cadre du recours de plein contentieux, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant le contrat, le juge en tirera des conséquences, en prenant en compte l’ensemble des intérêts en présence.
Compte tenu de ces éléments, il peut soit décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat.
En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, le juge prononcera, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge a l’obligation de relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.
Il peut également, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.
Il faut enfin relever que la requête contestant la validité du contrat peut être accompagnée d’une demande tendant à la suspension de l’exécution du contrat, conformément aux dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
B- Référé contractuel
Les règles applicables au contentieux contractuel ont également évolué avec l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 qui crée un « référé contractuel », ouvert aux personnes ayant un « intérêt à conclure le contrat ». Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur après l’adoption du décret n°2009-1456 du 27 novembre 2009. Il s’agit de la transposition en France de la directive 2007/66/CE modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (directives « recours »).
Ce recours permet aux candidats évincés de faire sanctionner d’éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptibles de les avoir lésés.
Il pallie les insuffisances du référé précontractuel – qui concerne les mêmes contrats – liées à la brièveté du délai dans lequel il doit être mis en œuvre.
En matière de référé contractuel, lequel peut être exercé après la conclusion du contrat, le juge dispose d’une large gamme de pouvoirs, allant de l’annulation du contrat, la réduction de sa durée ou le prononcé d’une simple pénalité financière sans incidence sur le contrat lui-même.
La remise en cause du contrat s’impose toutefois pour les manquements les plus graves : passation du contrat sans aucune mesure de publicité préalable ou encore signature du contrat pendant la période qui, après l’attribution du contrat, doit permettre aux candidats non retenus de former un référé précontractuel (sur l’indemnisation du cocontractant de l’administration en cas d’annulation du contrat V. CE Sect., 10 avril 2008, requête numéro 244950, Société Decaux : Rec. p. 151 ; AJDA 2008, p. 1092, chron. Boucher et Bourgeois-Machureau ; BJCP 2008, p. 280, concl. B. Dacosta .- Contrats-Marchés publ. 2008, comm. 128, note Pietri ; Dr. adm. 2008, comm. 78, obs. Melleray ; JCP A 2008, 2116, concl. Dacosta ; RJEP 2008, comm. 26, concl. Dacosta.- CE, 6 octobre 2017, requête numéro 395268, Société CEGELEC Perpignan : AJDA 2017, p. 2189, chron. Roussel et Nicolas ; Contrats-Marchés pub. 2017, 285, note Ubaud-Bergeron ; JCP A 2017, 2282, note Martin).
La procédure du référé contractuel est donc très proche du recours en contestation de la validité du contrat. Pour autant, elle s’en distingue sur plusieurs points.
Le premier point de différence porte sur les délais de recours. Alors que le délai est fixé à deux mois pour le recours en contestation de la validité du contrat, il est fixé à trente jours suivant la publication de l’avis d’attribution du contrat ou, en l’absence de publication, à six mois à compter de sa conclusion pour le référé contractuel. Il en résulte, de façon tout à fait paradoxale, que les « petits marchés » qui ne sont pas soumis à l’obligation de publication d’un avis d’attribution sont plus longtemps attaquables que les marchés d’un montant plus important. Pour éviter ce phénomène, le pouvoir adjudicateur peut décider de publier son intention de conclure le contrat et observer un délai de onze jours avant de le signer (CJA, art. L. 551-15). Dans cette hypothèse, le référé contractuel ne pourra plus être exercé contre le contrat.
Il est à noter que si le demandeur a déjà fait usage du référé précontractuel, il ne pourra normalement pas agir dans le cadre du référé contractuel, sauf par exemple en cas de non-respect par l’autorité publique de la décision rendue par le premier juge (CJA, art. L. 551-14).
La seconde différence porte sur les pouvoirs du juge qui sont davantage encadrés et moins modulables avec, comme on l’a vu, l’obligation pour celui-ci de prononcer la nullité du contrat pour les vices les plus graves.
Enfin, la troisième différence porte sur les moyens susceptibles d’être développés, qui sont plus réduits. Il s’agit uniquement des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence là où tout moyen pouvait être soulevé dans le cadre du recours en contestation de la validité du contrat.
III – Recours de plein contentieux des parties au contrat
A l’origine, les parties contractantes étaient recevables à demander au juge de constater la nullité de tout ou partie du contrat (CE, 4 mai 1990, requête numéro 17707, Compagnie industrielle maritime : Rec. p. 113 ; RFDA 1990, p. 591, concl. de Guillenschmidt ; AJDA 1990, p. 735, obs. Auby. – CE, 1er juillet 2009, requête numéro 306756, Compagnie des transports de la Roche-sur-Yon : Contrats-Marchés publ. 2009, 287, note Pietri). Elles pouvaient également soulever de tels moyens à l’occasion d’un litige relatif à l’exécution du contrat, afin d’obtenir que le juge en écarte l’application.
Les parties étaient ainsi autorisées à tout moment à porter atteinte à la pérennité du contrat en invoquant devant le juge une cause de nullité de celui-ci. Ces solutions étaient contestables du point de vue de la stabilité juridique puisqu’elles permettaient aux parties de se prévaloir de motifs entachant de nullité le contrat, alors que ces motifs ne constituaient pas un obstacle à la bonne exécution de ce contrat. Le juge se retrouvait contraint de constater la nullité du contrat alors que les parties avaient pourtant trouvé un accord pour l’appliquer. Elles permettaient à une partie de se délier à tout moment d’un contrat administratif en invoquant un vice dans la conclusion du contrat, y compris lorsque ce vice lui était imputable. Tel était le cas, notamment, lorsque la délibération autorisant la conclusion d’un contrat n’était pas transmise au préalable au contrôle de légalité et que ce vice était invoqué par la collectivité publique contractante (CE, 10 juin 1996, avis numéro 176873, requête numéro 176874, requête numéro 176875, Préfet de la Côte d’Or, préc.)
L’arrêt Commune de Béziers du 28 décembre 2009 (requête numéro 304802, préc.) entend résoudre ces difficultés en plaçant au centre de son raisonnement le principe de l’exigence de loyauté contractuelle, ce qui renvoie directement à la notion civiliste de bonne foi. Le Conseil d’Etat procède à cette occasion à une véritable reconfiguration du plein contentieux contractuel ouvert aux parties en créant une nouvelle procédure de contestation de la validité du contrat en distinguant l’hypothèse où le juge est saisi d’une action en nullité de celle où il est saisi d’une exception de nullité.
Concernant le premier cas, le juge administratif doit d’abord vérifier si les parties soulèvent avec loyauté les vices entachant de nullité le contrat, ce qui a pour effet de cantonner les cas de nullité. En outre, il n’existe que deux hypothèses dans lesquelles la nullité doit être soulevée d’office : en cas de caractère illicite du contenu du contrat et en cas de vice d’une particulière gravité notamment relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. En revanche, le Conseil d’Etat a pu préciser que les vices affectant la procédure de publicité et de mise en concurrence d’un contrat ne font pas partie des vices justifiant l’annulation du contrat au sens de la jurisprudence Commune de Béziers (CE, 12 janvier 2011, requête numéro 338551, Manoukian : AJDA 2011, p. 665, chron. Lallet et Domino : Contrats-Marchés publ. 2011, 88, note Pietri et repère 3 ; Dr. adm. 2011, 29, note Brenet).
En dehors des deux hypothèses susvisées, le Conseil d’Etat, qui s’inspire manifestement de la jurisprudence « Tropic » (préc.), offre au juge de la contestation de la validité du contrat une large palette de pouvoirs. En prenant en considération la nature de l’illégalité commise et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, il peut : décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties ; prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat.
Concernant l’exception de nullité soulevée à l’occasion d’un litige relatif à l’exécution du contrat, le Conseil d’Etat précise qu’il incombe au juge, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Comme dans l’hypothèse de l’action en nullité, le contrat ne sera écarté que dans le cas où le juge constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Tel n’est pas le cas en l’espèce, le Conseil d’Etat estimant que le contrat n’est pas nul au seul motif que la délibération du conseil municipal n’avait pas été transmise au préfet avant la signature du contrat par le maire.
IV- Le rétrécissement de la catégorie des actes détachables préalables à la conclusion du contrat
Les juges estiment que différents actes se détachent du contrat, lorsque leur existence ne repose pas sur un accord de volonté entre les parties, mais sur l’intervention de la puissance publique. Par conséquent, ces actes détachables pourront, sous certaines conditions, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette exception ne fait que contourner le principe de l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les contrats, le juge considérant que des actes administratifs unilatéraux peuvent intervenir préalablement à la conclusion du contrat, ou dans le cadre de son exécution.
Toutefois, la catégorie des actes détachables préalables à la conclusion du contrat est quasiment éteinte.
Les actes détachables ici visés pouvaient consister, par exemple, en une délibération d’un conseil municipal autorisant son maire à conclure un contrat, ou encore en une décision d’un préfet ou d’un ministre portant approbation d’un contrat. Plus généralement, était « considéré comme acte détachable tout acte par lequel l’autorité administrative décide ou refuse de passer ou d’approuver le contrat » (M. Long, P. Weil ; G. Braibant ; P. Delvolvé ; B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz 13ème éd. 2001, p.94)
Dans son arrêt Martin du 4 août 1905 (Rec. p. 749, concl. Romieu ; D. 1907, jurispr. p. 49, concl. Romieu ; S. 1906, III, p. 49, concl. Hauriou ; RDP 1906, p. 249, note Jèze), le Conseil d’Etat avait jugé que sont recevables les recours pour excès de pouvoir dirigés contre de tels actes, que le requérant soit une partie au contrat, ou qu’il soit un tiers par rapport au contrat.
Si l’acte détachable est illégal, cet acte devait être annulé. En revanche – ce qui compliquait singulièrement les choses – cette annulation n’emportait pas l’annulation du contrat lui-même qui demeurait la loi des parties. Dans ses conclusions sur l’arrêt Martin, le commissaire du gouvernement Romieu expliquait que cette absence d’effet était liée à la distinction des contentieux en application de laquelle le pouvoir d’annuler le contrat appartient au seul juge du contrat et échappe au juge de l’excès de pouvoir.
Les conséquences de l’annulation de l’acte détachable n’ont jamais fait pas l’objet de solutions jurisprudentielles simples, le requérant pouvant dans certains cas saisir trois juges, qui seront souvent organiquement les mêmes:
– Le juge de l’excès de pouvoir qui pouvait annuler les actes détachables qu’il estimait illégaux ;
– Le juge de l’exécution des décisions d’annulation des actes détachables, qui pouvait enjoindre à l’administration, de procéder à la résiliation du contrat ou de saisir le juge du contrat ;
– Le juge du contrat qui pouvait constater la nullité du contrat.
Cependant, le juge de l’exécution de l’annulation de l’acte détachable n’allait pas nécessairement enjoindre à l’autorité compétente de mettre un terme au contrat, comme l’avait précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 21 février 2011, Société Ophrys et Communauté d’agglomération Clermont-Communauté (requête numéro 337349 : BJCP 2011, p. 133, concl. Dacosta, obs. Dourlens et de Moustier, obs. R.S. ; LPA 2011, n° 127, p. 3, obs. Rouault ; Gaz. Pal. 2011, n° 149-151, p. 12, obs. Seiller ; Gaz. Pal. 2011, n° 140-141, p. 47, obs. Bain-Thouverez ; RDI 2011, p. 277, note Noguellou ; Procédures 2011, 190, note Deygas ; Contrats-Marchés publ. 2011, 123, note Pietri ; AJDA 2011, p. 356, obs. de Montecler). Cette évolution était manifestement liée à la place nouvelle qu’occupe « l’objectif de stabilité des relations contractuelles » dans la jurisprudence récente (CE Sect., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, requête numéro 304802, préc.).
Pour tenir compte de cet objectif, les pouvoirs du juge de l’exécution devaient en effet être modulés comme l’ont été ceux du juge saisi d’un recours en annulation d’un contrat par une partie contractante (V. infra p. 539 s.).
Dès lors, suite à l’annulation d’un acte détachable, le juge de l’exécution n’avait plus un choix limité entre deux solutions possibles, l’une consistant à ne pas prononcer d’injonction, l’autre consistant à enjoindre à l’autorité compétente de saisir le juge du contrat pour qu’il en prononce nécessairement la nullité. Comme le précise le Conseil d’Etat dans son arrêt du 21 février 2011 : « l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement la nullité dudit contrat … il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ».
Le respect de l’orthodoxie contentieuse aboutissait donc à des solutions extrêmement complexes qui ont été heureusement simplifiées par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée Département du Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014.
Désormais, les tiers intéressés n’ont plus la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables préalables à la conclusion du contrat.
Ils bénéficient en revanche d’un recours de plein contentieux, plus efficace, qui leur permet d’attaquer directement le contrat.
Comme on l’a vu, seul le préfet, dans le cadre du contrôle de légalité, peut continuer à demander l’annulation des actes détachables du contrat préalable à sa conclusion tant que celui-ci n’est pas signé. La portée de cette exception devrait toutefois demeurer limitée. D’une part, en effet, les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet à la date de la signature du contrat. D’autre part, le préfet peut également, une fois que le contrat a été signé, exercer le recours en contestation de validité, lequel est par nature plus efficace que le recours pour excès de pouvoir.
En revanche, mais ce n’est pas une hypothèse expressément visée par l’arrêt Département du Tarn-et-Garonne, la décision administrative constitutive d’un acte détachable d’un contrat de droit privé conclu par une collectivité publique peut toujours faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 27 octobre 2015, requête numéro 386595, Arrou, préc.). De même, l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir ne concerne que « la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer » qui ne peuvent être contestées que dans le cadre d’un recours de plein contentieux. Cette liste étant, comme on l’a déjà évoqué, limitative, le recours pour excès de pouvoir demeure recevable contre une délibération se prononçant sur le principe de recourir à une délégation de service public ou encore contre l’acte d’approbation d’un contrat administratif (CE, 23 décembre 2016, requête numéro 392815, Association études et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon).
§II- Contentieux de l’exécution et de la fin des contrats
Sur ce point encore, la jurisprudence a défini des règles complexes qui pour certaines d’entre elles ont récemment évolué. Elle nécessite de distinguer le cas des tiers de celui des parties au contrat.
I. Le recours exercé par les tiers
Jusqu’à récemment, les tiers étaient admis à exercer un recours pour excès de pouvoir contre les actes administratifs unilatéraux intervenus dans le cadre de l’exécution du contrat. Sont principalement concernées des décisions acceptant ou refusant de résilier un contrat. Cette solution avait été admise par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt du 6 mai 1955, Société des grands travaux de Marseille (AJDA 1955, p. 327). Elle avait été exprimée de façon très générale dans un arrêt SA de livraisons industrielles et commerciales du 24 avril 1964, dont il ressort que la société requérante était « en sa qualité de tiers par rapport à ladite convention, recevable à déférer au juge de l’excès de pouvoir, en excipant de leur illégalité, tous les actes qui bien qu’ayant trait soit à la passation soit à l’exécution du contrat, peuvent néanmoins être regardés comme des actes détachables dudit contrat » (requête numéro 53518 : Rec. p. 239 ; AJDA 1964, p.308, concl. Combarnous).
Dans la logique de subjectivisation du contentieux contractuel et d’équilibre entre légalité et stabilité contractuelle qui est celle de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne (préc.), le Conseil d’Etat a finalement substitué au recours pour excès de pouvoir un recours de plein contentieux ouvert aux tiers contre les actes à l’occasion d’un arrêt du 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (requête numéro 398445 : AJDA 2017, p. 1669, chron. Odinet et Roussel ; RFDA 2017, p. 937, concl. Pellissier). Il était saisi, en l’espèce, d’un recours dirigé contre une décision de refus de résiliation d’un contrat. Toutefois, les conditions d’accès au juge du contrat pour les tiers, telle qu’elles sont définies par cet arrêt, sont très restrictives. D’une part, en effet, le tiers doit être susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par le refus de résilier le contrat. Comme dans le cadre de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne, ce recours est également ouvert aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au préfet. D’autre part, les moyens susceptibles d’être soulevés à l’appui de ce nouveau recours sont limitativement énumérés. Il s’agit des « moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ou encore de ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général ». A ce titre, s’ils peuvent se prévaloir d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général, ils ne peuvent en revanche se prévaloir d’aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. Compte tenu des moyens soulevés par le requérant, qui doivent être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut, à moins qu’il ne s’agisse du préfet ou du membre de l’organe délibérant de la collectivité publique dont l’acte est contesté « il appartient au juge du contrat d’apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu’il y fasse droit et d’ordonner, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé ».
II – Le recours ouvert aux parties
En matière d’exécution du contrat, le recours au juge par les parties demeure l’exception. Le recours à la conciliation, à l’arbitrage et à la transaction est assez fréquent.
Du point de vue de contentieux, le principe retenu était que le juge de l’excès de pouvoir n’avait pas la possibilité d’annuler les actes intervenus dans le cadre de l’exécution du contrat pour les parties au contrat. En effet, ces actes se rattachent, du point de vue des parties, au cadre contractuel, et plus précisément à l’exécution du contrat : ils ne peuvent donc, dans un tel cas, qu’exercer un recours de plein contentieux en vue de l’obtention d’une indemnité (CE, 20 février 1868, Goguelat). Comme l’avait précisé le Conseil d’Etat dans un arrêt Centre hospitalier de Moutiers du 29 juin 1990 : Le juge du contrat n’a pas le pouvoir de prononcer, à la demande de l’une des parties, l’annulation de mesures prises par l’autre partie (requête numéro 68025). En d’autres termes, selon la formule du commissaire du gouvernement Kahn, ces actes « ont un caractère essentiellement bilatéral, qui tient tant à leur contexte qu’à leur objet, et ne dépend ni des moyens de la requête, ni de la qualité du requérant » (conclusions sur CE, 5 décembre 1958, Secrétaire d’Etat à l’Agriculture c. Union des pêcheurs à la ligne : AJDA 1959, II, p. 57).
Cette règle s’appliquait à l’ensemble des mesures d’exécution du contrat qu’il s’agisse d’ordres de service (CE, 17 février 1978, requête numéro 99193, Société compagnie française d’entreprises : Rec. p. 88), de mesures de modification du contrat (CE, sect., 9 déc. 1983, Lebon 498 ; RFDA 1984, p. 39, concl. Genevois) ou une mesure de résiliation du contrat.
S’agissant de cette dernière hypothèse, les règles applicables ont été modifiées par l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 mars 2011 Ville de Béziers dit « Béziers II » (requête numéro 304806, préc.): les juges admettent la possibilité pour le cocontractant de l’administration de contester une décision de résiliation devant le juge du contrat, lequel peut décider la reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, le cas échéant en ajoutant une indemnité. Cette possibilité est toutefois exclue dans l’hypothèse où le contrat aurait pu faire l’objet d’une résiliation ou d’une annulation à l’occasion d’un recours en contestation de sa validité en application de la jurisprudence « Béziers I » (Conseil d´Etat, 1 octobre 2013, Société Espace habitat construction, requete numéro 349099: AJDA 2013, p. 1943, obs. Poupeau ; Contrats-marchés publ. 2013, 322, note Devillers).
Ce recours peut être assorti d’un référé suspension, propre à garantir l’effectivité de cette voie de droit, dans la mesure où la demande de reprise des relations contractuelles perd son objet dès lors que le terme du contrat est dépassé (CE, 23 mai 2011, requête numéro 23468, Société d’aménagement d’Isola 2010).
§II- Recours pour excès de pouvoir dirigé contre le contrat
Jusqu’à une époque récente, il n’existait aucune exception directe au principe de l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir directement exercé contre le contrat. Désormais, il existe deux exceptions de ce type dégagées par la jurisprudence. Toutefois, ces exceptions, qui concernent exclusivement des recours exercés par des tiers, ont vocation à s’appliquer dans des domaines restreints.
I- Recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires des contrats
Dans son arrêt d’Assemblée Cayzeele du 10 juillet 1996, le Conseil d’Etat a admis que le recours pour excès de pouvoir est recevable à l’encontre des clauses règlementaires des contrats (requête numéro 138536 : RFDA 1997, p. 89, note Delvolvé ; AJDA 1996, p. 732, chron. Chauvaux et Girardot ; CJEG 1996, p. 382, note Terneyre ; LPA, 18 décembre 1996, note Viviano).
Cette solution prolonge la jurisprudence Croix-de-Seguey-Tivoli, et elle s’applique spécifiquement aux contrats qui ont pour objet de confier à une personne privée l’exécution d’un service public.
Ainsi, en l’espèce, les juges étaient saisis d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre les clauses d’un contrat relatif à la collecte et à l’évacuation des ordures ménagères obligeant les usagers du service à faire l’acquisition de containers. L’idée est que ces clauses, qui sont relatives à l’organisation et au fonctionnement du service public, ne font pas que fixer les rapports entre l’administration et le cocontractant. Elles ont en effet un caractère règlementaire, puisqu’elles établissent des obligations et des droits, non seulement vis-à-vis du cocontractant, mais également vis-à-vis des administrés.
Le recours pour excès de pouvoir est désormais recevable contre ces clauses qui sont considérées, en raison de leur caractère règlementaire, comme détachables du contrat. Il est à noter que dans son arrêt de Section Association Alcaly et a. du 8 avril 2009 (requête numéro 209604 : JCPA 2009, 2215, note Guillemot), le Conseil d’Etat, mettant fin à une controverse entre certains juges du fond, a précisé que « les clauses règlementaires d’un contrat sont par nature divisibles de l’ensemble du contrat ».
En revanche, les conclusions à fin d’annulation dirigées contre des stipulations contractuelles qui n’ont pas un caractère règlementaire restent hors de portée du recours pour excès de pouvoir (CE, 14 mars 1997, requête numéro 119055, Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne : RFDA 1997, p. 349.- CE, 31 mars 2014, requête numéro 360904, Union syndicale du Charvet et a.).
II- Recours pour excès de pouvoir dirigé contre certains contrats
Cette hypothèse concerne des contrats qui ne comportent pas de clauses règlementaires, mais qui ont pour effet de placer le cocontractant privé dans une situation règlementaire. C’est le cas des contrats de recrutement des agents publics, l’idée étant que la situation de ces personnels n’est pas très différente de celle des fonctionnaires. En effet, comme les fonctionnaires, les agents contractuels sont astreints aux règles d’organisation et de fonctionnement du service, lesquelles présentent un caractère règlementaire. Le recours pour excès de pouvoir est donc recevable contre ces contrats, comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section du 30 octobre 1998, Ville de Lisieux (requête numéro 149663 : Rec. p.375 ; AJDA 1998, p. 969 et 977, chron. Raynaud et Fombeur ; JCP G 1999, II, 10445, note Haïm ; Dr. adm. 1998, 374 ; RFDA 1999, p.128, concl. Stahl et note Pouyaud ; AJFP 1999/1, p. 4 ; LPA 1999, n°4, note Rouault ; RGCT 1999, p.171, note Bourdon ; Procédures 1999, 52, note Deygas -V . également Conseil d´Etat, 2 février 2015, Commune d´Aix-en-Provence, requête numéro 373520). En effet « eu égard à la nature particulière des liens qui s’établissent entre une collectivité publique et ses agents non titulaires, les contrats par lesquels il est procédé au recrutement de ces derniers sont au nombre des actes dont l’annulation peut être demandée au juge administratif par un tiers ».
Pour aller plus loin :
-Amselek (P.), Une méthode peu usuelle d’identification des contrats administratifs : l’identification directe : Rev. Adm. 1973, p.633.
– Antoine (J.), La mutabilité contractuelle née de faits nouveaux extérieurs aux parties : RFDA 2004, p.80.
– Benoit (F.-P), De l’inexistence d’un pouvoir de modification unilatérale dans les contrats administratifs : JCP G 1963, I, 1775.
– Brenet (F.), La théorie du contrat administratif. Evolutions récentes : AJDA 2003, p.919.
-Canedo (M.), Le mandat administratif : LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public 2001, t. 216.
– Clouzot (L.), La théorie de l’imprévision en droit des contrats administratifs : une improbable désuétude : RFDA 2010, p.937.
– De Laubadère (A.), Du pouvoir de l’administration d’imposer unilatéralement des changements aux dispositions des contrats administratifs : RDP 1954, p. 36.
– Delvolvé (P.), Les nouveaux pouvoirs du juge administratif dans le contentieux des contrats, Mélanges Perrot : Dalloz, 1996, p. 83.
– Eckert (G.), Les pouvoirs de l’administration dans l’exécution du contrat et la théorie générale des contrats administratifs : Contrats-Marchés publ. 2010, étude 9.
– Elisabeth (A.), Raynaud (J.), Regards dubitatifs de juristes de droit privé sur la clause exorbitante : Mélanges – Guibal, Presses de la Faculté de Droit de Montpellier, 2006, t. 1, p. 783.
– Fardet (C.), La clause exorbitante et la réalisation de l’intérêt général : AJDA 2000, p.115.
– Haïm (V.), Le choix du juge dans le contentieux des contrats administratifs : AJDA 1992, p. 315.
– Hoepffner (H.), La modification des contrats : D. 2016, p. 280.
– Lichère (F.), L’évolution du critère organique du contrat administratif : RFDA 2002, p.341.
– Llorens (F.), Soler-Couteaux (P.), La théorie administrative de l’imprévision est-elle dépassée ?, Contrats-Marchés publ. 2018, repère 3.
– Macagno (F.), Le Grenelle II et la nature administrative des contrats d’achat d’électricité : Contrats-marchés publ. 2011, étude 1.
-Ménéménis (A.), Contentieux des contrats : AJDA 2011, p.308.
– Mollion (G.), La théorie de l’’accessoire dans les contrats publics : Contrats-Marchés publ. 2009, étude 10.
– Pouyaud (D.), Que reste-t-il du recours pour excès de pouvoir dans le contentieux des contrats ? : RFDA 2015, p. 727.
– Richer (L.), Le contrat de mandat au risque du droit administratif : CJEG 1999, p.127.
-Sorbara (J.-G), La modernisation du droit des propriétés publiques par l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017.
– Tenailleau (F.), Weill (S.) , : Lle marchés de partenariat : JCP 2015, 2292.
– Weil (P.), Le critère du contrat administratif en crise, Mélanges Waline, p.847.
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