RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 21 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SOCIETE MONSANTO SAS, dont le siège est 1 rue Jacques Monod Europarc du Chêne à Bron (69500), la SOCIETE MONSANTO AGRICULTURE FRANCE SAS, dont le siège est 1 rue Jacques Monod, Europarc du Chêne, à Bron (69500), la SOCIETE MONSANTO INTERNATIONAL SARL, dont le siège est 1 A rue des Vignerons à Morges (1110), Suisse, la SOCIETE MONSANTO EUROPE SA, dont le siège est 270-272 avenue de Tervuren à Bruxelles (1150), Belgique ; la SOCIETE MONSANTO SAS et autres demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêté du 7 février 2008, modifié par l’arrêté du 13 février 2008, du ministre de l’agriculture et de la pêche suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié Zea mays L. lignée MON 810 ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la directive 2001/18/CEE du 12 mars 2001 ;
Vu le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002 ;
Vu le règlement (CE) n° 1829/2003 du 22 septembre 2003 ;
Vu la décision de la Commission n° 98/294/CE du 22 avril 1998 ;
Vu la décision du Conseil n° 1999/468/CE du 28 juin 1999 ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code rural ;
Vu le décret n° 93-1177 du 18 octobre 1993 ;
Vu le décret n° 2007-1710 du 5 décembre 2007 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la SOCIETE MONSANTO SAS et autres,
– les conclusions de M. Edouard Geffray, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la SOCIETE MONSANTO SAS et autres,
Considérant que, par un arrêté du 7 février 2008, modifié par un arrêté du 13 février 2008, le ministre de l’agriculture et de la pêche a interdit la mise en culture, sur le territoire national, des variétés de semence de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810 jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de cet organisme ; que la SOCIETE MONSANTO SAS et autres demandent l’annulation de l’arrêté du 7 février 2008 modifié ;
Sur l’intervention de l’association France Nature Environnement :
Considérant que l’association France Nature Environnement a intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu’ainsi son intervention est recevable ;
Sur la légalité de l’arrêté attaqué :
Considérant que le maïs MON 810 est une variété de maïs génétiquement modifiée en vue de lui donner une plus grande résistance aux insectes ravageurs de cette plante ; que l’autorisation de mise sur le marché de cet organisme génétiquement modifié (OGM) a été délivrée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur le fondement des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, alors en vigueur ;
Considérant, d’une part, que la directive 2001/18/CE du Parlement et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement a abrogé la directive 90/220/CEE et établi un principe de continuité avec la directive abrogée en réputant notamment que les références faites à la directive abrogée s’entendent comme faites à la nouvelle directive ; que le paragraphe 1 de l’article 23 de cette dernière dispose que 1. Lorsqu’un Etat membre, en raison d’informations nouvelles ou complémentaires, devenues disponibles après que l’autorisation a été donnée et qui affectent l’évaluation des risques pour l’environnement ou en raison de la réévaluation des informations existantes sur la base de connaissances scientifiques nouvelles ou complémentaires, a des raisons précises de considérer qu’un OGM en tant que produit ou élément de produit ayant fait l’objet d’une notification en bonne et due forme et d’une autorisation écrite conformément à la présente directive présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement, il peut limiter ou interdire, à titre provisoire, l’utilisation et/ou la vente de cet OGM en tant que produit ou élément de produit sur son territoire. / (…) / L’Etat membre informe immédiatement la Commission et les autres États membres des actions entreprises au titre du présent article et indique les motifs de sa décision (…) ; que, toutefois, en vertu des dispositions de l’article 12 de la même directive Les articles 13 à 24 ne s’appliquent pas aux OGM en tant que produits ou éléments de produits dans la mesure où ils sont autorisés par une législation communautaire qui prévoit une évaluation des risques pour l’environnement (…) ;
Considérant, d’autre part, que les aliments génétiquement modifiés pour animaux qui ont été légalement mis sur le marché avant la date de publication du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, sont soumis aux dispositions de ce règlement et notamment, aux termes du paragraphe 5 de son article 20, de ses articles 21, 22 et 34 qui s’appliquent mutatis mutandis ; qu’aux termes de l’article 34 : Lorsqu’un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement (…) des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002. ; qu’aux termes de l’article 53 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires : 1. Lorsqu’il est évident que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d’origine communautaire (…) sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés, la Commission (…) arrête sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d’un Etat membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivante s: / a) pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux d’origine communautaire : (…) / ii) suspension de la mise sur le marché ou de l’utilisation des aliments pour animaux en question; / iii) fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question; iv) toute autre mesure conservatoire appropriée ; (…) ; qu’aux termes de l’article 54 du même règlement : 1. Lorsqu’un Etat membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53, cet Etat membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission. (…) / 3. L’Etat membre peut maintenir les mesures conservatoires qu’il a prises au niveau national jusqu’à l’adoption des mesures communautaires. ;
Considérant que les requérants soutiennent que le maïs MON 810, qui constitue une variété de maïs génétiquement modifiée utilisée pour l’alimentation des animaux, ne relèverait désormais que des dispositions du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 ; que le ministre de l’agriculture et de la pêche aurait dès lors entaché l’arrêté attaqué d’incompétence en prenant une mesure d’urgence relevant de la Commission européenne et, à tout le moins, d’erreur de droit en se fondant sur l’article 23 précité de la directive 2001/18/CE et sur l’article L. 535-2 du code de l’environnement qui en assure la transposition en droit interne ;
Considérant, en premier lieu, que cette argumentation pose la question de savoir, lorsqu’un organisme génétiquement modifié constituant un aliment pour animaux a été mis sur le marché avant la publication du règlement (CE) n° 1829/2003 et que cette autorisation est maintenue en vigueur en application des dispositions de l’article 20 de ce règlement, si, avant qu’il n’ait été statué sur la demande de nouvelle autorisation qui doit être introduite en application de ce règlement, le produit en cause doit être regardé comme étant au nombre des produits mentionnés par les dispositions de l’article 12 de la directive 2001/18/CE et si, dans cette hypothèse, cet organisme génétiquement modifié est soumis, pour ce qui concerne les mesures d’urgence pouvant être prises postérieurement à la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché, au seul article 34 du règlement (CE) n°1829/2003 ou si, au contraire, de telles mesures peuvent être prises par un Etat membre sur le fondement de l’article 23 de la directive et des dispositions nationales qui en assurent la transposition ;
Considérant, en deuxième lieu, que dans l’hypothèse où les mesures d’urgence ne pourraient intervenir que dans le cadre des dispositions de l’article 34 du règlement (CE) n°1829/2003, la question se pose de savoir si une mesure telle que celle de l’arrêté attaqué du 7 février 2008 modifié peut être prise, et dans quelles conditions, par les autorités d’un Etat membre au titre de la maîtrise du risque évoquée à l’article 53 du règlement (CE) n° 178/2002 ou des mesures conservatoires pouvant être prises par un Etat membre sur le fondement de l’article 54 du même règlement ;
Considérant, en troisième lieu, que, dans l’hypothèse où les autorités d’un Etat membre peuvent intervenir sur le fondement de l’article 23 de la directive 2001/18/CE ou sur celui de l’article 34 le règlement (CE) n° 1829/2003, ou sur l’une et l’autre de ces bases juridiques, la requête soulève la question de savoir, en tenant notamment compte du principe de précaution, quel degré d’exigence imposent respectivement les dispositions de l’article 23 de la directive subordonnant l’intervention de mesures d’urgence telles que l’interdiction provisoire de l’utilisation du produit à la condition que l’Etat membre ait des raisons précises de considérer qu’un OGM (…) présente un risque pour (…) l’environnement et celles de l’article 34 du règlement qui subordonnent l’intervention d’une telle mesure à la condition que le produit soit de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour (…) l’environnement en matière d’identification du risque, d’évaluation de sa probabilité et d’appréciation de la nature de ses effets ;
Considérant que ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d’Etat ; qu’elles présentent une difficulté sérieuse ; qu’il y a lieu, par suite, d’en saisir la Cour de justice des Communautés européennes en application de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne et, jusqu’à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de la SOCIETE MONSANTO SAS et autres ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’intervention de l’association France Nature Environnement est admise.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la SOCIETE MONSANTO SAS et autres jusqu’à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur les questions suivantes :
1) lorsqu’un organisme génétiquement modifié constituant un aliment pour animaux a été mis sur le marché avant la publication du règlement (CE) n° 1829/2003 et que cette autorisation est maintenue en vigueur en application des dispositions de l’article 20 de ce règlement, avant qu’il n’ait été statué sur la demande de nouvelle autorisation qui doit être introduite en application de ce règlement, le produit en cause doit-il être regardé comme étant au nombre des produits mentionnés par les dispositions de l’article 12 de la directive 2001/18/CE citées dans les motifs de la présente décision et, dans cette hypothèse, cet organisme génétiquement modifié est-il soumis, pour ce qui concerne les mesures d’urgence pouvant être prises postérieurement à la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché, au seul article 34 du règlement (CE) n°1829/2003 ou, au contraire, de telles mesures peuvent-elles être prises par un Etat membre sur le fondement de l’article 23 de la directive et des dispositions nationales qui en assurent la transposition ‘
2) dans l’hypothèse où les mesures d’urgence ne pourraient intervenir que dans le cadre des dispositions de l’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003, une mesure telle que celle de l’arrêté attaqué du 7 février 2008 modifié peut-elle être prise, et dans quelles conditions, par les autorités d’un Etat membre au titre de la maîtrise du risque évoquée à l’article 53 du règlement (CE) n° 178/2002 ou des mesures conservatoires pouvant être prises par un Etat membre sur le fondement de l’article 54 du même règlement ‘
3) dans l’hypothèse où les autorités d’un Etat membre peuvent intervenir sur le fondement de l’article 23 de la directive 2001/18/CE ou sur celui de l’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003, ou sur l’une et l’autre de ces bases juridiques, la requête soulève la question de savoir, en tenant notamment compte du principe de précaution, quel degré d’exigence imposent respectivement les dispositions de l’article 23 de la directive subordonnant l’intervention de mesures d’urgence telles que l’interdiction provisoire de l’utilisation du produit à la condition que l’Etat membre ait des raisons précises de considérer qu’un OGM (…) présente un risque pour (…) l’environnement et celles de l’article 34 du règlement qui subordonnent l’intervention d’une telle mesure à la condition que le produit soit de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour (…) l’environnement en matière d’identification du risque, d’évaluation de sa probabilité et d’appréciation de la nature de ses effets.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE MONSANTO SAS, à la SOCIETE MONSANTO AGRICULTURE France SAS, à la SOCIETE MONSANTO INTERNATIONAL SARL, à la SOCIETE MONSANTO EUROPE SA, à l’association France Nature Environnement, au ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche et au président de la Cour de justice des Communautés européennes.
Une copie en sera adressée pour information au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.