REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 24 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour Mme Emmanuelle A, épouse C, demeurant … ; Mme A, épouse C demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, le décret du 24 août 2006 portant nomination dans la magistrature en tant qu’il la nomme vice-présidente chargée de l’application des peines au tribunal de grande instance de Périgueux et qu’il nomme Mme Eva B, épouse D, à l’administration centrale à compter du 1er septembre 2006, d’autre part, l’arrêté du 29 août 2006 portant nomination de Mme B, épouse D, juge de l’application des peines au tribunal de grande instance de Périgueux, en qualité de chargée de formation à l’Ecole nationale de la magistrature à compter du 1er septembre 2006 ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et les articles 1er, 55 et 88-1 ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, et notamment son article 13 ;
Vu le décret n° 99-1073 du 21 décembre 1999 régissant les emplois de l’Ecole nationale de la magistrature ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Pierre Chaubon, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme A, épouse C et du Syndicat de la magistrature,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public,
– les nouvelles observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme A, épouse C et du Syndicat de la magistrature ;
Considérant que Mme A a demandé, dans sa requête introductive d’instance, l’annulation, d’une part, du décret du 24 août 2006 portant nomination dans la magistrature en tant qu’il la nomme vice-présidente, chargée de l’application des peines, au tribunal de grande instance de Périgueux, et en tant que, selon elle, il nommerait Mme B au sein de l’administration centrale, d’autre part de l’arrêté du 29 août 2006 du garde des sceaux, ministre de la justice, portant nomination de Mme B, juge de l’application des peines au tribunal de grande instance de Périgueux, en qualité de chargée de formation à l’Ecole nationale de la magistrature à compter du 1er septembre 2006 ;
Sur les conclusions de la requête dirigées contre le décret du 24 août 2006 en tant qu’il nomme Mme A vice-présidente, chargée de l’application des peines, au tribunal de grande instance de Périgueux :
Considérant que, par un mémoire enregistré le 17 janvier 2007, la requérante s’est désistée de ces conclusions ; qu’il convient de lui en donner acte ;
Sur la recevabilité des autres conclusions de Mme A :
Considérant qu’à la suite de ce désistement, Mme A a limité ses autres conclusions à l’encontre du décret du 24 août 2006 à la contestation de la nomination à l’administration centrale de Mme B ; qu’en l’absence d’une telle mesure dans le décret attaqué, que fait valoir à juste titre le garde des sceaux, ministre de la justice, ces conclusions ne sont pas recevables ; qu’en revanche Mme A a intérêt à agir contre l’arrêté du 29 août 2006, dès lors qu’elle est susceptible d’occuper la fonction à laquelle Mme B a été nommée par cet arrêté ; qu’ainsi ses conclusions à fin d’annulation de cet arrêté sont recevables ;
Sur l’intervention du Syndicat de la magistrature :
Considérant que le litige relatif à la nomination de Mme A comme vice-présidente chargée de l’application des peines au tribunal de grande instance de Périgueux prend fin par suite du désistement dont il est donné acte par la présente décision ; que dès lors l’intervention du Syndicat de la magistrature au soutien des conclusions dont Mme A s’est désistée est devenue sans objet ;
Considérant que, dès lors que les conclusions de Mme A dirigées contre le décret du 24 août 2006 sont irrecevables, l’intervention du Syndicat de la magistrature au soutien de ces conclusions est également irrecevable ;
Considérant, en revanche, que le Syndicat de la magistrature a un intérêt de nature à justifier son intervention au soutien des conclusions de la requête de Mme A en tant qu’elles sont dirigées contre l’arrêté du 29 août 2006 ; que, par suite, son intervention est recevable dans cette mesure ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
Considérant que Mme A soutient, à l’appui de sa requête, que le garde des sceaux, ministre de la justice, aurait commis une erreur de droit en écartant sa candidature au poste de chargé de formation à l’Ecole nationale de la magistrature en raison de son engagement syndical et aurait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation en préférant celle de Mme B ;
Considérant que la requérante invoque le bénéfice des règles relatives à la charge de la preuve fixées par l’article 10 de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, dont le délai de transposition expirait le 2 décembre 2003, antérieurement à la date des décisions attaquées, alors que cette disposition n’a été transposée de manière générale que par l’article 4 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;
Considérant que la transposition en droit interne des directives communautaires, qui est une obligation résultant du Traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l’article 88-1 de la Constitution, le caractère d’une obligation constitutionnelle ; que, pour chacun de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit commun de l’application du droit communautaire, de garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l’égard des autorités publiques ; que tout justiciable peut en conséquence demander l’annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d’action ou par voie d’exception, qu’après l’expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives ; qu’en outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ;
Considérant qu’aux termes de l’article 10 de la directive du 27 novembre 2000 : » 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. / 2. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l’adoption par les Etats membres de règles de la preuve plus favorables aux plaignants. / 3. Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux procédures pénales. / 4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent également à toute procédure engagée conformément à l’article 9, paragraphe 2. / 5. Les Etats membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction ou à l’instance compétente. » ; qu’en vertu du cinquième paragraphe de cet article, les dispositions précitées relatives à l’aménagement de la charge de la preuve n’affectent pas la compétence laissée aux Etats membres pour décider du régime applicable aux procédures dans lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction ; que tel est l’office du juge administratif en droit public français ; qu’ainsi, eu égard à la réserve que comporte le paragraphe 5 de l’article 10, les dispositions de ce dernier sont dépourvues d’effet direct devant la juridiction administrative ;
Considérant toutefois que, de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu’il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination, s’exercer en tenant compte des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s’attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l’égalité de traitement des personnes ; que, s’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu’en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à l’appui de ses allégations, Mme A se fonde sur des éléments de fait, tenant tant à la qualité de sa candidature qu’à des procédures antérieures de recrutement à la fonction de chargé de formation pour l’application des peines à l’Ecole nationale de la magistrature, pour soutenir que cette candidature aurait été écartée en raison de ses responsabilités syndicales connues de l’administration ; que ces éléments de fait sont corroborés par une délibération en date du 15 septembre 2008 de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, que cette dernière a entendu verser au dossier de la procédure en application de l’article 13 de la loi du 30 décembre 2004 ; que, si ces éléments peuvent ainsi faire présumer l’existence d’une telle discrimination, il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments de comparaison produits en défense par le garde des sceaux, ministre de la justice que la décision de nommer Mme B plutôt que Mme A au poste de chargé de formation à l’Ecole nationale de la magistrature repose sur des motifs tenant aux capacités, aptitudes et mérites respectifs des candidates ; que la préférence accordée à la candidature de Mme B procédait en effet d’une analyse comparée des évaluations professionnelles des deux magistrates et des appréciations que comportait l’avis motivé en date du 10 avril 2006 établi, conformément à l’article 12 du décret du 21 décembre 1999 régissant les emplois de l’Ecole nationale de la magistrature, en vigueur à la date de la décision attaquée, par la commission de recrutement mise en place par l’école ; qu’elle était également en correspondance avec les critères fixés préalablement dans la description du poste publiée par l’école, tenant au fonctionnement et aux caractéristiques de l’équipe pédagogique, ainsi qu’aux capacités linguistiques requises par ses missions internationales ; que, dans ces conditions, ce choix, même s’il n’était pas celui du directeur de l’école, dont l’avis était prescrit par l’article 10 du même décret, doit être regardé comme ne reposant pas sur des motifs entachés de discrimination ; que, dès lors, il n’est pas entaché d’erreur de droit ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que le choix de Mme B est entaché d’erreur manifeste d’appréciation ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête de Mme A ne peut qu’être rejetée, ainsi, par voie de conséquence, que ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la requête de Mme A dirigées contre le décret du 24 août 2006 en tant que ce décret la nomme vice-présidente, chargée de l’application des peines, au tribunal de grande instance de Périgueux.
Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur l’intervention du Syndicat de la magistrature au soutien des conclusions dont Mme A s’est désistée.
Article 3 : L’intervention du Syndicat de la magistrature au soutien des autres conclusions de Mme A dirigées contre le décret du 24 août 2006 n’est pas admise.
Article 4 : L’intervention du Syndicat de la magistrature au soutien des conclusions de Mme A dirigées contre l’arrêté du 29 août 2006 est admise.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Emmanuelle A, épouse C, à Mme Eva B, épouse D, au Syndicat de la magistrature et à la ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Une copie en sera adressée, pour information, à la Haute Autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l’égalité.