RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 3 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement n° 0803536 du 23 janvier 2009 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé son arrêté du 22 avril 2008 portant mutation à compter du 1er septembre 2008 de M. B…A…, capitaine de police, à la direction interrégionale de la police judiciaire de Marseille, antenne de police judiciaire de Nice, ainsi que sa décision du 22 mai 2008 rejetant le recours gracieux formé par M. A…contre cet arrêté ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande présentée par M. A…devant le tribunal administratif de Nice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 78-399 du 20 mars 1978, notamment son article 3 ;
Vu le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
Vu le décret n° 2005-716 du 29 juin 2005 ;
Vu l’arrêté interministériel du 20 octobre 1995 pris pour l’application de l’article 28 du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, Maître des Requêtes,
– les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B…A…, qui était alors lieutenant de police, a été affecté par un arrêté ministériel du 29 juillet 2004 à la direction interrégionale de la police judiciaire de Pointe-à-Pitre, antenne de police judiciaire de Saint-Martin, pour une durée de séjour fixée à quatre ans à compter du 1er septembre 2004 ; qu’à l’expiration de cette durée, et alors qu’il avait été promu au grade de capitaine de police, il a été muté à compter du 1er septembre 2008 à la direction interrégionale de la police judiciaire de Marseille, antenne de police judiciaire de Nice, par un arrêté ministériel du 22 avril 2008 ; que, par un jugement du 23 janvier 2009 contre lequel le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté ainsi que la décision ministérielle du 22 mai 2008 rejetant le recours gracieux formé par M. A…contre cet arrêté, en se fondant sur le motif que la mutation attaquée portait une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale, au sens des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que, pour apprécier si une mutation porte une atteinte disproportionnée au droit d’un fonctionnaire au respect de sa vie privée et familiale, au sens de ces stipulations, il appartient au juge administratif de prendre en compte non seulement les conséquences de cette décision sur la situation personnelle ou familiale de l’intéressé mais aussi le statut de celui-ci et les conditions de service propres à l’exercice des fonctions découlant de ce statut ; que, pour accueillir le moyen tiré de ce que la mutation attaquée portait une telle atteinte au droit de M. A…au respect de sa vie privée et familiale, le tribunal administratif s’est exclusivement fondé sur les effets de cette mutation sur la vie privée et familiale de l’intéressé, sans prendre en compte le statut de celui-ci et les conditions de service propres à l’exercice des fonctions des personnels actifs de la police nationale ; qu’il a ainsi entaché son jugement d’erreur de droit ; que par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à en demander l’annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’aux termes de l’article 19 de la loi du 21 janvier 1995 : » (…) En raison du caractère particulier de leurs missions et des responsabilités exceptionnelles qu’ils assument, les personnels actifs de la police nationale constituent dans la fonction publique une catégorie spéciale. / Le statut spécial de ces personnels peut déroger au statut général de la fonction publique afin d’adapter l’organisation des corps et des carrières aux missions spécifiques de la police nationale. / Compte tenu de la nature de ces missions, les personnels actifs de la police nationale sont soumis à des obligations particulières de disponibilité, de durée d’affectation, de mobilité et de résidence. (…) / En contrepartie des sujétions et obligations qui leur sont applicables, les personnels actifs de la police nationale sont classés hors catégories pour la fixation de leurs indices de traitement (…) » ; qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 25 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : » Le fonctionnaire est préalablement informé de l’intention de l’administration de prononcer sa mutation pour être à même de demander communication de son dossier » ; qu’aux termes de l’article 28 du même décret : » La durée maximale de séjour des personnels actifs de la police nationale appelés à servir outre-mer est fixée par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur, du ministre du budget et du ministre des départements et territoires d’outre mer. / (…) une prolongation d’un an de la durée ainsi fixée, et qui ne saurait constituer un droit pour les intéressés, peut être accordée à leur demande. / Cette demande doit être présentée au plus tard six mois avant la date d’expiration du séjour » ; que les dispositions du I de l’article 1er de l’arrêté interministériel du 20 octobre 1995, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions attaquées, fixent à quatre ans la durée maximale de séjour à Saint-Martin des personnels actifs de la police nationale ; qu’aux termes du III du même article : » Il peut être dérogé à la durée du séjour, après avis des commissions administratives paritaires compétentes, pour des fonctionnaires servant outre-mer en cas : / (…) 1. De mariage ou de pacte civil de solidarité contracté avec un originaire au moins un an avant la date du dépôt de la demande de dérogation. Cette demande doit être formulée au plus tard six mois avant la date d’expiration du séjour ; / 2. De circonstances graves ou exceptionnelles. » ;
Considérant que la décision mutant un fonctionnaire actif de la police nationale, lorsqu’elle est fondée sur le motif de l’expiration de la durée maximale de séjour outre-mer prévue par les dispositions des articles 28 du décret du 9 mai 1995 et 1er de l’arrêté interministériel du 20 octobre 1995, ne constitue pas une sanction disciplinaire et n’est donc pas soumise au respect de la procédure applicable en matière disciplinaire ; que, de plus, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’administration ait entendu en l’espèce sanctionner l’intéressé ; qu’enfin M. A…a été informé de ce que sa mutation serait prononcée à l’issue de la période de quatre ans fixée par l’arrêté du 29 juillet 2004 qui l’avait affecté à Saint-Martin et qu’il a été ainsi mis à même de demander communication de son dossier dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l’article 25 du décret du 9 mai 1995 ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, après avoir contracté à Saint-Martin le 24 mai 2007 un pacte civil de solidarité, M. A…a demandé, les 11 septembre 2007 et 23 janvier 2008, à être affecté définitivement à Saint-Martin ou à bénéficier au moins d’une prolongation d’affectation d’un an et que, par une décision du 17 mars 2008, le ministre a refusé de prolonger l’affectation de l’intéressé à Saint-Martin au motif qu’il ne remplissait aucune des conditions posées par l’article 1er de l’arrêté du 20 octobre 1995 pour bénéficier d’une prolongation ; que, à supposer même que le pacte civil de solidarité dont se prévaut M. A…ait été contracté avec une personne ayant la qualité d’originaire, au sens de l’arrêté du 20 octobre 1995, la date du 24 mai 2007 à laquelle il a été conclu est trop récente pour permettre à l’intéressé de bénéficier, sur le fondement du 1 du III de l’article 1er de l’arrêté du 20 octobre 1995, de la prolongation d’une affectation qui devait prendre fin le 1er septembre 2008 ;
Considérant, par ailleurs, que si la mutation de M. A…l’éloigne de sa compagne, qui est gérante d’une société à Saint-Martin dont lui-même possède des parts et qui est mère d’un enfant dont le père réside à Saint-Martin et si l’intéressé a lui-même acquis des biens immobiliers à Saint-Martin, ces éléments ne constituent pas des circonstances graves ou exceptionnelles, au sens des dispositions du 2 du III du même article ; que M. A…n’est dès lors pas fondé à exciper de l’illégalité de la décision du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales du 17 mars 2008 refusant de le faire bénéficier d’une prolongation d’affectation ;
Considérant qu’en dépit de ces circonstances, cette mutation, qui devait intervenir à l’issue d’une durée de quatre ans conformément aux dispositions statutaires applicables ainsi qu’aux mentions de l’arrêté qui avait affecté l’intéressé à Saint-Martin, ne peut davantage, compte-tenu du statut de l’intéressé, des conditions de service propres à l’exercice de ses fonctions de fonctionnaire actif des services de la police nationale et de l’intérêt du service justifiant de limiter la durée d’affectation de ces fonctionnaires dans les départements et collectivités d’outre-mer, être regardée, eu égard tant à son objet qu’à ses effets, comme portant une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale, au sens des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, il est vrai, que M. A…soutient qu’en ce qu’elles disposent que la durée maximale de séjour des personnels actifs de la police nationale appelés à servir outre-mer n’est pas applicable aux fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités d’outre-mer s’ils en sont originaires, les dispositions du 2 du II de l’article 1er de l’arrêté interministériel du 20 octobre 1995, dans leur rédaction applicable au litige, méconnaissent les dispositions du deuxième alinéa de l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui interdisent les distinctions entre les fonctionnaires en raison de leur origine ainsi que diverses stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il résulte toutefois des dispositions du IV de l’article 1er du même arrêté, combinées avec celles de l’article 3 du décret du 20 mars 1978, qu’est » originaire » d’un département ou d’une collectivité d’outre-mer, au sens de cet arrêté, le fonctionnaire dont le centre des intérêts moraux et matériels se trouve dans ce département ou cette collectivité ; qu’en subordonnant le bénéfice des dispositions du 2 du II de l’article 1er à une telle condition, les dispositions contestées ne méconnaissent ni les dispositions du deuxième alinéa de l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 ni aucune stipulation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que les dispositions du second alinéa de l’article 13 du décret du 29 juin 2005 portant statut particulier du corps de commandement de la police nationale aux termes desquelles » La durée minimale de maintien dans le premier emploi du grade de capitaine de police est fixée à deux ans de services effectifs » n’ont pas pour objet de déroger aux dispositions de l’article 28 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale qui imposent une durée maximale de séjour des personnels actifs de la police nationale appelés à servir outre-mer ; qu’il en résulte que la circonstance que M.A…, qui était lieutenant de police lorsqu’il a été affecté à Saint-Martin à compter du 1er septembre 2004 pour la durée maximale de quatre ans prévue par l’arrêté interministériel pris en application de l’article 28 du décret du 9 mai 1995, a été promu capitaine de police par un arrêté du 3 octobre 2007 pris avant l’expiration de cette période de quatre ans, n’a pas eu pour effet de le faire bénéficier d’un droit à une prolongation de cette affectation ; que la circonstance que, postérieurement à cette promotion, M. A…est demeuré affecté à Saint-Martin jusqu’au 1er septembre 2008, n’a pas eu davantage pour effet de le faire bénéficier d’un tel droit ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A…n’est fondé à demander l’annulation ni de l’arrêté du MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES du 22 avril 2008 ni de la décision du même ministre du 22 mai 2008 ; que doivent être rejetées par voie de conséquence ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 23 janvier 2009 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A…devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée M. B… A…et au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.