Vu la requête présentée pour le sieur Croissant Y… , avocat, demeurant …, ladite requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, le 16 novembre 1977 et tendant à ce qu’il plaise au Conseil : 1. annuler pour excès de pouvoir un décret en date du 16 novembre 1977 accordant son extradition aux autorités fédérales allemandes, 2. décider qu’il sera sursis à l’exécution dudit décret. Vu la loi du 10 mars 1927 ; Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, ensemble le protocole relatif au statut des réfugiés, en date à New-York du 31 janvier 1967 ; Vu la convention franco-allemande du 29 novembre 1951 ; Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu le décret du 27 février 1974 ; Vu le code pénal ; Vu le code de procédure pénale ; Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Sur le moyen tiré d’irrégularités dans la composition de la Chambre d’accusation : Considérant que lorsque, conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi du 10 mars 1927, la Chambre d’accusation donne un avis motivé sur une demande d’extradition, cette Chambre, exerçant alors une attribution administrative, siège dans la formation habituelle en laquelle elle exerce ses attributions judiciaires ; qu’il n’est pas contesté qu’il en a été ainsi en l’espèce ;
Considérant que, pour soutenir que la composition de la Chambre d’accusation, lors de l’examen de la demande d’extradition, serait irrégulière, le sieur X… conteste la légalité de la délibération de l’Assemblée générale de la Cour d’Appel de Paris, en date du 5 octobre 1977, et de l’ordonnance du Premier Président de cette Cour en date du 6 octobre 1977, fixant la composition de cette Chambre ; que s’agissant d’une juridiction de l’ordre judiciaire qui ne siège pas dans une composition particulière lorsqu’elle exerce des fonctions administratives, le requérant n’est pas recevable à mettre en cause, à l’occasion de l’exercice de ces fonctions, des décisions prises par l’autorité judiciaire pour assurer le fonctionnement du service public de la justice ;
Sur le moyen tiré de ce que la Chambre d’accusation aurait violé les droits de la défense et méconnu l’étendue de ses pouvoirs : Considérant que l’avis de la Chambre d’accusation mentionne que les présomptions qui se dégagent des éléments figurant au dossier « ne peuvent être battues en brèche par la prétention de Croissant de considérer le système « info » comme un moyen d’organisation collective de la défense » ; que la Chambre d’accusation s’est ainsi prononcée, pour l’écarter, sur la demande du sieur X… tendant à la production de nouvelles pièces destinées à démontrer que le système d’information qu’il lui est reproché d’avoir fait fonctionner n’était qu’un moyen légal d’organiser la défense de ses clients ; qu’en rejetant cette demande, la Chambre d’accusation n’a ni violé les droits de la défense, ni méconnu l’étendue de ses pouvoirs ;
Sur le moyen tiré de ce que le gouvernement a méconnu l’étendue de ses pouvoirs en se croyant lié par l’avis favorable de la Chambre d’accusation : Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier que si, dès le mois d’octobre 1977, le gouvernement avait l’intention de se conformer en principe à l’avis de la Chambre d’accusation, cette position de principe n’impliquait pas que le gouvernement se soit à tort cru lié par un avis favorable à l’extradition et ait ainsi méconnu l’étendue des pouvoirs qu’il tient de l’article 18 de la loi du 10 mars 1927 ;
Sur le moyen tiré de ce que le gouvernement n’a pas procédé à un examen complet des circonstances de l’affaire : Considérant qu’il résulte de l’instruction que le délai qui s’est écoulé entre la transmission de l’avis de la Chambre d’accusation et la signature du décret attaqué a été suffisant pour permettre au gouvernement, ainsi qu’il l’a fait, de procéder au vu de cet avis à un examen définitif et complet des circonstances de l’affaire ;
Sur le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne pouvait légalement être pris avant que la Cour de Cassation ait statué sur le recours formé par le sieur X… contre l’avis de la Chambre d’accusation : Considérant que, selon l’article 16 de la loi du 10 mars 1927, la Chambre d’accusation, lorsqu’elle donne son avis sur une demande d’extradition, statue sans recours ; qu’il résulte de ces dispositions et de la nature même de cet avis, rendu dans le cours d’une procédure administrative, que les dispositions de l’article 569 du Code de procédure pénale, qui prévoient qu’il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la Cour d’Appel pendant les délais du recours en cassation et, s’il y a eu recours, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de Cassation, ne sont pas applicables aux arrêts par lesquels la Chambre d’accusation donne son avis sur des demandes d’extradition. Que, dès lors, le sieur X… n’est pas fondé à soutenir qu’en prenant le décret attaqué avant que la Cour de Cassation se soit prononcée sur son recours contre l’avis de la Chambre d’accusation le gouvernement a violé les dispositions de l’article 569 du Code de procédure pénale ;
Sur le moyen tiré de la violation de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés : Considérant qu’en vertu des dispositions du paragraphe A, 2 de l’article 1er de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés et du paragraphe 2 de l’article 1er du protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés « le terme réfugié » s’appliquera à toute personne … qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques … se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;
Considérant que si le sieur X… s’est trouvé hors de la République fédérale d’Allemagne, pays dont il a la nationalité, il ne résulte pas des pièces versées au dossier qu’il n’ait pu se prévaloir de la protection de ce pays ou n’ait voulu, en raison des craintes de persécution qu’il aurait éprouvées « avec raison » pour l’une des causes ci-dessus énumérées se réclamer de cette protection ; que, dans ces conditions, il n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié au sens de cette disposition de la Convention ;
Sur le moyen tiré de ce que le mandat d’arrêt n’indiquerait pas la date des faits reprochés au sieur X… : Considérant qu’il ressort des termes mêmes du mandat d’arrêt décerné le 15 juillet 1977 par le Tribunal régional de Stuttgart que les faits pour lesquels l’extradition du sieur X… a été demandée ont été commis « depuis 1972 et jusqu’au moins début 1976 » ; que, dès lors, le moyen manque en fait ;
Sur le moyen tiré de ce que la demande d’extradition se fonderait sur une loi pénale allemande rétroactive et donc contraire à l’ordre public français : Considérant que les modifications apportées à compter du 1er janvier 1975, à l’article 129 du Code pénal allemand, qui selon le mandat précité, sont applicables au sieur X…, n’ont pas affecté la définition de l’infraction réprimée par cet article ; qu’elles se sont bornées à supprimer la surveillance de la police, dont la peine pouvait être assortie et à permettre de prononcer une amende au lieu des peines d’emprisonnement qui étaient seules prévues précédemment et qui sont demeurées inchangées ; que ces dispositions nouvelles, moins sévères que celles auxquelles elles se sont substituées, étaient d’application immédiate ; que, dès lors, le sieur X… n’est pas fondé à soutenir que l’ordre public français s’oppose à ce qu’il lui en soit fait application ;
Sur le moyen tiré de ce que les faits reprochés au sieur X… ne sont pas punis par l’article 248 du Code pénal d’une peine atteignant le minimum auquel l’extradition est subordonnée par l’article 3 de la Convention du 29 novembre 1951 : Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la Convention précitée « sont sujets à extradition : 1° les individus qui sont poursuivis pour des crimes ou délits punis par les lois des parties contractantes d’une peine d’au moins un an d’emprisonnement » ; qu’il résulte clairement de cette disposition, rapprochée des autres dispositions du même article, que doivent être regardées comme étant punies d’une peine d’au moins un an d’emprisonnement les infractions pour lesquelles le maximum de la peine encourue est d’un an ou plus. Que la peine prévue par l’article 248 du Code pénal à l’égard des personnes qui, comme le sieur X…, sont habilitées par leurs fonctions à approcher les détenus est un emprisonnement de six mois à deux ans ; que cette peine satisfait à la condition exigée par l’article 3 de la Convention précitée ; que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le moyen tiré de ce que les faits reprochés au sieur X… ne tombent pas sous le coup de l’article 267 du Code pénal : Considérant qu’aux termes de l’article 267 du Code pénal « sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans quiconque aura sciemment et volontairement favorisé les auteurs des crimes prévus à l’article 265, en leur fournissant des instruments de crime, moyens de correspondance, logement ou lieu de réunion » ;
Considérant qu’il est reproché au sieur X… d’avoir fourni à des détenus poursuivis pour le crime d’association de malfaiteurs, prévu à l’article 265 du Code pénal, non pas seulement, comme il le prétend, des moyens d’information, tels que livres, brochures ou notices, mais aussi des moyens de correspondance leur permettant de communiquer entre eux et avec des membres de leur organisation restés en liberté ; que le requérant n’est, dès lors, pas fondé à soutenir que ces faits ne tombent pas sous le coup de l’article 267 du Code pénal ;
Sur le moyen tiré de la violation de l’article 4 de la Convention franco-allemande d’extradition du 29 novembre 1951 : Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la Convention du 29 novembre 1951 « l’extradition ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la partie requise, d’après les circonstances dans lesquelles elle a été commise comme une infraction politique ou comme un fait commis pour préparer une telle infraction, l’exécuter, en assurer le profit, en procurer l’impunité » ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, il est reproché au sieur X… d’avoir fourni des moyens de correspondance à des détenus qui étaient poursuivis pour s’être associé dans le but de commettre des crimes contre les personnes et pour avoir effectivement commis plusieurs crimes de cette nature ; que la circonstance que ces crimes, qui ne sont pas politiques par leur objet, auraient eu pour but, selon le mandat d’arrêt précité « de renverser l’ordre établi en République fédérale d’Allemagne » ne suffit pas, compte tenu de leur gravité, à les faire regarder comme ayant un caractère politique. Que, si le sieur X… prétend qu’en ce qui le concerne il a agi dans le but de faire respecter les droits de la défense, ce mobile, à le supposer établi, n’est pas de nature à donner un caractère politique aux infractions qui lui sont reprochées et qui consistent dans une aide apportée par le sieur X… à des détenus dont il était l’avocat en vue de leur permettre non pas d’assurer leur défense, mais de poursuivre leurs activités criminelles ; que, dès lors, le requérant n’est pas fondé à soutenir qu’en accordant son extradition, les auteurs du décret attaqué ont violé les dispositions précitées de l’article 4 de la convention du 29 novembre 1951 ;
Sur le moyen tiré de la violation de l’article 5, 2. de la loi du 10 mars 1927 : Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la Convention franco-allemande d’extradition du 29 novembre 1951, ratifiée en vertu de l’ordonnance du 17 décembre 1958, « les parties contractantes s’engagent réciproquement à se livrer, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis … par les autorités judiciaires de l’Etat requérant ». Qu’il résulte clairement de cette disposition qu’elle ne permet pas au Gouvernement français de subordonner l’extradition à des conditions autres que celles qui sont prévues par la convention ; que, si l’article 1er de la loi du 10 mars 1927 dispose que cette loi s’applique aux points qui n’auraient pas été réglementés par les traités, cette disposition ne saurait prévaloir sur celles de la convention précitée, qui sont plus récentes et qui, en vertu de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, ont une autorité supérieure à celle de la loi ; que, dès lors, le sieur X… n’est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l’article 5, 2. de la loi du 10 mars 1927 pour soutenir que le Gouvernement français ne pouvait légalement accorder son extradition aux autorités fédérales allemandes ;
DECIDE : Article 1er : La requête du sieur X… est rejetée.
Conseil d’Etat, Assemblée, 7 juillet 1978, Croissant, requête numéro 10079, rec. p. 292
Citer : Revue générale du droit, 'Conseil d’Etat, Assemblée, 7 juillet 1978, Croissant, requête numéro 10079, rec. p. 292, ' : Revue générale du droit on line, 1978, numéro 8923 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=8923)
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