REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 8 janvier 1996 et 7 mai 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société anonyme MERIBEL 92, dont le siège est au complexe sportif de la Chaudanne aux Allues (73550), représentée par ses dirigeants en exercice ; la société demande que le Conseil d’Etat :
1°) annule l’arrêt du 30 août 1995 par lequel la Cour administrative de Lyon a, d’une part, réformé le jugement du 24 août 1992 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la résiliation du contrat pour la construction et l’exploitation du complexe des sports et loisirs de la Chaudanne du 31 janvier 1989 aux torts et griefs de la commune des Allues et a ordonné avant-dire droit une expertise en vue de déterminer le préjudice subi par la société et, d’autre part, modifié la mission d’expertise prescrite par l’article 2 du jugement du 24 août 1992 ;
2°) condamne la commune des Allues à lui verser la somme de 30 000 F en application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mme Lagumina, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la société anonyme MERIBEL 92 et de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la commune des Allues,
– les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par un contrat du 31 janvier 1989, la commune des Allues a concédé pour une durée de trente ans à la Société anonyme MERIBEL 92 la construction et l’exploitation du complexe de sports et de loisirs de la Chaudanne ; que les travaux de la première phase du projet consistaient en la réalisation d’une patinoire d’une capacité de 6 000 places destinée à accueillir les épreuves de hockey sur glace lors des Jeux olympiques d’Albertville ; que les travaux de la seconde phase, dite « post-olympique », avaient pour objet de réduire la capacité de la patinoire à 1 500 places et d’aménager les espaces ainsi libérés pour la réalisation d’installations sportives et de loisirs dont l’exploitation était concédée à la Société anonyme MERIBEL 92 ; que si les travaux de la première phase ont été exécutés, ceux de la phase « post olympique » n’ont, en revanche, pas été réalisés ;
Sur les conclusions de la Société anonyme MERIBEL 92 tendant à l’annulation de l’arrêt attaqué :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative de Lyon a, d’une part, estimé que la Société anonyme MERIBEL 92 n’avait pas commis une faute d’une particulière gravité de nature à justifier sa déchéance de la concession qui lui avait été accordée par le contrat du 31 janvier 1989 et, d’autre part, décidé que le contrat de concession devait être résilié à ses torts ; qu’en prononçant une telle résiliation, la cour a méconnu les pouvoirs du juge des contrats, qui ne peut prononcer la déchéance d’un concessionnaire que si celui-ci a commis une faute d’une particulière gravité ; que l’arrêt attaqué est, dans ces conditions, entaché d’une erreur de droit ; que, dès lors, la Société anonyme MERIBEL 92 est fondée à en demander l’annulation ;
Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en ce qui concerne l’appel formé devant la cour administrative d’appel de Lyon ;
Sur les conclusions de la commune de Méribel-les-Allues tendant à ce que la concession soit résiliée aux torts de la Société anonyme MERIBEL 92 :
Considérant que l’article 36 du contrat de concession en date du 31 janvier 1989 intitulé : « Déchéance pour faute grave », stipule que : « Par délibération motivée du conseilmunicipal, la commune peut demander au tribunal de prononcer la déchéance du concessionnaire : (…) en cas d’inobservation et transgressions graves des dispositions du présent contrat (…) » ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société concessionnaire a obtenu, le 29 septembre 1989, un permis de construire couvrant la réalisation des deux phases du projet ; que ce permis ayant été retiré par le maire des Allues après que le tribunal administratif de Grenoble eut, à la demande d’un tiers, ordonné qu’il fût sursis à son exécution, il a été convenu entre les parties qu’un nouveau permis serait délivré en ce qui concerne les travaux olympiques et qu’en ce qui concerne la phase « post-olympique » la société concessionnaire commencerait par déposer une demande de certificat d’urbanisme, ce qu’elle a fait le 3 juillet 1990 ; que, dans ces circonstances, la commune n’est pas fondée à reprocher à la société concessionnaire d’avoir commis une faute en ne déposant pas une demande de permis de construire pour les travaux de la phase « post-olympique » ;
Considérant que la société concessionnaire a présenté, le 21 août 1990, une proposition d’avenant à la convention de concession pour les travaux de la phase « postolympique » qui s’écartait sensiblement du projet initial et qui demandait à la commune des Allues une subvention de 55 millions de francs ; que, cette proposition, que la commune avait la faculté de refuser, comme elle l’a d’ailleurs fait, ne constituait pas une méconnaissance par le concessionnaire de ses obligations contractuelles ; que si la commune soutient que cette proposition d’avenant était accompagnée d’une formule laissant entendre que la société concessionnaire risquait de ne pas être à même de poursuivre et d’achever dans les délais prévus les travaux de construction de la patinoire olympique, il résulte de l’instruction que ces installations ont été livrées en bon état de fonctionnement avant le déroulement des épreuves olympiques ; qu’ainsi, la société concessionnaire s’est conformée sur ce point aux obligations qu’elle tenait du contrat de concession ;
Considérant enfin que si la société concessionnaire n’a pas engagé les travaux préparatoires à la réalisation de la phase « post-olympique » du projet, il résulte de l’instruction que cette circonstance était due à la rupture de l’équilibre financier du contrat en partie provoqué par les agissements de la commune ; que si cette circonstance apparaît constitutive d’une faute, elle n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier la déchéance du concessionnaire ; qu’il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la commune des Allues doivent être rejetées ;
Sur les conclusions de la Société anonyme MERIBEL 92 tendant à ce que la concession soit résiliée aux torts de la commune des Allues :
Considérant que les retards ayant affecté la remise des terrains d’assiette de la patinoire n’ont pas été d’une importance telle qu’ils puissent être regardés comme une méconnaissance par la commune des Allues de ses obligations contractuelles ; que, de la même façon, la société concessionnaire n’établit pas que le retard du chantier provoqué par le sursis à exécution du permis de construire prononcé par le tribunal administratif de Grenoble aurait été également à l’origine pour elle de difficultés sérieuses ;
Considérant, en revanche, que l’article 2.2 du contrat de concession stipule, sous le titre : « Engagements de la commune » : « La commune s’engage à (…) la cession au 31 décembre 1989 au plus tard, aux conditions convenues par les parties, à la société ou à toute autre personne morale ou physique qu’elle se substituerait, du terrain nécessaire à la construction de la résidence de tourisme. Ce terrain devra être libéré de toute servitude privée ouadministrative, étant entendu que la démolition des bâtiments ou ouvrages existants seront à la charge du concessionnaire, ainsi que les modifications de réseaux, situés dans l’emprise du terrain, nécessitées par ce projet. La commune s’engage à délivrer au plus tard à la même date le permis de construire autorisant la réalisation sur ce terrain des 5 000 m2 SHON prévus au titre de la résidence de tourisme, sous réserve que la demande de permis de construire soit déposée au plus tard le 30 septembre 1989 pour autant que le projet soit conforme au plan d’occupation des sols et à la réglementation en vigueur » ;
Considérant qu’il résulte de ces stipulations que, contrairement à ce que soutient la commune des Allues, la réalisation de la résidence de tourisme à l’emplacement où s’élevait le « Centre Gacon » correspondait bien à un des engagements pris par la commune en vertu de la convention de concession, alors même que cette opération ne figurait pas dans l’objet de la concession ; qu’il résulte au surplus de l’instruction que le produit attendu de cette opération par la société concessionnaire constituait un élément important de l’équilibre financier de la convention ;
Considérant que, par la délibération du 22 mai 1990, le conseil municipal de la commune des Allues a émis le souhait que le « Centre Gacon » ne soit pas fermé avant 1992, alors que les terrains correspondants devaient être remis à la société concessionnaire au plus tard le 31 décembre 1989 ; qu’à la suite de cette délibération et compte tenu de l’hostilité de la population de la commune au projet de fermeture du « Centre Gacon », la commune a entendu modifier unilatéralement le contrat de concession sur ce point ; que, saisie à plusieurs reprises et notamment par la lettre susmentionnée du 21 août 1990, par la société concessionnaire afin de voir l’équilibre financier du contrat rétabli, la commune a refusé de faire droit à ces demandes ; que les fautes ainsi commises par la commune sont suffisamment graves pour justifier la résiliation de la concession à ses torts ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune des Allues n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble, à qui il appartiendra de déterminer les droits à indemnisation de la Société anonyme MERIBEL 92 en tenant compte des fautes respectives de cette société et de la commune, a résilié la convention de concession litigieuse aux torts de cette dernière ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la Société anonyme MERIBEL 92, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la commune des Allues la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de faire application desdites dispositions et de condamner la commune des Allues à payer à la Société anonyme MERIBEL 92 une somme de 30 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative de Lyon en date du 30 août 1995 est annulé.
Article 2 : La requête présentée devant la cour administrative d’appel de Lyon par la commune des Allues et ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La commune des Allues est condamnée à payer une somme de 30 000 F à la société anonyme MERIBEL 92 en application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme MERIBEL 92, à la commune des Allues et au ministre de l’intérieur.