COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
(Requête no 8544/79)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 1984
En l’affaire Öztürk,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son règlement[*] et composée des juges dont le nom suit:
MM. G. Wiarda, président,
R. Ryssdal,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
W. Ganshof van der Meersch,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. D. Evrigenis,
L. Liesch,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
E. García de Enterría,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 septembre 1983 et 25 janvier 1984,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne (« le Gouvernement ») et la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission »). A son origine se trouve une requête (no 8544/79) dirigée contre cet État et dont un ressortissant turc, M. Abdulbaki Öztürk, avait saisi la Commission le 14 février 1979 en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Requête du Gouvernement et demande de la Commission ont été déposées au greffe dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), les 13 septembre et 15 octobre 1982 respectivement. La première renvoie à l’article 48 (art. 48); elle invite la Cour à conclure à l’absence de violation. La seconde vise à obtenir une décision sur le point de savoir s’il y a eu ou non, de la part de l’État défendeur, manquement aux obligations lui incombant aux termes de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e).
3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 1er octobre 1982, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. R. Ryssdal, M. Zekia, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha et E. García de Enterría, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. Thór Viljhálmsson et W. Ganshof van der Meersch, juges suppléants, ont remplacé MM. Zekia et García de Enterría, empêchés (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli, par l’intermédiaire du greffier adjoint, l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 19 octobre 1982, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 31 janvier 1983 pour déposer un mémoire auquel les délégués pourraient répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le leur aurait communiqué.
Après une prorogation de délai accordée au Gouvernement le 18 janvier 1983, le mémoire est parvenu au greffe le 24 février. Le 10 mars, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués présenteraient leurs propres observations lors des audiences.
5. Le 4 mai, le président a fixé au 25 la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier adjoint.
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire; elle avait autorisé l’emploi de la langue allemande par l’agent et les conseils du Gouvernement ainsi que par la personne assistant les délégués de la Commission (article 27 §§ 2 et 3 du règlement).
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
Mme I. Maier, Ministerialdirigentin
au ministère fédéral de la Justice, agent,
M. E. Göhler, Ministerialrat
au ministère fédéral de la Justice, conseiller;
– pour la Commission
M. S. Trechsel,
M. G. Sperduti, délégués,
Me N. Wingerter, conseil du requérant
devant la Commission assistant les délégués (article 29 §
1, seconde phrase, du règlement).
La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Mme Maier pour le Gouvernement, MM. Trechsel et Sperduti ainsi que Me Wingerter pour la Commission. Celle-ci a fourni au greffier certains documents qu’il lui avait demandés sur les instructions du président.
7. À l’issue d’une délibération qui a eu lieu le 27 mai, la Chambre a résolu, en vertu de l’article 48 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière.
Après avoir noté l’accord de l’agent du Gouvernement et l’avis, favorable, des délégués de la Commission, la Cour a décidé le 21 septembre que la procédure se poursuivrait sans réouverture des débats (article 26 du règlement).
8. Le 4 octobre, l’agent du Gouvernement a remis au greffier deux documents et sa réponse à deux questions que M. le juge Ganshof van der Meersch lui avait posées lors des audiences.
FAITS
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. M. Öztürk, ressortissant turc né en 1934, réside à Bad Rappenau-Heinsheim en République fédérale d’Allemagne.
Arrivé dans ce pays en 1964, il travaille dans l’industrie automobile. Après avoir passé l’examen nécessaire, il se vit délivrer le 7 mai 1969 un permis de conduire allemand.
En 1978, il chiffrait son revenu mensuel net à 2.000 DM environ.
10. Le 27 janvier 1978, au volant de sa voiture à Bad Wimpfen, il en percuta une autre qui se trouvait en stationnement; il causa ainsi aux deux véhicules un dommage d’environ 5.000 DM.Le propriétaire de l’automobile touchée signala l’accident à la police de Neckarsulm.
Au moyen d’un texte écrit en turc, les agents arrivés sur place informèrent le requérant, notamment, de son droit de se refuser à toute déclaration et de consulter un avocat. Il usa de ce droit, sur quoi la police transmit un procès-verbal (Verkehrs-Ordnungswidrigkeiten-Anzeige) à l’autorité administrative (Landratsamt) de Heilbronn.
11. Cette dernière, par une décision du 6 avril 1978, infligea à l’intéressé une amende (Bussgeld) de 60 DM pour avoir provoqué un accident de la route en entrant en collision avec un autre véhicule à la suite d’une conduite imprudente (« Ausserachtlassen der erforderlichen Sorgfalt im Strassenverkehr »); M. Öztürk avait à payer en outre 13 DM de droits (Gebühr) et frais (Auslagen).
La décision se fondait sur l’article 17 de la loi du 24 mai 1968 concernant les « contraventions administratives », dans sa version du 1er janvier 1975 (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten – « loi de 1968/1975 », paragraphe 18 ci-dessous), l’article 24 de la loi sur la circulation routière (Strassenverkehrsgesetz) et les articles 1 § 2 et 49 § 1 no 1 du règlement relatif à la circulation routière (Strassenverkehrs-Ordnung). L’article 1 § 2 de ce règlement se lit ainsi (traduction):
« Tout usager de la route a le devoir de se comporter de manière à ne pas nuire ni faire courir de risque à autrui, à ne pas le gêner ni importuner plus qu’il n’est inévitable en l’occurrence. »
D’après l’article 49 § 1 no 1 du règlement précité, quiconque enfreint l’article 1 § 2 commet une « contravention administrative » (Ordnungswidrigkeit); aux termes de l’article 24 § 2 de la loi sur la circulation routière, une telle contravention expose son auteur à une amende.
12. Le 11 avril 1978, le requérant, représenté par Me Wingerter, forma un recours (Einspruch) contre ladite décision (article 67 de la loi de 1968/1975); il précisa qu’il ne renoncerait pas à des débats publics devant le tribunal (article 72).
Le parquet (Staatsanwaltschaft) près le tribunal régional (Landgericht) de Heilbronn, auquel le dossier avait été communiqué le 5 mai, déclara six jours plus tard ne pas s’opposer à une procédure purement écrite; il ajouta qu’il ne participerait pas aux audiences (articles 69 et 75).
13. Le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Heilbronn siégea en public le 3 août 1978; il entendit M. Öztürk, qui bénéficiait de l’assistance d’un interprète, puis trois témoins. Aussitôt après, le requérant retira son recours. En conséquence, la décision de l’autorité administrative de Heilbronn, du 6 avril 1978, devint définitive (rechtskräftig).
14. Le tribunal avait délaissé à la charge de l’intéressé les frais de la procédure et ses propres frais. Le 12 septembre 1978, le greffe (Gerichtskasse) du tribunal cantonal en fixa le montant à 184 DM 70, dont 63 DM 90 pour les frais d’interprète.
15. Quant au dernier point, le requérant attaqua cet arrêté le 4 octobre (Erinnerung). Invoquant l’article 6 (art. 6) de la Convention, il se référait au rapport de la Commission, du 18 mai 1977, dans l’affaire Luedicke, Belkacem et Koç; à l’époque, celle-ci demeurait pendante devant la Cour qui rendit son arrêt au principal le 28 novembre 1978 (série A no 29).
Le tribunal cantonal débouta M. Öztürk le 25 octobre. Il souligna que l’obligation de supporter les frais d’interprète découlait des articles 464 a) du code de procédure pénale (Strafprozessordnung) et 46 de la loi de 1968/1975 (paragraphes 21 et 35 ci-dessous). Il l’estima compatible avec l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention en se fondant sur une décision de la Cour d’appel de Cologne, de 1975. Selon le tribunal, l’avis précité de la Commission ne changeait en rien cette situation car, à la différence d’un arrêt de la Cour, il ne liait pas les États.
16. Selon les indications non contestées fournies par le Gouvernement, les frais judiciaires, y compris ceux d’interprète, furent réglés par une compagnie d’assurances avec laquelle l’intéressé avait souscrit un contrat.
II. LA LÉGISLATION PERTINENTE
A. La loi de 1968/1975
17. La loi de 1968/1975 vise à faire sortir du droit pénal les infractions légères, considérées auparavant comme infractions pénales. Il s’agit notamment des contraventions à la loi sur la circulation routière. Dans son ancienne version, l’article 21 de celle-ci les frappait de peines d’amende (Geldstrafe) ou d’emprisonnement (Haft). L’article 3 no 6 de la loi du 24 mai 1968 (Einführungsgesetz zum Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) les qualifia d’ « Ordnungswidrigkeiten » et ne les réprima désormais qu’au moyen d’amendes regardées par le législateur comme non pénales (Geldbussen).
La loi de 1968/1975 a eu deux précurseurs en République fédérale: la loi du 25 mars 1952 sur les « contraventions administratives » (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) et, pour une part, celle du 26 juillet 1949 sur les infractions économiques (Wirtschaftsstrafgesetz).
1. Dispositions générales
18. L’article 1 § 1 de la loi de 1968/1975 définit la « contravention administrative » (Ordnungswidrigkeit) comme un acte illégal (rechtswidrig) et répréhensible (vorwerfbar), enfreignant une disposition légale qui en rend l’auteur passible d’une amende (Geldbusse). Celle-ci ne peut être inférieure à 5 DM ni, en règle générale, supérieure à 1.000 DM (article 17 § 1). Son montant est fixé dans chaque cas en fonction de l’importance de la contravention, du manquement reproché à l’auteur et, sauf pour les contraventions mineures (geringfügig), de la situation économique de ce dernier (article 17 § 3).
Si l’acte constitue à la fois une « contravention administrative » et une infraction pénale, seule entre en jeu la loi pénale; il peut cependant être réprimé en tant que « contravention administrative » si aucun prononcé de peine (Strafe) n’a lieu (article 21).
2. Les autorités de poursuite
19. Le traitement des Ordnungswidrigkeiten relève de l’autorité administrative (Verwaltungsbehörde) désignée par la loi, sauf dans la mesure où la loi de 1968/1975 en confie la poursuite au parquet et la répression au tribunal (articles 35 et 36). Si le parquet se trouve saisi au pénal, il peut également poursuivre le même acte comme « contravention administrative » (article 40).
20. Lorsque des indices donnent à penser qu’il y a infraction pénale, l’autorité administrative renvoie l’affaire au parquet; il lui retourne le dossier s’il n’ouvre pas de poursuites (article 41).En cas de « contravention administrative » connexe à une infraction pénale pour laquelle le parquet a engagé des poursuites, celui-ci peut les étendre à la contravention aussi longtemps que l’autorité administrative n’a pas fixé l’amende (article 42).
La décision, par le parquet, de poursuivre ou non un acte comme infraction pénale lie l’autorité administrative (article 44).
3. La procédure en général
21. Sous réserve des exceptions prévues par la loi de 1968/1975, les dispositions de droit commun régissant la procédure pénale, en particulier le code de procédure pénale, le code judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz) et la loi sur les juridictions pour enfants (Jugendgerichtsgesetz), s’appliquent par analogie (sinngemäss) à la procédure relative aux « contraventions administratives » (article 46 § 1). L’autorité de poursuite (paragraphe 19 ci-dessus) a les mêmes droits et obligations que le parquet en matière pénale à moins que la loi de 1968/1975 elle-même n’en décide autrement (article 46 § 2). Néanmoins, certaines mesures licites au pénal ne peuvent être ordonnées dans le domaine desdites contraventions, notamment l’arrestation, la garde à vue (vorläufige Festnahme) et la saisie d’envois postaux ou de télégrammes (article 46 § 3). La prise de sang et d’autres ingérences mineures, au sens de l’article 81 a) § 1 du code de procédure pénale, restent possibles.
22. La poursuite d’une telle contravention ressortit au pouvoir discrétionnaire (pflichtgemässes Ermessen) de l’autorité compétente, laquelle peut y mettre fin tant que l’affaire demeure pendante devant elle (article 47 § 1).
Une fois le tribunal saisi (paragraphes 27-28 ci-dessous), toute décision de clôture relève de lui; elle requiert l’accord du parquet et revêt un caractère définitif (article 47 § 2).
23. Dans la phase judiciaire (éventuelle) de la procédure, (paragraphes 28-30 ci-dessous), l’article 46 § 7 de la loi de 1968/1975 confie le soin de statuer à des sections (Abteilungen) des tribunaux cantonaux ainsi qu’à des chambres (Kammern; Senate) des cours d’appel (Oberlandesgerichte) et de la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof).
4. La procédure préliminaire
24. La recherche (Erforschung) des « contraventions administratives » incombe aux autorités de police. Elles jouissent en la matière d’un pouvoir discrétionnaire (pflichtgemässes Ermessen); pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose autrement, elles ont les mêmes droits et obligations qu’au pénal (article 53 § 1).
25. Avant toute décision, l’intéressé (Betroffener) doit avoir l’occasion de se prononcer devant l’autorité compétente sur le reproche qu’on lui adresse (article 55).
Dans le cas d’une contravention mineure (geringfügig), l’autorité administrative peut lui donner un avertissement (Verwarnung) et exiger de lui le versement d’une amende de mise en garde (Verwarnungsgeld) qui sauf exception prévue dans la loi applicable, se situe entre 2 et 20 DM (article 56 § 1). Toutefois, une telle sanction ne vaut que s’il l’a acceptée et s’il paie l’amende immédiatement ou dans le délai d’une semaine (article 56 § 2).
26. L’autorité administrative, dans la procédure qui se déroule devant elle, désigne au besoin à l’intéressé un avocat d’office (article 60).
Les mesures prises par elle jusqu’à ce stade peuvent en principe être attaquées devant les tribunaux (article 62).
5. La décision administrative infligeant une amende
27. Pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose pas autrement – comme dans le cas où l’affaire se règle par le versement d’une amende de mise en garde -, la contravention est réprimée par une décision administrative infligeant une amende (Bussgeldbescheid; article 65).
L’intéressé peut exercer un recours (Einspruch) dans un délai d’une semaine (article 67). A moins de retirer sa décision, l’autorité administrative communique le dossier au parquet qui le soumet au juge cantonal compétent (articles 69 § 1 et 68) et qui assume le rôle d’autorité de poursuite (article 69 § 2).
6. La phase judiciaire (éventuelle) de la procédure
28. Aux termes de l’article 71, si le tribunal estime le recours recevable (article 70) il l’examine, sauf indication contraire de la loi de 1968/1975, conformément aux règles applicables en cas d’ »Einspruch » contre une ordonnance pénale (Strafbefehl): en principe, il tient des audiences et rend un jugement (Urteil) qui peut prononcer une sanction plus lourde (article 411 du code de procédure pénale).
Toutefois, le tribunal peut statuer par ordonnance (Beschluss) si des débats ne lui paraissent pas nécessaires et en l’absence d’objections du parquet ou de l’intéressé (article 72 § 1). En pareil cas, il peut notamment acquitter celui-ci, fixer une amende ou arrêter les poursuites, mais non aggraver la sanction (article 72 § 2).
29. L’intéressé a la faculté de comparaître en personne mais n’y est pas tenu, sauf si le tribunal l’y a invité (article 73 §§ 1 et 2); il peut se faire représenter par un défenseur (article 73 § 4).
Le ministère public peut assister aux débats; si le tribunal estime appropriée la venue d’un magistrat du parquet, il en avise ce dernier (article 75 § 1).
Le tribunal offre à l’autorité administrative l’occasion d’indiquer les éléments qui, d’après elle, importent pour la décision à rendre; il lui accorde la parole lorsqu’elle le souhaite (article 76 § 1).
30. Sous certaines conditions, l’article 79 ouvre un recours de droit (Rechtsbeschwerde) contre le jugement ou contre l’ordonnance prise en vertu de l’article 72. Pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose pas autrement, la juridiction compétente statue en se conformant, par analogie, aux prescriptions du code de procédure pénale relatives à la cassation (Revision).
7. Procédure administrative et procédure pénale
31. La qualification de « contravention administrative » donnée à l’acte par l’autorité administrative ne lie pas le tribunal appelé à connaître du recours (Einspruch); il ne peut cependant appliquer la loi pénale que si l’intéressé a été averti du changement et mis à même de se défendre (article 81 § 1). Cette condition une fois remplie, d’office ou à la demande du parquet, l’intéressé a le statut de prévenu (Angeklagter, article 81 § 2) et la procédure ultérieure échappe à l’empire de la loi de 1968/1975 (article 81 § 3).
8. Exécution des décisions infligeant une amende
32. Une décision infligeant une amende est exécutoire dès qu’elle revêt un caractère définitif (articles 89 et 84). Quand elle émane de l’autorité administrative, son exécution obéit, selon le cas, à la loi fédérale ou à celle d’un Land sur l’exécution en matière administrative (Verwaltungs- Vollstreckungsgesetze), à moins que la loi de 1968/1975 ne prévoie le contraire (article 90 § 1). Dans le cas d’une décision judiciaire s’appliquent, entre autres, certaines dispositions pertinentes du code de procédure pénale (article 91).
33. Si, sans avoir démontré (dargetan) son insolvabilité, l’intéressé n’a pas payé l’amende dans le délai voulu, le tribunal peut, à la requête de l’autorité administrative ou, dans l’hypothèse d’une amende infligée par décision judiciaire, d’office, ordonner la contrainte par corps (Erzwingungshaft – article 96 § 1). La détention qui en résulte ne remplace pas le paiement de l’amende à la manière de l’Ersatzfreiheitsstrafe en droit pénal: elle vise à y forcer l’intéressé. Sa durée ne doit pas dépasser six semaines pour une seule amende et trois mois pour plusieurs (article 96 § 3); son exécution se règle d’après, notamment, le code de procédure pénale (article 97).
9. Frais d’interprète et autres
34. Quant aux frais de la procédure administrative, l’autorité compétente applique par analogie certaines des clauses du code de procédure pénale (article 105).
35. Aux termes de l’article 109, l’intéressé supporte les frais de la procédure judiciaire s’il retire son « Einspruch » ou si le tribunal compétent rejette ce dernier.
Lesdits frais se composent des dépenses du Trésor public et des droits à lui verser (article 464 a), § 1, première phrase, du code de procédure pénale). Leur liste figure dans la loi sur les frais de justice (Gerichtskostengesetz), laquelle renvoie entre autres à la loi sur l’indemnisation des témoins et experts (Gesetz über die Entschädigung von Zeugen und Sachverständigen); d’après l’article 17 § 2 de cette dernière, « les interprètes sont indemnisés au même titre que les experts ».
Les frais d’interprète (Dolmetscherkosten) font ainsi partie des frais de la procédure judiciaire. Toutefois, en ce qui concerne la procédure pénale – et elle seule – le législateur allemand a modifié l’annexe (Kostenverzeichnis) à la loi sur les frais de justice à la suite de l’arrêt Luedicke, Belkacem et Koç du 28 novembre 1978 (paragraphe 15 ci-dessus; voir aussi la résolution DH (83) 4 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, du 23 mars 1983). Selon le no 1904 de cette annexe, il n’y a plus lieu de prélever « les sommes revenant aux interprètes et traducteurs engagés dans une procédure pénale pour traduire, à l’intention d’un inculpé muet, sourd ou ne connaissant pas la langue allemande, les déclarations ou pièces qu’il lui faut connaître pour sa défense » (loi du 18 août 1980).
36. Aux termes de l’article 109 de la loi de 1968/1975, la question du paiement des frais de procédure, dont les frais d’interprète, ne se pose qu’une fois le retrait ou rejet du recours devenu définitif; l’intéressé ne peut jamais être appelé à payer une avance sur les frais dont il s’agit.
B. Les amendes en matière de circulation routière
37. La loi sur la circulation routière, le règlement relatif à la circulation routière et celui qui a trait au droit de conduire (Strassenverkehrs-Zulassungs-Ordnung) énumèrent des « contraventions administratives » punissables d’amende (article 24 de la loi sur la circulation routière).
Dans le cas d’une « contravention administrative » commise en violation grossière (grob) et persistante (beharrlich) des obligations de conducteur, l’autorité administrative ou, s’il y a eu recours, le tribunal peuvent priver en même temps celui-ci de son permis (Fahrverbot) pour une période d’un à trois mois (article 25 de la loi sur la circulation routière). D’après le Gouvernement, en 1982 pareille mesure a été prise dans 0,5 % des cas.
38. Les Länder ont adopté de concert des dispositions (Verwaltungsvorschriften) instituant un catalogue uniforme d’amendes pour les diverses contraventions de ce genre (Bussgeldkatalog); juridiquement, elles lient les autorités administratives habilitées à prononcer des amendes, mais non les tribunaux.
L’article 26 a) de la loi sur la circulation routière, inséré dans celle-ci le 28 décembre 1982 et non encore suivi d’effet, prévoit que le ministre des transports édictera de telles dispositions avec l’accord du Bundesrat et sous forme de décret (Rechtsverordnung).
39. Aux termes de l’article 28 de la même loi, une amende pour contravention aux règles de la circulation routière peut figurer sur un registre central de la circulation (Verkehrszentralregister) dans des cas donnés, si elle dépasse un certain niveau (39 DM à l’époque des faits de la cause, 79 DM depuis le 1er juillet 1982); en revanche, elle ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire (Bundeszentral- register). L’inscription doit être effacée après deux ans au maximum, à moins qu’il n’y en ait eu de nouvelles entre temps (article 29).
Seules certaines autorités ont accès audit registre, notamment aux fins de poursuites pénales ou de poursuites pour « contravention administrative » en matière de circulation routière (article 30).
40. Selon les indications non contestées du Gouvernement, la loi de 1968/1975 joue en pratique un rôle particulièrement important dans le domaine de la circulation routière; ainsi, 90 % des amendes infligées en 1982 avaient trait à des contraventions routières.
On compterait chaque année, en République fédérale d’Allemagne, de 4.700.000 à 5.200.000 décisions prononçant une amende (Geldbusse) et 15.500.000 à 16.000.000 avertissements assortis d’amendes (Verwarnungsgelder). D’après les statistiques des Länder sur les infractions dont il s’agit, en 1982 le pourcentage des amendes supérieures à 200 et 500 DM n’aurait atteint que 1,5 et 0,1 respectivement, contre 10,8 pour celles de 101 à 200 DM, 39,4 pour celles de 41 à 100 DM et 48,2 pour celles de 40 DM ou moins.
43,4 % des infractions routières consisteraient en contraventions aux interdictions d’arrêt et de stationnement, environ 17,1 % en excès de vitesse, 6,5 % en non-respect de signaux lumineux et 5,9 % en dépassements illicites. Les autres totaliseraient moins de 4 % par catégorie; celles que vise l’article 1 § 2 du règlement relatif à la circulation routière, appliqué dans le cas du requérant (paragraphe 11 ci-dessus), se situeraient autour de 2,8 %.
41. Nonobstant l’absence de statistiques à cet égard, le Gouvernement estime que 10 % à 13 % des quelque cinq millions d’amendes imposées chaque année concernent des étrangers.Sur les 4.670.000 étrangers vivant en République fédérale, environ 2.000.000 posséderaient une automobile.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
42. Dans sa requête du 14 février 1979 à la Commission (no 8544/79), M. Öztürk reprochait au tribunal cantonal de Heilbronn d’avoir mis à sa charge les frais d’interprète; il invoquait l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention.
43. La Commission a retenu la requête le 15 décembre 1981.
Dans son rapport du 12 mai 1982 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle exprime, par huit voix contre quatre, l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e).
Le rapport comprend deux opinions dissidentes.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
44. À l’issue des audiences du 25 mai 1983, le Gouvernement a invité la Cour « à constater que la République fédérale d’Allemagne n’a pas violé la Convention ».
EN DROIT
45. Aux termes de l’article 6 (art. 6) de la Convention,
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
(…)
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
D’après le requérant, le tribunal cantonal de Heilbronn a méconnu l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) en mettant à sa charge les frais causés par le recours aux services d’un interprète lors de l’audience du 3 août 1978.
I. SUR L’APPLICABILITE DE L’ARTICLE 6 § 3 e) (art. 6-3-e)
46. Selon le Gouvernement, l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) ne s’applique pas en l’espèce car le requérant ne se trouvait pas « accusé » d’une « infraction pénale ». D’après la législation de 1968/1975, qui a « décriminalisé » les petites infractions, notamment dans le domaine de la circulation routière, les faits reprochés à M. Öztürk constituaient une simple « contravention administrative » (Ordnungswidrigkeit). Or pareille contravention se distinguerait de l’infraction pénale tant par la procédure prescrite pour la poursuivre et réprimer que par ses caractéristiques et conséquences juridiques.
Le requérant conteste le bien-fondé de cette thèse. La Commission n’y souscrit pas davantage: pour elle, l’infraction dont l’intéressé avait à répondre relève bien de la « matière pénale » au sens de l’article 6 (art. 6).
47. L’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) ne vaut que pour un « accusé ». Il ressort de sa version anglaise (« charged with a criminal offence ») et du paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1) (« accusation en matière pénale ») – texte de base dont les paragraphes 2 et 3 (art. 6-2, art. 6-3) représentent des applications particulières (arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, p. 30, § 56) – que l’ »accusation » visée au paragraphe 3 e) (art. 6-3-e) doit porter sur une « infraction pénale » (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Adolf du 26 mars 1982, série A no 49, p. 15, § 30).
D’après le droit allemand, le manquement commis par M. Öztürk ne s’analysait pas en une infraction pénale (Straftat) mais en une « contravention administrative » (Ordnungswidrigkeit). La question se pose de savoir si cette qualification est décisive au regard de la Convention.
48. La Cour a rencontré un problème analogue dans l’affaire Engel et autres, mentionnée d’ailleurs par les comparants. A la vérité, celle-ci concernait des sanctions infligées à des appelés du contingent et considérées comme disciplinaires par la législation néerlandaise; dans son arrêt, rendu le 8 juin 1976, la Cour a pris soin de préciser qu’elle se limitait au domaine du service militaire (série A no 22, p. 34, § 82). Elle n’en estime pas moins que les principes se dégageant dudit arrêt (ibidem, pp. 33-35, §§ 80-82) entrent aussi en ligne de compte, mutatis mutandis, dans la présente affaire.
49. La Convention n’empêche pas les Etats, dans l’accomplissement de leur rôle de gardiens de l’intérêt public, d’établir ou maintenir une distinction entre différents types d’infractions définis par le droit interne et d’en fixer le tracé, mais il ne s’ensuit pas que la qualification ainsi adoptée soit déterminante aux fins de la Convention.
Le législateur qui soustrait certains comportements à la catégorie des infractions pénales du droit interne peut servir à la fois l’intérêt de l’individu (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Engel et autres précité, ibidem, p. 33, § 80) et les impératifs d’une bonne administration de la justice, notamment dans la mesure où il décharge les autorités judiciaires de la poursuite et de la répression de manquements, nombreux mais de peu d’importance, à des règles de la circulation routière. La Convention ne va pas à l’encontre des tendances à la « décriminalisation » existant – sous des formes fort diverses – dans les États membres du Conseil de l’Europe; le Gouvernement a raison d’y insister. Toutefois, si les États contractants pouvaient à leur guise, en qualifiant une infraction d’ »administrative » plutôt que de pénale, écarter le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7), l’application de celles-ci se trouverait subordonnée à leur volonté souveraine. Une latitude aussi étendue risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention.
50. Ayant ainsi réaffirmé l’ »autonomie » de la notion de « matière pénale » telle que la conçoit l’article 6 (art. 6), la Cour doit rechercher si la « contravention administrative » commise par le requérant relève ou non de ladite « matière ». A cette fin, elle retient les critères adoptés dans son arrêt Engel précité (ibidem, pp. 34-35, § 82): il importe d’abord de savoir si le texte définissant l’infraction en cause ressortit ou non au droit pénal d’après la technique juridique de l’État défendeur; il y a lieu d’examiner ensuite, eu égard à l’objet et au but de l’article 6 (art. 6), au sens ordinaire de ses termes et au droit des États contractants, la nature de l’infraction ainsi que la nature et le degré de gravité de la sanction que risquait de subir l’intéressé.
51. En droit allemand, le fait reproché à M. Öztürk – méconnaissance de l’article 1 § 2 du règlement relatif à la circulation routière – revêtait le caractère d’une « contravention administrative » (article 49 § 1 no 1 dudit règlement). Il tombait sous le coup non du droit pénal, mais de l’article 17 de l’Ordnungswidrigkeitengesetz et de l’article 24 § 2 de la loi sur la circulation routière (paragraphe 11 ci-dessus). La législation de 1968/1975 marque une étape importante dans le processus de « décriminalisation » des infractions légères en République fédérale. Si la doctrine allemande ne semble pas unanime à considérer que le droit des « contraventions administratives » n’appartient plus en réalité au droit pénal, les travaux préparatoires de la loi de 1968/1975 n’en confirment pas moins clairement que cette dernière a soustrait à la loi pénale les infractions dont il s’agit (Deutscher Bundestag, Drucksache V/1269 et, parmi d’autres, l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 juillet 1969, Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, vol. 27, pp. 18-36).
Si donc la Cour accepte sur ce point l’argumentation du Gouvernement, elle n’oublie pas pour autant qu’il n’existe pas de cloison étanche entre le droit pénal allemand et le droit des « contraventions administratives », notamment en cas de connexité (paragraphe 20 ci-dessus); elle ne perd pas non plus de vue que les dispositions du droit commun régissant la procédure pénale s’appliquent par analogie à la procédure engagée pour une telle infraction (paragraphe 21 ci-dessus) et en particulier à sa phase judiciaire éventuelle.
52. De toute manière, les indications que fournit le droit interne de l’État défendeur n’ont qu’une valeur relative. Le deuxième des critères énoncés plus haut – la nature même de l’infraction, considérée aussi en rapport avec celle de la sanction correspondante – représente un élément d’appréciation de plus grand poids.
D’après la Commission – sauf cinq de ses membres – et M. Öztürk, l’infraction accomplie par celui-ci était pénale par nature.
Pour le Gouvernement au contraire, elle se rangeait à n’en pas douter parmi les manquements de peu d’importance dont on compterait environ cinq millions chaque année en République fédérale et qui constitueraient un aliud par rapport aux infractions pénales. Par son droit pénal, la société s’efforcerait de protéger ses fondements mêmes ainsi que les droits et intérêts essentiels pour la vie de la collectivité. Le droit des Ordnungswidrigkeiten, lui, chercherait surtout à maintenir l’ordre. En règle générale et en tout cas en l’espèce, les « contraventions administratives » ne témoigneraient pas d’une indignité propre à valoir à leur auteur le jugement défavorable (Unwerturteil) qui caractériserait la peine (Strafe). La différence existant entre elles et les infractions pénales se manifesterait dans le domaine de la procédure comme sur le terrain des sanctions et autres conséquences juridiques.
Tout d’abord, en soustrayant lesdites contraventions à la loi pénale le législateur allemand aurait instauré, pour leur poursuite et leur répression, une procédure simplifiée se déroulant devant des autorités administratives sauf recours ultérieur à un tribunal. La procédure organisée par la loi de 1968/1975 se distinguerait sur bien des points de la procédure pénale quoique les lois générales régissant cette dernière s’y appliquent en principe par analogie. Par exemple, la poursuite des Ordnungswidrigkeiten ressortirait au pouvoir discrétionnaire des autorités compétentes et la loi de 1968/1975 limiterait grandement la possibilité de restreindre la liberté personnelle de l’individu au stade de l’instruction (paragraphes 21, 22 et 24 ci-dessus).
En second lieu, à l’amende pénale (Geldstrafe) et à l’emprisonnement le législateur aurait substitué une simple amende administrative (Geldbusse, paragraphe 17 ci-dessus). Contrairement à la première, la seconde ne pourrait être remplacée par une détention (Ersatzfreiheitsstrafe); il ne pourrait y avoir contrainte par corps (Erzwingungshaft) que si l’assujetti ne paie pas la somme exigée, sans pour autant avoir démontré son insolvabilité (paragraphe 33 ci-dessus). En outre, la « contravention administrative » ne figurerait pas au casier judiciaire mais uniquement, le cas échéant, au registre central de la circulation (paragraphe 39 ci-dessus).
L’oeuvre réalisée en 1968/1975 refléterait ainsi le souci de « décriminaliser » les infractions légères dans l’intérêt de l’individu, qui n’aurait plus à répondre de son acte sur le plan pénal et pourrait même éviter toute procédure judiciaire, mais aussi du bon fonctionnement des tribunaux, désormais déchargés en principe de la répression de la grande majorité d’entre elles.
53. La Cour ne sous-estime pas la valeur de cette thèse. Elle admet que la législation dont il s’agit marque une étape importante dans l’histoire de la réforme du droit pénal allemand et que les innovations introduites en 1968/1975 ne se ramènent pas à un pur changement d’appellation.
Elle constate cependant, tout d’abord, que selon le sens ordinaire des termes relèvent en général du droit pénal les infractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistent d’habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes.
D’autre part, un manquement du genre de celui de M. Öztürk continue à ressortir au droit pénal dans une large majorité des États contractants, comme en République fédérale jusqu’à l’entrée en vigueur de la législation de 1968/1975: considéré comme illégal et répréhensible, il y est sanctionné par des peines.
Au surplus, les modifications résultant de ladite législation portent pour l’essentiel sur la procédure et sur la gamme des sanctions, dorénavant limitée à la Geldbusse. Si cette dernière paraît à certains égards moins afflictive que la Geldstrafe, elle n’en a pas moins conservé le caractère punitif par lequel se distinguent d’habitude les sanctions pénales. Quant à la règle de droit transgressée par le requérant, elle n’a subi aucun changement de contenu. Elle ne s’adresse pas à un groupe déterminé à statut particulier – à la manière, par exemple, du droit disciplinaire -, mais à tous les citoyens en leur qualité d’usagers de la route; elle leur prescrit un certain comportement et assortit cette exigence d’une sanction punitive. Celle-ci, et le Gouvernement ne le conteste pas, cherche à dissuader en même temps qu’à réprimer. Il importe peu de savoir si la disposition légale méconnue par M. Öztürk vise à protéger les droits et intérêts d’autrui ou seulement à satisfaire aux exigences de la circulation. Ces deux finalités ne s’excluent point mutuellement; surtout, le caractère général de la norme et le but, à la fois préventif et répressif, de la sanction suffisent à établir, au regard de l’article 6 (art. 6) de la Convention, la nature pénale de l’infraction litigieuse.
Sans doute s’agissait-il d’une infraction légère ne risquant guère de nuire à la réputation de son auteur, mais elle ne sortait pas pour autant du champ d’application de l’article 6 (art. 6). Rien ne donne en effet à penser que l’infraction pénale (criminal offence), au sens de la Convention, implique nécessairement un certain degré de gravité. A cet égard, nombre d’États contractants distinguent aujourd’hui encore, comme la République fédérale le faisait à l’époque de l’ouverture de la Convention à la signature des gouvernements, entre crimes, délits et contraventions tout en les qualifiant les uns et les autres d’infractions pénales. En outre, il serait contraire à l’objet et au but de l’article 6 (art. 6), qui garantit aux « accusés » le droit à un tribunal et à un procès équitable, de permettre à l’État de soustraire à l’empire de ce texte toute une catégorie d’infractions pour peu qu’il les juge légères. La République fédérale ne prive du reste pas de ce droit les auteurs présumés d’Ordnungswidrigkeiten puisqu’elle leur accorde la possibilité – dont le requérant a usé – de recourir devant un tribunal contre la décision administrative.
54. Comme le manquement commis par M. Öztürk revêtait un caractère pénal au regard de l’article 6 (art. 6) de la Convention, il ne s’impose pas de l’examiner de surcroît sous l’angle du dernier des critères énoncés plus haut (paragraphe 50 ci-dessus). La faiblesse relative de l’enjeu (paragraphe 18 ci-dessus) ne saurait retirer à une infraction son caractère pénal intrinsèque.
55. Le Gouvernement semble considérer de surcroît que l’intéressé n’avait pas la qualité d’ »accusé » parce que la loi de 1968/1975 ne connaît aucune « inculpation » (Beschuldigung) et n’emploie pas les termes « inculpé » (Angeschuldigter) ni « accusé » (Angeklagter). Sur ce point, la Cour se borne à renvoyer à sa jurisprudence constante: au sens de l’article 6 (art. 6), l’ »accusation » peut en général se définir « comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale », encore qu’elle puisse dans certains cas prendre « la forme d’autres mesures impliquant un tel reproche et entraînant elles aussi des répercussions importantes sur la situation du suspect » (voir, en dernier lieu, l’arrêt Foti et autres du 10 décembre 1982, série A no 56, p. 18, § 52, et l’arrêt Corigliano de même date, série A no 57, p. 13, § 34). En l’occurrence, le requérant se trouvait « accusé » au plus tard depuis le début du mois d’avril 1978, lorsque lui fut communiquée la décision de l’autorité administrative de Heilbronn (paragraphe 11 ci-dessus).
56. L’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) s’appliquait donc en l’espèce. Il n’en résulte point, la Cour tient à le préciser, que le système adopté en la matière par le législateur allemand soit en cause dans son principe. Eu égard au grand nombre des infractions légères, notamment dans le domaine de la circulation routière, un État contractant peut avoir de bons motifs de décharger ses juridictions du soin de les poursuivre et de les réprimer. Confier cette tâche, pour de telles infractions, à des autorités administratives ne se heurte pas à la Convention pour autant que l’intéressé puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de l’article 6 (art. 6) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Deweer précité, série A no 35, p. 25, § 49, et l’arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A no 43, p. 23, premier alinéa).
II. SUR L’OBSERVATION DE L’ARTICLE 6 § 3 e) (art. 6-3-e)
57. Se fondant sur l’arrêt Luedicke, Belkacem et Koç du 28 novembre 1978 (paragraphes 15 et 35 ci-dessus), le requérant estime contraire à l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) la décision par laquelle le tribunal cantonal de Heilbronn lui a fait supporter les frais occasionnés par le recours aux services d’un interprète à l’audience du 3 août 1978.
La Commission se prononce dans le même sens. Le Gouvernement, lui, plaide l’absence de violation, mais il concentre ses arguments sur le problème de l’applicabilité de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e), sans discuter la manière dont la Cour a interprété cette disposition en 1978.
58. A la lumière de l’arrêt précité, la Cour constate que la décision incriminée du tribunal cantonal de Heilbronn a enfreint la Convention: « le droit protégé par l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) comporte, pour quiconque ne parle ou ne comprend pas la langue employée à l’audience, le droit d’être assisté gratuitement d’un interprète sans pouvoir se voir réclamer après coup le paiement des frais résultant de cette assistance » (série A no 29, p. 19, § 46).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
59. A l’audience du 25 mai 1983, le conseil du requérant a sollicité pour son client, à titre de satisfaction équitable, le remboursement des 63 DM 90 de frais d’interprète et le versement des frais d’avocat engagés devant les organes de la Convention; sur le montant de ces frais, il a déclaré s’en remettre à l’appréciation de la Cour.
L’agent du Gouvernement n’a pas estimé devoir s’exprimer sur la demande dans l’immédiat; il a signalé qu’il consentirait, le cas échéant, à une simple procédure écrite.
60. La Cour considère que la question ne se trouve pas encore en état et qu’il y a donc lieu de la réserver (article 50 § 3 du règlement). Elle délègue à son président le soin de fixer la procédure ultérieure.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par treize voix contre cinq, que l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention s’appliquait en l’espèce;
2. Dit, par douze voix contre six, qu’il y a eu violation de cet article (art. 6-3-e);
3. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
en conséquence,
a) la réserve en entier;
b) délègue à son président le soin de fixer la procédure ultérieure.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le vingt-et-un février mil neuf cent quatre-vingt-quatre.
Luzius Wildhaber – Président
Maud de Boer-Buquicchio – Greffière adjointe
[1]Notes du greffe
1-2. Entré en vigueur le 1er novembre 1998.
[3]3. Depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, qui a amendé cette disposition, la Cour fonctionne de manière permanente.
[1]1. Note du greffe : le règlement A s’est appliqué à toutes les affaires déférées à la Cour avant le 1er octobre 1994 (entrée en vigueur du Protocole n° 9) puis, entre cette date et le 31 octobre 1998, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole.
[2]. Note du greffe : pour des raisons d’ordre pratique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.