COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE GRADINGER c. AUTRICHE
(Requête no 15963/90)
ARRÊT
STRASBOURG
23 octobre 1995
En l’affaire Gradinger c. Autriche [1],
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A [2], en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
S.K. Martens,
I. Foighel,
J.M. Morenilla,
Sir John Freeland,
M. J. Makarczyk,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 avril et 28 septembre 1995,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 septembre 1994, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 15963/90) dirigée contre la République d’Autriche et dont un ressortissant de cet Etat, M. Josef Gradinger, avait saisi la Commission le 22 mai 1989 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration autrichienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 4 du Protocole n° 7 (P7-4).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et désigné son conseil (article 30), que le président a autorisé à employer l’allemand pendant la procédure écrite (article 27 par. 3).
3. Le 24 septembre 1994, le président de la Cour a estimé qu’il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l’article 21 par. 6 du règlement A et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, l’examen de la présente cause et des affaires Schmautzer, Umlauft, Pramstaller, Palaoro et Pfarrmeier c. Autriche [3].
La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour(article 21 par. 3 b) du règlement A). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. S.K. Martens, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla, Sir John Freeland et M. J. Makarczyk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement autrichien (« le Gouvernement »), l’avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du Gouvernement et du requérant sont parvenus au greffier les 24 et 30 janvier 1995; les prétentions de M. Gradinger au titre de l’article 50 (art. 50) ont été déposées le 14 mars. Le 21 mars, la Commission a fourni au greffier divers documents qu’il avait demandés sur les instructions du président.
5. Ainsi qu’en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 26 avril 1995, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
M. F. Cede, ambassadeur, chef du département
de droit international, ministère fédéral
des Affaires étrangères,agent,
Mmes I. Sieß, département constitutionnel,
chancellerie fédérale,
E. Bertagnoli, département de droit
international, ministère fédéral des
Affaires étrangères,conseillères;
– pour la Commission
M. A. Weitzel,délégué;
– pour le requérant
Me R. Fiebinger, avocat,conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Weitzel, Me Fiebinger et M. Cede.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Citoyen autrichien, M. Gradinger réside à St Pölten (Basse-Autriche).
7. Le 1er janvier 1987, vers 4 heures du matin, il provoqua au volant de sa voiture un accident de la route qui entraîna la mort d’un cycliste.
A l’hôpital où il fut conduit pour y être soigné, il subit une prise de sang qui révéla un taux d’alcoolémie de 0,8 g/l au moment du prélèvement.
8. Le 15 mai 1987, le tribunal régional (Landesgericht) de St Pölten le condamna pour homicide par imprudence (fahrlässige Tötung) à 200 unités journalières à 160 schillings autrichiens (ATS) et, subsidiairement, à 100 jours d’emprisonnement (article 80 du code pénal, Strafgesetzbuch, paragraphe 13 ci-dessous).
D’après le requérant, un expert, le Dr Psick, a déclaré à l’audience qu’eu égard au court laps de temps entre le dernier verre consommé par l’intéressé et la collision, ce dernier n’avait puabsorber une quantité d’alcool dépassant le maximum autorisé par la loi.
Le procès-verbal d’audience et de jugement (Protokolls- und Urteilsvermerk) du tribunal mentionne que d’après celui-ci, l’intéressé avait certes bu avant l’accident, mais pas au point d’entraîner l’application de l’article 81 par. 2 du code pénal, lequel prévoit une peine aggravée pour l’homicide par imprudence commis sous l’effet de l’alcool (paragraphe 14 ci-dessous).
9. Le 16 juillet 1987, l’administration du district (Bezirkshauptmannschaft) de St Pölten prit une « décision pénale » (Straferkenntnis) condamnant M. Gradinger, pour conduite en étatd’ébriété, à une amende de 12 000 ATS et, subsidiairement, à une peine de deux semaines d’emprisonnement. Elle se fondait sur les articles 5 par. 1 et 99 par. 1 a) du code de la route de 1960 (Straßenverkehrsordnung, paragraphes 15-16 ci-dessous) et sur un autre rapport médical, du 5 février 1987, d’après lequel, compte tenu de la période séparant la collision de la prise de sang, le taux d’alcoolémie de l’intéressé au moment de l’accident devait avoir atteint 0,95 g/l au minimum.
10. Le requérant en appela au gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Basse-Autriche, qui le débouta le 27 juillet 1988, en s’appuyant sur une nouvelle expertise, du 16 juin 1988, qui avait conclu à un taux de 0,9 g/l.
11. Le 11 octobre 1988, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) décida de ne pas retenir pour examen le recours de l’intéressé, considérant qu’il ne présentait pas suffisamment de chances de succès.
12. Saisie à son tour, la Cour administrative rejeta le recours pour manque de fondement le 29 mars 1989. L’administration du Land n’aurait nullement méconnu la loi en estimant qu’au moment des faits, M. Gradinger se trouvait en état d’ébriété au sens de l’article 5 par. 1 du code de la route. Cette constatation reposerait en effet sur une expertise du 16 juin 1988, laquelle partait du principe que la quantité d’alcool consommée par le requérant était résorbée au moment de l’accident, ce que du reste l’intéressé n’aurait pas contesté. Celui-ci prétendrait donc à tort que l’expertise n’aurait pas analysé les effets du dernier verre pris avant son accident.
En outre, l’administration aurait agi conformément à la loi en chargeant un expert officiel (Amtssachverständiger) et non un expert judiciaire assermenté (gerichtlich beeideterSachverständiger) de lui faire rapport sur le taux d’alcoolémie de M. Gradinger; en l’espèce, aucune raison particulière ne l’autorisait à procéder autrement. Contrairement aux affirmations du requérant, elle n’aurait pas non plus pris le même expert que celui sollicité en première instance par l’administration du district (paragraphe 9 ci-dessus).
Quant à l’article 14 par. 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, consacrant le principe non bis in idem, il ne serait pas directement applicable dans l’ordre juridique interne autrichien. Aussi l’administration n’aurait-elle pas méconnu la loi en sanctionnant le requérant après qu’une juridiction pénale l’eut acquitté (paragraphe 8 ci-dessus).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le droit matériel
1. Le code pénal
13. Aux termes de l’article 80 du code pénal (Strafgesetzbuch):
« Sera puni d’une peine d’un an d’emprisonnement au plus, quiconque aura provoqué par imprudence la mort d’autrui. »
14. L’article 81 par. 2 du code pénal se lit ainsi:
« Sera puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement au plus, quiconque aura par imprudence provoqué la mort d’autrui
1. (…)
2. après s’être mis, même involontairement, par la consommation d’alcool (…), dans un état d’ivresse n’excluant pas la responsabilité, bien qu’il eût prévu ou pu prévoir qu’il entreprendrait une activité dont l’exercice dans cet étatpourrait créer (…) un danger pour la vie (…) d’autrui. »
En vertu d’une présomption irréfragable appliquée par les juridictions pénales, un conducteur ayant un taux d’alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l se trouve en « état d’ivresse » au sens de l’article 81 par. 2 du code pénal (Foregger/Serini, Kurzkommentar zum Strafgesetzbuch, 4e édition, 1988, p. 217).
2. Le code de la route
15. L’article 5 du code de la route de 1960 interdit la conduite d’un véhicule à toute personne ayant un taux d’alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l dans le sang ou à 0,4 mg/l dans l’haleine; il définit en outre les conditions d’utilisation des alcootests et des tests sanguins.
16. Depuis le 1er mai 1986, l’article 99 par. 1 a) dudit code dispose:
« Commet une contravention administrative (Verwaltungsübertretung) passible d’une amende de 8 000 à 50 000 schillings ou, à défaut de paiement, d’un emprisonnement de une à six semaines, quiconque:
a) conduit un véhicule (…) alors qu’il se trouve sous l’empire de l’alcool (…) »
17. En 1958, à l’époque de la ratification de la Convention par le gouvernement autrichien (paragraphe 28 ci-dessous), l’article 7 de la loi de 1947 sur la police de la circulation (Straßenpolizeigesetz) prévoyait que « toute personne a l’obligation de conduire en prêtant une attention raisonnable aux autres usagers de la route et en faisant preuve du soin et de l’application nécessaires au maintien de l’ordre, de la sécurité et de la bonne circulation routière ».
B. Le droit procédural
18. L’article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) est ainsi libellé:
« En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi. »
1. Le recours devant la Cour constitutionnelle
19. Aux termes de l’article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien.
Le paragraphe 2 de l’article 144 prévoit:
« Jusqu’à l’audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d’une décision (Beschluß), refuser l’examen d’un recours s’il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l’on ne peut attendre de l’arrêt qu’il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l’examen d’une affaire que l’article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative. »
2. Le recours devant la Cour administrative
20. Selon l’article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l’illégalité d’un acte administratif.
21. Aux termes de l’article 35 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz):
« Les requêtes dont le contenu révèle l’inexistence de la violation alléguée par leur auteur sont à rejeter, à huis clos, sans autre forme de procédure. »
22. L’article 39 par. 1 dispose notamment qu’au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande.
Le paragraphe 2 est ainsi libellé:
« Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d’audience lorsque:
1. la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34);
2. la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l’incompétence de l’autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2);
3. la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l’inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3);
4. selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l’illégalité de son contenu;
5. ni l’autorité défenderesse ni d’autres comparants n’ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée;
6. il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu’une audience n’est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l’affaire. »
Du paragraphe 2 de l’article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982.
23. L’article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative dispose:
« Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l’incompétence de l’autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (…), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l’angle des griefs soulevés (…). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l’une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l’un de ces griefs] (…), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure. »
24. L’article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée.
Aux termes du paragraphe 2 du même article:
« La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale
1. par son contenu, [ou]
2. en raison de l’incompétence de l’autorité défenderesse, [ou]
3. à cause d’un vice de procédure résultant:
a) de ce que l’autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou
b) de ce qu’il échet de les compléter sur un tel point, ou
c) de ce que l’autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l’amener à prendre une décision différente. »
25. Si la Cour administrative annule la décision incriminée, « l’administration est tenue (…) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d’assurer sans délai, dans le cas d’espèce, la situation juridique correspondant à l’opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative » (article 63 par. 1).
26. Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré:
« De ce qu’il s’est avéré nécessaire d’étendre la réserve à l’article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l’article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu’à l’inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve. »
3. Les « chambres administratives indépendantes »
27. L’article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées « chambres administratives indépendantes » (Unabhängige Verwaltungssenate). Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen).
III. LES RÉSERVES DE L’AUTRICHE
28. L’instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée:
« Les dispositions de l’article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne. »
29. L’instrument de ratification du Protocole n° 7 (P7), déposé par le gouvernement autrichien le 14 mai 1986, contient notamment la déclaration suivante:
« [l]es articles 3 et 4 (P7-3, P7-4) se réfèrent uniquement aux procédures pénales dans le sens du Code pénal autrichien. »
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
30. M. Gradinger a saisi la Commission le 22 mai 1989. Invoquant l’article 6 (art. 6) de la Convention, il se plaignait d’avoir été condamné, au mépris du principe non bis in idem, par une autorité administrative qui, de surcroît, ne pouvait pas passer pour un « tribunal indépendant et impartial » et avait fait appel à ses propres experts. A l’audience, il a en outre dénoncé une atteinte à la présomption d’innocence, contraire à l’article 6 par. 2 (art. 6-2).
31. Le 10 mai 1993, la Commission a rejeté, pour dépassement du délai de six mois (articles 26 et 27 par. 3 combinés de la Convention) (art. 26+27-3), le grief relatif à l’article 6 par. 2 (art. 6-2) et retenu la requête (n° 15963/90) pour le surplus.
Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (droit à un tribunal indépendant et impartial) et 4 du Protocole n° 7 (P7-4); elle estime en outre qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant au défaut d’audience devant la Cour administrative (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt [4].
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
32. Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour
« 1. à constater que l’article 6 (art. 6) n’est pas applicable en l’espèce;
subsidiairement,
2. à constater que la procédure pénale administrative à l’origine de la présente requête n’a pas violé l’article 6 (art. 6);
3. à déclarer la requête irrecevable ratione temporis, en vertu de l’article 27 par. 2 (art. 27-2), quant aux griefs soulevés sur le terrain de l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4);
ou subsidiairement,
4. à constater que la procédure pénale administrative à l’origine de la requête n’a pas méconnu l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4) ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION
33. Le requérant dénonce une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi libellé:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) »
Il aurait été privé du droit à un « tribunal » et à des audiences devant celui-ci.
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Existence d’une « accusation en matière pénale »
34. D’après M. Gradinger, l’infraction administrative pénale retenue contre lui a donné lieu à une « accusation en matière pénale ». Le Gouvernement n’en disconvient pas.
35. Pour déterminer le caractère pénal, au sens de la Convention, d’une infraction, il importe d’abord de savoir si le texte (art. 6-1) définissant celle-ci ressortit ou non au droit pénal dans le système juridique de l’Etat défendeur; il y a lieu d’examiner ensuite « la nature même de l’infraction » et le degré de sévérité de la sanction encourue (voir, parmi d’autres, les arrêts Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, p. 18, par. 50, et Demicoli c. Malte du 27 août 1991, série A n° 210, pp. 15-17, paras. 31-34).
36. La Cour note avec la Commission que si les infractions litigieuses et les procédures appliquées en l’espèce relèvent du domaine administratif, elles n’en présentent pas moins un caractère pénal, lequel se reflète d’ailleurs dans la terminologie utilisée; ainsi parle-t-on, en droit autrichien, des infractions administratives (Verwaltungsstraftaten) et de la procédure administrative pénale (Verwaltungsstrafverfahren). Au surplus, l’amende infligée à l’intéressé était assortie, en cas de non-paiement, d’une peine privative de liberté (paragraphe 16 ci-dessus).
Ces éléments suffisent à entraîner la qualification pénale, au sens de la Convention, du manquement imputé au requérant. Partant, l’article 6 (art. 6) entrait en jeu.
2. La réserve de l’Autriche à l’article 5 (art. 5) de la Convention
37. Selon le Gouvernement, la procédure incriminée tombait sous le coup de la réserve autrichienne à l’article 5 (art. 5) de la Convention. Il ne ferait aucun doute, en effet, qu’en désignant dans ladite réserve les « mesures de privation de liberté », le gouvernement autrichien visait aussi les procédures menant à celles-ci. Toute autre lecture non seulement pécherait par manque de cohérence, mais surtout trahirait l’intention des autorités, lesquelles entendaient soustraire à l’emprise de la Convention tout le système administratif, y compris les dispositions de fond et de procédure du droit administratif pénal. Cela vaudrait même dans le cas où, comme en l’espèce, l’accusé ne se voit infliger qu’une amende, dès lors qu’à défaut de paiement une peine d’emprisonnement s’y substitue.
Certes, le code de la route de 1960 ne figurerait pas parmi les quatre lois désignées par la réserve. Toutefois, l’une d’entre elles, la loi administrative pénale, prévoirait en son article 10 que, sauf disposition contraire, les lois administratives générales détermineront la nature et le taux des peines. Peu importerait, à cet égard, que l’article 5 du code de la route appliqué en l’occurrence ait été introduit après le dépôt de la réserve puisque cette disposition ne ferait que préciser le contenu d’une obligation déjà inscrite à l’article 7 de la loi de 1947 sur la police de la circulation (paragraphe 17 ci-dessus).
38. D’après le requérant, la réserve en question ne peut jouer en l’espèce. Elle méconnaîtrait d’abord les exigences de l’article 64 (art. 64) de la Convention, qui dispose:
« 1. Tout Etat peut, au moment de la signature de la (…) Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d’une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n’est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article (art. 64).
2. Toute réserve émise conformément au présent article (art. 64) comporte un bref exposé de la loi en cause. »
Ensuite, son libellé – à interpréter stricto sensu – s’opposerait à ce qu’elle étende ses effets au domaine procédural, en question ici.
39. La Cour rappelle que dans son arrêt Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, elle a constaté la compatibilité de la réserve autrichienne à l’article 5 (art. 5) de la Convention avec l’article 64 (art. 64) (série A n° 266-B, p. 35, par. 21). Il ne reste donc plus qu’à rechercher si les dispositions appliquées (art. 5, art. 64) en l’espèce tombent sous le coup de ladite réserve. Elles se distinguent en effet sur certains points essentiels de celles en cause dans l’affaire Chorherr.
La Cour note que M. Gradinger fonde ses griefs sur l’article 6 (art. 6) de la Convention, alors que le libellé de la réserve invoquée par le Gouvernement mentionne uniquement l’article 5 (art. 5) et se réfère explicitement aux seules mesures de privation de liberté. En outre, la réserve n’entre en jeu que lorsqu’ont été appliquées des dispositions administratives de fond et de procédure d’une ou plusieurs des quatre lois qu’elle spécifie. En l’espèce, toutefois, ce sont les dispositions d’une autre loi, le code de la route de 1960, qui ont trouvé à s’appliquer.
Ces éléments suffisent à écarter l’application en l’espèce de ladite réserve.
B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Accès à un tribunal
40. D’après M. Gradinger, aucun des organes saisis dans le cadre de la procédure en question ne peut passer pour un « tribunal » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Il en irait ainsi non seulement des autorités administratives, mais aussi de la Cour constitutionnelle, dont le contrôle se limite aux questions de droit constitutionnel, et surtout de la Cour administrative. En effet, celle-ci se trouverait liée par les constatations de fait des autorités administratives, sauf l’hypothèse d’un vice de procédure au sens de l’article 42 par. 2, alinéa 3, de la loi sur la Cour administrative (paragraphe 24 ci-dessus). Elle ne serait donc habilitée ni à accueillir elle-même des moyens de preuve, ni à établir les faits, ni à prendre en compte des éléments nouveaux. De plus, en cas d’annulation d’un acte administratif, elle ne pourrait se prononcer au lieu et place de l’autorité censurée, mais devrait toujours lui renvoyer le dossier. Bref, elle exercerait uniquement un contrôle de légalité, que l’on ne saurait assimiler à un contentieux de pleine juridiction.
41. Le Gouvernement combat cette thèse, tandis que la Commission y souscrit en substance.
42. La Cour le rappelle: il faut que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention – comme c’est le cas en l’espèce de l’administration du district et du gouvernement du Land (paragraphes 9 et 10 ci-dessus) – subisse le contrôle ultérieur d’un « organe judiciaire de pleine juridiction » (voir notamment, mutatis mutandis, les arrêts Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A n° 58, p. 16, par. 29, Öztürk précité, pp. 21-22, par. 56, et Fischer c. Autriche du 26 avril 1995, série A n° 312, p. 17, par. 28).
43. Telle n’est pas la Cour constitutionnelle. En l’occurrence, elle ne pouvait se pencher sur la procédure incriminée que du point de vue de sa conformité à la Constitution, ce qui ne lui permit pas d’examiner l’ensemble des faits de la cause. Elle ne possédait donc pas la compétence exigée par l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
44. Quant à la compétence de la Cour administrative, elle doit s’apprécier en tenant compte du fait qu’en l’espèce, elle était amenée à s’exercer dans un litige de nature pénale au sens de la Convention. Sa compatibilité avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1) se mesure dès lors au regard des griefs soulevés devant ladite juridiction par l’intéressé, mais aussi à la lumière des caractéristiques constitutives d’un « organe judiciaire de pleine juridiction ». Or parmi celles-ci figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur. En l’absence de pareille compétence dans le chef de la Cour administrative, celle-ci ne saurait passer pour un « tribunal » au sens de la Convention. Au demeurant, la Cour constitutionnelle a considéré, dans un arrêt du 14 octobre 1987, que pour les sanctions pénales non couvertes par la réserve à l’article 5 (art. 5), le contrôle réduit exercé par les Cours administrative ou constitutionnelle ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphe 26 ci-dessus).
45. Partant, le requérant n’a pas eu accès à un « tribunal ». Il y a donc eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) sur ce point.
2. Absence de débats et d’audition de témoins
46. M. Gradinger reproche ensuite à la Cour administrative de ne pas avoir tenu d’audience ni entendu des témoins.
47. Vu la conclusion figurant au paragraphe 45 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner ces griefs.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE N° 7 (P7-4)
48. Le requérant soutient en outre qu’en lui infligeant une amende par application de l’article 5 du code de la route, l’administration du district puis le gouvernement du Land l’auraient condamné pour des faits identiques à ceux que le tribunal régional avait pourtant décidé de ne pas retenir contre lui au titre de l’article 81 par. 2 du code pénal. Le prescrit de ces deux dispositions coïncidant, en substance, dans l’interdiction de conduire un véhicule sous l’empire d’un taux d’alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l, il en résulterait une violation de l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4), ainsi rédigé:
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.
2. Les dispositions (P7-4) du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article (P7-4) au titre de l’article 15 (art. 15) de la Convention. »
A. Sur la réserve à l’article 4 (P7-4)
49. Pour le Gouvernement, la disposition invoquée ne peut jouer en l’espèce puisque la déclaration autrichienne en a circonscrit l’application aux seules « procédures pénales dans le sens du Code pénal autrichien » (paragraphe 29 ci-dessus), excluant ainsi les procédures administratives ou disciplinaires.
50. Avec la Commission, la Cour considère que ladite « déclaration » s’analyse en une réserve au sens de l’article 64 (art. 64) de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Belilos c. Suisse du 29 avril 1988, série A n° 132, p. 24, par. 49). Le Gouvernement en convient du reste.
Il échet donc de rechercher si la déclaration dont il s’agit répond aux exigences de cette disposition.
51. La Cour relève d’emblée l’absence d’un « bref exposé » de la loi qui ne serait pas conforme aux articles 3 et 4 du Protocole n° 7 (P7-3, P7-4).
Certes, on peut déduire du libellé de la « déclaration » que l’Autriche a entendu exclure l’application des articles 3 et 4 (P7-3, P7-4) à toutes les procédures qui ne seraient pas « pénales dans le sens du Code pénal autrichien »; le Gouvernement le souligne à juste titre. Il n’empêche que munie d’une telle désignation, non exhaustive, la « déclaration » n’offre pas à un degré suffisant « la garantie [qu’elle] ne va pas au-delà des dispositions explicitement écartées » par l’Autriche (voir, en dernier lieu, l’arrêt Chorherr précité, p. 34, par. 20). Par conséquent, elle méconnaît l’article 64 par. 2 (art. 64-2).
Cette conclusion suffit à fonder l’invalidité de la « déclaration », sans qu’il s’impose de se pencher de surcroît sur le respect des autres conditions formulées par l’article 64 (art. 64).
B. Sur l’applicabilité ratione temporis de l’article 4 (P7-4)
52. Le Gouvernement invoque en outre l’inapplicabilité ratione temporis de l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4). D’après l’article 1 par. 2 de la loi de droit pénal administratif (Verwaltungsstrafgesetz), la peine se détermine d’après la loi en vigueur au moment de l’infraction ou, si cela s’avère plus favorable à l’accusé, de la décision de première instance. En l’espèce, ces dates correspondent respectivement aux 1er janvier et 16 juillet 1987, alors que le Protocole n° 7 (P7) est entré en vigueur le 1er novembre 1988 seulement. Que la Cour administrative ait rendu son arrêt après cette dernière date, le 29 mars 1989, n’y change rien puisqu’elle est tenue de statuer, elle aussi, sur la base de la loi applicable à l’époque des faits ou de la décision de première instance.
53. Avec la Commission, la Cour rappelle que l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4) a pour but de prohiber la répétition de poursuites pénales définitivement clôturées. Cette disposition ne trouve donc pas à s’appliquer avant l’ouverture d’une nouvelle procédure. Dès lors qu’en l’occurrence, celle-ci atteignit son aboutissement dans une décision postérieure à l’entrée en vigueur du Protocole n° 7 (P7), l’arrêt de la Cour administrative du 29 mars 1989, les conditions de l’applicabilité ratione temporis de ce texte se révèlent remplies.
C. Sur l’observation de l’article 4 (P7-4)
54. Aux allégations de M. Gradinger (paragraphe 48 ci-dessus) auxquelles se rallie en substance la Commission, le Gouvernement répond que l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4) ne s’opposait pas à l’application consécutive des deux dispositions en cause. Celles-ci présenteraient un caractère et un objet différents: tandis que l’article 81 par. 2 du code pénal sanctionne l’homicide commis sous l’effet de l’alcool, l’article 5 du code de la route punit le seul fait de conduire un véhicule dans cet état; le premier tend à réprimer les atteintes à la vie et à la sécurité des personnes, le second à assurer un trafic fluide.
55. Il échet de noter que pour le tribunal régional de St Pölten, il n’y avait pas lieu de retenir contre le requérant la circonstance aggravante visée à l’article 81 par. 2 du code pénal, à savoir l’état d’ébriété au taux de 0,8 g/l ou plus. En revanche, les autorités administratives ont, pour faire jouer l’article 5 du code de la route, admis l’existence de pareil taux chez l’intéressé. La Cour n’ignore pas que les dispositions en cause se distinguent non seulement sur le plan de l’appellation des infractions mais aussi sur celui, plus fondamental, de leur nature et de leur but. Elle relève en outre que l’infraction punie par l’article 5 du code de la route ne représente qu’un aspect du délit sanctionné par l’article 81 par. 2 du code pénal. Néanmoins, les deux décisions litigieuses se fondent sur le même comportement. Partant, il y a eu violation de l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
56. Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
57. M. Gradinger réclame la somme de 293 130 ATS pour les frais et dépens exposés lors des procédures menées devant les juridictions internes puis les organes de la Convention.
58. Le Gouvernement estime que seules pourraient être prises en compte les procédures menées devant la Cour administrative – où les violations alléguées auraient été commises – et à Strasbourg. Il conteste en outre le montant des frais, mais accepte un remboursement global à hauteur de 100 000 ATS.
59. Quant au délégué de la Commission il s’en remet à la sagesse de la Cour pour la détermination de la satisfaction équitable.
60. Statuant en équité sur la base des éléments en sa possession et de sa propre jurisprudence en la matière, la Cour accorde 150 000 ATS à M. Gradinger.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s’applique en l’espèce;
2. Dit qu’il y a eu violation de cet article (art. 6-1) quant à l’accès à un tribunal;
3. Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner les griefs tirés de l’absence de débats et d’audition de témoins devant la Cour administrative;
4. Dit que l’article 4 du Protocole n° 7 (P7-4) s’applique en l’espèce;
5. Dit qu’il y a eu violation de cet article (art. P7-4);
6. Dit que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, la somme de 150 000 (cent cinquante mille) schillings autrichiens pour frais et dépens;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 23 octobre 1995.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement A, l’exposé de l’opinion séparée de M. Martens.
R. R.
H. P.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE MARTENS
(Traduction)
1. Je souscris au constat de violation de l’article 6 (art. 6) fait par la Cour, mais ne suis pas d’accord avec le raisonnement suivi.
2. Mes objections concernent le paragraphe 44 qui, dans l’arrêt, commence par la phrase:
« Quant à la compétence de la Cour administrative, elle doit s’apprécier en tenant compte du fait qu’en l’espèce, elle était amenée à s’exercer dans un litige de nature pénale au sens de la Convention. »
3. Je m’abstiendrai de critiquer la structure de ce paragraphe. Je ne puis cependant m’empêcher de relever qu’une fois encore, la Cour estime nécessaire de remarquer que, pour rechercher si la Cour administrative doit être qualifiée de juridiction offrant les garanties de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), la « compatibilité (…) se mesure (…) au regard des griefs soulevés devant ladite juridiction ». On cherche vainement la mise en pratique de ce principe méthodologique: on ne trouve en effet ni analyse de la thèse développée par le requérant devant la Cour administrative, ni trace de « mesure » de ces arguments lorsque la Cour évalue le caractère satisfaisant de la compétence de la Cour administrative. Pour le reste, je renvoie aux objections d’ordre méthodologique que j’ai déjà exposées à l’encontre de ce « critère » au paragraphe 18 de mon opinion séparée dans l’affaire Fischer c. Autriche (arrêt du 26 avril 1995, série A n° 312).
4. La raison principale de mon opposition à ce paragraphe est la suivante. Dans les trois affaires civiles examinées dans mon opinion séparée susmentionnée, la Cour a jugé que la Cour administrative autrichienne réunissait les conditions nécessaires à un tribunal au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Or dans le paragraphe en cause ici, elle parvient à la conclusion opposée en soulignant qu’en l’espèce, la compétence de la Cour administrative s’exerçait au pénal. On ne peut qu’en déduire que, selon la Cour, dans une affaire de caractère « administratif » en droit interne, mais « pénal » au regard de la Convention, les garanties offertes par le tribunal qui doit contrôler la décision ultime rendue par les instances administratives diffèrent de celles exigées pour une affaire « administrative » en droit interne, mais « civile » au sens de la Convention. Je ne vois rien qui justifierait pareille distinction, laquelle ne trouve pas non plus appui dans le libellé ni l’objet de l’article 6 (art. 6) [5]. La Cour n’avance d’ailleurs pas de justification, sa décision sur ce point crucial étant dépourvue de toute argumentation, ce qui est d’autant plus regrettable que cette différenciation est contraire à sa jurisprudence [6].
[1] L’affaire porte le n° 33/1994/480/562. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
[2] Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
[3] Affaires nos 31/1994/478/560, 32/1994/479/561, 35/1994/482/564, 36/1994/483/565 et 37/1994/484/566.
[4] Note du greffier: pour des raisons d’ordre pratique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (volume 328-C de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.
[5] Je renvoie à cet égard à la note 62 de mon opinion séparée dans l’affaire Fischer c. Autriche.
[6] Voir notamment l’arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A n° 43, pp. 23-24, par. 53, et l’arrêt Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A n° 58, p. 17, par. 30; voir également l’arrêt Diennet c. France du 26 septembre 1995, série A n° 325-A, pp. 13-14, par. 28.