COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE CAMPBELL ET FELL c. ROYAUME-UNI
(Requête no 7819/77; 7878/77)
ARRÊT
STRASBOURG
28 juin 1984
En l’affaire Campbell et Fell,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux dispositions pertinentes de son règlement[*], en une Chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. G. Wiarda, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
F. Gölcüklü,
Sir Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil les 23 septembre et 8 et 9 décembre 1983, puis les 2 et 3 mai 1984,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 14 octobre 1982, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouvent deux requêtes (no 7819/77 et 7878/77) dirigées contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord; M. John Joseph Campbell et le Père Patrick Fell les avaient introduites en 1977, en vertu de l’article 25 (art. 25), devant la Commission qui en ordonna la jonction les 14 et 19 mars 1981.
2. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour par le Royaume-Uni (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur l’existence de violations des articles 6 et 8 (art. 6, art. 8) dans le cas de M. Campbell et des articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13) dans celui du Père Fell.
3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 28 octobre 1982, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. J. Cremona, Thór Vilhjálmsson, G. Lagergren, R. Macdonald et C. Russo, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, M. F. Gölcüklü, suppléant, a remplacé M. Lagergren, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5), M. Wiarda a recueilli par l’intermédiaire du greffier l’opinion de l’agent du gouvernement du Royaume-Uni (« le Gouvernement »), de même que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 17 novembre, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 31 janvier 1983 pour présenter un mémoire auquel le délégué pourrait répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le lui aurait communiqué. Le 25 janvier, il a consenti à proroger le premier de ces délais jusqu’au 14 mars 1983.
Le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe le 17 mars 1983. Le 18 mai, le secrétaire de la Commission a transmis à la Cour un mémoire que les avocats des requérants avaient adressé au délégué; sa lettre exposait aussi l’avis du délégué sur la portée de l’affaire pendante devant la Cour et précisait que ce dernier se réservait le droit de formuler des observations sur les deux mémoires lors des audiences.
5. Le 7 juillet 1983, après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier, le président a fixé au 20 septembre l’ouverture de la procédure orale dont il a circonscrit l’objet par une ordonnance du 27 juillet.
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
Mme A. Glover, jurisconsulte,
ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,
agent,
MM. M. Baker, avocat, conseil,
C. Osborne,
P. Stevens,
J. Le Vay, du ministère de l’Intérieur, conseillers;
– pour la Commission
M. T. Opsahl, délégué,
MM. C. Thornberry, avocat,
Logan, solicitor,
conseils des requérants devant la Commission, assistant le
délégué (article 29 par. 1, seconde phrase, du règlement).
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions et à celles de deux de ses membres, M. Baker pour le Gouvernement, MM. Opsahl et Thornberry pour la Commission.
7. Dans leurs plaidoiries, MM. Baker et Thornberry avaient présenté certains arguments relatifs à l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention pour le cas où la Cour constaterait une violation. Conformément aux ordonnances et directives du président, le greffe a reçu à ce sujet:
– le 13 octobre 1983, par l’intermédiaire du délégué de la Commission, des observations des requérants;
– le 2 décembre 1983, un mémoire du Gouvernement;
– le 13 janvier 1984, une lettre du secrétaire de la Commission indiquant notamment que le délégué laissait à la Cour le soin de trancher la question.
FAITS
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE
A. Le contexte général et l’incident du 16 septembre 1976
8. Le premier requérant, M. John Joseph Campbell, est un ressortissant du Royaume-Uni né en Irlande du Nord en 1944; il réside en Angleterre depuis 1965.
En novembre 1973, il se vit condamner à dix ans d’emprisonnement du chef, entre autres, d’association de malfaiteurs pour perpétrer un vol qualifié et de détention d’une arme à feu dans le dessein de commettre un tel vol. Incarcéré dans divers établissements, il se trouvait le 16 septembre 1976 à la prison d’Albany, dans l’île de Wight. Il vit à l’heure actuelle en liberté.
9. Le second requérant, le Père Patrick Fell, est un ressortissant du Royaume-Uni né en Angleterre en 1940. Il s’agit d’un prêtre catholique romain.
En novembre 1973, il s’entendit infliger douze années d’emprisonnement du chef d’association de malfaiteurs pour provoquer un incendie, d’association de malfaiteurs aux fins de sabotage et de participation à la direction et au commandement d’une organisation recourant à la violence dans un but politique. Lui aussi a séjourné dans diverses prisons, se trouvait le 16 septembre 1976 dans celle d’Albany et vit à l’heure actuelle en liberté.
10. Tout au long de leur privation de liberté les deux requérants ont été classés dans la « catégorie A » (paragraphe 44 a) ci-dessous). L’administration croyait que les infractions dont on les a reconnus coupables figuraient parmi les activités terroristes de l’Armée républicaine irlandaise ou s’y rattachaient, mais d’après le rapport de la Commission ils n’ont cessé de nier être membres de cette organisation.
11. Le 16 septembre 1976, un incident survint à la prison d’Albany. Devant la Commission, Gouvernement et requérants ont beaucoup discuté de ce qui s’était produit au juste, surtout quant aux armes et aux voies de fait utilisées, mais le résumé suivant suffit aux besoins de la présente procédure.
M. Campbell, le Père Fell et quatre codétenus protestèrent contre le traitement réservé à un camarade en s’asseyant dans un couloir de l’établissement et en refusant d’en bouger. Des gardiens les en délogèrent après une lutte au cours de laquelle certains d’entre eux et les deux requérants subirent des blessures. Plus grièvement atteint, M. Campbell fut transféré à l’hôpital de la prison de Parkhurst pour y recevoir des soins; il regagna Albany le 30 septembre 1976.
B. L’action disciplinaire contre M. Campbell
12. Les six prisonniers impliqués dans l’incident furent accusés d’infractions disciplinaires au règlement pénitentiaire (amendé) de 1964 (Prison Rules); le comité des visiteurs de la prison (Board of Visitors) les en déclara coupables (paragraphes 26-33 ci-dessous). Il examina leur cas le 24 septembre 1976, sauf celui de M. Campbell qui se trouvait encore à Parkhurst.
13. Le 1er octobre 1976, aussitôt après son retour à la prison d’Albany, M. Campbell fut informé qu’on le poursuivait par la voie disciplinaire pour mutinerie ou incitation à la mutinerie et pour voies de fait graves sur la personne d’un gardien, tous actes réprimés par l’article 47 paras. 1 et 2 du règlement pénitentiaire (paragraphe 27 ci-dessous). Le premier chef concernait sa participation à l’incident aux côtés de codétenus; le second se fondait sur le reproche d’avoir frappé un gardien avec un manche à balai pendant la bagarre.
Une audition préliminaire devant le directeur de la prison (paragraphe 31 ci-dessous) eut lieu le 1er octobre, date à laquelle fut saisi le comité des visiteurs de la prison. Celui-ci entendit la cause à huis clos le 6 octobre. Le requérant avait reçu, avant l’une et l’autre audiences, « des avis de rapport » et, avant celle du comité, une copie du formulaire décrivant la procédure (paragraphe 36 ci-dessous). Les « avis de rapport » relatifs à l’instance engagée devant le comité furent délivrés le 5 octobre à 8 h du matin. Ils commençaient respectivement ainsi:
« [Un gardien] vous a dénoncé pour avoir, le 16 septembre 1976 vers 19 h 30, commis dans la salle D une infraction au paragraphe 1 de l’article 47 du règlement pénitentiaire, c’est-à-dire un acte de mutinerie. »
et
« [Un gardien] vous a dénoncé pour avoir, le 16 septembre 1976 vers 22 h 05, commis dans la salle D une infraction au paragraphe 2 de l’article 47 du règlement pénitentiaire, c’est-à-dire frappé un gardien avec un manche à balai. »
A la fin de chacun des deux avis on lisait ce qui suit:
« Votre cas passera en jugement (adjudication) demain; vous aurez toute latitude pour vous défendre. Si vous voulez répondre par écrit à l’accusation, vous pouvez le faire au dos de ce formulaire. »
M. Campbell ne comparut à aucune des deux occasions. Les registres révèlent qu’avant son audition par le directeur, il déclara qu’il ne consentirait pas à y assister s’il ne pouvait s’y faire représenter par un avocat. Conformément à la pratique alors courante (paragraphe 36 ci-dessous), il essuya un refus analogue quand il demanda le bénéfice de pareille représentation devant le comité des visiteurs. Le président de cet organe lui avait rendu visite avant la séance et l’avait prévenu qu’elle se déroulerait même sans lui. Le dossier relève que le requérant comprit l’avertissement et les accusations portées contre lui. Il s’avère qu’il ne sollicita expressément ni un entretien préalable avec un solicitor, démarche qui aurait échoué elle aussi sous l’empire de la pratique de l’époque (ibidem), ni un ajournement des débats.
M. Campbell a fourni à la Commission puis à la Cour des explications supplémentaires de sa non-comparution: à la lumière du résultat de l’audience du 24 septembre et de sa propre expérience d’une telle procédure, il ne croyait pas à un examen équitable de sa cause et estimait sa présence inutile; en second lieu, il se sentait très malade à la suite de ses blessures et, le 6 octobre, se trouvait « dans la cellule de punition où il gisait sur le sol, incapable de marcher, privé de nourriture et souffrant beaucoup ». Le Gouvernement conteste ces dernières allégations et le médecin de l’établissement avait certifié, avant l’une et l’autre audiences, l’aptitude de l’intéressé à subir une peine. La Commission ne tient pas pour établi que M. Campbell ait été empêché de se présenter devant le comité des visiteurs et n’ait pas plutôt résolu, pour des raisons personnelles, de ne pas le faire; elle part de l’hypothèse qu’il porte lui-même la responsabilité de son absence.
14. Devant ledit comité, pour chaque accusation il fut plaidé non coupable au nom du requérant qui n’invoqua par écrit aucun moyen de défense. Selon le procès-verbal des débats – lesquels ne paraissent avoir duré plus de quinze minutes dans aucun des deux cas -, un gardien déposa sur l’accusation de mutinerie en lisant une déclaration relative au rôle que M. Campbell et ses camarades auraient joué dans l’incident, un autre sur l’accusation de voies de fait en affirmant que M. Campbell l’avait frappé. Le comité accepta le témoignage du premier et son président interrogea le second sur certains points.
Reconnu le 6 octobre 1976 coupable des deux chefs, le requérant se vit infliger, pour la mutinerie et les voies de fait respectivement, 450 et 120 jours de perte de remise de peine plus 56 jours et 35 jours de perte de privilèges, d’exclusion du travail en commun, d’interruption de la rémunération et de régime cellulaire, sanctions à purger cumulativement pour les deux infractions (paragraphes 28 et 29 ci-dessous). Lors de son arrivée à la prison, on lui avait indiqué le mois de mai 1980 comme la date approximative de son élargissement (paragraphe 29 ci-dessous); au moment où statua le comité dix procédures disciplinaires distinctes lui avaient déjà fait perdre 145 jours de remise et il lui restait un crédit potentiel de 1072 jours.
15. Les observations déposées en son nom auprès de la Commission les 1er septembre 1977 et 17 avril 1979 indiquaient, les premières qu’il songeait à inviter les tribunaux anglais, par la voie du « certiorari » (paragraphes 39-41 ci-dessous), à censurer ladite décision, les secondes qu’il les avait saisis d’une telle demande.
Une note produite le 23 juillet 1980 a cependant révélé que sur le conseil de leur avocat, donné en novembre 1979 et juin 1980, M. Campbell et le Père Fell avaient décidé de ne pas exercer pareil recours. Quant au premier, l’avocat estimait cette procédure vouée à l’échec parce que l’intéressé avait « refusé » de participer à l’instance. Lors des audiences du 20 septembre 1983 devant la Cour, le Gouvernement a déclaré que même en 1980, le ministère de l’Intérieur n’aurait sans doute pas soulevé d’objections si M. Campbell avait sollicité l’autorisation de réclamer un certiorari hors délai (paragraphe 41 ci-dessous), mais qu’il le ferait aujourd’hui. Le requérant n’a jamais agi en ce sens.
La question rebondit par la suite dans le cas du Père Fell à qui l’on avait déjà dit, en novembre 1979, qu’un recours pouvait se concevoir. En février 1981, un senior counsel lui suggéra d’introduire immédiatement une demande de certiorari au motif qu’un manquement grave à l’équité (substantial unfairness) avait entaché l’audience du 24 septembre 1976 devant le comité des visiteurs, à laquelle il avait assisté. Dans le courant de l’année le requérant obtint d’un tribunal l’autorisation nécessaire, mais il fut débouté en première instance puis en appel.
16. Alors qu’il se trouvait incarcéré, M. Campbell fit l’objet de quinze poursuites disciplinaires en conséquence desquelles il perdit 957 jours de remise de peine (dont 570 par l’effet de la décision précitée du 6 octobre 1976). On lui en restitua 236 à la suite des requêtes qu’il présenta conformément à la procédure décrite au paragraphe 38 ci-dessous. Il recouvra sa liberté le 31 mars 1982 après avoir purgé à peu près huit ans et huit mois des dix années de sa peine, y compris le temps passé en détention provisoire.
C. L’accès des requérants à des conseils juridiques pour leur action relative à leurs blessures
17. Vers le 21 septembre 1976, le Père Fell adressa au ministre de l’Intérieur une demande ainsi libellée: « Au cours d’[un incident survenu à la prison d’Albany le 16 septembre], j’ai subi plusieurs blessures corporelles. Je sollicite auprès de vous la permission de consulter mon avocat en attendant toute autre action que j’estimerais nécessaire de mener. » Environ une semaine plus tard, dans une demande complémentaire, il indiqua qu’il désirait voir son solicitor à propos de l’octroi d’une indemnité pour blessures et de tout procès civil que l’on pourrait lui conseiller d’intenter.
Le ministre de l’Intérieur répondit au Père Fell le 1er octobre. Il l’informa qu’en application de la règle de « l’examen préalable » (prior ventilation rule, paragraphe 44 c) ci-dessous), il pourrait consulter un avocat sur le bien-fondé de ses griefs une fois qu’ils auraient été instruits par les voies internes habituelles et qu’on lui aurait communiqué le résultat.
18. Le Père Fell introduisit une nouvelle demande le 4 octobre 1976. Il y précisait ses affirmations relatives à l’incident du 16 septembre et ses séquelles et réclamait une enquête approfondie; il fournit de plus amples renseignements sur ses blessures dans une requête supplémentaire du 27 octobre.
Dans sa réponse du 9 février 1977, le ministre de l’Intérieur se déclara convaincu, après enquête, de l’absence de fondement des assertions de l’intéressé concernant des voies de fait et soins médicaux insuffisants ou tardifs; il ajouta que le Père Fell bénéficierait des facilités nécessaires pour consulter un avocat sur les questions mentionnées dans sa demande s’il continuait à le souhaiter.
19. Dans une demande du 28 novembre 1976 au ministre de l’Intérieur, M. Campbell exprima le désir de rencontrer son avocat, mais sans expliquer pourquoi. Il essuya un refus le 8 décembre au motif qu’il n’avait pas donné assez de détails pour permettre l’ouverture d’une enquête interne. Le 3 mars 1977, le même motif fut invoqué pour rejeter une nouvelle demande datée du 28 décembre 1976 et ainsi libellée: « A la suite de blessures que m’ont infligées des gardiens de la prison d’Albany, je compte saisir la Justice et j’ai donc besoin de voir mon avocat.L’incident remonte à la mi-septembre et j’ai déjà présenté une demande à son sujet. »
20. Il y eut aussi, à l’époque, une certaine correspondance avec MM. Woodford et Ackroyd, les solicitors qui agissaient alors au nom des deux requérants. Après que M. Campbell leur eut adressé une lettre le 17 janvier 1977 par la filière normale de l’administration pénitentiaire, ils écrivirent au ministère de l’Intérieur le 28 janvier; ils signalaient que leur client les avait chargés de le représenter dans une procédure civile et qu’ils cherchaient à se mettre en rapport avec le directeur de la prison pour s’entretenir avec lui de ses allégations. En revanche, une lettre qu’ils envoyèrent le 24 janvier à M. Campbell fut interceptée; elle avait trait, semble-t-il, à l’assistance judiciaire.
Des instructions émanant des détenus impliqués dans l’incident de septembre 1976 paraissent en outre avoir atteint les solicitors par d’autres voies. Le 10 février 1977, ces derniers écrivirent au directeur de la prison d’Albany que les deux requérants et quatre autres détenus désiraient les rencontrer « à propos de certaines questions d’ordre juridique »; ils le priaient de confirmer que cela pourrait se faire en privé. Le 14 février – cinq jours après que le ministre de l’Intérieur eut dit au Père Fell qu’il pouvait consulter un avocat (paragraphe 18 ci-dessus) – le directeur répondit qu’il pourrait leur ménager des rendez-vous avec, notamment, ce requérant, mais que d’après les règles en vigueur M. Campbell ne pouvait pas encore consulter un avocat, le service pénitentiaire n’ayant pas achevé l’examen de ses griefs.
Répondant le 3 mars à la lettre du 28 janvier des solicitors, le ministère de l’Intérieur déclara que la missive de M. Campbell du 17 janvier avait été postée par erreur et que l’intéressé ne pourrait recevoir leur visite ni correspondre avec eux tant que la « règle de l’examen préalable » (paragraphe 44 c) ci-dessous) n’aurait pas été observée pour toute doléance éventuelle de sa part.
Le 23 mars, MM. Woodford et Ackroyd se virent permettre de se concerter avec M. Campbell à propos de sa requête à la Commission (paragraphe 44 e) ci-dessous). Les autorités reconnurent par la suite que son récit de l’incident de septembre 1976, figurant dans une note du 1er septembre 1977 à la Commission, suffisait à l’ouverture d’une enquête interne sur ses griefs. L’enquête – à laquelle l’intéressé n’avait pas coopéré – se termina le 29 novembre. Vers le 16 décembre 1977, on l’informa qu’il avait la faculté de consulter un avocat quant aux griefs ainsi examinés.
21. Après avoir consulté divers avocats, les deux requérants assignèrent en justice pour voies de fait, le 13 septembre 1979, des gardiens, le directeur adjoint et le ministère de l’Intérieur.Leurs actions, dans lesquelles ils déposèrent leurs moyens une quinzaine de mois plus tard, demeuraient pendantes à l’époque des audiences devant la Cour (septembre 1983).
D. Le régime des visites de ses solicitors au Père Fell
22. Répondant le 23 mars 1977 à une lettre du 21 de MM. Woodford et Ackroyd, le directeur de la prison d’Albany déclara qu’à ce stade, leurs visites au Père Fell obéiraient aux dispositions de l’article 37 (2) du règlement pénitentiaire (paragraphe 44 d) ci-dessous) et devraient donc se dérouler en présence et à portée de voix d’un gardien; ils avaient déjà soulevé la question dans leur missive du 10 février (paragraphe 20 ci-dessus). Ils répliquèrent qu’ils ne pouvaient accepter ces conditions et comptaient en saisir « la Cour européenne des Droits de l’Homme ».
Le 11 mai, ils informèrent le directeur de l’introduction, le 31 mars, de la requête du Père Fell devant la Commission; le lendemain, il les avisa qu’ils pourraient s’entretenir avec leur client au sujet de ladite requête en présence mais hors de portée de voix d’un gardien (paragraphe 44 e) ci-dessous).
E. L’accès des requérants à un médecin
23. Vers le 23 septembre 1976, le Père Fell adressa au ministre de l’Intérieur une requête réclamant un examen par un médecin indépendant. Le 5 octobre, le ministère déclara que le ministre n’était pas disposé à y donner suite.
24. Après le retour de M. Campbell de Parkhurst à la prison d’Albany, lui-même ou sa famille sollicitèrent pour lui pareil examen, vers le 18 octobre 1976 semble-t-il. D’après le Gouvernement, on lui conseilla de saisir le ministre par voie de requête, mais il n’en fit rien. Aux dires du requérant, la demande fut catégoriquement repoussée.
F. Les restrictions à la correspondance personnelle du Père Fell
25. En octobre 1974 le Père Fell, alors à la prison de Hull, fut informé, en réponse à sa demande du mois de juillet précédent, que le ministre de l’Intérieur ne consentait pas à le laisser correspondre avec Soeur Monica Power: bien qu’antérieurs à son incarcération, leurs rapports ne revêtaient pas le caractère d’une « étroite amitié personnelle ». Le ministre confirma cette décision dans une lettre du 17 décembre à un parlementaire. Il l’expliqua par la pratique relative aux personnes admises à correspondre avec des prisonniers de la « catégorie A » (paragraphe 44 a) ci-dessous): sans doute le requérant connaissait-il Soeur Power depuis plus longtemps que certains de ses correspondants agréés, mais rien ne prouvait l’existence de pareille amitié entre eux.
Le Père Fell a aussi allégué qu’on l’avait empêché de correspondre avec d’autres amis dont une autre religieuse, Soeur Mary Benedict. D’après le Gouvernement, il correspondait avec 200 personnes pendant sa détention provisoire et fut autorisé à le faire avec 40 après sa condamnation.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
A. La discipline pénitentiaire
1. Les infractions et sanctions disciplinaires
26. La loi de 1952 sur les prisons (Prison Act) confie au ministre de l’Intérieur le contrôle et la responsabilité des prisons et des détenus d’Angleterre et du pays de Galles. En son article 47 par. 1, elle l’habilite à « réglementer l’organisation et la gestion des prisons (…) ainsi que la classification, le traitement, l’emploi, la discipline et le contrôle des détenus ». Ces règles figurent dans des textes législatifs (statutory instruments) déposés devant le Parlement et adoptés suivant la procédure d’approbation tacite, c’est-à-dire sauf décision contraire du Parlement.
Les règles ainsi édictées par le ministre et actuellement en vigueur constituent le règlement pénitentiaire (Prison Rules) de 1964, dans sa version amendée.
27. L’article 47 réprime au total vingt et une infractions disciplinaires d’importance diverse. Pour s’en tenir à la présente affaire, il prévoit qu’ « un détenu se rend coupable d’une infraction à la discipline s’il
1. se mutine ou incite un codétenu à la mutinerie;
2. se livre à des voies de fait graves sur la personne d’un gardien », actes qualifiés d’ »infractions particulièrement graves ».
28. Le règlement pénitentiaire énumère les sanctions encourues pour un manquement à la discipline. Elles vont d’un simple avertissement à – notamment –
a) la suppression de certains privilèges;
b) l’exclusion du travail en commun;
c) l’interruption de la rémunération;
d) le régime cellulaire;
e) la perte d’une remise de peine.
En cas d’ »infraction particulièrement grave », les sanctions mentionnées sous b), c), d) ne peuvent être infligées pour plus de 56 jours, mais il n’existe pas de limite pour celles des alinéas a) et e) (articles 51 et 52 du règlement pénitentiaire).
S’il y a pluralité d’infractions, la décision peut ordonner le cumul des différentes sanctions malgré le silence du règlement sur ce point.
29. Aux termes de l’article 25 par. 1 de la loi de 1952 sur les prisons, le règlement adopté en vertu de l’article 47 « peut prévoir que, dans les circonstances définies par lui, une personne purgeant une peine d’emprisonnement de la durée y indiquée peut, en raison de son ardeur au travail et de sa bonne conduite, bénéficier d’une remise de peine dans la mesure y précisée; la libération de quelqu’un par le jeu de pareille remise marque la fin de la peine ».
D’après l’article 5 du règlement pénitentiaire, édicté sur la base de ce texte, un détenu qui subit une peine non perpétuelle d’emprisonnement peut se voir octroyer une remise non supérieure au tiers de sa peine. Il s’agit donc là du maximum de ce qu’il peut perdre à la suite d’une sanction disciplinaire.
Selon la loi sur les prisons et le règlement pénitentiaire, la remise de peine – que les autorités considèrent comme l’une des mesures destinées à encourager l’amendement du détenu – revêt un caractère discrétionnaire. En pratique on indique à l’intéressé, au début de sa peine, une date approximative d’élargissement, calculée sur la base de la période optimale; il recouvrera sa liberté à cette date sauf perte de remise prononcée à titre disciplinaire. Pareille sanction – non réservée aux infractions les plus graves – n’a pas pour effet d’alourdir la peine initiale, laquelle demeure la base légale de la détention.
2. Les poursuites disciplinaires
a) L’ouverture des poursuites
30. Une conduite qui s’analyse en une infraction disciplinaire d’après le règlement pénitentiaire peut constituer aussi une infraction pénale. Ainsi, des voies de fait graves sur la personne d’un gardien correspondent au délit de coups et blessures. En revanche, la mutinerie et l’incitation à la mutinerie ne tombent pas en soi sous le coup du droit pénal général encore que les faits à leur origine puissent fonder une accusation, par exemple, d’association de malfaiteurs.
D’après le Gouvernement, quand il s’agit d’une infraction tant pénale que disciplinaire le service pénitentiaire du ministère de l’Intérieur décide chaque fois s’il faut saisir la police en vue de poursuites judiciaires. Les infractions dénoncées de la sorte à la police comporteraient en général un recours appréciable à la violence. Autres éléments de nature à entrer en ligne de compte: la fréquence de l’infraction au sein de la prison; les réactions du personnel et des détenus; les antécédents et le comportement de l’intéressé; le nombre des jours de remise déjà perdus; la durée de la peine restant à purger; le coût, les inconvénients et les risques pour la sécurité inhérents à un procès pénal.
Selon les requérants, toutefois, un simple gardien peut signaler lui-même les choses à la police. De son côté, le Gouvernement reconnaît qu’une citation directe demeure possible quand la police se résout à ne pas engager de poursuites. En outre, les mêmes faits peuvent, du moins en théorie, donner lieu à deux procédures, l’une pénale et l’autre disciplinaire (R. c. Hogan, All England Law Reports, 1960, vol. 3, p. 149).
31. Dans le cas d’un détenu à poursuivre sur le terrain disciplinaire, l’accusation doit être portée dès que possible et faire d’abord l’objet d’une enquête du directeur de la prison, d’ordinaire au plus tard le lendemain du dépôt de l’accusation (article 48 du règlement pénitentiaire). Le détenu doit être informé de celle-ci le plus vite possible et, de toute manière, avant l’enquête du directeur (article 49).
Ce dernier statue seul sur certains manquements moins graves, mais il doit aviser sur le champ le ministre de l’Intérieur de toute accusation relative à une « infraction particulièrement grave » et, à moins de recevoir de lui d’autres instructions, la déférer au comité des visiteurs de la prison (article 52).
b) Le comité des visiteurs de la prison
32. Un comité des visiteurs de la prison est un organe établi par le ministre de l’Intérieur pour chaque prison d’Angleterre et du pays de Galles. Ses membres, dont au moins deux justices of the peace qui ne sont pas nécessairement des juristes, ont un mandat de trois ans ou d’une durée inférieure fixée par le ministre (article 6 de la loi de 1952 sur les prisons, amendée par la loi de 1971 sur les tribunaux, et article 92 du règlement pénitentiaire), lequel peut les désigner à nouveau.
Il y a en tout 115 comités; chacun d’eux compte de 8 à 24 membres, non rémunérés mais défrayés. Si n’importe qui peut présenter sa candidature, en pratique il s’agit d’ordinaire de personnes recommandées par les membres existants. Les principes essentiels retenus pour les nominations tendent à une égalité numérique approximative entre magistrats (magistrates) et non-magistrats, au choix de personnes ayant les qualités personnelles, la vocation et le temps nécessaires ainsi qu’à une composition reflétant les diverses couches de la société. Un comité est normalement constitué pour trois ans; aucun texte n’habilite le ministre de l’Intérieur à relever un membre de ses fonctions et une démission en cours de mandat ne serait, selon le Gouvernement, exigée que dans des circonstances très exceptionnelles.
33. Un comité des visiteurs a pour fonctions, en plus de connaître d’accusations en matière disciplinaire, de s’assurer que l’état des installations, la gestion de la prison et le traitement des détenus donnent satisfaction, d’entendre les doléances ou demandes de ces derniers, de signaler au directeur de l’établissement toute question appelant examen et de rendre compte au ministre de l’Intérieur (articles 94, 95 et 97 du règlement pénitentiaire). En cas de nécessité urgente, il a le pouvoir de suspendre tout membre du personnel jusqu’à ce que le ministre ait fait connaître sa décision (article 94 par. 4). Ses membres doivent aller fréquemment à la prison; ils ont accès à tous les locaux et aux dossiers de celle-ci et peuvent rencontrer tout détenu en l’absence de gardiens (article 96). Les attributions contentieuses d’un comité représentent en général une faible proportion de l’ensemble de ses tâches et, sur le petit pourcentage des poursuites disciplinaires qui se déroulent devant les comités, peu concernent des « infractions particulièrement graves ».
Une commission indépendante créée par « Justice », la Howard League for Penal Reform et la National Association for the Care and Resettlement of Offenders a étudié les diverses fonctions des comités. Dans son rapport de 1975 (« le rapport Jellicoe »), elle a relevé qu’ils prennent très au sérieux leurs attributions contentieuses, mais que malgré les efforts déployés pour rendre la justice il est douteux qu’elle le soit visiblement. Elle a conclu qu’il y avait incompatibilité entre la participation au jugement d’infractions graves et le besoin, pour l’organe de contrôle, de prouver son indépendance manifeste; elle a donc recommandé que « l’organe chargé du contrôle ne possède pas de compétences disciplinaires ». Néanmoins, « après une réflexion approfondie » le ministre de l’Intérieur a estimé en 1976 que « l’indépendance des comités des visiteurs se conciliait avec leurs autres fonctions ».
Le statut des comités a aussi été discuté dans l’affaire St Germain (paragraphe 39 ci-dessous). Au sein de la Cour d’appel, Lord Justice Waller a déclaré: « Les comités des visiteurs assurent l’équilibre entre le directeur et la discipline interne de la prison et le détenu lui-même; lorsqu’ils siègent [en matière contentieuse], on peut les considérer comme ‘une autorité impartiale et indépendante’. » De son côté, Lord Justice Megaw a exprimé l’opinion que leurs attributions contentieuses « passent à juste titre pour séparées, indépendantes et différentes par nature des autres ».
c) Procédure devant le comité des visiteurs de la prison
34. Quand un comité se trouve saisi de poursuites pour « infraction particulièrement grave », son président convoque une réunion spéciale à laquelle doivent assister cinq membres au maximum et trois au minimum – dont au moins deux justices of the peace (article 52 du règlement pénitentiaire). Si, après avoir instruit l’accusation, le comité juge l’infraction établie, il prononce l’une des sanctions mentionnées au paragraphe 28 ci-dessus, le cas échéant avec sursis.
35. Ni la loi de 1952 sur les prisons ni le règlement pénitentiaire n’édictent un code détaillé de procédure pour les audiences disciplinaires devant les comités des visiteurs. Toutefois, l’article 49 par. 2 dudit règlement – une clause analogue figure à l’article 47 par. 2 de la loi – se lit ainsi: « Pendant l’examen d’une accusation portée contre lui, un détenu jouit d’une entière latitude pour connaître les allégations le visant et pour présenter sa défense ».
La procédure relevait jadis de la pratique; depuis 1977, le service pénitentiaire du ministère de l’Intérieur distribue aux comités une brochure intitulée « procédure des comités des visiteurs en matière contentieuse ».
36. La procédure débute par un rapport adressé par un gardien au directeur de la prison et donnant des précisions sur l’infraction incriminée. Le prisonnier reçoit un « avis de rapport » indiquant la nature, l’heure, le jour et le lieu de celle-ci; il peut répondre par écrit à l’accusation. On lui délivre aussi un formulaire, dépourvu de valeur légale, résumant la procédure qui se déroulera quand il comparaîtra devant le comité: il sera invité à préciser s’il plaide ou non coupable et pourra interroger les témoins à charge, demander l’audition de témoins à décharge et produire lui-même des preuves ou se défendre. Les débats se déroulent à huis clos dans la prison et le comité rend sa décision dans les mêmes conditions.
Le règlement pénitentiaire passe sous silence la consultation d’un avocat par un détenu au sujet d’une instance engagée devant un comité, tout comme la représentation par un avocat pendant une telle instance. Dans la pratique antérieure à 1981, on n’autorisait point pareille consultation avant l’audience. De plus, la Cour d’appel saisie de l’affaire Fraser c. Mudge avait jugé que si un comité doit respecter les principes élémentaires de la justice et agir avec équité en matière disciplinaire, le détenu n’a pas droit pour autant à être représenté par un avocat (All England Law Reports, 1975, vol. 3, p. 78). Toutefois, dans son jugement du 8 novembre 1983 en l’affaire R. c. Comité des visiteurs de la prison d’Albany, ex parte Tarrant (All England Law Reports, 1984, vol. 1, p. 799), la Divisional Court a déclaré que nonobstant l’absence d’un droit absolu à semblable représentation, un comité peut accorder celle-ci; en outre, l’intéressé a le droit d’exiger l’exercice de ce pouvoir d’appréciation et l’examen au fond de sa demande de représentation; si le comité n’use pas de son pouvoir de manière appropriée, il faut casser sa décision. Le juge Webster a ajouté que dans la majorité, voire la totalité de cas d’accusation de mutinerie nul comité des visiteurs se conduisant avec discernement ne saurait refuser la représentation par un conseil.
37. En 1978, dans l’affaire St Germain (paragraphe 39 ci-dessous) la Cour d’appel a dû, pour des motifs de compétence, rechercher si les poursuites disciplinaires devant un comité de visiteurs revêtaient un caractère pénal au sens de la législation applicable. Elle a répondu par la négative.
Lord Justice Waller a fondé son vote sur la circonstance que le comité n’a pas à connaître d’accusations « pénales », c’est-à-dire relatives à « une infraction au droit public », et ne constitue pas une juridiction pénale.
Lord Justice Shaw a estimé que la procédure du comité présente quelques-uns des aspects d’une cause ou question pénale (par exemple l’accusation, l’instruction, le jugement et les éventuelles conséquences punitives), mais non l’élément distinctif fondamental, à savoir une instance pénale engagée pour manquement à l’une des conditions du respect et du maintien du droit et de l’ordre publics. Pour en déterminer la nature, il faut prendre aussi en compte le contexte et l’objectif global. Sans doute une infraction au règlement pénitentiaire peut-elle coïncider avec un délit au regard du droit commun et entraîner une mesure correspondant à une peine ou sanction, mais cela ne transforme pas en cause ou question pénale le litige à trancher par le comité. Il s’agit par essence d’une procédure disciplinaire interne, non destinée à traiter une faute sous l’angle du droit public ou de l’intérêt général, mais conçue et suivie dans le but limité de préserver l’ordre dans l’enceinte d’une prison. Il serait en outre illogique et anormal de considérer comme pénale une procédure issue d’une infraction au règlement pénitentiaire qui ne s’analyse pas en une infraction pénale d’après le droit commun.
Toutefois, dans sa décision du 20 septembre 1982 en l’affaire R. c. Comité des visiteurs de la prison de Highpoint, ex parte McConkey (Times Law Reports, 23 septembre 1982), le juge McCullough a parlé de l’ »étroite similitude » entre une accusation de manquement au règlement pénitentiaire et une accusation pénale: chacune d’elles débouche sur un procès et peut mener à des conséquences de caractère punitif, telle, dans le premier cas, une perte de remise de peine. Si les infractions à la discipline pénitentiaire transgressent un code interne, elles sont aussi « pénales »; en principe, les articles pertinents du règlement pénitentiaire ne doivent pas s’interpréter d’une manière plus rigoureuse envers le détenu que dans le cas d’infractions pénales. De même, dans l’affaire Tarrant (paragraphe 36 ci-dessus) le représentant du comité des visiteurs a concédé qu’en matière de poursuites disciplinaires il y avait lieu d’appliquer une norme pénale de preuve.
3. Contrôle ultérieur de la procédure disciplinaire du comité des visiteurs
a) Voies internes
38. Aux termes de l’article 56 du règlement pénitentiaire, une sanction disciplinaire infligée par un comité des visiteurs peut être levée ou adoucie par le ministre de l’Intérieur ou, sous réserve de ses instructions, par le comité lui-même. Les critères et la procédure de rétablissement d’une remise de peine se trouvent définis par la directive 58/1976 du ministre: en bref, l’intéressé doit témoigner d’un net amendement montrant un changement réel d’attitude et il n’y a pas lieu d’user du pouvoir de rétablissement à seule fin de modifier une sanction que l’on estime après coup excessive ou discutable.
Les demandes de levée ou d’adoucissement des sanctions sont normalement adressées d’abord au comité lui-même, de la décision duquel le détenu peut saisir le ministre de l’Intérieur.D’après l’article 7 du règlement pénitentiaire, les prisonniers se voient fournir par écrit, à leur arrivée à la prison ou peu après, des renseignements relatifs, entre autres, à la bonne manière de présenter des requêtes.
Dans l’affaire St Germain (paragraphe 39 ci-dessous), les membres de la Cour d’appel ont exprimé l’opinion qu’une demande introduite en vertu de l’article 56 ne doit pas être considérée comme un véritable recours; ils ont constaté, notamment, qu’il n’appartient pas au ministre de casser la déclaration de culpabilité prononcée par le comité.
b) Saisine des juridictions internes
39. a) La question de savoir si les tribunaux anglais ont compétence pour contrôler une procédure disciplinaire engagée devant un comité des visiteurs a surgi dans l’affaire R. c. Comité des visiteurs de la prison de Hull, ex parte St Germain et consorts. En l’espèce, les intéressés réclamaient des ordonnances de certiorari destinées à annuler, pour manquement aux principes élémentaires de la justice, certaines décisions par lesquelles un comité avait infligé des sanctions disciplinaires en 1976.
b) Dans un jugement du 6 décembre 1977 (All England Law Reports, 1978, vol. 2, p. 198), la Divisional Court a estimé que si un comité constitue par nature une juridiction tenue d’agir judiciairement, il n’est pas pour autant soumis à contrôle par voie de certiorari, recours qui ne s’étend pas à une procédure disciplinaire interne se déroulant à huis clos devant un organe doté d’une forme de discipline et de règles spécifiques. Elle a souligné qu’il a « des rapports étroits » avec la prison et que dans l’exercice de ses attributions contentieuses il fait partie du système disciplinaire de celle-ci.
c) Par un arrêt du 3 octobre 1978 (All England Law Reports, 1979, vol. 1, p. 701), la Cour d’appel a accueilli l’appel interjeté contre cette décision le 20 décembre 1977. Elle a constaté l’absence d’une norme juridique obligeant les tribunaux à décliner leur compétence pour la simple raison que la procédure litigieuse revêt un caractère disciplinaire interne. Il n’y a pas non plus de jurisprudence ni de précédent contraignants sur le point de savoir si les décisions disciplinaires des comités de visiteurs se prêtent à un certiorari; il faut trancher la question à la lumière de l’intérêt général. Les fonctions disciplinaires d’un comité sont distinctes et indépendantes des autres. Quand il connaît d’accusations disciplinaires, il n’impose pas une discipline sommaire au titre de la gestion quotidienne de la prison, mais est un organe indépendant qui ne peut punir un détenu sans une enquête ou audience régulières. Ce faisant, il s’acquitte d’une tâche judiciaire et ses décisions relèvent donc, le cas échéant, du contrôle des tribunaux par la voie du certiorari. Toutefois, le recours – discrétionnaire – n’aboutira que si le comité n’a pas agi de manière équitable, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, et s’il en est résulté une injustice importante, et non insignifiante ou seulement formelle.
40. Statuant sur renvoi le 15 juin 1979 (All England Law Reports, 1979, vol. 3, p. 545), la Divisional Court a cassé certaines des décisions du comité des visiteurs de la prison de Hull. Elle a noté que les articles 47 par. 2 de la loi de 1952 sur les prisons et 49 par. 2 du règlement pénitentiaire (paragraphe 35 ci-dessus) consacrent le principe élémentaire selon lequel toute partie à un différend a droit à un procès équitable; en l’occurrence, les décisions annulées n’avaient pas respecté ce principe mais rien, dans la procédure du comité en général, ne justifiait aucune objection.
La Divisional Court a souligné que le droit à un procès équitable devant un comité des visiteurs englobe celui de présenter des offres de preuve; le président doit exercer de manière raisonnable, de bonne foi et pour des motifs appropriés (et non, par exemple, par pure commodité administrative) son pouvoir de ne pas permettre à un détenu de citer des témoins. En outre, l’intéressé doit aussi jouir de facilités suffisantes pour examiner les éléments de preuve invoqués contre lui, ce qui peut exiger qu’on lui offre l’occasion de contre-interroger les témoins dont la déposition initiale devant le comité se fondait sur de simples ouï-dire.
41. L’introduction des demandes de certiorari doit, en principe, avoir lieu dans un délai qui court à partir de la décision attaquée: six mois en 1976, trois depuis le 11 janvier 1978. Le tribunal peut accorder l’autorisation de recourir hors délai; cela relève de lui, mais l’expérience montre qu’il ne s’y refuse pas si le ministère de l’Intérieur n’excipe pas de la tardiveté.
Lorsqu’un tribunal casse une décision disciplinaire d’un comité des visiteurs, l’accusation peut faire ensuite l’objet d’une nouvelle procédure devant un comité autrement composé.
B. Correspondance et visites
42. La question de la correspondance des détenus et des visites à ceux-ci se trouve traitée dans plusieurs articles du règlement pénitentiaire.
Afin d’assurer une pratique uniforme dans tous les établissements, le ministre donne aussi aux directeurs de prisons des consignes sous la forme d’instructions permanentes (Standing Orders, « instructions ») et de directives (Circular Instructions). A moins d’une autorisation spéciale, ils doivent les respecter mais elles n’ont pas et ne sont pas censées avoir force de loi. Dans les deux domaines considérés, elles ont une double fonction: circonscrire le pouvoir discrétionnaire reconnu aux directeurs par le règlement pénitentiaire; préciser la manière dont le ministre entend à certains égards exercer son propre pouvoir discrétionnaire.
Avant le 1er décembre 1981, les membres des deux chambres du Parlement avaient accès aux consignes en question pour les consulter, mais non le grand public ni les détenus; on fournissait cependant à ces derniers, au moyen de notices affichées dans les cellules, des informations sur certains aspects du contrôle du courrier et des visites.
1. La situation à l’époque des faits à l’origine de la cause
43. À l’époque des faits de la cause, parmi les clauses fondamentales du règlement pénitentiaire en matière de correspondance et de visites figuraient les suivantes:
« 33 (1) Pour maintenir la discipline et l’ordre ou prévenir les infractions pénales, ou dans l’intérêt de toute personne, le ministre peut imposer, de manière générale ou dans un cas particulier, des restrictions aux communications à autoriser entre un détenu et d’autres personnes.
(2) Sauf exception prévue par la loi ou par le présent règlement, un détenu ne peut communiquer avec une personne de l’extérieur, et réciproquement, sans l’autorisation du ministre.
(3) Sauf disposition contraire du présent règlement, toute lettre ou communication envoyée par ou à un détenu peut être lue ou examinée par le directeur de l’établissement ou un fonctionnaire habilité par lui; le directeur peut, à sa guise, intercepter toute lettre ou communication en raison du caractère répréhensible de son contenu ou de sa longueur démesurée.
(4) Toute visite à un détenu se déroule en présence d’un gardien à moins que le ministre n’en décide autrement.
(5) Sauf exception résultant du présent règlement, toute visite à un détenu se déroule à portée de voix d’un gardien à moins que le ministre n’en décide autrement.
(6) Le ministre peut donner des instructions, générales ou relatives à une visite ou catégorie de visites, quant aux jours et heures de visites aux détenus. »
« 34 (8) Le présent article [34] » – qui réglemente le volume de la correspondance et la fréquence des visites – « ne donne pas à un détenu le droit de communiquer avec quelqu’un au sujet d’une affaire juridique ou autre, ou avec une personne autre qu’un parent ou ami, sans l’autorisation du ministre. »
44. Les articles précités étaient complétés ou modifiés, par des instructions ou directives ou par d’autres articles du règlement, sur plusieurs points dont les suivants.
a) Selon l’article 34 par. 8 du règlement pénitentiaire, complété par l’instruction 5 A 23, les détenus devaient solliciter la permission du ministre de l’Intérieur pour correspondre avec une personne autre qu’un proche, ou en recevoir la visite; toutefois, on les laissait d’ordinaire correspondre avec d’autres parents ou des amis, ou en recevoir la visite, sans avoir à en demander l’autorisation, mais le directeur pouvait le leur interdire pour des raisons de sécurité, ou d’ordre et de discipline, ou dans l’intérêt de la lutte contre la délinquance. Il jouissait d’un pouvoir discrétionnaire pour consentir à des communications avec d’autres personnes que le détenu ne connaissait pas personnellement avant d’être écroué. Cependant, il n’en aurait probablement pas usé en faveur de détenus de la « catégorie A », tels M. Campbell et le Père Fell; il s’agit des individus qui, en cas d’évasion, constitueraient un grand danger pour la population, la police ou la sûreté de l’État.
b) Depuis le 1er janvier 1973, l’article 37 A par. 1 du règlement pénitentiaire limite le contrôle de la correspondance relative à un procès civil ou pénal auquel le détenu était déjà partie. Il se lit ainsi:
« Un détenu partie à un procès judiciaire peut correspondre au sujet de celui-ci avec son conseil; pareille correspondance n’est ni lue ni interceptée en vertu de l’article 33 par. 3 du présent règlement, sauf si le directeur a des raisons de supposer qu’elle contient des éléments étrangers à ladite procédure. »
c) Jusqu’au 6 août 1975, les détenus devaient demander au ministre de l’Intérieur l’autorisation de consulter ou constituer un solicitor au sujet d’un procès civil à intenter (sauf pour certaines affaires de divorce). A cette date, la directive 45/1975 a apporté des modifications qu’a reflétées ultérieurement l’article 37 A par. 4 du règlement pénitentiaire, entré en vigueur le 26 avril 1976 et ainsi libellé:
« Sous réserve des consignes du ministre, un détenu peut correspondre avec un solicitor afin de le consulter sur une action civile éventuelle à laquelle il peut devenir partie ou de le charger d’engager pareille action. »
La directive 45/1975 – puis l’instruction 17 A – disposait notamment:
i. que le détenu devait avoir recueilli l’avis d’un solicitor avant d’être autorisé à introduire une instance;
ii. qu’à chaque stade, il devait d’abord adresser au directeur de la prison une demande écrite et motivée tendant à l’octroi des facilités nécessaires, lesquelles pouvaient revêtir la forme d’une lettre ou d’une visite; il fallait les lui accorder immédiatement, à ceci près que la « règle de l’examen préalable » valait en général dans le cas d’un procès civil à intenter contre le ministère de l’Intérieur (ou l’un quelconque de ses agents) par suite ou au sujet de la détention.
En vertu de ladite règle, un détenu n’obtenait pas les facilités requises pour consulter un homme de loi, par correspondance ou lors d’une visite, à propos d’un tel procès s’il n’avait pas formulé sa plainte par les voies internes normales (requête au ministre de l’Intérieur ou demande au comité des visiteurs, à un inspecteur délégué par le ministre de l’Intérieur ou au directeur de la prison) et reçu une réponse définitive, favorable ou non.
d) Les visites de conseillers juridiques obéissaient à un article particulier du règlement pénitentiaire:
« 37 (1) Le conseil d’un détenu partie à un procès judiciaire civil ou pénal a droit, dans des limites raisonnables, à l’octroi de facilités pour le rencontrer au sujet dudit procès, en présence mais hors de portée de voix d’un gardien.
(2) Le conseil d’un détenu peut, avec l’autorisation du ministre, rencontrer son client au sujet de toute autre affaire juridique, en présence et à portée de voix d’un gardien. »
Les autorités ne considéraient pas comme un « procès judiciaire » au sens du règlement pénitentiaire, et notamment des articles 37 par. 1 et 37 A par. 1, une instance disciplinaire devant un comité de visiteurs.
e) Des dispositions spéciales, moins strictes, s’appliquaient aux requêtes à la Commission (instruction 5 B 22).
2. Depuis le 1er décembre 1981
45. Avant le 1er décembre 1981, instructions et directives renfermaient, en sus de consignes sur le contrôle de la correspondance des détenus et des visites à ceux-ci, des règles à usage interne et des principes de caractère général pour l’administration quotidienne de l’établissement. A compter de cette date, lesdites consignes ont subi une révision profonde. En outre, les nouvelles instructions en la matière ont été publiées dans leur intégralité; on a extrait des instructions, pour les insérer dans des directives, des dispositions d’ordre administratif étrangères au droit d’un détenu à correspondre ou à recevoir des visites et qui, estimait-on, ne se prêtaient pas à une publication. On n’a pas amendé le règlement pénitentiaire lui-même, mais le Gouvernement a déclaré que l’on abrogerait le plus tôt possible l’article 34 (8) (paragraphe 43 ci-dessus) dans la mesure où il a trait à la correspondance.
46. Quant aux problèmes soulevés par la présente affaire, la situation antérieure a changé sur les points suivants.
a) Les nouvelles instructions (no 5 B 23 -5 B 3O) prévoient qu’à certaines exceptions près, un prisonnier peut correspondre avec toute personne ou organisation, sauf à respecter les normes applicables au contenu de la correspondance et la « règle de l’examen simultané ».
b) Celle-ci, énoncée dans l’instruction 5 B 34 j, a remplacé la « règle de l’examen préalable » (paragraphe 44 c) in fine ci-dessus). Désormais, un prisonnier peut consulter un homme de loi au sujet d’un procès civil relatif aux conditions de détention une fois qu’il a formulé son grief selon les modalités prescrites; il n’a plus besoin d’attendre le résultat de l’enquête interne.
c) L’article 37 par. 1 du règlement pénitentiaire (paragraphe 44 d) ci-dessus) continue à valoir pour les visites d’un conseiller juridique concernant un procès judiciaire auquel le détenu est déjà partie. D’après la nouvelle instruction 5 A 34, les autres visites d’un conseiller juridique agissant à titre professionnel sont dorénavant autorisées elles aussi hors de portée de voix d’un gardien si la question à examiner est indiquée par avance au directeur de la prison et ne va pas à l’encontre des restrictions à la correspondance avec des conseillers juridiques telles que les définit la nouvelle instruction 5 B 34 (y compris la « règle de l’examen simultané »). A défaut de pareille divulgation préalable, la visite n’en sera pas moins permise, mais aura lieu à portée de voix d’un gardien.
C. Possibilité de consulter un médecin
47. D’après l’article 17 du règlement pénitentiaire, la santé des détenus relève de la responsabilité du médecin de la prison, lequel peut recourir à un confrère.
L’administration pénitentiaire ne consent pas en général à l’examen d’un condamné par un praticien de l’extérieur (non appelé par le médecin de la prison) sauf si le détenu est partie à une action judiciaire, auquel cas s’applique l’article 37 A par. 3 dudit règlement:
« Sous réserve de toute directive donnée pour le cas d’espèce par le ministre de l’Intérieur, un praticien homologué choisi par [un détenu partie à un procès], ou en son nom, se voit accorder des facilités raisonnables pour l’examiner en liaison avec l’action judiciaire; il peut le faire en présence mais hors de portée de voix d’un gardien. »
D. Plaintes relatives au contrôle de la correspondance et des visites
1. Voies internes
48. Un détenu mécontent d’une décision relative à sa correspondance ou à ses visites peut se plaindre au directeur de la prison, au comité des visiteurs ou à un inspecteur délégué par le ministre de l’Intérieur, ou adresser une requête au ministre lui-même. Il peut emprunter l’une quelconque de ces voies ou chacune d’elles et, s’il en utilise plus d’une, suivre l’ordre de son choix.
a) Le comité des visiteurs
49. Le comité des visiteurs peut examiner la compatibilité de la décision incriminée avec le règlement pénitentiaire et les consignes du ministre de l’Intérieur. Il signale au directeur les irrégularités éventuelles ou rend compte au ministre; sauf circonstances exceptionnelles, on se conforme à son avis malgré le caractère consultatif de ses attributions.
b) Requêtes au ministre de l’Intérieur
50. Les détenus ont le droit de saisir le ministre de l’Intérieur de requêtes sur n’importe quel sujet, par exemple pour solliciter une permission que le directeur de la prison ne peut ou ne veut leur accorder, ou pour s’en prendre aux conditions de détention.
Quand un détenu se plaint à lui d’une décision des autorités pénitentiaires relative à son courrier ou à ses visites, le ministre de l’Intérieur, s’il estime qu’elles ont mal interprété ou appliqué l’instruction pertinente, leur donne des ordres afin d’en garantir le respect. Il peut s’écarter des instructions dans des cas particuliers, mais cela n’arrive sans doute que rarement, voire jamais, car elles ont pour but même d’assurer l’uniformité de pratique.
Avant le 1er décembre 1981, les consignes relatives à la présentation de requêtes figuraient dans les instructions 5 B 1 à 16. Elles prévoyaient notamment que, sous réserve de certaines exceptions, un détenu ne pouvait déposer une requête si et aussi longtemps qu’il attendait une réponse à une requête antérieure (instruction 5 B 12 (2)).
A compter du 1er décembre 1981, les nouvelles instructions 5 C 9 et 5 C 10 ont assoupli les dispositions de l’instruction 5 B 12 (2). Une requête peut désormais être introduite un mois après la précédente. En outre, même lorsqu’une requête demeure pendante un détenu peut d’emblée en envoyer une sur certaines questions déterminées, par exemple des entraves à sa correspondance mais non des restrictions en matière de visites.
2. Le médiateur parlementaire pour les questions administratives
51. Les plaintes touchant le contrôle de la correspondance et des visites peuvent aussi, sous certaines conditions, être adressées au médiateur parlementaire pour les questions administratives (Parliamentary Commissioner for Administration, alias Ombudsman). Toutefois, sa compétence ne s’étend pas aux restrictions opérées dans l’exercice correct du pouvoir discrétionnaire conféré par le règlement pénitentiaire ou les consignes du ministre de l’Intérieur; en outre, il ne peut redresser les griefs lui-même, mais seulement communiquer les résultats de son enquête à un député, à l’institution concernée et, dans certaines circonstances, à chacune des chambres du Parlement (articles 10 et 12 de la loi de 1967 sur le médiateur).
3. Saisine des juridictions internes
52. Contre la manière dont les autorités usent des pouvoirs que le règlement pénitentiaire leur attribue dans les deux domaines considérés, un recours en contrôle judiciaire (proceedings for judicial review) s’ouvre devant les juridictions anglaises. Celles-ci ont compétence pour veiller au respect du règlement pour autant qu’il confère aux détenus le droit de correspondre ou de recevoir des visites (par exemple en ses articles 37 (A) par. 1 et 37 par. 1; paragraphe 44, alinéas b) et d), ci-dessus) et à l’absence d’acte arbitraire ou déraisonnable, de mauvaise foi, d’excès ou de détournement de pouvoir de la part desdites autorités.
En l’affaire Raymond c. Honey, la Cour le note dans ce contexte, Lord Wilberforce a souligné que d’après un principe de droit anglais un condamné détenu conserve, malgré son emprisonnement, tous les droits fondamentaux dont on ne l’a pas privé expressément ou par implication nécessaire (All England Law Reports, 1982, vol. 1, p. 759).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
53. M. Campbell et le Père Fell ont saisi la Commission les 4 et 31 mars 1977 respectivement. Dans sa requête ou dans des mémoires ultérieurs, chacun d’eux:
a) allègue avoir été condamné par le comité des visiteurs pour des infractions disciplinaires revêtant au fond un caractère « pénal », sans avoir pu faire entendre sa cause de la manière exigée par l’article 6 (art. 6) de la Convention;
b) soutient que le retard apporté à lui permettre de consulter un avocat après l’incident du 16 septembre 1976 a méconnu son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 (art. 6), et son droit au respect de sa correspondance, protégé par l’article 8 (art. 8);
c) prétend que le refus de le laisser consulter un médecin indépendant a entraîné lui aussi une violation de ses droits au titre de l’article 6 (art. 6);
d) formule plusieurs autres doléances, notamment au sujet de son traitement pendant et après l’incident susmentionné.
Le 6 mai 1978, la Commission a retenu la requête de M. Campbell sur les points a), b) et c); elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus.
Par une décision partielle du 9 octobre 1980 puis une décision finale des 14 et 19 mars 1981,
– elle a retenu la requête du Père Fell sur les points b) et c) et pour autant qu’il se plaignait, en outre, du refus de l’autoriser à consulter son avocat en privé (articles 6 et 8) (art. 6, art. 8) et à correspondre avec certaines personnes (article 8) (art. 8) ainsi que de l’absence de recours effectif pour ses griefs (article 13) (art. 13);
– elle l’a déclarée irrecevable sur les points a) et d) au motif, quant au premier, qu’au moment où elle a statué en mars 1981 l’intéressé n’avait pas épuisé une voie de recours interne, la demande de certiorari (paragraphes 15 et 39 – 41 ci-dessus).
Par la dernière de ces décisions, la Commission a en outre ordonné la jonction des deux requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur.
54. Dans son rapport du 12 mai 1982 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle aboutit à la conclusion :
– que la procédure suivie devant le comité des visiteurs dans le cas de M. Campbell a méconnu les droits garantis par l’article 6 (art. 6) (neuf voix, avec trois abstentions);
– que le retard mis à laisser les deux requérants à consulter un avocat a enfreint les articles 6 par. 1 et 8 (art. 6-1, art. 8) (unanimité);
– que le refus de les autoriser à consulter un médecin indépendant n’a pas violé l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité);
– que le refus d’autoriser le Père Fell à s’entretenir sans témoins avec son avocat a contrevenu à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et qu’il ne s’imposait pas de rechercher s’il a également transgressé l’article 8 (art. 8) (unanimité);
– que le refus d’autoriser le Père Fell à correspondre avec Soeur Power et Soeur Benedict a enfreint l’article 8 (art. 8) (unanimité);
– que nul recours effectif ne s’offrait au Père Fell pour ses griefs au titre de l’article 8 (art. 8) et qu’il y a eu à cet égard violation de l’article 13 (art. 13) (unanimité).
Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
55. Lors des audiences du 20 septembre 1983, le Gouvernement a invité la Cour, sous réserve des concessions qu’il a faites à cette occasion, à se prononcer dans le sens indiqué par son mémoire du 17 mars 1983, en d’autres termes:
« Quant à l’article 6 (art. 6)
i. à dire et déclarer que l’article 6 (art. 6) de la Convention ne s’applique pas à un comité des visiteurs quand il connaît des infractions disciplinaires visées à l’article 47 du règlement pénitentiaire (amendé) de 1964 ou de l’une quelconque d’entre elles;
ii. à dire et déclarer que les faits constatés ne révèlent aucune violation résultant de la manière dont le comité des visiteurs de la prison a examiné les infractions reprochées à John Joseph Campbell et statué à leur sujet;
[*]
iii. à dire et déclarer que John Joseph Campbell n’a pas épuisé les voies de recours internes pour tout ou partie des violations qui en résulteraient;
iv. à prendre acte dans son arrêt des modifications apportées, depuis son arrêt Golder, à la législation et à la pratique du Royaume-Uni en matière de contrôle des communications entre les détenus et leurs conseils et
a) à la lumière de ces changements, à refuser d’étudier plus avant les allégations de violation de l’article 6 (art. 6) formulées sur ce point
ou, en ordre subsidiaire,
b) à dire et déclarer que les faits constatés ne révèlent à cet égard aucun autre manquement du Royaume-Uni à ses obligations au titre de l’article 6 (art. 6) que ceux relevés dans le rapport de la Commission;
Quant à l’article 8 (art. 8)
i. dans la mesure où la Commission a estimé que les faits constatés ne révèlent aucun manquement du Royaume-Uni à ses obligations au titre de l’article 8 (art. 8), à confirmer cet avis;
ii. dans la mesure où le Gouvernement, en raison des changements apportés par les nouvelles instructions à la pratique du Royaume-Uni en matière de correspondance des détenus, ne conteste pas les violations de la Convention relevées par la Commission,
a) à dire et déclarer que les faits constatés ne révèlent aucun autre manquement que ceux indiqués dans le rapport de la Commission;
b) à prendre acte, dans son arrêt, des changements dont il s’agit comme redressant les manquements ainsi constatés par la Commission;
Quant à l’article 13 (art. 13)
à dire et déclarer que les faits constatés ne révèleraient aucun manquement du Royaume-Uni à ses obligations au titre de l’article 13 (art. 13) après l’entrée en vigueur des nouvelles instructions relatives à la correspondance des détenus et aux visites à ceux-ci. »
EN DROIT
I. MOYENS PRELIMINAIRES
A. Sur l’exception selon laquelle M. Campbell n’a pas épuisé les voies de recours internes quant à la procédure suivie contre lui devant le comité des visiteurs
56. Dans son mémoire du 17 mars 1983 à la Cour, le Gouvernement a soutenu que M. Campbell, faute d’avoir demandé un contrôle judiciaire, par le moyen du certiorari (paragraphes 15 et 39-41 ci-dessus), de la procédure suivie dans son cas devant le comité des visiteurs, n’a pas épuisé les voies de recours internes et qu’il n’y a donc pas lieu d’étudier ses doléances en la matière.
57. La Cour connaît de pareilles exceptions préliminaires pour autant que l’État en cause les ait déjà soulevées devant la Commission, en principe au stade de l’examen initial de la recevabilité, dans la mesure où leur nature et les circonstances s’y prêtaient; elle le déclare forclos si cette condition ne se trouve pas remplie (voir notamment l’arrêt Artico du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 12 et 13, paras. 24 et 27).
1. Sur la forclusion
58. Déposées le 20 décembre 1977, les observations du Gouvernement sur la recevabilité de la requête de M. Campbell passaient sous silence la question de l’épuisement des recours internes quant à l’instance devant le comité. C’est seulement le mémoire du 13 décembre 1978 sur le fond qui a invité la Commission à écarter en vertu des articles 26 et 29 (art. 26, art. 29) de la Convention les griefs concernant ladite instance, par le motif qu’il n’y avait pas eu de demande de certiorari. Elle les avait déjà retenus le 6 mai 1978; les 14 et 19 mars 1981, elle a constaté l’impossibilité d’appliquer l’article 29 (art. 29) qui exige l’unanimité.
59. Le 6 décembre 1977, il échet de le rappeler, la Divisional Court avait jugé dans l’affaire St Germain qu’une procédure disciplinaire devant un comité des visiteurs ne pouvait donner ouverture à un certiorari (paragraphe 39 b) ci-dessus). Dès lors, il eût été difficile pour le Gouvernement d’invoquer devant la Commission, deux semaines plus tard, l’existence de ce recours, contrairement à la thèse que le conseil du comité des visiteurs de la prison de Hull, mandaté par le Treasury Solicitor, avait défendue auprès de la Divisional Court. Nonobstant l’opinion exprimée par le délégué de la Commission, la Cour estime aussi que comme les autorités venaient à peine d’obtenir gain de cause dans l’ordre juridique interne, le Gouvernement ne pouvait guère plaider qu’il s’agissait là d’un problème douteux ou non résolu en droit anglais, de sorte que M. Campbell devait tenter sa chance en justice.
Appel fut interjeté dans l’affaire St Germain le 20 décembre 1977, mais la question ne se régla de manière définitive que le 3 octobre 1978 quand la Cour d’appel réforma la décision de la Divisional Court (paragraphe 39 c) ci-dessus). C’est manifestement l’arrêt ainsi rendu qui amena le Gouvernement à compléter son argumentation antérieure; aux yeux de la Cour, on ne pouvait raisonnablement s’attendre à le voir exciper plus tôt du non-épuisement (arrêt Artico précité, ibidem, p. 13, par. 27, troisième alinéa). En conséquence, il n’y a pas forclusion.
2. Sur le bien-fondé du moyen
60. L’article 26 (art. 26) de la Convention exige l’épuisement des seuls recours à la fois relatifs aux violations alléguées, accessibles et adéquats (voir notamment l’arrêt Van Oosterwijck du 6 novembre 1980, série A no 40, p. 13, par. 27).
La Commission ne se prononce pas sur le point de savoir s’il en allait ainsi du certiorari dans le cas de M. Campbell.
61. Pour que puisse naître l’obligation d’exercer un recours, l’existence de ce dernier doit être suffisamment certaine (arrêts De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 34, par. 62, et Deweer du 27 février 1980, série A no 35, p. 18, par. 32; voir aussi, mutatis mutandis, l’arrêt Van Droogenbroeck du 24 juin 1982, série A no 50, p. 30, par. 54). Or à l’époque où M. Campbell a saisi la Commission (4 mars 1977), rien ne montrait qu’une procédure devant un comité des visiteurs se prêtait à un certiorari; comme la Cour d’appel le releva dans l’affaire St Germain, il n’y avait pas de jurisprudence ou précédent contraignants sur ce point (paragraphe 39 c) ci-dessus). La situation changea pourtant avec l’arrêt qu’elle rendit le 3 octobre 1978: il établit qu’un détenu pouvait réclamer le contrôle judiciaire de pareille procédure.
Il faut néanmoins se souvenir que dans le cas de M. Campbell le délai à observer en principe pour demander un certiorari avait depuis longtemps expiré (paragraphe 41 ci-dessus et arrêt De Wilde, Ooms et Versyp précité, série A no 12, pp. 34-35, par. 62). Certes, l’autorisation peut être octroyée de recourir hors délai et le Gouvernement affirme qu’on ne l’aurait pas refusée à M. Campbell s’il l’avait sollicitée peu après le second jugement de la Divisional Court en l’affaire St Germain (15 juin 1979), mais il a concédé qu’il n’en irait probablement plus de la sorte aujourd’hui car on tiendrait le retard du requérant pour démesuré et inexcusable (paragraphes 15, 40 et 41 ci-dessus). On doit avoir égard à ces considérations pour apprécier la disponibilité du recours.
62. D’autre part, pendant les débats devant la Cour le Gouvernement a reconnu l’inefficacité de celui-ci pour nombre de griefs du requérant: impossibilité de consulter un avocat avant l’audience du comité des visiteurs, caractère non public de la procédure et du prononcé de la décision, manque prétendu d’ »indépendance ». Il a exprimé la même opinion quant à la représentation par un conseil devant le comité, mais sous réserve de l’issue de l’affaire Tarrant. Celle-ci a révélé que contrairement à la thèse défendue alors par le Gouvernement, une demande de contrôle judiciaire par voie de certiorari pouvait constituer un recours efficace contre un refus déraisonnable de consentir à pareille représentation (paragraphe 36 in fine ci-dessus). Si donc le droit en vigueur se trouve désormais clarifié en ce sens, il n’en demeure pas moins, et le Gouvernement l’admet, que M. Campbell ne pourrait plus escompter se voir accorder l’autorisation d’exercer lui-même le recours en question.
63. Restent, à la vérité, les autres plaintes du requérant: le comité des visiteurs n’aurait pas été « impartial » et n’aurait pas entendu la cause « équitablement »; il y aurait eu atteinte à la présomption d’innocence; on ne l’aurait pas suffisamment informé des accusations portées contre lui; il n’aurait pas disposé du temps nécessaire pour préparer sa défense et on l’aurait privé de droits en matière d’audition de témoins.
D’après le Gouvernement, ces griefs auraient pu et dû donner lieu à une demande de contrôle judiciaire après le 3 octobre 1978. Toutefois, quand l’arrêt de la Cour d’appel en l’affaire St Germain eut établi l’existence d’une telle ressource qui à l’époque, selon le Gouvernement, demeurait ouverte à M. Campbell, la Commission résolut de ne pas rejeter la requête pour autant.Aux yeux de la Cour, l’intéressé était fondé à s’appuyer sur cette décision dans la suite de l’instance engagée par lui à Strasbourg et à ne pas inviter les juridictions internes à contrôler la procédure du comité des visiteurs. En outre, il ne dispose probablement plus à l’heure actuelle – le Gouvernement le reconnaît – du recours dont il s’agit. En conséquence, conclure à l’irrecevabilité desdits griefs pour non-épuisement constituerait aujourd’hui une injustice.
B. Sur la recevabilité des griefs du Père Fell concernant la procédure devant le comité des visiteurs
64. Pour autant que le Père Fell s’en prenait à la procédure suivie dans son cas devant le comité des visiteurs, la Commission a déclaré sa requête irrecevable car à l’époque (14 et 19 mars 1981) il n’avait pas usé d’un recours interne, la demande de certiorari (paragraphe 53 ci-dessus).
Dans son mémoire à la Cour, il signale qu’il a introduit entre temps pareille demande, mais en vain (paragraphe 15 ci-dessus), de sorte que lesdits griefs seraient à présent recevables.
65. D’après la jurisprudence constante de la Cour, aucun recours ne s’ouvre contre les décisions de la Commission rejetant les requêtes qu’elle estime irrecevables et la Cour ne connaît au contentieux que des requêtes retenues par celle-ci (voir notamment l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp précité, série A no 12, p. 30, par. 51, l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 63, par. 157, ainsi que l’arrêt Foti et autres du 10 décembre 1982, série A no 56, p. 14, paras. 40-41).
Partant, la Cour n’a pas compétence pour examiner la thèse du Père Fell.
II. SUR LA PROCEDURE SUIVIE DEVANT LE COMITE DES VISITEURS DANS LE CAS DE M. CAMPBELL
66. M. Campbell reproche au comité des visiteurs de l’avoir déclaré coupable de manquements disciplinaires équivalant au fond à des infractions « pénales » sans lui avoir accordé un procès répondant aux exigences de l’article 6 (art. 6) de la Convention, lequel assure certaines garanties lorsqu’il s’agit de statuer sur des « contestations » relatives à des « droits et obligations de caractère civil » ou sur le « bien-fondé [d’une] accusation en matière pénale ».
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 (art. 6)
1. Sur l’existence d’une « accusation en matière pénale »
67. Selon la Commission, l’instance disciplinaire engagée devant le comité des visiteurs dans le cas de M. Campbell tombait sous le coup de l’article 6 (art. 6) car elle portait sur le « bien-fondé d’accusations en matière pénale ».
Le Gouvernement combat cette opinion en ordre principal.
68. La Cour a rencontré un problème analogue dans l’affaire Engel et autres, mentionnée d’ailleurs par les comparants. Après avoir mis en relief l’ »autonomie » de la notion d’ »accusation en matière pénale » telle que la conçoit l’article 6 (art. 6), son arrêt du 8 juin 1976 (série A no 22, pp. 33-35, paras. 80-82) a énoncé les principes suivants que l’arrêt Öztürk du 21 février 1984 a réaffirmés (série A no 73, pp. 17-18, paras. 48-50):
a) La Convention n’empêche pas les États de créer ou maintenir une distinction entre droit pénal et droit disciplinaire ni d’en fixer le tracé, mais il n’en résulte pas que la qualification ainsi adoptée soit déterminante aux fins de la Convention.
b) Si les États contractants pouvaient à leur guise, en qualifiant une infraction de disciplinaire plutôt que de pénale, écarter le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7), l’application de celles-ci se trouverait subordonnée à leur volonté souveraine. Une latitude aussi étendue risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention.
69. Dans son arrêt Engel et autres, précité, la Cour a pris soin de préciser qu’elle se limitait, quant à la ligne de démarcation entre le « pénal » et le « disciplinaire », au domaine alors en cause: le service militaire. Elle n’ignore pas que dans le contexte carcéral des raisons pratiques et de politique militent pour un régime disciplinaire spécial, par exemple des considérations de sécurité, l’intérêt de l’ordre, la nécessité de réprimer la mauvaise conduite de détenus avec toute la promptitude possible, l’existence de sanctions « sur mesure » dont les juridictions de droit commun peuvent ne pas disposer et le désir des autorités pénitentiaires de garder la haute main sur la discipline dans leurs établissements.
Cependant, la garantie d’un procès équitable, but de l’article 6 (art. 6), figure parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique au sens de la Convention (arrêt Golder du 21 février 1975, série A no 18, p. 18, par. 36). Comme le montre l’arrêt Golder, la justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons et rien, dans les cas appropriés, ne permet de priver les détenus de la protection de l’article 6 (art. 6).
Partant, les principes énoncés dans l’arrêt Engel et autres valent également, mutatis mutandis, pour le milieu pénitentiaire et les raisons énumérées plus haut ne peuvent l’emporter sur le besoin de préserver là aussi, entre le « pénal » et le « disciplinaire », une frontière cadrant avec l’objet et le but de l’article 6 (art. 6). La Cour doit donc rechercher s’il y a lieu de considérer que les poursuites dirigées contre M. Campbell relevaient de la « matière pénale » aux fins de la Convention. Pour cela, elle croit légitime d’utiliser, sans méconnaître pour autant la différence de contexte, les critères formulés dans ledit arrêt.
70. La première question à trancher consiste à savoir si le texte définissant les infractions litigieuses ressortit, selon la technique juridique nationale, au droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois (arrêt Engel et autres précité, série A no 22, pp. 34-35, par. 82).
En droit anglais, les manquements reprochés à M. Campbell tombaient sans nul doute sous le coup du droit disciplinaire: en son article 47, le règlement pénitentiaire érige pareil comportement de la part d’un détenu en « infraction à la discipline » et il précise plus loin la manière de le réprimer selon le régime disciplinaire propre aux prisons (paragraphes 27-31 ci-dessus). De son côté, l’arrêt St Germain confirme qu’au regard du droit interne les procédures devant les comités des visiteurs sortent du domaine pénal: la Cour d’appel y a jugé qu’elles ne constituaient pas une « cause ou question pénale » (paragraphe 37 ci-dessus). A cette occasion, Lord Justice Shaw a exprimé l’opinion qu’il s’agissait par essence d’une procédure disciplinaire interne, non destinée à traiter une faute sous l’angle du droit public ou de l’intérêt général, mais conçue et suivie dans le but restreint de préserver l’ordre dans l’enceinte d’une prison. De fait, la Cour le constate, c’est bien là l’un des buts dans lesquels l’article 47 par. 1 de la loi de 1952 sur les prisons habilite le ministre de l’Intérieur à édicter des règles (paragraphe 26 ci-dessus).Néanmoins, la Cour note aussi que les jugements rendus dans les affaires McConkey et Tarrant ont tracé des parallèles entre les procédures devant les comités des visiteurs et des poursuites pénales (paragraphe 37 in fine ci-dessus).
71. Quoi qu’il en soit, les indications fournies par le droit interne n’ont qu’une valeur relative; la nature même de l’infraction représente un élément de plus grand poids (arrêt Engel et autres précité, ibidem, p. 35, par. 82).
A ce sujet, il ne faut pas oublier que la mauvaise conduite d’un détenu peut revêtir des formes diverses: il est des manquements qui manifestement concernent la seule discipline intérieure, mais on ne saurait en dire autant de tous. Certains d’entre eux, tout d’abord, peuvent se révéler plus répréhensibles que d’autres; le règlement pénitentiaire dresse du reste une échelle des infractions, attribuant une « gravité particulière » à celles que commit M. Campbell (paragraphe 27 ci-dessus). Il y a plus: l’illégalité de tel ou tel acte peut ne pas dépendre de la circonstance qu’il a eu la prison pour théâtre; un comportement contraire au règlement pénitentiaire constitue parfois de surcroît une infraction pénale. Ainsi, des violences graves sur la personne d’un gardien peuvent correspondre au délit de coups et blessures; si la mutinerie et l’incitation à la mutinerie ne tombent pas en soi sous le coup du droit pénal général, les faits gisant à leur origine peuvent fonder une accusation d’association de malfaiteurs (paragraphe 30 ci-dessus). On doit se souvenir en outre qu’au moins en théorie, rien n’empêche de poursuivre pareil comportement tant au pénal que sur le terrain disciplinaire (ibidem).
Sans doute ces données ne suffisent-elles pas pour amener la Cour à conclure à la nécessité de considérer comme « pénales », aux fins de la Convention, les infractions reprochées à M. Campbell, mais elles leur impriment un aspect qui ne coïncide pas exactement avec celui d’un problème de pure discipline.
72. Il s’impose donc de passer au dernier des critères énoncés dans l’arrêt Engel et autres (ibidem, p. 35, par. 82) puis dans l’arrêt Oztürk (série A no 73, p. 18, par. 50): la nature et le degré de sévérité de la sanction que risquait de subir le requérant. Les sanctions les plus lourdes dont le comité aurait pu frapper ce dernier consistaient dans la perte complète de la remise de peine à espérer à l’époque de la décision (un peu moins de trois ans), la suppression de certains privilèges pour une durée illimitée et, pour chaque infraction, un maximum de 56 jours d’exclusion du travail en commun, d’interruption de rémunération et de régime cellulaire; en fait, il lui infligea au total 570 jours de perte de remise et 91 jours des différentes autres sanctions susmentionnées (paragraphes 14 et 28 ci-dessus).
Dans l’affaire St Germain puis devant les organes de la Convention, on a beaucoup discuté de la nature de la remise de peine et de sa perte. En droit anglais, la remise présente un caractère discrétionnaire (paragraphe 29 ci-dessus). D’après la jurisprudence, elle s’analyse juridiquement en un privilège plutôt qu’en un droit; dans l’affaire St Germain, la Cour d’appel a cependant relevé que « si la remise de peine peut avoir revêtu la forme de l’octroi d’un privilège, sa perte est en réalité une sanction ou déchéance qui atteint l’intéressé dans ses droits ».
La Cour ne pense pas que la distinction entre droit et privilège lui soit ici d’un grand secours. La pratique observée en matière de remise importe davantage: sauf perte de remise prononcée sur le terrain disciplinaire, un détenu sera élargi à la date estimée qu’on lui indique au début de sa peine (paragraphe 29 ci-dessus); on suscite ainsi en lui l’expectative légitime de recouvrer sa liberté avant la fin de la période d’emprisonnement à purger. La perte de remise aboutit par conséquent à prolonger la détention au-delà du terme correspondant à cette attente. Le passage ci-après de l’opinion de Lord Justice Waller en l’affaire St Germain le confirme:
« il est constant que le condamné se voit crédité d’une remise maximale à son arrivée à la prison; on lui indique sa date d’élargissement la plus proche. Qu’il s’agisse là d’un droit ou d’un privilège, il peut escompter recouvrer sa liberté à cette date sauf perte de remise prononcée contre lui. Lord Reid attache une égale importance à la déchéance d’un privilège qu’à celle d’un droit et je me permets de marquer mon accord avec lui. Que la remise s’analyse en un droit ou en un privilège me paraît dénué de pertinence. Il suffit de songer au cas [X] qui a perdu 720 jours. Par suite de cette décision, il devrait demeurer incarcéré près de deux ans après sa date d’élargissement la plus proche.Il a perdu de la sorte un privilège très appréciable. » (All England Law Reports, 1979, vol. 1, pp. 723j – 724b)
Dans son arrêt Engel et autres, précité, la Cour a jugé qu’une privation de liberté susceptible d’être infligée à titre répressif ressortit en général à la « matière pénale » (ibidem, p. 35, par. 82). Assurément, même après la décision du comité des visiteurs la peine initiale d’emprisonnement est restée en l’espèce la base légale de la détention et rien n’est venu s’y ajouter (paragraphe 29 ci-dessus). Néanmoins, la perte de remise que M. Campbell risquait de subir et celle qu’il a effectivement subie impliquaient de si lourdes conséquences pour la durée de son emprisonnement qu’il faut les considérer comme « pénales » aux fins de la Convention. En prolongeant la détention bien au-delà de ce qui eût été le cas sans elle, la sanction s’est apparentée à une privation de liberté même si juridiquement elle n’en constituait pas une; l’objet et le but de la Convention exigent d’entourer des garanties de l’article 6 (art. 6) le recours à une mesure aussi sévère. La restitution ultérieure d’un grand nombre de jours de remise au requérant (paragraphe 16 ci-dessus) ne change rien à cette conclusion.
73. En raison tant de la « gravité particulière » des infractions imputées à M. Campbell (paragraphe 27 ci-dessus) que de la nature et de la gravité de la peine encourue – et effectivement infligée -, l’article 6 (art. 6) s’appliquait donc à l’instance engagée contre lui devant le comité des visiteurs. Dès lors, la Cour n’a pas besoin d’examiner les autres sanctions dont il pouvait se voir ou s’est vu frapper en sus de la perte de remise.
2. Sur l’existence d’une « contestation » relative à des « droits de caractère civil »
74. Eu égard à la constatation qui figure au paragraphe précédent, il ne s’impose pas davantage de déterminer si ledit comité avait à trancher une « contestation » relative à des « droits de caractère civil »; avec la Commission, la Cour estime que la question n’offre pas d’intérêt en l’espèce (arrêt Deweer précité, série A no 35, p. 24, par. 47).
B. Sur l’observation de l’article 6 (art. 6)
75. M. Campbell soutient que devant le comité des visiteurs il n’a pas bénéficié d’un « procès équitable » conforme aux paragraphes 1 et 3 a) à d) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-3-a, art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-d). Il allègue aussi la méconnaissance de la présomption d’innocence (article 6 par. 2) (art. 6-2).
1. Article 6 par. 1 (art. 6-1)
76. Aux termes de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention,
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
En l’espèce, nul ne conteste que dans l’exercice de ses attributions contentieuses un comité des visiteurs s’analyse en un « tribunal établi par la loi ». Le droit anglais applicable l’habilite assurément à prendre des décisions contraignantes dans le domaine en cause et il s’agit là d’une fonction judiciaire, comme le montre la jurisprudence St Germain (paragraphes 38 et 39 ci-dessus). En outre, par « tribunal » l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’entend pas nécessairement une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays (voir, mutatis mutandis, l’arrêt X c. Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A no 46, p. 23, par. 53).
a) Tribunal « indépendant »
77. Selon M. Campbell, le comité des visiteurs qui a entendu sa cause n’était pas un tribunal « indépendant » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Les comités représenteraient de simples « façades »; dépourvus d’autonomie aux yeux des détenus, ils se rattacheraient en pratique à l’exécutif: pour nombre de leurs tâches, ils subiraient le contrôle des autorités pénitentiaires et auraient à se plier aux directives du ministre de l’Intérieur. En particulier, ils ne jouiraient pas d’une pleine liberté dans leur rôle contentieux.
La Commission, tout en reconnaissant que la loi les oblige à un comportement indépendant et impartial, n’estime pas cela suffisant: une véritable « indépendance » impliquerait que l’organe considéré ne relève de l’exécutif ni dans l’accomplissement de ses fonctions ni comme institution afin, notamment, que « justice is seen to be done ». Or la nécessaire autonomie institutionnelle manquerait en l’occurrence: un comité de visiteurs se compose de membres nommés, pour des périodes limitées, par le ministre de l’Intérieur et qui ne semblent pas irrévocables; en second lieu, bien qu’il ne se trouve pas intégré à l’administration ses autres attributions entraînent pour lui, de par leur nature même, des contacts quotidiens avec les responsables de la prison, de telle sorte qu’on peut le confondre avec la direction de celle-ci.
Le Gouvernement conteste cette conclusion. Il affirme en particulier que les comités ne sont pas englobés dans la structure des établissements; ils ne dépendraient point des autorités pénitentiaires, locales et nationales, et n’agiraient pas au nom de l’exécutif quand ils s’acquittent de leurs tâches administratives.
78. Pour déterminer si un organe peut passer pour indépendant – notamment à l’égard de l’exécutif et des parties (voir, entre autres, l’arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A no 43, p. 24, par. 55) -, la Cour a eu égard au mode de désignation et à la durée du mandat des membres (ibidem, pp. 24-25, par. 57), à l’existence de garanties contre des pressions extérieures (arrêt Piersack du 1er octobre 1982, série A no 53, p. 13, par. 27) et au point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 17, par. 31).
Elle examinera successivement les éléments invoqués en l’espèce comme montrant le défaut d’indépendance des comités des visiteurs.
79. Les membres de ceux-ci sont nommés par le ministre de l’Intérieur, responsable en personne de l’administration des prisons d’Angleterre et du pays de Galles (paragraphes 26 et 32 ci-dessus).
Aux yeux de la Cour, il n’en résulte pas qu’ils dépendent de l’exécutif: à ce compte, il faudrait en dire autant des juges désignés par décision ou sur l’avis d’un ministre doté de compétence en matière d’administration des juridictions. En outre, quoique le ministère de l’Intérieur puisse donner aux comités des directives concernant l’exercice de leurs fonctions (paragraphe 35 ci-dessus), il n’a pas à leur adresser d’instructions dans le domaine de leurs attributions contentieuses.
80. La nomination vaut pour trois ans ou pour une période plus courte fixée par le ministre (paragraphe 32 ci-dessus).
Durée relativement brève, certes, mais qui s’explique par une raison très compréhensible: les membres ne percevant pas de rémunération (ibidem), il pourrait se révéler malaisé de trouver des personnes désireuses et capables d’assumer pendant un laps de temps plus long les tâches lourdes et importantes dont il s’agit.
La Cour relève que nulle clause relative à la révocation des membres des comités, ni aucune garantie de leur inamovibilité ne figure dans le règlement pénitentiaire.
Le ministre de l’Intérieur pourrait, semble-t-il, inviter l’un d’entre eux à se démettre, mais il n’agirait de la sorte que dans les circonstances les plus exceptionnelles et l’on ne saurait voir dans cette perspective une menace quelconque pour leur indépendance dans l’accomplissement de leurs fonctions judiciaires.
D’une manière générale, on doit assurément considérer l’inamovibilité des juges en cours de mandat comme un corollaire de leur indépendance et, partant, comme l’une des exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Toutefois, l’absence de consécration expresse en droit n’implique pas en soi un défaut d’indépendance du moment qu’il y a reconnaissance de fait et que les autres conditions nécessaires se trouvent réunies (arrêt Engel et autres précité, série A no 22, pp. 27-28, par. 68).
81. Reste la question de l’indépendance des comités eu égard au cumul de leur compétence contentieuse avec leurs attributions en matière de contrôle (paragraphe 33 ci-dessus).
Ainsi que le souligne le Gouvernement, ces dernières ont pour but de placer l’administration pénitentiaire sous la surveillance d’un organe indépendant. Par la force des choses, elles amènent le comité à entretenir de fréquents contacts avec le personnel de l’établissement autant qu’avec les détenus. Il n’en demeure pas moins que son rôle consiste, même dans l’accomplissement de ses tâches administratives, à être un arbitre indépendant des deux parties. L’impression, que peuvent avoir les détenus, de liens étroits des comités avec l’exécutif et la direction de la prison représente un élément de plus grand poids, surtout si l’on garde à l’esprit l’importance, dans le contexte de l’article 6 (art. 6), de l’adage « justice must not only be done: it must also be seen to be done ». Probablement inévitable dans un système carcéral, l’existence de tels sentiments ne suffit pourtant pas à établir un manque d’ »indépendance ». Cette exigence de l’article 6 (art. 6) ne serait pas satisfaite si les détenus pouvaient raisonnablement croire que le comité dépend des autorités, à cause de la fréquence de ses contacts avec elles (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Piersack précité, série A no 53, p. 15, par. 30 in fine), mais aux yeux de la Cour ces contacts, qui se nouent aussi avec les prisonniers eux-mêmes, ne sauraient à eux seuls justifier pareille impression.
82. En résumé, la Cour n’aperçoit aucun motif de constater que le comité dont il s’agit n’était pas « indépendant » au sens de l’article 6 (art. 6).
b) Tribunal « impartial »
83. Selon M. Campbell, le comité de visiteurs qui a statué sur son cas ne constituait pas davantage un tribunal « impartial ».
Le Gouvernement combat cette affirmation. La Commission ne se prononce pas, mais elle prend soin de préciser qu’il ne faut pas déduire des conclusions de son rapport la découverte d’une prévention, ni de rien de semblable, dans le chef du comité.
84. L’impartialité individuelle des membres d’un organe régi par l’article 6 (art. 6) doit se présumer jusqu’à preuve du contraire (arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere précité, série A no 43, p. 25, par. 58). En l’espèce, le requérant n’a fourni aucune donnée propre à inspirer à la Cour des doutes à ce sujet.
85. On ne saurait pourtant se borner à une appréciation purement subjective: en la matière, les apparences peuvent revêtir une certaine importance et il faut tenir compte de considérations de caractère organique (arrêt Piersack précité, série A no 53, pp. 14-15, par. 30).
Avant le 6 octobre 1976, le comité de visiteurs de la prison d’Albany n’a joué aucun rôle dans les poursuites disciplinaires contre l’intéressé; il en a connu pour la première fois ce jour-là (paragraphes 12-14 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, l’aménagement du procès ne révèle donc rien qui ait porté atteinte à son « impartialité » objective.
Reste que M. Campbell n’a peut-être pas considéré ledit comité comme entièrement exempt de prévention. Pour les raisons exposées au paragraphe 81 ci-dessus, la Cour n’estime toutefois pas que cela suffise en l’occurrence à démontrer l’inobservation de cette exigence de l’article 6 (art. 6).
c) « Publiquement »
86. Le requérant se plaint que son affaire n’a pas donné lieu à des audiences publiques devant le comité; il reconnaît néanmoins qu’il s’agit là pour lui d’un point secondaire.
D’après la Commission, il y a eu manquement aux exigences de l’article 6 (art. 6) en la matière. Le Gouvernement, lui, plaide la légitimité de la pratique selon laquelle les comités siègent toujours à huis clos (paragraphe 36 ci-dessus); il tire argument de la possibilité, offerte par l’article 6 (art. 6), d’interdire à la presse et au public l’accès de la salle d’audience « dans l’intérêt (…) de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique », « lorsque (…) la protection de la vie privée des parties au procès l’exig[e] » ou, à titre subsidiaire, parce qu’auraient existé des « circonstances spéciales [dans lesquelles] la publicité [eût été] de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ». A l’appui de sa thèse, il invoque des raisons de sécurité, le risque de voir des détenus lancer des allégations malveillantes et leur propre désir de secret.
87. Certes la procédure pénale ordinaire – qui peut fort bien concerner les individus dangereux ou entraîner la comparution d’un détenu – se déroule presque toujours en public, nonobstant les problèmes de sécurité qui en résultent, le risque d’affirmations malintentionnées et les souhaits de l’accusé. La Cour ne peut cependant négliger les facteurs mentionnés par le Gouvernement, à savoir les considérations d’ordre public et questions de sécurité que mettraient en jeu des audiences publiques en matière de discipline pénitentiaire. Un tel système créerait sans nul doute des complications plus grandes que celles qui surgissent dans le procès pénal ordinaire. Le comité de visiteurs exerce d’habitude ses attributions contentieuses à l’intérieur de la prison, ce qui s’accorde avec la nature de pareille instance disciplinaire; or la difficulté d’admettre le public dans l’enceinte de l’établissement est manifeste. Si les séances se tenaient au dehors, le transport du détenu et sa présence aux débats soulèveraient des problèmes analogues. On imposerait aux autorités de l’Etat un fardeau disproportionné si l’on exigeait que les procédures disciplinaires relatives aux détenus condamnés aient lieu en public.
88. Partant, des raisons suffisantes d’ordre public et de sécurité justifiaient d’exclure presse et public du procès de M. Campbell, de sorte qu’à cet égard il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
d) Prononcé public de la décision
89. A titre également accessoire, le requérant se plaint de ce que le comité des visiteurs n’a pas statué en public.
La Commission aperçoit là aussi un manquement aux prescriptions de l’article 6 (art. 6). Le Gouvernement se retranche ici encore derrière des impératifs de sécurité et d’ordre public; si l’on estimait, ajoute-t-il, que la faculté d’exclure le public vaut pour le seul procès, et non pour le prononcé du jugement, il faudrait interpréter cette exigence particulière de l’article 6 (art. 6) comme sujette à une limitation implicite: le public peut être légitimement écarté dans les affaires concernant des infractions disciplinaires de détenus.
90. A la vérité, la Cour a reconnu que dans une certaine mesure le droit d’accès aux tribunaux, garanti par l’article 6 (art. 6), peut donner lieu à des restrictions tacitement autorisées (arrêt Golder précité, série A no 18, pp. 18-19, par. 38). Cette solution s’expliquait cependant par la circonstance qu’il s’agissait d’un droit implicitement consacré par la première phrase de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) mais non défini par elle. En outre, à la différence de celle-ci la seconde phrase dresse déjà une liste détaillée d’exceptions. Eu égard aux termes de l’article 17 (art. 17) et à l’importance du principe de publicité (voir notamment l’arrêt Sutter du 22 février 1984, série A no 74, p. 12, par. 26), la Cour ne croit pas possible de considérer ce principe comme assorti d’une limitation implicite ainsi que le soutient le Gouvernement.
91. Dans d’autres affaires, la Cour a déclaré ne pas estimer devoir opter pour une interprétation littérale des mots « rendu publiquement »; il échet, dans chaque cas, d’apprécier la forme de publicité du « jugement » prévue par le droit interne de l’Etat en cause à la lumière des particularités de la procédure dont il s’agit et en fonction du but de l’article 6 (art. 6) en ce domaine: permettre le contrôle du pouvoir judiciaire par le public afin d’assurer le droit à un procès équitable (arrêt Pretto et autres du 8 décembre 1983, série A no 71, pp. 11-13, paras. 21 et 26-27, et arrêt Sutter précité, série A no 74, pp. 12 et 24, paras. 26 et 33).
92. En l’espèce, toutefois, il n’apparaît pas qu’une mesure quelconque ait été prise pour rendre publique la décision du comité des visiteurs. En conséquence, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) sur ce point.
2. Article 6 par. 2 (art. 6-2)
93. D’après M. Campbell, la procédure devant le comité a méconnu l’article 6 par. 2 (art. 6-2), selon lequel:
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Le Gouvernement conteste cette allégation, sur laquelle la Commission n’exprime pas d’avis précis.
94. La Cour relève qu’en l’absence de M. Campbell à l’audience du comité, il a été en son nom plaidé non coupable pour les deux accusations (paragraphe 14 ci-dessus). Le requérant n’a fourni aucun élément prouvant que le comité a examiné l’affaire sur une base différente; il y a donc lieu d’écarter le grief.
3. Article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a)
95. M. Campbell prétend ne pas avoir été convenablement informé de la nature de l’accusation portée contre lui, en dépit de l’alinéa a) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-a) qui donne à « tout accusé » le droit à « être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ».
Le Gouvernement combat cette assertion, sur laquelle la Commission ne se prononce pas.
96. La Cour note qu’avant l’audience devant le directeur puis devant le comité, le requérant avait reçu des « avis de rapport » indiquant les accusations dirigées contre lui; en outre, le président du comité lui avait rendu visite avant la séance de celui-ci (paragraphe 13 ci-dessus).
La thèse de l’intéressé se fonde pour l’essentiel sur la complexité que revêtirait la notion de mutinerie (mutiny), en particulier dans un contexte carcéral, et sur l’affirmation que le sens exact de ce terme et les moyens de défense à sa disposition ne lui ont pas été suffisamment expliqués ou dépassaient son entendement. Cependant, il aurait très bien pu recueillir de plus amples renseignements s’il avait comparu devant le directeur ou le comité; et il faut se rappeler qu’il porte lui-même la responsabilité de son absence devant ce dernier, ainsi que l’a constaté la Commission (paragraphe 13 in fine ci-dessus).
Dès lors, la Cour ne considère pas qu’il y ait eu infraction à l’article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a).
4. Article 6 par. 3, alinéas b) et c) (art. 6-3-b, art. 6-3-c)
97. M. Campbell prétend avoir été victime, pendant la procédure devant le comité, d’une violation des alinéas b) et c) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-b, art. 6-3-c) qui reconnaissent à « tout accusé » le droit à « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » et à « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ». En raison de la nature des accusations portées contre lui, souligne-t-il, il aurait dû pouvoir se faire conseiller et assister par un avocat.
Dans son rapport, la Commission conclut à un manquement aux exigences de la Convention en ce que le requérant n’a eu l’occasion ni de bénéficier de tels conseils et d’une telle assistance avant la séance du comité, ni d’être représenté devant celui-ci par un homme de loi; le délégué a ajouté devant la Cour que l’avis de la Commission, selon lequel l’absence de tout droit à l’assistance d’un avocat a enfreint l’alinéa c) (art. 6-3-c), rendait superflu l’examen de l’affaire sur le terrain de l’alinéa b) (art. 6-3-b). Le Gouvernement reconnaît que la législation alors en vigueur (paragraphes 13 et 36 ci-dessus) n’accordait au requérant aucun droit à être représenté par un conseil à l’audience du comité; il a aussi concédé que d’après la pratique suivie à l’époque, l’intéressé aurait essuyé un refus s’il avait demandé l’assistance préalable d’un avocat (ibidem).
98. Des accusations portées contre lui, M. Campbell a été informé le 1er octobre 1976, cinq jours avant la réunion du comité (paragraphe 13 ci-dessus). Il a en outre reçu des « avis de rapport ». Ceux qui avaient trait à l’instance devant le comité lui furent remis la veille de la séance; ils lui signalaient qu’il pouvait répondre auxdites accusations par écrit (ibidem).
La Cour estime que dans ces conditions il a disposé du « temps (…) nécessaire » à la préparation de sa défense; elle relève qu’il ne paraît pas avoir expressément sollicité un ajournement des débats (ibidem).
99. En ce qui concerne l’alinéa c) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-c), M. Campbell a certes choisi de ne pas participer à l’audience devant le comité, mais la Convention exige qu’un » ‘accusé’qui ne veut se défendre lui-même [puisse] recourir aux services d’un défenseur de son choix » (arrêt Pakelli du 25 avril 1983, série A no 64, p. 15, par. 31).
De plus, un avocat ne saurait guère « assister » son client – au sens de l’alinéa c) (art. 6-3-c) – sans des consultations préalables entre eux. Cette dernière réflexion amène la Cour à conclure que le requérant n’a pas joui des « facilités » visées à l’alinéa b) (art. 6-3-b).
En conséquence, il y a eu violation des alinéas b) et c) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-b, art. 6-3-c).
5. Article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d)
100. Le requérant allègue aussi avoir subi, pendant la procédure devant le comité, une violation de l’alinéa d) (art. 6-3-d) qui donne à « tout accusé » le droit à « interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».
Le Gouvernement conteste cette affirmation, sur laquelle la Commission ne formule pas de conclusion précise.
101. M. Campbell ne fournit pas de détails à l’appui de ce grief. En outre, il ressort du second jugement de la Divisional Court dans l’affaire St Germain (paragraphe 40 ci-dessus) que le droit anglais reconnaît à un détenu comparaissant devant un comité de visiteurs des droits déterminés en matière de preuve par témoins. Surtout, il échet d’examiner cette doléance à la lumière du refus de participer à l’audience: ce qui serait advenu si le requérant avait été présent, relève de pures spéculations auxquelles la Cour ne saurait se livrer.
Dans ces conditions, nulle violation de l’alinéa d) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-d) ne se trouve établie.
6. Conclusions
102. En résumé, la Cour constate un manquement aux exigences de l’article 6 (art. 6) en ce que:
– le comité des visiteurs n’a pas rendu sa décision publiquement;
– M. Campbell ne pouvait obtenir l’assistance d’un avocat avant l’audience du comité, ni sa représentation par un conseil lors de cette dernière.
Reste une affirmation plus générale du requérant: le comité n’aurait pas entendu la cause « équitablement ». On peut rejeter d’emblée la thèse selon laquelle les comités ne s’efforcent pas vraiment d’instruire les affaires dont on les saisit: l’intéressé n’a pas fourni de données qui contredisent la conclusion du rapport Jellicoe, pour qui les comités prennent beaucoup à coeur leurs attributions contentieuses (paragraphe 33 ci-dessus). Ensuite, si on laisse de côté les griefs particuliers traités plus haut, M. Campbell n’a produit aucun élément propre à établir un manque d’équité ou un déni de justice, qu’il s’agisse du déroulement de la procédure, de l’appréciation des preuves, du constat de culpabilité, du choix des peines ou de tout autre point. Eu égard spécialement à la circonstance qu’il avait le droit d’assister à l’audience mais s’y est refusé, ladite allégation se révèle dépourvue de fondement.
En se prononçant sur cet aspect du litige, la Cour a prêté attention à l’évolution du droit anglais en matière de certiorari, telle qu’elle ressort de la jurisprudence St Germain (paragraphes 39-40 ci-dessus), et aux changements récents concernant la possibilité, pour un détenu qui comparaît devant un comité des visiteurs, d’être représenté ou conseillé par un avocat (paragraphes 36 et 46 ci-dessus). Il ne lui a pas non plus échappé que, selon la pratique en vigueur (paragraphe 30 ci-dessus), une juridiction pénale peut avoir à connaître, à la place d’un tel comité, d’actes de violence grave ou commis par un prisonnier qui achève de purger sa peine.
III. L’ACCES DES REQUERANTS A DES CONSEILS JURIDIQUES POUR LEUR ACTION RELATIVE A LEURS BLESSURES
A. Remarques liminaires
103. Il convient de répondre d’abord à certains moyens que le Gouvernement a tirés des modifications apportées au droit et à la pratique anglais depuis l’époque des incidents d’où a surgi la présente affaire (paragraphes 42-52 ci-dessus). Ils concernent non seulement l’accès des requérants à des conseils juridiques pour leur action relative à leurs blessures, mais aussi le régime des visites d’un solicitor au Père Fell, les restrictions à la correspondance personnelle de ce dernier et de la violation alléguée de l’article 13 (art. 13) de la Convention (sections IV, VI et VII ci-dessous). Le Gouvernement invite la Cour:
– quant à l’article 6 (art. 6), à prendre acte dans son arrêt des changements intervenus en matière de contrôle des communications entre les détenus et leurs conseils;
– à prendre acte des réformes issues des nouvelles instructions comme redressant les manquements à l’article 8 (art. 8) relevés par la Commission;
– à déclarer que les faits de la cause ne révéleraient pas une violation de l’article 13 (art. 13) après l’entrée en vigueur desdites instructions.
104. La Cour a examiné des moyens analogues du gouvernement du Royaume-Uni dans son arrêt Silver et autres du 25 mars 1983 (série A no 61, p. 31, par. 79); elle ne voit aucune raison de s’écarter en l’occurrence de la décision adoptée alors. Elle juge donc qu’elle ne saurait contrôler la compatibilité de la législation et de la pratique nouvelles avec la Convention; elle constate cependant que le Royaume-Uni a introduit dans ce domaine, notamment à partir de décembre 1981, de profondes modifications pour assurer le respect de ses engagements.
B. Article 6 par. 1 (art. 6-1)
105. D’après les requérants, le retard mis à les autoriser à consulter un avocat au sujet d’une action civile en réparation des blessures subies au cours de l’incident du 16 septembre 1976 (paragraphes 17-20 ci-dessus) a constitué un déni du droit d’accès aux tribunaux, contraire à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) tel que la Cour l’a interprété dans son arrêt Golder précité (série A no 18).
Selon la Commission, il y a bien eu infraction. En ordre principal, le Gouvernement plaide que la Cour devrait refuser de statuer sur le grief, en raison des changements apportés à la législation et à la pratique depuis ledit arrêt.
106. La Cour ne souscrit pas à cette thèse. En 1976 et 1977, le retard incriminé résultait de la « règle de l’examen préalable ». Or la « règle de l’examen simultané » n’a remplacé celle-ci qu’en décembre 1981 (paragraphe 46 b) ci-dessus). De par sa date même, pareille modification n’a manifestement pu rendre aux requérants le droit qu’ils revendiquent au titre de l’article 6 par. 1 (art. 6-1); on ne saurait donc parler d’une « solution », même partielle, « du litige » (voir, mutatis mutandis, l’article 47 par. 2 du règlement de la Cour et l’arrêt Silver et autres précité, série A no 61, pp. 31-32, par. 81). En outre, dans leurs observations du 13 octobre 1983 sur l’application de l’article 50 (art. 50) (paragraphe 7 ci-dessus) les requérants réclament, entre autres, une satisfaction équitable du chef de la violation alléguée dont il s’agit; une décision de la Cour sur le point considéré peut offrir un intérêt à cet égard (même arrêt, ibidem).
107. En ordre subsidiaire, le Gouvernement déclare qu’à la lumière des changements ultérieurs à la pratique interne il ne conteste pas l’opinion de la Commission selon laquelle il y avait violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
Certes, les requérants ont finalement obtenu l’autorisation qu’ils sollicitaient et M. Campbell a pu contribuer au retard dont il se plaint en ne fournissant pas promptement assez de précisions pour permettre l’ouverture d’une enquête interne (paragraphes 17-20 ci-dessus). Toutefois, la rapidité d’accès à des conseils juridiques revêt de l’importance dans les affaires de blessures, pour des raisons de preuve et pour d’autres. En outre, comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Golder précité (série A no 18, p. 13, par. 26), un obstacle même temporaire peut enfreindre la Convention.
Les principes énoncés dans cet arrêt valant aussi en l’espèce, la Cour approuve la conclusion de la Commission.
C. Article 8 (art. 8)
108. Selon les requérants, l’impossibilité de correspondre avec leurs avocats au sujet de ladite procédure civile, à cause de la « règle de l’examen préalable », allait à l’encontre de l’article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellé:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Pour la Commission, il y a eu violation sur ce point. Le Gouvernement déclare ne pas contester cet avis, eu égard aux modifications ultérieures de la pratique interne.
109. Les pièces du dossier révèlent l’interception d’une lettre, celle que MM. Woodford et Ackroyd avaient adressée à M. Campbell le 24 janvier 1977 (paragraphe 20 ci-dessus). De plus, la Commission le relève à juste titre, la « règle de l’examen préalable » aboutissait manifestement à empêcher, jusqu’à la fin de l’enquête interne, toute correspondance entre les requérants et leurs avocats à propos du procès envisagé.
Les intéressés ont donc subi une ingérence dans leur droit au respect de leur correspondance, garanti par l’article 8 (art. 8).
110. Dans son arrêt Silver et autres précité, la Cour a examiné sous l’angle de l’article 8 (art. 8) la règle susmentionnée et son corollaire: l’interdiction de formuler, dans des lettres à des conseillers juridiques, des griefs non encore étudiés par les autorités et relatifs aux conditions de détention. Elle n’a discerné alors aucune raison de ne pas souscrire à l’opinion de la Commission: ce motif d’interception ou de limitation du courrier ne reposait pas sur une nécessité au sens de l’article 8 par. 2 (art. 8-2) (série A no 61, pp. 38-39, par. 99).
Elle n’aperçoit point pourquoi elle s’écarterait de cette conclusion en l’espèce. Il y a donc eu violation de l’article 8 (art. 8).
IV. LE REGIME DES VISITES DE SES SOLICITORS AU PERE FELL
A. Article 6 par. 1 (art. 6-1)
111. Une fois autorisé à prendre langue avec ses solicitors, le Père Fell se vit refuser, pendant deux mois environ, la permission de les consulter hors de portée de voix d’un gardien (paragraphe 22 ci-dessus). Il invoque à ce sujet l’article 6 par. 1 (art. 6-1), tel que la Cour l’a interprété dans son arrêt Golder précité.
Aux yeux de la Commission, l’absence de contacts privilégiés entre avocat et client a constitué une atteinte au droit d’accès à un tribunal, incompatible avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
112. En ordre principal, le Gouvernement invite la Cour, eu égard au changement intervenu dans la pratique interne, à ne pas trancher la question.
Les motifs énoncés au paragraphe 106 ci-dessus amènent la Cour à rejeter le moyen. Elle relève, dans ce contexte, que les règles relatives aux entretiens confidentiels entre un détenu et son conseil n’ont pas été assouplies avant décembre 1981 (paragraphe 46 c) ci-dessus).
113. Comme le souligne la Commission, des considérations de sécurité pourraient justifier certaines restrictions aux visites des avocats aux prisonniers. Pourtant, malgré l’appartenance du Père Fell à la « catégorie A » (paragraphe 44 a) ci-dessus) le Gouvernement n’a pas prétendu devant la Cour que de tels impératifs militaient en l’occurrence contre des consultations hors de portée de voix; il a même déclaré, à titre subsidiaire, ne pas contester l’opinion de la Commission sur ce point.
La Cour n’aperçoit pas de raison de s’en écarter et constate donc qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
B. Article 8 (art. 8)
114. D’après le Père Fell, la limitation susmentionnée à ses entretiens confidentiels avec ses solicitors a méconnu de surcroît son droit au respect de sa vie privée, tel que le garantit l’article 8 (art. 8).
115. Eu égard à sa conclusion sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), la Commission n’a pas estimé nécessaire d’examiner le grief; la Cour adopte la même attitude.
V. L’ACCES DES REQUERANTS A UN MEDECIN INDEPENDANT
116. Devant la Commission, les requérants ont allégué que le refus de les laisser consulter un médecin privé (paragraphes 23-24 ci-dessus) a lui aussi enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1). La Commission ne les a pas suivis.
117. La Cour ne croit pas avoir besoin d’étudier la question, les intéressés n’y étant pas revenus devant elle (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A no 30, pp. 43-44, paras. 74-75).
VI. LES RESTRICTIONS A LA CORRESPONDANCE PERSONNELLE DU PERE FELL
118. Le Père Fell se plaint d’une restriction à sa correspondance, résultant du jeu de la règle qui interdit d’en échanger une avec des personnes autres que des parents ou des amis (paragraphe 44 a) ci-dessus); il signale notamment qu’on ne lui a pas permis de correspondre avec Soeur Power et Soeur Benedict (paragraphe 25 ci-dessus). Il invoque à cet égard l’article 8 (art. 8).
Pour la Commission, le refus d’autoriser le requérant à correspondre avec ces deux religieuses a enfreint l’article 8 (art. 8). Le Gouvernement déclare ne pas contester cet avis, vu la réforme ultérieure de la pratique interne (paragraphe 46 a) ci-dessus).
119. Le seul exemple précis d’entrave à la correspondance cité par le Père Fell remonte à 1974, bien avant la saisine de la Commission (paragraphes 25 et 53 ci-dessus). Toutefois, cette dernière note que les restrictions incriminées semblent avoir continué jusqu’à la modification, en décembre 1981, des règles applicables; le Gouvernement ne le nie pas.
120. Dans son arrêt Silver et autres précité, la Cour a examiné sous l’angle de l’article 8 (art. 8) la limitation de la correspondance des prisonniers avec des personnes autres que des parents ou amis. En l’absence de considérations spéciales valables pour l’affaire dont il s’agissait, elle n’a discerné aucune raison, même dans le cas d’un détenu de la « catégorie A » (paragraphe 44 a) ci-dessus), de ne pas souscrire à l’opinion de la Commission: ce motif de limitation du courrier ne reposait pas sur une nécessité au sens de l’article 8 par. 2 (art. 8-2) (série A no 61, pp. 38-39, par. 99).
Elle n’aperçoit point pourquoi elle s’écarterait de cette conclusion en l’espèce. Partant, il y a eu violation de l’article 8 (art. 8).
VII. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
121. Le Père Fell affirme que nul recours effectif ne s’ouvrait devant lui au Royaume-Uni pour présenter ses griefs au titre des articles 6 par. 1 et 8 (art. 6-1, art. 8). Il aurait donc été victime d’une infraction à l’article 13 (art. 13), ainsi libellé:
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Article 13 combiné avec l’article 6 par. 1 (art. 13+6-1)
122. Selon la Commission, aucun problème distinct ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13) pour autant que le Père Fell dénonce, sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), le refus de le laisser prendre contact avec un conseil, consulter un médecin indépendant et s’entretenir sans témoin avec son avocat.
123. La Cour souscrit à cette opinion, appuyée avec force par le Gouvernement. Elle a estimé qu’il ne s’imposait pas d’étudier la plainte relative à l’examen médical (paragraphe 117 ci-dessus). Les deux autres doléances, elles, ont trait à l’accès à un tribunal et les constatations de la Cour quant à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphes 107 et 113 ci-dessus) dispensent de les considérer sous l’angle de l’article 13 (art. 13): les exigences du second sont moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l’espèce (voir, en dernier lieu, l’arrêt Silver et autres précité, série A no 61,p. 41, par. 110).
B. Article 13 combiné avec l’article 8 (art. 13+8)
124. Restent les griefs du Père Fell au titre de l’article 8 (art. 8), concernant l’accès à un conseil, le refus de l’autoriser à s’entretenir sans témoin avec son avocat et les restrictions à sa correspondance personnelle. La Commission les a étudiés sur le terrain de l’article 13 (art. 13) et a conclu à l’existence d’une violation faute de « recours effectif ».
125. Ayant jugé superflu de rechercher si l’impossibilité de consulter sans témoin un avocat se conciliait avec l’article 8 (art. 8) (paragraphe 115 ci-dessus), la Cour ne s’estime pas appelée à examiner la question au regard de l’article 13 (art. 13). Il n’en va cependant pas de même des deux autres griefs.
126. Nul n’a prétendu que les restrictions litigieuses étaient contraires au droit interne ou découlaient d’une mauvaise application des consignes en cause. On n’a pas non plus avancé que l’intéressé disposait de recours s’ajoutant aux quatre moyens pris en compte par la Commission: demande au comité des visiteurs, démarche auprès du médiateur parlementaire pour les questions administratives, saisine des juridictions anglaises et requête au ministre de l’Intérieur.
Dans son mémoire à la Cour, le Gouvernement concède qu’avant décembre 1981 les trois premiers n’auraient pas fourni au Père Fell un « recours effectif », au sens de l’article 13 (art. 13), pour les griefs en question. Par les motifs énoncés dans son arrêt Silver et autres précité (série A no 61, pp. 42-44, paras. 114-118), la Cour constate qu’il doit bien en être ainsi.
127. Lors des audiences devant la Cour, le Gouvernement s’est défendu de vouloir plaider qu’une requête au ministre de l’Intérieur eût constitué un « recours effectif » quant au retard mis à laisser l’intéressé entrer en contact avec un avocat. En revanche, il a exprimé l’opinion que la situation aurait pu se présenter sous un autre jour pour l’interdiction de correspondre avec Soeur Power et Soeur Benedict si le Père Fell avait démontré que les autorités avaient appliqué de manière inexacte les consignes pertinentes en ne considérant pas les deux religieuses comme de siennes « amies intimes » (paragraphes 25 et 44 a) ci-dessus).
La Cour a relevé (paragraphes 110 et 120 ci-dessus) que les restrictions frappant l’accès du Père Fell à un conseil juridique et sa correspondance personnelle résultaient du jeu de normes incompatibles avec la Convention. Dans de telles conditions, la Cour l’a jugé dans son arrêt Silver et autres précité (ibidem, p. 44, par. 118), il ne pouvait y avoir de « recours effectif » aux fins de l’article 13 (art. 13). En particulier, une requête au ministre de l’Intérieur ne pouvait être effective que si son auteur prétendait qu’une mesure de contrôle de sa correspondance découlait d’une mauvaise application de l’une des consignes en question (ibidem, p. 43, par. 116). Or le Père Fell n’a pas formulé pareille allégation et rien n’indique qu’il eût été à même de le faire.
128. Quant aux griefs relatifs aux deux restrictions incriminées, il y a donc eu violation de l’article 13 (art. 13).
VIII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
A. Introduction
129. L’article 50 (art. 50) de la Convention, dont l’applicabilité en l’espèce n’a pas prêté à controverse, se lit ainsi:
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
130. La Cour a reçu les observations du Gouvernement sur les prétentions des requérants au titre de cet article (art. 50) et noté que la Commission lui laisse le soin de trancher la question (paragraphe 7 ci-dessus); elle estime cette dernière en état (article 50 par. 3, première phrase, du règlement).
B. Dommages-intérêts « généraux » et « spéciaux »
1. M. Campbell
a) La procédure disciplinaire devant le comité des visiteurs
131. Selon M. Campbell, la procédure suivie dans son cas par le comité des visiteurs est « nulle et non avenue », en raison des vices qui l’entachent, et les sanctions infligées ne sauraient passer pour légitimes; cela vaudrait, notamment, pour une période supplémentaire d’emprisonnement qu’il chiffre à 427 jours. Mentionnant entre autres le manque de compagnie et la détérioration qu’aurait subie sa santé, il réclame à cet égard une indemnité « générale », « importante » mais dont il ne précise pas le montant; il revendique aussi, à titre de dommages-intérêts « spéciaux », 12.400 £ pour perte de revenus et 3.745 £ pour frais relatifs aux visites que sa famille lui a rendues en prison à l’époque.
Le Gouvernement combat la thèse de la nullité de ladite procédure. Il affirme en ordre principal que M. Campbell n’a pas établi l’existence d’un préjudice.
132. Les seules violations de l’article 6 (art. 6) relevées par la Cour ont trait à l’impossibilité, pour M. Campbell, d’obtenir l’assistance d’un avocat ou sa représentation par un conseil et au fait que le comité des visiteurs n’a pas rendu sa décision publiquement (paragraphe 102 ci-dessus). Il s’agit uniquement ici de rechercher quelles conséquences ces manquements ont eues pour le requérant.
133. Eu égard au constat de la Cour quant à l’allégation générale d’iniquité formulée par M. Campbell (paragraphe 102 ci-dessus), rien ne montre, et l’on ne saurait présumer, que le comité des visiteurs aurait abouti à des conclusions différentes si l’intéressé avait été assisté ou représenté par un conseil. Il faut en outre se rappeler que le requérant n’a pas usé de la faculté de répondre par écrit aux accusations portées contre lui et, surtout, a renoncé à comparaître, se privant ainsi de l’occasion de se défendre ou d’invoquer des circonstances atténuantes (paragraphes 13 et 14 ci-dessus).
De même, il va sans dire que la décision du comité aurait eu pour M. Campbell des effets identiques si elle avait été rendue publiquement.
134. Partant, aucun lien de causalité ne se trouve établi entre les violations dont il s’agit et le dommage allégué, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’accorder une satisfaction équitable de ce chef (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Albert et Le Compte du 24 octobre 1983, série A no 68, p. 7, par. 11).
b) L’accès à des conseils juridiques pour une action relative aux blessures
135. M. Campbell réclame une indemnité « générale », « importante » mais non chiffrée, pour le retard mis à l’autoriser à consulter un avocat au sujet de l’action en réparation qu’il voulait intenter pour blessures (paragraphes 17-20 ci-dessus).
Le Gouvernement combat cette prétention en excipant, notamment, de l’absence de préjudice.
136. La Cour a jugé que ledit retard a enfreint les articles 6 par. 1 et 8 (art. 6-1, art. 8) (paragraphes 107 et 110 ci-dessus). Cependant, M. Campbell a obtenu pour finir les conseils recherchés et il ne prouve pas que l’impossibilité de les recevoir plus tôt ait gêné l’engagement de son action civile ou en ait réduit les chances de succès. La Cour relève, en particulier, que même après avoir consulté ses avocats il semble avoir témoigné de fort peu de diligence dans la poursuite de l’affaire (paragraphe 21 ci-dessus).
Il faut donc repousser la demande.
2. Le Père Fell
a) L’accès à des conseils juridiques pour une action relative aux blessures
137. Les motifs de rejet énoncés au paragraphe précédent valent également pour le Père Fell en tant qu’il revendique une indemnité « générale » à raison, dans son cas, non du seul retard mis à le laisser consulter des avocats, mais aussi du défaut de recours interne effectif en la matière (paragraphes 17-20 et 124-128 ci-dessus).
b) Le régime des visites des avocats
138. Le Père Fell réclame des dommages-intérêts « généraux », « importants » mais non chiffrés, pour le refus de l’autoriser à consulter ses solicitors hors de portée de voix d’un gardien (paragraphe 22 ci-dessus).
Le Gouvernement combat cette prétention en excipant, notamment, de l’absence de préjudice.
139. La restriction litigieuse a violé l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphe 113 ci-dessus). Néanmoins, le requérant ne démontre pas qu’elle ait contrecarré l’action en responsabilité civile envisagée par lui. La Cour relève, en particulier, que ladite restriction a en tout cas peu duré.
Il échet donc d’écarter la demande.
c) Les restrictions à la correspondance personnelle
140. Le Père Fell exige le versement d’une indemnité « générale », ici encore « importante » mais non chiffrée, tant pour les limitations à sa correspondance personnelle que pour le défaut de recours interne effectif en la matière (paragraphes 25 et 124-128 ci-dessus).
Le Gouvernement s’y oppose pour diverses raisons.
141. A la vérité, la situation ainsi incriminée a dû contrarier le requérant et lui inspirer un certain sentiment de frustration, mais sans doute pas à un degré suffisant pour justifier l’octroi d’une compensation du chef de tort moral. En effet, le Père Fell semble avoir pu entretenir une correspondance assez abondante (paragraphe 25 ci-dessus) et il n’a pas cherché à prouver que l’interdiction d’en échanger une avec Soeur Power et Soeur Benedict résultait d’une mauvaise application des consignes en cause (paragraphe 127 ci-dessus). En outre, et quoique la Cour ait jugé ne pouvoir examiner la compatibilité avec la Convention du système de contrôle de la correspondance en vigueur depuis 1981 (paragraphe 104 ci-dessus), de profondes modifications ont vu le jour et paraissent bien, en principe, avoir entraîné une amélioration notable.
Dès lors, la Cour estime qu’à cet égard le constat d’une violation de l’article 8, considéré isolément (art. 8) et combiné avec l’article 13 (art. 13+8) (paragraphes 120 et 128 ci-dessus), constitue en soi une satisfaction équitable adéquate, sans qu’il faille allouer une réparation pécuniaire (voir, entre autres, l’arrêt Silver et autres du 24 octobre 1983, série A no 67, pp. 6-7, par. 10).
C. Frais et dépens de M. Campbell et du Père Fell
142. Au titre des dépens attribuables à leur représentation devant la Commission et la Cour, les requérants réclament:
a) 13.860 £ pour les honoraires et frais de M. Thornberry, avocat;
b) 10.923 £ 90 (plus 1.641 £ 59 de taxe sur la valeur ajoutée) pour les honoraires et débours de MM. George E. Baker & Co., solicitors.
143. La Cour appliquera les critères ressortant de sa jurisprudence en ce domaine, qu’il s’agisse de la destination des frais en question, de leur réalité, de leur nécessité ou du caractère raisonnable de leur taux (voir, notamment, l’arrêt Zimmermann et Steiner du 13 juillet 1983, série A no 66, p. 14, par. 36).
Elle note à ce sujet que M. Campbell, mais non le Père Fell, a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Commission puis auprès du délégué une fois la Cour saisie (addendum au règlement intérieur de la Commission).
144. Le Gouvernement se montre prêt à payer les frais et dépens des requérants pour autant que la Cour les jugerait réels, nécessaires et raisonnables, et que l’assistance judiciaire de la Commission ne les aurait pas pris en charge. Sauf sur les points mentionnés au paragraphe 145 ci-dessous, il ne prétend pas que les prétentions des requérants ne répondent pas aux critères de la Cour; en particulier, il ne conteste pas que M. Campbell ait assumé des engagements allant au-delà de ladite assistance (comp., notamment, l’arrêt Airey du 6 février 1981, série A no 41, p. 9, par. 13). Sous réserve d’un examen de ces points, la Cour accueille donc l’ensemble desdites prétentions.
145. Lors des audiences devant la Cour, le Gouvernement a soutenu qu’il fallait laisser de côté une fraction des frais exposés à Strasbourg, une partie importante des griefs des requérants ayant été déclarés irrecevables ou non fondés. Dans son mémoire du 2 décembre 1983, il a cependant précisé qu’il s’en remettait à la Cour sur ce chapitre.
Il affirme aussi que M. Thornberry a calculé ses honoraires à un tarif horaire excessif, pour un nombre d’heures trop élevé et en demandant trop pour la préparation du dossier; il suggère une somme de 5.456 £ (au lieu de 12.820). Quant aux frais du même avocat, il conteste certains des montants indiqués.
146. Vu la mesure dans laquelle leurs griefs ont échoué, la Cour estime que les requérants doivent recouvrer une partie seulement de leurs frais et dépens (arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 18 octobre 1982, série A no 54, p. 10, par. 21). Elle constate aussi la légitimité des objections du Gouvernement quant au volume des honoraires de M. Thornberry.
Dès lors, la Cour, statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50) et tenant compte de ce que M. Campbell a perçu de la Commission par voie d’assistance judiciaire, fixe à 5.000 £ pour M. Thornberry et à 8.000 £ pour MM. George E. Baker & Co., les frais et dépens à rembourser plus tout le montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
I. QUESTIONS PRELIMINAIRES
1. Rejette, à l’unanimité, l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement dans le cas de M. Campbell;
2. Dit, à l’unanimité, qu’elle n’a pas compétence pour examiner la thèse du Père Fell d’après laquelle ses griefs relatifs à la procédure devant le comité des visiteurs sont désormais recevables;
II. QUANT A LA PROCEDURE SUIVIE DEVANT LE COMITE DES VISITEURS DANS LE CAS DE M. CAMPBELL
3. Dit, par quatre voix contre trois, que l’article 6 (art. 6) de la Convention s’appliquait à ladite procédure;
4. Dit, par quatre voix contre trois, que l’absence de débats publics devant le comité n’a pas enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1);
5. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce que le comité n’a pas rendu sa décision publiquement;
6. Dit, par cinq voix contre deux, que l’impossibilité pour M. Campbell de consulter un avocat ou de se faire représenter par un conseil a enfreint les alinéas b) et c), respectivement, de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-b, art. 6-3-c);
7. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 (art. 6) sur les autres points en litige;
III. QUANT A L’ACCES DES REQUERANTS A DES CONSEILS JURIDIQUES POUR LEUR ACTION RELATIVE A LEURS BLESSURES
8. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu infraction aux articles 6 par. 1 et 8 (art. 6-1, art. 8);
IV. QUANT AU REGIME DES VISITES DE SES SOLICITORS AU PERE FELL
9. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi la question sur le terrain de l’article 8 (art. 8);
V. QUANT AUX RESTRICTIONS A LA CORRESPONDANCE PERSONNELLE DU PERE FELL
10. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8);
VI. QUANT A L’ARTICLE 13 (art. 13)
11. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu infraction à cet article (art. 13) dans la mesure précisée au paragraphe 128 des motifs;
VII. QUANT A L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
12. Dit, à l’unanimité, que le Royaume-Uni doit verser aux requérants, pour frais et dépens, la somme de treize mille (13.000) livres sterling plus, le cas échéant, le montant de la taxe sur la valeur ajoutée.
Rendu en français et en anglais, le texte anglais faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le vingt-huit juin mil neuf cent quatre-vingt-quatre.
Gérard Wiarda
Président
Marc-André Eissen
Greffier
Se trouvent joints au présent arrêt une déclaration de M. Thór Vilhjálmsson et, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 50 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
– opinion en partie dissidente commune à MM. Cremona, Macdonald et Russo;
– opinion dissidente commune à MM. Thór Vilhjálmsson et Gölcüklü;
– opinion partiellement dissidente de Sir Vincent Evans.
G.W.
M.-A.E.
DECLARATION DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
(Traduction)
La majorité de la Cour ne souscrit pas à mon opinion quant à l’applicabilité de l’article 6 (art. 6). Après avoir conclu que celui-ci s’appliquait, la Cour a recherché si certaines de ses dispositions avaient été violées. J’ai pris part à cet examen et voté sur les diverses questions à trancher. Ni le président de la Cour ni mes autres collègues n’ont soulevé d’objections contre cette participation. La Convention elle-même ne contient aucune règle sur le point de savoir s’il s’agissait de la bonne marche à suivre. Le règlement de la Cour est, lui aussi, muet à ce sujet.Mon attitude peut se comparer à celle adoptée par une minorité dans les affaires König et Guzzardi ainsi que par les minorités qui, dans plusieurs cas, ont eu à déterminer si elles devaient ou non se prononcer sur l’octroi d’une satisfaction équitable en vertu de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
OPINION, EN PARTIE DISSIDENTE, COMMUNE A MM. LES JUGES CREMONA, MACDONALD ET RUSSO
(Traduction)
Nous souscrivons à la conclusion qui figure au paragraphe 73 de l’arrêt: l’article 6 (art. 6) s’appliquait à l’instance engagée contre M. Campbell devant le comité des visiteurs. De plus, en utilisant en l’espèce (mutatis mutandis) les critères énoncés dans l’arrêt Engel et autres, on doit considérer que les poursuites ouvertes contre M. Campbell, dans les circonstances de la cause et pour les raisons mentionnées dans l’arrêt, ressortissaient à la matière « pénale » aux fins de l’article 6 (art. 6). Cela étant, il en découle logiquement, ce qu’admet en fait l’arrêt, que les règles de cet article (art. 6) devaient être respectées, sauf si l’on pouvait démontrer que leur inobservation entrait dans le cadre de l’une des exceptions autorisées par l’article lui-même (art. 6).
Notre désaccord avec l’arrêt porte sur la question que voici: eu égard aux preuves fournies, l’inobservation des exigences de l’article 6 (art. 6) en matière de publicité de la procédure était-elle, en l’occurrence, couverte par les dérogations permises?
Bien entendu, il incombait au Gouvernement d’établir que les circonstances étaient de nature à justifier le recours à l’une de ces dernières. Toutefois il s’est fondé (suivi en cela par la majorité de la Chambre, au paragraphe 87 de l’arrêt) sur la nature même de la procédure devant le comité des visiteurs et la pratique habituelle; malgré l’appartenance avérée de M. Campbell aux détenus de la « catégorie A », il n’a fourni aucun élément démontrant qu’en l’espèce le défaut de débats publics relevait des exceptions permises par l’article 6 (art. 6).
En l’absence d’une telle preuve, nous concluons, avec la Commission, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) également sur ce point.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE À MM. LES JUGES THÓR VILHJÁLMSSON ET GÖLCÜKLÜ
(Traduction)
La question principale consiste en l’espèce à savoir si l’article 6 (art. 6) de la Convention couvre la procédure consécutive aux événements du 16 septembre 1976 à la prison d’Albany. La majorité de la Cour a conclu que M. Campbell avait fait l’objet d’une « accusation en matière pénale » et que l’article 6 (art. 6) s’appliquait donc. Nous ne pouvons souscrire à cette opinion.
Dans son arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, la Cour a établi trois critères sur lesquels elle a fondé sa décision quant à l’applicabilité de l’article 6 (art. 6) au titre « pénal ». Il s’agissait de déterminer si, dans le contexte de la justice militaire, les poursuites ouvertes contre les requérants avaient revêtu un caractère pénal ou disciplinaire. Il nous semble – et nous rejoignons sur ce point la majorité de la Cour – que les mêmes éléments doivent être utilisés dans la présente affaire.
Sur le premier – la classification en droit interne – il ne règne aucun doute. M. Campbell était accusé d’infractions aux règles disciplinaires anglaises, lesquelles ont donné lieu à une procédure disciplinaire. Des poursuites pénales auraient aussi pu être engagées, mais tel ne fut pas le cas.
Deuxième critère dégagé par l’arrêt Engel: la nature de l’infraction. Pour nous, cela signifie qu’une méconnaissance typique du droit disciplinaire échappe à l’article 6 (art. 6); or la manifestation à laquelle le requérant a participé constituait un manquement typique à la discipline pénitentiaire. Assurément, de tels incidents peuvent éclater hors des prisons, mais dans le contexte carcéral ils prennent une dimension spéciale et importante. La résistance violente aux ordres d’évacuer certains locaux, bien qu’elle puisse arriver dans beaucoup d’endroits, possède des caractéristiques propres lorsqu’elle se produit en prison. Il nous apparaît donc qu’en l’espèce l’incident qui a conduit aux poursuites contre le requérant illustre parfaitement une agitation carcérale qui est et devrait en général être traitée par des mesures disciplinaires.
Le troisième critère énoncé par l’arrêt Engel réside dans la sévérité des sanctions encourues. Le paragraphe 28 du présent arrêt les énumère. On peut les diviser en deux catégories. La première regroupe les sanctions qui consistent à exclure les prisonniers du travail en commun, à ne plus les rémunérer et à les soumettre au régime cellulaire, dans chaque hypothèse pour une période non supérieure à 56 jours. A nos yeux, seule la dernière soulève une difficulté car le régime cellulaire peut avoir de sérieuses répercussions sur la personne qui le subit. Il faut toutefois se rappeler à cet égard que cette sanction représente une des méthodes traditionnelles de la discipline carcérale et que les détenus se trouvent déjà privés de leur liberté. Dès lors, nous n’estimons pas possible d’interpréter les termes de l’article 6 (art. 6) de la Convention de telle manière qu’ils obligeraient les États à ne pas utiliser ladite sanction dans les prisons comme une mesure disciplinaire, non pénale. La seconde catégorie des sanctions qui pouvaient frapper M. Campbell rassemble la suppression de certains privilèges et la perte d’une remise de peine.Les dispositions pertinentes ne les limitaient pas dans le temps, sauf à ne pas dépasser la condamnation originelle. Les paragraphes 28 et 29 de l’arrêt de la Cour, auxquels nous nous référons, exposent ces règles plus en détail. Il est clair que « la suppression de certains privilèges » n’attire pas automatiquement une affaire disciplinaire dans la sphère pénale. Nous éprouvons davantage de doutes quant à la perte de remise de peine. De toute évidence, le requérant avait été condamné à une période précise d’emprisonnement, fixée par le tribunal qui l’avait jugé.D’un autre côté, il est de pratique courante en Angleterre d’indiquer au détenu, lorsqu’il commence à purger sa peine, une date approximative de libération, calculée en opérant un abattement d’un tiers sur la durée prévue par la condamnation elle-même. De fait, les règles de remise sont appliquées de telle sorte qu’un détenu est relâché après avoir accompli les deux tiers de sa peine, à moins qu’il ne perde ce bénéfice par la voie disciplinaire. Les détenus peuvent ainsi s’attendre à profiter du système de remise s’ils ont une bonne conduite: les normes régissant la période en cause sont bien établies; il en va à peu près de même de ce qui peut modifier la perspective d’une réduction. La procédure disciplinaire peut donc entraîner une prolongation considérable de la durée effectivement passée en prison. Nous arrivons cependant à la conclusion que cela ne peut priver de son caractère disciplinaire la procédure intentée contre le requérant. En effet, le temps subi en prison ne pouvait pas dépasser la période déterminée par la condamnation originelle, et la remise de peine forme partie intégrante d’un système qui repose sur des mesures disciplinaires.
Nous ne parvenons pas à discerner quels points, en dehors de ceux déjà mentionnés, pourraient entrer en jeu pour l’applicabilité de l’article 6 (art. 6) au titre « pénal » en l’espèce. Nous concluons donc que le requérant ne faisait pas l’objet d’une « accusation en matière pénale ».
Les règles du paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1) – au contraire de celles des paragraphes 2 et 3 (art. 6-2, art. 6-3) – valent non seulement pour les « accusations en matière pénale », mais aussi pour l’examen de contestations sur des « droits et obligations de caractère civil ». Le requérant a plaidé l’applicabilité de l’article 6 (art. 6) à ce dernier titre. Selon nous, il ne faut étudier la question qu’au sujet d’un éventuel droit à une remise de peine. Même si l’on admettait que pareille mesure constitue un droit et non un simple privilège, il ne nous paraît pas possible de parler ici de « droit de caractère civil » au sens de l’article 6 (art. 6). La remise et la perte de remise sont des matières typiquement disciplinaires. En conséquence, nous estimons que nous nous trouvons là du côté disciplinaire de la frontière entre procédures disciplinaires et procédures concernant des droits et obligations de caractère civil.
Pour les raisons exposées ci-dessus, nous pensons que l’article 6 (art. 6) ne s’appliquait pas à la présente affaire.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE SIR VINCENT EVANS, JUGE
(Traduction)
1. Je regrette de ne pouvoir partager l’opinion de la majorité de la Cour, selon laquelle la procédure du comité des visiteurs de prison a, dans le cas de M. Campbell, violé l’article 6 (art. 6) de la Convention. A mes yeux, ce texte ne s’appliquait pas à ladite procédure car elle ne concernait pas l’examen (determination) du bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre M. Campbell, ni celui d’une contestation sur ses droits et obligations de caractère civil, au sens de cet article (art. 6).
2. Dans son arrêt du 8 juin 1976 en l’affaire Engel et autres, la Cour a reconnu que la Convention permet aux États contractants d’établir une distinction entre procédures disciplinaires et procédures pénales ainsi que d’en fixer le tracé, à condition que « le disciplinaire n’empiète pas indûment sur le pénal » et ne conduise pas « à des résultats incompatibles avec le but et l’objet de la Convention » (série A no 22, pp. 33-34, paras. 80-81).
3. Pour rechercher si dans l’affaire Engel et autres les « accusations » auxquelles l’État attribuait un caractère disciplinaire, relevaient néanmoins de la « matière pénale » telle que l’entend l’article 6 (art. 6), la Cour s’est expressément limitée au domaine militaire (ibid., pp. 34-35, par. 82); au paragraphe 69 de son présent arrêt, elle reconnaît que dans le contexte carcéral des raisons pratiques et de politique militent pour un régime disciplinaire spécial. Appliquant les critères énoncés dans son arrêt Engel et autres ainsi que dans son arrêt Öztürk du 21 février 1984 (série A no 73, pp. 17-18, paras. 48-50), elle conclut pourtant que l’article 6 (art. 6) s’appliquait à la procédure disciplinaire menée contre M. Campbell. Même sur la base de ces critères, la Cour se trompe, selon moi, en qualifiant de « pénales » aux fins de l’article 6 (art. 6) des accusations qui, tant pour les infractions que pour les sanctions litigieuses, avaient une nature essentiellement disciplinaire. Dès lors, elle étend les exigences de l’article 6 (art. 6) à une procédure que d’après moi elles n’étaient pas destinées à régir.
4. Assurément, et le Gouvernement l’a d’ailleurs admis, les mêmes faits auraient pu, selon le droit anglais, donner lieu à des accusations pénales contre M. Campbell. Il ne s’ensuit cependant pas, même d’après les critères établis dans l’arrêt Engel et autres, que si des accusations disciplinaires sont portées dans un tel cas, on doive les qualifier de pénales aux fins de l’article 6 (art. 6). On peut concevoir certains comportements constituant en théorie des infractions à la fois pénales et disciplinaires, mais à traiter normalement sur le terrain pénal, par exemple le meurtre d’un gardien de prison. En revanche, les actes dont M. Campbell se trouvait accusé – désobéissance collective aux autorités pénitentiaires, malgré le recours à la violence de sa part – revêtaient manifestement, en dépit de leur gravité, un caractère disciplinaire et ont à juste titre donné lieu à des poursuites de même nature.
5. Les sanctions en cause étaient elles aussi typiquement disciplinaires. Elles visaient à maintenir le bon ordre et la bonne conduite dans la prison. Un prisonnier peut notamment, aux termes de l’article 25 par. 1 de la loi de 1952 sur les prisons, bénéficier de la remise d’une partie de sa peine d’emprisonnement en raison de son ardeur au travail et de sa bonne conduite. La perte de remise joue ainsi un rôle disciplinaire. Comme les autres mesures qui peuvent être infligées, en vertu du règlement pénitentiaire de 1964, pour les infractions disciplinaires, il ne s’agit pas d’une sanction ressortissant au domaine « pénal ». La perte de remise prononcée par le comité des visiteurs dans le cas de M. Campbell était sévère, mais elle n’a pas et ne pouvait pas provoquer un dépassement de la durée de l’emprisonnement auquel l’intéressé avait été condamné; elle est donc restée dans la sphère disciplinaire.
6. Par ces motifs, j’estime que le Gouvernement avait raison de ne pas considérer comme « pénales », au sens de l’article 6 (art. 6), les accusations portées contre M. Campbell et qui ont donné lieu à une procédure devant le comité des visiteurs.
7. Ayant constaté que l’article 6 (art. 6) s’appliquait en raison du caractère « particulièrement grave » de l’infraction dont M. Campbell était accusé, ainsi que de la sévérité de la sanction encourue et effectivement infligée, la Cour n’a pas jugé nécessaire de rechercher si la procédure du comité des visiteurs emportait examen d’une contestation sur des « droits de caractère civil ».A mon avis il n’en allait pas ainsi. L’instance devant le comité poursuivait manifestement un but disciplinaire et ne concernait pas l’examen d’une contestation sur des « droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 6 (art. 6) (voir à cet égard mon opinion dissidente dans l’affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere, série A no 43, pp. 43-44).
8. Je souhaite toutefois ajouter que même en supposant l’article 6 (art. 6) applicable pour les raisons énoncées par la Cour, je rejoins l’arrêt sur plusieurs points: rien n’autorise à conclure que le comité des visiteurs qui a entendu la cause de M. Campbell n’était pas « indépendant » et « impartial » au sens de l’article 6 (art. 6), ni qu’une violation des paragraphes 2 (art. 6-2) ou 3 a) ou d) de l’article 6 (art. 6-3-a, art. 6-3-d) a été établie, ni encore que l’intéressé n’a pas bénéficié d’un procès « équitable » devant le comité. J’admets aussi qu’il existait des raisons d’ordre public et de sécurité suffisantes pour justifier l’exclusion de la presse et du public de la procédure engagée contre M. Campbell.
9. Sur toutes les questions non liées à l’application de l’article 6 (art. 6) à la procédure du comité des visiteurs dans le cas de M. Campbell, je souscris à l’arrêt de la Cour.
[*] Note du greffier: Il s’agit du règlement applicable lors de l’introduction de l’instance. Un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983 l’a remplacé, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.
[*] Note du greffier: Pour des raisons d’ordre technique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (volume n° 80 de la série A des publications de la Cour).