CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE J.M.B. ET AUTRES c. FRANCE
(Requête no 9671/15 et 31 autres – voir liste en annexe)
ARRÊT
STRASBOURG
30 janvier 2020
DÉFINITIF
30/05/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire J.M.B. et autres c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 décembre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
1. À l’origine de l’affaire se trouvent trente-deux requêtes dirigées contre la République française et dont vingt-neuf ressortissants de cet État, un ressortissant cap verdien, un ressortissant polonais et un ressortissant marocain (« les requérants », voir annexe I), ont saisi la Cour entre le 20 février 2015 et le 20 novembre 2017 (idem) en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Hormis M. Mixtur et M. Klapucki (requêtes nos 57963/16 et 60899/17) qui n’en ont pas fait la demande, la présidente de la section a accédé à la demande formulée par les requérants aux fins de la non-divulgation de leur identité (article 47 § 4 du règlement de la Cour).
2. Les requérants ont été représentés par Me G. Mégret, avocat à Paris (requête no 57963/16), Me R. Lendom, avocate à Cannes (nos 45365/17 et 45369/17), Me M. Guillemet, avocate à Bobigny (no 77572/17), Me M. Schlaffmann-Amprino, avocate à Saint-Mandé (requêtes nos 78336/17 et 51808/16), Me P.-A. Laugery, avocat à Neuilly-sur-Seine (requête no 79967/17) et Me J.-M. Fedida (requête no 60899/17). Tous les autres requérants sont représentés par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
3. Les requérants et les requérantes, détenus dans des établissements pénitentiaires situés dans les territoires d’Outre-mer (Martinique, Polynésie française, Guadeloupe) ainsi que dans les maisons d’arrêt (ci-après MA) de Nîmes, Nice et Fresnes allèguent en particulier, en se fondant sur les articles 3, 8 et 13 de la Convention, que leurs conditions de détention sont ou étaient inhumaines et dégradantes et qu’ils ne disposent pas de recours effectif à cet égard.
4. Entre le 11 février 2016 et le 18 janvier 2018, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement (articles 3, 8 et 13 de la Convention). Les requêtes nos 57963/16, 51808/16 et 60899/17 ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
5. En outre, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (ci-après CGLPL), la Commission nationale consultative des droits de l’homme (ci-après CNCDH), l’association « Avocats pour la défense des droits des détenus « (ci-après A3D) associée à six autres organisations (Syndicat des avocats de France, Ordre des avocats du Barreau de Lyon, Ordre des avocats du Barreau de Marseille, Ordre des avocats du Barreau de Paris, Ordre des avocats du Barreau de Rennes, Conseil National des Barreaux), le Défenseur des droits, l’Observatoire international des prisons (ci-après l’OIP), autorisés par le président à intervenir dans la procédure, ont présenté des observations en qualité de tiers intervenants (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement de la Cour).
6. Le CP de Ducos, situé à quatorze kilomètres de Fort‑de‑France, est le seul établissement pénitentiaire de Martinique. Sa capacité théorique était de 569 places. Le CP regroupe, d’une part, le « grand quartier » qui comporte deux quartiers de type MA pour hommes, un quartier des femmes parfois dénommé MA des femmes et l’unité sanitaire et, d’autre part, le « quartier centre de détention régional » (QCDR) composé d’un centre de détention (ci-après CD) et d’un quartier de semi-liberté. Au 1er janvier 2015, deux mois avant que les requérants saisissent la Cour, 897 détenus y étaient hébergés. Le taux d’occupation était de 213,7 % en quartier MA et de 124,6 % en quartier CD (statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues publié par le ministère de la Justice).
7. En novembre 2009, le CGLPL, autorité administrative indépendante en charge de veiller au respect des droits fondamentaux des détenus, instituée par la loi du 30 octobre 2007, avait effectué une visite du centre. Dans les conclusions de son rapport de visite, il indiqua notamment ce qui suit :
« 1 – Le taux d’occupation des parties réservées aux hommes, de 208 % lors de la visite, entraîne une promiscuité inacceptable et des conditions de vie unanimement dénoncées. Des matelas supplémentaires sont posés au sol pour accueillir tous les détenus. (…)
15 – Hormis dans les deux unités de conception plus récente, les cellules sont en mauvais état et la saleté des murs conduit certains occupants à mettre des morceaux de carton aux murs, notamment le long de leur lit, pour ne pas être en contact avec la crasse. Un effort de réhabilitation devrait être entrepris au besoin en mobilisant les personnes détenues pour rénover leur cellule.
16 – L’hygiène générale des locaux et des abords doit être reconsidérée.
17 – Un bruit continuel règne dans les différentes unités. Des doléances ont été exprimées par certaines personnes qui font l’objet de représailles lorsqu’elles s’en plaignent auprès de leurs codétenus. La surpopulation et le bruit entraînent des tensions qui engendrent une demande de soins accrue.
18 – Le quartier dénommé localement « QCDR », séparé du grand quartier, donne l’impression d’un camp constitué de baraquements. Les conditions de vie, encore plus dégradées que dans les autres unités du centre pénitentiaire, y sont indignes et, contrairement au reste du centre pénitentiaire, les détenus n’ont pas la possibilité d’y louer un réfrigérateur ».
8. En juin 2013, un rapport sur les difficultés de prise en charge de la population pénale au CP de Ducos fut remis à la ministre de la Justice. Ce rapport faisait suite à une mission conduite par la présidente du tribunal de grande instance de Troyes, qui a permis de procéder à l’examen complet de la situation du CP. Le rapport indique que la surpopulation entraîne des conséquences majeures en termes de respect de la dignité des personnes détenues, de conditions de travail pour les personnels de surveillance et de gestion de la détention avec un nombre élevé d’incidents. Il souligne par ailleurs que l’accès des personnes détenues aux activités est lui aussi compliqué par cette surpopulation.
9. En juillet 2014, la ministre de la Justice se vit remettre un autre « Rapport sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer » par un groupe de travail composé de parlementaires, de membres du ministère de la Justice et d’un représentant de la délégation générale à l’Outre-mer. À propos du CP de Ducos, dans sa partie « Caractéristiques de l’établissement », il est indiqué ce qui suit :
« – Surencombrement chronique de l’établissement, le nombre de personnes hébergées connait une hausse significative depuis 2010 ;
– Population pénale oisive de plus en plus violente que ce soit à l’encontre des personnels ou entre personnes détenues ;
– Nombreuses projections au sein de l’établissement (drogue, alcool, téléphones) ;
– Personnel « âgé », en deuxième partie de carrière, nombreux postes aménagés par le médecin de prévention, absentéisme important ;
– Travaux d’extension et de restructuration d’envergure en cours (…) ;
La surpopulation est telle (…) qu’elle ne peut être contenue uniquement au sein du quartier maison d’arrêt (…). La pose de lits supplémentaires n’étant plus possible, de nombreux matelas sont posés à même le sol ».
Le rapport précise que des travaux de réaménagement ont commencé en mai 2014, avec du retard, compte tenu « des délais non tenus par la société retenue et des nombreuses réserves émises sur les travaux livrés ». L’objectif est de créer une structure supplémentaire (avec à terme la capacité de l’établissement portée à 729 places), de rénover les parties communes et les parloirs.
10. Par une requête du 6 octobre 2014, la section française de l’OIP initia devant le tribunal administratif (ci-après TA) de Fort-de-France un recours en référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (ci-après CJA, paragraphe 136 ci-dessous) afin de faire cesser les atteintes graves aux libertés fondamentales des détenus du CP.
11. Par une ordonnance du 17 octobre 2014, le juge des référés fit droit à certaines demandes précises de l’OIP et rejeta les plus substantielles d’entre elles. Il commença par rappeler le cadre juridique du litige :
« Considérant (…) l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire [paragraphe 130 ci-dessus] ; qu’eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires (…) de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif de leurs droits rappelés notamment par les articles 2, 3 et 8 de la Convention (…) ; que le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi que le droit à la protection de son intégrité physique et morale constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ou portant atteinte à leur intégrité physique et morale, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ; (…) »
Sur ses conclusions tendant à ce qu’il soit fait injonction à la ministre de la Justice de faire procéder à des travaux de réfection et à améliorer les conditions de vie quotidienne des détenus, le juge rejeta les demandes relatives à la mise aux normes de sécurité et aux travaux en matière d’électricité, au cloisonnement complet des toilettes – la séparation des toilettes par une cloison murale et un rideau garantissant suffisamment d’intimité – et aux travaux de mise aux normes en termes d’aération, d’isolation et de luminosité des cellules.
En revanche, face à la présence d’animaux nuisibles au sein du centre, le juge requit la réalisation d’une opération de dératisation et de désinsectisation dans un délai de dix jours ainsi que la conclusion, « dans les plus brefs délais et en tout état de cause avant la fin de l’année 2014 », d’un nouveau contrat de dératisation assurant un passage plus fréquent de la société en charge de cette opération, « de nature à apporter une réponse efficace à l’ampleur des difficultés rencontrées ». S’agissant de la collecte des ordures (que les détenus auraient tendance à jeter par la fenêtre), le juge prescrit sans délai de mettre à disposition des poubelles et des sacs poubelles en nombre suffisant dans chaque cellule. Il fit de même pour les produits d’entretien afin qu’ils soient distribués en quantité suffisante et qu’il soit possible aux détenus d’assurer l’entretien de leurs cellules. En outre, il indiqua que, compte tenu du risque d’atteinte à l’intégrité physique et morale des personnes détenues résultant de l’impossibilité en cas d’intempéries de bénéficier de sorties à l’air libre, il y avait lieu de faire procéder à des travaux dans les cours de promenade. Le juge prescrit encore à l’administration de modifier le contrat qu’elle avait passé avec une société de nettoyage afin qu’il soit procédé une fois par an à un lessivage complet des cellules.
Sur les conclusions de l’OIP tendant à ce qu’il soit enjoint à la ministre de prendre toutes les mesures de réorganisation des services permettant le développement du prononcé d’aménagements de peines et de mesures alternatives, le juge fit valoir que ces demandes étaient liées à la situation de suroccupation préoccupante de la prison dénoncée et non contestée par l’administration. Il souligna que la situation du taux d’occupation était en voie d’amélioration, que le nombre de matelas au sol avait été réduit mais que le directeur du CP avait indiqué qu’il n’était pas possible de remédier à l’installation de ces matelas compte tenu de la configuration des cellules. Il indiqua également « que la construction de 160 nouvelles places au sein du CP permettrait d’améliorer dans un avenir très proche la situation (…) ; qu’ainsi, si la situation de suroccupation reste indéniablement préoccupante (…), il convient de prendre en compte les efforts entrepris par l’administration sur ce point ». Le juge des référés poursuivit ainsi :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction et des débats lors de l’audience que, d’une part, l’ouverture d’un centre de semi-liberté d’une capacité de 20 à 30 places et qui devrait se situer à proximité d’un bassin économique est inscrite au plan triennal 2015-2017, que d’autre part, un deuxième juge d’application des peines vient de prendre ses fonctions au tribunal de grande instance de Fort-de-France ; qu’enfin, grâce au doublement des moyens humains affectés à leur surveillance, environ 100 détenus bénéficient actuellement du système de bracelet électronique ; qu’au surplus, il n’appartient pas au juge des référés de prononcer des injonctions tendant à la réorganisation du service public de la justice ; qu’il ne lui appartient pas davantage de veiller à l’application par les autorités judiciaires des circulaires prises par la ministre de la Justice, telle la circulaire du 2 janvier 2014 relative à la politique pénale territoriale pour la Martinique ; qu’enfin, les mesures de sauvegarde prescrites par le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doivent pouvoir être mises en œuvre très rapidement ; que, par la suite, les mesures tendant à ordonner l’affectation ou réaffectation des postes de juges d’application des peines, de procureurs et de personnels de greffe ne peuvent être prescrites dans le cadre d’un référé liberté ; (…) »
Sur les conclusions de l’OIP relatives au manque d’activités proposées aux détenus, le juge nota que des efforts étaient effectués par l’administration pénitentiaire et qu’il ne lui appartenait pas de prescrire des mesures supplémentaires.
Enfin, sur les conclusions relatives à l’accès aux soins de santé, il prescrivit à la ministre de la Justice de prendre dans les plus brefs délais « eu égard à l’urgence qui s’attache au prononcé des mesures de sauvegarde sur ce point » les mesures nécessaires à la rémunération d’un médecin généraliste supplémentaire à temps plein, et de faire en sorte qu’un médecin puisse intervenir la nuit et le week-end.
12. Dans un communiqué de presse diffusé à la suite du prononcé de cette ordonnance, la ministre de la Justice prit acte de la décision du juge des référés et indiqua que des mesures seraient immédiatement prises pour la mettre en œuvre. Elle ajouta que « l’extension de 160 places du centre sera livrée au quatrième trimestre 2015, la restructuration des ateliers de maintenance et des ateliers de formation, l’extension, restructuration et la mise aux normes de la cuisine d’ici début 2015, la restructuration de la zone-écrou d’ici fin janvier 2015. Enfin, deux parloirs seront livrés au centre de détention en décembre 2014 et quatre unités de vie familiale et quatre parloirs familiaux à la MA mi-2016 ».
13. Le CGLPL effectua une seconde visite du CP de Ducos du 9 au 13 octobre 2017. Dans la synthèse du rapport de visite, il indiqua que le taux d’occupation globale, en octobre 2017, était de l’ordre de 120 % et de 126 % dans les quartiers centre de détention avec un taux d’encellulement individuel de 28 %. Il souligna également ce qui suit :
– l’une des maisons d’arrêt des hommes offre des conditions de vie misérables (cour boueuse, cellules en mauvais état et saleté des murs) et l’autre présente des qualités d’habitabilité conformes à celles des établissements pénitentiaires les plus récents ;
– les cellules du QCDR sont toujours vétustes ;
– en dépit des campagnes de dératisation et de désinsectisation, les rats et les insectes sont encore présents ;
– la nourriture est insuffisante en quantité comme en qualité et servie à des heures anormales ;
– depuis la disparition des matelas au sol, la vie quotidienne en détention apparaît plus supportable, ce qui s’est traduit par une baisse des incidents ;
– des efforts sont faits en matière de santé et doivent être poursuivis car des postes demeurent vacants ;
– le volume des activités proposées est encore plus faible qu’en 2009 car le nombre de postes de travail ouvert aux ateliers est très limité. Les activités socioculturelles souffrent du manque d’espace disponible et ne peuvent être offertes à tous les quartiers.
14. Au 1er janvier 2019, le taux d’occupation du quartier MA était de 134 % et celui du CD de 86,1 %.
15. Selon le site du ministère de la justice consulté (juin 2019), une première phase de travaux finalisée en 2016 a porté sur la réhabilitation/extension des zones greffe, écrou et des parloirs pour les familles et la création du nouveau bâtiment d’hébergement de 160 places. Cette réalisation a accru de 60 % la capacité initiale de l’établissement. La seconde phase consistera en la réorganisation des unités sanitaires et le début des travaux est prévu au second semestre 2019.
- Les requêtes introduites devant la Cour
16. Le 7 janvier 2014, les requérants et d’autres détenus écrivirent à l’OIP pour alerter l’association sur leurs conditions de détention :
« Je viens vous tenir un détail de notre vie carcérale, avec tout ce que cela comporte de frustrant et d’humiliant. Le centre pénitentiaire de Ducos est l’un des plus surpeuplés de France, avec plus de 1 000 détenus pour une capacité de 500 places environ. Les cellules pour deux abritent quatre personnes. De ce fait, ceux qui dormant à terre cohabitent avec des cafards, des souris, des scolopendres, avec les risques de piqûres mortelles que cela peut entraîner. Les douches sont dans un état lamentable. Les produits de nettoyage de nos cellules sont donnés au compte-gouttes. Les rendez-vous chez le médecin sont donnés après trois semaines d’attente, voire des mois. C’est bien le surpeuplement de cette prison qui engendre des problèmes de violence et de rackets. La promenade et les activités sportives ne respectent aucune régularité de durée et de fréquence. Ceux qui sont enfermés 23 heures sur 24 souffrent énormément de la forte chaleur (32 degrés) car non seulement il y a un manque de ventilateurs, mais il y a des coupures de courant. Il faut aussi parler de nombreux rats morts qui tardent à être enlevés et qui dégagent des odeurs insupportables jour et nuit, pendant plusieurs semaines. (…) Tout cela fait que la prison de Ducos est vécue pour la plupart comme un véritable enfer ».
17. L’OIP transmit un questionnaire aux requérants afin d’obtenir des informations plus précises sur leurs conditions de détention. Les formulaires de requête présentés devant la Cour reprennent ces informations.
a) Allégations des requérants quant à leur espace personnel et précisions apportées par le Gouvernement
18. À titre liminaire, la Cour précise que le Gouvernement indique dans ses observations qu’il n’entend pas, de manière générale, contester le caractère insuffisant de l’espace personnel des requérants pendant leur incarcération. Il produit cependant, pour certaines requêtes, des données sur l’espace personnel des requérants mais n’indique pas si cet espace inclut les sanitaires. Il fournit également des précisions non contestées sur la fin de la détention de certains requérants ou sur la date de leur fin de peine.
19. Le requérant J.M.B. (requête no 9671/15) fut détenu au CP de Ducos du 4 avril 2013 au 13 novembre 2014, date à laquelle il a été transféré au CP Sud-Francilien (Seine-et-Marne). Il aurait partagé une cellule d’environ 12 m2 avec deux personnes, et dormi sur un matelas posé sur le flanc d’une armoire couchée au sol.
Le Gouvernement souligne que le requérant n’était plus détenu à la date d’introduction de sa requête. Il précise qu’il a été détenu dans des cellules de 9,59 m2 qu’il partageait avec un détenu sauf pour la période du 20 février 2014 au 14 novembre 2014. Au cours de cette dernière, il a occupé les mêmes cellules avec trois codétenus. Il était affecté en secteur « portes ouvertes », ce qui signifie qu’il pouvait circuler librement de 6 h 30 à 12 heures et de 13 h 30 à 17 heures.
20. Le requérant C.D. (requête no 9674/15) est détenu depuis le 2 octobre 2013. Sa fin de peine est prévue le 2 janvier 2022. Il évalue la superficie de sa cellule entre 5 et 9 m2, qu’il partagerait avec trois détenus.
Il ressort de la fiche de détention produit par le Gouvernement que le requérant a partagé une cellule de 9,59 m2 avec deux détenus pendant quelques semaines mais la plupart du temps avec trois détenus. Le Gouvernement indique qu’il est affecté en secteur « portes ouvertes » depuis son arrivée.
21. Le requérant S.L. (requête no 9679/15) est incarcéré depuis le 14 février 2012. Sa fin de peine est prévue le 14 décembre 2028. Il indique partager une cellule de 9 m2 avec trois autres détenus, dont un dort sur un matelas posé à même le sol ; tel aurait été son cas de 2012 à 2014.
Le Gouvernement indique que sur l’ensemble de sa détention, le requérant a passé vingt-et-un mois avec deux codétenus dans une cellule de 9,50 m2, ce qui a garanti un espace supérieur ou égal à 3 m2. Il ajoute qu’il pouvait accéder à la cour de promenade une heure tous les matins et une heure tous les après-midis. Il ressort de la fiche de détention fournie par le Gouvernement que le requérant partage souvent cette cellule avec trois codétenus.
22. Le requérant D.N. (requête no 9683/15) est incarcéré depuis le 11 octobre 2012. Sa fin de peine est prévue le 4 décembre 2019. Il indique occuper une cellule de 12 m2 avec quatre détenus. Il aurait dormi sur un matelas pendant huit mois.
Le Gouvernement ne fournit pas d’indication sur l’espace personnel du requérant. Il précise que, pendant deux ans (27 février 2013 – 29 avril 2015), il a été affecté en secteur « portes ouvertes ».
23. Le requérant C.N. (requête no 9685/15), est incarcéré depuis le 7 octobre 2009. Sa fin de peine est prévue le 8 décembre 2020. Il aurait partagé de nombreuses cellules, dont la plus récente d’une superficie de 10 m2 avec trois détenus.
Sans donner d’indication sur la taille des cellules, le Gouvernement indique que « sur l’ensemble de sa détention, le requérant a bénéficié pendant quasiment trois ans d’un espace supérieur ou égal à 3 m2». Il fournit une fiche de détention jusqu’en février 2016 qui ne fait pas mention de la superficie des cellules. Il précise que depuis le 16 février 2012, le requérant est affecté en secteur « portes ouvertes ».
24. Le requérant E.R. (requête no 9692/15) est incarcéré depuis le 10 mars 2011. Sa fin de peine est prévue le 12 janvier 2021. Il indique partager une cellule de 9 m2 avec deux détenus.
Le Gouvernement affirme, sans document à l’appui, que le requérant a passé quinze mois dans des cellules garantissant à chaque détenu plus de 3 m2 et précise qu’il est affecté en secteur « portes ouvertes » depuis le 16 février 2012.
25. Le requérant M.S. (requête no 9694/15) fut incarcéré le 6 janvier 2013. Il aurait été détenu dans une cellule de 10 m2 avec trois détenus. Il aurait dormi huit mois sur un matelas posé à même le sol.
Le Gouvernement précise que le requérant a quitté la prison le 6 avril 2016. Pour le reste, il indique que sur une période d’une année et demie, il a bénéficié de plus de 3 m2 d’espace personnel, et, sur une période similaire, d’une détention dans des cellules rénovées. Il fournit une fiche de détention qui montre que le requérant a partagé jusqu’en septembre 2014 des cellules d’environ 9 m2 à trois ou quatre détenus puis des cellules de 15,84 m2 à 18,49 m2 avec trois, quatre ou cinq détenus selon les périodes de détention.
26. Le requérant W.C. (requête no 9761/15) fut incarcéré le 8 novembre 2012 et aurait partagé des cellules avec plusieurs détenus (entre trois et cinq). Il indique avoir dormi à même le sol pendant un certain temps, ce qui lui a causé des douleurs de dos.
Le Gouvernement précise que le requérant a quitté le CP le 25 mars 2015, date à laquelle il a bénéficié d’une mesure de placement sous surveillance électronique. Il indique que le requérant a passé six mois dans des cellules où les détenus disposaient de plus de 3 m2 d’espace personnel et qu’il a été affecté en régime « portes ouvertes » pendant un an et sept mois. Il produit une fiche de détention qui indique que le requérant a partagé des cellules d’environ 9 m2 avec deux ou trois détenus et des cellules d’environ 18 m2 avec deux, trois ou quatre détenus selon les périodes de détention.
27. Le requérant P.H. (requête no 9764/15) fut incarcéré entre le 14 février 2012 et le 15 décembre 2015. Il aurait occupé une cellule prévue pour deux personnes et l’aurait partagé avec trois autres détenus. Il dit avoir dormi par terre entre le 14 février 2012 et le 1er décembre 2014, ce qui lui a causé de fortes douleurs au dos.
Le Gouvernement affirme, sans communiquer de pièces à cet égard, que le requérant a passé un an et huit mois dans des cellules garantissant à chacun plus de 3 m2 d’espace personnel. Il précise que le requérant a été affecté en secteur « portes ouvertes » après les trois premiers mois de détention.
28. Le requérant D.T. (requête no 12799/15) est incarcéré depuis le 27 janvier 2013. Il partage une cellule de 10 m2 avec deux détenus. Il dispose d’un lit mais aurait dormi pendant deux mois sur un matelas à même le sol.
Le Gouvernement a informé la Cour que le requérant a été libéré le 17 décembre 2014, soit avant la date d’introduction de sa requête devant la Cour. Il précise que, sur l’ensemble de sa détention, le requérant a passé un peu de plus quatre mois dans une cellule de 9,50 m2 avec deux codétenus ou moins.
b) Synthèse sur l’espace personnel des requérants
29. Le Gouvernement ne conteste pas le manque d’espace personnel des requérants. D’après les récits de ces derniers, que les informations apportées par le Gouvernement ne permettent pas d’infirmer, leur espace personnel était la plupart du temps de moins de 3 m2. Ce constat est corroboré par les constats du juge administratif du TA de la Martinique, saisi par les requérants alors qu’ils étaient encore détenus (voir paragraphe 32 ci‑dessous).
c) Les conditions de détention des requérants
30. Les requérants se plaignent tous de la proximité de la table à manger avec les toilettes qui ne sont séparées du reste de la cellule que par un rideau. Ils dénoncent l’insalubrité des cellules, infestées d’animaux nuisibles (rats, cafards, souris, fourmis), la saleté des toilettes ainsi que le manque d’hygiène (absence de poubelle, de produits d’hygiène, draps en très mauvais état) et d’aération. Certains se plaignent d’un manque de lumière, disent souffrir de problèmes de peau et d’allergie et évoquent des difficultés à stocker les denrées alimentaires. D’autres craignent le climat de violence. Certains se plaignent de l’absence de soins ou de leur insuffisance. Tous affirment être enfermés entre quinze heures – parfois avec des fumeurs alors qu’ils ne le sont pas – et vingt-deux heures par jour.
d) Les recours indemnitaires exercés par les requérants pendant leur détention
31. Le 8 juillet 2014, les requérants, à l’exception de S.L. (requête no 9679/15, paragraphe 21 ci-dessus) et de D.T. (requête no 12799/15, paragraphe 28 ci-dessus), saisirent le TA de la Martinique d’une action en responsabilité de l’État pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de leurs conditions de détention (paragraphe 134 ci-dessous).
32. Par des jugements du 31 décembre 2015, le TA retint que les conditions de détention des requérants étaient dégradantes au sens de l’article 3 de la Convention et constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Il souligna que les inconvénients résultant de la promiscuité due à la surpopulation étaient aggravés par le fait que les toilettes situées dans les cellules avaient pour seule séparation une petite cloison n’offrant aucune intimité réelle. Il ajouta que les mauvaises conditions d’hygiène et de salubrité n’étaient pas dues uniquement à l’incurie des détenus mais à la conception même des lieux de détention et à leur inadaptation. Enfin, il releva que la présence d’animaux nuisibles dans les cellules n’était pas contestée par l’administration ni, d’ailleurs, la relative inefficacité des opérations de dératisation et désinsectisation effectuées à cet égard. L’État fut condamné à verser :
– 3 200 euros (EUR) à J.M.B. (occupation avec deux autres détenus de cellules de 9 m2 ne comportant que deux lits, ce qui nécessitait la pose d’un matelas sur le sol occupé à tour de rôle par les personnes détenues et rendait difficile la circulation) pour deux ans et huit mois de détention, préjudice apprécié au regard du fait qu’il bénéficiait d’un régime « portes ouvertes » ;
– 4 600 EUR à P.H. (occupation avec deux ou trois détenus de cellules de 9 m2 comportant deux lits) pour trois ans et dix mois de détention ;
– 2 880 EUR à C.D. (occupation avec trois voire quatre détenus d’une cellule de 12,60 m2 ne comportant que trois lits) pour deux ans de détention (avec régime « portes ouvertes ») ;
– 3 700 EUR à D.N. (occupation avec quatre autres détenus de cellules de 12,60 m2 comportant quatre lits) pour trois ans et un mois de détention (avec régime « portes ouvertes ») ;
– 7 300 EUR à C.N. (occupation avec deux détenus de cellules de 9 m2 comportant deux lits) pour six ans et un mois de détention (avec régime « portes ouvertes ») ;
– 5 600 EUR à E.R. (occupation avec « des codétenus » de cellules de 9 m2 ou 12,60 m2 ne comportant pas un nombre suffisant de lits) pour quatre ans et huit mois de détention ;
– 3 500 EUR à M.S. (occupation avec trois autres détenus d’une cellule de 12,60 m2 ne comportant que trois lits) pour deux ans et onze mois de détention ;
– 3 600 EUR à W.C. (occupation avec deux ou trois détenus de cellules de 9 m2 comportant deux lits) pour le préjudice subi depuis le 8 novembre 2012 (avec régime « portes ouvertes »).
33. Pour sa part, D.T. fit une demande de provision en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention auprès du juge des référés du TA de Fort-de-France (article R. 541-1 du CJA, paragraphe 146 ci-dessus). Par une ordonnance du 23 juin 2014, le juge rejeta la demande. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 17 février 2015, alloua au requérant une provision de 2 000 EUR au titre de ses conditions de détention au cours de l’année 2013 : elle retint en particulier un espace personnel inférieur à 3 m2 etdes toilettes n’offrant aucune intimité réelle. La cour rejeta la demande pour la période postérieure au 20 décembre 2013, en l’absence d’éléments suffisamment précis sur les conditions de détention.
- Les requérants détenus au CP de Faa’a-Nuutania en Polynésie française
- La situation générale du CP de Faa’a-Nuutania
34. Ce centre a été construit en 1970 sur l’île de Tahiti. D’une capacité d’accueil de 165 places, il se compose de trois structures : un établissement pour hommes d’une capacité de 119 places réparties entre un quartier MA, un secteur mineurs et un quartier CD, un établissement pour femmes d’une capacité de quatorze places et un centre pour peines aménagées d’une capacité de 32 places. Au 1er septembre 2016, trois mois après que les requérants eurent saisi la Cour, le taux d’occupation pour le quartier MA était de 216 %, et celui du quartier CD de 229 %.
35. Auparavant, en décembre 2012, le CGLPL effectua une visite du centre. Dans son rapport de visite, publié en avril 2015, il indiqua ce qui suit :
« (…) L’espace moyen disponible par personne détenue varie de 2,69 m2 pour les cellules de 10,48 m² hébergeant quatre personnes, à 2,59 m2 pour les cellules individuelles de 5,18 m² occupées par deux personnes. Cette moyenne arithmétique est encore supérieure à la réalité dans la mesure où elle ne prend pas en compte la surface occupée par les lits, la douche, les toilettes et le rare mobilier. Ces cas extrêmes correspondent à la situation du bâtiment A dont le taux d’occupation constaté est de 335 %. Les autres bâtiments bénéficiant d’une suroccupation légèrement moindre, le taux moyen d’occupation du grand quartier est de 297 %. Pendant leur semaine de présence, les contrôleurs ont constaté que cette surpopulation extrême influence tous les choix de gestion de la détention ; la direction et le personnel de surveillance déploient constamment des moyens et une écoute propres à apaiser les tensions et à améliorer le bien-être des personnes détenues.
(…) de par son taux d’occupation (…), le centre pénitentiaire présente une suroccupation intolérable. (…) Malgré les efforts visibles déployés par la direction pour entretenir régulièrement les bâtiments, le centre pénitentiaire vieillit d’autant plus mal qu’il n’est pas conçu pour accueillir une population carcérale aussi nombreuse. L’insalubrité des cabines de douches qui sont, pour la plupart, envahies par les moisissures, ainsi que la mauvaise qualité de l’eau due à l’oxydation des canalisations participent également à l’indignité des conditions de vie (…) ».
36. En juillet 2014, le rapport sur les problématiques pénitentiaires en Outre-mer remis à la ministre de la Justice souligna qu’en plus d’un surencombrement particulièrement important, l’établissement de Faa’a‑Nuutania se caractérisait par sa vétusté et des conditions de détention indignes. Le rapport précise que le contentieux relatif aux conditions de détention connaît un essor important, et que l’État est régulièrement condamné au versement d’indemnités (supérieures à 150 000 EUR au 1er mars 2014). Il fait également état, depuis l’été 2013, « de travaux de construction d’un CD sur la commune de Papeari, [qui] devraient permettre dans un futur proche (2017) d’héberger dans des conditions respectueuses de la loi pénitentiaire les hommes condamnés. Il offrira une capacité de 410 places ».
37. Le 10 avril 2015, la ministre de la Justice, en réponse aux conclusions du CGLPL, confirma la construction du nouveau CD et indiqua qu’il était prévu de restructurer et d’étendre le CP de Faa’a-Nuutania afin d’améliorer la température des cellules, l’intimité des parloirs, le service de l’unité sanitaire et du bureau de consultation du psychiatre. Elle fit également état d’un certain nombre de rénovations entreprises (revêtement des douches, centre sportif).
38. Au mois de juillet 2015, après une visite de l’établissement, le président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale déposa un rapport d’information sur la Polynésie française dans lequel il rappela que le taux de surpopulation du CP, de plus de 300 %, était le plus élevé des établissements en France.
39. Au 1er janvier 2019, le taux d’occupation du quartier MA était de 143 %. Celui du CD était de 185,7 % avec 7 places opérationnelles pour 13 personnes détenues, les personnes condamnées ayant certainement été transférées dans le nouveau CD.
40. Selon le site du ministère de la Justice consulté (juin 2019), le nouveau CD situé à Tahiti a été livré en mars 2017, « il est dimensionné pour accueillir 410 hommes détenus et désengorger le centre de Faa’a‑Nuutania ». Par ailleurs, il y est indiqué que « l’actuel centre pénitentiaire de Faa’a-Nuutania est caractérisé par un état de dégradation marquée et une surpopulation. Des études de faisabilité relatives à la modernisation de la MA sont en cours ».
- Les requêtes introduites devant la Cour
a) Allégations des requérants quant à leur espace personnel et précisions apportées par le Gouvernement
41. Le requérant R.I. (requête no 32236/16) fut incarcéré le 30 mars 2006. La date de sa libération était fixée au 12 mai 2019. Il indique être détenu avec trois autres personnes dans une cellule de 10 m2. Cet espace serait encore réduit par les meubles, les lits et les installations sanitaires (lavabo et toilettes).
Le 15 octobre 2013, le requérant exerça un recours en référé provision (paragraphe 146 ci-dessous) devant le TA de la Polynésie française afin d’obtenir réparation du préjudice résultant de ses mauvaises conditions de détention. Par ordonnance du 25 novembre 2013, le tribunal fit droit à sa demande d’indemnisation :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction que R.I. est incarcéré depuis le 30 mars 2006 (…); qu’il a partagé plusieurs cellules d’environ 10 m2 avec trois autres détenus ; que, dans ces cellules, les toilettes ne sont séparées du reste de la pièce que par une cloison en contreplaqué ; qu’eu égard notamment à la vétusté desdites cellules, à leur surpeuplement et aux odeurs nauséabondes résultant du sous-dimensionnement de la station d’épuration, les conditions d’incarcération de R.I. n’ont pas permis d’assurer le plein respect de la dignité inhérente à la personne humaine conformément aux stipulations de l’article 3 de la Convention (…) et aux dispositions sus-rappelées du code de procédure pénale ; que cette méconnaissance (…) est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État (…) ;
Considérant que (…) le requérant doit être regardé comme ayant été détenu pendant 1 748 jours (…) ; que les conditions d’encellulement imposées à R.I. au cours de cette période ont nécessairement entraîné un préjudice ouvrant droit à réparation ; que dès lors, l’obligation de payer de l’État ne peut être regardée comme dépourvue de caractère sérieusement contestable, et n’est d’ailleurs pas sérieusement contestée par la garde des Sceaux (…) ; qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par l’intéressé en condamnant l’État à lui verser (…) une allocation provisionnelle d’un montant de 699 200 francs CFP [5 859 euros] ».
Le requérant affirme que ses conditions de détention ne se sont pas améliorées après cette décision.
Par une requête du 31 mars 2015, le requérant saisit le TA d’une action en responsabilité de l’État pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention (paragraphe 134 ci-dessous). Par jugement du 27 septembre 2016, le TA de la Polynésie française condamna l’État français au paiement d’une somme de 8 463,81 EUR, à laquelle il convenait de déduire la somme versée à titre de provision, pour traitements dégradants pour la période du 1er janvier 2009 au 13 juillet 2014. Le juge rejeta la requête pour la période de détention postérieure au motif que le requérant avait été réaffecté dans des cellules rénovées. Il releva à cet égard les efforts entrepris par l’administration pénitentiaire et conclut que bien que le requérant ait « partagé durant 517 jours un espace de 10,78 m2 avec trois codétenus, ses conditions de détention ne peuvent être regardées comme attentatoires à la dignité humaine ».
42. Le requérant A.T. (requête no 32243/16) fut incarcéré au mois d’août 2012. Il aurait partagé avec trois autres détenus une cellule d’environ 9 m2, comprenant deux lits superposés et l’espace sanitaire. Le 12 décembre 2016, il fut placé en liberté conditionnelle.
Auparavant, par ordonnance du 16 juin 2015, le juge du référé provision condamna l’État à lui verser la somme de 2 845, 28 EUR pour la période de détention du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2014. Le juge ne précisa pas la superficie de la cellule ni l’espace individuel et alloua la provision en raison de la vétusté des locaux, de la surpopulation et des odeurs nauséabondes (cette motivation a été reprise dans chaque ordonnance rendue à l’égard des requérants suivants). En revanche, il rejeta la demande pour la période postérieure à cette date, soit du 1er janvier 2015 au 27 mai 2015, car le requérant avait été affecté dans des cellules rénovées.
Le Gouvernement confirme que le requérant a été affecté dans une cellule rénovée le 1er janvier 2015 sans en préciser la superficie (sur les précisions du Gouvernement quant à la rénovation des cellules, voir paragraphe 51 ci-dessous).
43. Le requérant T.T. (requête no 32248/16) fut détenu à compter du 5 juillet 2007 et la date de sa fin de peine était prévue le 16 juillet 2018. Il indique partager avec trois détenus une cellule d’une superficie approximative de 12 m2, les meubles et l’espace sanitaire compris. Il affirme ne pas dormir sur un matelas car «celui-ci ne rentre pas dans le lit » et parle d’un « calvaire » à propos de ses neuf années de détention.
Par une ordonnance du 25 novembre 2013, le juge du référé provision alloua au requérant la somme de 5 858,30 EUR pour la période de détention courant à compter du 1er janvier 2009.
Le Gouvernement indique que le requérant a été affecté dans une cellule rénovée à compter du 26 septembre 2014 sans en préciser la superficie.
44. Le requérant M.T. (requête no 32250/16) est incarcéré depuis le 3 novembre 2010. Il y purge une peine de réclusion criminelle qui prendra fin le 25 juillet 2026. Il indique être détenu dans une cellule d’une superficie comprise entre 8 et 9 m2 avec trois autres personnes, ameublement et espace sanitaire compris.
Par une ordonnance du 11 septembre 2015, le juge du référé provision alloua au requérant la somme de 3 325,19 EUR pour la période du 1er janvier 2011 au 19 septembre 2013. En revanche, il rejeta la demande de provision pour la période postérieure à cette date au motif qu’il avait été affecté dans des cellules rénovées.
Le Gouvernement indique que le requérant a été affecté dans une cellule rénovée à compter du 19 septembre 2013 sans en préciser la superficie.
45. Le requérant G.T. (requête no 32252/16) est détenu depuis le 7 août 2010. Sa fin de peine est fixée le 19 octobre 2022. Il indique être enfermé, vingt heures par jour, dans une cellule d’une superficie approximative de 12 m2 avec trois autres personnes, meubles et espace sanitaire compris.
Par une ordonnance du 20 février 2015, le juge du référé provision alloua au requérant la somme de 4 890,57 EUR pour la période de détention courant à compter du 1er janvier 2011 jusqu’à la date de son prononcé.
Le Gouvernement indique que le requérant a été affecté dans une cellule rénovée à compter du 12 février 2016 sans en préciser la superficie.
46. Le requérant Y.T. (no 32259/16) fut incarcéré du 24 septembre 2015 au 10 août 2016, date à laquelle le juge de l’application des peines lui accorda un placement à l’extérieur. Le requérant aurait partagé avec trois autres personnes une cellule d’une superficie approximative de 9 m2, meubles et espace sanitaire compris. Ses conditions de détention seraient « archaïques et barbares ».
Par une ordonnance du 25 août 2016, le juge rejeta la demande de provision du requérant pour les raisons suivantes :
« (…) les conditions d’incarcération du requérant, affecté dans une cellule rénovée du bâtiment A, puis dans les cellules rénovées du bâtiment B, et bénéficiant depuis le 30 octobre 2015 d’un placement dans le secteur dit « portes ouvertes » du même bâtiment, ne permettent pas, eu égard notamment à l’entretien des cellules et au régime de détention effectivement appliqué à l’intéressé, de caractériser devant le juge des référés, juge des évidences une faute de l’administration (…) »
47. Le requérant A.B. (no 32263/16) fut détenu du 26 mai 2011 au 1er juin 2016 (soit deux jours avant l’introduction de sa requête le 3 juin 2016), date à laquelle il fut placé en libération conditionnelle. Il aurait partagé une cellule d’une superficie approximative de 7 à 8 m2 avec un détenu, meubles et espace sanitaire compris.
Par une ordonnance du 16 juin 2015, le juge des référés alloua au requérant la somme de 4 396, 64 EUR pour la période de détention du 26 mai 2011 au 31 décembre 2014. En revanche, il rejeta la demande pour la période postérieure au 31 décembre 2014 au motif que le requérant avait été affecté dans des cellules rénovées.
Le Gouvernement indique que le requérant a été affecté dans une cellule rénovée du 1er janvier 2015 au 1er juin 2016.
48. Le requérant, C.G. (requête no 32565/16) est détenu depuis le 31 décembre 2014 (il a été toutefois déjà été détenu dans la prison de Faa’a-Nuutania avant cette date) avec une fin de peine fixée au 2 novembre 2018 selon les informations fournies par le Gouvernement. Il se plaint de partager une cellule d’une superficie d’environ 10 m2 avec trois codétenus, espace sanitaire et meubles compris.
Par une ordonnance du 7 août 2015, le juge du référé provision alloua au requérant la somme de 3 454, 80 EUR pour les périodes de détention du 1er janvier 2011 au 19 septembre 2013 et du 13 novembre 2013 au 30 juillet 2014. En revanche, il rejeta la demande pour la période postérieure à cette date au motif que le requérant avait été affecté dans des cellules rénovées.
b) Synthèse sur l’espace individuel des requérants
49. Le Gouvernement ne conteste pas la situation de surencombrement du CP de Faa’a-Nuutania ni les allégations des requérants selon lesquelles, au moment de l’introduction de leur requête, ils partageaient des cellules de 8 à 12 m2 avec trois codétenus, sanitaire et ameublement compris. Il ressort des observations du Gouvernement sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention (paragraphe 234 ci-dessous) et du rapport du CGLPL (paragraphe 35 ci-dessus) que deux types de cellules existent au sein du CP, l’une de 10,48 m2 selon le CGLPL ou 10,78 m2 selon le Gouvernement, l’autre de 5,18 m2. Faute de précision de la part du Gouvernement, il est présumé que les superficies des cellules rénovées sont les mêmes. En conséquence, à supposer que les requérants ont partagé la plupart du temps la cellule d’environ 10 m2 sanitaire compris, ils ont disposé d’un espace personnel se situant entre 2 et 3 m2. Ce constat est corroboré par le rapport du CGLPL (idem).
c) Les conditions de détention
50. L’ensemble des requérants dénonce la présence d’animaux nuisibles dans les cellules et dans les parties communes du centre. Ils se plaignent de la vétusté des locaux communs et des installations sanitaires, du manque d’hygiène à l’intérieur de la cellule (cloisonnement partiel des toilettes, saleté des draps, absence de poubelle, insuffisance des produits d’entretien), des odeurs, de l’absence d’eau chaude et d’eau potable et des rations insuffisantes de nourriture. Ils disent n’avoir aucune activité. Certains requérants soutiennent que le bruit et la lumière les empêchent de dormir, et dénoncent un climat tendu et violent au sein du centre. Plusieurs d’entre eux affirment que les délais pour obtenir des soins médicaux sont déraisonnables. Un requérant, R.I. (requête no 32236/16), se plaint de l’ouverture de courriers adressés par le CGLPL (paragraphes 310 et suivants ci-dessous).
51. Le Gouvernement indique que de nombreuses rénovations ont été mises en œuvre au sein de l’établissement depuis 2013. Les cellules de la prison ont été entièrement rénovées entre 2013 et début janvier 2015. Il produit à ce sujet une copie de deux messages envoyés par la directrice adjointe de l’établissement. Le premier précise que des travaux de remplacement des réseaux d’adduction d’eau ont été réalisés en 2011 et 2014 et le second indique les dates de rénovation des cellules entre 2013 et 2015 et les travaux engagés : « carrelage du sol, du coin douche, coin WC et lavabo. Peinture des lits murs et des lits superposés, nouveau meuble de rangement et réfection des prises électroniques ».
- M. Mixtur, détenu au CP de Baie-Mahault en Guadeloupe (requête no 57963/16)
- La situation du CP de Baie-Mahault
52. Le CP de Baie-Mahault a été construit en 1996. Il est situé dans la périphérie de Pointe-à-Pitre. La capacité théorique du CP est de 503 places.
53. En juillet 2014, le rapport sur les problématiques pénitentiaires en Outre-mer remis à la ministre de la Justice souligna ce qui suit :
« Caractéristiques de l’établissement : surencombrement, population pénale inoccupée, développement des violences que ce soit à l’encontre du personnel ou entre personnes détenues ».
Le rapport fait état de la très grande violence des personnes détenues et des mesures prises pour l’enrayer, ainsi que de l’insuffisance de l’offre de soins, notamment pour faire face aux incidents liés à ce climat de tension. Il indique qu’il était prévu d’accroître la capacité opérationnelle de l’établissement afin de résorber la surpopulation constatée et de restructurer plusieurs quartiers de l’établissement mais que les contraintes budgétaires n’ont pas permis de maintenir le projet.
54. En 2015, le CGLPL effectua une seconde visite du CP. La synthèse de son rapport est ainsi libellée :
« (…) À l’issue de la première visite, en 2010, un certain nombre de remarques avaient été adressées au garde des Sceaux ; seules, environ 25 % seulement des recommandations formulées ont donné lieu à des évolutions effectives.
Cet établissement est marqué par la violence, dès le placement au quartier des arrivants, exacerbée par une surpopulation telle que près de la moitié des occupants du quartier de la maison d’arrêt dorment sur des matelas au sol. En dépit d’un professionnalisme excellent, le personnel pénitentiaire peine à gérer cette situation, notamment du fait d’un effectif insuffisant. Cette violence en arrive à terroriser des personnes détenues qui n’osent plus sortir de leurs cellules. (…)
En dépit de l’absence de financement par le conseil départemental de l’accès au droit, le point d’accès au droit est très actif grâce à la participation de multiples intervenants.
La désorganisation du greffe et le retard voire l’absence de réponse du SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] aux requêtes des personnes détenues a des répercussions sur le déroulement et l’aménagement des peines, déjà rendus difficiles par le contexte local, et sur la préparation de leur sortie.
Aucune formation professionnelle n’est proposée et l’offre de travail pénitentiaire représente à peine un huitième de la population carcérale ».
55. Au 1er mars 2017, selon un avis de la CNCDH sur la question pénitentiaire dans les Outre-mer, 754 personnes étaient détenues à Baie‑Mahault, soit un taux de surpopulation de 150 % (Journal Officiel no 0138 du 14 juin 2017).
56. Au 1er janvier 2019, le taux d’occupation du quartier MA était de 189 % et celui du CD de 89 %.
57. Selon le site du ministère de la Justice consulté (juin 2019), des travaux auront lieu à compter de 2020 avec une extension du CP qui « s’inscrit dans le cadre d’un schéma directeur immobilier global à l’échelle de la Guadeloupe, destiné à répondre à la surpopulation actuelle de cet établissement ainsi qu’à la projection d’augmentation de la population incarcérée à horizon 2030 ». Trois cent nouvelles places devraient être créées ainsi que la remise aux normes des locaux du centre actuel.
- La requête
58. Le requérant fut écroué le 6 octobre 2013. Le Gouvernement précise qu’il a été incarcéré à compter de cette date jusqu’au 20 avril 2015 en détention provisoire, avant d’être libéré puis réincarcéré le 26 avril 2016. Sa date de libération est fixée au 21 septembre 2022.
59. Le requérant indique qu’il partage une cellule avec deux codétenus dans laquelle il dort sur un matelas posé à même le sol. Il explique qu’il dort à 80 cm des toilettes. Dans ses observations, le requérant précise qu’il est détenu dans une cellule de 8 m2 qu’il partage avec deux détenus, y compris la table, les chaises, les WC et le lavabo. Il souligne que les toilettes sont « séparées » de la cellule par un seul battant, situé à mi-hauteur et n’assurant aucune intimité.
Le Gouvernement ne fournit pas d’information sur l’espace personnel du requérant.
60. Le requérant dénonce la tension et la violence qui règnent dans la prison et se plaint d’avoir été plusieurs fois agressé sans que les autorités ne réagissent. Il affirme qu’il a fait l’objet d’un lynchage par d’autres détenus le 10 octobre 2016. Le 14 octobre 2016, il aurait envoyé un courrier au procureur de la République de Pointe à Pitre pour porter plainte et pour demander son placement à l’isolement.
Dans ses observations, le Gouvernement a informé la Cour que le procureur avait rendu une décision de classement sans suite car les auteurs des violences alléguées n’avaient pas pu être identifiés. Il ne précise pas la date de cette décision et celle figurant sur la pièce qu’il produit est illisible.
61. La MA de Nîmes, mise en service en 1974, est l’unique établissement pénitentiaire du département du Gard. Sa capacité théorique est de 192 places. Au cours de l’année 2015, année de la saisine de la Cour par les requérants, les taux de surpopulation étaient les suivants. Au 1er février 2015, 413 personnes y étaient détenues, soit un taux de surpopulation de 215 %. Au 1ernovembre 2015, 343 personnes y étaient détenues soit un taux de surpopulation de 178,6 %.
62. Auparavant, en 2012, le CGLPL effectua une visite de la prison. Il indiqua notamment ce qui suit :
« L’établissement est confronté à l’un des taux de suroccupation les plus élevés du territoire métropolitain (210,4 %). Le jour du contrôle, quarante-trois personnes dormaient sur un matelas posé sur le sol. Les transferts incessants de personnes détenues pour désencombrer l’établissement ne peuvent résoudre un problème de fond : la maison d’arrêt est manifestement sous-dimensionnée. Il conviendrait, le plus rapidement possible, d’accroître la capacité d’accueil de cet établissement en construisant, intra-muros, un nouveau bâtiment ».
63. En janvier 2013, le ministère de la Justice établit un rapport d’activité concernant la MA de Nîmes. Il indiqua que la surpopulation endémique de l’établissement était la principale difficulté de gestion de la structure.
64. Le 24 janvier 2014, M.C., député du Gard, écrivit à la ministre de la Justice à la suite d’une visite de la prison. Il fit valoir que « la saturation de la MA entraîne des conditions de détention inacceptables : à titre d’exemple, les détenus sont « entassés » à trois, voire à quatre, dans des cellules de 9 m2 prévues pour deux personnes, des armoires couchées au sol faisant office de couchage d’appoint ». Il dénonça également le manque de moyens humains, le mauvais état de la prison et le manque de moyens criant mis à la disposition du service pénitentiaire d’insertion et de probation (ci-après SPIP).
65. L’OIP et l’Ordre des avocats au barreau de Nîmes initièrent devant le TA de Nîmes un recours en référé-liberté afin de faire cesser les atteintes graves aux libertés fondamentales des détenus.
66. Déboutés de leur demande en juillet 2015, ils demandèrent l’annulation de cette ordonnance devant le Conseil d’État.
67. Par une ordonnance du 30 juillet 2015, le Conseil d’État rappela tout d’abord que les droits garantis par les articles 2, 3 et 8 de la Convention constituaient des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 précité. Il fit valoir ensuite, à propos de son office, ce qui suit :
« (…) le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale ; (…) l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence (…) est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ».
68. En réponse aux conclusions de l’OIP « tendant à la réalisation de travaux de réfection qu’appelle le respect des exigences de sécurité, de salubrité et d’intimité, à ce que soient alloués aux services judiciaires et pénitentiaires des moyens financiers et humains supplémentaires et de prendre les mesures de réorganisation des services de nature à remédier au manque structurel d’activités, aux dysfonctionnements des différents services en charge de la santé des détenus et à favoriser le développement du prononcé des aménagements de peine et des mesures alternatives à l’incarcération », le juge répondit que les injonctions sollicitées n’étaient pas au nombre des mesures d’urgence que la situation permettait de prendre utilement et à très bref délai et qu’elles ne relevaient pas du champ d’application du référé-liberté.
69. S’agissant de la demande de l’OIP d’assurer la sécurité de l’établissement contre le risque d’incendie, le juge ordonna à l’administration la mise en œuvre, dans les meilleurs délais, de trois injonctions : dotation de l’accueil des familles d’un moyen d’alarme, modification du système sécurité incendie et réalisation d’un diagnostic de sécurité sur le désenfumage de la partie « hébergement hommes ».
70. S’agissant des conditions de détention en cellule, et du taux d’occupation de la MA, le juge fit valoir que l’administration pénitentiaire ne disposait d’aucun pouvoir en matière de mises sous écrou. Il indiqua que pour gravement préoccupante qu’elle soit, la situation de la MA de Nîmes était en voie d’amélioration :
« Considérant (…) que la maison d’arrêt de Nîmes, qui est sous-dimensionnée, est confrontée à un taux de suroccupation particulièrement élevé ; que cette situation entraîne la nécessité d’héberger un troisième détenu dans certaines cellules de 9 m2 conçues pour être occupées par deux personnes ; que selon les termes du rapport du [CGLPL] « si l’on retranche la surface au sol des différents meubles et espaces dédiés aux coins sanitaires et à la literie, seul subsiste un espace disponible de l’ordre de 4 m2 soit 1,33 m2 par personne dans le cas d’une cellule occupée par trois personnes » ; qu’il en est de même s’agissant des cellules conçues pour quatre personnes dans lesquelles sont hébergés six détenus ; qu’à cela s’ajoute la circonstance que la personne ou les personnes hébergées au-delà de la capacité d’accueil normale des cellules sont contraintes de dormir sur un matelas posé à même le sol ; qu’ainsi que le relève le rapport précité : « dans certaines de ces cellules, les détenus ont positionné une armoire au sol sur le côté afin de d’y placer le matelas supplémentaire, ce qui leur évite de dormir par terre, cette solution a cependant pour conséquence de réduire encore plus l’espace disponible dans la cellule » ; que de telles conditions de détention qu’aggravent encore la promiscuité et le manque d’intimité qu’elles engendrent exposent les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave à une liberté fondamentale ;
Considérant toutefois que le caractère manifestement illégal de l’atteinte à la liberté fondamentale en cause doit s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente ; qu’il est vrai, ainsi que le fait valoir l’administration pénitentiaire en défense, que celle-ci ne dispose d’aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou, lesquelles relèvent exclusivement de l’autorité judiciaire ; qu’une maison d’arrêt est ainsi tenue d’accueillir, quel que soit l’espace disponible dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou ; qu’il résulte en outre de l’instruction que, pour gravement préoccupante qu’elle demeure, la situation de la maison d’arrêt de Nîmes est en voie d’amélioration ; qu’après avoir atteint 216 % en avril 2015, le taux d’occupation est descendu à 199 % à la fin du mois de juillet 2015 ; qu’alors qu’à la date de la visite réalisée en 2012, les contrôleurs avaient compté une quarantaine de matelas au sol, ce nombre est, à ce jour, de 14 ; (…) que, dans ces conditions, la situation d’urgence étant caractérisée, il y a seulement lieu d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre, dans les meilleurs délais, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans l’attente d’une solution pérenne, les conditions matérielles d’installation des détenus durant la nuit ; (…) »
En outre, le juge considéra que le dispositif partiel de cloisonnement des toilettes était justifié par la nécessité de surveiller la totalité de la cellule et ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine, quelles que soient les conséquences regrettables que ce dispositif entraînait. Enfin, il enjoignit à l’administration pénitentiaire de prendre, dans les meilleurs délais, toute mesure de nature à améliorer et à assurer l’accès aux produits d’entretien des cellules et à des draps et des couvertures propres.
71. Par un courrier du 21 décembre 2015, l’OIP saisit la section du rapport et des études du Conseil d’État, sur le fondement de l’article R. 931‑2 du CJA (paragraphe 147 ci-dessous) d’une demande d’aide à l’exécution de l’ordonnance du 30 juillet 2015.
72. En 2016, le CGLPL effectua une deuxième visite de la MA de Nîmes. La synthèse de cette visite indique ce qui suit :
« La structure immobilière est, comme en 2012, caractérisée par la vétusté et le sous-dimensionnement de l’ensemble des locaux (unité sanitaire, parloirs…) au regard de la surpopulation pénale. Afin de diminuer le nombre de matelas au sol, l’établissement a doté de sommiers à roulettes la plupart des cellules des personnes vulnérables et des femmes. Pour désencombrer la détention, le directeur a décidé de transformer une ancienne salle polyvalente en deux cellules pour l’hébergement chacune de six personnes. Depuis la visite de 2012, une nouvelle salle de musculation dotée d’équipements modernes et d’un vaste espace de douches a été installée à l’extérieur du bâtiment, à proximité du terrain de sport. De même, un programme de réfection des cellules a été engagé depuis 2014, notamment celles des personnes vulnérables et des femmes.
La maison d’arrêt de Nîmes reste confrontée à l’un des taux de suroccupation les plus élevés parmi l’ensemble des établissements pénitentiaires (206 % au moment de la visite/210 % en 2012). La maison d’arrêt connaît une surpopulation pénale endémique tant dans le quartier des hommes que dans celui des femmes. (…)
L’utilisation intensive des locaux vétustes et l’insuffisance des espaces aggravent les conditions d’hébergement et le quotidien des personnes détenues. Ainsi, les personnes sont hébergées à deux ou trois dans des cellules de 9 m² ou à six dans des cellules surencombrées de 18 m², dont l’état de dégradation est déplorable en raison de l’absence d’isolation thermique et d’aération. Les structures sous-dimensionnées sont inadaptées : le quartier des femmes ne comporte pas de cellule arrivante ; les quartiers spécifiques ne désemplissent pas (le quartier des arrivants pour les hommes et le quartier disciplinaire) ; le quartier de semi-liberté est le seul à ne pas être sur-occupé. De même, l’exiguïté des locaux de l’unité sanitaire entraîne des délais de prise en charge préjudiciables pour les personnes détenues.
Les conditions d’hygiène doivent être améliorées : notamment, des espaces de douches dégradés par l’humidité et l’absence d’aération, et insuffisants en raison de la suroccupation de l’établissement.
La gestion des affectations est complexe et les critères prévalant pour la séparation des prévenus et des condamnés, fumeurs et non-fumeurs, jeunes et plus âgés, peu ou pas respectés. Il s’ensuit une cohabitation difficile, justifiant les nombreuses demandes de changement de cellules.
Le maintien des liens familiaux n’est toujours pas respecté, les parloirs se déroulant dans une salle commune sans intimité ni confidentialité. (…)
Les autorités judiciaires sont particulièrement sensibilisées à la question de la surpopulation, avec une politique d’aménagement des peines dynamique et travaillent en partenariat avec tous les acteurs concernés par cette problématique.
Nonobstant le projet de construction d’un nouvel établissement pénitentiaire dans le département, une enveloppe budgétaire spécifique pour financer des travaux d’investissement est nécessaire dans l’urgence pour améliorer les conditions d’hébergement et le quotidien des personnes détenues. »
À propos des activités au sein de la prison, le CGLPL fit une actualisation de ses constats précédents en 2012. Il indiqua que l’offre de travail et de formation professionnelle était insuffisante au regard de la surpopulation pénale, que l’offre d’enseignement était limitée, que certaines installations sportives étaient nouvelles mais que leur accès restait limité en raison de la surpopulation, que les activités socioculturelles étaient diversifiées mais essentiellement ponctuelles et que la bibliothèque était enrichie de nombreux ouvrages.
Le CGLPL nota enfin que les personnes vulnérables (âgées ou condamnées pour agressions sexuelles) disposent d’un étage réservé et d’une cour de promenade propre. En 2012, il avait constaté que « ces personnes se plaignent de ne pas pouvoir participer aux activités de peur d’être victime de violences. Certaines disent ne pas avoir quitté leur cellule depuis plusieurs semaines ».
73. Il ressort des observations complémentaires du Gouvernement des 15 juin et 14 novembre 2016 que la demande d’aide à l’exécution de l’ordonnance du 30 juillet 2015 fut traitée de la manière suivante. Selon un courrier adressé par la section du rapport et des études du Conseil d’État au ministre de la Justice le 21 septembre 2016, qui suivit plusieurs autres courriers de demandes d’informations de l’état de l’exécution de l’ordonnance et de réponses de l’administration en date des 22 décembre 2015, 15 mars 2016 et 14 avril 2016, l’injonction du juge concernant l’installation d’une alarme au sein de l’accueil famille fut réalisée le 2 mars 2016 tandis que celles visant à l’amélioration de l’installation des détenus la nuit (achat de vingt-cinq lits sur roulettes) et à la délivrance de produits d’entretien et de draps/couverture propres furent exécutées au cours du second semestre 2016. S’agissant des mesures prescrites relatives à la sécurité incendie et au désenfumage du bâtiment de détention, le même courrier indiqua qu’elles n’étaient toujours pas exécutées en 2016. La présidente de la section du rapport et des études fixa alors au 31 décembre 2016 le délai pour justifier du dépôt d’une demande d’autorisation des travaux concernés. Elle indiqua qu’en cas de non-exécution, elle proposerait au président de la section du contentieux l’ouverture d’une procédure d’astreinte. Au final, il ressort des pièces apportées par le Gouvernement que les travaux concernant la sécurité incendie ont été achevés au printemps 2017 alors que ceux concernant le désenfumage étaient en cours d’exécution à cette date, l’administration devant conclure un contrat sur ce point.
74. Au 1er janvier 2019, le taux de densité de la MA de Nîmes était de 205 %.
- Les requêtes introduites devant la Cour
a) Allégations des requérants quant à leur espace personnel et précisions apportées par le Gouvernement
75. Le requérant F.R. (requête no 12792/15) fut incarcéré à la MA de Nîmes le 23 juillet 2013 et la quitta le 5 mai 2015 – soit trois jours après l’introduction de sa requête –, date à laquelle il bénéficia d’une mesure de placement sous surveillance électronique. Dans son formulaire de requête, le requérant indique partager une cellule de 9 m2 avec deux codétenus, espace encore réduit par l’ameublement : un lit superposé, trois armoires, un matelas posé à même le sol, une table, deux chaises, un réfrigérateur et une annexe sanitaire (lavabo et WC) qui n’est séparée du reste de la cellule que par un muret et deux portes battantes qui ne ferment pas entièrement.
Le Gouvernement affirme que le requérant a toujours disposé d’un espace personnel d’au moins 3 m2, ce que ce dernier conteste. Le tableau indique pour chaque cellule la surface totale (chiffres communiqués par le Gouvernement) et la surface hors sanitaires (d’après la méthode de calcul exposée rappelée au paragraphe 255 ci-dessous). La taille des sanitaires (1,55 m²) a été calculée à partir des données du Gouvernement (paragraphe 241 ci-dessous) : toilettes (1,00 m x 0,95 m) et lavabo (1,00 m x 0,60 m). Il est présumé que cette superficie est la même dans les cellules de 9 ou 18 m2.
Périodes de détention |
Nombre total de détenus |
Surface totale en m2 |
Surface hors sanitaires en m2 |
Espace personnel en m2 |
23.07. au 05.08.13 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
05.08. au 11.09.13 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
11.09.13 au 09.05.14 |
3 |
9 |
7,45 |
2,48 |
09.05.au 26.05.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
26.05. au 08.09.14 |
3 |
9 |
7,45 |
2,48 |
08.09 au 22.09.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
22.09. au 01.10.14 |
3 |
9 |
7,45 |
2,48 |
01.10 au 21.11.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
21.11. au 22.11.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
17.12.14 au 05.05.15 |
3 |
9 |
7,45 |
2,48 |
76. Le requérant E.A. (requête no 23053/15) fut détenu à la MA de Nîmes entre le 28 août 2014 et le 19 janvier 2016. Dans son formulaire de requête, il indique qu’il partage, depuis novembre 2014, une cellule de 9 m2 avec deux détenus, l’un d’eux étant obligé de dormir sur une étagère posée au sol.
Le Gouvernement affirme que le requérant a toujours disposé d’un espace personnel d’au moins 3 m2. Le tableau indique les chiffres communiqués par le Gouvernement. Bien que le requérant ait été détenu jusqu’au 19 janvier 2016, le Gouvernement a fourni une fiche de détention qui s’arrête au 15 février 2015.
Périodes de détention |
Nombre total de détenus |
Surface totale en m2 |
Surface hors sanitaires en m2 |
Espace personnel en m2
|
28.08. au 05.09.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
04.09. au 12.09.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
12.09. au 13.09.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
13.09. au 19.09.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
19.09. au 01.10.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
01.10. au 14.11.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
14.11. au 21.11.14 |
3 |
9 |
7,45 |
2,48 |
21.11. au 17.12.14 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
17.12.14 au 15.02.15 |
3 |
9 |
7,45 |
2,48 |
77. Le requérant A.M. (requête no 40729/15) est détenu depuis le 10 juillet 2012. Sa date de fin de peine est fixée au 16 mars 2024. Le requérant affirme avoir changé de cellule à dix reprises. Il aurait partagé une cellule de 18 m2 avec cinq détenus puis des cellules de 9 m2 avec un autre détenu où il aurait dormi sur un matelas pendant quelque temps. Le questionnaire envoyé à l’OIP par le requérant et joint à son formulaire de requête indique qu’il a été détenu dans plusieurs cellules, précisant ce qui suit :
« [Cellule] 116 : nous étions 3, je dormais au sol
130 : nous étions 6 (dont 5 fumeurs), je ne suis pas fumeur
127,104, 128 : nous étions 2, je travaillais en cuisine. Puis je suis retourné à la 127 à 3, je dormais sur le sol avec deux fumeurs.
125 : nous étions 3 je dormais au sol
122 : [même chose] ».
Le Gouvernement affirme que le requérant a toujours disposé d’un espace personnel compris entre 4,5 et 18 m2, à l’exception de la période juin/juillet 2013. Le requérant conteste cette affirmation, indiquant que l’état de surpopulation de la prison ne lui a jamais permis d’être détenu seul. Le tableau indique les chiffres communiqués par le Gouvernement.
Périodes de détention |
Nombre total de détenus |
Surface totale en m2 |
Surface hors sanitaires en m2 |
Espace personnel en m2 |
10.07. au 16.07.12 |
1 |
9 |
7,45 |
7,45 |
16.07. au 08.08.12 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
08.08. au 5.09.12 |
1 |
18 |
16,45 |
16,45 |
05.09. au 9.11.12 |
1 |
9 |
7,45 |
7,45 |
09.11.12 au 27.03.13 |
1 |
9 |
7,45 |
7,45 |
27.03. au 14.06.13 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
14.06 au 17.06.13 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
17.06. au 25.07.13 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
25.07. au 5.09.13 |
3 |
18 |
16,45 |
5,48 |
30.10. au 11.12.13 |
2 |
18 |
16,45 |
8,22 |
11.12. au 12.12.13 |
3 |
18 |
16,45 |
5,48 |
12.12.13 à ce jour [15.06.16 – date des observations du Gouvernement devant la Cour ] |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
78. Le requérant H.H. (requête no 40732/15) fut détenu à la MA de Nîmes du 23 mai 2013 au 17 novembre 2015, date à laquelle il fut transféré au CP de Perpignan. Dans son formulaire de requête, il indique partager une cellule de 21 m2 avec cinq détenus, composée de trois ensembles de lits superposés, deux tables, cinq chaises, quatre armoires, deux réfrigérateurs, un cabinet de toilettes et une douche (non intégralement cloisonnée).
Le Gouvernement affirme que le requérant a toujours disposé d’un espace personnel d’au moins 3 m2, ce que ce dernier conteste. Le tableau indique les chiffres communiqués par le Gouvernement qui ne couvrent pas l’intégralité de la détention du requérant.
Périodes de détention |
Nombre total de détenus |
Surface totale en m2 |
Surface hors sanitaires en m2 |
Espace personnel en m2 |
23.05. au 27.05.13 |
2 |
9 |
7,45 |
3,72 |
27.05. au 29.05.13 |
1 |
9 |
7,45 |
7,45 |
29.05. au 23.08.13 |
4 |
18 |
16,45 |
4,11 |
23.08. au 09.10.13 |
3 |
18 |
16,45 |
5,48 |
09.10. au 19.10.13 |
2 |
18 |
16,45 |
8,22 |
19.10. au 06.11.13 |
3 |
18 |
16,45 |
5,48 |
06.11. au 07.11.13 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
07.11. au 08.11.13 |
4 |
18 |
16,45 |
4,11 |
08.11. au 26.11.13 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
26.11.13. au 8.01.14 |
4 |
18 |
16,45 |
4,11 |
08.01. au 15.01.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
15.01. au 07.02.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
07.02. au 10.02.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
10.02. au 12.02.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
12.02. au 14.02.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
14.02. au 26.02.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
26.02. au 05.03.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
05.03. au 12.08.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
12.08. au 13.08.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
13.08. au 21.08.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
21.08. au 22.08.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
22.08. au 12.09.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
12.09. au 15.09.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
15.09. au 14.10.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
14.10. au 16.10.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
16.10 au 22.10.14 |
4 |
18 |
16,45 |
4,11 |
22.10. au 09.12.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
09.12. au 10.12.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
10.12. au 11.12.14 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
11.12. au 19.12.14 |
5 |
18 |
16,45 |
3,29 |
19.12.14 au 5.02.15 |
6 |
18 |
16,45 |
2,74 |
b) Les conditions de détention telles que formulées par les requérants
79. Les requérants se plaignent de la vétusté des cellules, qu’ils doivent parfois partager avec des détenus très âgés dont ils doivent s’occuper. Ils affirment que les bruits sont incessants et les odeurs nauséabondes. Cette situation serait aggravée par l’absence de ventilation et d’isolation thermique de sorte que la température à l’intérieur de la cellule est la même que celle de l’extérieur. Ils dénoncent encore les manquements aux règles d’hygiène : distribution limitée de produits ménagers, saleté du linge de lit, cabines de douches insuffisantes (six pour quatre-vingts détenus) et sales, douches de la salle de sport infâmes. E.A. et A.M. se plaignent de devoir partager leur cellule avec des fumeurs. Les requérants déplorent enfin le manque d’intimité résultant de l’absence de cloisonnement des toilettes.
80. Les requérants indiquent qu’ils sont enfermés dans leur cellule entre dix-huit et vingt heures par jour en semaine, sauf A.M. qui précise qu’il a un poste d’auxiliaire et travaille sept heures par jour. A.M. et E.A. ajoutent qu’ils ne sortent pas car ils craignent le climat de violence (menaces, insultes, crachat, jet de pierre). Tous déplorent un accès difficile aux soins. F.R. se dit saisi d’une grande solitude morale, en l’absence de suivi social et psychologique alors qu’il est soumis à une obligation de soins.
81. La MA de Nice a été construite à la fin du XIXe siècle. Elle comprend un bâtiment pour hommes dont la capacité théorique est de 324 places et une structure de 39 places dédiée au quartier pour femmes. En 2015, le rapport d’activité de l’établissement a fait état d’une surpopulation très élevée au sein du quartier des femmes : 60 femmes pour 39 places. Dans plusieurs articles de presse, les syndicats ont dénoncé une « poudrière » et le fait que les femmes se retrouvent à cinq ou à six dans des cellules de 12 m2, et que vingt d’entre elles doivent dormir sur des matelas par terre. Au 1er juin 2017, à l’époque de la saisine de la Cour par les requérantes, 72 femmes y étaient détenues soit un taux de surpopulation de 185 %.
82. Auparavant, en 2008, le CGLPL effectua une visite de la prison. Il indiqua que plusieurs locaux de l’établissement ne pouvaient demeurer dans l’état où ils étaient et insista sur la nécessité de trouver des investissements pour leur rénovation.
83. Le CGLPL effectua une seconde visite du 28 septembre au 6 octobre 2015. Dans son rapport, il souligna, s’agissant du quartier des femmes, ce qui suit :
« (…) la surpopulation est intolérable ; dans chaque cellule de 13 m2, les détenues sont entassées à cinq avec un matelas au sol. Une telle situation engendre des conditions d’incarcération indignes et de multiples violences, de toute nature, entre les personnes détenues ainsi que des comportements conflictuels ; la détention des femmes est gérée avec beaucoup de difficulté par le personnel ».
« (…) La vie quotidienne
Elle est qualifiée, selon les nombreux propos recueillis, tous cohérents et confirmés par le constat des contrôleurs, comme « insupportable » voire « infernale ».
Le fait d’être, de manière pérenne, cinq en cellules empêche tout moment d’intimité ou plus simplement de tranquillité, outre qu’il est indigne, physiquement et psychiquement, de contraindre une personne à dormir sur un matelas à même le sol, matelas qui doit être enjambé lorsque la nécessité oblige l’une ou l’autre des occupantes à utiliser les sanitaires pendant la nuit.
De telles conditions ne peuvent engendrer, c’est ce qui a été rapporté aux contrôleurs, que des comportements de violences morales ou physiques dont certains ne parviennent pas à la connaissance des agents pénitentiaires par suite d’un accord tacite des femmes détenues ayant trouvé un « modus vivendi » de survie.
La dénomination de l’établissement (maison d’arrêt) ne permet pas que soit mis en place un régime différencié. Ainsi, les femmes condamnées vivent leur incarcération enfermées à quatre ou cinq dans leur cellule, excepté le temps de promenade, de participation au travail pénal ou aux activités socioculturelles. (…)
L’accès au téléphone se fait exclusivement lors des promenades, le seul point phone du quartier des femmes étant localisé, comme déjà précisé supra, dans la cour. Il n’a toutefois pas été fait état de difficultés pour la gestion de l’utilisation du téléphone, les personnes détenues précisant qu’elles s’organisent entre elles pour éviter des blocages de lignes. Elles regrettent toutefois le manque de confidentialité, constaté effectivement par les contrôleurs. (…)
Les agents pénitentiaires autant que les personnes incarcérées, déplorent le manque de travail, de formation professionnelle et d’activité. (…)»
84. Dans ses recommandations, le CGLPL fit valoir qu’il convenait de mettre fin aux conditions d’incarcération inacceptables des femmes, en soulignant la violation permanente de leurs droits fondamentaux due à une surpopulation chronique.
85. Le 26 août 2016, le ministre de la Justice visita l’établissement. Il déclara qu’on ne pouvait pas tolérer une surpopulation de cette importance. Il lança un ultimatum aux élus pour trouver un terrain pour agrandir la MA.
86. Selon le site du ministère de la justice consulté en juin 2019, la MA de Nice fait partie du programme immobilier pénitentiaire 2022-2027 (650 places nettes).
- Les requêtes introduites devant la Cour
a) Allégations des requérantes quant à leur espace personnel et informations du Gouvernement
87. La requérante A.M. (requête no 64482/16) est détenue depuis le 9 janvier 2013. Sa fin de peine est prévue pour le 8 février 2037. Elle dit occuper une cellule de 12 m2 qu’elle partage avec quatre détenues. Cette cellule dispose de deux lits superposés auxquels il faut ajouter un matelas au sol (elle précise avoir dormi dix mois sur un matelas), deux tables, cinq chaises, une armoire, un réfrigérateur, un lavabo, un bidet et des toilettes qui ne sont pas entièrement cloisonnés.
88. La requérante V.M. (requête no 44048/17) est détenue depuis le 26 avril 2016. Elle affirme partager une cellule d’environ 15 m2 avec quatre autres détenues (voire cinq). Elle a dormi deux mois sur un matelas. D’après un courrier du SPIP fourni par le Gouvernement, la requérante serait libérable en 2025.
89. La requérante P.P. (requête no 45365/17) fut détenue à la MA de Nice du 16 janvier au 20 juillet 2017, date de son transfert au CP de Marseille. Elle aurait partagé une cellule de 9 m2(un peu plus grande cependant selon son avocat) avec quatre autres détenues.
90. La requérante S.C. (no 45369/17) fut détenue du 28 décembre 2016 au 2 août 2017, date de son transfert au CP de Bordeaux. Elle aurait partagé une cellule de 9 m2 avec quatre autres détenues. Un matelas doit être posé au sol pour celle qui ne peut pas dormir dans les lits superposés. La requérante explique que son sommeil est très perturbé à cause de la promiscuité.
91. D’après les informations fournies par le Gouvernement, les cellules du quartier femmes mesurent 13,80 m2, 14,50 m2 ou 15,35 m2. Ces informations ne précisent pas l’espace personnel des requérantes. Le Gouvernement soutient que malgré le surencombrement du quartier des femmes, l’administration s’efforce de permettre à chaque détenue de dormir dans un lit et non sur un matelas au sol. Il indique que la circulation est cependant aisée au sein des cellules.
b) Synthèse sur l’espace personnel des requérantes
92. En l’absence de données permettant de déterminer l’espace personnel de chacune des requérantes, il est tenu pour établi, d’une part, qu’il convient de déduire des superficies indiquées des cellules (paragraphe 91 ci-dessus) celles des installations sanitaires, et, d’autre part, que les requérantes ont partagé ces cellules avec quatre autres détenues. Cela signifie qu’elles ont vu leur espace personnel réduit à une surface inférieure à 3 m2.
c) Les conditions de détention telles qu’alléguées par les requérantes et précisées par le Gouvernement.
93. Les requérantes se plaignent toute du manque de lumière et de l’absence d’aération dans les cellules. Elles allèguent également un manque d’hygiène : les repas sont consommés à proximité des toilettes, les produits d’entretien sont insuffisants, les douches sont sales, présentent des traces de moisissure et ne garantissent pas d’intimité. V.M. se plaint de ce que les condamnées et les prévenues sont détenues ensemble, ainsi que les fumeuses et les non-fumeuses.
94. Les requérantes se plaignent toutes de défaillances dans les soins. A.M. aurait développé des problèmes de peau en détention (champignons et verrues). Elle souffrirait d’asthme et d’une maladie des os. Elle soutient s’être fracturée la main en septembre 2013 et avoir obtenu des services médicaux un examen seulement sept mois plus tard pour être opérée encore deux mois plus tard. V.M. dit être atteinte d’hyperthyroïdie et ne pas bénéficier des soins nécessaires. P.P. dit souffrir d’un ulcère du rectum et de problèmes thyroïdiens, pour lesquels elle ne bénéficie d’aucun soin. S.C. dit être atteinte d’un cancer du sein. Elle se plaint de n’avoir pas tous les médicaments nécessaires pour traiter les effets secondaires de son traitement. Elle serait dépressive et déplore que son suivi psychologique ne soit pas régulier.
95. Les requérantes affirment être enfermées la plupart du temps dans leur cellule en raison du manque d’activités, entre vingt et vingt-deux heures.
96. P.P. et S.C. se plaignent du climat de violence qui règne en prison à cause de la promiscuité.
97. V.M. affirme avoir fait l’objet de fouilles à nu après chaque parloir, consistant en des « palpations, ouverture des jambes et autres ».
98. Les requérantes déplorent toutes le manque d’intimité qui affecte leurs échanges téléphoniques avec leurs proches car les cabines téléphoniques ne sont pas cloisonnées et se trouvent dans la cour.
99. S.C. verrait certains de ses courriers ouverts par l’administration pénitentiaire (courrier de son avocat ou courrier de la conseillère d’insertion et de probation, voir paragraphe 159 ci-dessous).
100. Le Gouvernement expose, et joint des photos à cet égard, que les cellules, les douches et les espace communs sont dans un état très satisfaisant. Il précise que les cellules avec douches sont réservées aux mères avec enfant. Il indique que la prison est menacée par la présence récurrente d’animaux nuisibles car les détenues jettent les détritus par les fenêtres, et affirme qu’une société de dératisation intervient régulièrement. Le Gouvernement ajoute que les requérantes ont accès à la cour de promenade et que de nombreuses activités sont organisées par l’établissement de sorte qu’elles ne sont pas enfermées dans leur cellule.
101. S’agissant d’A.M., le Gouvernement précise qu’elle a travaillé du 22 mai 2015 au 4 novembre 2016 cinq heures par jour et qu’elle travaille de nouveau depuis le 13 septembre 2017. Elle aurait participé en outre à de nombreuses activités sportives et culturelles mais n’a pas souhaité les poursuivre. Il affirme que la requérante est régulièrement vue par des médecins généralistes et spécialistes et fournit la liste de ses consultations.
102. Concernant V.M., le Gouvernement précise que la requérante avait été écrouée dès le 12 février 2014 mais internée alors en hôpital psychiatrique. Il soutient qu’il est inexact que la requérante passe vingt‑deux heures en cellule. Elle a travaillé du 28 juin 2016 au 1er septembre 2016 puis du 13 février au 28 février 2017 à raison de six heures par jour dans la semaine. De plus, elle a suivi une formation professionnelle entre août et décembre 2016 et a participé à des activités sportives et culturelles. De même, le Gouvernement soutient que les allégations de la requérante sur ses soins de santé sont inexactes, la liste de ses consultations permettant d’attester d’un suivi médical régulier.
103. Concernant les soins de santé de P.P. et S.C., le Gouvernement fournit des pièces qui attestent d’un suivi régulier des requérantes.
104. Construite en 1898, la MA de Fresnes est située en périphérie immédiate de Paris dans le département du Val-de-Marne et est intégrée dans le CP de Fresnes qui rassemble plusieurs établissements (notamment la MA des hommes, celle des femmes, le centre national d’évaluation et l’établissement public de santé national de Fresnes). La capacité théorique de la MA est de 1320 places. Au 1er novembre 2017, à l’époque de la saisine de la Cour par les requérants, 2 582 personnes y étaient détenues, soit un taux de surpopulation de 195,6 %. Au 1er janvier 2019, ce taux était de 197 %.
105. Auparavant, en novembre 2015, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) effectua une visite à la MA de Fresnes. Il indiqua dans son rapport que les mauvaises conditions de détention associées à la surpopulation et au manque d’activités pourraient être considérées comme un traitement inhumain et dégradant (paragraphe 151 ci-dessous).
106. La visite de la MA des hommes du CP de Fresnes par le CGLPL en octobre 2016 donna lieu à des recommandations en urgence publiées au Journal Officiel le 14 décembre 2016. Le CGLPL indiqua que sa visite avait conduit au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves qui permettaient de considérer que les conditions de vie des personnes détenues constituaient un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Il considéra que la surpopulation, cumulée à l’état des locaux et au manque d’effectifs, ne permettait pas une prise en charge des droits fondamentaux des personnes détenues :
« Une surpopulation inacceptable entraînant des conditions de vie indignes
Le nombre de personnes détenues au centre pénitentiaire de Fresnes a augmenté de plus de 52 % en dix ans, passant de 1 960 en 2006 à 2 989 en 2016. Pour la seule maison d’arrêt des hommes, le taux d’occupation moyen est de 188 %. (…)
Les cellules sont en principe individuelles, d’environ 10 m2. Pourtant, seul 13 % de la population incarcérée bénéficie d’un encellulement individuel, 31 % doit partager une cellule à deux et 56 % une cellule à trois. Dans ces cellules, une fois déduite l’emprise des lits (trois lits superposés), des toilettes et de la table, trois personnes doivent alors vivre dans un espace d’à peine 6 m², bien inférieur aux normes fixées par le Comité européen de prévention de la torture (CPT). Les toilettes, mal isolées, le délabrement de l’immobilier et l’hygiène déplorable rendent le confinement plus intolérable encore.
La surpopulation touche de nombreux établissements pénitentiaires français, mais à Fresnes, son caractère massif et durable lui confère un caractère particulièrement indigne.
Il est nécessaire que le taux d’occupation de l’établissement diminue rapidement et de manière conséquente, en commençant par la suppression immédiate des encellulements à trois.
Des locaux inadaptés et des conditions d’hygiène désastreuses
Les parloirs (boxes d’1,3 à 1,5 m²) reçoivent de manière habituelle jusqu’à quatre personnes. L’absence d’aération, l’accumulation de salpêtre et de crasse sur les murs en font des lieux indignes, tant pour les personnes détenues que pour leurs visiteurs.
Les cours de promenade sont exiguës et dépourvues de bancs et d’abris. En l’absence de toilettes, les personnes détenues urinent dans des bouteilles qu’elles projettent ensuite par-dessus les murs. Il n’est pas rare que l’on voit plus de vingt‑cinq personnes dans un espace d’environ 45 m².
Les rats évoluent en masse au pied des bâtiments, dans les cours de promenade et aux abords des bâtiments tout au long de la journée. Ils ne s’effraient pas de la présence d’êtres humains. Leur odeur s’ajoute à celle des ordures au pied des bâtiments (pollution résultant en partie d’actes d’incivilité, mais aussi d’autres facteurs : promiscuité, absence de réfrigérateurs, taille insuffisante des poubelles). Cette situation porte directement atteinte à la santé des personnes, détenus et personnel.
L’établissement est infesté par les punaises de lit. Entre mars et octobre 2016, 281 cas ont été déclarés à l’unité sanitaire (10 % des consultations). La promiscuité dans les cellules accroît la gravité de cette situation. Les contrôleurs ont vu de nombreuses personnes détenues présentant des traces de piqûres.
La présence des rats et des punaises est connue des autorités. Pourtant, elle n’a pas été traitée par des mesures proportionnées au problème : les protocoles de désinfection et de dératisation mis en place sont ponctuels, partiels et inefficaces.
La rénovation du centre pénitentiaire de Fresnes constitue une urgence. La présence de nuisibles porte à la fois atteinte à la dignité et à la santé des personnes détenues et des professionnels présents dans l’établissement. Des mesures de dératisation et de désinsectisation d’ampleur doivent être immédiatement réalisées. »
Le CGLPL conclut ainsi :
« La visite réalisée à la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes a montré que cet établissement ne présentait pas les conditions structurelles permettant d’accueillir la population pénale dans le respect de ses droits fondamentaux. La surpopulation exceptionnelle empêche un hébergement dans des conditions conformes aux normes retenues par le CPT. L’insuffisance numérique et l’inexpérience du personnel ne lui permettent pas de faire face au minimum de tâches nécessaires au respect de l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009. Les conditions d’hygiène, que l’invasion des rats et des punaises suffit à caractériser, constituent une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que cette situation soit connue des autorités administratives et judiciaires comme des élus locaux, aucune mesure tendant à la corriger n’est prise. En outre, le manque d’encadrement nuit gravement à la maîtrise des pratiques professionnelles. Dans de telles conditions, des tensions importantes existent, tant parmi les personnes détenues qu’entre le personnel et la population pénale. Un climat de violence constant règne dans l’établissement, selon les témoignages abondants et les constats directs des contrôleurs, et l’usage de la force n’est ni maîtrisé ni contrôlé.
La maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Fresnes doit faire l’objet, d’une part, de mesures urgentes concernant la surpopulation pénale, la rénovation de l’immobilier et l’effectif des surveillants, et d’autre part, d’une reprise en mains du fonctionnement de l’établissement, notamment aux fins de faire cesser le climat de violence. »
107. Le 3 octobre 2016, l’OIP initia devant le TA de Melun un recours en référé-liberté afin que soient notamment mises en place des mesures pour mettre un terme à la prolifération de nuisibles dans la MA de Fresnes. Par une ordonnance du 6 octobre 2016, le juge des référés fit droit à cette demande.
108. Le 14 avril 2017, un second recours de l’OIP fut enregistré devant ce même tribunal. Par une ordonnance du 28 avril 2017 (no 1703085), le juge des référés considéra que si des mesures avaient été engagées après l’ordonnance du 6 octobre 2016, elles devaient être « amplifiées » afin que le nombre de nuisibles soit très « substantiellement diminué dans le délai de trois mois». Il prescrivit également des mesures relatives aux méthodes de distribution des repas afin qu’ils soient servis chauds, aux fouilles, au chauffage (une partie des bâtiments étant privée de chauffage), à la distribution de l’eau (froide uniquement dans une partie du bâtiment) et de kits d’hygiène ainsi qu’au travail pénitentiaire. S’agissant des conditions de détention en cellule, le juge nota que si le taux de suroccupation de la MA de Fresnes était particulièrement élevé, des mesures avaient été prises pour que tous les détenus jouissent d’un lit et ne soient pas obligés de dormir sur un matelas. Il en déduisit qu’« il y avait seulement lieu d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre, dans les meilleurs délais, toutes les mesures de nature à améliorer, dans l’attente d’une solution pérenne, les conditions matérielles d’installation des détenus ». Il refusa cependant d’ordonner des mesures visant des travaux de grande ampleur ainsi que celles demandées au titre du développement des aménagements de peine et des alternatives à l’incarcération.
Saisi en appel par l’OIP, le Conseil d’État, en chambres réunies, rejeta la requête de l’OIP dans une décision du 28 juillet 2017 (no 410677). Il commença par rappeler les termes de l’office du juge des référés :
« 8. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. »
Sur la requête tendant à la réalisation de travaux lourds au sein de la MA, à l’allocation de moyens matériels, humains et financiers supplémentaires et à la réorganisation des services, il considéra ce qui suit :
« (…) 11. Eu égard à leur objet, les injonctions sollicitées, qui portent sur des mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique insusceptibles d’être mises en œuvre, et dès lors de porter effet, à très bref délai, ne sont pas au nombre des mesures d’urgence que la situation permet de prendre utilement dans le cadre des pouvoirs que le juge des référés tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Il s’ensuit que l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté les conclusions tendant au prononcé de ces injonctions au motif qu’elles ne relevaient pas du champ d’application de cet article. (…) »
En ce qui concerne les conclusions de l’OIP tendant à l’amélioration des conditions de détention en cellule, le Conseil d’État se prononça comme suit :
« 12. Aux termes de l’article D. 349 du code de procédure pénale : « L’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l’organisation du travail, que l’application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ». Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d’une part, « les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération » et, d’autre part, « dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L’agencement de ces fenêtres doit permettre l’entrée d’air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d’une façon convenable et leur nombre proportionné à l’effectif des détenus ». Pour déterminer si les conditions de détention portent, de manière caractérisée, atteinte à la dignité humaine, il convient d’apprécier, à la lumière des dispositions précitées du code de procédure pénale, l’espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la suroccupation des cellules, le respect de l’intimité et de l’hygiène auxquelles peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, la configuration des locaux, l’accès à la lumière, la qualité des installations sanitaires et de chauffage.
13. Il résulte de l’instruction que la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes, qui est sous-dimensionnée, a atteint un taux d’occupation de 214 % au 18 avril 2017, ce qui implique des encellulements à trois dans des cellules conçues pour deux détenus. Par ailleurs, il ressort des recommandations en urgence formulées le 18 novembre 2016 par le contrôleur général des lieux de privation de liberté que l’établissement, vétuste en raison de son ancienneté et du manque de rénovation, est confronté de façon récurrente à la présence de nuisibles, et notamment de punaises dans les lits des détenus. Par ailleurs, les détenus pâtissent également du manque de luminosité des cellules, et de l’humidité de ces dernières. Dès lors, ces conditions de détention, marquées par la promiscuité et le manque d’intimité, sont de nature tant à porter atteinte à la vie privée des détenus, dans une mesure excédant les restrictions inhérentes à la détention, qu’à les exposer à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave à deux libertés fondamentales.
14. Toutefois, le caractère manifestement illégal de l’atteinte à la liberté fondamentale en cause doit s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises. Or, d’une part, alors même que le décret du 4 mai 2017 modifiant le code de procédure pénale a prévu que l’administration pénitentiaire informe l’autorité judiciaire de la capacité d’accueil et du taux d’occupation des maisons d’arrêt, l’administration pénitentiaire ne dispose d’aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou, lesquelles relèvent exclusivement de l’autorité judiciaire. Une maison d’arrêt est ainsi tenue d’accueillir, quel que soit l’espace disponible dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou. D’autre part, ainsi d’ailleurs que le relevait le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans ses recommandations précitées, les mesures prises par l’administration et la hauteur sous plafond des cellules ont permis d’éviter l’installation de matelas au sol en superposant trois lits. Enfin, l’administration pénitentiaire fait état des multiples démarches qu’elle a engagées afin d’améliorer l’état des cellules, notamment en prévoyant de recourir dès 2017, dans le cadre d’un marché régional, à un prestataire extérieur pour procéder à leur désinsectisation et en renouvelant une partie du mobilier. Dans ces conditions, dès lors que le caractère manifeste de l’illégalité doit être apprécié au regard des moyens dont l’administration pénitentiaire dispose et des mesures qu’elle a déjà mises en œuvre, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée qui est suffisamment motivée, le premier juge, après avoir caractérisé la situation d’urgence, s’est borné à enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre, dans les meilleurs délais, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans l’attente d’une solution pérenne, les conditions matérielles d’installation des détenus (…) ».
En ce qui concerne les conclusions de l’OIP tendant à ce que le juge du référé-liberté s’assure de l’exécution effective des mesures prononcées à l’encontre de l’administration, le Conseil d’État répondit ce qui suit :
« 16. Il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu’implique le respect des décisions juridictionnelles. Si l’exécution d’une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier les articles L. 911-4 [paragraphe 149 ci-dessous] et L. 911-5, la personne intéressée peut également demander au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-4 du même code [paragraphe 146 ci-dessous], d’assurer l’exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte. En revanche, il n’appartient pas au juge des référés de prononcer, de son propre mouvement, de telles mesures destinées à assurer l’exécution de celles qu’il a déjà ordonnées. Il s’ensuit que les conclusions susvisées doivent, en tout état de cause, être rejetées. »
109. Par un jugement du 6 avril 2018 (no 1503550), le TA de Melun annula la décision implicite de rejet de la demande d’un détenu de procéder à des travaux de réfection de la cour de promenade de la MA de Fresnes au motif que « les conditions dans lesquelles se déroulent les promenades des détenus du CP de Fresnes excèdent le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et sont attentatoires à la dignité des intéressés ».
- Les requêtes introduites devant la Cour
a) Allégations des requérants A.B.A., R.M. et A.T. quant à leur espace personnel et informations du Gouvernement
110. Le requérant A.B.A. (requête no 77572/17) est détenu depuis le 21 février 2017. Il affirme partager une cellule de 8 à 9 m2 avec un codétenu, ce qui, en excluant les sanitaires et le mobilier, lui laisse un espace personnel se situant entre 3 et 4 m2. Dans ses observations, le requérant informe la Cour qu’il a été transféré au CP de Caen le 25 juin 2018.
Le Gouvernement soutient que la superficie de la cellule est de 9,5 m2 sans fournir aucun document sur ce point. Il considère donc que l’espace personnel du requérant est de 4,75 m2 et affirme qu’« en prenant en considération les meubles, cet espace personnel n’est pas en tout état de cause inférieur à 3 m2 ».
111. Le requérant R.M. (requête no 78336/17) est incarcéré depuis le 1er février 2017. Depuis son arrivée, il partagerait une cellule de 9 m2 avec deux codétenus, mobilier et sanitaire compris.
Le Gouvernement affirme que l’espace personnel du requérant est de 4,75 m2 sans donner plus de précision.
112. Le requérant A.T. (requête no 79967/17) est détenu depuis le 1er juin 2017. Il partagerait une cellule de 9 m2, meubles et sanitaires compris, avec deux codétenus.
Le Gouvernement précise que le requérant a été transféré au CP de Bois‑d’Arcy le 25 février 2018 pour réintégrer la MA de Fresnes le 15 mars 2018. Le 10 juin 2018, il a été transféré à la MA d’Évreux. Le Gouvernement ne donne aucune information sur l’espace personnel du requérant.
b) Synthèse sur l’espace personnel des requérants A.B.A., R.M. et A.T.
113. R.M. et A.T. ont partagé des cellules de 9,5 m2 (le CGLPL parle de 10 m2 environ, paragraphe 106 ci-dessus) avec deux détenus sans déduction faite de la superficie des sanitaires. Ils ont donc disposé d’un espace personnel inférieur à 3 m2. A.B.A. a partagé la même cellule avec un détenu et a donc disposé d’un espace personnel d’environ 4 m2.
c) Les conditions de détention des requérants A.B.A., R.M. et A.T.
114. Les requérants indiquent tous être enfermés dans leurs cellules vingt-deux heures par jour. Ils se plaignent du manque d’hygiène dans les cellules, infestées de punaises de lit et de cafards, ainsi que dans les parties communes de la prison où les rats circulent. Ils auraient accès à la douche trois fois par semaine. Compte tenu de ces éléments, l’un d’entre eux aurait développé un eczéma, un autre aurait des problèmes de sommeil. Ils soulignent la médiocrité des repas servis, consommés à moins d’un mètre des toilettes non cloisonnées. Tous expliquent que les cours de promenade sont très dégradées et qu’il en est de même des parloirs et des salles d’attente. L’un d’entre eux indique attendre trois fois par semaine, entre quarante-cinq minutes et une heure trente, dans une salle où les détenus urinent à même le sol, pour rencontrer sa compagne. Tous se plaignent de subir une fouille à nu systématique à l’issue de chaque parloir. Les requérants décrivent enfin un climat de violence et de tension avec le personnel.
115. Le Gouvernement ne conteste pas que la MA souffre de surpopulation. Il indique que l’administration met en place un nombre de mesures important pour améliorer les conditions de détention et se réfère aux injonctions du juge des référés à cet égard (paragraphe 108 ci-dessus).
116. Le Gouvernement conteste l’enfermement allégué des requérants dès lors qu’ils ont accès aux cours de promenade deux fois par jour pendant quatre heures (sur les cours de promenade, voir paragraphes 106 et 109 ci-dessus) et peuvent se rendre à la salle de sport ou à la bibliothèque.
d) Les deux autres requérants détenus à Fresnes et dont les requêtes ont été communiquées uniquement sous l’angle de l’article 13 de la Convention
117. Le requérant J. Klapucki (requête no 60899/17) fut incarcéré à la MA de Fresnes du 7 juillet 2016, date de sa condamnation en première instance, au 28 juin 2017, date de sa relaxe par la cour d’appel de Paris. Au cours de sa détention, il demanda à quatre reprises sa remise en liberté. Il dénonça l’absence de motivation du mandat de dépôt, le caractère injustifié de sa mise en détention, ses conditions de détention et l’absence de recours effectif pour les faire cesser. Ses demandes de remise en liberté furent toutes rejetées, en dernier lieu par une décision de non-admission de la Cour de cassation en date du 25 avril 2017. Auparavant, dans ses décisions des 1er et 22 février 2017, la Cour de cassation considéra ce qui suit :
« (…) Si les conditions de détention doivent être conformes aux exigences de dignité humaines, leur mise en œuvre au stade de la procédure devant la chambre des appels correctionnels incombe à l’administration pénitentiaire et au parquet général ; que les insuffisances qui pourraient être soulevées à cet égard ne relèvent pas du contentieux de la mise en liberté mais de la mise en jeu éventuelle de la responsabilité de l’État ;
(…) l’état de ces énonciations et qui, en l’absence d’allégations propres à l’état de santé de M. Klapucki suffisamment graves pouvant mettre en danger sa santé physique ou mentale, mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées, s’est déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale ».
118. Le requérant B.A. (requête no 51808/16), fut détenu à la MA de Fresnes du 19 juin 2015 au 8 septembre 2016, à la suite de quoi il bénéficia d’une mesure de semi-liberté (au centre de semi-liberté de Corbeil-Essonnes).
119. Il existe plusieurs types d’établissements pénitentiaires, ou prisons, selon le régime de détention et les catégories de condamnation. Les établissements sont classés en deux grandes catégories : maisons d’arrêt et établissements pour peine.
Les maisons d’arrêt reçoivent les personnes prévenues en détention provisoire (personnes détenues en attente de jugement ou dont la condamnation n’est pas définitive) ainsi que les personnes condamnées dont la peine ou le reliquat de peine n’excède pas deux ans.
Les établissements pour peine sont divisés en maisons centrales (accueil des détenus condamnés à de longues peines), centres de détention (accueil des détenus condamnés à une peine supérieure à deux ans) et centres de semi-liberté (accueil des condamnés admis au régime de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur). Par ailleurs, les centres pénitentiaires sont des établissements mixtes qui comprennent au moins deux quartiers de détention à régimes différents (quartier MA, quartier CD et/ou maison centrale).
120. Selon les chiffres du ministère de la Justice, au 1er janvier 2019, 70 059 personnes étaient détenues pour 60 151 places opérationnelles. La densité carcérale globale était donc de 116,5 % (dont 140 % en MA et quartier MA et 90 % en CD et quartier CD). Elle s’élevait à 115,4 % au 1er janvier 2018, 116,6 % au 1er janvier 2017, 113,9 % au 1er janvier 2016 et 114,6 % au 1er janvier 2015.
La surpopulation carcérale concerne surtout les MA. La densité carcérale en MA était de 136,5 % en 2018 et 138,5 % en 2017. Selon le rapport 2018 de la Commission de suivi de ladétention provisoire, le nombre de personnes placées en détention provisoire a fortement augmenté depuis 2010. À titre d’illustration, cet accroissement a été de 9% entre janvier 2016 et janvier 2018. Au 1er avril 2018, près de 30% des personnes incarcérées en France étaient en détention provisoire.
- Encellulement individuel
121. En France, le principe de l’encellulement individuel a été introduit par une loi du 5 juillet 1875 mais sa concrétisation n’a cessé d’être reportée. Il a été réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui y a cependant dérogé durant cinq ans, soit jusqu’au 25 novembre 2014. Ne pouvant être respecté à cette date, la ministre de la justice a proposé un moratoire jusqu’au 31 décembre 2019, ce que le Parlement a accepté par la loi no 2014-1655 du 29 décembre 2014. La loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (paragraphe 127 ci-dessous) a finalement prorogé ce moratoire jusqu’au 31 décembre 2022.
122. Le 20 septembre 2016, le ministre de la Justice a rendu public son rapport sur l’encellulement individuel, intitulé « En finir avec la surpopulation carcérale ». Pour mettre fin à cette situation et généraliser l’encellulement individuel, qui s’impose pour des raisons de sécurité et de réinsertion, mais aussi améliorer les conditions de détention, le garde des Sceaux a prévu de construire d’ici 2025 entre 10 309 et 16 143 cellules supplémentaires, principalement dans les maisons d’arrêt. Il a souhaité également revoir la doctrine architecturale des établissements pénitentiaires, améliorer l’accès aux activités des détenus, mesurer l’impact des peines alternatives et créer des quartiers de préparation à la sortie pour les courtes peines afin d’améliorer les sorties de prison.
123. À la suite de ce rapport, en avril 2017, la Commission du Livre Blanc sur l’immobilier pénitentiaire a rendu un document au ministre de la Justice. Dans ses remarques liminaires, ce rapport indique que « pour juguler l’inflation carcérale, le programme immobilier doit être accompagné d’une politique pénale ambitieuse ». Il préconise de réguler les flux d’incarcération afin de « respecter strictement les capacités d’accueil des nouveaux établissements et d’accompagner la résorption de la surpopulation dans les établissements existants ». Selon les auteurs du rapport, la commission d’exécution des peines en formation élargie (magistrats du tribunal de grande instance et direction des services pénitentiaires de son ressort) « doit être le lieu réel de régulation carcérale ». Cette concertation concernerait « les procédures d’orientation des condamnés et les délais de mise à exécution de certaines peines ou de certains aménagements de peine, qui devront tenir effectivement compte des conditions de surpeuplement et d’insalubrité ». Toujours selon ce rapport, l’objectif d’encellulement individuel doit s’accompagner d’une nouvelle conception de la journée de détention, principalement en dehors de la cellule, avec une proposition d’« ériger l’objectif de cinq heures d’activités en norme contraignante ».
- Capacité des établissements pénitentiaires
124. Le mode de calcul de la capacité des établissements pénitentiaires a été défini dans une circulaire du 16 mars 1988 (no A.P. 88.G 05 G). La capacité d’hébergement d’un établissement « se calcule en places, par référence à la surface au plancher » selon le barème suivant :
– « jusqu’à 11 m², 1 place ;
– de 11 m² à 14 m² inclus, 2 places ;
– de 14 m² à 19 m² inclus, 3 places ;
– de 19m² à 24 m² inclus, 4 places ;
– de 24 m² à 29 m² inclus, 5 places ;
– de 29 m² à 34 m² inclus, 6 places ;
[…]
– plus de 94 m², 20 places ».
Selon le CGLPL, « l’espace sanitaire n’est pas pris en considération en tant que tel puisqu’il n’est, à cette époque, constitué que d’une cuvette de WC et d’un lavabo avec, dans le meilleur des cas, un muret de séparation à mi-hauteur » (p. 35 du rapport cité au paragraphe 125 ci-dessous).
125. Dans son rapport sur « Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale » publié en 2018, le CGLPL recommande la révision du calcul des places et de la capacité des établissements pénitentiaires et son actualisation dans une norme de nature réglementaire (voir, pour la recommandation complète, paragraphe 126 ci-dessous). Se référant à son précédent avis du 22 mai 2012 relatif au nombre de personnes détenues (JO no 0136 du 13 juin 2012), le CGLPL souligne que « si les choses paraissent simples, les concepts de « place » et de « capacité opérationnelle » se révèlent, en réalité, d’une « remarquable plasticité ». Selon le CGLPL, la nouvelle norme devrait prendre en compte les recommandations du Livre Blanc sur le surpeuplement du Conseil de l’Europe (paragraphe 154 ci-dessous) selon lesquelles le calcul de la capacité carcérale et celui de la surpopulation doivent tenir compte d’autres critères que l’espace ou les mètres carrés dont dispose le détenu, comme le temps passé en cellule et, de façon plus générale, l’adéquation des conditions carcérales, notamment en termes de dotation en personnel et d’activités motivantes axées sur la réinsertion. Le CGLPL recommande également que seule la capacité opérationnelle (le nombre de places effectivement disponibles déterminées par la surface de la cellule) d’un établissement soit prise en considération pour calculer le taux d’occupation et non la capacité de couchage, car dans ce raisonnement, la présence de matelas au sol pourrait constituer le seul critère de la surpopulation.
- Rapport du CGLPL sur « Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale » publié en 2018
126. Le CGLPL fait le constat des conséquences de la surpopulation carcérale, qui est considérée comme un facteur d’aggravation de conditions matérielles de détention indignes, un obstacle à la délivrance de soins de qualité, une situation propice à l’insécurité et facteur de tensions, une cause d’altération des liens avec l’extérieur et un frein à l’accès aux dispositifs de réinsertion.
Les recommandations finales du CGLPL sont les suivantes :
« Recommandation 1
Le droit à l’encellulement individuel doit être effectif pour l’ensemble des personnes détenues. Ce droit implique que les cellules d’une place, en raison de leur superficie inférieure à 11 m², ne soient occupées que par une seule personne. Les personnes qui expriment le souhait d’être ou qui, de fait, sont à plusieurs en cellule doivent l’être dans une pièce adaptée en termes d’espace vital et d’équipements.
Un plan d’action visant à résorber l’utilisation de matelas supplémentaires doit être sans délai mis en œuvre eu égard à l’aggravation inadmissible des conditions de détention qui en résulte pour les personnes et aux conséquences qui compromettent gravement leurs perspectives de réinsertion.
Recommandation 2
Le calcul des places et de la capacité des établissements pénitentiaires doit être revu et actualisé dans une norme de nature réglementaire. Cette norme doit prendre en compte les recommandations des instances du Conseil de l’Europe. En outre, aucune autre donnée que la capacité opérationnelle ne doit être prise en considération pour calculer le taux d’occupation d’un établissement.
Outre le nombre de personnes détenues, celui des places opérationnelles et le taux d’occupation par établissement, il est nécessaire que l’administration pénitentiaire se dote d’outils statistiques plus précis de mesure de la surpopulation carcérale et de l’encellulement individuel.
Le taux d’encellulement individuel et le nombre de matelas supplémentaires doivent être produits chaque jour par établissement, au regard des caractéristiques propres de chacun de ces derniers, notamment le nombre et le type de cellules (individuelles, doubles ou multiples).
La notion de densité devrait être davantage développée dans les maisons d’arrêt, afin de connaître la surface dévolue à chaque personne détenue et de mesurer la surpopulation.
La statistique mensuelle devrait faire figurer, par établissement, le nombre de places vacantes et calculer l’écart entre la capacité opérationnelle, abaissée des places vacantes, et le nombre de personnes détenues.
Recommandation 3
La mise en œuvre d’une politique de réduction de la population carcérale ne peut être sérieusement envisagée faute d’une connaissance précise de l’état de la surpopulation et de l’exécution des peines. La direction de l’administration pénitentiaire doit être de nouveau en mesure de produire, via le logiciel GENESIS, des statistiques relatives à la composition de la population pénale de chaque établissement.
Recommandation 4
Le manque de personnel et la gestion en « mode dégradé » qui en résulte ont des effets préjudiciables sur les conditions de détention que la surpopulation carcérale vient aggraver, quand elle n’en constitue pas une des causes. A défaut de pourvoir les postes prévus dans les organigrammes du personnel au sein des établissements, l’administration pénitentiaire doit définir des critères pour les suppressions de poste et en interdire certaines, notamment celles ayant pour conséquence de réduire l’accès aux parloirs, aux soins médicaux et à l’ensemble des activités.
Recommandation 5
La surpopulation doit cesser d’être appréhendée comme une problématique essentiellement pénitentiaire.
La lutte contre la surpopulation carcérale doit devenir une véritable politique publique, à laquelle des moyens propres et pérennes doivent être alloués.
Recommandation 6
Les juges qui prononcent des peines d’emprisonnement doivent être attentifs aux conditions de détention dans les maisons d’arrêt de leur ressort et s’assurer que cette incarcération puisse avoir du sens.
Il relève de la responsabilité des magistrats de connaître les lieux de détention et le contexte propre aux établissements de leur ressort. Pour ce faire, ils doivent notamment contrôler de façon effective les lieux de détention et s’appuyer sur les commissions d’exécution des peines pour mettre en place de véritables politiques de lutte contre la surpopulation, en intensifiant les échanges d’information sur les données locales disponibles et en créant des outils de pilotage adaptés.
Recommandation 7
Il est temps de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à l’utilisation excessive de la peine d’emprisonnement ; de réajuster le périmètre de la peine d’emprisonnement en application du principe de nécessité des peines, en procédant notamment au remplacement des peines de prison encourues pour certaines infractions par d’autres peines, ainsi qu’en procédant à des mesures de dépénalisation.
Recommandation 8
Les pouvoirs publics doivent s’interroger sur le sens des courtes peines d’emprisonnement qui ont le plus souvent pour effet de provoquer de réelles ruptures dans la vie d’une personne condamnée sans qu’elle puisse bénéficier d’une aide quelconque en prison en raison de la brièveté de son séjour.
Recommandation 9
La manière dont fonctionnent nos juridictions pénales et l’ensemble du processus d’exécution et d’application des peines doit faire l’objet d’une réflexion, en corrélation avec l’objectif de déflation carcérale. Des objectifs chiffrés doivent être fixés, et faire l’objet d’un suivi renforcé.
Recommandation 10
Un mécanisme national de régulation carcérale doit être mis en place par voie législative et s’accompagner de protocoles locaux contraignants, associant les divers acteurs sous la responsabilité des autorités judiciaires. Il a pour objet d’éviter que tout établissement dépasse un taux d’occupation de 100 %.
- La loi 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
127. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit des réformes en matière d’exécution des peines ainsi que l’allocation de moyens supplémentaires permettant notamment la construction de place de prisons. Selon cette loi, toutes les peines de prison supérieures à un an seront exécutées sans aménagement initial de la peine. Les peines inférieures à un mois sont supprimées. Pour les peines inférieures à un an, des peines diversifiées, adaptées et plus efficaces sont privilégiées : travail d’intérêt général et bracelet électronique. La libération sous contrainte est rendue systématique aux deux tiers de la peine : une personne condamnée à une peine d’une durée inférieure ou égale à cinq ans doit achever le dernier tiers de sa peine en dehors de la détention pour éviter les sorties sèches.
Par ailleurs, la loi, dans son rapport annexé, indique l’engagement du président de la République d’augmenter les capacités du parc pénitentiaire « afin d’atteindre notamment l’objectif de l’encellulement individuel dans les MA où la très importante surpopulation carcérale dégrade fortement la prise en charge des détenus et les conditions de travail des personnels pénitentiaires ». La programmation prévoit d’optimiser le nombre de places livrées sur les cinq années à venir « dans le but d’obtenir un résultat rapide dans la lutte contre la surpopulation ». L’objectif est de créer 7 000 places de prison supplémentaires d’ici 2022. La suite du programme immobilier prévoit d’échelonner d’autres livraisons jusqu’en 2027 dans la limite maximale de 15 000 places.
Enfin, la loi du 23 mars 2019 prévoit une augmentation du budget de la justice. Selon le dossier de presse publié par le ministère de la Justice au moment de l’adoption de la loi, la loi de finances pour 2018 a marqué une étape importante avec une hausse des moyens de 3,9 % et une augmentation des effectifs de 1 000 emplois. Le budget pour 2019 confirme cette hausse avec un budget en augmentation de 4,5 % et la création de 1 300 emplois. En application de l’article 1er de la loi du 23 mars 2019, les moyens de la justice progresseront de 6,7 milliards d’euros en 2018 à 8,3 milliards d’euros en 2022. La justice bénéficiera en outre de la création de 6 500 emplois supplémentaires entre 2018 et 2022. Le document précise que ces moyens supplémentaires permettront notamment la construction des places de prison, l’entretien du parc existant, le renforcement de la sécurité des établissements et du renseignement pénitentiaire, le développement des alternatives à l’incarcération et l’accompagnement des personnes placées sous main de justice ainsi que l’amélioration des conditions de travail des personnels.
128. Dans un avis (no 153) sur le projet de loi de finances adopté par l’Assemblée Nationale pour 2019, en sa partie Outre-mer, le sénateur M.S. met en exergue l’état encore déplorable des établissements pénitentiaires des Outre-mer en dépit de l’effort financier de l’État. Cinq établissements sont encore considérés comme vétustes dont ceux de Baie-Mahault et de Faa’a-Nuutania. Selon ce rapport, les personnes détenues souffrent de la surpopulation carcérale, de l’isolement, des difficultés d’accès aux soins et de la violence omniprésente, tant entre personnes détenues qu’à l’égard des personnels pénitentiaires. Les auteurs de violences ne sont généralement pas transférés dans d’autres établissements où ils pourraient adopter un autre comportement, du fait de l’insularité des territoires. Le rapporteur appelle à une politique ambitieuse, selon trois objectifs : mieux prendre en compte les spécificités des Outre-mer, réduire la surpopulation carcérale et favoriser la réinsertion des détenus. Afin de répondre à ces objectifs, il préconise, entre autres, la transformation de la mission des services pénitentiaires en direction interrégionale, la construction de nouvelles places de prison et un renforcement des moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation dans les territoires ultramarins.
129. Dans son avis sur la question pénitentiaire dans les Outre-mer précité (paragraphe 55 ci-dessus), la CNCDH indique que les aménagements de peine sont beaucoup plus difficiles à mettre en place qu’en métropole. Aux raisons tenant à l’absence de délocalisation du centre national d’évaluation (entité spécifique au sein de l’administration pénitentiaire qui permet d’évaluer des personnes condamnées, de manière pluridisciplinaire et pendant des sessions de plusieurs semaines) s’ajoute le manque de juges de l’application de peines, de moyens de services d’insertion et de probation et de structures publiques ou associatives d’accueil, d’insertion et de réinsertion. La commission souligne également que le transfert des personnes détenues dans des établissements ultra‑marins, qui pourrait être un remède préventif au sens de la jurisprudence de la Cour, est difficile car souvent possible uniquement en métropole, ce qui pose de nombreux problèmes.
- Dispositions pertinentes de la loi no 2009-1436 pénitentiaire, du code de procédure pénale (CPP) et du code pénal
130. L’article 22 de la loi pénitentiaire est ainsi libellé :
« L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. »
131. L’article 44 de la loi pénitentiaire est ainsi libellé :
« L’administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels. Même en l’absence de faute, l’État est tenu de réparer le dommage résultant du décès d’une personne détenue causé par des violences commises au sein d’un établissement pénitentiaire par une autre personne détenue. Toute personne détenue victime d’un acte de violence caractérisé commis par un ou plusieurs codétenus fait l’objet d’une surveillance et d’un régime de détention particuliers. Elle bénéficie prioritairement d’un encellulement individuel. (…) »
132. Les dispositions relatives à l’hygiène en prison figurent dans la partie réglementaire du CPP (articles 349 à 351) et sont citées par le Conseil d’État dans son arrêt du 28 juillet 2017 précité auquel il est renvoyé (paragraphe 108 ci-dessus, point 12 de la décision citée). Les dispositions relatives à l’affectation et au transfert des détenus sont citées dans les observations des tiers intervenants auxquelles il est renvoyé également (paragraphe 198 ci-dessous).
133. L’article 85 du code pénal est ainsi libellé :
« Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent en application des dispositions des articles 52, 52-1 et 706-42.
Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. (…) »
- Droit administratif pertinent
- Responsabilité de l’État du fait des conditions de détention (recours indemnitaire)
134. Les principes relatifs à la mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour comportement fautif résultant de manquements à assurer des conditions de détention compatibles avec la dignité humaine ont été exposés dans l’affaire Lienhardt contre France ((déc.), no 12139/10, 13 septembre 2011) et rappelés dans l’affaire Yengo c. France, no 50494/12, § 29, 21 mai 2015). Il s’agit d’un recours indemnitaire à la disposition des requérants ne se trouvant plus, lors de l’introduction de leur requête devant la Cour, dans des conditions de détention susceptibles de porter atteinte à l’article 3 de la Convention.
- Le référé-liberté et le référé mesures-utiles
135. Les référés que le Gouvernement considère comme étant de nature à offrir aux détenus un recours préventif effectif au sens de l’article 13 de la Convention sont prévus par les articles L. 521-2 (référé-liberté) et L. 521-3 (référé mesures-utiles) du CJA.
a) Le référé-liberté
- L’article L. 521-1 du CJA
136. L’article L. 521-2 du CJA est ainsi libellé :
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
- Procédure
137. Le juge du référé-liberté statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale, dans les quarante-huit heures de sa saisine en première instance. Les décisions rendues en application de l’article L. 521-2 sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’État dans les quinze jours de leur notification. Le juge des référés auprès du Conseil d’État statue alors en fait et en droit dans un délai de quarante-huit heures et exerce le cas échéant les pouvoirs prévus à l’article L. 521-4 (paragraphe 146 ci-dessous). Le référé-liberté est dispensé de ministère d’avocat tant en première instance (article R. 522-5 du CJA) qu’en appel (article R. 523-3 du CJA). Le juge des référés peut prononcer toutes les mesures nécessaires permettant de faire cesser l’atteinte à une liberté fondamentale (injonction, suspension). L’ordonnance est obligatoire et exécutoire (article R. 522-13 du CJA).
- Jurisprudence
138. Comme la Cour l’a constaté dans l’arrêt Yengo cité au paragraphe 134 ci-dessus, la première prison à avoir fait l’objet d’un référé-liberté, en vue de faire cesser les atteintes portées aux droits des détenus du fait de leurs conditions de détention, fut le CP de Marseille. Par une ordonnance du 13 décembre 2012, le juge des référés du TA de Marseille a ainsi prononcé des injonctions relatives à l’éclairage artificiel dans les cellules, aux méthodes de distribution des repas et à l’enlèvement des détritus de cette prison. Le Conseil d’État, saisi en appel, a prescrit l’éradication des animaux nuisibles. Dans son ordonnance du 22 décembre 2012 (CE, réf., 22 décembre 2012, section française de l’OIP, nos 364584, 364620, 364621, 364647), il a considéré ce qui suit :
« (…) Considérant qu’à la suite de la publication au Journal Officiel (…) des recommandations du [CGLPL] du 12 novembre 2012 relatives à la situation du centre pénitentiaire des Baumettes (…), la section française de l’[OIP] a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L 521-2 du [CJA] (…) ;
Considérant que les locaux (…) sont infestés d’animaux nuisibles (…) ; qu’une telle situation (…) affecte la dignité des détenus et est de nature à engendrer un risque sanitaire pour l’ensemble des personnes fréquentant l’établissement, constituant par la même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (…)
Qu’il y a donc lieu, eu égard à l’urgence qui s’attache au prononcé de mesures de sauvegarde sur ce point, de prescrire à l’administration de prendre, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présenteordonnance, toutes les mesures‑utiles susceptibles de faire cesser au plus vite (…)
Que ces mesures doivent (…) permettre de définir un nouveau cahier des charges pour la conclusion d’un nouveau contrat qui devra prévoir des modalités et une fréquence des interventions préventives et curatives adéquates à la situation (…) ; que ces mesures doivent également permettre d’identifier une solution de court terme proportionnée à l’ampleur des difficultés constatées (…) ».
139. Par la suite, ce sont les prisons concernées par les présentes requêtes, Ducos, Nîmes et Fresnes, qui ont fait l’objet de recours portés également par l’OIP devant le juge de l’urgence. Ils ont abouti au prononcé de mesures de sauvegarde de la dignité des conditions de détention dans les termes précités des décisions de 2014, 2015 et 2017 (paragraphes 11, 67 à 70 et 108 ci-dessus).
140. À quelques occasions, le juge du référé-liberté a été saisi par des détenus. Le Gouvernement cite une décision dans laquelle le juge a demandé à l’administration de procéder à l’éradication des rats dans la MA de Lille-Loos-Sequedin (Ordonnance du TA de Lille, no 1607782, 25 octobre 2016) et, dans l’attente de la mise en œuvre de cette mesure, de procéder au changement d’affectation du détenu au sein de l’établissement.
Les requérants citent une ordonnance du juge du référé du TA de Toulouse qui a rejeté la demande d’un détenu, partageant une cellule de 9 m2 avec deux autres détenus à la MA de Seysses connaissant au 1er avril 2017 un taux de surpopulation de 165,5 %, d’être transféré dans une cellule individuelle. Le juge a considéré que l’intéressé « n’invoque aucune circonstance propre à sa situation physique ou psychique, ou tout autre circonstance de nature à caractériser une situation d’urgence (…) » (28 avril 2017, no 1701928). Ils produisent également une ordonnance du TA de Guyane du 26 novembre 2016 (no 1600755) dans laquelle il a été jugé que le partage d’une cellule pour deux personnes à trois détenus avec un matelas au sol ainsi que la présence de nuisibles dans celle-ci et l’absence d’intimité des douches dans la cour de promenade ne portent pas une atteinte grave à une liberté fondamentale.
b) Le référé mesures-utiles
141. L’article L. 521-3 du CJA est ainsi libellé :
« En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures-utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative. »
142. Le référé mesures-utiles est soumis à plusieurs conditions : outre l’absence de « contestation sérieuse » de la prétention du demandeur (CE, 6 février 2004, no 256719), la demande doit présenter un caractère urgent, les mesures doivent être utiles et elles ne doivent pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Ainsi, s’agissant de cette dernière condition, une personne détenue ne peut solliciter du juge qu’il prescrive au directeur de la prison de lui délivrer le matériel nécessaire à son hygiène personnelle ainsi que le respect du règlement intérieur prévoyant trois douches par semaine si ce dernier a préalablement refusé de faire droit à une telle demande (CE, no 393540, 5 février 2016). Dans cette affaire, le Conseil d’État a précisé que le juge du référé mesures-utiles n’intervient qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire qu’il ne peut pas prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets peuvent être obtenus par le biais du référé-liberté ou du référé suspension.
143. Les ordonnances rendues sur le fondement de l’article L. 521-3 sont susceptibles d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. La représentation est obligatoire, le pourvoi est jugé sans délai impératif.
144. Dans une décision du 27 mars 2015, le Conseil d’État a estimé que le juge du référé mesures-utiles ne peut pas ordonner à l’administration de prononcer des mesures d’ordre réglementaire, y compris des mesures d’organisation d’un service (CE, no 385332, 27 mars 2015). Dans cette affaire, l’OIP demandait la mise en place d’un dispositif permettant au sein d’une prison de consulter les personnes détenues sur les problèmes de leur vie quotidienne ainsi que sur leurs conditions de détention.
145. Le Gouvernement cite trois ordonnances pour illustrer le caractère effectif du référé mesures-utiles. Saisi par l’OIP, le juge a par exemple enjoint à l’administration d’effectuer des travaux d’étanchéité, d’installation de cloisons d’intimité dans 161 cellules, de mise en conformité électrique, de remise en état des monte-charges destinés au transport des déchets au CP de Marseille (TA Marseille, no 1208146, 10 janvier 2013) ; également d’assurer le caractère confidentiel des communications téléphoniques des détenus avec leur avocat et famille si cela est justifié (TA Rennes, no 1401157, 23 avril 2014, CE, no 379875, 23 juillet 2014) ; et encore de prendre avant le 1er mars 2016 toutes les dispositions pour supprimer des murets de séparation des parloirs de la MA de Fresnes (TA Melun, no 1410906, 19 janvier 2015).
- Le référé-réexamen et le référé-provision
146. Les autres référés pertinents pour l’examen des présentes affaires sont le référé-réexamen, qui concerne l’exécution des décisions du juge des référés, et le référé-provision, exercé par de nombreux requérants au cours de leur détention (paragraphes 33 et 41 à 48 ci-dessus ; voir, sur le référé provision, Yengo, précité, § 32). Ils sont ainsi définis :
Article L. 521-4 du CJA relatif au (référé-réexamen)
« Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin. »
Article R. 541-1 du CJA (référé-provision)
« Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».
- L’exécution des décisions du juge administratif
147. La procédure d’exécution des décisions du Conseil d’État est réglée par l’article R. 931-2 du CJA. Il s’agit d’une procédure d’aide à l’exécution ouverte aux parties intéressées qui doivent s’adresser à la section du rapport et des études du Conseil d’État, l’une des sections administratives de cette juridiction. L’article R. 931-2, dans sa version actuelle, dispose ce qui suit :
« Les parties intéressées peuvent demander au Conseil d’État de prescrire les mesures nécessaires à l’exécution d’une de ses décisions ou d’une décision d’une juridiction administrative spéciale, en assortissant le cas échéant ces prescriptions d’une astreinte.
La demande ne peut être présentée, sauf décision explicite de refus d’exécution opposée par l’autorité administrative, qu’après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle dont l’exécution est poursuivie.
Toutefois :
1o Si la décision juridictionnelle a ordonné une mesure d’urgence, la demande peut être présentée sans délai ;
2o Si la décision juridictionnelle a fixé à l’administration un délai pour prendre les mesures d’exécution prescrites, la demande ne peut être présentée qu’à l’expiration de ce délai. »
148. La procédure se décompose en deux phases, une phase administrative et une phase juridictionnelle. Durant la phase administrative, la section du rapport et des études effectue toutes les diligences qu’elle estime nécessaires en vue de parvenir à l’exécution de la décision (lettre de demandes d’observations à l’administration, examen des réponses de l’administration, possibilité de convoquer l’administration). Si le président de cette section constate que la décision a été exécutée ou que la demande d’aide à l’exécution n’est pas fondée, il procède au classement administratif de celle-ci. Lorsque le président de la section du rapport et des études estime nécessaire de prescrire des mesures d’exécution, il saisit en ce sens le président de la section du contentieux. La procédure juridictionnelle est alors susceptible de conduire au prononcé d’une astreinte.
149. Les procédures d’exécution propres aux tribunaux et cours administratives d’appel sont organisées par les articles L. 911-4 et R. 921-1 à 921-7 du CJA. Le traitement de la demande d’exécution se décompose, comme devant le Conseil d’État, en deux phases, l’une de nature administrative, l’autre de nature juridictionnelle. L’article L. 911-4 est ainsi libellé :
Article L. 911-4
« En cas d’inexécution d’un jugement ou d’un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d’appel qui a rendu la décision d’en assurer l’exécution.
Toutefois, en cas d’inexécution d’un jugement frappé d’appel, la demande d’exécution est adressée à la juridiction d’appel.
Si le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est demandée n’a pas défini les mesures d’exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d’exécution et prononcer une astreinte.
Le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut renvoyer la demande d’exécution au Conseil d’État. »
150. Les normes du Conseil de l’Europe en ce qui concerne la surpopulation ont été rappelées par la Cour dans les arrêts Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, §§ 46 à 53 et 55 à 56, 20 octobre 2016) et Rezmiveș et autres c. Roumanie, nos 61467/12 et 3 autres, §§ 42-43 et 48-50, 25 avril 2017).
151. Le CPT s’est rendu dans les prisons de Nîmes et de Fresnes du 15 au 27 novembre 2015. Dans le résumé de son rapport (CPT/Inf (2017) 7, p. 23), le CPT a indiqué ce qui suit :
« (…) le Comité considère que les mauvaises conditions de détention en prison, notamment dans les maisons d’arrêt de Fresnes et de Nîmes, associées à la surpopulation et au manque d’activités pourraient être considérés comme un traitement inhumain et dégradant.
« (…) Les conditions matérielles (…). La situation était particulièrement préoccupante dans les prisons de Fresnes et de Nîmes où d’importants problèmes de chauffage (température de 15oc), d’humidité (prolifération de moisissures) et de nuisibles (rats, cafards) s’ajoutaient à la surpopulation.
(…) la majorité des détenus des maisons d’arrêt de Fresnes, de Nîmes (…) ne bénéficiaient d’aucune activité motivante et d’aucun travail ; ils passaient souvent plus de 21 heures en cellule. Le CPT recommande que tous les détenus puissent passer une partie raisonnable de la journée hors de leur cellule occupés à des activités motivantes. »
Dans son rapport, le CPT a évoqué de manière générale le problème de la surpopulation carcérale et les mesures prises par les autorités internes pour y remédier :
« (..) Malgré l’accroissement de 9 000 places en 15 ans, les établissements pénitentiaires français connaissent une surpopulation endémique. Au moment de la visite, la France comptait 66 198 personnes détenues – dont 18 388 prévenus – alors que les 191 établissements pénitentiaires offraient 57 843 places opérationnelles. Dans l’ensemble, les prisons avaient un taux d’occupation de 114 % mais certains établissements étaient plus affectés que d’autres par la surpopulation. Plus de 52 % de la population carcérale était détenue dans un établissement ou un quartier d’établissement ayant une densité carcérale supérieure à 120 % et 56 établissements avaient un taux d’occupation de plus de 140 %. Huit établissements avaient des taux approchant, voire dépassant, les 200 %, notamment dans les départements et territoires d’Outre-mer. Ainsi, le quartier maison d’arrêt de Baie-Mahault (Guadeloupe) connaissait un taux d’occupation de 191 %, celui de Ducos (Martinique) de 226 % et celui de Faa’a-Nuuntania (Tahiti) de 466 %. Selon le recensement de l’administration pénitentiaire, 1 042 détenus dormaient sur un matelas posé au sol dans les prisons françaises ».
152. Le rapport établi à l’occasion de cette visite souligne la situation préoccupante des MA de Nîmes et de Fresnes (pp. 28 et 29) :
« (…) La plupart des détenus étaient hébergés à deux voire trois dans des cellules de 9 ou 10 m² (annexes sanitaires incluses) initialement conçues pour une personne. En raison de la surpopulation, les détenus hébergés à trois dans ces cellules ne pouvaient disposer d’une table suffisamment grande et de chacun une chaise, les contraignant notamment à manger sur leur lit. De surcroit, certains dormaient sur un matelas posé à même le sol ou sur une armoire couchée (afin d’éviter de dormir par terre) ; ce qui avait pour conséquence de réduire d’avantage encore l’espace disponible en cellule.
Par ailleurs, d’importants problèmes d’aération provoquaient de l’humidité dans ces deux établissements. Les murs de nombreuses cellules ainsi que des douches collectives étaient tachés de moisissures (…). De plus, à la prison de Fresnes, des odeurs nauséabondes provenaient des espaces extérieurs notamment en raison de la présence de rats et projections de nourriture (…) ce qui empêchait beaucoup de détenus d’ouvrir leur fenêtre et d’aérer leur cellule. Ces problèmes de salubrité des lieux de vie, connus des autorités, peuvent potentiellement mettre en danger la santé des personnes détenues. »
La délégation a également relevé des températures extrêmement basses dans certaines cellules de ces deux établissements. La maison d’arrêt de Fresnes connait parfois des difficultés d’approvisionnement de chauffage et d’eau chaude de tout ou partie des bâtiments qui perdurent durant plusieurs jours. Lors de sa première journée de visite, la délégation a constaté l’absence de chauffage dans le bâtiment et a, par exemple, mesuré une température de 15oà 15 heures dans le quartier des arrivants. Le problème a été partiellement résolu le lendemain. Toutefois, des détenus comme des membres du personnel ont indiqué que le problème était récurrent et plusieurs détenus ont indiqué devoir régulièrement utiliser leur plaque de cuisson comme chauffage de fortune et/ou dormir habillés. À la maison d’arrêt de Nîmes, les problèmes de chauffage ont été principalement constatés au sein du quartier disciplinaire où tous les détenus interrogés se sont plaints du froid. (…)
La présence en quantité de puces, de punaises de lit, de cafards et de rats a été constatée à la maison d’arrêt de Fresnes. La direction avait pris des mesures pour tenter de remédier à ces problèmes récurrents. (…) Néanmoins, l’ensemble des détenus se sont plaints de ces nuisibles. La délégation a directement pu voir des rats circuler à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments et a noté dans les couloirs et les cours extérieurs un nombre considérable de déjections. (…)
Le Conseil d’État a rendu une ordonnance en référé le 30 juillet 2015 (…). Toutefois, comme la délégation a pu le constater, cette décision de justice n’a pas mis un terme à la surpopulation ni amélioré substantiellement les conditions de vie des détenus. (…)
La grande majorité des prévenus et un grand nombre de condamnés de ces établissements [dont Fresnes et Nîmes] ne bénéficiaient d’aucune activité, hormis de quelques heures d’exercice en plein air et d’un peu de sport. L’ensemble des détenus profitait en effet de deux promenades d’au moins une heure trente par jour. Ils avaient également accès à des salles de sport, en général de petite taille, parfois après des délais d’attente prolongés. Ainsi, à la maison d’arrêt de Fresnes, il fallait attendre plusieurs mois avant d’obtenir l’autorisation de se rendre dans l’une de ces salles durant une heure par semaine. Pour le reste, seul un détenu sur cinq disposait d’un travail (…) et l’offre éducative se limitait souvent à des enseignements linguistique ou informatique ainsi qu’à quelques formations qualifiantes accessibles à un petit nombre de détenus.
Le CPT reconnait que la capacité de l’administration pénitentiaire à offrir des activités motivantes, liées à un programme de détention individualisé, dépend pour une large part du problème du surpeuplement. (…)
Le CPT recommande aux autorités françaises de prendre les mesures nécessaires afin d’améliorer les activités proposées aux détenus des maisons d’arrêt de Fresnes, de Nîmes et de Villepinte. L’objectif devrait être qu’ils puissent passer une partie raisonnable de la journée hors de leur cellule (c’est-à-dire 8 heures ou plus), occupés à des activités motivantes de nature variée : travail, formateur de préférence, études, sport, activités de loisir, adaptées aux besoins de chaque catégorie de détenus. »
153. Dans sa réponse au CPT du 7 avril 2017 sur les moyens mis en œuvre pour diminuer la surpopulation carcérale, le Gouvernement étaye les mesures prises pour augmenter le nombre de places en détention (nouveau programme de plus de 16 000 cellules dans la décennie à venir) et l’encellulement individuel (à 80 %). En parallèle, le Gouvernement indique s’attacher à mener une politique qui tienne compte de la surpopulation carcérale (durcissement des critères fondant une détention provisoire, assignation à résidence sous surveillance électronique, développement des alternatives aux poursuites). Il précise cependant qu’au stade pré-sentenciel, les perspectives demeurent limitées pour infléchir davantage la tendance de la surpopulation carcérale. Il rappelle que l’autorité judicaire n’a pas la possibilité de choisir le lieu d’écrou en fonction des places disponibles (paragraphe 198 ci-dessous). Il explique que la surveillance électronique est encouragée mais avec une marge de progression limitée au regard de l’efficience de cette mesure de sûreté qui ne peut se substituer à une détention provisoire dans certaines hypothèses.
Le Gouvernement ajoute que la loi no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a mis en place une nouvelle peine, la contrainte pénale (obligation pour le condamné de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, à des mesures de contrôles et d’assistance ainsi qu’à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société), possible depuis le 1er janvier 2017 pour tous les délits. Il s’agit de penser autrement la peine et de sortir de la logique des courtes peines d’emprisonnement ferme. Elle se met en place progressivement et nécessite un temps d’appropriation pour les acteurs judiciaires. Elle s’accompagne d’une nouvelle mesure de suivi post‑carcéral, la libération sous contrainte (exécution du reliquat de la peine hors les murs de la prison). Le Gouvernement ajoute enfin ce qui suit :
« En outre, depuis la loi du 15 août 2014, les conditions de détention et le taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire font partie des critères permettant aux juridictions d’application des peines d’apprécier l’opportunité de l’octroi d’une mesure d’aménagement de peine.
Aussi, il appartient aux parquets, avant toute mise à exécution de la peine, de réexaminer la situation de la personne condamnée en vue d’une éventuelle nouvelle saisine du juge de l’application des peines, en présence de garanties de réinsertion. Les magistrats sont d’ailleurs régulièrement informés sur l’état des effectifs des établissements pénitentiaires sur leur ressort. Des protocoles locaux peuvent être privilégiés entre les autorités judiciaires et l’administration pénitentiaire visant à déterminer des seuils d’alerte en termes de surpopulation, élément susceptible d’influer sur les seules décisions de mise à exécution qui peuvent être différées et de procéder à un examen accéléré de mesures d’aménagements pour les détenus en fin de peine. »
154. Le contenu du Livre Blanc sur le surpeuplement carcéral publié par le CDPC et approuvé le 28 septembre 2016 par le Comité des Ministres, lors de sa 1266e réunion, a été résumé par la Cour dans l’affaire Rezmiveș et autres précitée (§ 57). En outre, les paragraphes 10 et 11 du Livre Blanc sont ainsi libellés :
« 10. Il n’existe aucune définition précise et internationalement reconnue du surpeuplement carcéral. D’une manière générale, ce terme désigne les situations où la demande de places en prison est supérieure au nombre total de places disponibles dans un État membre ou un établissement donné. Toutefois, contrairement à ce que prescrit la règle 18.3 des Règles pénitentiaires européennes, l’expression « espace minimum » reste indéfinie dans quelques États membres et il est donc difficile de se mettre d’accord sur la capacité des systèmes pénitentiaires.
11. Le fait est qu’il existe de nettes différences au niveau des méthodes utilisées par les États membres du Conseil de l’Europe pour calculer la capacité carcérale et que, par conséquent, les statistiques relatives à cette capacité devraient être évaluées à l’aune de l’espace ou des mètres carrés dont dispose réellement chaque détenu, ainsi que du temps passé chaque jour en cellule. Il faudrait également tenir compte du fait que l’espace et les mètres carrés ne sont pas les seuls facteurs pertinents pour évaluer les situations de surpeuplement. Ce problème relève également de la problématique plus générale de l’adéquation des conditions carcérales, notamment en termes de dotation en personnel et d’activités motivantes axées sur la réinsertion des détenus et conformes aux normes internationales. »
155. Selon les SPACE de 2018 publiées le 2 avril 2019 (PC-CP (2018)12, la France figure parmi les États européens dont les prisons sont les plus surpeuplées et dont la population carcérale augmente malgré la tendance générale à la baisse dans les États membres du Conseil de l’Europe. Sur les huit pays qui continuent de rencontrer des problèmes graves de surpopulation carcérale, la France figure en troisième position.
156. La Cour a communiqué les présentes trente-deux requêtes par séries, selon les prisons concernées. Les conditions de détention au sein de ces prisons n’ont jamais fait l’objet d’un examen de sa part auparavant.
Par ailleurs, neuf requêtes concernant les conditions de détention au sein de la prison de Fresnes sont actuellement en attente d’un premier examen par la Cour. Tel est le cas également d’une requête concernant la MA de Grenoble.
157. S’agissant des conditions de détention et de l’effectivité du recours préventif à cet égard, les présentes requêtes ont été communiquées sous l’angle des articles 3, 8 et 13 de la Convention, à l’exception de la requête de M. Mixtur (no 57963/16) qui l’a été uniquement sous l’angle de l’article 3 et des requêtes de MM. Klapuci et B.A. (requêtes nos 60899/17 et 51808/16) qui ne l’ont été que sous l’angle de l’article 13. La requête de M. Mixtur a été également communiquée sous l’angle de l’article 3 au regard de ses allégations de violence subies au sein de la prison de Baie‑Malhaut. Les griefs des requérants R.I. et S.C. (requêtes nos 32236/16 et 45369/17) tirés de l’ouverture des courriers ont été également communiqués ainsi que ceux concernant les fouilles corporelles dans les requêtes nos 45365/17, 77572/17, 78336/17 et 79967/17.
158. À ce jour, la Cour a jugé qu’une action en responsabilité contre l’État français (paragraphe 134 ci-dessus), s’agissant de personnes dont la détention a cessé, était a priori un recours indemnitaire disponible et adéquat au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Elle estime donc en principe que cette voie de recours doit être exercée par les requérants qui ont été mais ne sont plus détenus dans des conditions de détention susceptibles de porter atteinte à leur dignité (Lienhardt, précité, Karim Rhazali et autres c. France (déc.), no 37568/09, 10 avril 2012 , Martzloff c. France (déc.), no 6183/10, 10 avril 2012, Théron c. France (déc.), no 21706/10, 2 avril 2013, Fakailo (Safoka) et autres c. France, no 2871/11, § 35, 2 octobre 2014). Elle a précisé que l’exercice de cette voie de recours doit être menée à son terme, les requérants devant saisir le Conseil d’État de leur grief dans le cadre d’un pourvoi en cassation, faute de quoi ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (Rhazali et autres précité). Elle ne s’est jamais prononcé sur l’effectivité de ce recours, s’agissant du montant de la réparation accordée, au regard de l’article 13 de la Convention (idem).
Pour les personnes se trouvant détenues dans des conditions de détention prétendument contraires à l’article 3 de la Convention, la Cour a jugé dans l’arrêt Yengo précité qu’elles ne disposaient pas d’un recours susceptible d’en empêcher la continuation ou d’en obtenir l’amélioration (§§ 68 et 69).
159. S’agissant des griefs concernant l’ouverture des courriers et les fouilles corporelles, la Cour constate que la requérante S.C. (requête no 45369/17) et les requérants P.P., A.B.A., R.M.et A.T. (requêtes nos 45365/17, 77572/17, 78336/17 et 79967/17) ont indiqué dans leurs observations qu’ils souhaitaient s’en désister, soit parce qu’ils avaient engagé un recours devant les juridictions nationales pour s’en prévaloir soit parce qu’ils reconnaissaient qu’ils auraient dû faire usage de tels recours avant de saisir la Cour. Le Gouvernement a pris acte de ces désistements. Dans ces conditions, la Cour conclut que la requérante et les requérants n’entendent plus maintenir cette partie de leurs requêtes, au sens de l’article 37 § 1 a) de la Convention. Elle estime par ailleurs qu’aucune circonstance particulière touchant au respect des droits garantis par la Convention et ses protocoles n’exige la poursuite de l’examen de ces griefs (Article 37 § 1 in fine). Partant, cette partie des requêtes susmentionnées doit être rayée du rôle.
160. Tous les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans des prisons sur-occupées. Toutes les requêtes soulèvent par ailleurs la question de l’effectivité du recours préventif à cet égard. Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié de les examiner conjointement en un seul arrêt conformément à l’article 42 § 1 du Règlement de la Cour.
- SUR LA RECEVABILITÉ DES GRIEFS TIRÉS DES ARTICLES 3 (CONDITIONS MATÉRIELLES DE DÉTENTION) ET 13 DE LA CONVENTION (RECOURS PRÉVENTIF)
161. S’agissant de ces trois requérants (requêtes nos 9671/15, 12799/15 et 32263/16, paragraphes 19, 28 et 47 ci-dessus), le Gouvernement relève qu’ils n’étaient plus détenus dans les prisons de Ducos et de Faa’a-Nuutania au moment de l’introduction de leur requêtes. Dans ces circonstances, il soutient qu’ils devaient saisir le juge administratif d’un recours indemnitaire (paragraphe 134 ci-dessus) pour obtenir réparation de la violation alléguée devant la Cour. D.T. et A.B. n’ayant pas exercé ce recours, et J.M.B. ne l’ayant pas mené à son terme jusque devant le Conseil d’État, le Gouvernement prie la Cour de rejeter leur grief pour non-épuisement des voies de recours internes.
162. Les requérants ne formulent aucune observation particulière sur l’objection soulevée par le Gouvernement.
163. La Cour considère, avec le Gouvernement, que les trois requérants qui n’étaient plus détenus dans des conditions prétendument contraires à l’article 3 de la Convention au moment de l’introduction de leur requête, ce qui avait mis fin à la situation dénoncée par eux, auraient dû engager le recours indemnitaire à leur disposition ou mener cette action à son terme pour satisfaire à l’exigence de l’article 35 § 1 de la Convention (paragraphes 134 et 158 ci-dessus). Partant, leur grief tiré de l’article 3 de la Convention doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
- Sur la question de savoir si les requérants des CP de Ducos et de Faa’a-Nuutania sont victimes de la violation alléguée de l’article 3 de la Convention
164. Le Gouvernement argue de la perte de la qualité de victime des requérants du CP de Ducos (C.D., D.N., C.N., E.R., M.S., W.C. et P.H.) qui ont obtenu, par des jugements du 31 décembre 2015, une reconnaissance de la violation de l’article 3 de la Convention et une indemnisation (paragraphe 32 ci-dessus). Il considère qu’il en est de même de certains requérants du CP de Faa’a-Nuutania (R.I., A.T., T.T., M.T., G.T. et C.G.) pour les périodes de détention indemnisées par le juge administratif (paragraphes 41 à 45 et 48 ci-dessus ; pour les périodes de détention postérieures, le Gouvernement soulève une autre exception d’irrecevabilité, voir paragraphe 170 ci-dessous).
165. Les requérants font valoir que l’octroi d’une indemnisation n’a pas eu pour effet de faire cesser leurs conditions de détention gravement attentatoires à l’article 3 et qu’ils ne disposaient d’aucune voie de recours à cet égard.
166. La Cour renvoie aux principes généraux gouvernant la qualité de victime d’un requérant tels que rappelés dans l’affaire Mironovas et autres c. Lituanie (no 40828/12 et 6 autres, § 84, 8 décembre 2015) qui concernait une situation similaire à celles des présentes requêtes.
167. La Cour rappelle également que pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire. Le recours préventif doit être de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre une amélioration des conditions matérielles de détention. Une fois que la situation dénoncée a cessé, la personne doit disposer d’un recours indemnitaire. À défaut d’un tel mécanisme, combinant ces deux recours, la perspective d’une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec l’article 3 et d’affaiblir sérieusement l’obligation des États de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012, Neshkov et autres c. Bulgarie, no 36925/10 et 5 autres, § 181, 27 janvier 2015, Ulemek c. Croatie, no 21613/16, §§ 71-72, 31 octobre 2019).
168. En l’espèce, la Cour observe que deux des requérants concernés, W.C. et P.H., n’étaient plus détenus lorsqu’ils ont obtenu, par jugement du 31 décembre 2015, la reconnaissance du caractère indigne de leur conditions de détention et le redressement de la violation alléguée de l’article 3 de la Convention (paragraphes 26, 27 et 32 ci-dessus). Dans leur cas, la Cour constate que le juge administratif a définitivement redressé la violation alléguée de l’article 3 et les a indemnisés pour l’intégralité de leur période de détention. Dans ces conditions, et après avoir relevé qu’ils ne se plaignent pas de l’effectivité du recours indemnitaire exercé et des montants alloués, elle considère qu’ils ne peuvent plus se prétendre victimes de l’article 3 de la Convention au sens de l’article 34 de la Convention (Yengo, §§ 55 et 56).
169. Les autres requérants C.D., D.N., C.N., E.R., M.S., R.I., A.T., T.T., M.T., G.T. et C.G. étaient encore détenus au moment du prononcé des jugements du 31 décembre 2015 leur octroyant une indemnisation et des ordonnances leur allouant une provision (paragraphes 20 à 25, 41 à 45 et 48 ci-dessus). Cela étant, s’ils ont obtenu la reconnaissance de la violation alléguée de l’article 3 de la Convention et qu’ils ne se plaignent pas de l’insuffisance des montants alloués par le juge à cette occasion, ce qui pourrait leur faire perdre la qualité de victime (contrairement à la situation en cause dans les arrêts Mironovas et autres, précité, et Nikitin et autres c. Estonie, no 23226/16 et 6 autres, § 197 et suivants, 29 janvier 2019), force est de constater qu’à ce moment-là, ils restaient détenus, certains l’étant toujours, sans changement significatif dans leurs conditions de détention (pour le CP de Ducos, paragraphes 13 et 223 à 226 ci-dessous, pour le CP de Faa’a-Nuutania, paragraphes 40 et 231-233 ci-dessus). Se trouvant dans une situation continue au regard des conditions de détention qu’ils dénonçaient, l’usage de voies de recours purement indemnitaires, en principe réservées aux personnes dont les conditions de détention présentées comme mauvaises ont pris fin (paragraphe 158 ci-dessus), ne leur a pas permis d’obtenir un redressement direct et approprié de leurs droits garantis par l’article 3 de la Convention, à savoir la cessation ou l’amélioration de leurs conditions de détention (Neshkov et autres, précité, §§ 150 et 192, et, mutatis mutandis, Torreggiani et autres c. Italie, no 43517/09 et 6 autres, § 50, 8 janvier 2013, Semikhvostov c. Russie, no 2689/12, § 67, 6 février2014, Mironovas et autres, précité, § 100, Bagdonavičius c. Lituanie, no 41252/12, § 57, 19 avril 2016, et, comparer avec Peša c. Croatie, no 40523/08, § 80, 8 avril 2010). Eu égard ce qui précède, la Cour considère qu’ils conservent leur qualité de victime au regard de l’article 3 de la Convention au sens de l’article 34 de la Convention.
- Sur la question de savoir si le grief tiré de l’article 3 des requérants détenus au CP de Faa’a-Nuutania est irrecevable pour défaut manifeste de fondement
170. Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter le grief des requérants pour défaut manifeste de fondement dès lors que, à compter de 2014, ils ont été affectés dans des cellules rénovées aux conditions de détention satisfaisantes (paragraphes 41 à 46, 48 et 51 ci-dessus).
171. Les requérants ne formulent pas d’observations particulières sur ce point.
172. La Cour observe que le Gouvernement ne précise pas la superficie des cellules rénovées occupées par les requérants à compter de 2014. Elle relève également que, pour cette période de détention, le TA de Polynésie a considéré que le partage d’une cellule de 10,78 m2 à quatre détenus ne heurtait pas l’article 3 de la Convention (paragraphe 41 ci-dessus) ce qui, au regard de sa jurisprudence, pose question et nécessite un examen au fond. Eu égard à ces éléments, notamment, la Cour considère que les griefs des requérants ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
- Sur la question de savoir si existait une voie de recours interne effective que les requérants auraient dû épuiser pour formuler leur grief de méconnaissance de l’article 3(existence d’un recours préventif)
173. Le Gouvernement ne conteste pas que les prisons concernées souffrent d’une situation de surencombrement. Il soutient néanmoins que les requérants disposaient de deux voies de recours préventives effectives pour empêcher la continuation de leurs conditions de détention et qu’ils auraient dû les exercer pour satisfaire à l’obligation d’épuisement des voies de recours internes, à savoir le référé-liberté et le référé mesures-utiles (paragraphes 135 à 145 ci-dessus). Pour ceux des requérants qui étaient sortis de prison avant la date d’introduction de leur requête (paragraphe 161 ci-dessus), le Gouvernement souligne qu’ils disposaient d’une voie de recours indemnitaire effective et que c’est au regard de ce seul recours qu’il convient d’apprécier la recevabilité de leurs requêtes ainsi que le bien-fondé du grief tiré de l’article 13 de la Convention.
174. Les requérants contestent cette thèse et soutiennent que les référés suggérés par le Gouvernement comme les voies de recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention ne sont pas effectifs en pratique.
175. La Cour considère en premier lieu, et contrairement au Gouvernement, que tous les requérants, compte tenu de la complémentarité des recours qu’elle vient de rappeler (paragraphe 167 ci-dessus), peuvent se plaindre de l’absence de recours préventif effectif au sens de l’article 13 de la Convention. La circonstance que certains requérants n’étaient plus détenus lors de l’introduction de leur requête ne les prive pas du droit d’invoquer ce grief, étant précisé qu’ils ont respecté pour ce faire le délai de six mois de l’article 35 § 1 de la Convention. En effet, si la détention des trois requérants concernés a cessé respectivement les 13 novembre 2014, 17 décembre 2014 et 1er juin 2016, ils ont introduit leur requête devant la Cour les 20 février 2015, 10 mars 2015, 3 juin 2016 et ont bien présenté leur grief dans le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention (Yengo, précité, § 57, Ananyev, précité, § 78). De plus, la Cour considère que les requérants disposaient d’un grief défendable, et que l’article 13 trouve par conséquent à s’appliquer, eu égard à ses conclusions quant au bien-fondé du grief tiré de l’article 3 (paragraphes 172 ci-dessus), aux situations générales des prisons telles qu’exposées dans la partie « En fait » (paragraphes 6 à 15, 34 à 40, 52 à 57, 61 à 74, 81 à 86 et 104 à 109 ci-dessus et, mutatis mutandis, Yengo, précité, § 64) et à la reconnaissance par le juge interne, dans certaines requêtes, d’une violation de l’article 3 de la Convention (paragraphes 32, 41 à 45 et 48 ci-dessus).
176. La Cour estime en second lieu que la question de savoir si les requérants ont épuisé les voies de recours internes pour se plaindre de leurs conditions de détention est liée au bien-fondé du grief tiré de l’article 13 de la Convention. Dès lors, elle considère que l’exception du Gouvernement doit être jointe à l’examen au fond de cette disposition (Ananyev et autres, précité, § 70, Neshkov et autres, précité, § 163).
177. Enfin, la Cour considère que les griefs tirés des conditions de détention et de l’absence d’un recours préventif effectif à cet égard ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
178. Eu égard à ce qui précède, la Cour déclare recevable le grief des requérants tiré de leurs conditions de détention à l’exception de J.M.B., D.T., A.B., W.C. et P.H. (paragraphes 163 et 168 ci-dessus) ainsi que celui de tous les requérants tiré de l’absence de recours effectif en droit interne, et joint au fond l’objection du Gouvernement quant au non-épuisement allégué des voies de recours internes.
179. Les requérants se plaignent de ne pas disposer d’une voie de recours effective pour faire cesser leurs conditions de détention prétendument contraires à l’article 3 de la Convention. L’article 13 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
180. Selon le Gouvernement, l’évolution de la jurisprudence administrative depuis l’arrêt Yengo démontre que la saisine du juge des référés constitue une voie de recours susceptible de faire cesser ou d’améliorer les conditions de détention des détenus. Le Gouvernement se réfère principalement aux trois décisions rendues en 2014, 2015 et 2017 concernant les maisons d’arrêt de Ducos, Nîmes et Fresnes et aux nombreuses mesures ordonnées par le juge à ces occasions (paragraphes 11, 67 à 70 et 108 ci-dessus).
181. Le Gouvernement précise que si le juge du référé-liberté prononce des mesures que la situation permet de prendre utilement et à très bref délai, il décide également des mesures dont les effets ne seraient pas épuisés dans les quarante-huit heures. Le juge s’attache seulement à ce que les mesures puissent commencer à prendre effet à bref délai. D’autre part, il a la possibilité de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent (paragraphe 108 ci-dessus, point 8 de la décision citée).
182. Le Gouvernement souligne que le juge du référé-liberté n’a pas le pouvoir de prononcer des mesures d’ordre structurel. Il s’agit d’une limite qui trouve son fondement dans l’objet même de son intervention, à savoir qu’il ne peut ordonner que des mesures provisoires. Elle découle naturellement du principe de la séparation des pouvoirs, et de la place du juge auquel il n’appartient pas de faire des choix de politique publique ou de se prononcer sur des choix de société.
183. Pour autant, le Gouvernement se dit convaincu de l’effectivité du référé-liberté. Il estime que les mesures engagées par l’État à la suite des ordonnances précitées en témoignent, à commencer par les opérations de dératisation menées à la prison de Ducos ainsi que l’exécution de plusieurs autres injonctions concernant l’hygiène. Il fournit à cet égard des factures des intervenants extérieurs, des bons de commande qui attestent des achats destinés à garantir l’hygiène des détenus, la copie d’un marché public signé en 2016 pour la construction de deux douches supplémentaires ou encore la solution retenue pour répondre aux problèmes d’inondations de la cour de promenade qui « permettra [son] utilisation même en cas d’intempérie ». Le Gouvernement donne également des informations sur les mesures prises pour l’exécution de l’ordonnance du 30 juillet 2015 concernant la MA de Nîmes (paragraphe 73 ci-dessus). S’agissant de la MA de Fresnes, il renvoie aux mesures ordonnées par le juge des référés en 2017 (paragraphe 108 ci‑dessus) sans donner d’informations sur celles effectivement engagées depuis.
184. Le Gouvernement explique que les délais d’exécution de certaines injonctions résultent de l’ampleur des travaux et de la complexité des procédures à mettre en œuvre. Ces dernières impliquent en effet que des marchés publics soient passés conformément aux règles de la commande publique et que des études de faisabilité préalables soient effectuées. Ces considérations, qui sont totalement indépendantes de l’office du juge du référé-liberté, expliquent le délai nécessaire à l’administration pour procéder à l’engagement des travaux.
185. Le Gouvernement ajoute que les procédures d’exécution des décisions du juge sont de nature à garantir l’effectivité des décisions rendues (paragraphes 147 à 149 ci-dessus). Il se réfère au déroulement de la procédure d’exécution de l’ordonnance du 30 juillet 2015 concernant la MA de Nîmes (paragraphe 73 ci-dessus). Il fait remarquer par ailleurs, s’agissant du CP de Ducos, que l’OIP n’a pas saisi le TA de la Martinique des difficultés d’exécution de l’ordonnance du 17 octobre 2014.
186. Le Gouvernement soutient en dernier lieu qu’il est inexact d’affirmer que les recours en référé ne sont susceptibles d’entraîner le prononcé de mesures à caractère général que lorsqu’ils sont formés par des organismes comme l’OIP (paragraphe 189 ci-dessous). Le constat d’une violation de l’article 3 à l’égard d’un détenu peut entraîner le prononcé de mesures générales à l’égard des autres détenus (paragraphe 140 ci-dessus, ordonnance du 25 octobre 2016). La portée des mesures prononcées par le juge lorsqu’il est saisi par un détenu n’est pas plus limitée que celles qu’il prend lorsqu’il est saisi par une association agissant au nom de l’intérêt collectif. En outre, le fait même que l’accès au juge soit ouvert dans ce dernier cas est un gage évident d’effectivité du référé-liberté.
187. Le Gouvernement conclut que le référé-liberté est un recours préventif qui permet d’obtenir un redressement direct et approprié de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée de l’article 3 ou d’en permettre une amélioration. Il estime qu’il en est de même du référé mesures-utiles en renvoyant à la jurisprudence citée au paragraphe 145 ci‑dessus.
- Les requérants
188. Après avoir souligné que la situation carcérale en France demeure marquée par une grave surpopulation chronique et révèle un problème structurel, les requérants marquent leur désaccord avec le Gouvernement sur le caractère effectif des recours en référé.
189. Ils font remarquer, à titre liminaire, que le juge du référé-liberté est très peu saisi de requêtes individuelles, ce qui contredit la présentation du Gouvernement faisant de la procédure de référé-liberté une voie de recours clairement identifiée et accessible aux personnes incarcérées. Un détenu isolé ne pourrait pas se voir reconnaître un intérêt à agir au nom de l’ensemble des codétenus ni obtenir du juge des référés le prononcé de mesures générales pourtant seules à même d’agir sur des conditions de détention structurellement attentatoires à la dignité. L’ordonnance citée par le Gouvernement est isolée. D’autres décisions témoignent au contraire de l’approche restrictive des situations susceptibles de caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale d’un détenu (paragraphe 140 ci-dessus).
190. Les requérants soutiennent ensuite que l’office du juge des référés est très strictement encadré par les textes et la jurisprudence. Selon eux, le juge lui-même admet son incapacité à protéger les détenus des conditions attentatoires à la dignité humaine du fait de la surpopulation et des conséquences de cette dernière sur le quotidien carcéral.
191. S’agissant du référé-liberté, les requérants estiment que la situation d’urgence est très rigoureusement appréciée (paragraphes 108 et 140 ci‑dessus). De même, la condition d’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale est étroitement interprétée par les juridictions administratives car elle s’apprécie au regard des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises (ordonnances du 30 juillet 2015 et arrêt du 28 juillet 2017, paragraphes 67 à 70 et 108 ci-dessus). Or, l’article 3 étant absolu, toute atteinte portée à ces droits devrait a priori être jugée illégale. Le juge du référé-liberté, bien que reconnaissant l’exposition des détenus à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ne peut donc pas reprocher à l’administration de n’édicter aucune mesure permettant d’endiguer la surpopulation. Ainsi, conditionner l’illégalité de l’atteinte portée à une liberté fondamentale aux moyens dont dispose l’administration et aux mesures déjà prises contrevient, selon les requérants, à la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’État est tenu d’organiser son système pénitentiaire de telle sorte que la dignité des détenus soit respectée, quels que soient les obstacles matériels et financiers.
192. L’ineffectivité de la procédure de référé-liberté résulte également, selon les requérants, du périmètre restreint des mesures que le juge est susceptible d’ordonner. Il prononce des mesures ponctuelles, susceptibles d’agir à très bref délai sur le risque à neutraliser, et non des mesures d’ampleur visant à résoudre un dysfonctionnement complexe ou structurel. Il ne peut donc pas intervenir sur les causes mêmes de la violation.
En témoignent, selon eux, la visite du CP de Nîmes par la délégation du CPT trois mois après l’ordonnance du 30 juillet 2015 (paragraphe 152 ci‑dessus) ou la situation du CP de Ducos au sein duquel les conditions de détention demeuraient exécrables plusieurs mois après le prononcé de l’ordonnance du 17 octobre 2014. Les requérants produisent à cet égard des articles de presse et des références à des émissions télévisées qui montrent que la situation est restée tendue au CP de Ducos en 2015 et 2016, ainsi qu’un courrier envoyé par l’OIP le 24 avril 2017 à son directeur pour connaître le développement des travaux non encore exécutés (cour de promenade et recrutement d’un médecin).
193. Les requérants soulignent enfin l’ineffectivité du recours au référé‑liberté du fait des difficultés rencontrées pour obtenir, à bref délai, l’exécution des mesures ordonnées. À propos de la MA de Fresnes, par exemple, ils produisent un courrier adressé par deux parlementaires à la ministre de la Justice en janvier 2018, soit plusieurs mois après le prononcé des injonctions par le juge, et dans lequel ils réclament, après une visite inopinée de la prison, une « rénovation prioritaire ». Les députés font état d’un taux de surpopulation de 203 %, de cellules humides et sales et de problèmes d’hygiènes, « les détenus ne pouvant bénéficier que de trois douches par semaine dans des sanitaires collectifs et froids. Les punaises prolifèrent tout comme les rats d’ailleurs ».
194. S’agissant du référé-mesures-utiles, les requérants soutiennent qu’il est soumis à des conditions qui en limitent considérablement les potentialités et qu’il n’est donc pas un recours effectif. D’une part, la mise en œuvre des pouvoirs du juge ne doit pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative (paragraphe 142 ci-dessus), d’autre part, la gamme des mesures pouvant être prononcées au titre de l’article L. 521-3 du CJA a été significativement restreint par la jurisprudence du Conseil d’État (paragraphes 142 et 144 ci-dessus).
- Observations des tiers intervenants
- La Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté
195. La CNCDH et le CGLPL soulignent à titre liminaire le caractère chronique de la surpopulation carcérale. S’agissant des voies de recours, ils expliquent que des remèdes compensatoires effectifs existent malgré la faiblesse des montants alloués (100 EUR/mois de détention subie en moyenne) mais soutiennent qu’aucune voie de recours préventive effective n’est ouverte en France. Cela est d’autant plus problématique, selon eux, que les recours indemnitaires n’incitent pas l’État à faire cesser des situations analogues, notamment en raison de la faiblesse des indemnisations. La CNCDH et le CGLPL sont d’avis qu’aucune voie de recours préventive ne répond aux exigences de la jurisprudence de la Cour. Ils font l’inventaire des voies de droit possibles.
a) L’impossibilité de solliciter une mise en liberté du fait de l’existence de conditions de détention indignes
196. Ils rappellent qu’aucun texte ne prévoit qu’une personne en détention provisoire peut solliciter une mise en liberté du fait de l’existence de conditions de détention indignes. Si la Cour de cassation ne l’a pas exclu, elle exige la preuve, très difficile à apporter, « d’éléments suffisamment graves pour mettre en danger sa santé physique ou morale » (Yengo, § 65). En tout état de cause, la demande ne sera accueillie que si les motifs qui justifiaient le placement en détention provisoire ont disparu. En ce qui concerne les condamnés, si la loi no 2014-896 du 15 août 2014 a inscrit dans le CPP que toute personne condamnée (…) bénéficie chaque fois que cela est possible d’un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire, les procédures de libération conditionnelle, de suspension ou de fractionnement de la peine n’ont pas pour objet de prévenir ou de redresser les méfaits de la surpopulation.
b) Le caractère illusoire des voies de droits permettant à une personne détenue d’obtenir de l’administration des travaux destinés à améliorer ses conditions matérielles de détention
197. La CNCDH et le CGLPL considèrent que le référé-liberté constitue un progrès en faveur du respect de l’article 3 de la Convention. Toutefois, ils soulignent qu’il ne permet pas d’enjoindre à l’administration de réaliser des travaux structurels susceptibles de mettre fin à des conditions de détention indignes. Par ailleurs, ils regrettent que le caractère manifeste de l’illégalité soit appréciée au regard des moyens dont dispose l’administration. En outre, le Conseil d’État prend en compte les mesures déjà mises en œuvre mais sans distinguer celles qui apportent des réponses ponctuelles de celles qui constitueraient des solutions pérennes ; pas plus qu’il ne prend en compte le délai de réalisation de ces mesures pour apprécier les suites qu’il convient d’apporter aux requêtes des personnes détenues et des associations. La CNCDH et le CGLPL soulignent enfin que seules les associations de défense des intérêts collectifs des détenus ont pu faire aboutir ces procédures. Ils concluent que le référé-liberté n’est pas un recours effectif au sens de la jurisprudence de la Cour en raison de la nature structurelle de la surpopulation (Ananyev et autres, précité, § 219). Ils ajoutent que le référé mesures-utiles n’en est pas un non plus (pour les raisons indiquées par les requérants, paragraphe 194 ci-dessus).
c) Le caractère illusoire des voies de droit permettant à une personne détenue d’être placée en cellule individuelle ou transférée dans un établissement pénitentiaire moins encombré
198. La CNCDH et le CGLPL rappellent que l’article D. 53 du CPP prévoit que les prévenus doivent être incarcérés dans la MA de la ville où siège la juridiction d’instruction ou de jugement devant laquelle ils doivent comparaître. Lorsqu’il n’y a pas de capacité d’accueil suffisante, c’est la MA la plus proche qui sera choisie. Les prévenus peuvent solliciter un placement en cellule individuelle, comme le prévoit par principe l’article 716 du CPP. Les personnes condamnées peuvent solliciter un transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire (article D. 82 et suivants du CPP).
199. Cela étant, la CNCDH et le CGLPL soutiennent que ces demandes sont illusoires compte tenu de la surpopulation. Par ailleurs, si une décision de refus émanant de l’administration peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative, une telle voie de droit ne peut qu’aboutir à l’annulation de la décision contestée, le juge ne pouvant pas ordonner l’affectation d’une personne dans telle ou telle cellule. En outre, les délais de jugement pour obtenir une décision définitive du juge administratif sont de vingt-huit mois entre l’introduction de l’instance et la décision du Conseil d’État.
d) Les solutions pour réduire la surpopulation
200. Selon la CNCDH et le CGLPL, la réponse de la France au phénomène de surpopulation s’est, avant 2012, uniquement traduite par des projets successifs d’accroissement du nombre de places dans le parc pénitentiaire. Cette approche s’est révélée contre-productive. D’une part, elle favorise l’abandon d’une réelle politique de prévention et d’aménagement des peines, d’autre part, elle semble anticiper certains choix de politique pénale à venir selon les fluctuations de la majorité politique. Par ailleurs, la CNCDH et le CGLPL indiquent qu’ils ont constaté lors de leurs missions respectives que le renouvellement du parc pénitentiaire n’a pas eu pour effet à lui seul d’apporter des garanties d’amélioration effectives des droits de l’homme. Ainsi, les nouveaux établissements sont d’une taille excessive, éloignés de toute vie urbaine et privilégient la sécurité au détriment tant des conditions de vie que des objectifs de réinsertion et de prévention de la récidive. Les chiffres démontrent à rebours que l’accroissement des capacités de détention ne permet pas la baisse du taux d’occupation.
Les deux organismes considèrent que les réformes en cours, tant en ce qui concerne le renouvellement du parc carcéral que les réorientations de politique pénale, ne sont pas à la hauteur du défi. Les investissements prévus ne seront pas suffisants, en particulier au regard des nécessités d’entretien du parc existant, et la vétusté de certains établissements risque de s’aggraver. Le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice présenté en avril 2018 ne comporte par ailleurs aucune modification de la procédure de comparution immédiate, ni aucune disposition importante visant à limiter la détention provisoire. Il n’inclut pas non plus de dispositions relatives à l’expérimentation de la régulation carcérale pourtant annoncée par le président de la République.
- Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D)
201. Selon l’association A3D, seul le recours indemnitaire est effectif en France, ce qui signifie que les détenus doivent attendre la cessation de leurs conditions de détention pour saisir les juridictions.
202. L’association souligne que la surpopulation et les conditions de détention ne permettent pas aux détenus de faire des « efforts sérieux de réadaptation sociale », ce qui favorise l’émergence de comportement pouvant donner lieu au retrait de crédits de réduction de peine et empêche l’octroi des remises de peine supplémentaires. L’accès au personnel d’insertion et de probation est difficile et le manque de personnel entraîne un ralentissement dans les projets et les demandes d’aménagement de peines.
203. Par ailleurs, l’accès au juge d’application des peines (JAP) est difficile. Ce dernier est surchargé et a souvent recours à un processus décisionnel accéléré sans la présence de la personne détenue. Cette situation conduit les personnes condamnées à de courtes peines à ne jamais solliciter d’aménagement de peines. En outre, le juge des référés a estimé qu’il ne ressortait pas de son office d’enjoindre à l’État d’affecter ou de réaffecter des postes de juges de l’application des peines, des membres du parquet et des personnels de greffe afin d’obtenir la mise en œuvre de plus de procédures d’aménagement de peine (paragraphe 11 ci-dessus).
204. L’A3D indique qu’il arrive que des juges prennent en compte les conditions de détention mais cela est marginal. Elle cite deux arrêts de la cour d’appel de Montpellier des 24 mai et 18 juin 2016, l’un refusant la prolongation d’une détention provisoire en raison des conditions de détention, l’autre décidant d’un aménagement de peine en raison des conditions de détention.
- Le Défenseur des droits
205. Le Défenseur des droits souligne l’imprécision des textes français quant à l’espace minimum vital des détenus (paragraphes 124 à 126 ci‑dessus). Celle-ci s’accompagne d’une véritable stagnation de la mise en œuvre du principe de l’encellulement individuel (paragraphes 121 à 123 ci‑dessus), qui confirme le caractère structurel de la surpopulation pénale.
206. Selon le Défenseur des droits, les détenus prévenus et condamnés ne disposent d’aucun recours préventif devant le juge judiciaire, en dépit de propositions de loi faites en ce sens (est citée à cet égard une proposition de loi visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation déposée le 13 juillet 2010 et rejetée par l’Assemblée Nationale). Le juge administratif, lui, agit sur les « effets de l’atteinte » et non sur ses causes dès lors qu’il n’est pas saisi du litige au principal et ne peut prendre que des mesures provisoires. Son rôle consiste à prononcer des mesures d’urgence en vue de produire un résultat immédiat, ce qui ne permet pas, dans le cadre d’une situation de surpopulation pénitentiaire structurelle, de faire cesser les violations de l’article 3 de la Convention. Le Défenseur des droits considère également que l’appréciation du caractère manifeste de l’illégalité commise par l’administration au regard des moyens dont elle dispose et des mesures qu’elle a déjà mises en œuvre est incompatible avec la protection absolue de l’article 3. Il demande à la Cour d’indiquer à la France de prendre des mesures générales de nature à assurer de manière concrète l’effectivité des recours internes.
207. La Cour renvoie aux principes tels qu’énoncés dans son arrêt Ananyev et autres précité (§§ 93 à 98) et rappelés dans l’arrêt Neshkov et autres précité (§§ 177 à 191), tant à propos de l’épuisement des voies de recours internes que de l’article 13 de la Convention.
208. Elle estime devoir rappeler, pour les besoins des présentes causes, et s’agissant du recours préventif, les principes suivants :
i. Le recours préventif doit être de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée de l’article 3 ou de permettre une amélioration des conditions matérielles de détention (Torreggiani, précité, § 50) ;
ii. L’« instance » dont parle l’article 13 peut ne pas être forcément une instance judiciaire au sens strict. Cependant, ses pouvoirs et les garanties procédurales qu’elle présente entrent en ligne de compte pour déterminer si le recours est effectif. Pour la Cour, si un recours est formé, par exemple, devant une instance administrative, il faut : a) qu’elle soit indépendante des autorités en charge du système pénitentiaire, b) s’assure de la participation effective des détenus à l’examen de leur grief, c) veille au traitement rapide et diligent du grief, d) dispose d’une large gamme d’instruments juridiques permettant de mettre fin aux problèmes à l’origine des griefs, e) être capable de rendre des décisions contraignantes et exécutoires (Neshkov et autres,précité, § 183) ;
iii. Le recours préventif doit être susceptible de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (idem) ;
iv. L’autorité saisie doit statuer conformément aux principes généraux énoncés dans la jurisprudence de la Cour sur le terrain de l’article 3 (idem, § 187) ;
v. Les autorités internes qui constatent une violation de l’article 3 à raison des conditions de détention de la personne encore détenue doivent lui garantir un redressement approprié. Le redressement peut, selon la nature du problème en cause, consister soit en des mesures ne touchant que le détenu concerné ou, lorsqu’il y a surpopulation, en des mesures générales propres à résoudre les problèmes de violation massives et simultanées de droits des détenus résultant de mauvaises conditions (idem, §§ 188 et 189) ;
vii. Les détenus doivent pouvoir exercer le recours sans crainte de représailles (idem, § 191).
- Application de ces principes dans des affaires antérieures
209. La Cour a eu l’occasion d’examiner plusieurs voies de recours à l’aune de ces principes. Dans l’arrêt Ananyev et autres précité, elle a considéré que les recours exercés auprès d’un directeur de prison, devant le procureur ou devant l’Ombudsman ne sont en principe pas des recours préventifs effectifs en raison soit du manque d’indépendance de ces autorités soit du défaut de participation du détenu à la procédure ou du caractère contraignant des décisions prises. Dans les arrêts pilotes relatifs à la surpopulation carcérale (Ananyev et autres, Torreggianiet autres, Neshkov et autres précités et Varga et autres c. Hongrie, no 14097/12 et 5 autres, 10 mars 2015), elle a également examiné les recours juridictionnels à la disposition des détenus et jugé qu’ils n’étaient pas effectifs, faute d’examen de leur situation à la lumière de l’article 3 et des critères établis dans la jurisprudence de la Cour ou de démonstration de leur caractère effectif dans une situation de surpopulation carcérale. S’agissant de ce dernier point, la Cour a relevé que malgré l’évolution positive d’une jurisprudence interne, la possibilité pour les détenus ayant obtenu une décision favorable d’obtenir le redressement de leur situation ne suffit pas si la situation de surpeuplement ne connait pas une amélioration. Dans une telle situation, l’amélioration de la situation d’un détenu se ferait au détriment de celle des autres, et la capacité du recours à produire un effet préventif n’est pas démontrée (Varga et autres précité, §§ 61 et 63, Rezmiveșet autres précité, § 123).
210. À la suite du prononcé de ces arrêts, la Cour a rendu des décisions constatant la mise en place par l’Italie, la Hongrie et la Bulgarie de recours préventifs, soit devant le juge de l’application des peines, saisi directement par la personne détenue ou après qu’elle eut formé une plainte auprès des autorités pénitentiaires (Stella et 10 autres requêtes contre Italie (déc.), no 49169/09, §§ 47 à 50, 16 septembre 2014, Domjan contre Hongrie (déc.), no 5433/17, 14 novembre 2017), soit devant les juridictions administratives saisies directement par le détenu ou à la suite de sa plainte auprès des autorités pénitentiaires (Angel Dimitrov Atanasov et Aleksandar Atanasov Apostolov c. Bulgarie (déc.), no 65540/16 et 22368/17, 27 juin 2017 ; voir, également Draniceru c. la République de Moldova (déc.), no 31975/15, §§ 32-34, 12 février 2019 concernant le recours mis en place devant le juge d’instruction qui peut ordonner aux autorités pénitentiaires l’amélioration de conditions de détention inadéquates). Conformément au principe de subsidiarité, elle a alors estimé que ces nouvelles voies de recours devaient être exercées par les requérants préalablement à la saisine de la Cour car elles offraient a priori des perspectives de redressement approprié des griefs tirés de l’article 3 à raison des conditions de détention.
- L’arrêt Yengo contre France
211. Dans l’arrêt Yengo précité, qui concernait les conditions de détention d’un requérant en Nouvelle-Calédonie, la Cour a pris acte de la déclaration du Gouvernement selon laquelle aucune juridiction n’avait jamais ordonné une demande de mise en liberté sur le fondement de conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention. Elle a relevé en outre qu’une telle demande, non totalement exclue par la Cour de cassation dans un arrêt du 29 février 2012, prendrait du temps à être examinée et ne serait pas un recours accessible en pratique (§ 65). La Cour a exclu également qu’une réclamation auprès de l’administration pénitentiaire suivie d’un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives pouvait, en l’état de la jurisprudence présentée par le Gouvernement, constituer un recours effectif. Elle a noté que l’état de surpeuplement de la prison concernée, la seule sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, ne permettait pas en tout état de cause d’envisager que l’administration réagisse à une demande de changement de cellule ou de transfèrement de la part du requérant (§ 67). Enfin, s’agissant du recours devant le juge du référé-liberté, la Cour a noté l’évolution favorable de la jurisprudence en s’appuyant sur une ordonnance rendue par ce juge en 2012 (paragraphe 138 ci-dessus) tout en considérant que le Gouvernement n’avait pas démontré avec une certitude suffisante que l’usage de cette voie de recours aurait été de nature à remédier à la situation dénoncée (§ 68). La Cour a conclu à la violation de l’article 13 de la Convention au motif que le droit français n’offrait pas, à l’époque des faits, de recours susceptible d’empêcher la continuation de conditions de détention indignes ou leur amélioration (§ 69).
- Application de ces principes dans les espèces examinées
212. La Cour relève que les recours préconisés par le Gouvernement comme étant des recours préventifs au sens de sa jurisprudence sont les recours en référés exercés devant le juge administratif.
213. La Cour constate qu’à la faveur d’une évolution récente de la jurisprudence, la saisine du juge administratif, en l’occurrence le juge du référé-liberté, a permis la mise en œuvre de mesures visant à remédier aux atteintes les plus graves auxquelles sont exposées les personnes détenues dans plusieurs établissements pénitentiaires. Elle relève que le recours à la procédure de référé-liberté, souvent consécutif aux alertes et recommandations du CGLPL, a mis en évidence l’état de suroccupation et d’insalubrité des prisons litigieuses et contribué assez rapidement à la réalisation de certaines améliorations à dimension collective des conditions de détention. Tel fut le cas en particulier des opérations de désinsectisation et de dératisation prescrites à court terme par le juge pour remédier à de graves atteintes en matière d’hygiène (paragraphes 11 et 108 ci-dessus).
214. La Cour observe que ce contexte jurisprudentiel est principalement dû à la saisine du juge du référé par l’OIP en sa qualité d’observateur du système carcéral en vue de la défense des droits des détenus. Ainsi que le démontrent les ordonnances pertinentes du juge du référé, l’intérêt à agir devant le juge administratif de cette association est largement entendu. La Cour reconnaît que la possibilité de défendre collectivement les détenus devant ce juge répond a priori à l’un des objectifs visé par le recours préventif en cas de surpopulation, à savoir qu’il permette le prononcé de mesures générales propres à résoudre les problèmes de violation massives et simultanées des droits des détenus résultant des mauvaises conditions de détention.
En outre, la Cour relève que des recours individuels ont été formés par des personnes détenues en vue de faire cesser des atteintes à leurs droits subjectifs (paragraphe 140 ci-dessus), ce qui confirme la disponibilité du recours en référé-liberté à leur égard également, dispensé au surplus du ministère d’un avocat (paragraphe 137 ci-dessus). Il ne ressort pas des observations des parties que la saisine du juge du référé par les personnes détenues elles-mêmes soit fréquente. Toutefois, la Cour ne dispose pas d’informations qui feraient état d’obstacles à leur accès au prétoire en qualité de demandeurs individuels, hormis les difficultés inhérentes aux réalités du milieu carcéral.
215. Avant d’examiner la capacité du référé-liberté à produire un effet préventif au regard des conditions de détention dans les prisons françaises, la Cour souligne les conditions d’intervention du juge administratif qui statue rapidement en considération de la loi pénitentiaire garantissant des conditions de détention dignes ainsi que des droits définis par la Convention et des principes énoncés dans la jurisprudence de la Cour. Il ressort clairement des décisions rendues par le juge du référé que la situation d’urgence peut naître des conditions de détention des personnes détenues. Celles-ci sont en outre appréciées au regard de la vulnérabilité et de la situation d’entière dépendance des détenus. Enfin, les droits de ces derniers, garantis par les articles 2 et 3 de la Convention, constituent des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du CJA (paragraphes 11, 67, 108 et 138 ci-dessus).
216. La question qui se pose est cependant de savoir si l’évolution favorable de la jurisprudence administrative exposée par le Gouvernement permet de mettre réellement fin à des conditions de détention contraires à la Convention. En effet, ce qui importe en cas de surpopulation carcérale, c’est la possibilité réelle et concrète pour le demandeur bénéficiant d’une décision favorable d’obtenir le redressement de sa situation dans un tel contexte. Comme cela est indiqué dans l’affaire Yengo, l’ordonnance de 2012 (paragraphe 211 ci‑dessus) constituait une avancée jurisprudentielle importante. Depuis lors, l’exercice par le juge de l’urgence de ses pouvoirs d’injonction s’est affiné, celui-ci précisant son office. C’est à l’aune de son champ d’action que la Cour doit examiner l’effectivité du référé-liberté.
217. À cet égard, elle constate, premièrement, que le pouvoir d’injonction conféré à ce juge a une portée limitée. En effet, il ne lui permet pas d’exiger la réalisation de travaux d’une ampleur suffisante pour mettre fin aux conséquences de la surpopulation carcérale portant atteinte aux droits des détenus énoncés par l’article 3 de la Convention. En outre, il ne l’autorise pas à prendre des mesures de réorganisation du service public de la justice (paragraphes 11, 68 et 108 ci-dessus). Le juge du référé-liberté s’en tient ainsi à des mesures pouvant être mises en œuvre rapidement, rejetant celles dont les effets n’interviendraient pas immédiatement, ainsi que son office l’y contraint. Il est en outre établi qu’il ne lui appartient pas de veiller à l’application par les autorités judiciaires des mesures de politique pénale (paragraphes 11 et 68 ci-dessus).
218. La Cour note, deuxièmement, que le juge du référé-liberté fait également dépendre son office, d’une part, du niveau des moyens de l’administration et, d’autre part, des actes qu’elle a déjà engagés. Or, il ressort des pièces des dossiers que l’administration pénitentiaire ne dispose d’aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou et qu’un directeur de prison est tenu d’accueillir les personnes mises sous écrou, y compris en cas de suroccupation de l’établissement, ce qui limite indéniablement les moyens d’action de l’administration pénitentiaire (Ananyev et autres précité, § 206). Par ailleurs, comme l’indique par exemple les décisions rendues à propos des maisons d’arrêt de Nîmes et de Fresnes (paragraphes 73 et 108 ci-dessus), la prise en compte des actes et des engagements de l’administration conduit le juge du référé-liberté à prescrire des mesures transitoires et peu contraignantes, dans « l’attente d’une solution pérenne » (idem), qui ne permettent pas de faire cesser rapidement l’exposition des requérants à un traitement inhumain ou dégradant. Enfin, l’administration peut invoquer l’ampleur des travaux à réaliser ou leurs coûts pour faire obstacle au pouvoir d’injonction du juge des référés.
La Cour, avec les requérants et les tierces parties, considère qu’une telle approche est incompatible avec le caractère intangible du droit protégé par l’article 3 de la Convention. Elle a déjà souligné qu’un taux élevé de crime, un manque de ressources financières ou d’autres problèmes structurels ne sont pas des circonstances qui atténuent la responsabilité de l’État et justifient l’absence de mesures destinées à améliorer la situation carcérale. L’État est tenu d’organiser son système pénitentiaire de telle sorte que la dignité des détenus soit respectée (Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 158, 22 octobre 2009, Mironovas et autres c. Lituanie précité, § 91 et les références qui y sont citées).
219. La Cour observe, troisièmement, que le suivi de l’exécution des mesures prononcées par le juge du référé-liberté pose un certain nombre de questions malgré l’existence de procédures qui visent clairement l’effectivité de la décision juridictionnelle. Alors que le juge du référé‑liberté a considéré qu’il ne lui appartient pas per se d’organiser le suivi juridictionnel des injonctions qu’il prononce (paragraphe 108 ci‑dessus, point 16), l’exemple de la surveillance de l’exécution de l’ordonnance du 30 juillet 2015 par la section du rapport et des études du Conseil d’État démontre que la saisine de cette section a vocation à donner une suite effective aux injonctions prescrites par le juge. Cela étant, les réponses du ministre de la Justice lors de cette procédure d’exécution (paragraphes 73 ci-dessus) et les informations données par les requérants à ce sujet (paragraphes 192 et 193 ci-dessus) établissent que la mise en œuvre des injonctions connaît des délais qui ne sont pas conformes avec l’exigence d’un redressement diligent. À ce titre, la Cour a déjà indiqué qu’on ne saurait attendre d’un détenu qui a obtenu une décision favorable qu’il multiplie les recours afin d’obtenir la reconnaissance de ses droits fondamentaux au niveau de l’administration pénitentiaire (Torreggiani, précité, § 53).
Enfin, indépendamment des procédures d’exécution, la Cour relève que les mesures qui sont exécutées ne produisent pas toujours les résultats escomptés. Elle constate, par exemple, que les opérations de désinsectisation et de dératisation de certains établissements continuent d’être insuffisantes malgré les efforts déployés (paragraphes 192 ci-dessus et paragraphes 223, 226 et 231 ci-dessous), ce qui illustre l’ampleur des conséquences de la vétusté d’une partie du parc pénitentiaire français.
220. En définitive, la Cour retient de ce qui précède que les injonctions prononcées par le juge du référé-liberté, dans la mesure où elles concernent des établissements pénitentiaires surpeuplés, ce qui n’est pas contesté par le Gouvernement, s’avèrent en pratique difficiles à mettre en œuvre. La surpopulation des prisons et leur vétusté, a fortiori sur des territoires où n’existent que peu de prisons et où les transferts s’avèrent illusoires, font obstacle à ce que l’utilisation du référé-liberté offre aux personnes détenues la possibilité en pratique de faire cesser pleinement et immédiatement les atteintes graves portées à l’article 3 de la Convention ou d’y apporter une amélioration substantielle.
Dans ces conditions, il est aisé pour la Cour de concevoir que les autorités pénitentiaires françaises ne sont pas en mesure d’exécuter de manière satisfaisante les mesures prescrites par le juge de l’urgence et en conséquence de garantir aux personnes détenues des conditions de détention conformes à sa jurisprudence. Si le référé-liberté semble offrir un cadre juridique théorique solide pour juger d’atteintes graves aux droits des détenus, il ne peut être considéré comme le recours préventif qu’exige la Cour, pour les raisons qui viennent d’être exposées. La Cour ne voit pas de raison de statuer différemment s’agissant du référé mesures-utiles ; outre son caractère subsidiaire par rapport au référé-liberté et le caractère limité du pouvoir du juge (paragraphes 142 et 144 ci-dessus), il se heurte aux mêmes obstacles pratiques que ce dernier.
221. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère qu’il n’a pas été démontré que les voies de recours préventives indiquées par le Gouvernement sont effectives en pratique, c’est-à-dire susceptibles d’empêcher la continuation de la violation alléguée et d’assurer aux requérants une amélioration de leurs conditions matérielles de détention. Dès lors, la Cour considère qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement et conclut que les requérants, à l’exception de M. Mixtur qui ne s’est pas plaint de la violation de l’article 13 de la Convention, n’ont pas disposé d’un recours effectif en violation de l’article 13 de la Convention.
222. Les requérants et les requérantes se plaignent d’être détenus dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention, lequel dispose que :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
223. Les requérants rappellent qu’au 1er juin 2016, le taux de surpopulation de l’établissement était de 183,9 %. Ils soulignent, de manière générale, le caractère indigne des conditions matérielles de détention, en dépit des injonctions prononcées par le juge du référé en 2014. Ils font valoir que l’intervention d’une société spécialisée en dératisation n’empêche pas la présence importante de rats vivants et morts alors même que de nombreux détenus dorment à même le sol. Ils maintiennent que le cloisonnement partiel ou inexistant des toilettes est contraire à la jurisprudence de la Cour (Szafrański c. Pologne, no 17249/12, 15 décembre 2015) et déplorent l’absence d’aération spécifique pour les annexes sanitaires. Ils s’accordent pour dire que le manque d’aération reste un problème majeur compte tenu du climat tropical, et signalent qu’ils n’ont pas toujours les moyens d’acheter des ventilateurs. Enfin, ils insistent sur l’accès très limité aux activités ainsi qu’aux soins défaillant. Sur ce dernier point, ils indiquent que le projet d’agrandissement de l’unité de soins n’a pas encore été exécuté, que les délais d’attente sont longs et que des médecins manquent.
224. Les requérants critiquent tous le manque de précision de la part du Gouvernement quant à la superficie des cellules qu’ils occupent quasiment toute la journée.
225. Le Gouvernement admet la situation structurellement défaillante du CP de Ducos mais indique que des mesures sont mises en œuvre pour y remédier. Il fait valoir que la prison n’est plus dans l’état où elle était lors de la visite du CGLPL en 2009 ou encore à la date du dépôt des requêtes. Il soutient en tout état de cause que cette situation résulte de l’obligation pour l’administration pénitentiaire d’accueillir les personnes qui lui sont adressées par l’autorité judiciaire, quel que soit le taux d’occupation. Elle est aggravée par le fait que l’administration évite dans toute la mesure du possible de transférer les personnes détenues originaires de l’île dans d’autres départements afin de ne pas porter atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale.
226. S’agissant des conditions de détention, le Gouvernement ne conteste pas la présence d’animaux nuisibles au sein du centre qu’il attribue, entre autres, au climat tropical, à la proximité de la mangrove et aux jets de déchets alimentaires par les fenêtres. Il réitère qu’un contrat passé avec une société en octobre 2014 a permis des interventions plus fréquentes pour ramasser les cadavres de rats, soit toutes les six semaines. Le Gouvernement défend le cloisonnement seulement partiel des toilettes pour des raisons de sécurité car les portes initialement mises en place à cet endroit ont été démontées par les détenus pour fabriquer des armes artisanales. Le Gouvernement ajoute que les cellules sont aérées car les fenêtres sont ouvertes en permanence. La seule nuisance liée aux odeurs ne constitue pas, en tout état de cause, une violation de la Convention. Enfin, le Gouvernement affirme qu’à la suite de l’ordonnance du 17 octobre 2014 (paragraphe 11 ci-dessus), les cours de promenade ont été rénovées.
227. Le Gouvernement admet le caractère insuffisant de l’espace personnel des requérants tout en renvoyant à ses indications figurant dans la partie « En Fait » pour les précisions relatives aux périodes de détention au cours desquelles les requérants auraient disposé de plus de 3 m2 d’espace personnel.
228. Finalement, le Gouvernement s’en remet à l’appréciation de la Cour quant au bien-fondé du grief tiré de l’article 3.
- Les requérants détenus au CP de Faa’a-Nuutania
229. Les requérants soulignent qu’au 1er mai 2017, le taux d’occupation du quartier MA était encore de 296,3 % et celui du quartier CD de 224,3 %. Ils indiquent qu’ils ont été et restent, au jour des observations, détenus dans des cellules surpeuplées.
230. Les requérants maintiennent avoir disposé d’un d’espace personnel compris entre 1,5 et 2,5 m2 sans déduction de l’espace occupé par les meubles.
231. Les requérants font tous valoir qu’en dépit des rénovations entreprises, consistant principalement en la pose de carrelage dans les cellules, leurs conditions de détention restent indignes. Ils soulignent en particulier la présence persistante de rats et d’insectes nuisibles, le manque d’hygiène des cellules, l’insuffisance de l’aération, l’absence de cloison intégrale des toilettes, la mauvaise qualité de l’eau et de la nourriture et l’absence d’activités, se disant enfermés entre dix-huit et vingt heures par jour dans les cellules.
232. Le Gouvernement ne conteste pas la situation de surencombrement de l’établissement. Il précise que le nouvel établissement pénitentiaire construit à Papeari, livré en mars 2017, va améliorer les conditions de détention des personnes détenues en Polynésie française.
233. Le Gouvernement admet que le CP de Faa’a-Nuutania est menacé par la présence récurrente d’animaux nuisibles, due en partie au rejet des déchets par les détenus. Il indique que l’administration a pris des mesures efficaces pour les éliminer : désinsectisation trimestrielle des locaux et dératisation hebdomadaire des lieux.
234. Pour le reste, le Gouvernement considère que les conditions de détention sont satisfaisantes et conformes à l’article 3 de la Convention depuis la rénovation des cellules. Il fait valoir l’état très satisfaisant des douches dans les cellules et produit des photos à cet égard sans indiquer s’il s’agit de celles des requérants. Il invoque l’impératif de sécurité qui impose le cloisonnement partiel des toilettes (paragraphe 226 ci-dessus). Il soutient que la luminosité naturelle est assurée grâce aux fenêtres des cellules. Il précise que les cellules de 10,78 m2 sont équipées de deux fenêtres et que celles de 5,18 m2 ont une fenêtre. Il explique encore que les requérants ont toujours accès aux cours de promenade ainsi qu’à de nombreuses activités parmi lesquelles il cite l’accès à la bibliothèque dont il fournit une photo. Il produit également une photo d’une salle de sport et des rapports d’activité des établissements pénitentiaires de Polynésie de 2011 à 2015.
235. En conclusion, le Gouvernement considère qu’il n’y a pas violation de l’article 3 quant aux conditions de détention des requérants dans les cellules rénovées.
- M. Mixtur
236. À la lumière des critères posés par l’arrêt Muršić, le requérant demande à la Cour de conclure à la violation manifeste de l’article 3 en raison de l’espace personnel dont il dispose et du manque d’intimité dans la cellule. Il ajoute que la chaleur est étouffante dans la cellule, qui est infestée de cafards, d’insectes et de souris.
237. Le requérant soutient que le climat de peur qu’engendre le laissez‑faire des autorités face aux violences endémiques qui gangrènent la détention au sein de l’établissement participe des traitements inhumains et dégradants qu’il se voit infliger. Afin de se soustraire aux violences auxquelles il a été exposé lors d’un lynchage, il souligne qu’il est contraint de renoncer aux promenades.
238. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour quant à l’appréciation du bien-fondé du grief.
- Les détenus de la MA de Nîmes
239. Les requérants soulignent la surpopulation chronique de l’établissement et la persistance de conditions matérielles dégradées. Ils désapprouvent les affirmations du Gouvernement quant à leur espace personnel (paragraphes 75 à 78 ci-dessus) et se réfèrent au calcul du CGLPL sur ce point : si l’on retranche la surface des meubles et du coin sanitaire d’une cellule de 9 m2, seul subsiste un espace disponible de 4 m2 soit 1,33 m2 par personne dans le cas d’une cellule occupée par trois personnes (cité dans l’ordonnance du 30 juillet 2015, paragraphe 70 ci-dessus).
240. Les requérants réitèrent qu’ils sont enfermés la plupart du temps dans leurs cellules, soit par peur de la violence en tant que personnes vulnérables (paragraphe 72 ci-dessus), soit en raison de l’impossibilité d’accéder aux activités proposées due à la surpopulation chronique de l’établissement. Ils font valoir que le Gouvernement fournit une liste d’activités auxquelles ils participeraient qui ne donne ni la durée ni la fréquence de celles-ci. À supposer même qu’ils fassent usage des heures de promenade et qu’ils bénéficient entre les activités et les parloirs d’une autre heure occupée par jour, les requérants font valoir qu’ils sont la plupart du temps enfermés dans leurs cellules (vingt heures par jour selon F.R., dix‑huit heures en semaine et plus le week-end selon H.H.). A.M. indique que s’il a pu travailler pendant un certain temps, tel n’a pas été le cas tout le temps ; quand il travaillait, il sortait de sa cellule de 8 à 10 heures et de 14 à 16 heures. E.A. affirme être enfermé entre vingt et vingt-quatre heures par jour et indique qu’il ne s’est rendu qu’une seule fois en promenade au cours de sa détention.
241. Le Gouvernement ne conteste pas le surencombrement chronique de l’établissement qui ne permet pas la séparation des prévenus et des condamnés. Il fait état cependant des nombreuses rénovations entreprises de 2005 à 2014 (5,5 millions d’euros) et de travaux à hauteur de 500 000 EUR à l’étude. Il rappelle aussi que des lits d’appoint ont été achetés. La situation n’est plus, selon lui, identique à celle constatée par le CGLPL en 2012.
Les toilettes (1,00 m x 0,95 m) sont cloisonnées intégralement sur deux côtés et quasi intégralement des autres, et seuls les pieds de ceux qui s’y trouvent sont vus des autres codétenus. Cette configuration répond à un souci de sécurité. Le coin lavabo (1,00 m x 0,60 m) est équipé en eau froide. Le Gouvernement ajoute que les parties communes et les cours de promenade sont propres et que les cellules font l’objet d’un entretien régulier.
Les blocs de douche se situent dans les différentes ailes de la prison ; ils sont composés de six cabines individuelles cloisonnées partiellement. Un planning a minima garantit à chaque détenu trois douches par semaine et il serait possible de se doucher au retour du sport ou des ateliers.
L’aération et la lumière ne posent pas de problème puisque toutes les cellules sont dotées d’une fenêtre qui s’ouvre de l’intérieur.
242. Le Gouvernement estime que les requérants ont toujours disposé d’un espace personnel d’au moins 3 m2 et qu’ils ne sont pas enfermés puisqu’ils bénéficient de trois heures de promenade quotidienne.
Par ailleurs, il indique que les requérants ont bénéficié de plusieurs activités sportives et culturelles et qu’ils ont accès la bibliothèque. Concernant F.R., il précise qu’il faisait régulièrement de la musculation, qu’il s’est rendu à l’unité scolaire pour participer à l’écriture du journal interne, qu’il s’est inscrit aux activités sportives à l’extérieur (stade) et qu’il a pu assister à un concert, à un atelier découverte, à un atelier de contes et participer à la messe de Noël et à des cultes. S’agissant de H.H., il indique qu’il a participé aussi à l’élaboration du journal interne, à un stage informatique, à une session « Pôle emploi » et qu’il a fait de la musculation de manière régulière. Il précise qu’il a préparé la messe de Noël et qu’il a assisté aux cultes. S’agissant d’A.M., le Gouvernement mentionne qu’il a participé à divers activités (chant, ateliers cinéma et théâtre, concerts) et qu’il a travaillé comme plongeur, « responsable chariot » et « auxiliaire d’étage », passant ainsi la majeure partie de la journée hors de sa cellule. Il fournit à cet égard un document qui mentionne qu’il est classé « auxiliaire d’étage » à partir du 4 septembre 2013. Enfin, concernant E.A., il précise qu’il a fait un stage de citoyenneté, un stage d’informatique et a participé à une journée théâtre, un atelier d’écriture de rap, une session de sophrologie, deux ou trois autres ateliers ainsi qu’à des cours au centre scolaire. Il a également pratiqué la musculation régulièrement et s’est rendu régulièrement aux cultes.
243. Tout en concluant que les requérants n’ont souffert ni d’un espace individuel insuffisant ni de conditions de détention assimilables à un traitement inhumain ou dégradant, le Gouvernement s’en remet à l’appréciation de la Cour quant au bien-fondé de leurs griefs.
- Les détenues de la MA de Nice
244. Les requérantes soulignent que le Gouvernement n’apporte aucune précision sur leur espace personnel. Elles font valoir que les photos qu’il produit (paragraphe 100 ci-dessus) ne donnent pas de vue d’ensemble des cellules car elles sont montrées vides de tout occupant et ne permettent pas de prendre la mesure réelle de l’exiguïté des lieux ; au surplus, la photo de la douche concerne une cellule mère-enfant qu’elles n’occupent pas.
245. Les requérantes contestent également l’offre d’activités présentée par le Gouvernement.
246. La requérante A.M. conteste la fiabilité des pièces fournies par le Gouvernement sur les heures de travail qu’elle a effectuées ainsi que les affirmations concernant sa démission des activités entreprises. La requérante V.M. maintient avoir rencontré des difficultés d’accès aux soins. Elle indique avoir attendu un an pour être opéré de la thyroïde et relate avec précision dans un questionnaire envoyé à l’OIP les insuffisances du suivi médical. P.P. admet avoir vu des généralistes mais précise qu’elle aurait souhaité voir un spécialiste gastro-entérologue, ce qui n’a pas été possible. S.C. indique que si elle a vu des médecins, elle aurait souhaité bénéficier d’un soutien psychologique.
247. Le Gouvernement, compte tenu des informations générales et ciblées qu’il a données sur la prison et sur la situation des requérantes (paragraphes 100 à 103 ci-dessus), considère que les conditions de détention imposées aux requérants ne sont pas attentatoires à la dignité et ne méconnaissent pas l’article 3 de la Convention.
- Les détenus de la MA de Fresnes
248. Les requérants déplorent le manque de précision du Gouvernement quant à la superficie de leurs cellules.
249. Le requérant A.B.A. souligne que le Gouvernement ne produit aucun document permettant de confirmer la superficie précise des cellules et le nombre d’occupants. Il maintient qu’il disposait d’un espace inférieur à 4 m2 et que l’exiguïté des lieux doit être prise en compte pour l’appréciation de ses conditions de détention. Il fait remarquer que le Gouvernement ne conteste pas la réalité des conditions matérielles et sanitaires de sa détention (paragraphe 250 ci-dessous), et en particulier la présence massive de punaises de lit dans sa cellule. Il insiste par ailleurs sur le caractère indigne des conditions dans lesquelles se déroulent les promenades (paragraphes 106 et 109 ci-dessus) et affirme, contrairement au Gouvernement (paragraphe 250 ci-dessous), qu’il ne peut pas faire du sport, n’ayant eu accès qu’une seule fois à la salle de sport.
Les requérants A.T. et R.M. réitèrent avoir été détenus dans des cellules de 9 m2 avec deux codétenus. Ils ajoutent qu’ils sont enfermés toute la journée dans leur cellule, vétuste, et rappellent l’état de délabrement et d’insalubrité des cours de promenade.
250. Tout en ne contestant pas la surpopulation dont souffre la MA de Fresnes, le Gouvernement estime que l’espace personnel des requérants et leurs conditions de détention ne sont pas constitutifs d’une violation de l’article 3 de la Convention. A.B.A. et R.M. disposaient, selon lui, chacun de 4,75 m2. En prenant en considération les meubles, leur espace personnel n’est donc pas inférieur à 3 m2. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que les requérants ne sont pas enfermés dans leurs cellules puisqu’ils ont notamment accès aux cours de promenade et peuvent faire du sport.
251. L’OIP fait état de la situation de surpopulation importante et permanente du CP de Baie-Mahault et des conditions de détention attentatoires à l’article 3 de la Convention du fait de la configuration et de l’état général des cellules, de l’absence d’activités et d’une série de dysfonctionnements relevés par le CGLPL en 2015. Il insiste sur la violence qui règne au sein de la prison, qui peut aboutir au décès de détenus. Il explique que cette violence est exacerbée par la présence en détention de membres de deux bandes rivales. L’OIP considère que ce climat de violence trouve son origine dans les conditions de détention « abominables » imposées aux détenus qui, au surplus, n’ont pas d’activités. Il explique que les pouvoirs publics ont tenté, en vain, de s’attaquer à la fabrication et à la circulation des armes.
252. L’OIP indique que les conditions de détention entraînent des mouvements de protestation réguliers aussi bien chez les personnels que chez les détenus. Du côté des personnes détenues, plusieurs mouvements collectifs d’importance sont nés pour dénoncer les conditions de détention. Pour sa part, l’OIP indique qu’il a tenté d’obtenir des juridictions qu’il soit prescrit à l’administration de mettre en place un dispositif permettant l’expression collective des personnes détenues sur leurs conditions d’incarcération. Cette demande a cependant été rejetée par le TA de Basse‑Terre en 2014.
- La CNCDH, le CGLPL et le Défenseur des droits
253. Ces tiers intervenants reprennent pour l’essentiel leurs observations formulées aux paragraphes 195 à 199 et 205 à 206 ci-dessus.
254. La Cour renvoie aux principes pertinents à appliquer pour l’examen des cas de surpopulation carcérale ainsi qu’à ceux concernant d’autres aspects des conditions matérielles de détention tels qu’ils se trouvent énoncés dans les arrêts Muršić et Rezmiveș et autres précités. Elle rappelle, pour les besoins des présentes affaires, ce qui suit.
255. La norme minimale pertinente en matière d’espace personnel est de 3 m², à l’exclusion de l’espace réservé aux installations sanitaires (Muršić, précité, §§ 110 et 114). Lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², la Cour considère ce qui suit :
« 137. (…) le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (…).
138. La forte présomption de violation de l’article 3 ne peut normalement être réfutée que si tous les facteurs suivants sont réunis :
1) les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures (…) ;
2) elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates (…) ;
3) le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention (…). » (idem, §§ 122 à 138).
256. Dans les affaires où le surpeuplement n’est pas important au point de soulever à lui seul un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour considère que d’autres aspects des conditions de détention sont à prendre en considération dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En revanche lorsqu’un détenu dispose de plus de 4 m² d’espace personnel, ce facteur, en lui-même, ne pose pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, § 139 et Rezmiveș et autres, précité, § 78).
257. Concernant les installations sanitaires et l’hygiène, la Cour rappelle que l’accès libre à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain, et que les détenus doivent jouir d’un accès facile à ce type d’installation, qui doit leur assurer la protection de leur intimité. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé qu’une annexe sanitaire qui n’est que partiellement isolée par une cloison n’est pas acceptable dans une cellule occupée par plus d’un détenu. Par ailleurs, la présence d’animaux nuisibles tels que les cafards, rats, poux, punaises ou autres parasites doit être combattue par les autorités pénitentiaires par des moyens efficaces de désinfection, des produits d’entretien, des fumigations et des vérifications régulières des cellules, en particulier la vérification de l’état des draps et des endroits destinés au stockage de la nourriture (idem, § 79 et les références citées).
- Application de ces principes dans les espèces examinées
a) Remarques liminaires tenant aux preuves, aux périodes de détention et à l’absence de cloisonnement des toilettes dans les cellules
258. La Cour rappelle d’emblée que lorsque la description faite par les requérants des conditions de détention supposément dégradantes est crédible et raisonnablement détaillée, de sorte qu’elle constitue un commencement de preuve d’un mauvais traitement, la charge de la preuve est transférée au gouvernement défendeur, qui est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les allégations du requérant. Le gouvernement défendeur doit alors, notamment, recueillir et produire les documents pertinents et fournir une description détaillée des conditions de détention du requérant. La Cour tient aussi compte, dans son examen de l’affaire, des informations pertinentes à ce sujet émanant d’autres organes internationaux, par exemple du CPT, ou des autorités et institutions nationales compétentes (Muršić, précité, § 128, Utvenko et Borisov c. Russie, nos 45767/09 et 40452/10, § 144, 5 février 2019).
259. Dans les espèces examinées, la Cour note que le Gouvernement a produit des informations sur la fin de la détention des requérants ou sur la date de leur fin de peine. En revanche, elle constate que la précision des informations communiquées par le Gouvernement sur l’espace personnel des requérants est limitée. Celles-ci sont parfois inexistantes, comme c’est le cas pour les détenus de Faa’a-Nuutania, Baie-Mahault et Nice. Pour d’autres, elles sont incomplètes car elles ne précisent pas toujours la superficie des cellules et n’indiquent pas si les annexes sanitaires sont comprises dans ces superficies. Enfin, les informations ne sont pas toujours étayées par un document écrit tel qu’un historique de codétention. La Cour a relevé ces insuffisances probatoires dans les requêtes concernant les prisons de Ducos et de Fresnes.
De plus, la Cour n’a pas pu connaître précisément la superficie de la partie sanitaire des cellules, à l’exception de celles de la MA de Nîmes, ce qui a rendu difficile le calcul de l’espace personnel des requérants lorsqu’elle a disposé d’informations sur la superficie totale de la cellule. Elle a alors présumé qu’un tel espace se situait entre 1 et 2 m2.
Finalement, seules les données communiquées par le Gouvernement quant à la superficie des cellules de la MA de Nîmes, bien qu’incomplètes pour deux d’entre elles (paragraphes 76 et 78 ci-dessus), ont permis à la Cour de déterminer de manière précise l’espace individuel alloué aux requérants concernés et les périodes au cours desquelles ils ont disposé de cet espace (paragraphes 271 et suivants ci-dessous).
260. Dans ces conditions, et alors qu’il admet la situation de surpeuplement de l’ensemble des prisons concernées, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas réfuté de façon convaincante les allégations des requérants des CP de Ducos, Faa’a-Nuutania, Baie-Malhaut, Nice et Fresnes (s’agissant de R.M. et A.T. pour ce dernier établissement) selon lesquelles ils auraient disposé de moins de 3 m2 d’espace personnel pendant l’intégralité de leur détention (paragraphes 29, 49, 59, 92 et 113 ci-dessus). Ces allégations sont en outre corroborées par les informations pertinentes des autorités nationales comme le CGLPL ou d’organes internationaux comme le CPT.
261. La Cour observe enfin que pour l’ensemble des prisons concernées, le Gouvernement donne une explication sécuritaire à l’absence de cloisonnement complet des sanitaires, en particulier des toilettes. Cette justification n’est pas compatible avec les exigences de la protection de l’intimité des détenus lorsqu’ils partagent des cellules sur-occupées (paragraphe 257 ci-dessus). Le cloisonnement partiel des WC constitue donc, en tout état de cause, un facteur aggravant du manque d’espace dont les requérants ont pu souffrir.
b) Les détenus du CP de Ducos
262. Eu égard à ce qu’elle a dit au paragraphe 260 ci-dessus, la Cour conclut à l’existence d’une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette présomption ne peut être remise en cause à défaut, en l’espèce, du premier des trois facteurs cumulatifs de réfutation de cette présomption, à savoir des périodes de réduction « courtes, occasionnelles et mineures » de l’espace personnel des requérants par rapport au minimum requis. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres facteurs (mutatis mutandis, Nikitin et autres, précité, § 184).
263. Ces circonstances suffisent à la Cour pour juger que les conditions de détention des requérants du CP de Ducos ont été ou sont constitutives d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3.
264. La Cour prend note de l’information selon laquelle des travaux d’amélioration, dont la construction de cent soixante nouvelles places livrées à la fin de l’année 2016, ont contribué à réduire le taux d’occupation de la prison (paragraphe 14 ci‑dessus). Toutefois, ce seul fait ne modifie pas substantiellement la situation des requérants toujours détenus (paragraphes 20 à 24 ci-dessus), compte tenu des informations dont elle dispose sur les conditions de détention indécentes, de façon générale, au sein du CP de Ducos. La Cour se réfère à cet égard au constat le plus récent du CGLPL (paragraphe 13 ci-dessus) qu’aucune information n’est venue contredire.
c) Les détenus du CP de Faa’a-Nuutania
265. Eu égard à ce qu’elle a dit au paragraphe 260 ci-dessus, la Cour conclut à l’existence d’une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette présomption ne peut être remise en cause à défaut, en l’espèce, du premier des trois facteurs cumulatifs de réfutation de cette présomption, à savoir des périodes de réduction « courtes, occasionnelles et mineures » de l’espace personnel des requérants par rapport au minimum requis. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres facteurs (mutatis mutandis, Nikitin et autres, précité, § 184).
266. Ces circonstances suffisent à la Cour pour juger que les conditions de détention des requérants du CP de Faa’a-Nuutania ont été ou sont constitutives d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3.
267. La Cour note que la construction d’un nouveau CD situé à Tahiti, livré en 2017, ne modifie pas substantiellement la situation des requérants toujours détenus (paragraphes 44 et 45 ci-dessus) compte tenu de l’absence d’amélioration des conditions de détention au sein du CP de Faa’a-Nuutania (paragraphe 40 ci-dessus).
d) M. Mixtur
268. Eu égard à ce qu’elle a dit au paragraphe 260 ci-dessus, la Cour conclut à l’existence d’une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette présomption ne peut être remise en cause à défaut en l’espèce, du premier des trois facteurs cumulatifs de réfutation de cette présomption, à savoir des périodes de réduction « courtes, occasionnelles et mineures » de l’espace personnel du requérant par rapport au minimum requis. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres facteurs (mutatis mutandis, Nikitin et autres, précité, § 184).
269. Ces circonstances suffisent à la Cour pour juger que les conditions de détention du requérant ont été ou sont constitutives d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3.
270. La Cour note que la rénovation du CP de Baie-Mahault débutera en 2020 et elle en déduit que le requérant se trouve toujours détenu dans les conditions de détention dénoncées au moment de l’introduction de la requête.
e) Les détenus de Nîmes
271. La Cour observe que les requérants contestent la détermination faite par le Gouvernement de leur espace personnel. Leur récit concorde avec les constats du CGLPL, du juge des référés et du CPT (paragraphes 70, 72 et 152 ci-dessus), à savoir que les détenus sont souvent à trois dans des cellules de 9 m2 conçues pour deux personnes. Cela étant, la Cour n’a pas de raison de douter de l’authenticité des documents communiqués à la Cour par le Gouvernement. Elle examinera donc les périodes de détention selon les données communiquées par ce dernier.
- F.R.
272. Pendant sa détention, F.R. a séjourné dans des cellules où il s’est vu attribuer un espace personnel entre 2,48 m2 et 3,72 m2.
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de moins de 3 m2
273. Les périodes au cours desquelles le requérant a disposé de 2,48 m2 sont les suivantes : du 11 septembre 2013 au 9 mai 2014 (sept mois et vingt‑sept jours), du 26 mai 2014 au 8 septembre 2014 (trois mois et quatorze jours), du 22 septembre au 1er octobre 2014 (dix jours), du 17 décembre 2014 au 5 mai 2015 (quatre mois et dix-sept jours).
274. Compte tenu de ces périodes et des principes pertinents énoncés dans sa jurisprudence (paragraphe 255 ci-dessus), la Cour conclut qu’il y a en l’espèce une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Il lui faut donc vérifier s’il existe des facteurs propres à réfuter cette présomption.
275. À l’exception de la période de dix jours, la Cour note que les périodes pendant lesquelles le requérant a vu son espace personnel réduit à une surface inférieure à 3 m2 étaient longues et répétées (comparer avec Muršić, précité, §§ 151-152 où une période de vingt-sept jours n’a pas permis de réfuter la présomption). Cette circonstance suffit à la Cour pour conclure que pour ces périodes, la forte présomption de l’article 3 de la Convention ne peut être remise en cause.
276. La période du 22 septembre au 1er octobre 2014 n’ayant duré que dix jours, peut être considérée comme courte. Toutefois, resituée parmi les autres phases d’extrême restriction d’espace, elle ne peut être qualifiée d’occasionnelle. Au surplus, la Cour doit tenir compte des autres éléments pertinents, à savoir le caractère suffisant ou non de la liberté de circulation et des activités hors cellules ainsi que les conditions générales de détention du requérant. Il incombe au Gouvernement de prouver la présence de tels éléments.
Pour ce qui est de la liberté de circulation et des activités hors cellules, la Cour note que les déclarations du Gouvernement ne sont pas très détaillées car elles indiquent la participation des requérants à certaines activités sportives et culturelles mais non leurs fréquences. Ces activités semblent au demeurant très ponctuelles. Il apparaît en tout état de cause que les conditions dont se plaint le requérant sur ce point sont corroborées par les constats du CGLPL et du CPT qui concluent à l’insuffisance des activités (paragraphes 72, 151 et 152 ci-dessus). Pour ce qui est de la promenade dans les cours, le requérant n’en conteste pas la durée indiquée par le Gouvernement. Cela étant, les craintes qu’il fait valoir quant à la sécurité des promenades sont soulignées par le CGLPL dans son rapport de 2012 et attestent d’un problème qui, s’il semble résolu maintenant avec la création d’une cour de promenade réservée aux personnes vulnérables (paragraphe 72 ci-dessus), était bien réel. Dans ce contexte, la Cour est d’avis que l’on ne peut considérer que la liberté de circuler hors des cellules et les possibilités de s’occuper offertes à la MA de Nîmes constituent des éléments atténuant les inconvénients liés au manque d’espace personnel.
Pour ce qui est du point de savoir si les conditions matérielles dans lesquelles le requérant a été détenu à la MA de Nîmes étaient généralement décentes, la Cour note que les déclarations du Gouvernement ne sont pas très détaillées ni corroborées par des éléments de preuves suffisants, en particulier par des photos. Seules des photos de la nouvelle salle de musculation, du parloir et de la cour de promenade ont été jointes à ses déclarations selon lesquelles les conditions de détention à la MA ne dépassent pas le seuil de gravité de l’article 3 de la Convention. Au surplus, ces déclarations ne correspondent pas à certains des constats faits par le juge du référé, le CGLPL et le CPT (paragraphes 70, 72 et 152 ci-dessus) qui corroborent davantage les affirmations des requérants (paragraphe 79 ci‑dessus). La Cour rappelle à cet égard que le juge administratif a, par exemple, enjoint à l’administration de prendre des mesures pour améliorer les conditions matérielles d’installation des détenus durant la nuit au motif que les détenus dormaient souvent au sol, sur un matelas. Il a également demandé que l’accès aux produits d’entretien des cellules ainsi qu’à des draps et des couvertures propres soit amélioré (paragraphe 70 ci-dessus). De même, le CGLPL a souligné en 2012, comme en 2016, la vétusté des locaux de la MA ainsi que l’insuffisance des conditions d’hygiène, indiquant notamment que les espaces de douche étaient dégradés par l’humidité et l’absence d’aération (paragraphe 72 ci‑dessus). Le CPT a par ailleurs qualifié les conditions de détention au sein de la MA d’extrêmement préoccupantes dans son rapport publié en 2017 (paragraphes 151 et 152 ci‑dessus) et a notamment formulé des critiques sur les conditions de vie dans les cellules, l’aération et les températures. Enfin, la Cour renvoie à ce qu’elle a dit sur le manque d’intimité aux toilettes (paragraphe 261 ci‑dessus). En conséquence, elle considère que les conditions de détention du requérant à la MA de Nîmes n’étaient pas de manière générale décentes.
277. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut, en ce qui concerne la période courte pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel, que le Gouvernement n’a pas réfuté la forte présomption de violation de l’article 3 car l’intéressé a disposé d’une liberté de circulation et d’activités hors cellule insuffisantes et qu’il était détenu dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions indécentes. En conséquence, la Cour estime que les conditions de détention du requérant pendant les périodes où il a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel sont constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de 3 à 4 m2 d’espace personnel
278. Les périodes au cours desquelles le requérant a disposé d’un espace personnel se situant entre 3 et 4 m2 sont les suivantes : du 23 juillet au 11 septembre 2013 (un mois et dix-neuf jours – 3,72 m2), du 9 au 26 mai 2014 (dix-huit jours – 3,72 m2), du 8 au 22 septembre 2014 (quinze jours – 3,72 m2), du 1er octobre au 22 novembre 2014 (un mois et vingt-et-un jours – 3,72 m2).
279. La Cour note qu’il ressort du paragraphe précédent que le requérant a disposé pendant plusieurs périodes non consécutives d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m² – de 3,72 m² exactement.
280. La Cour rappelle que lorsqu’un détenu dispose d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m2, le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, elle conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturelle, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (Muršić, précité, § 139).
281. Eu égard aux considérations exposées ci-dessus relativement à la période courte où le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel (paragraphe 276 ci‑dessus), la Cour estime que les conditions de détention de l’intéressé pendant les périodes où il a disposé de 3 à 4 m² d’espace personnel sont constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
- E.A.
282. E.A. a séjourné dans des cellules où il s’est vu attribuer un espace personnel se situant entre de 2,48 m2 et 3,72 m2.
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de moins de 3 m2
283. Les périodes au cours desquelles le requérant a disposé d’un espace personnel inférieur à 3 m2 sont les suivantes : du 14 au 21 novembre 2014 (huit jours – 2,48 m2), du 17 décembre 2014 au 15 février 2015 (un mois et vingt-neuf jours – 2,48 m2), du 4 au 12 septembre 2014 (neuf jours – 2,74 m2) et du 13 au 19 septembre 2014 (sept jours – 2,74 m2).
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de 3 à 4 m2 d’espace personnel
284. Les périodes au cours desquelles le requérant a disposé d’un espace personnel se situant entre 3 et 4 m2 sont les suivantes : du 28 août au 5 septembre 2014 (huit jours – 3,72 m2), du 12 au 13 septembre 2014 (un jour – 3,29 m2), du 19 septembre au 14 novembre 2014 (vingt-cinq jours – 3,72 m2).
Conclusion
285. La Cour ne voit pas de raison de conclure différemment que dans le cas du requérant F.R. pour les périodes de détention où le requérant a disposé de moins de 3 m2 d’espace personnel, y compris lorsque ces périodes ont été courtes, et pour les périodes où il a disposé de 3 à 4 m2. Elle rappelle en outre qu’elle ne dispose pas de données chiffrées pour la fin de la période de détention du requérant (paragraphe 76 ci-dessus) et présume que son espace personnel est resté le même jusqu’à la fin de sa détention compte tenu notamment de ses allégations (paragraphe 240 ci-dessus) et des constats du CGLPL sur l’insuffisance de l’espace attribué aux personnes détenues à la MA de Nîmes (paragraphe 72 ci-dessus).
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les conditions de détention de l’intéressé ont été constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention, toutes périodes de détention confondues.
- A.M.
286. A.M. a séjourné dans de nombreuses cellules où il s’est vu attribuer un espace personnel se situant entre 2,74 m2 et 16,45 m2.
La période pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 m2
287. A.M. a séjourné dans une cellule de moins de 3 m2 du 17 juin au 25 juillet 2013 (un mois et sept jours).
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de 3 à 4 m2 d’espace personnel
288. Les périodes au cours desquelles le requérant a disposé d’un espace personnel se situant entre 3 et 4 m2 sont les suivantes : du 16 juillet au 8 août 2012 (vingt-trois jours – 3,72 m2), du 27 mars au 14 juin 2013 (deux mois et dix-huit jours – 3,72 m2), du 14 au 17 juin 2013 (trois jours – 3,29 m2) du 12 décembre 2013 au 15 juin 2016 (deux ans, six mois et trois jours – 3,72 m2).
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de plus de 4 m2 d’espace personnel
289. Les périodes au cours desquelles le requérant a disposé d’un espace personnel supérieur à 4 m2 sont les suivantes : du 10 au 16 juillet 2012 (sept jours – 7,45 m2 ), du 8 août au 5 septembre 2012 (vingt-huit jours – 16,45 m2), du 5 septembre 2012 au 27 mars 2013 (six mois et 20 jours – 7,45 m2), du 30 octobre au 11 décembre 2013 (un mois et onze jours – 8,22 m2), du 11 au 12 décembre 2013 (un jour – 5,48 m2).
Conclusion
290. La Cour ne voit pas de raison de conclure différemment que dans le cas des requérants F.R. et E.A. pour les périodes de détention où le requérant a disposé de moins de 3 m2 d’espace personnel, y compris en cas de période courte, et pour les périodes où il a disposé de 3 à 4 m2. S’agissant des périodes où le requérant a disposé de plus de 4 m2 d’espace personnel, elle considère que les aspects des conditions de détention rappelés au paragraphe 276 ci-dessus sont pertinents pour conclure au caractère dégradant des conditions de détention du requérant au regard de l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, § 140).
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les conditions de détention d’A.M. sont constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention, toutes périodes de détention confondues. Elle note, alors que l’intéressé est toujours détenu, que le taux d’occupation de la MA de Nîmes reste très élevé (paragraphe 74 ci-dessus).
- H.H.
291. H.H. a séjourné dans de nombreuses cellules où il s’est vu attribuer un espace personnel se situant entre 2,74 m2 et 8,22 m2. Les informations données par le Gouvernement vont jusqu’au 5 février 2015. Il a été transféré le 17 novembre 2015.
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de moins de 3m2
292. H.H. a disposé d’un espace personnel de 2,74 m2 au cours des périodes suivantes : du 15 janvier au 7 février 2014 (vingt-trois jours), du 10 au 12 février 2014 (trois jours), du 14 au 26 février 2014 (trois jours), du 5 mars au 12 août 2014 (cinq mois et huit jours), du 13 au 21 août 2014 (neuf jours), du 22 août au 12 septembre 2014 (vingt et un jours), du 15 septembre au 14 octobre 2014 (vingt-neuf jours), du 22 octobre au 9 décembre 2014 (un mois et dix-sept jours), du 10 au 11 décembre 2014 (deux jours) et du 19 décembre 2014 au 5 février 2015 (un mois et dix‑sept jours).
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de 3 à 4 m2 d’espace personnel
293. H.H. a disposé d’un espace personnel de 3,29 m2 au cours des périodes suivantes : du 6 au 7 novembre 2011 (trois jours), du 8 au 26 novembre 2011 (dix-neuf jours), du 8 au 15 janvier 2014 (huit jours), du 7 au 10 février 2014 (quatre jours), du 12 au 14 février 2014 (trois jours), du 26 février au 5 mars 2014 (sept jours), du 12 au 13 août 2014 (deux jours), du 21 au 22 aout 2014 (deux jours), du 12 au 15 septembre 2014 (quatre jours), du 14 au 16 octobre 2014 (trois jours), du 9 au 10 décembre 2014 (deux jours), du 11 au 19 décembre 2014 (neuf jours).
H.H. a par ailleurs disposé d’un espace personnel de 3,72 m2 du 23 au 27 mai 2013 (cinq jours).
Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de plus de 4 m2 d’espace personnel
294. H.H. a disposé d’un espace personnel supérieur à 4 m2 au cours des périodes suivantes : du 27 au 29 mai 2013 (trois jours – 7,45 m2), du 29 mai au 23 août 2013 (deux mois et vingt-cinq jours – 4,11 m2), du 23 août au 9 octobre 2013 (un mois et seize jours – 5,48 m2), du 9 au 19 octobre 2013 (onze jours – 8,22 m2), du 19 octobre au 6 novembre 2013 (dix-huit jours – 5,48 m2), du 7 au 8 novembre 2013 (deux jours – 4,11 m2), du 26 novembre 2013 au 8 janvier 2014 (un mois et douze jours – 4,11 m2), du 16 au 22 octobre 2014 (sept jours – 4,11 m2).
Conclusion
295. La Cour ne voit pas de raison de conclure différemment que dans le cas du requérant A.M. (paragraphes 287 à 290 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que les conditions de détention de l’intéressé ont été constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention, toutes périodes de détention confondues.
f) Les détenues de la MA de Nice
296. Eu égard à ce qu’elle a dit au paragraphe 260 ci-dessus, la Cour conclut à l’existence d’une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette présomption ne peut être remise en cause à défaut en l’espèce, du premier des trois facteurs cumulatifs de réfutation de cette présomption, à savoir des périodes de réduction « courtes, occasionnelles et mineures » de l’espace personnel des requérantes par rapport au minimum requis. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres facteurs (mutatis mutandis, Nikitin et autres, précité, § 184).
297. Ces circonstances suffisent à la Cour pour juger que les conditions de détention des requérantes ont été ou sont constitutives d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3.
298. La Cour note, s’agissant des requérantes toujours détenues (paragraphes 87 et 88 ci-dessus), que la situation de l’établissement a été jugée très préoccupante par le CGLPL et le ministre de la Justice et que les travaux de rénovation de la MA de Nice ne débuteront qu’en 2022 (paragraphes 83 à 86 ci-dessus).
g) Les détenus de Fresnes
299. Eu égard à ce qu’elle a dit au paragraphe 260 ci-dessus, et s’agissant de la détention de R.M. et A.T., la Cour conclut à l’existence d’une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette présomption ne peut être remise en cause à défaut, en l’espèce, du premier des trois facteurs cumulatifs de contestation de cette réfutation, à savoir des périodes de réduction « courtes, occasionnelles et mineures » de l’espace personnel des requérants par rapport au minimum requis. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres facteurs (mutatis mutandis, Nikitin et autres, précité, § 184).
300. En ce qui concerne A.B.A., la Cour a retenu qu’il a disposé d’un espace personnel d’environ 4 m2 (paragraphe 113 ci-dessus). Dans ses observations, le Gouvernement indique que l’espace personnel d’A.B.A. n’est pas inférieur à 3 m2 (paragraphe 250 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour considère qu’il y a lieu de considérer que le requérant a disposé d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m2 tout au long de sa détention.
Le Gouvernement indique encore que les promenades et la possibilité de faire du sport sont suffisantes pour considérer que le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention n’est pas atteint. Eu égard aux constats du juge du référé, du CGLPL et du CPT qui observent et décrivent les conditions de détention très dégradées au sein de la MA de Fresnes (paragraphes 106, 108, 151 et 152 ci-dessus), la Cour ne partage pas ce point de vue. Elle note en effet qu’il ressort de leurs décisions et rapports que la MA de Fresnes, vétuste en raison de son ancienneté et du manque de rénovation, est confrontée de façon récurrente à la présence de nuisibles, et notamment de punaises dans les lits des détenus, et que ces derniers souffrent du manque de luminosité et de l’humidité dans les cellules (idem). Elle relève également que si la durée des promenades dans les cours de la prison n’est pas contestée par les requérants, c’est l’état de ces lieux qui est en cause : dans ses recommandations en urgence publiées en décembre 2016, le CGLPL a indiqué que les cours étaient exiguës (vingt‑cinq personnes dans 45 m2) et dépourvues d’abris et de toilettes et que les rats y évoluaient en masse (paragraphe 106 ci-dessus). La Cour ne dispose pas d’information sur l’état actuel de ces cours mais la description qu’en font les requérants détenus à Fresnes au moment de l’introduction de leur requête en 2017 correspond à celle qui a été faite par le CGLPL en 2016 (paragraphe 106 ci‑dessus) et au constat du juge interne en 2018 qui a considéré que les conditions dans lesquelles se déroulent les promenades sont attentatoires à la dignité des personnes détenues (paragraphe 109 ci‑dessus).
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les conditions de détention de A.B.A. ont été constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
301. En conclusion, la Cour juge que les trois requérants ont été et sont soumis à des conditions de détention qui leur ont fait subir une épreuve d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et qui sont constitutives d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3. S’agissant du requérant toujours détenu, R.M., (paragraphe 111 ci‑dessus), la Cour note que le taux d’occupation de la MA de Fresnes reste très élevé (paragraphes 104 et 193 ci-dessus).
h) Conclusion
302. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de tous les requérants dont le grief a été déclaré recevable.
303. M. Mixtur se plaint des violences qu’il a subies au sein de la prison de Baie-Mahault, en violation de l’article 3 de la Convention.
304. Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité. Il soutient tout d’abord qu’à la suite de la décision de classement sans suite de sa plainte, le requérant aurait pu exercer un recours auprès du procureur général pour contester ce classement ou déposer une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction compétent (Stasi c. France, no 25001/07, § 88, 20 octobre 2011). Le Gouvernement précise que cette plainte peut être déposée en l’absence de réponse du parquet à l’issue d’un délai de trois mois (article 85 du CPP, paragraphe 133 ci‑dessus). Il considère en second lieu que le requérant aurait pu saisir les juridictions administratives d’une action en responsabilité contre l’État à raison du fonctionnement du service public pénitentiaire. Le Gouvernement indique que les tribunaux condamnent régulièrement l’État lorsque des violences entre détenus ont été rendues possibles par des manquements de l’administration au respect de ses obligations de sécurité et de protection à l’égard des personnes placées sous sa responsabilité. Il cite trois jugements à cet égard (TA de Versailles, 13 avril 2017, no 6002091, TA de Melun, 30 décembre 2016, no 1304894, TA de Bordeaux, 30 juin 2009, no 0704038).
305. Le requérant souligne que ce n’est que par l’entremise de la Cour qu’il a appris le classement sans suite dont sa plainte a fait l’objet, aux termes du procès-verbal que le Gouvernement a produit à l’appui de ses observations. Il observe que le motif de classement sans suite « auteur inconnu », alors qu’il avait nommément désigné son agresseur, témoigne du désintérêt de l’autorité judiciaire pour les violences dont il a fait l’objet. Le requérant en déduit qu’il n’était pas tenu dans ces circonstances, et de surcroît dans un contexte de violence endémique unanimement relevé par différents observateurs, d’exercer des recours voués à l’échec et qui, en toute hypothèse, n’étaient pas de nature à mettre fin à la violence à laquelle il demeurait exposé de la part des autres détenus.
306. La Cour considère qu’il appartenait au requérant de déposer une plainte avec constitution de partie civile dans les conditions indiquées par le Gouvernement ci-dessus. En effet, l’article 85 du CPP pose deux conditions alternatives pour que la plainte avec constitution de partie civile soit recevable : il faut que le plaignant établisse soit que le procureur de la République lui a fait connaître qu’il n’engagerait pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois se soit écoulé depuis qu’il a déposé plainte devant ce magistrat. Ainsi, le seul fait que trois mois s’étaient écoulés depuis la plainte du requérant devant le procureur de la République suffisait à rendre sa plainte avec constitution de partie civile recevable au titre de la seconde condition, indépendamment du fait qu’il n’a appris le classement sans suite de sa plainte qu’à l’occasion de la procédure devant elle. Or, la Cour rappelle qu’elle a déjà considéré qu’une telle plainte avec constitution de partie civile « présente des chances raisonnables de succès et est susceptible d’aboutir à la saisine des juridictions répressives, lesquelles sont compétentes non seulement pour trancher les questions de droit pénal qui leur sont soumises, mais aussi pour statuer sur l’action civile et, le cas échéant, réparer le préjudice causé par l’infraction à la partie civile » (Stasi, précité, § 88).
307. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le grief du requérant doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
308. Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention également sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
R.I. se plaint en outre de l’ouverture des courriers. L’article 8 de la Convention dispose que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
309. Constatant que le grief en son aspect relatif aux conditions de détention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable, à l’exception des requérants cités aux paragraphes 163 et 168 ci-dessus. Cependant, eu égard à son constat relatif à l’article 3 (paragraphe 302 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les violations alléguées de l’article 8 de la Convention à raison des conditions de détention des requérants.
310. Quant au grief de R.I., le Gouvernement fait valoir que le requérant aurait dû soumettre son grief aux juridictions nationales à l’occasion des recours en référé et au fond qu’il a engagés (paragraphe 41 ci-dessus). Le Gouvernement estime en outre que les allégations du requérant ne sont pas étayées, ce dernier n’indiquant ni le nombre de courriers qui auraient été ouverts ni leur date de réception (paragraphe 50 ci-dessus).
311. L’avocat de R.I. produit un questionnaire envoyé après la réception des observations du Gouvernement. Le requérant y indique que « même encore à ce jour mes courriers sont ouverts notamment ceux de mon avocat. Par exemple, un courrier sur trois de Maître M. était ouvert s’agissant de l’année 2016 ». Il précise aussi, s’agissant de deux courriers émanant du CGLPL : « il était évident qu’ils ont été ouverts avant d’être recollés. Pour préciser la date, il faudrait que je puisse regagner ma cellule où se trouvent ces courriers car je ne m’en souviens plus ». Le requérant fait valoir que l’administration tient un registre des correspondances et que le Gouvernement aurait pu produire un extrait de ce registre, ce qui aurait au moins pu permettre de confirmer l’existence et la date des échanges épistolaires avec le CGLPL.
312. La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur l’objection du Gouvernement quant à l’épuisement des voies de recours internes. Elle retient en premier lieu que le grief du requérant, tel que présenté dans son formulaire de requête, ne faisait aucune mention des courriers de son avocat (paragraphe 50 ci‑dessus). En second lieu, s’agissant des courriers du CGLPL, la Cour observe que le requérant a mentionné deux courriers dans ses observations sur lesquels il n’a fourni aucune précision alors même qu’il indique lui-même qu’il les détient car ils se trouvent dans sa cellule. Dans ces conditions, elle estime qu’il ne saurait être reproché au Gouvernement de n’avoir pas produit d’informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant. Partant, la Cour considère que le grief n’est pas étayé et doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 1 et 3 a) de la Convention.
313. Les requérants demandent à la Cour, eu égard à la situation carcérale française, d’édicter des mesures générales au titre de l’article 46, lequel dispose :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. (….) ».
314. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention, les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. La Cour rappelle également qu’il appartient au premier chef à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention.
Toutefois, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à lui indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre un terme à la situation constatée (Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, § 125 et 126, 25 novembre 2014).
315. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions matérielles dans lesquelles les requérant ont été détenus, et en particulier en raison du manque d’espace personnel dont ils ont disposé. Elle observe à cet égard que la prolongation du moratoire sur l’encellulement individuel ne permet pas d’augurer des perspectives d’amélioration immédiates (paragraphe 121 ci-dessus). La Cour a également constaté que les référés administratifs ne pouvaient être considérés, à l’heure actuelle, comme des recours permettant de faire cesser ou d’améliorer, de manière effective des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Elle a relevé que le Gouvernement ne contestait pas la suroccupationdes établissements concernés qui, comme l’indique le CGLPL, est un facteur d’aggravation de conditions de détention matérielles indignes. Par voie de conséquence, il y a un lien direct entre la surpopulation carcérale et la violation de l’article 13 de la Convention également. Dans les affaires examinées, la Cour a ainsi pu constater que l’exécution des décisions du juge administratif se heurte à un phénomène structurel, attesté par les requêtes, les statistiques, les nombreux rapports nationaux et internationaux ainsi que par les tierces interventions.
316. Dans ce contexte, la Cour recommande à l’État défendeur d’envisager l’adoption de mesures générales. D’une part, de telles mesures devraient être prises afin de garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l’article 3 de la Convention. Cette mise en conformité devrait comporter la résorption définitive de la surpopulation carcérale. Ces mesures pourraient concerner la refonte du mode de calcul de la capacité des établissements pénitentiaires (paragraphes 124 à 126 et 205 ci-dessus) et l’amélioration du respect de cette capacité d’accueil. La Cour note également que la loi de programmation 2018-2022 comporte des dispositions de politique pénale et pénitentiaire qui pourraient avoir un impact positif sur la réduction du nombre de personnes incarcérées. Par ailleurs, devrait être établi un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective, en combinaison avec le recours indemnitaire (paragraphe 167 ci-dessus), de redresser la situation dont ils sont victimes et d’empêcher la continuation d’une violation alléguée.
317. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
- Dommage
a) Les requérants du CP de Ducos
318. Dans leurs observations du 3 août 2016, les requérants réclament le versement des sommes suivantes au titre du dommage moral :
– 30 000 EUR pour J.M.B. dont la détention dans ces conditions a duré un an et sept mois ;
– 50 000 EUR pour C.D. dont la détention dure depuis trois ans et neuf mois et dont la fin de peine est prévue le 2 janvier 2022 ;
– 55 000 EUR pour S.L., dont la détention dans ces conditions a duré quatre ans et cinq mois et dont la fin de peine est prévue le 14 décembre 2028 ;
– 55 000 EUR pour D.N., dont la détention dans ces conditions a duré quatre ans et neuf mois et dont la fin de peine est prévue le 4 décembre 2019 ;
– 70 000 EUR pour C.N., dont la détention a duré six ans et neuf mois et dont la fin de peine est prévue le 8 décembre 2020 ;
– 65 000 EUR pour E.R. dont la détention dans ces conditions a duré cinq ans et quatre mois et dont la fin de peine est prévue le 12 janvier 2021 ;
– 30 000 EUR pour M.S. dont la détention dans ces conditions a duré un an et sept mois ;
– 45 000 EUR pour W.C. dont la détention dans ces conditions a duré deux ans et cinq mois ;
– 50 000 EUR pour P.H. dont la détention dans ces conditions a duré trois ans et dix mois ;
– 30 000 EUR pour D.T. dont la détention dans ces conditions a duré un an et onze mois.
319. Le Gouvernement s’oppose aux demandes des requérants. En ce qui concerne J.M.B., W.C. et P.H., il estime que l’indemnisation qu’ils ont obtenue a réparé entièrement leur préjudice. Pour les autres requérants, il soutient que dans l’arrêt Torreggiani, la Cour a condamné l’État italien à verser aux requérants 200 EUR par mois de détention. Sur cette base, et sachant que les requérants peuvent prétendre à une indemnisation uniquement pour les périodes de détention postérieures aux jugements du 31 décembre 2015 leur allouant une indemnité, il considère que les sommes suivantes pourraient leur être allouées : 650 EUR à M.S., 1 800 EUR à C.D., D.N., C.N., E.R., 10 600 EUR à S.L. pour les quarante-huit mois de détention réclamés et 2 400 EUR à D.T.
320. La Cour estime que les requérants ont subi un tort moral certain en raison de la violation de leurs droits garantis par les articles 3 et 13 de la Convention. Statuant en équité, et ayant pris en compte le long délai qu’il a fallu à certains des requérants pour introduire leur requête, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants les sommes suivantes : 25 000 EUR à C.D., S.L., D.N., C.N. et E.R., 13 500 EUR à M.S. et 4 000 EUR à J.M.B., W.C., P.H. et D.T.
b) Les requérants du CP de Faa’a-Nuutania
321. Dans leurs observations du 26 mai 2017, les requérants réclament les sommes suivantes au titre du dommage moral. Ils précisent que les sommes obtenues par le juge interne ont été déduites de ces demandes : 260 000 EUR pour R.I. dont la détention a duré onze ans et deux mois, 110 000 EUR pour A.T. dont la détention a duré quatre ans et sept mois, 234 141,70 EUR pour T.T. dont la détention a duré neuf ans et onze mois, 156 674,81 EUR pour M.T. dont la détention a duré six ans et demi, 160 109,43 EUR pour G.T. dont la détention a duré six ans et dix mois, 34 000 EUR pour Y.T. dont la détention a duré un an et cinq mois, 115 600 EUR pour A.B. dont la détention dans ces conditions a duré cinq ans et cinq jours et 54 454 EUR pour C.G.pour une détention de deux ans et cinq mois.
322. S’agissant de R.I., le Gouvernement soutient qu’il peut prétendre à une indemnisation pour la période postérieure au 14 juillet 2014 jusqu’au 26 mai 2017, correspondant à la période d’incarcération non indemnisée par le juge interne. Il propose de lui allouer, selon le calcul qu’il a indiqué au paragraphe 294 ci-dessus, 6 800 EUR. Pour les autres requérants, le Gouvernement, selon le même calcul propose d’allouer les sommes suivantes : 4 800 EUR à A.T. pour la période du 1er janvier 2015 au 12 décembre 2016, 8 400 EUR à T.T. pour la période du 26 novembre 2013 au 26 mai 2017, 4 200 EUR à M.T. pour la période du 11 septembre 2015 au 26 mai 2017, 5 800 EUR à G.T. pour la période du 14 janvier 2015 au 26 mai 2017, 3 200 EUR à Y.T. pour la période du 25 septembre 2015 au 3 février 2017, 3 600 EUR à A.B. pour la période du 1er janvier 2015 au 1er juin 2016 et 6 000 EUR à C.G. pour la période du 31 décembre 2014 au 26 mai 2017.
323. Statuant en équité, et ayant pris en compte le long délai qu’il a fallu à certains des requérants pour introduire leur requête, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants les sommes suivantes : 25 000 EUR à R.I., A.T., T.T., M.T., G.T. ainsi que 12 500 EUR à Y.T., 18 500 EUR à C.G. et 4 000 EUR à A.B.
c) M. Mixtur
324. Le requérant réclame 30 000 EUR au titre du préjudice moral subi, faisant valoir les vives souffrances physiques et morales subies.
325. Le Gouvernement rappelle que le requérant a été incarcéré du 6 octobre 2013 au 20 avril 2015 en détention provisoire avant d’être libéré puis réincarcéré le 26 avril 2016. À la date du dépôt de ses observations le 26 juin 2018, il avait été incarcéré pendant trois ans, huit mois et huit jours. Selon le Gouvernement, il peut donc prétendre à une indemnisation pour une durée de quarante-quatre mois, soit à la somme de 8 800 EUR.
326. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 25 000 EUR.
d) Les requérants de la MA de Nîmes
327. Les requérants réclament les sommes suivantes au titre du dommage moral : F.R., 30 000 EUR pour une détention d’un an et neuf mois, E.A., 30 000 EUR pour une détention d’un an et dix mois, A.M., 50 000 EUR pour la détention qui dure depuis quatre ans et dont la fin de peine est prévue le 16 mars 2024, H.H., 40 000 EUR pour une détention de deux ans et cinq mois.
328. Le Gouvernement propose d’allouer aux requérants les sommes suivantes : 4 400 EUR à F.R. pour vingt-deux mois de détention, 3 400 EUR à E.A. pour dix-sept mois de détention, 9 600 EUR à A.M. pour quarante-huit mois de détention et 5 800 EUR à H.H. pour vingt-neuf mois de détention.
329. Statuant en équité, la Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer 14 500 EUR à F.R., 12 500 EUR à E.A., 25 000 EUR à A.M. et 18 500 EUR à H.H.
e) Les requérantes de la MA de Nice
330. Dans leurs observations du 21 mars 2018, les requérantes réclament les sommes suivantes : A.M., 100 000 EUR pour cinq ans de détention à compter du 9 janvier 2013 ; V.M.,24 000 EUR pour quatorze mois de détention ; P.P. 8 400 EUR pour cinq mois de détention et S.C. 12 800 EUR pour huit mois de détention.
331. Le Gouvernement propose, selon le même calcul, d’allouer les sommes suivantes aux requérantes : 12 400 EUR à A.M. pour soixante‑deux mois de détention, 4 400 EUR à V.M. pour vingt-deux mois de détention, 1 200 EUR à P.P. pour six mois de détention, 1 400 EUR à S.C. pour sept mois de détention.
332. Statuant en équité, la Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer 25 000 EUR à A.M. et V.M., 6 500 EUR à S.C. et 5 750 EUR à P.P.
f) Les requérants de la MA de Fresnes
333. Dans leurs observations du 16 juillet 2018, les requérants réclament les sommes suivantes au titre du dommage moral : A.B.A., 27 200 EUR pour seize mois de détention, A.T., 20 800 EUR pour treize mois de détention et R.M. 28 800 EUR pour les dix-huit mois de détention depuis le 1er février 2017. Le requérant B.A. réclame 23 300 EUR pour la violation combinée des articles 3 et 13 de la Convention. Le requérant M. Klapucki réclame 150 000 EUR au titre des souffrances physiques subies pendant sa détention et 25 000 EUR pour le préjudice moral.
334. Le Gouvernement propose, selon le même calcul, d’allouer 3 200 EUR à A.B.A. pour dix-huit mois de détention, 2 400 EUR à A.T. pour douze mois de détention et 3 600 EUR à R.M.pour dix-huit mois de détention. Il estime que la somme de 1 500 EUR pourrait être versée à B.A. et à M. Klapucki.
335. Statuant en équité, la Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer 12 000 EUR à A.B.A., 15 000 EUR à R.M., 10 000 EUR à A.T. ainsi qu’une somme de 4 000 EUR à B.A. et à M. Klapucki.
- Frais et dépens
a) Les requérants et requérantes des CP de Ducos et Faa’a-Nuutania, des MA de Nîmes et de Nice ainsi que quatre requérants de la MA de Fresnes (nos 77572/17, 78336/17, 799697/17 et 51808/16)
336. L’avocat des requérants indique que leur défense a été assurée gracieusement devant la Cour.
337. En conséquence, la Cour estime qu’il n’y pas lieu de leur accorder une somme à ce titre.
b)M. Mixtur
338. Le requérant demande 14 886 EUR pour les frais et dépens engagés pour la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation.
339. Le Gouvernement observe que cette demande concerne les griefs déclarés irrecevables par la Cour (paragraphe 4 ci-dessus).
340. La Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale pour la raison indiquée par le Gouvernement.
c)M. Klapucki
341. M. Klapucki réclame 248 400 EUR au titre des frais engagés pour les visites des avocats en prison et leur défense dans le cadre des demandes de mise en liberté. Il produit des notes d’honoraire dont celles acquittées auprès d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation (notamment celle de 3 000 EUR pour le pourvoi devant la Cour de cassation qui a abouti à l’arrêt du 1er février 2017, paragraphe 117 ci-dessus). Il demande également 100 000 EUR pour les frais engagés pour la procédure devant la Cour dont les « frais de déplacement et d’assistance pour l’audience ».
342. Le Gouvernement relève que le requérant fournit une facture de 42 000 EUR portant sur des diligences accomplies en lien avec l’assistance générale et la défense dans le cadre de ses demandes de mise en liberté. Or, les demandes de mise en liberté ne permettent pas de faire cesser rapidement les conditions de détention, et les diligences en vue d’obtenir la relaxe ne peuvent s’entendre comme présentant une telle garantie non plus. Dans ces conditions, le Gouvernement considère qu’aucun honoraire réglé ne peut être considéré comme ayant pu permettre de prévenir ou faire corriger un éventuel manquement à l’article 3. Il en va de même de la procédure devant la Cour de cassation et des frais de traduction des pièces produites dans le cadre des demandes de mise en liberté. Le Gouvernement considère par ailleurs que la demande au titre des frais devant la Cour doit être rejetée, en l’absence de pièces produites par le requérant.
343. La Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 3 000 EUR correspondant aux frais honorés pour la procédure devant la Cour de cassation rappelée ci-dessus. Le requérant a en effet tenté à cette occasion de remédier à la violation des articles 3 et 13 de la Convention en présentant une demande de mise en liberté fondée sur l’indignité des conditions de détention à la MA de Fresnes et sur l’absence de recours préventif à cet égard. Elle rejette par ailleurs les autres demandes du requérant.
- Intérêts moratoires
344. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Décide de rayer du rôle les parties des requêtes nos 45369/17, 45365/17, 77572/17, 78336/17 et 79967/17 concernant les fouilles corporelles et l’ouverture du courrier ;
- Décide de joindre les requêtes ;
- Décide de joindre l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement s’agissant des griefs tirés de l’article 3 (conditions matérielles de détention)au bien-fondé des griefs tirés de l’article 13 de la Convention ;
- Déclare les requêtes recevables, à l’exception de la requête no 57963/16, quant au grief tiré de l’article 13 de la Convention (recours préventif) ;
- Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention, à l’exception des requêtes nos 9671/15, 12799/15, 32263/16, 9761/15 et 9764/15, et irrecevable la requête no 32236/16 en sa partie relative à l’ouverture des courriers et la requête no 57963/16 en sa partie relative aux violences subies en détention ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention (recours préventif) et rejette l’objection du Gouvernement de non-épuisement des voies de recours internes ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de détention des requérants et des requérantes et rejette l’objection du Gouvernement de non-épuisement des voies de recours internes ;
- Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 8 de la Convention relatif aux conditions de détention des requérants et des requérantes ;
- Dit,
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes figurant dans le tableau en annexe (annexe II), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour dommage moral et frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 janvier 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge O’Leary.
A.N.
M.B.
OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE O’LEARY
(Traduction)
1. Je souscris pour la grande majorité des requérants aux constats de violation des articles 3 et 13 de la Convention. Cet arrêt important traite des problèmes structurels et de la surpopulation persistante qui touchent les prisons françaises[1]. Comme les arrêts pilotes ou « leading cases » que la Cour a déjà rendus relativement aux conditions de détention des détenus, il jouera un rôle important de catalyseur des changements qui doivent être opérés par l’État défendeur.
2. La présente opinion séparée concerne uniquement trois des trente-deux requérants – J.M.B., D.T. et A.B. en particulier –, dont la situation et les griefs tirés de la Convention sont examinés, entre autres, aux paragraphes 19, 28, 47, 161‑163, 173-178 et 212-221 de l’arrêt. Ces trois requérants n’étaient plus détenus lorsqu’ils ont saisi la Cour.
3. Selon la jurisprudence établie sur laquelle l’arrêt se fonde en l’espèce, la portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. En ce qui concerne les griefs relatifs aux conditions de détention qui sont soulevés sous l’angle de l’article 3, deux voies de redressement sont possibles : une amélioration des conditions de détention et une indemnisation au titre des dommages occasionnés. Pour un requérant détenu dans des conditions inhumaines ou dégradantes, une voie de réparation propre à mettre un terme rapide à la violation continue dont il est victime est des plus utiles ; elle est d’ailleurs indispensable compte tenu de l’importance particulière que revêt le droit consacré par l’article 3. Lorsqu’en revanche il n’est plus soumis à des conditions inhumaines ou dégradantes parce qu’il a été mis en liberté ou placé dans des conditions qui satisfont aux exigences de l’article 3, l’intéressé doit pouvoir disposer du droit d’obtenir une indemnisation au titre de tout manquement antérieur. En d’autres termes, des recours préventifs et indemnitaires doivent coexister de façon complémentaire pour qu’un système de protection soit effectif dans ce domaine (Domján c. Hongrie (déc.), no 5433/17, § 25, 14 novembre 2017).
4. En ce qui concerne la question de l’épuisement des voies de recours internes, on retrouve de manière constante dans la jurisprudence de la Cour cette distinction entre la situation d’une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après avoir été mise en liberté et celle d’une personne qui la saisit alors qu’elle est toujours détenue dans les conditions qu’elle dénonce (Koutalidis c. Grèce, no 18785/13, § 61, 27 novembre 2014, et Igbo et autres c. Grèce, no 60042/13, § 28, 9 février 2017). Un requérant qui saisit la Cour alors qu’il n’est plus détenu cherche non pas à mettre un terme à une violation continue de son droit à ne pas subir de traitement contraire à l’article 3, mais à obtenir de la Cour qu’elle se prononce a posteriori sur la violation de l’article 3 dont il estime avoir été victime et, le cas échéant, qu’elle lui accorde une satisfaction équitable au titre du préjudice moral subi (Igbo et autres, précité, § 30)[2]. En pareil cas, l’exercice d’un recours préventif n’est pas obligatoire, un recours purement indemnitaire pouvant en principe être effectif (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 97-98, 10 janvier 2012, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10 et 5 autres, § 181, 27 janvier 2015, Bizjak c. Slovénie (déc.), no25516/12, § 28, 8 juillet 2014, Chatzivasiliadis c. Grèce (déc.), no 51618/12, § 30, 26 novembre 2013, Singh et autres c. Grèce, no 60041/13, §§ 33-34, 19 janvier 2017, et Igbo et autres, précité, § 28).
5. Dans les paragraphes 161 à 163 de l’arrêt, la chambre cherche en premier lieu à déterminer si les trois requérants qui, point essentiel, n’étaient plus détenus lorsqu’ils ont introduit leur requête devant la Cour, auraient dû saisir les juridictions internes d’un recours indemnitaire pour obtenir réparation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi avant d’être mis en liberté. Estimant qu’ils n’ont pas épuisé cette voie de recours indemnitaire dont ils disposaient et qui était effective, elle rejette, à raison d’après moi, le grief qu’ils tirent de l’article 3 (paragraphe 163). C’est là que s’éteint à mon avis le grief tiré de l’article 3 dont ils ont saisi la Cour.
6. En ce qui concerne en revanche la question de l’existence ou non, sous l’angle des articles 3 et 13, d’un recours préventif effectif, le Gouvernement réitère l’exception selon laquelle les requérants n’ont pas épuisé la voie de recours indemnitaire effective dont ils disposaient. Or, la chambre rejette cet argument pour deux motifs : premièrement, parce que les requérants ont saisi la Cour de leurs griefs tirés des articles 3 et 13 dans les six mois qui ont suivi leur mise en liberté, et deuxièmement parce qu’ils disposaient d’un grief défendable tiré de l’article 3, et que l’article 13 trouve par conséquent à s’appliquer (paragraphe 175).
7. Sur la question du délai de six mois, le raisonnement suivi par la chambre me paraît erroné. Celui-ci semble en effet fondé sur l’idée que compte tenu de la nécessité que des recours préventifs et indemnitaires coexistent de façon complémentaire, un requérant peut se plaindre devant la Cour de l’absence dans le passé de l’une des voies de recours internes, à savoir la voie de recours préventive, pourvu qu’il respecte le délai de six mois prévu par la Convention. Certes, la Cour a dans certains cas fait référence à un délai, mentionnant spécifiquement un délai de six mois inspiré de celui prévu par l’article 35 de la Convention. Elle faisait cependant référence au délai dans lequel, à compter de sa mise en liberté, une personne qui n’est plus détenue doit saisir les juridictions internes d’un recours indemnitaire. Dans l’affaire Ulemek c. Croatie (no 21613/16, § 89, 31 octobre 2019, la Cour explique dans les termes suivants le sens et l’objet de pareil délai :
« […] aux fins du principe de la sécurité juridique et de la nécessité de faciliter l’établissement des faits dans une affaire en évitant qu’avec le temps il ne devienne problématique d’examiner de manière équitable les questions soulevées, le délai d’introduction d’un recours indemnitaire ne peut être illimité. Dressant un parallèle avec la période au terme de laquelle la Cour ne peut plus connaître d’une affaire […], et tenant compte des mesures internes qu’elle a jugées appropriées […], la Cour considère qu’une personne qui se plaint d’avoir été détenue dans des conditions inadéquates doit normalement exercer toute voie de recours indemnitaire à sa disposition dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la situation dénoncée a cessé»[3].
8. Ceci ne doit pas, à mon avis, être lu comme une invitation faite aux détenus à saisir la Cour après leur mise en liberté, en court-circuitant les recours indemnitaires qu’ils pourraient exercer pour se plaindre des mauvais traitements qu’ils estiment avoir subis au cours de leur détention, afin que celle-ci conclue, sur le terrain des articles 3 et 13, à l’absence de recours préventif effectif dans le passé[4]. Pareil raisonnement risque de déformer à la fois les principes de la subsidiarité et de l’épuisement des voies de recours, et celui de la complémentarité des voies de recours nécessaires. En effet, l’arrêt Ulemek traitait spécifiquement du rapport entre recours préventif et recours indemnitaire dans les affaires relatives aux conditions de détention, et il cherchait à déterminer si l’exercice d’un recours préventif pouvait ou devait conditionner l’accès à un recours indemnitaire. Or, la chambre compétente a précisé, à raison d’après moi, que lorsque le système interne n’offre pas de recours préventif effectif, l’existence d’un recours indemnitaire suffit en ce qui concerne une personne qui n’est plus détenue (Ulemek, précité, §§ 83-87).[5]
9. En outre, j’ai des difficultés à souscrire au constat de recevabilité du grief tiré de l’article 3 combiné avec l’article 13 par les trois requérants cités ci‑dessus. Étant donné que le grief qu’ils avaient soulevé sous l’angle de l’article 3 avait été rejeté pour non-épuisement des voies de recours indemnitaires effectives qui existaient à cet égard, ils ne disposaient plus sous l’angle de l’article 3 d’un « grief défendable » propre à fonder un grief sur le terrain de l’article 13 (voir, par exemple, Lonić c. Croatie, no 8067/12, § 53, 4 décembre 2014)[6]. Si la chambre avait souhaité examiner le grief tiré de l’article 3 combiné avec l’article 13, elle aurait à tout le moins dû joindre au fond l’exception de non-épuisement des voies de recours soulevée par le Gouvernement relativement aux requérants qui n’étaient plus détenus plutôt que de rejeter, au paragraphe 163 de l’arrêt, leur grief tiré de l’article 3 (voir, à cet égard, Lonić, précité §§ 44 et 53, et Ananyev et autres, précité, §§ 70 et 80).
10. L’esprit qui anime de manière totalement légitime l’approche adoptée par la chambre semble inspiré d’un passage important de l’arrêt Ananyev et autres, repris par la suite dans d’autres affaires, dans lequel la Cour a dit que la perspective d’une indemnisation future ne doit pas servir à légitimer des souffrances graves contraires aux droits fondamentaux consacrés par l’article 3 de la Convention, d’autant plus que pareille situation affaiblirait de manière inacceptable l’obligation légale qui est faite aux États de mettre leurs systèmes juridiques en conformité avec les normes de la Convention (Ananyev et autres, précité, § 98). Il ne faut toutefois pas considérer que le raisonnement suivi par la Cour dans ce passage de l’arrêt Ananyev et autres concernant le caractère complémentaire des recours préventifs et indemnitaires signifie que dans les six mois qui suivent leur mise en liberté, les anciens détenus doivent saisir la Cour directement même s’ils disposent en droit interne d’une voie de recours indemnitaire effective propre à leur permettre de faire valoir une violation passée de l’article 3 et/ou de l’article 3 combiné avec l’article 13. Dans l’arrêt Ananyev et autres, le fait que les requérants aient respecté le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 n’était pertinent que parce que la Cour, ayant joint au fond l’exception de non-épuisement formulée par le Gouvernement, avait jugé ineffectif le recours indemnitaire prévu par le droit russe. Il n’en va pas de même pour les recours indemnitaires prévus par le droit français, comme l’admet la chambre aux paragraphes 134 et 158 de l’arrêt.
11. En conclusion, c’est uniquement à l’égard des trois requérants en question et du raisonnement suivi par la chambre sur les points évoqués ci-dessus – points qui revêtent de l’importance à l’égard du principe de subsidiarité et de la question de l’épuisement des voies de recours effectives ainsi qu’à des fins de clarté en ce qui concerne le caractère complémentaire des recours devant exister dans ce domaine – que j’exprime des préoccupations à l’égard de la position adoptée par la chambre dans cet arrêt important. Je souscris à son raisonnement sur tous les autres points.