COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE X. c. FRANCE
(Requête no18020/91)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mars 1992
En l’affaire X c. France[*],
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »)[*] et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
F. Gölcüklü,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
A. Spielmann,
N. Valticos,
J.M. Morenilla,
A.B. Baka,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 janvier et 24 mars 1992,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 18 octobre 1991, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 18020/91) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, X, avait saisi la Commission le 19 février 1991 en vertu de l’article 25 (art. 25). Le requérant, qui avait prié la Cour de ne pas divulguer son identité, est décédé le 2 février 1992; ses parents ont exprimé le souhait de reprendre l’instance.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné ses conseils (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 25 octobre 1991, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. J. Cremona, F. Gölcüklü, R. Macdonald, A. Spielmann, N. Valticos, J.M. Morenilla et A.B. Baka, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement français (le « Gouvernement »), le délégué de la Commission et les avocats du requérant au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le requérant, le Gouvernement et le délégué de la Commission ont déposé leurs mémoires respectifs les 12 décembre 1991, 23 décembre 1991 et 13 janvier 1992.
5. Le 28 novembre 1991, M. Ryssdal a autorisé l’Association française des hémophiles à présenter, en vertu de l’article 37 par. 2 du règlement, des observations écrites sur les démarches menées par elle dans des cas semblables à celui du requérant. Lesdites observations sont parvenues au greffe le 19 décembre.
6. Le 22 novembre 1991, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président.
7. Ainsi qu’en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 21 janvier 1992, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
MM. J.-P. Puissochet, directeur des affaires juridiques
au ministère des Affaires étrangères, agent,
B. Gain, sous-directeur des droits de l’homme
à la direction des affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères,
Mme H. Khodoss, sous-directeur de l’organisation des soins
et des programmes médicaux à la direction générale de la
santé du ministère des Affaires sociales et de l’Intégration,
M. P. Chambu, sous-direction des droits de l’homme
à la direction des affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères,
Dr A. Laporte, division SIDA, sous-direction de l’organisation des
soins et des programmes médicaux à la direction générale
de la santé du ministère des Affaires sociales et de
l’Intégration, conseils;
– pour la Commission
M. J.-C. Geus, délégué;
– pour le requérant
Me E. Lassner, avocate,
Me F. Thiriez, avocat
au Conseil d’État et à la Cour de cassation, conseils.
La Cour a entendu en leurs déclarations, de même qu’en leurs réponses à ses questions, M. Puissochet pour le Gouvernement, M. Geus pour la Commission, Me Lassner et Me Thiriez pour le requérant.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Ressortissant français né en 1963, X est décédé le 2 février 1992 après plusieurs hospitalisations. Il vivait à Paris chez ses parents; il percevait une allocation publique de 3 000 francs français (f.) par mois pour adulte handicapé et n’exerçait pas de profession.
9. Hémophile, il avait subi plusieurs transfusions sanguines, notamment entre septembre 1984 et janvier 1985 à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Il se révéla, le 21 juin 1985, qu’il était séropositif par rapport au virus d’immunodéficience humaine (V.I.H.).
10. Comme d’autres hémophiles avaient été infectés par le V.I.H., l’Association française des hémophiles tenta d’obtenir de l’État la réparation du préjudice souffert par ses membres contaminés. N’ayant pu aboutir à un règlement, elle invita ses adhérents à intenter des recours contentieux avant l’échéance de la prescription quadriennale.
A. Le recours administratif
11. Le 1er décembre 1989, X adressa – comme l’exige l’article R.102 du code des tribunaux administratifs (paragraphe 23 ci- dessous) – une demande préalable d’indemnisation au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale. Il réclamait une somme de 2 500 000 f.; selon lui, sa contamination par le V.I.H. résultait du retard fautif du ministre à mettre en oeuvre une réglementation adéquate de la délivrance des produits sanguins.
Six cent quarante-neuf autres requêtes gracieuses furent envoyées au ministre.
12. Le directeur général de la santé rejeta celle de l’intéressé le 30 mars 1990, à la veille de l’expiration du délai légal de quatre mois (paragraphe 23 ci-dessous).
B. Le recours contentieux
13. X sollicita l’assistance judiciaire le 27 avril 1990; elle lui fut accordée le 8 juin. Le 30 mai, il saisit le tribunal administratif de Paris d’un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle et à la condamnation de l’État à lui payer une indemnité de 2 500 000 f., plus les intérêts légaux.
Quelque quatre cents requêtes émanant de personnes qui se trouvaient dans la même situation furent introduites devant les juridictions administratives. Attribuées au tribunal administratif de Paris, elles soulevaient des questions tantôt communes (responsabilité de l’État dans la réglementation des opérations de transfusion sanguine), tantôt propres à chaque dossier (date et conditions de la contamination).
1. Le dépôt des premiers mémoires
14. Le 11 juillet 1990, X présenta un mémoire ampliatif que le tribunal transmit au ministre le 22 août. Il y soulignait notamment les répercussions qu’avaient eues sur lui la révélation de sa séropositivité et « l’idée d’être potentiellement atteint d’un mal incurable ». Dans un mémoire complémentaire du 29 octobre 1990, il insista sur l’urgence de son cas:
« (…) l’état de santé de l’exposant s’est aggravé depuis le mois de septembre 1990 comme en atteste le certificat médical produit.
C’est pourquoi il requiert du tribunal l’application de l’article R.111 [paragraphe 23 ci-dessous] du code des tribunaux administratifs: mise en demeure au ministre défendeur d’avoir à conclure.
Cette mise en demeure permettra que soit respecté le droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable selon les termes de l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Ce droit doit être respecté en prenant en compte son état de santé et ce d’autant plus que le ministre ayant rejeté expressément la demande préalable, le dossier de l’exposant a nécessairement déjà fait l’objet d’un examen; la défense de l’administration ne nécessite donc pas de délai particulier qui justifierait l’atteinte au droit que l’exposant tire de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
PAR CES MOTIFS
L’exposant conclut à ce qu’il plaise au tribunal administratif de Paris d’adresser au ministre de la Santé, de la Solidarité et de la Protection Sociale une mise en demeure de produire sa défense dans un bref délai, et persiste dans ses précédentes conclusions. »
Établi par le professeur Frottier, le certificat médical en question indiquait:
« Je soussigné, chef de service, certifie que [X] (…) est suivi de très longue date par le service d’hémostase et des soins transfusionnels de l’établissement Saint-Antoine, du CNTS [Centre national de transfusion sanguine].
Il a été hospitalisé pour la première fois dans le service des maladies infectieuses du 17 au 27 septembre 1990, puis il a été réadmis à l’hôpital Saint-Antoine le 5 octobre 1990, d’abord en médecine puis en réanimation médicale puis, à partir du 11 octobre 1990, dans le service des maladies infectieuses où il se trouve actuellement.
L’affection dont il souffre justifie sa prise en charge pour une durée indéterminée par un service spécialisé dans les traitements des maladies infectieuses.
(…) »
15. Le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité répondit par un mémoire daté du 12 décembre 1990, déposé le 21 février 1991 et communiqué à l’intéressé le 27 février. Il y invitait le tribunal à « rejeter la demande du requérant », mais ajoutait:
« Cependant, pour le cas où il vous paraîtrait que le principe d’une faute de l’État pourrait être retenu, je vous demande de bien vouloir procéder à la désignation d’un expert afin d’établir si le préjudice pour lequel le requérant demande une indemnisation est véritablement imputable à cette faute. »
16. Le 3 avril 1991, X présenta son mémoire en réplique où il concluait au rejet de la demande d’expertise. Il précisait:
« C’est à titre principal au rejet de la demande d’expertise que conclut l’exposant, cette expertise n’étant demandée par le ministre défendeur que pour faire établir si le préjudice subi par l’exposant serait bien imputable à sa faute.
Le lien de causalité étant bien déterminé dans le dossier de l’exposant, la seule question à trancher par le tribunal est celle de savoir si le ministre a commis une faute.
Cette appréciation du caractère fautif du retard dans les mesures de protection de la santé publique lui incombant peut être portée au vu du dossier du tribunal qui peut demander en outre la communication de l’expertise du Pr Jacquillat au tribunal de grande instance.
A titre très subsidiaire, s’il devait charger un nouvel expert de l’éclairer en la matière (le Pr Jacquillat étant malheureusement décédé) celui-ci devrait pouvoir se faire remettre les travaux de son prédécesseur. »
2. Les compléments d’instruction et la fin de la procédure écrite
17. Les 5 avril, 27 mai et 28 juin 1991, le président de la section compétente du tribunal administratif de Paris demanda au ministre ou au directeur de la Fondation nationale de transfusion sanguine, selon le cas, certains renseignements et documents; ils lui répondirent les 25 avril, 6 juin, 26 juillet et 30 octobre 1991. Ces diverses mesures d’instruction valaient pour l’ensemble du contentieux, relatif à des hémophiles contaminés, en instance devant le tribunal administratif de Paris.
Parmi les éléments ainsi versés au dossier figurait un rapport intitulé « Transfusion sanguine et SIDA en 1985. Chronologie des faits et des décisions pour ce qui concerne les hémophiles »; l’Inspection générale des affaires sociales (I.G.A.S.) l’avait établi le 10 septembre 1991, ainsi que le ministre des Affaires sociales et de l’Intégration et le ministre délégué à la Santé l’en avaient prié le 10 juin précédent. Il relatait les faits et analysait les décisions prises, pour l’essentiel entre 1983 et 1985, afin d’assurer la « sécurité transfusionnelle » au cours des premières années de développement du SIDA.
X fut informé de ces diverses mesures d’instruction le 6 septembre 1991. Il reçut communication des pièces fournies tant par l’administration que par la Fondation nationale de transfusion sanguine.
18. Les 10 et 17 septembre 1991, X présenta deux mémoires complémentaires dans lesquels il se déclarait « maintenant atteint d’un SIDA avéré ». Le second mémoire contenait une requête en référé-provision (paragraphe 23 ci-dessous).
Le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité déposa le 30 octobre un nouveau mémoire en défense et, le 7 novembre, le juge demanda au requérant des documents de caractère médical.
3. Le jugement
19. Les débats se déroulèrent le 18 décembre 1991. Le surlendemain, le tribunal administratif de Paris débouta X par les motifs suivants:
« (…)
Considérant que [X] recherche l’État en responsabilité à raison des fautes qui auraient été commises par le ministre chargé de la santé dans l’exercice des pouvoirs de police sanitaire qui lui sont dévolus par les dispositions combinées des articles L.668 et L.669 du code de la santé publique; qu’au soutien de ses conclusions le requérant fait valoir que le ministre a tardé à interdire la distribution aux hémophiles des produits sanguins contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine (V.I.H.) alors que, dès 1983, le procédé du chauffage du sang permettait d’inactiver ce virus, et que l’autorité ministérielle n’a pas informé la communauté hémophile des risques graves encourus par l’utilisation de tels produits; qu’il est également reproché à l’autorité ministérielle ayant exercé ses pouvoirs de police sanitaire le 23 juillet 1985 d’avoir différé jusqu’au 1er octobre 1985 la fin du remboursement par les caisses d’assurance maladie des produits sanguins utilisés par les hémophiles, mesure dont il n’est pas contesté qu’elle équivalait, en fait, à une interdiction à raison du coût élevé des produits dits ‘facteurs VIII et IX’;
Considérant que par un nouveau mémoire enregistré le 11 juillet 1990, [X] fait subsidiairement valoir que la responsabilité de l’État est également engagée sur le terrain de la responsabilité pour faute présumée dans l’organisation et le fonctionnement du service public de la transfusion sanguine; qu’il invoque également la responsabilité de l’État sur le fondement du risque créé par l’activité dangereuse du service public de la transfusion sanguine;
Sur la responsabilité de l’État
Considérant que le service public de la transfusion sanguine est assuré en France par des associations de droit privé dépourvues de prérogatives de puissance publique, lesquelles sont d’ailleurs exercées exclusivement par l’État détenteur, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, des pouvoirs de police sanitaire spécifiques; que, par contre, l’État n’est ni prescripteur, ni fabricant, ni fournisseur des produits sanguins incriminés [;] que, dès lors, sa responsabilité ne saurait être recherchée qu’à raison des fautes commises dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, dont il appartient au requérant d’établir la réalité;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que les progrès des connaissances scientifiques sur le V.I.H., dont les premières manifestations pathologiques sont apparues dès 1980, tant sur le plan de sa transmission que sur celui des techniques d’inactivation, ont été très lents et ont fait l’objet de controverses à l’intérieur de la communauté scientifique elle-même; que, notamment, si le procédé de chauffage du sang a été agréé par l’administration américaine de la santé dès le début de l’année 1983, cette technique a été élaborée pour lutter contre le virus de l’hépatite; que son efficacité à l’encontre du V.I.H. est restée pendant plusieurs mois purement hypothétique; que, de surcroît, une partie des chercheurs craignaient que l’utilisation de cette technique fût de nature à nuire à la qualité coagulante et auto-immunisante des produits; que, si ces craintes se sont révélées non fondées, l’appréciation des responsabilités encourues doit nécessairement se faire en l’état des connaissances scientifiques de l’époque; qu’ainsi, en se bornant, le 20 juin 1983, à édicter, par voie de circulaire, une recommandation relative à la sélection des donneurs de sang, à l’information des donneurs et médecins des centres de transfusion des risques potentiels de contamination, l’autorité administrative n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité; qu’il en est de même, et pour des motifs identiques, de l’absence d’information de la communauté hémophile sur les risques encourus;
Mais considérant qu’après cette date les connaissances scientifiques se sont constamment approfondies; que l’État, qui était d’ailleurs membre de droit de la Fondation nationale de transfusion sanguine, ne pouvait ignorer ni ces progrès ni l’extension de l’épidémie; qu’il ne pouvait se retrancher derrière l’absence de disponibilité de tests de dépistage du V.I.H. fiables pour justifier son attentisme dès lors que les cas de SIDA dans la communauté hémophile révélaient l’existence d’un lien de causalité statistiquement significatif entre l’administration des produits sanguins dérivés et la contamination par le V.I.H.; qu’en admettant même que demeuraient quelques incertitudes sur d’hypothétiques effets secondaires de la technique du chauffage au début de l’année 1985, la révélation de l’ampleur de la catastrophe sanitaire annoncée commandait qu’il soit mis fin autoritairement et sans délai à la distribution de produits sanguins contaminés;
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’inspection générale des affaires sociales, que l’autorité ministérielle a été informée au plus tard et de manière certaine le 12 mars 1985 de la très forte probabilité de ce qu’en région parisienne ‘tous les produits sanguins préparés à partir des pools de donneurs parisiens [étaient] actuellement contaminés’; que l’auteur de ce rapport relève pertinemment que l’importance de ce message ne semble pas avoir été perçue; qu’ainsi, en n’édictant pas immédiatement une mesure d’interdiction de distribution desdits produits, en droit ou en fait, l’autorité chargée de la police sanitaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État;
Considérant, de surcroît, que lorsque, le 23 juillet 1985, l’autorité a pris la juste mesure du péril sanitaire en décidant la suppression du remboursement des produits sanguins non chauffés, elle a cru devoir différer la date d’effet de sa décision au 1er octobre 1985; qu’eu égard à la certitude alors établie de ce que tous les produits sanguins étaient contaminés, elle ne saurait se retrancher, pour justifier l’aménagement d’une période transitoire, ni derrière le consentement de la communauté hémophile, laquelle n’était d’ailleurs pas exactement informée de l’ampleur de la catastrophe, ni derrière une prétendue nécessité de maintenir l’autosuffisance des hémophiles alors que des produits assainis étaient disponibles sur le marché international;
Considérant, en revanche, que les conséquences physiologiques de la surcontamination des personnes déjà séropositives à la date du 12 mars 1985, rendue possible en raison de la carence de l’État susévoquée, sont, en l’état actuel des connaissances scientifiques, totalement hypothétiques; que, par suite, le préjudice allégué de ce fait est purement éventuel et ne saurait ouvrir droit à réparation;
Considérant que, de tout ce qui précède, il résulte que la responsabilité de l’État est engagée à l’égard des personnes atteintes d’hémophilie et qui ont été contaminées par le V.I.H. à l’occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985;
Considérant que si l’État, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, n’est ni le prescripteur, ni le fabricant, ni le fournisseur des produits sanguins incriminés, et s’il appartient à la seule autorité judiciaire d’apprécier la réalité des responsabilités encourues par les centres de transfusion sanguine, ces centres n’en assument pas moins une mission de service public; que dans ces conditions il y a lieu, pour le tribunal administratif, de condamner l’État à réparer l’intégralité du préjudice;
Sur le lien de causalité entre le préjudice de [X] et la responsabilité de l’État
Considérant qu’à supposer que [X], qui a reçu pour le traitement de son hémophilie non des facteurs coagulants VIII ou IX dont il est établi ci-dessus qu’ils ont été fautivement distribués, mais des cryoprécipités A, puisse utilement rechercher la responsabilité de l’État, il résulte du dossier que sa séropositivité V.I.H. a été révélée le 20 mars 1985, laquelle, compte tenu d’une période incompressible de séroconversion, doit être regardée comme effectivement intervenue antérieurement au début de la période de responsabilité de l’État susdéfinie; que dès lors, les conclusions de sa requête ne peuvent qu’être rejetées; »
20. Le juge du fond s’étant prononcé, celui des référés rejeta, par une ordonnance du 15 janvier 1992, la requête en référé- provision (paragraphe 18 ci-dessus).
4. Devant la cour administrative d’appel de Paris
21. Le 20 janvier 1992, X a saisi la cour administrative d’appel de Paris, devant laquelle la procédure, reprise par ses parents, demeure en instance.
II. LES MÉCANISMES D’INDEMNISATION EXISTANTS
22. Les comparants ont fourni à la Cour des renseignements sur les divers mécanismes d’indemnisation des victimes du SIDA mis en place depuis le 10 juillet 1989, notamment par la loi no 91-1406 du 31 décembre 1991 « portant diverses dispositions d’ordre social » (Journal officiel de la République française du 4 janvier 1992).
III. LE DROIT PROCÉDURAL PERTINENT
23. À l’époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs contenait notamment les dispositions suivantes:
Article R.102
« Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.
Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet.
(…) »
Article R.111
« Le président du tribunal administratif adresse une mise en demeure à l’administration ou à la partie qui n’a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.105 et R.110; en cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé. »
Article R.129
« Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel ou le magistrat que l’un d’eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d’une demande au fond, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie. »
Article R.142
« Immédiatement après l’enregistrement de la requête introductive d’instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur.
Sous l’autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l’affaire, le délai accordé, s’il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige. »
Article R.182
« Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d’instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre. »
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
24. X a saisi la Commission le 19 février 1991. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect.
25. La Commission a retenu la requête (no 18020/91) le 12 juillet 1991.
Dans son rapport du 17 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[*].
EN DROIT
I. OBSERVATION PRELIMINAIRE
26. Le requérant est décédé le 2 février 1992, mais par une lettre du 6 ses parents ont exprimé le souhait de reprendre l’instance.
En pareil cas, la Commission a parfois rayé du rôle des affaires relatives à l’observation du délai raisonnable visé à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: elle a estimé le grief si étroitement lié à la personne du défunt que les héritiers ne pouvaient prétendre avoir un intérêt suffisant pour justifier la poursuite de l’examen de la requête (rapports du 9 octobre 1982 sur la requête no 8261/78, Kofler c. Italie, Décisions et rapports no 30, pp. 13-14, paras. 16-17, et du 13 janvier 1992 sur la requête no 12973/87, Mathes c. Autriche, paras. 18-20).
Se conformant à sa propre jurisprudence, la Cour reconnaît néanmoins au père et à la mère de X qualité pour se substituer désormais à lui en l’espèce (voir notamment les arrêts Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A no 206-C, p. 29, par. 2, G. c. Italie du 27 février 1992, série A no 228-F, p. 65, par. 2, et Pandolfelli et Palumbo c.Italie du 27 février 1992, série A no 231-B, p. 16, par. 2).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
27. Le requérant se plaignait de la durée de l’examen de l’action qu’il avait engagée contre l’État devant les juridictions administratives. Il alléguait une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
28. Requérant et Commission s’accordaient à estimer ce texte applicable en l’espèce.
29. Le Gouvernement soutient la thèse contraire. En saisissant le juge administratif, X reprochait au ministre d’avoir tardé à user des pouvoirs de police sanitaire que lui attribuent les articles L.668 et L.669, combinés, du code de la santé publique. Il se plaçait exclusivement sur le terrain de la responsabilité de l’État pour faute dans l’exercice de son autorité réglementaire, laquelle échapperait en France aux principes du droit civil et ne pourrait être qualifiée de « civile ». Au surplus, les problèmes juridiques posés par la requête de X différeraient substantiellement de ceux que soulevait l’affaire H. c. France (arrêt du 24 octobre 1989, série A no 162): la faute générale tirée de la réglementation en matière de délivrance de produits sanguins ne pourrait s’assimiler à la faute particulière d’un médecin prescrivant des soins inadéquats.
30. De la jurisprudence constante de la Cour, il ressort que la notion de « droits et obligations de caractère civil » ne doit pas s’interpréter par simple renvoi au droit interne de l’État défendeur et que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique indépendamment de la qualité, publique ou privée, des parties comme de la nature de la loi régissant la « contestation »: il suffit que l’issue de la procédure soit déterminante pour des droits et obligations de caractère privé.
Or il en va ainsi en l’espèce, en raison de la finalité de l’action, de sorte que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) entre en jeu.
B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Période à considérer
31. La période à considérer a débuté le 1er décembre 1989, date de la demande préalable d’indemnisation au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale (paragraphe 11 ci-dessus). Elle n’a pas encore pris fin, X ayant introduit un recours devant la cour administrative d’appel de Paris le 20 janvier 1992 (paragraphe 21 ci-dessus). Elle s’étend donc déjà sur plus de deux ans.
2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
32. Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. Sur ce dernier point, l’enjeu du litige pour l’intéressé entre en ligne de compte dans certains cas (voir, mutatis mutandis, les arrêts H. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, et Bock c. Allemagne du 29 mars 1989, série A no 120-B, pp. 59 et 62-63, paras. 71 et 85, et no 150, pp. 18 et 23, paras. 38 et 48-49).
a) Complexité de l’affaire
33. D’après X, la procédure ne présentait aucune difficulté particulière car elle avait trait à des questions classiques en matière de responsabilité: existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre eux. Au demeurant, le tribunal administratif aurait pu statuer sans la production du rapport de l’I.G.A.S. (paragraphe 17 ci-dessus).
34. Tel est aussi, en substance, l’avis de la Commission: en 1989, les autorités compétentes possédaient depuis déjà plusieurs années toutes les données qu’il leur fallait pour se prononcer sans retard.
35. Le Gouvernement invoque le caractère fort exceptionnel du litige, qui ne soulevait pas simplement la question de la responsabilité d’un établissement médical prescrivant des soins, mais celle, plus complexe et générale, de la responsabilité de l’État du chef d’une carence dans l’exercice de son pouvoir de réglementation des produits sanguins et de leurs dérivés. Il s’appuie sur le rapport de l’I.G.A.S. Ce document démontrerait qu’il manquait aux autorités concernées, lors de l’introduction de la requête de X et jusqu’à l’achèvement de l’étude, les renseignements nécessaires pour déterminer la responsabilité éventuelle de la puissance publique; par la nature et le nombre des problèmes en jeu, il illustrerait la complexité du dossier; il rappellerait que pendant longtemps et pour des raisons diverses les scientifiques avaient défendu des opinions discordantes.
36. D’après la Cour, l’affaire revêtait une certaine complexité et des investigations pouvaient s’imposer pour décider de la responsabilité de l’État et de son étendue. Toutefois, le Gouvernement avait sans doute depuis longtemps conscience de l’imminence de procédures. Il pouvait disposer de nombre des données à prendre en compte et aurait dû faire préparer un rapport objectif sur la question de la responsabilité aussitôt après l’introduction d’instances.
b) Comportement du requérant
37. Le Gouvernement reprochait au requérant de n’avoir produit que le 11 juillet 1990 des éléments médicaux personnalisés sur son état et de s’être exprimé auparavant en des termes très généraux qui ne laissaient pas présumer l’existence d’un SIDA avéré. Or en la matière on ne saurait apprécier l’urgence in abstracto.
X aurait eu aussi le tort d’opter pour une voie de droit qui exigeait une instruction de grande ampleur et débordait le cadre d’une action en réparation, alors qu’il aurait pu engager d’autres procédures, par exemple contre les fournisseurs de plasma contaminé ou les établissements où avaient eu lieu les transfusions.
38. Le requérant répondait que la communication, le 11 juillet 1990, du certificat médical du professeur Frottier tendait à confirmer un point de fait connu et incontesté, sa séropositivité. Sitôt atteint d’un SIDA déclaré au second semestre de 1990, il avait informé le tribunal et l’avait prié d’accélérer l’examen de son dossier.
Certes, il aurait pu décider d’attaquer les centres de transfusion sanguine devant le juge judiciaire mais il soulignait que son action, comme celle des autres hémophiles contaminés (paragraphe 13 ci-dessus), visait à mettre en cause l’État, tenu pour le véritable responsable.
39. D’après la Commission, X a montré une diligence normale et usé de toutes les possibilités qui s’offraient à lui pour activer l’instruction.
40. La Cour rappelle que déjà dans son mémoire ampliatif du 11 juillet 1990, le requérant avait souligné les répercussions qu’avaient eues sur lui la révélation de sa séropositivité et « l’idée d’être potentiellement atteint d’un mal incurable »; par son mémoire complémentaire du 29 octobre 1990, il signala que sa situation avait empiré (paragraphe 14). Avant même d’annoncer, le 10 septembre 1991, qu’il se trouvait frappé d’un SIDA avéré (paragraphe 18 ci-dessus), il avait donc rendu la juridiction administrative attentive à l’aggravation et à l’imminence des grands risques qu’il courait.
En outre, le choix de la voie de droit à emprunter pour obtenir réparation relevait de lui seul.
c) Comportement des autorités nationales
i. Les autorités administratives
41. Le requérant reprochait au ministre compétent d’avoir attendu jusqu’au dernier jour du délai de quatre mois pour rejeter la réclamation préalable, et jusqu’au 21 février 1991 pour déposer son mémoire devant le tribunal administratif.
42. D’après la Commission, il incombe à l’administration, quand elle est partie défenderesse à une procédure juridictionnelle, de prendre toute mesure nécessaire non seulement pour respecter les échéances fixées, mais aussi pour hâter l’issue du litige. Or tel n’aurait pas été le cas en l’espèce. De plus, la lenteur du gouvernement à faire toute la lumière sur la contamination de nombreux hémophiles en 1984 et 1985 aurait contribué à allonger l’instance.
43. Le Gouvernement affirme que l’on ne saurait blâmer quelqu’un d’utiliser la totalité d’un délai de réponse prévu par la loi et que la production du mémoire ministériel en défense n’était pas indispensable à la poursuite de la procédure.
44. La Cour ne peut souscrire à cette thèse que sous réserve de la nature et de l’importance de l’enjeu du litige pour le requérant (paragraphe 47 ci-dessous).
ii. Les autorités judiciaires
45. Le requérant reconnaissait que les tribunaux administratifs français mettaient en moyenne deux ans pour statuer et que l’examen de son cas n’avait point pâti d’un retard réellement anormal. Il considérait toutefois que son affaire – comme celles des autres hémophiles contaminés – appelait un traitement d’urgence, car la période pendant laquelle les intéressés avaient des chances de survie allait de 16,7 à 28,5 mois.
Or le tribunal n’a communiqué au ministère le mémoire ampliatif du 11 juillet 1990 qu’au bout de plus d’un mois, le 22 août; le président-rapporteur a accordé au défendeur, pour y répondre, les trois mois habituels alors qu’il aurait pu, compte tenu de la nature de l’affaire, raccourcir ce laps de temps; il aurait dû d’autant plus enjoindre au ministre de présenter son mémoire après l’expiration du délai imparti que le requérant l’en avait prié dans son mémoire du 29 octobre 1990; le tribunal n’a ordonné des mesures d’instruction complémentaires que le 5 avril 1991, soit un mois et dix jours après la réception du mémoire du ministre; enfin, s’il estimait ne pas disposer des données nécessaires il devait utiliser les pouvoirs d’investigation conférés par les articles R.158 à R.185 du code des tribunaux administratifs, sans avoir besoin d’attendre le rapport de l’I.G.A.S.
46. Selon le Gouvernement, on ne saurait établir un lien rigide entre la durée d’une procédure et la situation individuelle d’un justiciable car cela perturberait le fonctionnement des juridictions nationales. Sans doute ces dernières devraient-elles aller plus vite lorsque la santé et la vie se trouvent en péril, mais elles ne pourraient fixer la longueur d’une instance en fonction de la gravité d’une maladie.
Loin de négliger l’évolution de l’état de X, la procédure aurait respecté le degré d’urgence de la cause et ne révélerait aucune carence de la juridiction compétente. L’intervalle entre le dépôt du mémoire ampliatif de l’intéressé et la transmission au ministre s’expliquerait par le traitement du courrier, légèrement moins rapide pendant les mois de juillet et août; le tribunal administratif n’aurait pas eu un comportement critiquable en n’abrégeant pas le délai de réponse consenti à l’administration et en s’abstenant de la mettre en demeure de produire sa défense après l’échéance de ce délai; il aurait formulé, le 5 avril 1991, la demande de communication de pièces complémentaires en conséquence du mémoire en réplique du requérant, du 3 avril 1991; il aurait attendu la parution du rapport de l’I.G.A.S. pour en tirer des enseignements valables en l’espèce. En outre, le tribunal avait décidé le 27 mai 1991 de procéder au deuxième complément d’instruction par la voie administrative, afin d’accélérer la marche de l’instance, et en avait prescrit deux autres les 28 juin et 7 novembre 1991; enfin, il avait eu à gérer un contentieux considérable puisque quelque quatre cents requêtes lui avaient été attribuées (paragraphe 13 ci-dessus).
47. Avec la Commission, la Cour estime que l’enjeu de la procédure litigieuse revêtait une importance extrême pour le requérant, eu égard au mal incurable qui le minait et à son espérance de vie réduite: séropositif lors de l’introduction de son recours préalable devant le ministre et de la saisine du tribunal, il avait évolué vers le SIDA avéré (paragraphes 11 et 18 ci-dessus). Tout retard risquait donc de priver d’objet utile la question à trancher par le tribunal. Bref, une diligence exceptionnelle s’imposait en l’occurrence, nonobstant le nombre des litiges à traiter, d’autant qu’il s’agissait d’un débat dont le gouvernement connaissait les données depuis plusieurs mois et dont la gravité ne pouvait lui échapper.
48. Or le tribunal administratif n’a pas utilisé ses pouvoirs d’injonction pour presser la marche de l’instance, bien qu’averti dès le 29 octobre 1990 de la détérioration de l’état de santé de X (paragraphe 40 ci-dessus). En particulier, il lui incombait de mener, aussitôt saisi, des investigations sur la responsabilité de l’État et d’inviter instamment le ministre à produire son mémoire en défense ou de statuer sans ce dernier.
49. Se livrant à une appréciation globale des circonstances de l’espèce, la Cour conclut qu’au moment du jugement du 18 décembre 1991, le délai raisonnable se trouvait déjà dépassé; la procédure ultérieure devant la cour administrative d’appel de Paris ne saurait y remédier, quel qu’en soit le résultat quant au fond. Il y a donc violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
50. Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
A. Dommage
51. Le requérant sollicitait d’abord 150 000 f. pour préjudice moral. La longueur de la procédure l’aurait en effet empêché d’obtenir l’indemnité espérée, donc de mener une existence indépendante, et dans des conditions psychologiques meilleures, durant le temps qui lui resterait à vivre; il ne bénéficiait que d’une allocation de 3 000 f. par mois pour adulte handicapé.
52. Le Gouvernement juge excessif le montant revendiqué. Malgré les offres présentées devant la Commission, les exigences répétées et croissantes de X auraient rendu impossible la conclusion d’un règlement amiable.
53. Le délégué de la Commission préconise le versement d’une somme d’argent, mais laisse à la Cour le soin de l’évaluer.
54. La Cour constate que le requérant a subi un tort moral incontestable. Prenant en compte les divers éléments pertinents et statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), elle alloue à ses parents la totalité des 150 000 f. demandés.
B. Frais et dépens
55. X réclamait en outre 30 000 f. pour frais et dépens supportés devant la Commission et la Cour.
56. Le délégué de la Commission trouve ces prétentions justifiées. Quant au Gouvernement, il ne s’y oppose pas.
57. La Cour les accueille en entier sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il y a violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit que l’État défendeur doit verser aux parents du requérant, dans les trois mois, 150 000 (cent cinquante mille) f. pour dommage et 30 000 (trente mille) f. pour frais et dépens.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 31 mars 1992.