GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE BURMYCH ET AUTRES c. UKRAINE
(Requêtes nos 46852/13 et al.)
ARRÊT
(Radiation)
STRASBOURG
12 octobre 2017
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Burmych c. Ukraine,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Ganna Yudkivska,
Helena Jäderblom,
Luis López Guerra,
András Sajó,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Vincent A. De Gaetano,
Julia Laffranque,
André Potocki,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Motoc,
Georges Ravarani, juges,
et de Roderick Liddell, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mai 2016, le 25 août 2016 et le 26 juin 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent cinq requêtes (nos 46852/13, 47786/13, 56605/13, 54125/13 et 3653/14) dirigées contre l’Ukraine et dont quatre ressortissants de cet État, Mme Lidiya Ivanivna Burmych, M. Grygoriy Yaremchuk, M. Oleg Varava et M. Yuriy Neborachko, ainsi que Izolyatsiya, PAT, société anonyme de droit privé ayant son siège à Donetsk, en Ukraine (« les requérants »), ont saisi la Cour le 9 juillet 2013, le 16 juillet 2013, le 8 août 2013, le 16 août 2013 et le 11 décembre 2013 respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les quatre premiers requérants ont été représentés respectivement par Me T.O. Nevmerzhytska, avocate à Jytomyr (Ukraine), Me S.V. Galapyuk, avocat à Jytomyr (Ukraine), Me I.V. Zybachynskyy, avocat à Kiev (Ukraine), et Me O.O. Dmytrychenko, avocate à Krementchouk (Ukraine). La cinquième requérante a été représentée par Me A. Taranovskyy, avocat à Kiev (Ukraine). Le gouvernement ukrainien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, en dernier lieu M. Ivan Lishchyna.
3. Les requérants se plaignaient de la non-exécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice internes rendues en leur faveur. Ils alléguaient une violation de leurs droits découlant de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Les première et cinquième requérantes soulevaient également un grief sur le terrain de l’article 13 relativement à l’absence de recours interne effectif.
4. Entre le 10 décembre 2013 et le 20 janvier 2015, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.
5. Le 8 décembre 2015, après avoir consulté les parties, une chambre de la cinquième section composée de Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Ganna Yudkivska, André Potocki, Helena Jäderblom et Aleš Pejchal s’est dessaisie en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement de la Cour – « le règlement »).
6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
7. À la suite de la décision de la Grande Chambre du 16 mars 2016 de ne pas tenir d’audience, tant les requérants que le Gouvernement ont soumis des observations écrites sur la recevabilité et le fond des requêtes mentionnées au paragraphe 1 ci-dessus.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Le contexte
1. Introduction
8. Les requêtes à l’origine de la présente affaire concernent la non‑exécution prolongée de décisions de justice internes définitives. Elles soulèvent des questions similaires à celles qui ont été examinées dans l’arrêt pilote rendu dans l’affaire Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine (no 40450/04, 15 octobre 2009 – « Ivanov » ou « arrêt Ivanov »). Elles font partie d’un groupe de12 143 affaires s’inscrivant dans la lignée de l’affaire Ivanov (« affaires de type Ivanov »).
9. Avant d’aborder les faits pertinents et de procéder à l’examen des griefs que les requérants en l’espèce tirent de la Convention, la Cour estime donc nécessaire de présenter la procédure suivie jusqu’ici dans les affaires relatives à la non-exécution ou à l’exécution tardive de décisions de justice internes rendues en Ukraine.
10. Avant l’adoption de l’arrêt pilote Ivanov, la Cour avait eu à connaître d’un certain nombre d’affaires portant sur la non-exécution de décisions rendues par des juridictions ukrainiennes. Sa première décision en la matière est celle qu’elle a rendue dans l’affaire Kaysin et autres c. Ukraine1, la Conférence a appelé les États parties à s’engager à :
« exécuter pleinement les arrêts de la Cour, en assurant que les mesures nécessaires seront prises pour prévenir de futures violations similaires (…) ».
2. La Conférence et la Déclaration d’Izmir
121. Lors de la Conférence de haut niveau qui s’est tenue à Izmir, en Turquie, les 26 et 27 avril 2011, les États contractants ont déclaré ce qui suit :
« 1. Rappelant l’attachement fort des États Parties à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») et au mécanisme de contrôle instauré par celle-ci ;
2. Exprimant sa détermination à assurer à court, moyen et long termes l’efficacité de ce mécanisme ;
(…)
5. Rappelant que le caractère subsidiaire du mécanisme de la Convention constitue un principe transversal et fondamental dont à la fois la Cour et les États Parties doivent tenir compte ;
6. Rappelant également la responsabilité partagée de la Cour et des États Parties pour garantir la viabilité du mécanisme de la Convention ;
7. Relevant avec préoccupation la progression continue du nombre des requêtes introduites devant la Cour ;
(…)
B. Mise en œuvre de la Convention au niveau national
La Conférence :
1. Réitère les appels figurant sous ce volet dans la Déclaration d’Interlaken et invite les États Parties plus particulièrement à :
a. Veiller à ce que des voies de recours internes efficaces, qu’elles soient de nature spécifique ou qu’elles constituent une voie de recours général en droit interne, permettent de se prononcer sur une violation alléguée de la Convention et, le cas échéant, d’y remédier ;
b. Coopérer pleinement avec le Comité des Ministres dans le cadre des nouvelles méthodes de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour ;
(…) »
3. La Conférence et la Déclaration de Brighton
122. Lors de la Conférence de haut niveau qui s’est tenue à Brighton, au Royaume-Uni, les 19 et 20 avril 2012, les États contractants ont déclaré ce qui suit :
« 1. Les États parties à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») réaffirment leur attachement profond et constant à la Convention, ainsi qu’au respect de leur obligation, au titre de la Convention, de reconnaître à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis dans la Convention.
(…)
3. Les États parties et la Cour partagent la responsabilité de la mise en œuvre effective de la Convention, sur la base du principe fondamental de subsidiarité. La Convention a été conclue sur la base, entre autres, de l’égalité souveraine des États. Les États parties doivent respecter les droits et libertés garantis par la Convention, et remédier de manière effective aux violations au niveau national. La Cour agit en tant que sauvegarde si des violations n’ont pas obtenu de remède au niveau national. Lorsque la Cour constate une violation, les États parties doivent se conformer à son arrêt définitif.
4. Les États parties et la Cour partagent aussi la responsabilité d’assurer la viabilité du mécanisme de la Convention. Les États parties sont déterminés à travailler en partenariat avec la Cour pour y parvenir, en s’appuyant également sur les travaux importants du Comité des Ministres et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi que du Commissaire aux droits de l’homme et des autres institutions et organes du Conseil de l’Europe, et en travaillant dans un esprit de coopération avec la société civile et les institutions nationales chargées des droits de l’homme.
(…)
A. Mise en œuvre de la Convention au niveau national
7. La pleine mise en œuvre de la Convention au niveau national suppose que les États parties prennent des mesures effectives pour prévenir les violations. Toutes les lois et politiques devraient être conçues et tous les agents publics devraient exercer leurs responsabilités d’une manière qui donne plein effet à la Convention. Les États parties doivent aussi prévoir des voies de recours pour les violations alléguées de la Convention. Les juridictions et instances nationales devraient prendre en compte la Convention et la jurisprudence de la Cour. La combinaison de toutes ces mesures devrait permettre de réduire le nombre de violations de la Convention. Elle devrait aussi permettre de réduire le nombre de requêtes bien fondées présentées à la Cour, ce qui contribuerait à alléger sa charge de travail.
8. Le Conseil de l’Europe joue un rôle crucial pour favoriser et encourager la mise en œuvre de la Convention au niveau national, dans le cadre de l’action plus vaste qu’il mène dans le domaine des droits de l’homme, de la démocratie et de l’état de droit. L’assistance technique fournie sur demande aux États parties, soit par le Conseil de l’Europe, soit bilatéralement par d’autres États parties, permet de diffuser les bonnes pratiques et d’améliorer le respect des droits de l’homme en Europe. Le soutien offert par le Conseil de l’Europe devrait être apporté de manière efficace, en fonction des objectifs fixés, en coordination avec l’ensemble plus large des activités de l’organisation.
9. En conséquence, la Conférence :
a) affirme la ferme volonté des États parties de s’acquitter de l’obligation, qui leur incombe au premier chef, de mettre en œuvre la Convention au niveau national ;
b) encourage vivement les États parties à continuer à tenir pleinement compte des recommandations du Comité des Ministres sur la mise en œuvre de la Convention au niveau national lors de l’élaboration de législations, de politiques et de pratiques destinées à donner effet à la Convention ;
(…)
B. Interaction entre la Cour et les autorités nationales
10. Les États parties à la Convention sont tenus de reconnaître à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis dans la Convention et d’octroyer un recours effectif devant une instance nationale à toute personne dont les droits et libertés ont été violés. La Cour interprète de manière authentique la Convention. Elle offre également une protection aux personnes dont les droits et les libertés ne sont pas garantis au niveau national.
(…)
D. Traitement des requêtes
16. Le volume des requêtes portées chaque année devant la Cour a doublé depuis 2004. Un nombre considérable de requêtes sont aujourd’hui pendantes devant toutes les formations judiciaires primaires de la Cour. De nombreux requérants, y compris des personnes dont la requête peut être bien fondée, doivent attendre une réponse pendant des années.
(…)
18. Les requêtes répétitives ont le plus souvent pour origine des problèmes systémiques ou structurels au niveau national. Il incombe aux États parties concernés, sous la surveillance du Comité des Ministres, de faire en sorte que ces problèmes et les violations qui en découlent soient réglés dans le cadre de l’exécution effective des arrêts de la Cour.
19. Le nombre croissant d’affaires pendantes devant les chambres de la Cour est également très préoccupant. La Cour devrait pouvoir axer son attention sur les nouvelles violations susceptibles d’être bien fondées.
20. En conséquence, la Conférence :
a) se félicite des progrès déjà réalisés par la Cour dans le traitement des requêtes, et en particulier de l’adoption :
i) de sa politique de hiérarchisation, qui l’a aidée à concentrer ses efforts sur les affaires les plus importantes et les plus graves ;
ii) de méthodes de travail tendant à rationaliser les procédures, notamment pour le traitement des affaires irrecevables ou répétitives, tout en maintenant une responsabilité judiciaire appropriée ;
(…)
c) reste préoccupée par le grand nombre de requêtes répétitives en instance devant la Cour ; se félicite que celle-ci continue d’appliquer des mesures proactives, en particulier la procédure de l’arrêt pilote, pour traiter les violations répétitives avec efficacité ; et encourage les États parties, le Comité des Ministres et la Cour à travailler de concert pour trouver les moyens de régler le grand nombre de requêtes résultant de problèmes systémiques identifiés par la Cour, en examinant les différentes idées qui ont été avancées, y compris leurs implications juridiques, pratiques et financières, et en tenant compte du principe d’égalité de traitement de tous les États parties ;
d) en s’appuyant sur la procédure des arrêts pilotes, invite le Comité des Ministres à envisager l’opportunité et les modalités d’une procédure selon laquelle la Cour pourrait enregistrer et statuer sur un petit nombre de requêtes représentatives sélectionnées dans un groupe de requêtes alléguant la même violation contre le même État partie défendeur, la décision de la Cour en l’espèce étant applicable à l’ensemble du groupe ;
(…)
F. Exécution des arrêts de la Cour
26. Chaque État partie s’est engagé à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans toute affaire dans laquelle il est partie. Par sa surveillance, le Comité des Ministres veille à ce qu’il soit donné suite de manière appropriée aux arrêts de la Cour, y compris par la mise en œuvre de mesures générales destinées à résoudre des problèmes systémiques plus larges.
27. Le Comité des Ministres doit par conséquent vérifier de manière effective et équitable si les mesures prises par un État partie ont mis un terme à une violation. Le Comité des Ministres devrait pouvoir prendre des mesures effectives à l’égard d’un État partie qui manque à ses obligations au titre de l’article 46 de la Convention. Le Comité des Ministres devrait accorder une attention particulière aux violations révélatrices d’un problème systémique au plan national, et veiller à ce que les États parties exécutent rapidement et effectivement les arrêts pilotes.
(…)
G. Avenir à plus long terme du système de la Convention et de la Cour
(…)
32. La mise en œuvre effective de la Convention au niveau national permettra à la Cour de jouer à plus long terme un rôle plus ciblé et plus concentré. Le système de la Convention doit aider les États à assumer la responsabilité qui leur incombe au premier chef de mettre en œuvre la Convention au plan national.
33. Grâce à une meilleure mise en œuvre au niveau national, la Cour devrait être en mesure de concentrer ses efforts sur les violations graves ou répandues, les problèmes systémiques et structurels, et les questions importantes relatives à l’interprétation et à l’application de la Convention et de ce fait aurait à redresser par elle-même un moins grand nombre de violations et en conséquence à rendre un moins grand nombre d’arrêts. »
4. La Conférence et la Déclaration de Bruxelles
123. À l’issue de la Conférence de haut niveau qui s’est tenue à Bruxelles, en Belgique, les 26 et 27 mars 2015, les États contractants ont adopté une déclaration dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
« Réaffirme l’attachement profond et constant des États parties à la Convention (…) et leur engagement fort à l’égard du droit de recours individuel devant la Cour (…) en tant que pierre angulaire du système de protection des droits et libertés énoncés dans la Convention ;
(…)
Réitère la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention et, en particulier, le rôle premier joué par les autorités nationales, à savoir les gouvernements, les tribunaux et les parlements, et leur marge d’appréciation dans la garantie et la protection des droits de l’homme au niveau national, en impliquant, le cas échéant, les institutions nationales des droits de l’homme et la société civile ;
(…)
Souligne l’importance de l’article 46 de la Convention sur la force obligatoire des arrêts de la Cour, qui stipule que les États parties s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels ils sont parties ;
(…)
Tout en relevant les progrès réalisés par les États parties dans l’exécution des arrêts, souligne l’importance d’une exécution pleine, effective et rapide des arrêts et d’un engagement politique fort des États parties à ce sujet, renforçant ainsi la crédibilité de la Cour ainsi que du système de la Convention en général ;
Convaincue que suite aux améliorations déjà réalisées, l’accent doit désormais être mis sur les défis actuels, notamment les requêtes répétitives résultant de la non‑exécution d’arrêts de la Cour, le temps pris par la Cour pour examiner et statuer sur les affaires potentiellement bien fondées, le nombre croissant d’arrêts sous la surveillance du Comité des Ministres et les difficultés des États parties à exécuter certains arrêts, en raison de l’ampleur, de la nature ou du coût des problèmes soulevés. À cette fin, des mesures additionnelles sont nécessaires pour :
i. continuer à permettre à la Cour de réduire l’arriéré d’affaires bien fondées et répétitives et de statuer sur les nouvelles affaires potentiellement bien fondées, dans des délais raisonnables, en particulier quand il s’agit de violations graves des droits de l’homme ;
ii. assurer l’exécution pleine, effective et rapide des arrêts de la Cour ;
iii. veiller à une surveillance pleine et effective de l’exécution de tous les arrêts par le Comité des Ministres et développer, en coopération avec les États parties, le dialogue bilatéral et l’assistance du Conseil de l’Europe dans le processus d’exécution.
En conséquence, la Conférence :
1) Réaffirme l’attachement ferme des États parties à la Convention au droit de recours individuel ;
2) Réitère la détermination ferme des États parties à s’acquitter de l’obligation qui leur incombe au premier chef d’assurer la protection intégrale au niveau national des droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles, conformément au principe de subsidiarité ;
3) Invite chaque acteur à dégager les moyens nécessaires pour assumer son rôle dans la mise en œuvre de la Convention, conformément à la responsabilité partagée, prévue par la Convention, entre les États parties, la Cour et le Comité des Ministres ;
(…)
8) Souligne la nécessité de trouver, tant au niveau de la Cour que dans le cadre de l’exécution des arrêts, des solutions efficaces pour traiter les affaires répétitives ;
9) Encourage, à cet égard, les États parties à donner la priorité aux solutions alternatives aux procédures contentieuses, telles que les règlements amiables et les déclarations unilatérales ;
10) Rappelant l’article 46 de la Convention, souligne qu’une exécution pleine, effective et rapide par les États parties des arrêts définitifs de la Cour est essentielle ;
11) Réitère l’importance du respect par le Comité des Ministres de la liberté des États parties de choisir les moyens d’une exécution pleine et effective des arrêts de la Cour ;
12) Appelle à améliorer, au niveau du Comité des Ministres mais aussi des États parties, en vertu du principe de subsidiarité, l’efficacité du système de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour ;
(…) »
F. L’évaluation par le Comité des Ministres de l’exécution de l’arrêt pilote Ivanov
124. Le 6 mars 2008, le Comité des Ministres, après avoir examiné au titre de l’article 46 § 2 de la Convention les mesures prises par le gouvernement ukrainien pour se conformer aux arrêts de la Cour concernant la question de l’inexécution prolongée de décisions de justice internes définitives, a adopté une résolution intérimaire (CM/ResDH(2008)1), ainsi libellée en ses parties pertinentes :
« Le Comité des Ministres (…)
CONSTATE AVEC UNE CERTAINE PRÉOCCUPATION que, malgré les diverses initiatives importantes, législatives et autres qui ont été constamment portées à l’attention du Comité des Ministres, peu de progrès ont été accomplis jusqu’à présent en vue de résoudre le problème structurel de la non-exécution des décisions de justice internes ;
ENCOURAGE VIVEMENT les autorités ukrainiennes à faire preuve d’une plus forte volonté politique afin d’aboutir à des résultats tangibles et de donner la priorité au respect des obligations que leur impose la Convention et des arrêts de la Cour, afin de garantir l’exécution intégrale et en temps voulu des décisions de justice internes ;
INVITE les autorités ukrainiennes à mettre en place une politique nationale efficace, coordonnée au plus haut niveau du gouvernement, en vue de la mise en œuvre effective de la série de mesures annoncées et des autres mesures éventuellement nécessaires pour régler ce problème ;
ENCOURAGE VIVEMENT les autorités ukrainiennes à donner la priorité aux projets de loi annoncés devant le Comité des Ministres, notamment le projet de loi portant modification de certains actes juridiques en Ukraine (sur la protection des droits durant la phase d’enquête, les procédures judiciaires et l’exécution des décisions judiciaires dans un délai raisonnable) ;
ENCOURAGE les autorités, en attendant l’adoption des projets de loi annoncés, [à] songer à prendre des mesures provisoires limitant autant que possible le risque de nouvelles violations similaires de la Convention, et en particulier :
– à envisager l’adoption de mesures similaires à celles prises dans le secteur de l’enseignement dans d’autres secteurs posant les mêmes problèmes ;
– à prendre des mesures garantissant une gestion et un contrôle efficaces des entités et des sociétés détenues par l’État afin d’éviter la formation de dettes envers les employés ;
– à garantir en pratique la responsabilité effective des fonctionnaires responsables de la non-exécution ;
– à indemniser directement sur la base de la Convention et de la jurisprudence de la Cour les personnes victimes de retards d’exécution de décisions de justice, comme le prévoit la loi relative à l’exécution des arrêts et à l’application de la jurisprudence de la Cour européenne ;
INVITE les autorités ukrainiennes à songer à trouver des solutions appropriées, en plus des mesures annoncées, dans les domaines suivants :
– améliorer la planification budgétaire, notamment en s’assurant de la compatibilité entre les lois budgétaires et les obligations pécuniaires de l’État ;
– garantir l’existence de mécanismes spéciaux permettant l’attribution de crédits supplémentaires pour éviter les retards d’exécution inutiles de décisions de justice si les crédits budgétaires initiaux sont insuffisants ; et
– garantir l’existence d’une procédure appropriée efficace et des fonds suffisants pour l’exécution des décisions de justice internes rendues contre l’État ;
(…) »
125. Lors de sa 1236e réunion, tenue du 22 au 24 septembre 2015, le Comité des Ministres a examiné l’état d’exécution de l’arrêt pilote Ivanov. Il s’est exprimé ainsi :
« Mesures générales33 : (a) Mesures concernant l’introduction d’un recours interne : Depuis que l’arrêt pilote a été rendu, le Comité s’est principalement concentré sur la question de la mise en place des recours internes : la loi sur les « garanties apportées par l’État en matière d’exécution des décisions judiciaires » a été adoptée le 5 juin 2012 par le Parlement et est entrée en vigueur le 1er janvier 2013. Elle a introduit une nouvelle procédure spécifique pour l’exécution des décisions judiciaires rendues à l’encontre de l’État après son entrée en vigueur. Le 19 septembre 2013, le Parlement a adopté des amendements à cette loi, élargissant son champ d’application aux « anciennes » décisions judiciaires (en vigueur depuis le 16 octobre 2013) (la « loi relative au recours »). En vertu de la loi relative au recours, l’État garantit l’exécution des décisions de justice internes rendues contre l’État, contre une entité publique ou contre une société dont les biens ne peuvent être vendus conformément à la législation en vigueur. Cette garantie implique, notamment, un paiement automatique du Trésor public en cas de défaut de l’entité concernée. La garantie est limitée par les fonds prévus à cet effet par la loi de finances de chaque année (concernant tant les décisions de justice « anciennes » rendues avant la date d’entrée en vigueur de la loi relative au recours – le 1erjanvier 2013 – que les nouvelles décisions rendues après cette date).
Lors du dernier examen du présent groupe en juin 2015, le Comité a rappelé que le problème de la non‑exécution ou du retard dans l’exécution des décisions judiciaires internes persistait en Ukraine depuis plus d’une décennie, nonobstant les orientations données par le Comité des Ministres tout au long de ces années, notamment à travers ses cinq résolutions intérimaires[1], et l’arrêt pilote de la Cour européenne, tout en précisant que dans ce contexte la Cour européenne continue de communiquer au Gouvernement des affaires répétitives. Le Comité a relevé avec préoccupation que le recours introduit en 2013 ne semblait pas avoir résolu le problème en cause. Il a en outre noté les informations fournies en ce qui concerne le mécanisme alternatif de financement envisagé (voir ci-après) et exprimé ses préoccupations quant au fait que si ce mécanisme n’est pas soigneusement conçu, il pourrait compromettre les efforts des autorités visant à mettre en place un recours effectif pour les affaires du présent groupe. Le Comité a demandé de plus amples informations sur les caractéristiques de ce mécanisme. Enfin, le Comité a souligné que le mécanisme envisagé ne pouvait, en aucun cas, s’appliquer au paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour, lequel doit être effectué exclusivement selon les termes fixés par la Cour.
En réponse, dans leur plus récente communication du 9 juillet 2015[2] (DH‑DD(2015)763), les autorités ukrainiennes ont réitéré que la loi relative au recours était l’une des voies pour assurer l’exécution des décisions de justice internes. Elles ont admis, cependant, que les montants alloués à cette fin n’étaient pas suffisants pour couvrir toute la dette immédiatement. Les autorités ont fourni des chiffres détaillés concernant les montants prévus dans le budget de l’État ainsi que les montants effectivement payés en vertu de la loi relative au recours.
Dans sa communication du 26 mai 2015 (DH-DD(2015)595), l’ONG « Ukrainian Helsinki Human Rights Union (UHHRU) » a indiqué que le montant prévu dans le budget de l’État de 2015 pour le paiement des dettes en vertu de la loi relative au recours et de la satisfaction équitable octroyée par la Cour – 150 000 000 UAH – ne représentait qu’1 % de la dette totale. Elle a en outre soutenu que le montant réel de la dette était beaucoup plus important que celui indiqué par les autorités.
(b) Mécanisme alternatif d’exécution des décisions judiciaires : il est rappelé que dans leur plus récent plan d’action d’avril 2015 (voir DH-DD(2015)419), les autorités ukrainiennes ont indiqué qu’un nouveau mécanisme alternatif d’exécution des décisions judiciaires était en train d’être développé. Ce mécanisme consiste, en substance, à transformer les dettes résultant de la non-exécution des décisions judiciaires dont l’exécution est garantie par l’État et les arrêts de la Cour, accumulées au 1er janvier 2015 (pour un montant total de 7 544 562 370 UAH) en bons du trésor payables pendant une période allant jusqu’à sept ans. Il est envisagé qu’une petite partie seulement (jusqu’à 10 %) sera versée en argent, dans la limite des fonds prévus à cet effet par la loi « Sur le budget d’État de 2015 ». Une première évaluation de ce mécanisme est fournie ci-dessus sous (a).
Dans leur plus récent plan d’action mis à jour du 9 juillet 2015 (DH-DD(2015)763), les autorités ukrainiennes n’ont pas fourni d’information plus détaillée concernant le mécanisme envisagé, en précisant seulement que le travail à cet égard continuait.
Dans sa communication du 26 mai 2015 (DH-DD(2015)595), l’ONG « Ukrainian Helsinki Human Rights Union (UHHRU) » a indiqué que, selon elle, ce mécanisme avait de sérieux défauts. Elle a souligné notamment que le taux d’intérêt envisagé de 3 % était trop faible, ne couvrant même pas le taux d’inflation annuel. En outre, elle a indiqué que la période de 7 ans prévue pour le paiement en bons du Trésor était trop longue.
Dans sa communication au Comité des Ministres du 10 juin 2015 (DD(2015)608) concernant les affaires répétitives, le Greffier de la Cour européenne a indiqué que « l’Ukraine constitue le plus sérieux problème avec quelque 9 000 requêtes concernant un seul problème, à savoir la non-exécution d’arrêts internes. » Le Greffier a noté que la procédure d’arrêt pilote « n’a pas produit les résultats escomptés au niveau national, si bien que la Cour devra traiter les affaires individuellement. »
(…)
1236e réunion – Notes :
Mesures individuelles : Il est noté que les autorités ukrainiennes ont fourni certaines informations concernant le paiement de la satisfaction équitable, des intérêts de retard accumulés et l’exécution des décisions de justice internes dans certaines des affaires du présent groupe. Cependant, ces informations n’ont pas été systématisées et, par conséquent, il est impossible d’évaluer les progrès réalisés concernant le paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour européenne ou le nombre des décisions de justice internes exécutées. Au vu du nombre particulièrement important des arrêts concernés, le Secrétariat a proposé son assistance aux autorités ukrainiennes pour les aider à faire l’inventaire de toutes les dettes restant dues concernant les mesures individuelles, y compris le montant des dettes résultant des décisions de justice internes.
Mesures générales : La communication du 9 juillet 2015 ne contient aucune information pertinente nouvelle en réponse aux préoccupations exprimées par le Comité des Ministres concernant le recours ainsi que le mécanisme de restructuration de la dette envisagé.
Il est noté que la loi sur le recours n’a pas permis de résoudre le problème de la non‑exécution des décisions de justice internes. L’obstacle principal, dans l’immédiat, à sa mise en œuvre effective est le manque d’allocations budgétaires suffisantes. Cette situation est très préoccupante et demande une action résolue de la part des autorités ukrainiennes.
Concernant le « mécanisme alternatif de paiement par les bons du trésor », les autorités ukrainiennes n’ont fourni aucune information en réponse aux préoccupations exprimées lors de la dernière réunion de juin 2015, notamment sur le fait que le mécanisme envisagé ne peut s’appliquer au paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour, lequel doit être effectué exclusivement selon les termes et délais fixés par cette dernière. Il est escompté que les autorités ukrainiennes confirment cela et fournissent des informations complémentaires sur le mécanisme de paiement alternatif, notamment sa relation avec le mécanisme de recours introduit en 2013.
À ce stade, il est de la plus grande importance que les autorités ukrainiennes élaborent une feuille de route sur la façon de traiter ce problème déjà ancien. Il est nécessaire, avant tout, de faire un inventaire complet de la dette existante à ce jour, y compris, éventuellement, les intérêts de retard.
Enfin, il est noté qu’au vu de la complexité particulière de ce problème, les autorités ukrainiennes pourraient souhaiter explorer toutes les possibilités d’assistance du Conseil de l’Europe afin d’élaborer une stratégie fiable pour le résoudre. (…) »
______________________
33 Voir les Notes de la dernière réunion DH de juin 2015 pour plus de détails sur les mesures prises ainsi que leur analyse
126. Lors de sa 1259e réunion, tenue du 7 au 9 juin 2016, le Comité des Ministres s’est à nouveau penché sur l’état d’exécution de l’arrêt pilote Ivanov et il a déclaré ce qui suit :
« (…) État d’exécution
Mesures individuelles : lors de son dernier examen du présent groupe d’affaires en septembre 2015 (1236e réunion (DH), le Comité a invité les autorités ukrainiennes à systématiser les informations fournies concernant le paiement de la satisfaction équitable, y compris une estimation du montant de la dette restant due.
Les autorités ukrainiennes n’ont pas fourni d’information en réponse à la décision du Comité susvisée.
Mesures générales :
Comme le Comité l’a souligné à plusieurs occasions, le problème de non-exécution ou de retard dans l’exécution des décisions judiciaires internes persiste en Ukraine depuis plus d’une décennie, nonobstant les indications données par le Comité pendant des années, notamment à travers ses cinq résolutions intérimaires, ainsi que l’arrêt pilote de la Cour. Le Comité des Ministres a notamment souligné que la non‑exécution des décisions judiciaires internes « représente un important danger surtout pour le respect de l’État de droit, risque d’ébranler la confiance des citoyens à l’égard du système judiciaire et met en cause la crédibilité de l’État (…) ».
En dépit de nombreuses tentatives entreprises par les autorités ukrainiennes, notamment la mise en place d’un recours en 2013 (…), les mesures prises jusqu’à présent n’ont pas permis de résoudre ce problème. En conséquence, l’afflux continu de requêtes devant la Cour s’accroît. Plus récemment, la Chambre de la Cour saisie d’affaires similaires s’est dessaisie en faveur de la Grande Chambre (le 8 décembre 2015 (…) et ces affaires sont actuellement pendantes devant la Grande Chambre.
Le 8 avril 2016, le Représentant Spécial du Secrétaire Général pour l’Ukraine, M. Christos Giakoumopoulos, a adressé une lettre au Ministre de la Justice ukrainien, M. Pavlo Petrenko, dans laquelle il a exprimé les préoccupations du Comité des Ministres concernant l’absence de progrès dans l’adoption de mesures nécessaires pour l’exécution de ces affaires. Il a proposé d’organiser une réunion de consultation avec les autorités concernées ainsi qu’avec d’autres organisations internationales intéressées, comme par exemple le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, afin d’identifier des pistes pour résoudre ce problème (DH-DD(2016)575). Les autorités ukrainiennes ont répondu positivement à cette proposition. En conséquence, une réunion a eu lieu à Kiev le 12 mai 2016 avec la participation des vice-ministres de la Justice, des Finances et des Affaires Étrangères de l’Ukraine, le Représentant permanent de l’Ukraine auprès du Conseil de l’Europe, les représentants du Bureau de l’Agent du Gouvernement auprès de la Cour européenne et du Fond Monétaire International.
Lors de ces consultations, les autorités ukrainiennes ont fourni les informations suivantes :
Concernant les affaires pendantes devant la Cour européenne, les autorités ukrainiennes ont indiqué qu’elles étaient en train de prendre des mesures pour régler quelque 10 000 affaires du type Ivanov. À cet effet, elles sont en train de calculer le montant de la dette relative aux décisions judiciaires internes non exécutées dans ces affaires. Sur la base de ce travail, elles envisagent de proposer à la Cour européenne des règlements amiables ou des déclarations unilatérales pour l’ensemble des affaires pendantes.
Concernant le recours interne (voir les notes pour les 1230e et 1236e réunions DH), les autorités ont admis que la législation ayant introduit le recours interne en 2013 n’était que partiellement effective. À l’heure actuelle, il y aurait quelque 120 000 titulaires de décisions judiciaires non exécutées en attente de recevoir le paiement de la compensation prévue en vertu de la législation sur le recours. Le montant estimé de la dette relative à l’ensemble de ces décisions est d’environ UAH 2,5 milliards (environ 89 millions d’euros selon le taux de change actuel).
Concernant le système de paiement alternatif par des bons du Trésor (voir les notes pour les 1230e et 1236e réunions DH), les autorités ont indiqué que ce système n’était pas encore applicable. Jusqu’à présent, aucun des titulaires de décisions judiciaires non exécutées n’a demandé à bénéficier de ce système. Il est rappelé que le montant total de la dette relative aux décisions judiciaires qu’il était prévu de transformer en bons du Trésor est d’environ UAH 7,5 milliards (environ 267 millions d’euros selon le taux de change actuel).
Concernant l’inventaire de l’ensemble des dettes existantes, les autorités ont indiqué que cet inventaire a débuté en 2013 et qu’il n’était pas terminé. Elles ont indiqué qu’il n’existait pas en Ukraine de registre unifié des décisions judiciaires et, qu’en conséquence, le nombre total de ces décisions n’était pas connu.
Les autorités ont en outre indiqué que le montant total de la dette relative à l’ensemble des décisions judiciaires non exécutées était difficile à calculer dans la mesure où toutes les décisions judiciaires n’avaient pas été inventoriées. En outre, certaines décisions judiciaires relatives aux droits sociaux prévoient le recalcul de différentes prestations par les services de l’État concernés.
Les autorités ont réitéré que la cause fondamentale du problème dans ces affaires était le manque d’allocations budgétaires pour l’ensemble des droits sociaux existant en Ukraine. Cette situation résulte de l’absence d’étude d’impact sérieuse concernant les droits et privilèges sociaux accordés en Ukraine dans le passé.
Analyse du Secrétariat
Il est apparu lors des consultations susvisées que le problème de la non-exécution des décisions judiciaires internes a atteint un niveau nécessitant des mesures résolues. Ce problème peut être considéré sous deux angles interdépendants :
Concernant les affaires pendantes devant la Cour européenne, le règlement de toutes les affaires pendantes par le biais de règlements amiables ou de déclarations unilatérales serait une réponse adéquate de la part des autorités ukrainiennes. Un tel règlement découle également des obligations incombant à l’Ukraine en vertu de l’arrêt pilote Ivanov. Cette solution permettrait non seulement de décharger la Cour européenne d’un nombre important d’affaires répétitives, mais aussi de donner satisfaction aux requérants ayant introduit des requêtes devant la Cour européenne. En conséquence, il est escompté que les autorités ukrainiennes achèvent le travail entamé en vue de régler les affaires pendantes.
Cependant, il convient de noter que le règlement des affaires pendantes devant la Cour ne pourrait constituer une solution durable au problème car la Cour serait toujours confrontée au risque d’afflux de nouvelles affaires si la cause fondamentale du problème n’est pas traitée.
Concernant une solution durable au problème, il est ressorti des consultations que le recours interne introduit en 2013 ne peut être considéré comme un recours effectif dans la mesure où le financement adéquat pour sa mise en œuvre n’a pas été assuré.
Le système de paiement alternatif par des bons du Trésor, élaboré l’année dernière, ne semble pas non plus permettre de résoudre le problème puisque rien n’indique que les autorités sont en train de l’appliquer pour l’exécution des décisions. En tout état de cause, les conditions de la mise en œuvre de ce système n’ont pas été exposées clairement au Comité nonobstant les invitations faites dans ce sens à l’Ukraine lors des 1230e et 1236e réunions DH (voir les décisions adoptées lors de ces réunions).
Comme cela a été admis par les autorités ukrainiennes, le manque de fonds au sein de l’État est la raison principale de l’inefficacité de toutes les mesures adoptées jusqu’à présent. Les autorités ukrainiennes n’ont jusqu’à présent fourni aucune information sur le montant de la dette de l’État envers les titulaires de décisions judiciaires non exécutées. La seule estimation approximative fournie concerne le calcul réalisé sur la base des demandes pour bénéficier de la loi sur le recours ainsi que l’application éventuelle du système de paiement alternatif par des bons du Trésor (UAH 10 milliards, soit environ 356 millions d’euros selon le taux de change actuel incluant UAH 2,5 milliards concernant la loi sur le recours et UAH 7,5 milliards concernant le système des bons du Trésor).
Dans ces circonstances, la première étape nécessaire serait de calculer le montant de la dette relative aux décisions non exécutées en Ukraine. La deuxième étape serait de mettre en place un système de paiement selon certaines conditions, ou contenant des solutions alternatives, pour veiller à l’exécution des décisions non exécutées. La troisième étape serait la mise en place d’ajustements nécessaires au budget de l’État pour garantir des fonds suffisants pour le fonctionnement effectif du système de paiement susvisé ainsi que la mise en place des procédures nécessaires pour assurer la prise en compte des contraintes budgétaires lors de l’adoption des lois afin de prévenir des situations de non-exécution des décisions judiciaires internes rendues à l’encontre de l’État ou d’entreprises d’État. »
127. Lors de sa 1265e réunion, tenue les 20 et 21 septembre 2016, le Comité des Ministres a déclaré ce qui suit au sujet de l’état d’exécution de l’arrêt pilote Ivanov :
« (…) Il a été noté lors du dernier examen des affaires du présent groupe en juin 2016 qu’il est apparu des consultations susvisées que le problème de non-exécution des décisions judiciaires internes a atteint un niveau nécessitant des mesures résolues. Il a été noté, en outre, que les mesures proposées par les autorités ukrainiennes pour régler l’ensemble des affaires pendantes devant la Cour européenne par le biais de règlements amiables ou de déclarations unilatérales seraient une réponse adéquate. Un tel règlement découle également des obligations incombant à l’Ukraine en vertu de l’arrêt pilote Ivanov. En revanche, un tel règlement ne pourrait constituer une solution durable au problème car la Cour serait toujours confrontée au risque d’afflux de nouvelles affaires si la cause fondamentale du problème n’est pas traitée. Au vu de ces considérations, une stratégie en trois étapes a été proposée aux autorités ukrainiennes avec pour but de trouver une solution durable et viable.
Il est noté avec un profond regret que, nonobstant les indications claires du Comité lors de sa réunion de juin 2016, les autorités ukrainiennes n’ont pas réagi à ces indications. C’est là matière à préoccupation dans la mesure où cette situation crée un risque sérieux pour le système de la Convention. Il convient de noter à cet égard que le nombre d’affaires similaires pendantes devant la Cour a maintenant dépassé les 10 000 et qu’il augmente rapidement. En conséquence, il est indispensable que les autorités ukrainiennes réagissent à la décision adoptée par le Comité lors de sa dernière réunion DH et prennent des mesures résolues sans plus de retard.
(…)
Décisions :
Les Délégués
1. rappellent que le problème de la non-exécution ou du retard dans l’exécution des décisions judiciaires nationales persiste en Ukraine depuis plus de dix ans et qu’aucun progrès tangible n’a été accompli à ce jour ;
2. expriment leur profond regret qu’aucune mesure n’ait été prise par les autorités ukrainiennes en réponse à la décision adoptée lors de la réunion DH de juin 2016, notamment concernant le règlement des affaires similaires pendantes devant la Cour européenne et la mise en œuvre de la stratégie en trois étapes visant à trouver une solution durable et viable au problème de non-exécution ou de retard dans l’exécution des décisions judiciaires internes ;
3. soulignent qu’au vu du nombre en augmentation des requêtes introduites devant la Cour européenne, l’inaction continue des autorités créerait une charge supplémentaire indue pour le système de la Convention ;
4. en conséquence, en appellent aux autorités ukrainiennes pour qu’elles prennent des mesures résolues sans plus de retard.
5. décident de reprendre l’examen de ce groupe d’affaires lors de leur réunion DH de mars 2017 au plus tard.
(…) »
128. Lors de sa 1288e réunion, tenue le 7 juin 2017, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle Résolution intérimaire relative au groupe d’affaires de type Ivanov et déclaré ce qui suit :
« Vu l’arrêt pilote de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») du 15 octobre 2009 dans l’affaire Yuriy Nikolayevich Ivanov contre l’Ukraine et 418 affaires dans le groupe Zhovner transmis au Comité pour la surveillance de leur exécution en vertu de l’article 46 de la Convention ;
Rappelant que les problèmes révélés par ces affaires, notamment la non-exécution ou l’exécution tardive des décisions judiciaires internes définitives et l’absence de recours effectif à cet égard, sont pendants devant le Comité depuis 2004 ;
Rappelant en outre que, depuis plus d’une décennie, le Comité a demandé aux autorités, dans cinq résolutions intérimaires et de nombreuses décisions d’adopter, en priorité, les mesures nécessaires dans son système juridique interne et de prendre des mesures résolues sans plus tarder, y compris de mettre en œuvre la stratégie suivante en trois étapes :
– calcul du montant de la dette découlant des décisions non exécutées ;
– introduction d’un régime de paiement avec certaines conditions, ou contenant des solutions alternatives, pour l’exécution des décisions judiciaires non encore exécutées ;
– introduction des ajustements nécessaires dans le budget de l’État afin que des fonds suffisants soient mis à disposition pour le bon fonctionnement du mécanisme de paiement susmentionné, ainsi que des procédures nécessaires pour que les contraintes budgétaires soient dûment prises en compte lors de l’adoption de la législation, afin de prévenir les situations de non-exécution de décisions judiciaires internes rendues contre l’État ou les entreprises d’État ;
Rappelant la position constante du Comité selon laquelle les problèmes à l’origine des violations constatées par la Cour dans ces arrêts sont à grande échelle et de nature complexe et que leur résolution exige la mise en œuvre de mesures complètes et complexes à la fois au niveau central et niveau local ;
Notant que certaines mesures ont été prises pour lancer une réflexion sur la mise en œuvre de la stratégie en trois étapes mais qu’à ce jour, il n’a été fait état d’aucun progrès concret à cet égard ;
Notant en outre l’absence de progrès en ce qui concerne une approche unifiée ou une stratégie globale pour régler les affaires déjà pendantes devant la Cour européenne et prévenir un afflux de nouvelles requêtes portées devant elle ;
RAPPELANT à nouveau que le dysfonctionnement du système judiciaire, en raison de la non-exécution ou de l’exécution tardive des décisions judiciaires internes, représente un danger important pour le respect de l’État de droit, porte atteinte à la confiance des personnes dans le système judiciaire et remet en question la crédibilité de l’État ;
NOTE qu’au vu du nombre croissant de requêtes portées devant la Cour européenne, l’absence de progrès place une charge supplémentaire indue sur le système de la Convention ;
EXPRIME sa profonde inquiétude quant à l’absence de progrès concret dans la mise en œuvre de l’arrêt pilote après tant d’années ;
APPELLE les autorités à fournir des informations complètes relatives au paiement de la satisfaction équitable et, le cas échéant, à l’exécution des décisions judiciaires internes, et un calendrier précis pour la présentation d’informations complètes et mises à jour concernant les mesures individuelles ;
INVITE INSTAMMENT les autorités, au plus haut niveau politique, à se conformer à leur engagement à résoudre le problème de la non-exécution des décisions judiciaires internes et à adopter en priorité les mesures générales nécessaires pour respecter pleinement l’arrêt pilote et visant à trouver une solution durable au problème de la non-exécution ou l’exécution tardive des décisions judiciaires internes ;
INVITE les autorités à coopérer pleinement avec le Comité et le Secrétariat en vue de réaliser des progrès tangibles dans la mise en œuvre de la stratégie en trois étapes sur la base d’un calendrier clair et réaliste et d’établir une solution viable à long terme pour la non-exécution ou l’exécution tardive des décisions judiciaires définitives ;
DÉCIDE de reprendre l’examen de ce groupe d’affaires lors de la 1302e réunion (décembre 2017) (DH). »
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
129. En application de l’article 42 § 1 du règlement, et eu égard au fait que les présentes requêtes tirent leur origine de la violation systémique de la Convention constatée dans l’arrêt Ivanov (paragraphes 11-15 ci-dessus), la Cour décide de les joindre.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
130. Les requérants se plaignent d’une violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 en raison de la non-exécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice internes rendues en leur faveur. Les première et cinquième requérantes allèguent également l’absence de recours interne effectif, y voyant une violation de l’article 13 de la Convention. Les parties pertinentes de ces articles se lisent ainsi :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
(…) »
A. Les observations des parties
1. Le Gouvernement
131. Le Gouvernement soutient que le problème de la non-exécution des décisions internes constaté par la Cour dans l’arrêt pilote Ivanov perdure en raison de l’importance de la dette accumulée au cours des années et de l’insuffisance des fonds affectés à l’exécution pleine et entière des décisions en question. À cet égard, il reconnaît que la Cour n’a pas pour tâche d’examiner les nombreuses requêtes, introduites contre l’Ukraine, comprenant des griefs tirés de la non-exécution de décisions internes. Il avance que ces requêtes ne soulèvent aucune question juridique au regard de la Convention et qu’elles relèvent de la jurisprudence bien établie de la Cour. En conséquence, il estime que c’est à lui qu’il appartient de résoudre ce problème et de fournir un recours approprié au niveau interne pour traiter tous les griefs de cette nature.
132. Il considère que les sommes importantes allouées par la Cour au titre de la satisfaction équitable dans les affaires de non-exécution de décisions internes, qui selon lui excèdent souvent les montants réclamés par les requérants dans le cadre des procédures internes, seraient mieux employées à l’exécution effective des créances. Renvoyant aux données publiées par la direction générale des statistiques de Kiev, il indique que le montant moyen des pensions de retraite mensuelles était en 2015 d’environ 72 EUR. En conséquence, il est d’avis que même une somme de 1 000 EUR octroyée au titre de la satisfaction équitable dans une affaire de non‑exécution de type Ivanov serait excessive eu égard à l’évolution du taux de change au cours de ces deux dernières années.
133. Concernant les mesures générales requises pour l’exécution de l’arrêt Ivanov, le Gouvernement affirme que les autorités nationales s’efforcent de mettre en œuvre diverses réformes du système d’exécution des décisions de justice. À cet égard, il indique que pour remplir les obligations mises à leur charge par l’arrêt pilote, les autorités ont pris les mesures suivantes :
a) en 2015, le dépôt devant le Parlement ukrainien (Verkhovna Rada), pour examen, de deux projets de loi portant respectivement sur « les autorités et leurs agents chargés de l’exécution des jugements et des décisions » et sur « les procédures d’exécution ». Ces projets de loi, qui seraient fondés sur les normes internationales applicables en la matière, instaureraient un système d’exécution mixte des jugements internes par des huissiers de l’État et des agents d’exécution privés. Le Gouvernement estime que ces nouvelles dispositions législatives permettront d’alléger la charge qui pèse sur les huissiers de l’État en réduisant leur volume de travail et le temps passé à faire exécuter les décisions de justice internes. Il ajoute que ces projets de loi prévoient la mise en place d’un système efficace d’échanges électroniques entre les autorités de l’État visant à accélérer la localisation des biens des débiteurs et à contrôler de manière effective les activités des huissiers ;
b) l’élaboration de règlements pour la mise en œuvre des projets de loi susmentionnés (textes d’application de la loi) ;
c) les travaux de mise en place d’un système de qualification et de formation continue des huissiers de l’État et des agents d’exécution privés en coopération avec les experts du projet de l’Union européenne portant sur l’« appui à la réforme du secteur de la justice en Ukraine » et avec les experts nationaux dans ce domaine.
134. Le Gouvernement indique qu’en attendant la pleine mise en œuvre des réformes susmentionnées il est prêt à proposer d’autres procédures destinées à alléger la charge pesant sur la Cour et à fournir un redressement adéquat et suffisant aux personnes qui se trouvent dans une situation analogue à celle des requérants dans les affaires de type Ivanov. Il ajoute qu’à cet effet il pourrait tenir des réunions de haut niveau avec un certain nombre de ministères, le représentant du Secrétaire général du Conseil de l’Europe et d’autres institutions internationales.
135. Pour conclure, le Gouvernement se dit conscient de la frustration que peut occasionner à la Cour l’absence de solutions claires et cohérentes au problème en cause. Il assure donc à celle-ci qu’il est déterminé à mettre un terme à cette situation et à prouver qu’il entend se conformer aux obligations découlant de la Convention et de l’appartenance de l’Ukraine au Conseil de l’Europe.
2. Les requérants
136. Les requérants se plaignent de la non-exécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice internes rendues en leur faveur. Ils allèguent la violation de leurs droits découlant de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Les première et cinquième requérantes soulèvent également un grief sur le terrain de l’article 13 relativement à l’absence de recours interne effectif. L’ensemble des requérants soutiennent que rien ne permet de distinguer leurs requêtes des constats opérés par la Cour dans l’arrêt Ivanov et que leur situation révèle au contraire que le dysfonctionnement du système interne identifié dans l’arrêt en question perdure.
137. Les requérants estiment que la pratique de la Cour consistant à allouer une somme forfaitaire de 2 000 EUR censée couvrir tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens dans les affaires de type Ivanov ne constitue pas une satisfaction équitable adéquate au sens de l’article 41 de la Convention. Ils exposent que leur pays a connu une poussée inflationniste considérable en 2014 (24,9 %) et en 2015 (43,3 %), qui aurait entraîné une dépréciation de leurs créances reconnues par des décisions de justice, demeurées inexécutées durant ce laps de temps. Ils indiquent que la législation interne permet aux créanciers de droit privé de demander que leurs créances soient indexées sur un taux d’inflation officiel pendant toute la période de défaut d’exécution auquel s’ajoute un taux d’intérêt annuel de 3 % sur les sommes restant dues, mais qu’elle ne prévoit aucune mesure de compensation pour les créanciers de droit public en ce qui concerne la non-exécution de décisions de justice internes. En d’autres termes, le taux des intérêts moratoires applicables aux dettes publiques serait bien inférieur au taux applicable en matière civile et commerciale. En conséquence, les requérants invitent la Cour, lorsqu’elle alloue des indemnités au titre de l’article 41, à prendre en considération les pertes causées par l’inflation élevée en Ukraine pendant la période de défaut d’exécution.
138. Les requérants affirment que la législation interne, notamment la loi du 5 juin 2012 sur les garanties apportées par l’État en matière d’exécution des décisions judiciaires, n’offre pas de recours effectif propre à assurer un redressement adéquat et suffisant pour la non-exécution ou l’exécution tardive de décisions internes. Ils avancent par ailleurs que l’introduction de nombreuses requêtes répétitives devant la Cour s’explique par le climat d’impunité dont bénéficieraient les agents de l’État qui violent la Convention.
139. Enfin, dans leur mémoire du 28 avril 2016 en réponse aux observations du Gouvernement exposées ci-dessus, les requérants ont invité la Cour à poursuivre l’examen de leurs requêtes et à ne pas les laisser affronter le Gouvernement en un combat inégal. À leurs yeux, si la pression externe que la Cour exerce en rendant des arrêts qui prévoient le versement d’une satisfaction équitable venait à disparaître, le Gouvernement ne résoudrait pas le problème et ne mettrait pas en place un recours approprié au niveau interne.
B. Sur la recevabilité
140. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
C. Appréciation de la Cour
1. Considérations préliminaires
141. Au cœur des présentes requêtes se trouve la répartition des compétences établie par la Convention entre, d’un côté, la Cour, dont la fonction est « d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (…) Convention et de ses Protocoles » (article 19 de la Convention) et, de l’autre côté, le Comité des Ministres, qui « surveille l’exécution » des arrêts définitifs de la Cour (article 46 de la Convention). La façon de concevoir cette répartition des responsabilités a évolué à la lumière de la jurisprudence de la Cour, qui elle-même se développe de manière à tenir compte des changements de circonstances, notamment de la multiplication des violations structurelles et systémiques de la Convention. L’introduction par la Cour, dans Broniowski c. Pologne ((fond) [GC], no 31443/96, CEDH 2004‑V), de la procédure de l’arrêt pilote pour faire face au phénomène des requêtes répétitives découlant de telles violations, suivie d’autres innovations dans l’application de cette procédure, a donné une nouvelle dimension aux rôles respectifs de la Cour et du Comité des Ministres prévus par la Convention (voir aussi les paragraphes 156-164 ci‑dessous).
142. Compte tenu de cette évolution, il s’avère nécessaire de préciser où se situent les responsabilités lorsqu’il s’agit de traiter les problèmes découlant de la non-exécution d’un arrêt pilote.
2. Les requêtes pendantes devant la Cour et l’arrêt Ivanov
143. Les présentes requêtes, introduites par quatre personnes et une société anonyme de droit privé, font partie d’un groupe de 12 143 requêtes similaires actuellement pendantes devant la Cour (paragraphes 8 et 43 ci‑dessus). Ces affaires tirent leur origine du problème systémique identifié dans l’arrêt pilote Ivanov (précité, §§ 83-88) – à savoir divers dysfonctionnements du système juridique ukrainien qui entravent l’exécution de jugements définitifs, entraînant ainsi un problème systémique de non-exécution ou d’exécution tardive de décisions judiciaires internes – combiné avec l’absence de voies de recours internes effectives relativement à ces défaillances (Ivanov, §§ 83-84).
144. La Cour ne peut que rappeler les conclusions qu’elle a formulées dans l’arrêt pilote Ivanov (§§ 89-93), à savoir que les problèmes structurels qu’elle était appelée à examiner étaient vastes et compliqués par nature et qu’ils nécessitaient la mise en œuvre de mesures considérables et complexes, éventuellement de caractère législatif et administratif, faisant intervenir diverses instances nationales. Dans ce contexte, elle a également observé que le Comité des Ministres était mieux placé et outillé qu’elle pour surveiller les réformes que l’Ukraine devait adopter à cet égard (Ivanov, § 90).
145. La Cour a reconnu qu’il revenait au Comité des Ministres de déterminer le meilleur moyen de traiter les problèmes identifiés et d’indiquer à l’État défendeur les mesures d’ordre général requises, mais elle a néanmoins souligné que l’Ukraine devait réformer sans délai sa législation et sa pratique administrative de manière à les mettre en conformité avec les conclusions de la Cour et à satisfaire aux exigences de l’article 46 de la Convention (Ivanov, § 92). Elle a donc indiqué dans le dispositif de l’arrêt que « l’État défendeur [devait] sans retard, et au plus tard dans le délai d’un an à compter de la date à laquelle [l’]arrêt sera[it] devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, mettre en place un recours ou un ensemble de recours internes effectifs permettant aux justiciables concernés d’obtenir un redressement adéquat et suffisant pour la non-exécution ou l’exécution tardive de décisions de justice internes, conformément aux principes de la Convention tels qu’établis dans la jurisprudence de la Cour » (Ivanov, point 5 du dispositif, cité au paragraphe 15 ci-dessus).
146. Toutefois, bien qu’un laps de temps important se soit écoulé depuis le prononcé de l’arrêt pilote Ivanov le 15 octobre 2009, le gouvernement ukrainien n’a toujours pas mis en œuvre les mesures générales nécessaires et propres à remédier aux causes profondes du problème systémique identifié par la Cour, ni mis en place un recours effectif garantissant une réparation à toutes les victimes au niveau interne. Ainsi que les autorités elles‑mêmes l’ont maintes fois admis (Ivanov, §§ 77 et 84) et que le Comité des Ministres l’a reconnu dans la Résolution intérimaire de 2008, adoptée avant l’arrêt Ivanov (paragraphe 124 ci-dessus), le problème de la non‑exécution ou de l’exécution tardive de décisions judiciaires perdurait déjà à cette époque en Ukraine depuis plus d’une décennie. Ce problème n’est pas résolu, malgré les autres orientations données par le Comité des Ministres à l’État défendeur tout au long de ces années, à travers six résolutions intérimaires ultérieures (paragraphes 125-127 ci-dessus).
147. Entre-temps, depuis l’introduction des premières requêtes en 1999, la Cour a reçu quelque 29 000 requêtes de type Ivanov (paragraphes 43 et 44 ci-dessus), dont 14 430 ont été examinées par diverses formations judiciaires de la Cour. Cependant, 12 143 de ces requêtes, dont la plupart ont été introduites dans les années 2013-2017, sont encore en attente d’un examen judiciaire, bien que ces dernières années la Cour ait fait application d’une procédure abrégée accélérée au moyen d’arrêts et de décisions groupés (paragraphes 43 et 44 ci-dessus). Certains requérants se plaignent de l’inexécution de jugements internes qui ont déjà donné lieu à des arrêts de la Cour.
3. L’impact de la non-exécution de l’arrêt pilote Ivanov
148. L’Ukraine persistant depuis de nombreuses années à ne pas exécuter l’arrêt Ivanov, le problème systémique de l’inexécution de décisions de justice internes est demeuré irrésolu, d’où un nombre considérable de requêtes s’inscrivant dans la lignée de celle tranchée par l’arrêt pilote en question et soulevant des problèmes identiques en substance à ceux de la présente espèce.
149. Le gouvernement ukrainien a admis ne pas avoir mis en œuvre les mesures générales de redressement indiquées dans l’arrêt pilote et il a également reconnu que le problème systémique identifié dans cet arrêt était en principe susceptible de toucher tout détenteur d’un jugement interne non exécuté en Ukraine (paragraphes 130-134 ci-dessus). Selon des données que le Gouvernement a fournies au Comité des Ministres, on compte à l’heure actuelle quelque 120 000 détenteurs de décisions judiciaires non exécutées (paragraphe 126 ci-dessus).
150. La situation décrite ci-dessus, avec un afflux massif de requêtes, risque de peser sur la capacité de la Cour à remplir la mission que lui assigne l’article 19 relativement à d’autres requêtes méritant un examen. Dans ce contexte, la Cour estime important de rappeler qu’à la date du prononcé du présent arrêt 72 100 affaires considérées comme méritant un examen sont en attente, dont plus de 27 000 concernent des questions non répétitives au regard de la Convention, notamment des allégations de violations graves des droits de l’homme.
151. Le fait que l’État défendeur persiste à ne pas prendre de mesures générales appropriées, laissant ainsi le problème systémique irrésolu, a conduit la Cour à adopter une pratique consistant à traiter les affaires de type Ivanov dans le cadre d’une procédure abrégée, simplifiée et accélérée pour rendre des arrêts et décisions de radiation groupés, qui se limitent pour l’essentiel à une déclaration de violation et à l’octroi d’une satisfaction équitable. Cette procédure a permis aux requérants concernés d’obtenir rapidement une décision qui leur a apporté une réparation financière (voir, par exemple, Rozhenko et autres c. Ukraine [comité], nos 2644/04 et 23 autres, 11 avril 2013 ; voir aussi les paragraphes 28-29 ci‑dessus).
152. Toutefois, cette politique judiciaire consistant à statuer de manière groupée sur des affaires n’a pas eu d’impact significatif sur le problème systémique global identifié dans Ivanov. Elle n’a pas davantage produit de progrès manifestes dans la procédure d’exécution (paragraphes 43-44, 124‑128 et 131 ci-dessus). De plus, chaque année un nombre croissant de requérants, faute de bénéficier d’un redressement adéquat au niveau interne, saisissent la Cour en vue d’obtenir un dédommagement financier au titre de l’article 41 de la Convention. Comme la Cour l’a relevé ci-dessus (paragraphe 146), certaines nouvelles requêtes portent sur la non‑exécution de décisions internes ayant déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention.
153. Lors de l’adoption de l’arrêt Ivanov, fin septembre 2009, 1 400 affaires s’inscrivant dans la lignée de celle tranchée par cet arrêt se trouvaient pendantes devant la Cour (Ivanov, précité, § 86). À l’heure actuelle, si la Cour a déjà traité 14 430 affaires de ce groupe, 12 143 sont encore pendantes (Ivanov, précité, § 86 ; voir aussi les paragraphes 43-44 ci-dessus).
154. La seule conclusion que l’on puisse tirer de la situation actuelle est que, si la Cour examine de manière identique ou similaire les présentes requêtes et toutes les autres affaires du même type, elle sera immanquablement confrontée à la perspective de voir un nombre croissant de requérants ukrainiens s’adresser à elle pour obtenir un redressement (paragraphe 148 ci-dessus). Pour conclure ainsi, la Cour s’appuie également sur l’analyse de la situation livrée par le Comité des Ministres lors de sa réunion des 20 et 21 septembre 2016, selon laquelle les mesures destinées à résoudre toutes les affaires déjà pendantes au moyen de règlements amiables ou de déclarations unilatérales ne constitueraient pas une solution durable au problème dès lors que la Cour resterait confrontée au risque de voir affluer de nouvelles affaires tant que la cause fondamentale du problème ne serait pas traitée (paragraphe 127 ci-dessus).
155. La Cour observe qu’elle risque de devenir un rouage du système ukrainien d’exécution des décisions de justice et de se substituer aux autorités ukrainiennes en ordonnant « un redressement adéquat et suffisant pour la non-exécution ou l’exécution tardive de décisions de justice internes », comme requis au point 5 du dispositif de l’arrêt Ivanov. Cette tâche est incompatible avec le rôle subsidiaire que la Cour est censée jouer par rapport aux Hautes Parties contractantes en vertu des articles 1 (obligation de respecter les droits de l’homme) et 19 de la Convention, et elle va directement à l’encontre de la logique de la procédure de l’arrêt pilote mise au point par la Cour.
156. La Cour doit donc rechercher comment faire face à cette situation de manière optimale en respectant la logique de la procédure de l’arrêt pilote telle que conçue dans l’arrêt Broniowski((fond), précité, § 193) et en se conformant au principe de subsidiarité qui sous-tend cette logique. Il lui faut en particulier déterminer si elle doit faire office de mécanisme d’indemnisation pour les nombreuses requêtes répétitives introduites devant elle après l’adoption d’un arrêt pilote ou d’un arrêt de principe dont le Comité des Ministres doit surveiller l’exécution en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention.
4. L’objet et le but de la procédure de l’arrêt pilote
a) Principes généraux
157. La Cour doit faire face depuis près de vingt ans à un contentieux de masse découlant de différents problèmes structurels ou systémiques dans les États contractants. Ces déficiences en matière de droits de l’homme au sein des États membres engendrent un nombre sans cesse croissant de requêtes auprès de la Cour et menacent l’efficacité à long terme du système de protection des droits de l’homme créé par la Convention (paragraphe 111 ci‑dessus ; voir aussi Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V, Di Mauro c. Italie [GC], no 34256/96, § 23, CEDH 1999‑V, et Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 148, CEDH 2000‑XI).
158. La procédure de l’arrêt pilote a été conçue en réponse à l’augmentation de la charge de travail de la Cour, causée par une série d’affaires résultant du même dysfonctionnement structurel ou systémique, et pour garantir l’efficacité à long terme du mécanisme de la Convention (paragraphes 108-112 ci-dessus ; voir aussi Broniowski (fond), précité, §§ 190 et 191).
159. La double finalité de cette procédure est, d’une part, de réduire la menace pour le bon fonctionnement du système de la Convention et, d’autre part, de faciliter la résolution la plus rapide et la plus efficace d’un dysfonctionnement constaté dans la protection des droits conventionnels dans l’ordre juridique interne. En intégrant au processus d’exécution de l’arrêt pilote les intérêts de toutes les autres victimes actuelles ou potentielles du problème systémique identifié, la procédure en question vise à apporter une réparation appropriée à toutes les victimes actuelles ou potentielles de ce dysfonctionnement ainsi qu’au(x) requérant(s) particulier(s) de l’affaire pilote (Broniowski (fond), précité, § 193). Cette mise en place d’un « redressement adéquat et suffisant » – pour reprendre les termes du point 5 du dispositif de l’arrêt Ivanov – constitue, suivant la logique de la procédure de l’arrêt pilote, une obligation conventionnelle associée à l’exécution de l’arrêt pilote, dont le Comité des Ministres surveille le respect, le rôle de la Cour se limitant pour l’essentiel à identifier un problème systémique et, le cas échéant, à indiquer des mesures générales de redressement à prendre au titre de l’exécution. Ainsi, la procédure de l’arrêt pilote a pour effet de placer dans le cadre du processus d’exécution l’octroi d’une réparation aux victimes dans les affaires s’inscrivant dans la lignée d’une affaire tranchée par un arrêt pilote (Broniowski (fond), précité, §§ 191, 193 et 194, Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, §§ 36 et 37, CEDH 2005‑IX, Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 238, CEDH 2006‑VIII, Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, CEDH 2012 (extraits), Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres c. Pologne (déc.), no 3485/02, §§ 86-87, CEDH 2011 (extraits), et Anastasov et autres c. Slovénie (déc.), no 65020/13, §§ 94-96, 18 octobre 2016). Par ailleurs, la Cour n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires répétitives qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches, qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (voir, mutatis mutandis, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99 et 7 autres, § 69, CEDH 2010, cité dans Gerasimov et autres c. Russie, nos 29920/05 et 10 autres, §§ 207 et 210, 1er juillet 2014).
160. Il s’ensuit que l’appréciation par la Cour de la situation dénoncée dans l’affaire « pilote » s’étend nécessairement au-delà des seuls intérêts du requérant dont il s’agit et commande à la Cour d’examiner l’affaire aussi sous l’angle des mesures générales devant être prises dans l’intérêt des autres personnes déjà touchées ou potentiellement touchées (Hutten‑Czapska, précité, § 238, Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), no 50003/99, § 73, 4 décembre 2007, Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres, décision précitée, §§ 86-87, et Anastasov et autres, décision précitée, §§ 94‑96).
161. Selon la logique de l’arrêt pilote, l’État défendeur est donc tenu d’éliminer la source de la violation pour l’avenir et de réparer le préjudice déjà subi non seulement par le ou les requérant(s) de l’affaire pilote mais aussi par toutes les autres victimes de violations du même type. L’objectif est que, dans le cadre des mesures générales requises de la part de l’État défendeur, toutes les autres victimes soient incorporées dans la procédure d’exécution de l’arrêt pilote.
b) Exemples d’arrêts pilotes
162. Depuis l’arrêt Broniowski du 22 juin 2004, la Cour a rendu trente‑cinq arrêts pilotes définitifs, dans lesquels elle enjoignait aux États contractants concernés de prendre des mesures générales dans l’intérêt de toutes les victimes, actuelles ou potentielles, afin de résoudre divers dysfonctionnements dans la protection nationale des droits de l’homme identifiés par elle comme des problèmes « systémiques » ou « structurels », notamment :
– des dysfonctionnements législatifs ou de mauvaises pratiques touchant les droits patrimoniaux (Hutten-Czapska, précité, Suljagić c. Bosnie‑Herzégovine, no 27912/02, 3 novembre 2009, Maria Atanasiu et autres c. Roumanie, nos 30767/05 et 33800/06, 12 octobre 2010, et Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex‑République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, CEDH 2014) ;
– la durée excessive de procédures (Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, CEDH 2005‑X, Rumpf c. Allemagne, no 46344/06, 2 septembre 2010, Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, 21 décembre 2010, Dimitrov et Hamanov c. Bulgarie, nos 48059/06 et 2708/09, 10 mai 2011, Finger c. Bulgarie, no 37346/05, 10 mai 2011, Ümmühan Kaplan c. Turquie, no24240/07, 20 mars 2012, Michelioudakis c. Grèce, no 54447/10, 3 avril 2012, Glykantzi c. Grèce, no 40150/09, 30 octobre 2012, Rutkowski et autres c. Pologne, nos 72287/10 et 2 autres, 7 juillet 2015, et Gazsó c. Hongrie, no 48322/12, 16 juillet 2015) ;
– des mauvaises conditions de détention (Orchowski c. Pologne, no 17885/04, et Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, 22 octobre 2009, Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, 10 janvier 2012, Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et 6 autres, 8 janvier 2013, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10 et 5 autres, 27 janvier 2015, Varga et autres c. Hongrie, nos 14097/12 et 5 autres, 10 mars 2015, et Rezmiveş et autres c. Roumanie, nos 61467/12 et 3 autres, 25 avril 2017) ;
– la non-exécution de jugements et décisions internes définitifs (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, CEDH 2009, Olaru et autres c. Moldova, nos 476/07 et 3 autres, 28 juillet 2009, Ivanov, précité, Manushaqe Puto et autres c. Albanie, nos 604/07 et 3 autres, 31 juillet 2012, et Gerasimov et autres, précité) ;
– d’autres questions (Xenides-Arestis c. Turquie, no 46347/99, 22 décembre 2005, Kauczor c. Pologne, no 45219/06, 3 février 2009, Greens et M.T. c. Royaume-Uni, nos 60041/08 et 60054/08, CEDH 2010 (extraits), Kurić et autres, précité, M.C. et autres c. Italie, no 5376/11, 3 septembre 2013, et W.D. c. Belgique, no 73548/13, 6 septembre 2016).
163. La plupart des arrêts pilotes ont été mis en œuvre avec succès au moyen de mesures générales de redressement adoptées par les États défendeurs. Dans les cas où ces mesures ont inclus une nouvelle voie de droit – indemnitaire ou autre – propre à offrir un redressement suffisant et adéquat au niveau interne, la Cour a déclaré irrecevables pour non‑épuisement des voies de recours internes les affaires s’inscrivant dans la lignée de celles tranchées par un arrêt pilote et elle les a « renvoyées » aux États en question (voir, par exemple, Demopoulos et autres, précité, Nagovitsyn et Nalgiyev c. Russie (déc.), nos 27451/09 et 60650/09, 23 septembre 2010, Łatak c. Pologne (déc.), no 52070/08, 12 octobre 2010, Müdür Turgut et autres c. Turquie (déc.), no 4860/09, 26 mars 2013, Balakchiev et autres c. Bulgarie (déc.), no 65187/10, 18 juin 2013, Valcheva et Abrashev c. Bulgarie (déc.), nos 6194/11 et 34887/11, 18 juin 2013, Techniki Olympiaki A.E. c. Grèce (déc.), no 40547/10, 1er octobre 2013, Stella et 10 autres c. Italie (déc.), no 49169/09, 16 septembre 2014, et Xynos c. Grèce, no 30226/09, 9 octobre 2014).
164. Dans les cas où les États ont modifié leur législation en offrant au niveau interne une réparation aux victimes actuelles ou potentielles d’une violation systémique, de sorte que la poursuite de l’examen par la Cour de requêtes similaires ne se justifiait plus, celle-ci a rayé du rôle les affaires concernées au motif que le litige avait été résolu, au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention, par l’adoption de mesures générales, notamment des recours indemnitaires ménageant un redressement avec effet rétroactif (Wolkenberg et autres, décision précitée, §§ 72-77, E.G. c. Pologne et 175 autres affaires de la rivière Boug (déc.), no 50425/99, §§ 22-25, CEDH 2008 (extraits), Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres, décision précitée, §§ 82-89, et Anastasov et autres, décision précitée, §§ 89‑102).
En vertu de décisions de la Cour consécutives à la mise en œuvre de mesures générales, trois procédures d’arrêt pilote ont été formellement clôturées (E.G. c. Pologne et 175 autres affaires de la rivière Boug, décision précitée, §§ 25-29 et point 2 du dispositif, Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres, décision précitée, § 90 et point 3 du dispositif, et Anastasov et autres, décision précitée, § 103 et point 2 du dispositif).
c) Procédure à suivre pour le traitement des affaires s’inscrivant dans la lignée de celle tranchée par un arrêt pilote de la Cour
165. Comme indiqué ci-dessus (paragraphe 159), l’application de la procédure de l’arrêt pilote implique que la Cour examine les questions en jeu également sous l’angle de l’intérêt des autres personnes potentiellement touchées. Cette appréciation porte nécessairement sur la procédure à suivre pour les affaires similaires – pendantes ou susceptibles d’être soumises à l’avenir à la Cour (voir, entre autres, Broniowski (fond), précité, § 198, Bourdov (no 2), précité, §§ 142-146, et Rutkowski et autres, précité, §§ 223‑229).
166. Depuis l’arrêt Broniowski, la Cour a pour pratique constante, dans les arrêts pilotes, non seulement de statuer sur l’affaire pilote mais aussi de prendre diverses décisions d’ordre procédural concernant le traitement à venir des affaires s’inscrivant dans la lignée de celle tranchée par un arrêt pilote de la Cour, qu’il s’agisse d’affaires communiquées au gouvernement défendeur ou de nouvelles affaires. Ainsi, la Cour a souvent décidé d’ajourner des affaires similaires en attendant la mise en œuvre de mesures générales par l’État défendeur (voir, entre autres, Broniowski (fond), précité, § 198, Hutten-Czapska, précité, § 247, Kurić (fond), précité, § 415, Ivanov, précité, §§ 97-99 et point 7 du dispositif, Olaru et autres, précité, §§ 60-61 et point 6 du dispositif, Bourdov (no 2), précité, § 146 et point 8 du dispositif, Rutkowski et autres, précité, §§ 227-229 et points 10 et 11 du dispositif, Gerasimov et autres, précité, § 232 et point 14 du dispositif, et W.D. c. Belgique, précité, § 174 et point 7 du dispositif). La Cour a mis fin à l’examen de requêtes similaires qui étaient déjà pendantes devant elle et suspendu l’examen des requêtes non encore enregistrées à la date du prononcé de l’arrêt pilote (Greens et M.T., précité, §§ 121-122). Elle a également anticipé ses décisions sur la recevabilité d’affaires pendantes et futures, indiquant que dans certaines circonstances elle « pourrait [les] déclarer irrecevables au regard de la Convention » (Suljagić, précité, § 65). Le cas échéant, elle a décidé en vertu de l’arrêt pilote de communiquer toutes les requêtes similaires introduites devant elle avant la date du prononcé de l’arrêt (Rutkowski et autres, précité, §§ 226-227 et point 9 du dispositif). Cette pratique, qui englobe tout un éventail de solutions, reflète le principe de la procédure de l’arrêt pilote, qui veut que toutes les affaires tirant leur origine du même problème systémique soient intégrées dans le cadre de l’arrêt pilote et absorbées dans la procédure d’exécution de celui-ci (paragraphes 158-161 ci-dessus).
5. La nécessité d’adopter une nouvelle approche dans les affaires s’inscrivant dans la lignée d’Ivanov
167. En l’espèce, considérant les observations du Comité des Ministres (paragraphes 124-128 et 146 ci-dessus), la Cour, après avoir rendu un arrêt pilote qui jusqu’à présent n’a manifestement pas atteint ses objectifs (paragraphes 11-15 ci‑dessus), se trouve confrontée au défi de donner de nouvelles orientations.
168. Depuis l’enregistrement en 1999 des premières requêtes de type Ivanov, la Cour a été saisie de quelque 29 000 affaires similaires. Sur la seule période 2012-2017, elle a rendu dans ces affaires près de 6 000 décisions judiciaires. Dans celles-ci, par des arrêts ou des décisions de radiation groupés, elle a alloué aux requérants, pour préjudice matériel et moral, dans un premier temps des sommes allant de 1 000 EUR à 3 000 EUR et par la suite des indemnités forfaitaires d’un montant de 2 000 EUR dans toutes les affaires concernées (paragraphes 28, 32 et 43 ci‑dessus). Le montant total des sommes que l’Ukraine a été condamnée à verser pendant cette période au titre de la satisfaction équitable – environ 12 millions d’euros – représente une part importante de la valeur des créances reconnues dans les décisions de justice non encore exécutées, qui selon le gouvernement ukrainien s’élève à 89 millions d’euros (paragraphes 124-128 ci-dessus). Malgré cela, la Cour enregistre chaque mois plus de 200 requêtes de type Ivanov (paragraphe 44 ci-dessus).
169. Les affaires s’inscrivant dans la lignée d’Ivanov représentent actuellement près du tiers de l’ensemble des requêtes répétitives pendantes (paragraphe 8 ci-dessus). Le volume des affaires a continué d’augmenter en dépit des mesures procédurales et administratives qui ont été prises pour traiter ces affaires de la manière la plus rapide et efficace possible et malgré les orientations maintes fois données par le Comité des Ministres à l’État défendeur (paragraphes 23-44 et 124-128 ci‑dessus).
170. Dans l’exercice de sa fonction de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, le Comité des Ministres a clairement reconnu que la situation liée aux affaires de type Ivanov dans lesquelles l’État défendeur n’a pas mis en œuvre les mesures générales dans un délai raisonnable crée une menace sérieuse pour le système de la Convention (paragraphes 127 et 128 ci‑dessus). En l’espèce, la non-exécution par l’État défendeur de l’arrêt pilote génère depuis de nombreuses années un afflux constant et croissant de requêtes dans lesquelles le seul rôle de la Cour consiste à réitérer sans cesse le constat de violation de la Convention qu’elle a formulé dans l’arrêt Ivanov et à allouer une satisfaction équitable ou à prendre acte de la reconnaissance par le Gouvernement de l’existence d’une violation et de son engagement à verser une indemnité.
171. Dans le cadre de la pratique suivie jusqu’ici par la Cour (paragraphes 43 et 151 ci-dessus), l’inefficacité de l’exécution de l’arrêt Ivanov continue et continuera dans un avenir prévisible – sauf si la procédure devant le Comité des Ministres parvient à apporter une solution satisfaisante – à donner lieu à des constats répétitifs de violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à l’égard de chaque détenteur d’une décision de justice non exécutée en Ukraine. Selon les éléments dont le Comité des Ministres dispose, les détenteurs de décisions judiciaires non exécutées en Ukraine seraient au nombre de 120 000 (paragraphe 126 ci-dessus).
172. La Cour estime que la situation liée aux affaires de type Ivanov montre qu’il lui faut changer sa manière de traiter les affaires s’inscrivant dans la même lignée et résultant de la même cause systémique. Elle renvoie là encore à l’analyse livrée par le Comité des Ministres en septembre 2016, selon laquelle ce n’est pas par le règlement des affaires au moyen de procédures non contentieuses devant la Cour mais uniquement par une solution durable à la cause fondamentale du problème, adoptée dans le cadre de la procédure d’exécution, que l’on parviendra à répondre adéquatement à la situation actuelle (paragraphe 127 ci-dessus).
173. Même si dans l’affaire examinée il était possible d’offrir un redressement individuel par la voie d’une décision sur le fond et de l’octroi d’une satisfaction équitable pour préjudice moral (paragraphe 126 ci‑dessus), la Cour considère qu’il existe un solide intérêt général à adopter une approche susceptible, à plus long terme, de préserver les rôles respectifs que les articles 19 et 46 de la Convention attribuent à la Cour, à l’État défendeur et au Comité des Ministres (paragraphes 152-156 ci‑dessus).
174. Compte tenu des efforts qu’elle déploie depuis plus de seize ans pour examiner les affaires de type Ivanov (paragraphe 10 ci-dessus), la Cour conclut que la répétition des mêmes conclusions dans une longue série d’arrêts sur des affaires semblables n’apporterait rien et ne servirait pas mieux la justice mais pèserait lourdement sur les ressources de la Cour et accroîtrait encore le nombre déjà considérable d’affaires en souffrance. Une telle démarche ne contribuerait notamment pas de manière utile ou sensée au renforcement de la protection des droits de l’homme dans le système de la Convention (Greens et M.T., précité, § 120, E.G. c. Pologne et 175 autres affaires de la rivière Boug, décision précitée, § 27, et Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres, décision précitée, § 44).
175. À la lumière de ce qui précède, l’intérêt au regard de la Convention de poursuivre l’examen des requêtes de type Ivanov est clairement en cause. Il y a donc lieu de se demander s’il se justifie de continuer à examiner les affaires s’inscrivant dans la lignée d’Ivanov, eu égard aux articles 19 et 46 de la Convention et au pouvoir que l’article 37 § 1 c) de la Convention confère à la Cour de rayer une requête de son rôle lorsque pareille justification n’existe pas (pour le texte de l’article 37, voir le paragraphe 200 ci-dessous).
6. Sur la question de savoir si, eu égard aux articles 19 et 46 de la Convention, il se justifie de poursuivre l’examen des requêtes de type Ivanov
a) Concernant l’article 19
176. L’article 19 de la Convention énonce :
« Afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (…) Convention et de ses Protocoles, il est institué une Cour européenne des droits de l’homme, ci-dessous nommée « la Cour ». Elle fonctionne de façon permanente. »
177. Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le dire, il peut y avoir des cas où, après l’identification par elle d’un problème systémique dans un arrêt pilote, l’État défendeur retarde la mise en œuvre de mesures générales au-delà d’un délai raisonnable (Broniowski (fond), précité, § 198) et ne règle pas le problème, générant ainsi des violations répétées de la Convention pendant une durée indéterminée. La Cour a déclaré dans certaines affaires, notamment Ivanov, qu’en pareille hypothèse elle n’aura d’autre choix que d’examiner et de trancher les autres requêtes pendantes devant elle de manière à mettre en mouvement la procédure d’exécution devant le Comité des Ministres et d’assurer le respect de la Convention au niveau national (E.G. c. Pologne et 175 autres affaires de la rivière Boug, décision précitée, § 28, Ivanov, précité, § 100, et Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 136, CEDH 2014).
178. Dans plusieurs affaires, la Cour a toutefois mentionné la possibilité de suivre une autre approche, qu’elle juge aujourd’hui plus convaincante à la lumière de l’expérience tirée de la présente espèce.
179. Dans sa décision E.G. et 175 autres affaires de la rivière Boug c. Pologne (précitée), qui a clôturé la procédure d’arrêt pilote appliquée dans l’affaire Broniowski, la Cour, évoquant le rôle qui est le sien après le prononcé d’un arrêt pilote, a rappelé que sa tâche principale en vertu de la Convention était, comme indiqué à l’article 19, « d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (…) Convention et de ses Protocoles ». Elle a dit cependant que le fait de devoir continuellement rendre des décisions individuelles dans des affaires où plus aucune question ne se posait au regard de la Convention ne pouvait guère passer pour compatible avec cette tâche. Elle a ajouté que pareille démarche judiciaire ne contribuait pas non plus utilement ni d’une quelconque autre manière significative au renforcement de la protection des droits de l’homme en vertu de la Convention (ibidem, §§ 27-28).
180. La Cour n’a pas exclu que, à l’avenir, elle pourrait envisager de redéfinir son rôle à cet égard et refuser d’examiner des affaires de ce type (E.G. et 175 autres affaires de la rivière Bougc. Pologne, décision précitée, § 27).
181. Sur ce point, la Cour juge important de rappeler que, comme cela a été réaffirmé ci-dessus, l’un des objectifs essentiels de la procédure de l’arrêt pilote est d’inciter l’État défendeur à mettre en place une réparation pour toutes les victimes de la violation systémique, la responsabilité de l’apport de cette réparation incombant nécessairement aux autorités internes. La mission principale de la Cour est définie par l’article 19 de la Convention, les décisions au titre de l’article 41 revêtant une importance secondaire. En conséquence, et eu égard au but de la procédure de l’arrêt pilote, qui, cela a été dit ci-dessus, est d’aider les États contractants à résoudre au niveau national leurs problèmes systémiques, garantissant ainsi aux personnes concernées la jouissance de leurs droits et libertés résultant de la Convention, comme l’exige l’article 1 de celle-ci, le rôle de la Cour au regard de l’article 19 ne peut être transformé en une mission d’octroi de dédommagements financiers individualisés dans les affaires répétitives procédant de la même situation systémique (Wolkenberg et autres, décision précitée, § 76, Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres, décision précitée, § 87, et Anastasov et autres, décision précitée, §§ 95-96).
182. Pour la Cour, l’expérience ayant montré que la pratique suivie jusqu’ici dans les affaires de type Ivanov (paragraphes 148-156 ci-dessus) était inapte à atteindre le but poursuivi, le temps est venu pour elle, comme indiqué dans E.G. et 175 autres affaires de la rivière Boug c. Pologne (décision précitée, § 27), de redéfinir son rôle dans les situations où l’État défendeur n’a pas pris de mesures générales de redressement dans un délai raisonnable, ainsi que les conséquences à en tirer à la lumière de l’article 46 de la Convention.
b) Concernant l’article 46
183. Les passages pertinents de l’article 46 de la Convention se lisent ainsi :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.
(…) »
184. Comme indiqué ci-dessus, depuis le prononcé de l’arrêt Ivanov, la Cour, après avoir ajourné les affaires s’inscrivant dans la lignée de celle tranchée par cet arrêt, en a repris l’examen par deux fois. Elle a rendu quelque 6 000 décisions judiciaires exécutoires et a soit constaté une violation de la Convention au moyen d’un arrêt et alloué une satisfaction équitable, soit pris acte de la reconnaissance par le Gouvernement d’une violation et de l’offre de celui-ci de verser une satisfaction équitable aux requérants (paragraphe 43 ci-dessus). Toutefois, cette répétition constante de décisions judiciaires n’a pas servi à grand-chose et ne s’est pas accompagnée de progrès satisfaisants au niveau de l’exécution. La procédure d’exécution mise en mouvement par la série d’arrêts et de décisions rendus par la Cour est demeurée inefficace, bien que le Comité des Ministres ait examiné la question dans le cadre de la procédure de surveillance soutenue, outil conçu pour les arrêts ayant constaté des violations de la Convention qui sont très graves et systémiques (paragraphe 118 ci-dessus).
185. Aux termes de l’article 1 de la Convention, et conformément au principe fondamental de subsidiarité qui sous-tend la Convention, les États parties « reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis [dans la] Convention ». Sur le fondement de ce principe et de leur obligation découlant de l’article 46 § 1 de « se conformer aux arrêts définitifs de la Cour », les États parties ont une responsabilité collective partagée en matière d’exécution des arrêts de la Cour, le rôle de surveillance et la responsabilité à cet égard étant confiés au Comité des Ministres en vertu de l’article 46 § 2 (paragraphes 113-118 ci-dessus).
186. La Cour rappelle sur ce point que les États contractants ont maintes fois exprimé leur vive préoccupation au sujet de la menace que les affaires répétitives font peser sur la crédibilité et l’efficacité du système de la Convention. Ils ont toujours souligné que l’exécution efficace des arrêts de la Cour était cruciale pour garantir l’efficacité à long terme des organes de surveillance de la Convention (paragraphes 109-111 ci-dessus).
187. Dans ce contexte, en adoptant le Protocole no 14 à la Convention comme pièce centrale de l’ensemble des mesures de réforme prises par les États contractants pour garantir l’efficacité à long terme du système de la Convention (voir aussi Broniowski (fond), §§ 190-191), le Comité des Ministres a indiqué que l’exécution rapide et complète des arrêts de la Cour était primordiale pour éviter que la Cour ne soit engorgée par un grand nombre de requêtes répétitives. Il a également souligné que les États contractants avaient la responsabilité collective de l’aider face à un autre État contractant qui refuserait de se conformer, expressément ou du fait de son comportement, à un arrêt définitif de la Cour dans un litige auquel il est partie (paragraphes 108-109 ci‑dessus).
188. Les États parties ont donc reconnu l’importance capitale que l’exécution des arrêts de la Cour dans le contexte des affaires répétitives revêt pour le fonctionnement efficace du mécanisme de la Convention et se sont engagés collectivement à veiller à ce que les arrêts de la Cour révélant des défaillances systémiques soient pleinement mis en œuvre. En témoignent les déclarations adoptées lors d’une série de conférences de haut niveau sur l’avenir de la Cour (paragraphes 119-123 ci-dessus).
189. La Déclaration d’Interlaken a appelé les États parties à s’engager à « exécuter pleinement les arrêts de la Cour, en assurant que les mesures nécessaires seront prises pour prévenir de futures violations similaires » (paragraphe 120 ci-dessus).
190. La Déclaration d’Izmir a invité les États à « [c]oopérer pleinement avec le Comité des Ministres dans le cadre des nouvelles méthodes de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour » (paragraphe 121 ci‑dessus).
191. Dans la Déclaration de Brighton, les États ont souligné ceci : « [l]es requêtes répétitives ont le plus souvent pour origine des problèmes systémiques ou structurels au niveau national. Il incombe aux États parties concernés, sous la surveillance du Comité des Ministres, de faire en sorte que ces problèmes et les violations qui en découlent soient réglés dans le cadre de l’exécution effective des arrêts de la Cour ». Ils ont également dit qu’ils « rest[aient] préoccupés par le grand nombre de requêtes répétitives en instance devant la Cour », se sont félicités « que celle-ci continue d’appliquer des mesures proactives, en particulier la procédure de l’arrêt pilote, pour traiter les violations répétitives » et ont encouragé « les États parties, le Comité des Ministres et la Cour à travailler de concert pour trouver les moyens de régler le grand nombre de requêtes résultant de problèmes systémiques identifiés par la Cour » (paragraphe 122 ci-dessus).
192. Dans leur déclaration la plus récente, adoptée à Bruxelles les 26‑27 mars 2015, les États contractants ont rappelé la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention et, en particulier, le rôle premier joué par les autorités nationales. Ils ont souligné l’importance d’une exécution pleine, effective et rapide des arrêts et d’un engagement politique fort des États parties à ce sujet, renforçant ainsi la crédibilité de la Cour ainsi que du système de la Convention en général. Les États contractants ont en outre relevé que « l’accent [devait] désormais être mis sur les défis actuels, notamment les requêtes répétitives résultant de la non-exécution d’arrêts de la Cour (…) et les difficultés des États parties à exécuter certains arrêts, en raison de l’ampleur, de la nature ou du coût des problèmes soulevés » (paragraphe 123 ci-dessus).
193. Comme l’indique la Déclaration de Brighton (paragraphe 3 de la Déclaration, citée au paragraphe 122 ci-dessus), la Cour partage avec les États contractants « la responsabilité de la mise en œuvre effective de la Convention, sur la base du principe fondamental de subsidiarité ». Cependant, la compétence de la Cour telle que définie à l’article 19 de la Convention et son rôle découlant de l’article 46 de la Convention dans le contexte de la procédure de l’arrêt pilote ne vont pas jusqu’à garantir la mise en œuvre de ses propres arrêts. La Cour ne peut pas non plus être transformée en un organe qui surveille l’exécution des arrêts.
194. La répartition des tâches entre la Cour et le Comité des Ministres est claire. La Cour peut aider l’État défendeur à remplir ses obligations au regard de l’article 46 en s’efforçant d’indiquer le type de mesures qu’il pourrait prendre en vue de mettre fin à un problème systémique identifié par elle. En revanche, c’est au Comité des Ministres qu’il appartient de surveiller l’exécution de l’arrêt et de s’assurer que l’État s’acquitte de son obligation juridique découlant de l’article 46, notamment par l’adoption des mesures générales de redressement que peut requérir l’arrêt pilote aux fins d’une réparation pour toutes les autres victimes, actuelles ou potentielles, de la défaillance systémique constatée (Broniowski (fond), §§ 193-194). Ainsi, dans l’affaire Broniowski, la Cour a dit que l’État défendeur devait garantir par des mesures légales et administratives appropriées la réalisation effective et rapide du droit en question relativement aux autres demandeurs concernés au niveau national (Broniowski (fond), § 194).
195. La situation à laquelle la Cour est confrontée dans les affaires de type Ivanov résulte pour l’essentiel de l’exécution inefficace de l’arrêt définitif de la Cour, lequel exige l’adoption de mesures générales sous la surveillance du Comité des Ministres aux fins de l’élimination de la cause profonde d’un problème systémique générant continuellement de nouvelles requêtes auprès de la Cour. Les difficultés en cause sont fondamentalement d’ordre financier et politique et, comme le montrent les faits survenus après l’arrêt pilote Ivanov (paragraphes 137, 142 et 168 ci-dessus), leur résolution ne relève pas de la compétence de la Cour au regard de la Convention et de l’article 19. Elles ne peuvent être traitées de manière appropriée que par l’État défendeur, d’une part, et le Comité des Ministres, d’autre part, ce dernier étant habilité par l’article 46 § 2 de la Convention à surveiller l’exécution des arrêts de la Cour.
196. Dès lors, il incombe à l’État défendeur et au Comité des Ministres d’assumer leurs responsabilités découlant de l’article 46 et de veiller à ce que l’arrêt pilote rendu par la Cour dans l’affaire Ivanov soit pleinement mis en œuvre et à ce que, en sus des mesures générales nécessaires pour traiter la cause profonde du problème, les requérants bénéficient d’un redressement approprié au niveau interne, notamment d’un mécanisme propre à leur offrir une réparation pour la violation de la Convention identifiée par la Cour, réparation jouant le même rôle que l’octroi d’une indemnité au titre de l’article 41 de la Convention (Broniowski (fond), précité, § 193 ; voir aussi, mutatis mutandis, Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres, décision précitée, § 88, et Anastasov et autres, décision précitée, § 98).
c) Conclusion
197. Les questions juridiques que pose sous l’angle de la Convention la non-exécution prolongée de décisions de justice en Ukraine ont déjà été résolues par la Cour dans l’arrêt pilote Ivanov. La Cour s’est ainsi acquittée de sa mission définie à l’article 19 de la Convention. En particulier, elle a identifié la défaillance systémique, déclaré que celle-ci emportait violation de la Convention, et donné des orientations quant aux mesures générales à adopter en vertu de l’article 46 pour une exécution satisfaisante de l’arrêt pilote de manière à assurer une réparation et un redressement à toutes les victimes – passées, actuelles et futures – de la violation systémique relevée. Au regard du principe de subsidiarité, qui sous-tend l’ensemble de la Convention et non uniquement la procédure de l’arrêt pilote, la question traitée dans l’arrêt pilote Ivanov, notamment la mise en place d’un redressement pour les victimes de la violation systémique de la Convention constatée dans Ivanov, est une question d’exécution relevant de l’article 46 de la Convention.
198. La présente affaire et l’ensemble des 12 143 requêtes similaires qui se trouvent pendantes devant la Cour, ainsi que les requêtes semblables qui pourraient lui être soumises à l’avenir, sont indissociables de la procédure d’exécution de l’arrêt pilote. Leur résolution, y compris les mesures individuelles de redressement, doit nécessairement être englobée dans les mesures générales d’exécution que l’État défendeur doit mettre en œuvre sous la surveillance du Comité des Ministres. En conséquence, toutes ces affaires doivent être traitées dans le cadre de la procédure d’exécution et notifiées au Comité des Ministres en sa qualité d’organe ayant dans le système de la Convention la responsabilité de veiller à ce que toutes les personnes touchées par le problème systémique constaté dans un arrêt pilote obtiennent justice et réparation (Broniowski (fond), précité, § 193, et Ivanov, précité, §§ 94-95), y compris les requérants dont les noms figurent sur les listes annexées au présent arrêt.
199. Compte tenu des compétences respectives de la Cour et du Comité des Ministres au regard des articles 19 et 46 de la Convention, la Cour ne peut que conclure que la poursuite par elle de l’examen de ces affaires selon la pratique adoptée jusqu’ici ne présente aucune utilité du point de vue des buts de la Convention. Cela étant, elle doit à présent rechercher si dans ces conditions elle peut et doit exercer le pouvoir que lui confère l’article 37 § 1 c) de rayer les requêtes de son rôle.
7. Application de l’article 37 de la Convention
200. Les passages pertinents de l’article 37 de la Convention sont ainsi libellés :
« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure
(…)
c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.
Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.
2. La Cour peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient. »
201. La procédure de l’arrêt pilote a pour vocation d’aider les États contractants à remplir le rôle qui est le leur dans le système de la Convention en résolvant ce genre de problème au niveau national, de sorte qu’ils reconnaissent par là même à toutes les victimes actuelles ou potentielles du problème systémique les droits et libertés définis dans la Convention, comme le veut l’article 1, en leur offrant un redressement plus rapide tout en allégeant la charge de la Cour qui, sinon, aurait à connaître de quantités de requêtes semblables en substance, aux dépens d’autres affaires appelant un examen (voir, parmi beaucoup d’autres, Broniowski (règlement amiable), précité, § 35, Hutten-Czapska (fond), précité, §§ 231-234, Ivanov, précité, § 95, Wolkenberg et autres, décision précitée, § 34 ; voir aussi les paragraphes 156-162 ci-dessus).
202. Eu égard à ce qui précède, et surtout au fait que les intérêts des présents requérants et de toutes les autres victimes actuelles ou potentielles du problème systémique en cause sont plus adéquatement protégés dans le cadre de la procédure d’exécution, la Cour a estimé plus haut que les buts de la Convention n’étaient pas servis au mieux si elle continuait à traiter les affaires de type Ivanov. Elle conclut donc que la poursuite de l’examen de cette affaire ne se justifie pas, aux fins de l’article 37 § 1 c). Il reste à déterminer si le « respect des droits de l’homme » exige néanmoins qu’elle poursuive cet examen.
203. Dans toutes les affaires de ce type, tout requérant actuel ou futur est en fait une « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, qui a le droit de voir exécuter pleinement l’arrêt pilote au niveau interne conformément à l’article 46 § 1 et d’obtenir un « redressement adéquat et suffisant », comme le requiert le point 5 du dispositif de l’arrêt Ivanov. Pareil redressement doit englober l’exécution des décisions de justice internes rendues en faveur des requérants. Dans ce contexte, la Cour réaffirme que, comme elle l’a dit à maintes reprises dans de nombreuses affaires de type Ivanov, l’État ukrainien demeure tenu d’exécuter les décisions de justice internes qui restent exécutoires (Pysarskyy et autres, précité, § 25).
204. Comme indiqué ci-dessus, les griefs soulevés dans ces requêtes doivent être réglés dans le cadre des mesures générales requises par l’exécution de l’arrêt pilote Ivanov, notamment la mise en place d’un redressement adéquat et suffisant pour les violations de la Convention constatées dans cet arrêt (paragraphes 154, 201-203 ci-dessus et point 5 du dispositif de l’arrêt pilote Ivanov), mesures qui sont soumises à la surveillance du Comité des Ministres. En conséquence, et eu égard aux différents processus engagés à cette fin, la Cour conclut par ailleurs que le respect des droits de l’homme au sens de l’article 37 § 1 in fine n’exige pas la poursuite de l’examen des requêtes en question du point de vue du redressement individuel.
205. En outre, la Cour estime que l’affaire ne soulève pas de questions importantes – autres que celles déjà clarifiées dans les différentes phases de la procédure d’arrêt pilote – concernant plus généralement les obligations que doivent remplir les États contractants en la matière (voir, a contrario, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 82, CEDH 2016). Au contraire, l’intérêt général que constitue le fonctionnement adéquat et efficace du système de la Convention milite en faveur de l’approche évoquée plus haut (paragraphes 143-161 et 168-199).
206. Eu égard à ce qui précède, et se fondant sur l’article 37 § 1 in fine, la Cour ne décèle pas de circonstances touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient qu’elle poursuive l’examen de la présente affaire et d’autres requêtes de type Ivanov.
207. Enfin, elle rappelle que cette conclusion est sans préjudice de la faculté dont elle dispose de réinscrire au rôle la présente requête ou toute autre requête similaire en vertu de l’article 37 § 2 si les circonstances le justifient (paragraphe 223 ci-dessous).
208. En conséquence, elle décide de rayer du rôle les requêtes, conformément à l’article 37 § 1 c) de la Convention.
8. Procédure à suivre dans les requêtes similaires
209. Comme dans les précédents arrêts pilotes (paragraphes 165 et 166 ci-dessus), la Cour estime approprié de fixer la procédure à suivre pour les requêtes similaires qui sont déjà pendantes ou qui seront introduites à l’avenir.
a) Considérations générales
210. La Cour est confrontée à un grave problème de surcharge qui tire son origine de situations structurelles ou systémiques existant au sein de différents États contractants (paragraphes 148 et suiv. ci-dessus). Ce phénomène risque de l’empêcher de se concentrer sur les affaires qui soulèvent des problèmes nouveaux et graves de respect de la Convention dans les États concernés et de traiter ces affaires en temps utile. La procédure de l’arrêt pilote, qui en substance consiste à renvoyer à l’ordre interne la responsabilité d’offrir un redressement une fois que la Cour a identifié le problème dans un arrêt pilote, a été mise au point pour parer à cette menace.
Comme le montre la pratique de la Cour évoquée plus haut (paragraphes 165-166), l’une des grandes caractéristiques de cette procédure est sa souplesse, qui permet à la Cour d’adapter ses décisions concernant les affaires du même type à un éventail de situations juridiques et factuelles pour atteindre le double objectif consistant à assurer la solution procédurale la plus efficace et à veiller à ce que l’État défendeur remplisse ses obligations découlant des articles 1 et 46 § 1 de la Convention, notamment pour ce qui est d’offrir une réparation adéquate à toutes les victimes, actuelles ou potentielles, de toute violation systémique constatée (Rutkowski et autres, précité, § 226, avec des références à Bourdov et Broniowski).
211. D’après l’article 31 de la Convention, la Grande Chambre est compétente en particulier pour se prononcer sur les requêtes introduites en vertu de l’article 34 lorsque l’affaire lui a été déférée par la chambre en vertu de l’article 30, comme en l’espèce. Aux termes de l’article 30 de la Convention, une chambre peut se dessaisir si l’affaire pendante devant elle soulève une question grave relative à l’interprétation de la Convention. L’article 43 de la Convention, qui régit le renvoi devant la Grande Chambre, dispose que pour faire l’objet d’un renvoi une affaire doit soulever une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général.
212. On peut déduire de ces dispositions que le rôle de la Grande Chambre consiste à examiner et résoudre les questions de caractère général concernant le système de la Convention. Dans le contexte d’un arrêt pilote, cela implique pour la Cour de se concentrer non seulement sur une affaire donnée dont elle est saisie, mais aussi sur le problème général qui a engendré cette affaire. Par définition, un arrêt pilote détermine l’issue d’une quantité d’affaires, outre l’affaire spécifique qui est pendante devant la Cour, et il englobe les intérêts d’autres personnes qui sont effectivement ou potentiellement touchées (paragraphes 157-165 ci-dessus). Cela a été accepté et reconnu par les États contractants (voir par exemple le point 20 c) de la Déclaration de Brighton, où la Conférence se félicite que la Cour continue d’appliquer la procédure de l’arrêt pilote – paragraphe 122 ci‑dessus). Non seulement la légitimité de la procédure de l’arrêt pilote n’est donc pas contestée, mais elle est désormais consacrée par le règlement de la Cour (article 61), comme les États contractants l’ont demandé dans la Déclaration d’Interlaken en appelant la Cour à « mettre en place des standards clairs et prévisibles (…) concernant la sélection des requêtes, la procédure à suivre et le traitement des affaires suspendues (paragraphe 120 ci-dessus). Dans la Déclaration de Brighton, les États ont par ailleurs envisagé que la procédure de l’arrêt pilote pourrait évoluer vers « une procédure selon laquelle la Cour pourrait enregistrer et statuer sur un petit nombre de requêtes représentatives sélectionnées dans un groupe de requêtes alléguant la même violation contre le même État partie défendeur, la décision de la Cour en l’espèce étant applicable à l’ensemble du groupe » (paragraphe 20 de la Déclaration, citée au paragraphe 122 ci-dessus).
213. La question se pose donc de savoir si, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, dans les affaires qui comme la présente espèce sont liées à une procédure d’arrêt pilote, la Grande Chambre peut joindre à l’affaire dont elle se trouve saisie en vertu de l’article 30 d’autres affaires pendantes qui connaîtront la même issue en vertu de la décision rendue dans l’affaire pour laquelle il y a eu dessaisissement, ou si elle doit adopter une décision ou un arrêt distincts pour les autres requérants. Il est clair qu’en vertu de l’article 42 § 1 du règlement une chambre aurait cette faculté et pourrait l’exercer à tout moment de la procédure antérieur au prononcé de son arrêt. Il apparaît a fortiori qu’il n’y a pas de raison valable pour que la formation de jugement la plus élevée de la Cour n’ait pas ce même pouvoir. Cette conclusion est renforcée par le principe exposé à l’article 71 § 1 du règlement, selon lequel « [l]es dispositions régissant la procédure devant les chambres s’appliquent, mutatis mutandis, à celle devant la Grande Chambre ». Cet article reflète la nécessité de veiller à la cohérence entre les procédures qui se déroulent devant les formations de la Cour. Par ailleurs, lorsqu’une chambre se dessaisit dans le cadre d’une procédure d’arrêt pilote, ce dessaisissement concerne en fait l’ensemble du processus, y compris les requêtes qui s’inscrivent dans la lignée de l’affaire pilote.
214. En outre, l’objet de l’arrêt pilote étant de placer toutes les victimes de la violation systémique identifiée sur un pied d’égalité pour l’obtention d’un redressement au moyen de la procédure d’exécution, il est à la fois plus approprié et plus efficace, du point de vue également de la garantie d’une justice individuelle, de poursuivre cet objectif par le biais d’un arrêt de Grande Chambre englobant l’ensemble des victimes qui ont jusque-là soumis leur grief à la Cour. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler dans ce contexte qu’aux termes de l’article 32 de la Convention la compétence de la Cour « s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par les articles 33, 34 et 47 » et qu’« en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide » (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 53, 17 septembre 2009).
215. Comme la Cour l’a observé ci-dessus, la résolution des présentes requêtes et des 12 143 requêtes pendantes, communiquées ou non à l’État défendeur, fait bien partie de la procédure d’exécution de l’arrêt pilote Ivanov, et un redressement pour le problème systémique constaté dans ledit arrêt doit être offert à toutes les victimes – notamment à toutes celles qui ont déjà introduit une requête auprès de la Cour – dans le cadre de la procédure d’exécution, sous la surveillance du Comité des Ministres (voir le point 5 du dispositif de l’arrêt Ivanov et les paragraphes 195-196 et 203-204 ci-dessus).
b) Affaires énumérées dans les annexes au présent arrêt
216. La liste des requêtes de type Ivanov pendantes devant la Cour à la date du prononcé du présent arrêt figure dans deux annexes à l’arrêt. Celles‑ci incluent 12 143 requêtes. L’annexe I énumère 7 641 requêtes qui ont été communiquées au gouvernement défendeur en application de l’article 54 § 2 b) du règlement. L’annexe II dresse la liste de 4 502 requêtes non encore communiquées au gouvernement défendeur.
217. L’ensemble des requérants dans ces affaires se plaignent pour l’essentiel, sous l’angle des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, de la non-exécution prolongée ou de l’exécution tardive de décisions de justice internes.
c) La décision adoptée par la Cour
218. Consciente de la menace générale que le phénomène des affaires répétitives fait peser sur le bon fonctionnement du système de la Convention, ainsi que de l’importance croissante qui est accordée à la responsabilité partagée et au principe de subsidiarité (paragraphes 119-123 ci-dessus), la Cour juge approprié d’appliquer aux requêtes répétitives de type Ivanovl’approche exposée ci-après.
i. Concernant les requêtes pendantes
219. Étant donné que toutes ces requêtes tirent leur origine du problème systémique constaté dans Ivanov et concernent pour l’essentiel les mêmes questions de fait et de droit que celles soulevées dans la présente affaire, et eu égard aux conclusions formulées plus haut (paragraphes 211-212), la Cour considère qu’il y a lieu de joindre ces requêtes à l’espèce, en application de l’article 42 § 1 du règlement combiné avec l’article 71 § 1 du règlement.
220. En outre, pour les raisons exposées plus haut (paragraphes 200-208 et 211-212), la Cour conclut que les 7 641 requêtes communiquées figurant dans la liste de l’annexe I et les 4 502nouvelles requêtes visées dans la liste de l’annexe II au présent arrêt doivent également être rayées du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention.
ii. Concernant les requêtes similaires futures
221. Le même raisonnement s’appliquant à toutes les requêtes bien fondées de type Ivanov qui pourraient être introduites après le prononcé du présent arrêt, la Cour pourra les rayer de son rôle et les transmettre directement au Comité des Ministres, à l’exclusion des requêtes jugées irrecevables en application de l’article 35 de la Convention.
222. De plus, gardant à l’esprit la résolution du Comité des Ministres du 12 mai 2004 sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent (Res(2004)3 – paragraphe 112 ci-dessus), la Cour veillera à ce que le Comité des Ministres et les organes du Conseil de l’Europe indiqués dans la résolution se voient dûment notifier toute requête similaire future et toute évolution pertinente concernant les affaires qui s’inscrivent dans la lignée d’Ivanov (Greens et M.T., précité, § 122). Le Comité des Ministres et l’État défendeur se verront transmettre les arrêts/décisions de la Cour dressant la liste de ces requêtes, qui devront alors être traitées dans le cadre des mesures générales d’exécution de l’arrêt pilote au niveau national, de manière à offrir un redressement approprié à tous les requérants dans ces affaires (voir aussi le point 5 du dispositif de l’arrêt Ivanov).
iii. Considération finale
223. Comme la Cour l’a indiqué plus haut (paragraphe 207), la décision de rayer de son rôle les requêtes qui s’inscrivent dans la lignée d’Ivanov est sans préjudice de la faculté dont elle dispose de réinscrire au rôle, en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention, si les circonstances le justifient, les requêtes dont la liste figure dans les annexes au présent arrêt, ou toute autre requête similaire future. La Cour prévoit qu’il sera peut-être indiqué de réexaminer la situation dans un délai de deux ans à compter de la date du prononcé du présent arrêt, afin de déterminer si dans l’intervalle des circonstances propres à justifier l’exercice de cette faculté se sont produites.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Décide, par dix voix contre sept, de joindre les cinq requêtes visées au paragraphe 1 du présent arrêt et les 12 143 requêtes dont la liste figure dans les annexes I et II au présent arrêt ;
2. Déclare recevables, à la majorité, les cinq requêtes (nos 46852/13, 47786/13, 54125/13, 56605/13 et 3653/14) introduites par Mme Lidiya Ivanivna Burmych et quatre autres ;
3. Dit, par treize voix contre quatre, que les cinq requêtes susmentionnées et les 12 143 requêtes dont la liste figure dans les annexes I et II au présent arrêt doivent être traitées dans le respect de l’obligation découlant de l’arrêt pilote rendu le 15 octobre 2009 dans l’affaire Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine (no 40450/04, 15 octobre 2009), arrêt ayant constaté l’existence d’un problème structurel emportant violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 ;
4. Décide, par dix voix contre sept, de rayer ces requêtes du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention et de les transmettre au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe afin qu’elles soient traitées dans le cadre des mesures générales d’exécution de l’arrêt pilote Ivanov susmentionné, notamment la mise en place d’un redressement pour la non-exécution ou l’exécution tardive de décisions internes, prévue au point 5 du dispositif de cet arrêt, et le règlement des créances reconnues par une décision de justice.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Roderick LiddellGuido Raimondi
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion dissidente commune aux juges Yudkivska, Sajó, Bianku, Karakaş, De Gaetano, Laffranque et Motoc ;
– opinion dissidente du juge Sajó.
G.R.
R.L.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES YUDKIVSKA, SAJÓ, BIANKU, KARAKAŞ, DE GAETANO, LAFFRANQUE ET MOTOC
(Traduction)
1. Le présent arrêt n’a rien à voir avec l’interprétation juridique des droits de l’homme. Il porte sur une question de politique judiciaire uniquement et, à ce titre, il modifie complètement le paradigme bien établi du système de la Convention. Bien sûr, la Cour européenne des droits de l’homme est censée se concentrer sur les violations des droits de l’homme les plus graves et sur les décisions de principe concernant les valeurs européennes. En revanche, elle ne peut à cause d’une lourde charge de travail cesser purement et simplement d’accomplir ses tâches judiciaires, laisser les requérants dans une situation incertaine et transférer sa responsabilité judiciaire à un organe politique qui, jusqu’à présent, n’a hélas guère eu de poids s’agissant d’aider le gouvernement défendeur à exécuter convenablement l’arrêt pilote et à adopter des mesures générales. La Cour elle-même a maintes fois souligné que les droits consacrés par la Convention doivent être concrets et effectifs et qu’un procès équitable ne se termine pas par un arrêt, mais qu’un arrêt doit aussi être dûment exécuté. La Cour devrait prendre au sérieux le fait que ce principe s’applique non seulement aux jugements nationaux mais également à ses propres arrêts. Chaque requérant qui saisit la Cour doit être pris au sérieux et ne pas être considéré comme une « charge ».
2. À notre grand regret, nous ne sommes pas d’accord avec la majorité sur la conclusion et le raisonnement, et ce pour diverses raisons.
i) Quant à la responsabilité judiciaire
3. Tout d’abord, nous marquons notre vif désaccord relativement au premier point du dispositif de l’arrêt. La majorité décide de joindre les requêtes en l’espèce et les 12 143 requêtes visées dans les annexes I et II à l’arrêt. Il n’apparaît pas, au vu de la procédure, que l’une quelconque de ces 12 143 autres affaires ait fait l’objet d’une appréciation judiciaire ayant porté sur les faits ou la qualification juridique des griefs formulés par les requérants concernés. La formation de la Grande Chambre qui s’est penchée sur la présente espèce ne connaît les circonstances d’aucune de ces 12 143 requêtes. De plus, seules quelques-unes d’entre elles ont été communiquées au gouvernement défendeur, qui à présent est en mesure de dire à la Cour si les requérants dans les affaires en question demeurent victimes des violations dont ils se sont plaints. Ainsi, nous nous considérons mal placés pour nous prononcer à partir de la présomption que ces affaires sont semblables aux cinq requêtes de l’espèce (nos 46852/13, 47786/13, 54125/13, 56605/13 et 3653/14), car nous n’avons pas été à même d’évaluer chaque affaire individuellement. En conséquence, nous estimons inappropriée la décision de joindre ces affaires aux requêtes dans les affaires Burmych, Yaremchuk, Varava, Neborachko et Izolyatsiya, PAT.
4. Deuxièmement, et en conséquence, nous ne saurions souscrire à la conclusion à laquelle parvient la majorité au point 4 du dispositif de l’arrêt. Étant donné que ni la Grande Chambre ni aucune autre formation judiciaire de la Cour n’a apprécié les faits et les aspects juridiques de chacune des 12 143 autres requêtes, nous ne pouvons nous rallier à la position de la majorité selon laquelle ces requêtes devaient être traitées dans le respect de l’obligation découlant de l’arrêt pilote rendu le 15 octobre 2009 dans l’affaire Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine (no40450/04). On ne peut statuer sur aucune affaire, pas même par une décision de radiation, s’il n’y a pas eu d’examen judiciaire individuel de la requête, et aucune décision judiciaire ne peut être adoptée sans examen du dossier. En fait – mais c’est un point accessoire –, quatre d’entre nous (les juges Yudkivska, Bianku, De Gaetano et Laffranque) désapprouvent également la façon dont le point 3 du dispositif est formulé.
5. Comme le paragraphe 43 de l’arrêt le précise, depuis le 3 juillet 2012 la Cour a examiné et réglé 14 430 affaires de type Ivanov au moyen d’arrêts, de décisions d’irrecevabilité, de décisions de radiation consécutives à des règlements amiables ou à des déclarations unilatérales, ou rendues pour d’autres motifs. Dans ces conditions, il paraît bien étrange que la Grande Chambre ait pu regrouper les 12 143 affaires restantes et les régler par le biais de décisions de radiation sans avoir auparavant apprécié les caractéristiques de chaque affaire, qui peuvent très bien être fort différentes de l’une à l’autre. Quoi qu’il en soit, nous estimons qu’il est du devoir de toute juridiction, et particulièrement d’une cour des droits de l’homme, de ne pas régler sommairement des griefs touchant aux droits fondamentaux. La Convention exige que toute requête soumise à la Cour fasse l’objet d’une appréciation judiciaire individuelle et attentive, que ce soit par un juge unique, un comité, une chambre ou la Grande Chambre. Du reste, cette appréciation du fond constitue depuis des temps immémoriaux une exigence élémentaire associée à toute décision judiciaire. C’est pourquoi, troisièmement, nous ne saurions souscrire au point 4 du dispositif de l’arrêt, auquel il est décidé de rayer sommairement ces requêtes du rôle de la Cour, sans appréciation judiciaire concrète des circonstances propres à chaque affaire. Après tout, ces affaires représentent un très grand nombre de requêtes devant la Cour.
6. Quatrièmement, le choix opéré par la majorité est plutôt dangereux de la part d’un organe judiciaire. En son paragraphe 203, l’arrêt décide pro futuro. Il précise que « [d]ans toutes les affaires de ce type, tout requérant actuel ou futur est en fait une « victime », au sens de l’article 34 de la Convention ». Comment la Cour peut-elle décider qu’un futur requérant est victime sans avoir analysé sa requête, et avant même l’introduction de celle‑ci ?! Nous ne pouvons pas savoir si de telles requêtes sont recevables ou manifestement mal fondées, ou encore si elles révèlent un abus du droit de recours individuel, tant qu’on ne les a pas examinées une par une. Bien que ce point soit dans une certaine mesure clarifié aux paragraphes 221 et 222 de l’arrêt, qui donnent à penser que la Cour les examinera individuellement, par un tel examen, au final, la Cour semble tout simplement devenir un organe de filtrage pour le Comité des Ministres. Le paragraphe 221 indique que la Cour soit procédera à la radiation des affaires sur le fondement de l’article 37 § 1 c), soit les rejettera en vertu de l’article 35 de la Convention, sans remplir sa mission au regard de la Convention de vérifier si les engagements souscrits par le gouvernement ukrainien ont été honorés ou non. Il n’y a aucune garantie adéquate que ces futures requêtes feront jamais l’objet d’un contrôle juridictionnel.
7. De plus, il est admis au paragraphe 212 de l’arrêt que « [p]ar définition, un arrêt pilote détermine l’issue d’une quantité d’affaires, outre l’affaire spécifique qui est pendante devant la Cour (…) ». Avec tout le respect que nous devons à nos collègues, nous marquons notre désaccord avec cette affirmation pour ce qui concerne le dénouement concret de chaque future affaire. Si la solution juridique adoptée dans un arrêt pilote peut très facilement être appliquée à des affaires ultérieures de même type, celles-ci nécessitent toutefois une appréciation juridique individuelle et autonome, fût-ce par le biais du même arrêt auquel sont annexées de nombreuses requêtes individuelles. Mais avant cela, les aspects factuels et juridiques de chacune de ces requêtes doivent faire l’objet d’une appréciation individuelle par une formation judiciaire de la Cour. Dans le cas contraire, le droit au recours individuel devant la Cour est fortement remis en question.
8. Certes, la Cour est appelée à trouver des moyens judiciaires appropriés pour atténuer le problème de l’arriéré, qui entraîne d’importants retards dans le redressement des violations individuelles des droits de l’homme. Il demeure que la Convention donne aux individus le droit d’accès à notre Cour (article 34), ce qui veut dire qu’une requête formée de manière appropriée doit faire l’objet d’une décision judiciaire (l’article 34 implique aussi qu’un individu peut adresser une requête et la Cour en être saisie, et qu’il appartient alors à la Cour de traiter cette requête, excepté si elle ne remplit pas les critères de recevabilité et ne peut être traitée, en application de l’article 35). En l’espèce, la Cour justifie l’absence d’examen en évoquant ce qu’elle allègue être sa position antérieure sur les fonctions de la procédure de l’arrêt pilote[3]:
« La procédure de l’arrêt pilote a pour vocation d’aider les États contractants à remplir le rôle qui est le leur dans le système de la Convention en résolvant ce genre de problème au niveau national, de sorte qu’ils reconnaissent par là même à toutes les victimes actuelles ou potentielles du problème systémique les droits et libertés définis dans la Convention, comme le veut l’article 1, en leur offrant un redressement plus rapide tout en allégeant la charge de la Cour qui, sinon, aurait à connaître de quantités de requêtes semblables en substance, aux dépens d’autres affaires appelant un examen (voir, parmi beaucoup d’autres, Broniowski (règlement amiable), précité, § 35, Hutten-Czapska(fond), précité, §§ 231-234, Ivanov, précité, § 95, Wolkenberg et autres, décision précitée, § 34 ; voir aussi les paragraphes 156-161 ci-dessus). » (paragraphe 201 de l’arrêt)
9. Or les paragraphes indiqués en référence ne mentionnent pas la « charge de la Cour ». Le fait qu’une mesure législative générale ait été adoptée et mise en œuvre, qu’une indemnité ait été versée et qu’il y ait eu un règlement amiable ayant abouti à une décision de radiation – cas correspondant à la décision de règlement amiable dans Broniowski – ne peut constituer un élément d’appréciation dans la présente situation, où les autorités ukrainiennes n’ont ni adopté de mesure générale ni versé d’indemnité à aucun des requérants. En l’espèce, aucune solution n’a été apportée aux problèmes existant au niveau national pour reconnaître à toutes les victimes actuelles ou potentielles du problème systémique les droits et libertés définis dans la Convention, comme le veut l’article 1, et leur offrir un redressement plus rapide. Ainsi, les conditions alléguées sont tout simplement inexistantes. Nous trouvons particulièrement troublant que cette négation du droit de recours individuel et du droit à un arrêt ou une décision basés sur une appréciation au cas par cas, droits accordés par la Convention, ait été motivée par les raisons bureaucratiques consistant à « alléger la charge de la Cour ». Nous reconnaissons que la Cour doit traiter les affaires en tenant compte de priorités objectives, par exemple la nécessité d’empêcher le déclin systémique de la protection des droits de l’homme dans un pays ; mais nous ne pouvons souscrire à l’avis que les présentes requêtes et les misères qui sont à leur origine appellent moins notre examen que d’autres affaires. Qui pourrait expliquer à des victimes de Tchernobyl devenues invalides que le malheur qu’elles connaissent depuis des décennies n’appelle pas autant notre examen que la qualification juridique d’une unique gifle donnée à un jeune provocateur ?[4] La Cour peut‑elle en toute bonne conscience prendre la responsabilité de traiter autrement des groupes spécifiques de victimes potentielles de la non‑exécution d’un arrêt pilote[5] ?
ii) Quant au système de la Convention
10. Le paragraphe 141 de l’arrêt indique ce qui suit : « [a]u cœur des présentes requêtes se trouve la répartition des compétences établie par la Convention entre, d’un côté, la Cour, dont la fonction est « d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (…) Convention et de ses Protocoles » (article 19 de la Convention) et, de l’autre côté, le Comité des Ministres, qui « surveille l’exécution » des arrêts définitifs de la Cour (article 46 de la Convention). »
11. Sur ce point, nous observons que l’on n’a nullement consulté le Comité des Ministres afin de définir les mécanismes et aménagements nécessaires pour que des milliers de requêtes non tranchées puissent lui être transférées. De plus, à aucun stade les parties à la présente procédure n’ont été informées de l’éventualité d’une telle décision, et aucune question ne leur a été posée à ce sujet. Dès lors, elles n’ont pas pu faire de commentaires sur cette question politique éminemment importante, et aucune référence n’a été faite aux 12 143 autres requérants dont le sort est scellé par le présent arrêt. Alors que d’ordinaire la Cour débat des questions de politique judiciaire avec différentes parties prenantes afin de trouver des solutions optimales acceptables, la possibilité de rayer du rôle des affaires faisant suite à une procédure d’arrêt pilote qui n’a pas atteint ses objectifs n’a jamais été ni mentionnée ni soulevée. Malheureusement, cela n’indique pas forcément un dialogue et un partage de pouvoirs constructifs entre la Cour et le Comité des Ministres. »
12. Nous doutons que Mme Burmych et l’ensemble des 12 143 autres requérants aient jamais envisagé que leurs griefs feraient l’objet d’un partage de compétences entre la Cour et le Comité des Ministres ; on peut toutefois admettre que telle est précisément la conséquence de cet arrêt. Celui-ci traite de questions théoriques de partage de compétences dans le cadre du système de la Convention, et non concrètement des griefs des requérants. Cette analyse cadre mal avec l’ancienne maxime et le fil conducteur de la jurisprudence de la Cour, qui veut que la Convention protège des « droits concrets et effectifs »[6]. Ce partage de compétences et le nombre croissant de requêtes sont à notre avis ce qui sous-tend le raisonnement de la majorité. Pour cette raison fondamentalement, la majorité a défendu un remodelage du système de la Convention en invitant le Comité des Ministres dans le processus de règlement final d’une requête individuelle soumise à la Cour. Ainsi, cet arrêt confirme le droit d’accès direct à la Cour mais, via une nouvelle option de radiation, introduit également le droit de sortie directe des requêtes individuelles, qui passent de la Cour au Comité des Ministres.
13. Si la Cour, fût-ce uniquement pour des requêtes faisant suite à une procédure d’arrêt pilote, devait servir d’organe de filtrage pour le Comité des Ministres, en permettant à celui-ci de se prononcer dans chaque affaire sur l’existence d’une violation et la satisfaction équitable à allouer, alors, avec tout le respect que nous devons à la Cour, nous considérerions cela comme un recul majeur pour le mécanisme de la Convention. Cela signifierait que l’appréciation de griefs relatifs aux droits de l’homme n’est plus effectuée par une autorité judiciaire, comme le requiert le système de la Convention, mais est transférée à un organe politique, bien que collectif, à savoir le Comité des Ministres. La méthode de contrôle du respect des engagements découlant de la Convention passerait alors de la sphère judiciaire à celle de la surveillance, et le dénouement de la procédure passerait d’une décision judiciaire contraignante à une décision qui relève, rappelle et insiste sur la nécessité pour les autorités nationales de prendre des mesures[7].
14. Nous estimons que cela ne cadre ni avec le but et la structure du système de la Convention, ni avec ce que la Cour se proclame être, à savoir un organe judiciaire que plus de 800 millions de citoyens européens peuvent saisir. Après cet arrêt de la Cour, il semble que les griefs de milliers d’individus souhaitant se plaindre de violations de la Convention résultant d’un problème structurel dans tel ou tel État contractant seront appréciés et résolus non pas par la Cour mais par le Comité des Ministres. Mme Burmych et les autres requérants concernés par le présent arrêt ont subi exactement la même violation que celle en cause dans Ivanov et de nombreuses autres affaires dirigées contre l’Ukraine et d’autres États contractants. Pourquoi ces personnes devraient-elles être traitées différemment sur le plan procédural, et pourquoi leurs griefs devraient-ils attendre sine die un mécanisme politique de surveillance des réformes nationales, puisque la Convention leur reconnaît exactement les mêmes droits ? Est-ce compatible avec la Convention ? Si la Cour doit pouvoir recevoir des requêtes de toutes personnes, y compris celles qui se plaignent de problèmes structurels, sur le fondement de l’article 35 de la Convention, l’objet de cette disposition est-il simplement de permettre à la Cour de transférer certaines requêtes au Comité des Ministres pour examen ?
15. Dans plusieurs paragraphes de l’arrêt, la majorité laisse entendre que le transfert de toutes ces affaires au Comité des Ministres dans le cadre des mesures générales constitue la bonne approche pour ces affaires[8]. Si aujourd’hui l’appréciation d’un organe politique représente un redressement approprié dans le système de la Convention et si l’article 35 doit être compris comme autorisant le Comité des Ministres à traiter les requêtes individuelles, alors il s’agit là d’un recul majeur par rapport aux intentions des rédacteurs des Protocoles nos 11 et 14 à la Convention, et de l’article 19 de la Convention. Rappelons que, dans l’ancien système de la Convention, le Comité des Ministres était l’un des organes qui décidait s’il y avait eu violation ou non de la Convention. Avec le présent arrêt, la majorité de la Grande Chambre semble être d’accord pour revenir à ce système[9] lorsqu’il y a des problèmes structurels. Cela nous semble être en contradiction manifeste avec les modifications introduites en 1998 par le Protocole no 11[10]. En effet, ce Protocole a expressément aboli toute compétence du Comité des Ministres pour statuer sur des violations de la Convention et n’a conservé que la compétence du Comité relative à l’exécution des arrêts de la Cour. Par le présent arrêt, la Cour invite le Comité des Ministres à revenir dans le mécanisme judiciaire en passant par la fenêtre[11]. Remplacer la protection judiciaire européenne unique des droits fondamentaux de la personne par des décisions non exécutoires d’un organe politique (dans lequel l’État membre concerné participe au processus décisionnel) entraîne une diminution radicale de la protection des droits de l’homme et affaiblit l’autorité d’une Cour indépendante et impartiale.
16. Cette invitation est aussi en contradiction flagrante avec l’intention des rédacteurs du Protocole no 14 à la Convention. Rappelons qu’en son paragraphe 10 le rapport explicatif de ce Protocole énonce ceci :
« Toutefois – et cela a constitué un défi majeur dans la préparation du présent Protocole – cette réforme ne devait en aucun cas remettre en cause ce qui est, à juste titre, considéré comme faisant partie des caractéristiques principales et uniques du système de la Convention. Il s’agit du caractère juridictionnel du contrôle européen ainsi que du principe selon lequel tout individu se prétendant victime d’une violation des droits et libertés garantis par la Convention peut saisir la Cour (droit de recours individuel). »
17. Le paragraphe 11 du même rapport explicatif poursuit en résumant parfaitement les caractéristiques fondamentales du système de la Convention :
« En effet, le système de contrôle de la Convention est unique : les Parties acceptent de soumettre à un contrôle juridictionnel international leur obligation de reconnaître à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis dans la Convention. Ce contrôle est assuré par la Cour qui se prononce sur les requêtes individuelles qui lui sont adressées au titre de l’article 34 de la Convention ainsi que sur les requêtes étatiques – qui sont très rares (…) – introduites au titre de son article 33. Les arrêts rendus par la Cour ont force obligatoire vis-à-vis des Parties défenderesses et leur exécution est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. »
18. Après cet arrêt, hélas, l’extrait ci-dessus du rapport explicatif du Protocole no 14 sera caduc. Les requêtes individuelles relatives à des défaillances systémiques seront transmises au Comité des Ministres qui, en surveillant l’exécution d’un arrêt antérieur, réglera les requêtes en cours. Est-ce là le nouveau moyen unique de garantir que dans le cadre du « contrôle juridictionnel international » tout un chacun peut jouir des droits et libertés consacrées par la Convention ?
19. L’arrêt offre une interprétation du système de la Convention telle qu’il n’est nullement surprenant que les agents de gouvernement soient extrêmement favorables à l’adoption d’arrêts pilotes et au gel ou à la radiation par la Cour de toutes les requêtes en cours. En pratique, les gouvernements prennent le contrôle de milliers d’affaires dirigées contre eux et soumises à la Cour, et toute la philosophie du système de contrôle juridictionnel de la Convention se trouve dénaturée.
20. Si les rédacteurs du Protocole no 14 ayant modifié le mécanisme de la Convention pour le rendre plus efficace l’avaient souhaité, ils auraient conféré cette compétence au Comité des Ministres. Mais ils ne l’ont pas fait ! Ils avaient semble-t-il conscience du caractère unique du système de contrôle de la Convention, de son caractère purement juridictionnel. Au contraire, en introduisant dans la Convention la disposition de l’article 46 § 4, le Protocole no 14 a clairement donné au Comité des Ministres la possibilité d’aider à traiter le problème en cause, au moyen de la compétence pour engager devant la Cour une procédure en manquement contre tout État qui refuse de se conformer à un arrêt. Depuis seize ans, le gouvernement ukrainien néglige de se conformer aux arrêts de type Ivanov, et pourtant aucune procédure de ce type n’a jamais été déclenchée devant la Cour[12].
21. À notre avis, l’arrêt Ivanov était précisément le type d’affaires que vise l’article 46 § 4 de la Convention. Mais, face à l’échec du Comité des Ministres, la majorité a mis en œuvre sa politique novatrice. Cette initiative bouleverse de toute évidence la répartition des tâches entre la Cour et le Comité des Ministres que l’arrêt évoque au paragraphe 194.
22. Nous devrions aussi garder à l’esprit que les rédacteurs des protocoles à la Convention et les parties contractantes à ces protocoles ne sont autres que les États membres du Conseil de l’Europe, ce qui veut dire –non sans ironie – que le transfert de compétences déclenché par cet arrêt aura lieu contre et en violation de la volonté des États contractants.
23. Qui plus est, tandis que la nécessité de recourir à la procédure de l’arrêt pilote dans l’affaire Broniowski était évidente au point d’être adoptée à l’unanimité par la Grande Chambre, le changement radical actuel dans la politique de la Cour n’a recueilli l’adhésion que de dix de nos collègues sur dix-sept. Lorsque la crédibilité de la Cour est en jeu, une telle division est inappropriée.
24. Surtout, le Protocole no 14 a introduit la nouvelle disposition de l’article 28 § 1 b) de la Convention dans le but même, précisément, de traiter au fond les requêtes répétitives. Le rapport explicatif du Protocole no 14 indique clairement que cette extension de la compétence des comités de trois juges répond à cet objectif, son paragraphe 40 se lisant comme suit :
« Les compétences des comités de trois juges sont étendues aux affaires répétitives. Ces comités sont ainsi habilités à décider, dans le cadre d’une procédure simplifiée, non seulement de la recevabilité mais aussi du fond d’une requête, lorsque la question qui est à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour. »[13]
N’est-il pas curieux que dans le présent arrêt la Cour décide de ne pas recourir à la procédure de comité pour toutes ces affaires[14] ?!
iii) Quant aux droits fondamentaux de la personne, au droit de recours individuel devant la Cour et à l’état de droit
25. En son paragraphe 161, l’arrêt déclare ceci :
« Selon la logique de l’arrêt pilote, l’État défendeur est donc tenu d’éliminer la source de la violation pour l’avenir et de réparer le préjudice déjà subi non seulement par le ou les requérant(s) de l’affaire pilote mais aussi par toutes les autres victimes de violations du même type. L’objectif est que, dans le cadre des mesures générales requises de la part de l’État défendeur, toutes les autres victimes soient incorporées dans la procédure d’exécution de l’arrêt pilote. »
26. Cette affirmation, réitérée au paragraphe 166 de l’arrêt, semble être la ratio decidendi de la majorité dans cet arrêt. Elle introduit la notion d’« incorporation » des griefs individuels des victimes portés devant la Cour « dans la procédure d’exécution de [l’arrêt pilote] ». Cette conception – l’incorporation des droits de certaines personnes dans les droits d’autres personnes – constitue à notre avis une grave menace pour l’idée des droits fondamentaux de l’individu. Que signifie-t-elle réellement ? Les droits de l’individu qui a saisi la Cour en premier sont-ils plus importants que les droits d’autres personnes qui le suivent avec le même grief ? Cela laisse-t-il augurer que la Cour pourrait ne traiter que les griefs « inédits », et que les autres doivent « bénéficier » de l’arrêt rendu en faveur des griefs précurseurs ? Est-ce à dire que Mme Burmych et 12 143 autres personnes devraient simplement suspendre leur espoir à l’exécution de l’arrêt Ivanov et ne devraient pas eux-mêmes s’adresser à la Cour[15] ? Ou bien cela signifie-t-il que la Cour a introduit un nouveau critère dans le cadre de l’article 37 § 1 c), à savoir la radiation pour raison d’ « incorporation » ? Cela ne saurait être la philosophie des droits fondamentaux de la personne. Nul ne doit voir ses droits incorporés dans les droits d’autres personnes, et encore moins dans le processus d’exécution de l’arrêt statuant sur les droits d’autres personnes. Les juges ont le devoir de se pencher sur le grief de tout individu relatif à un droit en examinant les circonstances et le fond propres à l’affaire, et de rendre une décision relativement à ce grief[16]. Cela vaut a fortiori pour les juges d’une cour établie par une Convention protégeant les droits fondamentaux de la personne. Comme l’a dit le professeur Donald H. Regan au sujet du droit à la liberté d’expression :
« Dire qu’il existe un droit à la liberté d’expression revient à dire qu’il y a une raison de protéger tout sujet individuel dans son désir de s’exprimer. S’il y a une raison de protéger chaque sujet individuel dans son désir de s’exprimer, alors il est illogique (si l’on ne peut exposer de raisons justifiant le contraire) de protéger mille sujets tout en ignorant les neuf mille autres. En fait, il serait même illogique de protéger neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf sujets et d’ignorer le millième. »
27. Il en va de même pour tous les droits individuels reconnus par la Convention. Cette interprétation s’applique également au droit de recours individuel visé aux articles 34, 35 et 37 de la Convention. Dans le cas contraire, le véritable sens de la notion de droits fondamentaux de la personne et l’idée de droit de recours individuel devant un organe judiciaire seraient gravement remis en question. Cette invention qu’est l’« incorporation » peut sembler bonne pour des raisons superficielles de statistique, mais ce n’est pas une bonne base pour nier un droit. De plus, ce serait regrettable s’il était vrai que la charge de la Cour empêche celle-ci de régler d’autres affaires qui appellent un examen. N’oublions pas que les requérants se tournent vers Strasbourg après avoir épuisé l’ensemble des voies de recours pour faire reconnaître leurs droits, afin d’obtenir une solution pour leur cas personnel et une décision judiciaire sur leur grief individuel. La Cour ne doit pas se garder de donner une telle réponse – cela constitue, après tout, sa raison d’être.
28. Cet arrêt adresse un message fort peu prometteur à tous les requérants potentiels auprès de la Cour. Ce que la Cour leur dit, c’est que, dans l’hypothèse où un précédent requérant s’est plaint à Strasbourg pour une raison identique, si elle a constaté une violation dans un arrêt pilote et si l’État défendeur n’a pas remédié au problème structurel, alors pour l’appréciation des requêtes pendantes et futures il n’y aura au menu que la radiation de l’affaire par la Cour et son transfert au Comité des Ministres. Pourquoi alors ces requérants se tourneraient-ils vers Strasbourg ?
29. Cet arrêt adresse aussi un message extrêmement décourageant aux juges nationaux, qui sont en première ligne s’agissant de garantir la mise en œuvre des droits consacrés par la Convention. Notre Cour n’a de cesse d’exiger et d’évaluer le respect par les juges nationaux des droits découlant de l’article 6 et d’autres articles de la Convention. L’exécution de décisions nationales conformes aux normes de la Convention est indispensable à la réussite du système de la Convention. Cependant, lorsque les jugements des juges nationaux restent inexécutés pendant des années et que la Cour les transfère à un organe de contrôle politique, le Comité des Ministres, la lutte de ces juges pour appliquer les normes de la Convention au niveau interne se retrouve privée de soutien judiciaire à Strasbourg. Ils penseront à juste titre que leurs jugements vont demeurer inexécutés des années après avoir été rendus et que de toute façon les gouvernements seront les maîtres du jeu en ce qui concerne les droits de l’homme garantis par la Convention. La Cour doit encourager les juges nationaux, et non nuire au dialogue noué avec eux et aux efforts qu’ils déploient pour se conformer à la Convention.
30. Avec l’arrêt d’aujourd’hui, des milliers de requêtes et de violations potentielles pourront attendre, dans l’incertitude juridique, que des décisions favorables soient exécutées. Dans certaines affaires, ces décisions représentent des intérêts vitaux. Trois des cinq requérants concernés par notre arrêt sont des victimes de la catastrophe de Tchernobyl. En vertu de décisions rendues par des juridictions ukrainiennes, ils ont obtenu des indemnités au titre des événements effroyables dont ils ont été victimes et des conséquences durablement néfastes de la catastrophe. Nous leur disons d’attendre, alors que leurs droits ont été reconnus par la loi et par les tribunaux. En quoi ces affaires sont-elles différentes de celles relatives à des violations de l’article 2[17], de l’article 6[18] ou de l’article 8[19] sur lesquelles la Cour de Strasbourg a statué pour des raisons semblables ? Au lieu d’encourager et de soutenir le travail des juges nationaux pour appliquer les droits consacrés par les articles 2, 6 et 8 de la Convention, la Cour, par cet arrêt, signale que leurs décisions resteront lettre morte pour des années, même lorsqu’elles arriveront à Strasbourg.
31. Avant le présent arrêt, des milliers de requérants avaient obtenu des arrêts ayant mis à la charge de l’État une obligation claire d’allouer une réparation (satisfaction équitable). Aujourd’hui, la majorité refuse la même réparation concrète à 12 143 requérants et à d’autres individus placés dans une situation analogue et les laisse dans l’incertitude. Le « transfert » qui se dessine ne garantit nullement aux requérants qu’ils bénéficieront d’un recours utile et exécutoire, car une radiation est une décision, mais le Comité des Ministres ne surveille que l’exécution des arrêts définitifs et des règlements amiables, en application de l’article 46 § 2[20]. De plus, le point de savoir ce qui est à contrôler est absolument dénué de clarté. Il n’y a aucune orientation sur la satisfaction équitable à accorder individuellement aux requérants dans telle ou telle situation, ni sur ce qui serait une solution générale satisfaisante au moyen d’une législation future, qui pourrait être exécutée ou non. La Cour a tout simplement omis de réfléchir sur l’avenir possible de ces affaires. Le Comité des Ministres recherche toujours, dans les arrêts/décisions de la Cour, des orientations sur lesquelles il puisse s’appuyer en surveillant l’exécution ; mais dans cette affaire il n’y a pas de plan pour quiconque, il ne semble pas y avoir de solution possible, et pour se soustraire à cette charge la Cour délègue tout simplement à d’autres la recherche d’une solution. Or de telles questions ne peuvent être tranchées que par la voie juridictionnelle et il n’y a pas de garantie qu’il y aura une telle évaluation juridictionnelle avec des décisions sur les requêtes individuelles. Il est particulièrement troublant que parmi les présents requérants, et très probablement parmi les requêtes qui n’ont pas été soumises à un juge, il se trouve de nombreuses victimes de la catastrophe de Tchernobyl ainsi que d’autres personnes vulnérables. Nous nous abstiendrons de décrire le type de souffrances supplémentaires que la perpétuation de leur misère va causer. Nous ne sommes pas en mesure de souscrire à la conclusion selon laquelle le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen de la présente affaire.
32. La présente solution s’inscrit dans une tendance qui consiste pour la Cour à ne plus allouer de satisfaction équitable dans les affaires répétitives où l’État ne se conforme pas à l’arrêt de la Cour[21]. Cette solution encourage les États membres à ne pas adopter de mesures générales lorsque l’existence d’un problème structurel a été constatée. En fait, la Cour récompense ainsi le non-respect des arrêts.
33. La majorité prétend que dans cette affaire il n’y a pas de questions importantes qui n’aient déjà été clarifiées (paragraphe 205 de l’arrêt). Or les requérants ont soulevé la question de l’inflation : ils ont indiqué que même l’octroi d’une somme forfaitaire de 2 000 euros ne couvrirait pas la perte subie sur le long terme. Cet argument en lui-même soulève un problème qui n’est pas résolu ; l’arrêt, du moins, n’évoque aucune solution. En fait, la Cour ne se penche pas du tout sur la question. Celle-ci ne saurait être considérée comme résolue comme le requiert l’article 37 § 1 b).
iv) Quant au contexte national
34. Nous ne pensons pas que l’arrêt tienne dûment compte de la réalité ukrainienne. Il renvoie au succès des arrêts pilotes dans Broniowski[22], Hutten-Czapska[23] et quelques autres affaires[24]. À notre avis, la majorité reconnaît que l’arrêt pilote Ivanov est un échec[25] mais accepte néanmoins de diriger les requêtes actuelles (5 + 12 143) vers cette procédure d’exécution de l’arrêt pilote qui échoue depuis seize ans[26].
35. À cet égard, nous ne pouvons qu’observer que les requérants dans les 12 143 affaires actuellement pendantes ne bénéficieront pas au niveau national du mécanisme d’exécution envisagé par le droit interne pour les arrêts et décisions de la Cour : comme le paragraphe 100 le montre clairement, selon la loi du 16 octobre 2006 les décisions exécutoires de la Cour désignent les arrêts définitifs sur le fond, les arrêts définitifs sur la satisfaction équitable, les arrêts/décisions aboutissant à un règlement amiable, et les arrêts/décisions approuvant une déclaration unilatérale dans une affaire dirigée contre l’Ukraine. Rien de ce que le Comité des Ministres pourrait indiquer au sujet de ces 12 143 requêtes ne semble pouvoir être exécutoire.
36. Si l’idée de cet arrêt est de traiter « [l]a présente affaire et l’ensemble des 12 143 requêtes similaires qui se trouvent pendantes devant la Cour, ainsi que les requêtes semblables qui pourraient lui être soumises à l’avenir » comme « indissociables de la procédure d’exécution de l’arrêt pilote » (paragraphe 198 de l’arrêt), cela signifie en pratique que ces requérants vont tout simplement partager le sort de 120 000 autres détenteurs de décisions judiciaires non exécutées en Ukraine (paragraphe 126 de l’arrêt) qui n’ont pas saisi la Cour de Strasbourg. La Cour s’est donc récusée elle-même dans ces affaires.
37. Par ailleurs, nous ne saisissons pas l’effet pratique du présent arrêt. La majorité estime qu’il n’y a plus rien à gagner de la répétition d’arrêts similaires (paragraphe 174 de l’arrêt). Néanmoins, envisageant la possibilité de réinscrire ces requêtes au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention, elle prévoit « qu’il sera peut-être indiqué de réexaminer la situation dans un délai de deux ans à compter de la date du prononcé du présent arrêt » (paragraphe 223 de l’arrêt). Mais qu’y a-t-il à gagner en transférant toutes ces affaires au Comité des Ministres pour deux ans, avant, très probablement, de les reprendre ? La « charge de la Cour » sera donc simplement repoussée mais non allégée. Encore une fois, nous estimons que les requérants ne doivent jamais être perçus comme une charge pour une cour dont le devoir est de statuer sur les requêtes individuelles. Dans le contexte de seize années de vains efforts pour trouver une solution tangible au problème structurel en cause, il ne paraît pas réaliste de penser qu’une telle solution puisse être trouvée dans ce délai de deux ans. Par ailleurs, ce transfert administratif pèsera sur les ressources de la Cour tout autant que l’examen d’affaires répétitives.
38. À supposer que cet arrêt soit à interpréter comme une tentative visant à encourager les autorités ukrainiennes responsables à accroître leurs efforts pour résoudre le problème, nous estimons que cela se fait aux dépens et au détriment de 12 143 requérants qui ont saisi la Cour pour obtenir la restauration de leurs droits violés.
v) Conclusion
39. À notre grand regret, nous devons souligner que si le fait d’abaisser le nombre d’affaires pendantes devant la Cour permettra peut-être de faire paraître plus brillante la situation administrative de l’institution, cela ne signifiera pas que la situation des droits de l’homme en Europe est meilleure. Bien au contraire ! La Cour a été instituée tout spécialement pour répondre à ces violations, en tant qu’organe judiciaire, et non pour se concentrer sur les statistiques. Le devoir judiciaire de statuer sur des requêtes individuelles devrait être exprimé avec plus de vigueur lorsque la prééminence du droit et l’exécution de milliers d’arrêts définitifs dans un État membre – l’Ukraine – sont si problématiques. En négligeant de traiter cette question, la Cour tire une balle dans son propre pied, c’est-à-dire dans la prééminence du droit au sein des États membres. Et ne pas traiter ces affaires relatives à des droits fondamentaux, ce n’est pas de l’économie judiciaire ni de l’efficacité judiciaire, et ce n’est pas non plus la philosophie de Brighton. Ce n’est rien d’autre que de la commodité judiciaire provisoire.
40. Lorsque la Cour a adopté son premier arrêt pilote dans le fameux arrêt Broniowski (précité), notre ancien collègue le juge Zupančič, qui était dans la majorité de la Grande Chambre, a indiqué dans son opinion que la nouvelle approche adoptée par elle « n’a[vait] rien à voir avec la charge de travail de la Cour » mais qu’elle « a[vait] à voir avec la justice. » En l’espèce, c’est hélas le contraire.
41. Cet arrêt n’a pas de base juridique dans la Convention, il précipite des milliers de personnes désespérées dans une situation d’incertitude juridique et porte un coup à la protection des droits de l’homme consacrés par la Convention. Nous nous y opposons vigoureusement.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ
(Traduction)
J’ai eu l’occasion d’exposer les principales raisons de mon désaccord dans une opinion commune.
J’aimerais toutefois expliquer mon vote sur le point 3 du dispositif. Sur ledit point, j’ai voté comme la majorité, du fait que celle-ci a joint la présente espèce à quelque 12 143 autres requêtes dont la liste figure dans les annexes I et II. (Je n’ai aucun moyen de savoir de combien d’affaires nous parlons). La majorité ayant décidé de joindre ces affaires (décision que je conteste), toutes ces affaires se trouvent techniquement devant nous ; c’est pourquoi il m’a fallu conclure que ces affaires étaient traitées conformément à l’obligation découlant de l’arrêt pilote Ivanov. Cette déclaration énigmatique signifie tout simplement que ces affaires doivent être tranchées conformément à cet arrêt.
[1]. Résolutions intérimaires CM/ResDH(2008)1, CM/ResDH(2009)159, CM/ResDH(2010)222, CM/ResDH(2011)184, CM/ResDH(2012)234.
[2]. 2 345 décisions de justice ont été exécutées alors que 57 806 autres décisions demeurent inexécutées.
[3]. Ce problème avait déjà été mis en évidence par le juge Zupančič, qui dans son opinion concordante dans l’arrêt Broniowski s’était exprimé ainsi : « Je suis complètement en désaccord avec la dernière phrase du paragraphe 190 de l’arrêt dans laquelle la majorité dit que « cette résolution doit être replacée dans le contexte de l’augmentation de la charge de travail de la Cour, en raison notamment de séries d’affaires résultant de la même cause structurelle ou systémique ». La référence dans le premier alinéa du paragraphe 193 à la « menace pour l’effectivité à l’avenir du dispositif mis en place par la Convention » n’a absolument rien à voir avec la position de principe prise par la Cour. De nouveau, au milieu du second alinéa du paragraphe 193, nous disons que « les mesures adoptées doivent être de nature à remédier à la défaillance structurelle dont découle le constat de violation formulé par la Cour, de manière que le système instauré par la Convention ne soit pas surchargé par un grand nombre de requêtes résultant de la même cause ». La vraie raison de la logique adoptée pour la première fois dans l’affaire Scozzari et Giunta et poursuivie dans l’affaire Assanidzé n’a rien à voir avec la charge de travail de la Cour. »
[4]. Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, CEDH 2015.
[5]. Comparer avec la situation de requérants britanniques qui purgent des peines d’emprisonnement et n’ont pas le droit de vote – Greens et M.T. c. Royaume-Uni, nos 60041/08 et 60054/08, CEDH 2010 (extraits).
[6]. Voir Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, série A no 32, ainsi que les nombreux arrêts ultérieurs qui reprennent la même formule. Voir aussi Georges Letsas, « Strasbourg’s Interpretive Ethic: Lessons for the International Lawyer », European Journal of International Law, volume 21, no 3, 1er août 2010.
[7]. Il suffit de voir la page 2 de la Résolution intérimaire sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme Yuriy Nikolayevich Ivanov et groupe Zhovner contre l’Ukraine concernant la non-exécution ou l’exécution tardive des décisions judiciaires internes et l’absence d’un recours effectif à cet égard, adoptée par le Comité des Ministres le 7 juin 2017, lors de la 1288e réunion des Délégués des Ministres, CM/ResDH(2017)184.
[8]. Voir, par exemple, les paragraphes 167 et suiv., et surtout les paragraphes 218-223 de l’arrêt.
[9]. L’ancien article 32 de la CEDH énonçait :
« Si, dans un délai de trois mois à dater de la transmission au Comité des Ministres du rapport de la Commission, l’affaire n’est pas déférée à la Cour par application de l’article 48 de la présente Convention, le Comité des Ministres prend, par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, une décision sur la question de savoir s’il y a eu ou non une violation de la Convention.
Dans l’affirmative, le Comité des Ministres fixe un délai dans lequel la Haute Partie Contractante intéressée doit prendre les mesures qu’entraîne la décision du Comité des Ministres.
Si la Haute Partie Contractante intéressée n’a pas adopté des mesures satisfaisantes dans le délai imparti, le Comité des Ministres donne à sa décision initiale, par la majorité prévue au paragraphe 1 ci-dessus, les suites qu’elle comporte et publie le rapport.
Les Hautes Parties Contractantes s’engagent à considérer comme obligatoire pour elles toute décision que le Comité des Ministres peut prendre en application des paragraphes précédents. »
[10]. Le paragraphe 26 du rapport explicatif du Protocole no 11 (STE 155 – droits de l’homme) se lit ainsi :
« La nouvelle Cour unique remplacera deux des organes de contrôle créés par la Convention européenne des Droits de l’Homme et remplira les fonctions actuellement assumées par ces organes. Le Comité des Ministres gardera sa compétence en vertu de l’ancien article 54 ; sa compétence en vertu de l’ancien article 32 de la Convention sera abolie. »
[11]. Cela est confirmé comme suit par le rapport explicatif du Protocole no 14 (STCE 194 – Droits de l’homme) :
« 3. Le Protocole no 11 a remplacé l’ancien système établi par la Convention de 1950 par une Cour unique fonctionnant à plein temps, à savoir une Commission, une Cour et le Comité des Ministres auquel était attribué un certain rôle « juridictionnel » ».
[12]. Sur la procédure en manquement, voir Dean Spielmann, Keynote Speech, dans A. Seibert-Fohr et M. E. Villiger (éd.), Judgments of the European Court of Human Rights – Effects and Implementation, Ashgate, Nomos, 2014, 116).Voir aussi les paragraphes 42 et 95-100 du rapport explicatif du Protocole no 14.
[13]. Voir aussi le paragraphe 68 du rapport explicatif : « (…) En vertu du nouveau paragraphe 1.b de l’article 28, [les comités de trois juges] peuvent désormais également déclarer, dans une même décision, les requêtes individuelles recevables et statuer sur le fond, lorsque la question relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention qui est à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour. Ainsi, une « jurisprudence bien établie de la Cour » est la plupart du temps une jurisprudence constante d’une Chambre. Il est néanmoins possible, par exception, qu’un seul arrêt de principe de la Cour constitue une « jurisprudence bien établie », particulièrement s’il s’agit d’un arrêt de la Grande Chambre. Sont ainsi avant tout visées les affaires répétitives qui représentent une partie significative des arrêts de la Cour (en 2003, environ 60 %). Les parties ont bien entendu la possibilité de contester devant le comité le caractère « bien établi » de la jurisprudence de la Cour. »
[14]. La procédure de comité a déjà été utilisée avec succès pour des affaires répétitives. Voir, par exemple : Pascarella et autres c. Italie (nos 23704/03 et 20 autres, 20 septembre 2011), Ambrosini et autres c. Italie (nos 8456/09 et 17 autres, 8 novembre 2012), Collarile et autres c. Italie (nos 10652/02 et 13 autres, 18 décembre 2012), et Corrado et autres c. Italie (nos 32850/02 et 10 autres, 16 juillet 2013). La jonction de plusieurs requêtes et leur examen au fond ontégalement été utilisés avec succès par des formations de chambre. Voir Gaglione et autres c. Italie (nos 45867/07 et 69 autres, 21 décembre 2010).
[15]. Voir Donald H. Regan, « Glosses on Dworkin: Rights, Principles, and Policies » Michigan Law Review, vol. 76, 1213, août 1978, p. 1240.
[16]. Imaginons un instant qu’un juge national refuse d’examiner un grief soumis par un individu et visant un acte inconstitutionnel commis par le gouvernement national, au motif que ce grief est incorporé dans le processus d’adoption de la nouvelle loi consécutive au jugement ayant déclaré cette loi inconstitutionnelle !!!!
[17]. Voir, parmi beaucoup d’autres, Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, CEDH 2004‑XII, M. Özel et autres c. Turquie, nos 14350/05 et 2 autres, 17 novembre 2015, Howald Moor et autres c. Suisse, nos 52067/10 et 41072/11, 11 mars 2014, et Apanasewicz c. Pologne, no 6854/07, 3 mai 2011.
[18]. Voir, en sus des arrêts susmentionnés et parmi beaucoup d’autres, Howald Moor et autres c. Suisse, nos 52067/10 et 41072/11, 11 mars 2014, et Apanasewicz c. Pologne, no 6854/07, 3 mai 2011.
[19]. Voir, en sus des arrêts susmentionnés et parmi beaucoup d’autres, López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, série A no 303‑C, Fadeïeva c. Russie, no 55723/00, CEDH 2005‑IV, Tătar c. Roumanie, no 67021/01, 27 janvier 2009.
[20]. Voir aussi les règles nos 2 et 3 des Règles du Comité des Ministres pour la surveillance de l’exécution des arrêts et des termes des règlements amiables (adoptées par le Comité des Ministres le 10 mai 2006, lors de la 964e réunion des Délégués des Ministres et modifiées le 18 janvier 2017, lors de la 1275e réunion des Délégués des Ministres).
[21]. Voir les exemples cités dans la note de bas de page no 12.
[22]. Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, CEDH 2004‑V.
[23]. Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, CEDH 2006‑VIII.
[24]. Voir les paragraphes 162-164 de l’arrêt.
[25]. Paragraphes 147-155 de l’arrêt. Voir aussi la Résolution intérimaire du 7 juin 2017, citée dans la note de bas de page no 5, sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme Yuriy Nikolayevich Ivanov et groupe Zhovner contre l’Ukraine concernant la non-exécution ou l’exécution tardive des décisions judiciaires internes et l’absence d’un recours effectif à cet égard. Dans cette résolution, le Comité des Ministres a « EXPRIM[É] sa profonde inquiétude quant à l’absence de progrès concret dans la mise en œuvre de l’arrêt pilote après tant d’années » (p. 2, paragraphe 3).
[26]. Ibidem. Voir aussi le paragraphe 174 de l’arrêt.
- règlement amiable), no 46144/99, 3 mai 2001). Bien que cette affaire ait été réglée par les parties et que les requérants aient reçu les sommes indiquées dans la déclaration de règlement amiable, la question générale de la non‑exécution n’est toujours pas résolue, en raison principalement de l’insuffisance des fonds dont disposent les entités étatiques et les débiteurs publics ou contrôlés par l’État (« les débiteurs publics »). Les affaires ultérieures concernant la non-exécution ou l’exécution tardive de décisions de justice internes ont porté sur le versement de salaires et d’allocations dus à des militaires, à des employés de sociétés minières, à des juges et à des enseignants, ainsi que sur le paiement de dettes contractées par des municipalités, des hôpitaux publics, des banques publiques, des entreprises publiques et le conseil des ministres (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts dans les affaires Voïtenko c. Ukraine, no 18966/02, 29 juin 2004, Romachov c. Ukraine, no 67534/01, 27 juillet 2004, Zoubko et autres c. Ukraine, nos 3955/04 et 3 autres, CEDH 2006‑VI (extraits), Belanova c. Ukraine, no 1093/02, 29 novembre 2005, Koutcherenko c. Ukraine, no 27347/02, 15 décembre 2005, Chmalko c. Ukraine, no 60750/00, 20 juillet 2004, et Poltoratchenko c. Ukraine, no 77317/01, 18 janvier 2005).
2. L’arrêt pilote rendu dans l’affaire Ivanov
11. L’augmentation du nombre de requêtes ayant trait à l’inexécution prolongée de décisions de justice internes en Ukraine a conduit la Cour à faire application de la procédure de l’arrêt pilote et à choisir, comme affaire représentative de ce problème, Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine (paragraphe 8 ci-dessus). Les faits à l’origine de cette affaire sont exposés aux paragraphes 8 à 20 de l’arrêt pilote.
12. Dans sa Résolution intérimaire du 6 mars 2008, le Comité des Ministres avait déjà reconnu l’existence d’un problème structurel (Ivanov, précité, § 38 ; voir aussi le paragraphe 124 ci-dessous).
13. Dans son arrêt pilote du 15 octobre 2009, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de la non-exécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice définitives. Elle a relevé que les retards dénoncés étaient dus à une combinaison de facteurs – défaut de crédits budgétaires, carences des huissiers et lacunes dans la législation nationale – qui avaient empêché M. Ivanov et d’autres requérants placés dans une situation analogue d’obtenir l’exécution des jugements en cause (Ivanov, précité, §§ 83-84). Elle a estimé que tous ces facteurs relevaient de la sphère de contrôle des autorités de l’Ukraine et que cet État était donc entièrement responsable de la non-exécution de ces jugements (ibidem, § 85). Par ailleurs, elle a constaté qu’il n’existait pas sur le plan interne de recours conforme aux exigences de l’article 13 de la Convention par lequel le requérant aurait pu tirer grief de la non-exécution du jugement rendu en sa faveur (ibidem, §§ 66‑70).
14. Sur le terrain de l’article 46, la Cour a déclaré que l’affaire Ivanov soulevait deux problèmes chroniques : a) l’inexécution prolongée de jugements internes définitifs, et b) l’absence de recours interne effectif propre à y remédier. Elle a observé que ces problèmes étaient à l’origine des violations de la Convention constatées par elle depuis 2004 dans plus de 300 affaires dirigées contre l’Ukraine. Pour la Cour, l’affaire Ivanov démontrait que ces problèmes n’avaient toujours pas été réglés bien qu’une jurisprudence sans équivoque encourageât vivement l’Ukraine à prendre les mesures appropriées pour y remédier (ibidem, §§ 73, 74 et 83).
15. Constatant que quelque 1 400 requêtes similaires dirigées contre l’Ukraine étaient alors pendantes devant elle (ibidem, § 86), la Cour, dans les parties pertinentes du dispositif de son arrêt, a dit ce qui suit :
« (…)
4. (…) les violations [des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention constatées dans l’affaire] ont pour origine une pratique incompatible avec la Convention, consistant pour l’État défendeur à s’abstenir de manière récurrente d’exécuter en temps voulu les décisions internes dont la mise en œuvre relève de sa responsabilité, carence à l’égard de laquelle les parties lésées ne disposent d’aucun recours effectif sur le plan national ;
5. (…) l’État défendeur doit sans retard, et au plus tard dans le délai d’un an à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, mettre en place un recours ou un ensemble de recours internes effectifs permettant aux justiciables concernés d’obtenir un redressement adéquat et suffisant pour la non-exécution ou l’exécution tardive de décisions de justice internes, conformément aux principes de la Convention tels qu’établis dans la jurisprudence de la Cour ;
6. (…) dans le délai d’un an à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, l’État défendeur devra offrir pareil redressement à tous les requérants ayant déjà saisi la Cour de requêtes soulevant des griefs défendables qui sont tirés uniquement de l’inexécution prolongée de décisions de justice internes dont la mise en œuvre relevait de la responsabilité de l’État défendeur, y compris lorsqu’est également dénoncée l’absence de recours effectifs à cet égard, et qui ont été portés à la connaissance du Gouvernement en vertu de l’article 54 § 2 b) du règlement de la Cour avant le prononcé du présent arrêt ou qui le seront à la suite de celui-ci ;
7. (…) en attendant l’adoption des mesures ci-dessus, la Cour ajournera, pendant une durée d’un an à compter de la date où le présent arrêt sera devenu définitif, la procédure dans toutes les affaires soulevant des griefs défendables tirés uniquement de l’inexécution prolongée de décisions internes dont la mise en œuvre relevait de la responsabilité de l’État défendeur, y compris celles dénonçant aussi l’absence de recours effectifs à cet égard, réserve faite de la faculté pour la Cour, à tout moment, de déclarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer du rôle à la suite d’un accord amiable entre les parties ou d’un règlement du litige par d’autres moyens, au sens respectivement des articles 37 et 39 de la Convention ;
(…) »
La Cour a déclaré que, dans l’hypothèse où l’État défendeur n’adopterait pas ces mesures générales de redressement, elle « n’aura[it] d’autre choix que de reprendre l’examen de toutes les requêtes similaires portées devant elle et de statuer sur celles-ci afin de garantir le respect effectif de la Convention » (ibidem, § 100). Elle a décidé d’ajourner la procédure à l’égard de toute nouvelle requête qui serait introduite après le prononcé de l’arrêt pilote (ibidem, § 97). Quant aux requêtes introduites avant le prononcé de l’arrêt, elle a décidé de les communiquer au Gouvernement et d’ajourner la procédure contradictoire pour celles-ci. De même, elle a résolu d’ajourner les affaires déjà communiquées mais non encore tranchées au fond pour une période d’un an à compter de la date à laquelle l’arrêt deviendrait définitif (ibidem, § 98). Pour ce qui est enfin de l’application de l’article 41 dans l’affaire, la Cour a dit que l’État défendeur devait verser au requérant le reliquat des sommes octroyées par les jugements internes, ainsi que, concernant le dommage matériel, 174 euros (EUR) au titre de l’indexation sur l’inflation, et 2 500 EUR pour le préjudice moral (ibidem, §§ 106-107, et point 8 du dispositif).
3. La communication des affaires s’inscrivant dans la lignée de celle tranchée par l’arrêt pilote Ivanov et les demandes de prolongation de délai formées par le gouvernement ukrainien
16. Par une lettre du 27 janvier 2010, la Cour a informé le gouvernement ukrainien de son intention de lui communiquer, en application de l’article 54 § 2 b) du règlement, toutes les affaires de type Ivanov qui se trouvaient pendantes devant elle à la date du prononcé de l’arrêt pilote Ivanov du 15 octobre 2009, devenu définitif le 15 janvier 2010 (point 6 du dispositif et paragraphe 15 ci‑dessus).
17. Le 11 février 2010, le président de la cinquième section a donc décidé, en vertu de la disposition susmentionnée, de communiquer lesdites affaires au gouvernement défendeur pour information et adoption éventuelle de mesures tout en en ajournant officiellement l’examen pendant une durée d’un an (soit jusqu’au 15 janvier 2011) à compter de la date à laquelle l’arrêt deviendrait définitif.
18. En décembre 2010, le Gouvernement avait déjà formulé des propositions de règlement amiable et des déclarations unilatérales pour 372 affaires. Celles-ci ont été rayées du rôle de la Cour en vertu de l’article 37 § 1 b) de la Convention, après que les requérants concernés eurent accepté les propositions de règlement amiable ou que la Cour eut accepté les déclarations unilatérales du Gouvernement.
19. Le 10 décembre 2010, le Gouvernement a demandé une prolongation d’un an du délai fixé dans l’arrêt pilote pour le règlement des affaires pendantes et l’adoption des mesures générales requises au niveau interne.
20. Le 18 janvier 2011, la Cour a décidé d’accueillir en partie la demande du Gouvernement et de prolonger jusqu’au 15 juillet 2011 le délai imparti.
21. Le 13 juillet 2011, le Gouvernement a demandé une nouvelle prolongation du délai, pour une période de six mois. Il a également présenté des propositions de règlement amiable et des déclarations unilatérales concernant près de 1 000 affaires. La Cour a finalement rayé de son rôle 347 des affaires en question.
22. Le 6 septembre 2011, la Cour a rejeté la seconde demande de prolongation formée par le Gouvernement. Elle a considéré qu’il appartenait au Comité des Ministres de déterminer les moyens les plus appropriés et les plus rapides de mener les réformes nécessaires en Ukraine dans le cadre du processus de surveillance de l’exécution de l’arrêt pilote. La question de la poursuite de la procédure dans les affaires soulevant des questions similaires a été ajournée et toutes les affaires en question ont été suspendues.
4. La décision de reprendre l’examen des affaires de type Ivanov
23. Le 21 février 2012, la Cour a examiné la situation des quelque 2 500 affaires s’inscrivant dans la lignée de celle tranchée par l’arrêt Ivanov qui étaient pendantes devant elle. Si un certain nombre d’affaires avaient été rayées du rôle à la suite d’un règlement amiable ou de l’acceptation d’une déclaration unilatérale, aucune solution n’avait été proposée pour quelque 700 affaires communiquées. Entre-temps, après le 1er janvier 2011, près de 1 000 autres requêtes similaires avaient été soumises à la Cour.
24. Renvoyant à l’avertissement qu’elle avait formulé dans l’arrêt pilote (Ivanov, § 100, et paragraphe 15 ci-dessus), à savoir que, dans l’hypothèse où les mesures générales de redressement requises ne seraient pas adoptées au niveau interne, elle n’aurait d’autre choix que de statuer sur les affaires pendantes, la Cour a résolu de reprendre l’examen des affaires s’inscrivant dans la lignée de l’affaire Ivanov. Elle a aussi exprimé l’espoir que les autorités ukrainiennes continueraient à coopérer avec le Comité des Ministres afin que l’arrêt pilote soit exécuté sans délai et compte dûment tenu des recommandations, résolutions et décisions pertinentes de cet organe.
25. Le 5 juin 2012, le Parlement ukrainien a adopté une nouvelle loi, « la loi sur les garanties apportées par l’État en matière d’exécution des décisions judiciaires, telle que modifiée » (Закон України « Про гарантії держави щодо виконання судових рішень » – « la loi de 2012 »). Modifiée à deux reprises, les 15 mai et 19 septembre 2013, la loi de 2012 a instauré une procédure prévoyant le paiement par le Trésor public ukrainien des créances constatées par une décision de justice interne. Selon cette loi, les intéressés doivent s’adresser au Trésor public pour obtenir les sommes dues (voir aussi les paragraphes 103-104 ci-dessous).
26. Malgré l’adoption de la nouvelle mesure de redressement fondée sur la loi de 2012, l’afflux d’affaires de type Ivanov a considérablement augmenté depuis fin 2013.
27. Le 3 février 2015, la Cour a communiqué au gouvernement ukrainien l’affaire Filipov et 3 autres requêtes (no 35660/13), dans laquelle les requérants se plaignaient du manque d’effectivité du nouveau redressement introduit par la loi de 2012.
5. L’adoption du premier arrêt groupé et la communication au Gouvernement d’affaires de type Ivanov
28. Entre-temps, le 3 juillet 2012, la Cour avait rendu son arrêt dans l’affaire Kharuk et autres c. Ukraine ([comité], no 703/05, 26 juillet 2012). Elle y concluait, pour la première fois pour un groupe de requérants, à la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l’inexécution prolongée de décisions de justice définitives en Ukraine. Cet arrêt concernait 116 requêtes. Statuant sur la satisfaction équitable en vertu de l’article 41 de la Convention, la Cour a accordé à chacun des requérants une indemnité pour préjudice matériel et moral d’un montant de 1 500 euros (EUR) dans les cas où les retards constatés ne dépassaient pas trois ans, et d’un montant de 3 000 EUR dans les cas où ils excédaient trois ans.
29. Faisant application de sa décision de reprendre l’examen des affaires pendantes devant elle (paragraphes 23-24 ci-dessus), la Cour a communiqué par groupes au Gouvernement les affaires s’inscrivant dans la lignée de l’affaire Ivanov, et elle a invité ce dernier à présenter des déclarations unilatérales groupées reconnaissant les violations de la Convention et proposant une satisfaction équitable pour tout préjudice matériel et moral éventuellement subi, comme cela avait été fait dans Kharuk et autres (précité). Le Gouvernement a été informé que s’il ne soumettait pas de déclarations unilatérales, les requêtes seraient traitées selon une procédure similaire d’arrêts groupés.
30. En 2013, la Cour a communiqué au Gouvernement 2 750 requêtes de type Ivanov et rendu des arrêts ou des décisions de radiation dans 2 459 affaires de ce type.
31. En résumé, la plupart des affaires de type Ivanov qui avaient été introduites devant la Cour avant 2013 ont été traitées par des arrêts ou des décisions.
6. La décision d’accorder une somme forfaitaire au titre du préjudice matériel et moral
32. Depuis le 20 juin 2013, la Cour applique dans les affaires de type Ivanov une politique consistant à accorder une indemnité forfaitaire de 2 000 euros pour dommage matériel et moral. Concernant le dommage matériel, elle a également déclaré que « l’État défendeur rest[ait] tenu à l’obligation de faire exécuter les décisions de justice qui [étaient] toujours exécutoires » (voir, entre autres, Pysarskyy et autres c. Ukraine [comité], nos 20397/07 et 163 autres, §§ 24-25 et point 6 du dispositif, 20 juin 2013).
7. La décision d’irrecevabilité rendue dans l’affaire Velikoda
33. Le 3 juin 2014, la Cour a déclaré irrecevable la requête Velikoda c. Ukraine (no 43331/12). La requérante s’y plaignait d’une violation des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, alléguant qu’à la suite d’un jugement définitif rendu en sa faveur et ordonnant aux autorités nationales de lui verser une prestation sociale, une loi était entrée en vigueur qui avait considérablement réduit les montants des prestations sociales en question (décision no 745 du conseil des ministres ukrainien).
34. La Cour a jugé notamment que les mesures législatives en cause n’étaient pas déraisonnablement disproportionnées, au motif qu’elles avaient été adoptées pour des considérations de politique économique et en raison des difficultés financières auxquelles l’État était confronté.
35. À la suite de la décision de principe rendue dans Velikoda, environ 5 600 affaires qui avaient été placées dans la catégorie des affaires de type Ivanov ont été déclarées irrecevables.
8. L’adoption de mesures provisoires
36. Le 2 septembre 2014, la Cour a ajourné l’examen des affaires de type Ivanov pour une période d’un an en raison de l’augmentation sensible du nombre des nouvelles requêtes introduites devant elle (en janvier 2014, quelque 6 000 affaires de ce type étaient pendantes ; en septembre de la même année, ce chiffre avait atteint 8 200). La Cour a également décidé qu’elle réexaminerait la situation dans les six mois.
9. La situation actuelle
37. Le 20 janvier 2015, la Cour a réexaminé la décision d’ajourner les affaires de type Ivanov qu’elle avait prise le 2 septembre 2014 et elle a décidé d’en reprendre l’examen. Au cours du même mois, elle a communiqué au Gouvernement un groupe de 5 000 affaires de type Ivanov (Samoylenko et 4 999 autres, nos 11212/08-2803/15).
38. Eu égard au grand nombre de requêtes communiquées, le Gouvernement a demandé à la Cour l’autorisation de lui soumettre chaque mois, à compter du 23 mai 2015, des observations concernant des groupes de 250 affaires ou 500 au maximum.
39. Le 14 avril 2015, la Cour a autorisé le Gouvernement à lui soumettre chaque mois, à compter du 23 mai 2015, des observations concernant 250 affaires.
40. Entre le 22 mai 2015 et le 26 février 2016, le Gouvernement a présenté des déclarations unilatérales dans lesquelles il proposait de verser aux requérants 1 000 EUR pour dommage moral et s’engageait à exécuter les décisions de justice internes pour ce qui est de 2 234 affaires relevant du groupe Samoylenko et 4 999 autres que la Cour lui avait communiquées en janvier 2015.
41. Le 16 juin 2015, la Cour a examiné les termes des déclarations unilatérales que le Gouvernement avait présentées le 22 mai 2015 pour un groupe de 340 requêtes et elle a décidé que le montant susmentionné, combiné à l’engagement du Gouvernement, était suffisant. À la suite de cette décision, 2 041 requêtes ont été rayées du rôle.
Après le dessaisissement de la chambre en faveur de la Grande Chambre dans le cadre des présentes requêtes (paragraphe 5 ci-dessus), le Gouvernement a été informé que, jusqu’à l’issue de la procédure devant la Grande Chambre, la Cour ne rendrait plus d’arrêt dans les affaires de type Ivanov. Le Gouvernement a donc cessé de soumettre des déclarations unilatérales.
42. La Cour a reçu des lettres de certains requérants alléguant que le Gouvernement n’avait pas honoré l’engagement contracté dans la déclaration unilatérale sur le fondement de laquelle la Cour avait rayé leur requête du rôle. En outre, de nombreuses affaires tranchées par un arrêt de la Cour ont conduit les requérants à écrire à celle-ci pour se plaindre de la non‑exécution de l’arrêt par le Gouvernement. Ces plaintes ont été communiquées au service de l’exécution des arrêts (direction générale des droits de l’homme et de l’état de droit du Conseil de l’Europe) afin que des mesures soient prises.
43. Il ressort des informations statistiques dont la Cour dispose à la date du prononcé du présent arrêt que 12 143 affaires de type Ivanov sont pendantes devant elle, dont 7 641 ont déjà été communiquées au Gouvernement. Ces données montrent que depuis le 3 juillet 2012, date à laquelle elle a instauré la procédure fast-track pour rendre des arrêts et décisions groupés, la Cour a examiné et réglé de la manière suivante environ 14 430 affaires de type Ivanov :
– 3 491 affaires ont abouti à un arrêt ;
– 289 affaires se sont soldées par une décision d’irrecevabilité ;
– 1 103 affaires ont donné lieu à une décision de radiation consécutive à un règlement amiable ;
– 1 233 affaires se sont terminées par une décision de radiation consécutive à une déclaration unilatérale ;
– 40 affaires ont donné lieu à une décision de radiation pour d’autres motifs ;
– 8 274 affaires ont fait l’objet d’une décision d’irrecevabilité rendue par un juge unique.
44. Depuis que la première requête de type Ivanov a été introduite devant la Cour en 1999, celle-ci a été saisie de quelque 29 000 affaires semblables.
Depuis début 2016, la Cour continue de recevoir un nombre élevé et croissant de ces requêtes – plus de 200 par mois.
B. Les requérants
1. Mme Lidiya Burmych
45. La requérante réside dans le village d’Olenychi (district d’Ovroutch, région de Jytomyr), en Ukraine. Elle vit et travaille dans une zone qui a subi une contamination radioactive et la législation nationale lui donne droit à diverses prestations sociales spécialement destinées aux victimes de l’accident de Tchernobyl.
46. En 2009, elle engagea devant le tribunal d’Ovroutch de la région de Jytomyr (« le tribunal d’Ovroutch ») une procédure contre la direction du travail et de la protection sociale d’Ovroutch en vue du paiement d’arriérés de prestations sociales dues au titre de la loi sur le statut et la protection sociale des victimes de Tchernobyl.
47. Le 24 juin 2009, le tribunal d’Ovroutch statua en partie en sa faveur. N’ayant pas été frappé d’appel, ce jugement devint définitif le 6 juillet 2009. Le même jour, le tribunal d’Ovroutch délivra un mandat d’exécution.
48. Le 10 août 2009, le service des huissiers de l’État de la direction de la justice de la région de Jytomyr engagea une procédure d’exécution. Malgré un certain nombre de mesures prises par les huissiers, le jugement n’a toujours pas été exécuté.
49. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint de la non-exécution par les autorités nationales du jugement rendu dans sa cause et devenu définitif. Par ailleurs, sous l’angle de l’article 13 de la Convention, elle soutient n’avoir disposé d’aucun recours effectif qui lui eût permis de faire accélérer l’exécution du jugement en question.
2. M. Grygoriy Yaremchuk
50. Le requérant, qui réside à Jytomyr, est un ancien secouriste de Tchernobyl. En mars 2010, il fut reconnu invalide au second degré en raison de ce travail.
51. En octobre 2010, il engagea devant le tribunal du district Bogunskyy de Jytomyr (« le tribunal du district Bogunskyy ») une procédure contre le service des pensions du district Bogunskyy en vue d’obtenir une augmentation du montant de sa pension.
52. Le 20 juin 2011, le tribunal du district Bogunskyy statua en faveur du requérant. N’ayant pas été frappé d’appel, ce jugement devint définitif le 1er juillet 2011.
53. Le 27 juillet 2011, une procédure d’exécution fut ouverte.
54. À ce jour, le jugement définitif n’a toujours pas été exécuté.
55. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint de la non-exécution par l’État du jugement rendu dans sa cause et devenu définitif.
3. M. Oleg Varava
56. Le requérant, qui réside à Krementchouk, est un ancien secouriste de Tchernobyl. En juillet 2009, il fut reconnu invalide au second degré en raison de ce travail.
57. Le 16 août 2010, le tribunal du district Kriukivskyy de Krementchouk (« le tribunal du district Kriukivskyy ») ordonna à la direction du travail et de la protection sociale du district Kriukivskyy de recalculer le montant dû au requérant au titre de sa participation aux opérations de secours de Tchernobyl et de lui verser une indemnité forfaitaire.
58. Le 7 février 2011, la cour d’appel de la région de Poltava confirma le jugement du 16 août 2010, qui devint définitif.
59. Le 16 septembre 2011, le service des huissiers de Poltava mit un terme à la procédure d’exécution dans la cause du requérant, lequel attaqua cette décision.
60. Le 15 mars 2012, le tribunal du district Kriukivskyy statua en faveur du requérant et ordonna au service des huissiers de rouvrir la procédure d’exécution. Cette décision fut confirmée en appel le 25 avril 2012.
61. Le 19 juillet 2012, le service des huissiers de Poltava mit à nouveau fin à la procédure d’exécution. Le 5 octobre 2012, il rejeta la demande formée par le requérant en vue de sa reprise.
62. Le 28 février 2013, à la suite d’une plainte du requérant, le tribunal du district Kriukivskyy annula la décision des huissiers et leur ordonna de rouvrir la procédure d’exécution.
63. Le jugement définitif du 16 août 2010 n’a toujours pas été exécuté.
64. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint de la non-exécution par les autorités nationales du jugement rendu dans sa cause et devenu définitif.
4. M. Yuriy Neborachko
65. Le requérant réside à Jytomyr.
66. À une date non précisée, le père du requérant engagea devant le tribunal administratif de Jytomyr (« le tribunal de Jytomyr ») une procédure contre la direction du travail et de la protection sociale de Jytomyr (« la direction du travail ») en vue d’obtenir une réévaluation des prestations et le versement de l’indemnité forfaitaire qui lui étaient dues. Après le décès de son père, survenu le 21 novembre 2007, le requérant poursuivit la procédure.
67. Le 24 janvier 2008, le tribunal de Jytomyr ordonna à la direction du travail de verser au requérant le reliquat de la somme due à son défunt père. N’ayant pas été frappé d’appel, ce jugement devint définitif le 4 février 2008.
68. Un mandat d’exécution fut délivré par le tribunal de Jytomyr le 24 avril 2008 et notifié au service des huissiers de Jytomyr.
69. À plusieurs reprises, ce service renvoya le mandat sans avoir pu faire exécuter le jugement, en raison de l’insuffisance des crédits dont disposait la direction débitrice. Le jugement du 24 janvier 2008 n’a toujours pas été exécuté.
70. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint de la non-exécution par les autorités nationales du jugement rendu dans sa cause et devenu définitif.
5. Izolyatsiya, PAT
71. La requérante est une société anonyme de droit privé ayant son siège à Donetsk, en Ukraine.
72. Le 13 décembre 2007, le tribunal de commerce de la région de Dnipropetrovsk (« le tribunal de Dnipropetrovsk ») fit droit à une action exercée par la société requérante contre l’entreprise publique « Prydniprovskyy Zavod Kolyorovykh Metaliv » (« l’entreprise publique ») en vue de la restitution de métaux précieux. Par ailleurs, le tribunal accorda à la société requérante le remboursement des frais et dépens. N’ayant pas été frappé d’appel, ce jugement devint définitif le 25 décembre 2007. Le même jour, le tribunal délivra un mandat d’exécution.
73. Le 30 janvier 2008, le service des huissiers de Bagliysk, à Dniprodzerjynsk, engagea une procédure d’exécution.
74. Le 11 mars 2008, la procédure d’exécution fut transférée au service des huissiers de Dnipropetrovsk.
75. Le 4 avril 2008, ledit service établit qu’une partie des métaux avait été restituée à la société requérante par l’entreprise débitrice et que l’autre partie n’avait pu être retrouvée.
76. Le 6 juin 2008, le ministère ukrainien des Hydrocarbures et de l’Énergie ordonna la liquidation de l’entreprise publique. Une commission de liquidation fut créée. Le 28 juillet 2008, le ministère émit un autre arrêté concernant la liquidation de l’entreprise publique.
77. Le 5 septembre 2008, le service des huissiers de Dnipropetrovsk mit fin à la procédure d’exécution concernant l’octroi des frais et dépens au titre du jugement du 13 décembre 2007.
78. Informée de l’impossibilité de retrouver le reste des métaux à lui restituer en vertu du jugement du 13 décembre 2007, la société requérante demanda au tribunal de Dnipropetrovsk de changer les modalités d’exécution de ce volet du jugement et de lui allouer une somme correspondant à la valeur marchande des métaux disparus.
79. Le 22 septembre 2008, le tribunal de Dnipropetrovsk modifia la procédure d’exécution du jugement du 13 décembre 2007 et enjoignit à l’entreprise publique de verser une indemnité à la société requérante.
80. Le 27 octobre 2008 et le 25 février 2009 respectivement, cette décision fut confirmée par la cour d’appel de commerce de Dnipropetrovsk et par la Cour supérieure de commerce.
81. Le 9 avril 2009, le service des huissiers de Dnipropetrovsk mit fin à la procédure d’exécution en raison de la liquidation de l’entreprise débitrice.
82. À la suite d’une plainte de la société requérante, le 21 septembre 2009, le tribunal administratif de Donetsk annula les décisions du ministère ukrainien des Hydrocarbures et de l’Énergie rendues les 6 juin et 28 juillet 2008 relativement à la liquidation de l’entreprise publique. Cette décision fut infirmée en appel par la cour administrative d’appel de Donetsk le 23 décembre 2009, mais finalement confirmée par la Cour administrative supérieure le 6 juillet 2010.
83. Le 10 avril 2010, à la demande de la société requérante, le tribunal de Dnipropetrovsk ouvrit une procédure de faillite visant l’entreprise publique. Le 9 juillet 2013, il déclara l’entreprise publique en faillite et en ordonna la liquidation.
84. Le jugement du 13 décembre 2007 tel que modifié par la décision du 22 septembre 2008 n’a toujours pas été exécuté.
85. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, la société requérante se plaint de la non-exécution par les autorités nationales du jugement rendu dans sa cause et devenu définitif. Par ailleurs, sous l’angle de l’article 13 de la Convention, elle soutient n’avoir disposé d’aucun recours effectif qui lui eût permis de faire accélérer l’exécution du jugement en question.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution du 26 juin 1996, telle que modifiée le 2 juin 2016
86. Tel qu’initialement libellé, le dernier paragraphe de l’article 124 de la Constitution énonçait :
« (…) Les décisions de justice sont adoptées par les tribunaux au nom de l’Ukraine et sont exécutoires sur l’ensemble du territoire ukrainien. »
87. À la suite des modifications du 2 juin 2016, cette disposition a été abrogée et remplacée par un nouvel article 129 § 1, qui se lit ainsi :
« Les décisions de justice sont adoptées par les tribunaux au nom de l’Ukraine. Elles sont exécutoires.
L’État garantit l’exécution des décisions de justice dans le respect des procédures établies par la loi.
Les tribunaux contrôlent l’exécution des décisions de justice. »
B. Le code pénal
88. L’article 382 du code pénal dispose :
« 1. Le fait de méconnaître délibérément un verdict, un jugement, une décision ou une résolution prononcé(e) par un tribunal et passé(e) en force de chose jugée ou d’entraver son exécution est punissable d’une amende [d’un montant] pouvant aller de cinq cents à mille fois le revenu mensuel légal non imposable ou d’une privation de liberté d’une durée maximale de trois ans.
2. Les mêmes faits, s’ils sont commis par un responsable, sont punissables d’une amende [d’un montant] pouvant aller de sept cent cinquante à mille fois le revenu mensuel légal non imposable ou d’une privation de liberté d’une durée maximale de trois ans, assortie d’une interdiction, d’une durée maximale de trois ans, d’exercer certaines fonctions ou de se livrer à certaines activités.
3. Les mêmes faits, s’ils sont commis par un responsable exerçant des fonctions d’autorité, quel qu’en soit le niveau, ou par une personne reconnue auparavant coupable d’une infraction visée dans le présent article, ou s’ils portent gravement atteinte aux droits et libertés protégés par la loi ou aux intérêts de l’État, de la société ou de personnes morales, sont punissables d’une restriction de liberté d’une durée maximale de cinq ans ou d’une privation de liberté de même durée assortie d’une interdiction, d’une durée maximale de trois ans, d’exercer certaines fonctions ou de se livrer à certaines activités.
4. La méconnaissance délibérée par un responsable d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme est punissable d’une privation de liberté d’une durée de trois à huit ans, assortie d’une interdiction, d’une durée maximale de trois ans, d’exercer certaines fonctions ou de se livrer à certaines activités. »
C. La loi du 14 mai 1992 sur le rétablissement de la solvabilité d’un débiteur ou la déclaration de faillite, telle que modifiée (Закон України « Про відновлення платоспроможності боржника або визнання його банкрутом »)
89. L’article 19 de cette loi permet à un tribunal de commerce d’ordonner un moratoire sur le recouvrement de la dette d’une entreprise visée par une procédure de faillite. Le moratoire entraîne l’interdiction d’exécuter les jugements rendus contre une telle entreprise. La loi dispose par ailleurs que l’entreprise protégée par un moratoire ne peut pendant la durée de celui-ci faire l’objet d’une amende ou d’autres sanctions pour non‑exécution ou exécution inadéquate de ses obligations financières.
D. La loi du 21 avril 1999 sur les voies d’exécution, en vigueur jusqu’au 2 juin 2016 (Закон України « Про виконавче провадження »)
90. Cette loi fixait la procédure à suivre pour l’exécution des décisions des tribunaux et d’autres autorités et instances compétentes (« les jugements »).
91. Son article 2 confiait l’exécution des jugements au service des huissiers de l’État, qui relevait du ministère de la Justice. D’autres autorités et instances pouvaient elles aussi être investies de cette tâche conformément à la loi.
92. La loi de 1999 donnait aux huissiers de vastes pouvoirs dans le cadre des procédures d’exécution. Ils pouvaient notamment demander à toute personne concernée et obtenir d’elle tous les renseignements et documents nécessaires à la mise en œuvre de jugements, perquisitionner tout local appartenant à un débiteur ou occupé par lui, saisir et vendre ses biens, bloquer ses comptes bancaires et infliger des amendes aux citoyens et aux responsables dans les cas prévus par la loi (articles 4 et 5 de la loi). Les décisions prises par un huissier aux fins de l’exécution d’un jugement s’imposaient à l’ensemble des entités, organisations, responsables et simples particuliers sur le territoire ukrainien. En vertu des articles 6 et 88 de la loi, les huissiers étaient habilités à imposer une amende d’un montant pouvant aller de dix à trente fois le revenu mensuel légal non imposable à quiconque ne respectait pas leurs décisions. Si les faits commis par les contrevenants relevaient du pénal, les huissiers étaient tenus de demander l’ouverture de poursuites.
93. L’article 3 de la loi énumérait les documents qui permettaient aux huissiers de procéder à une exécution forcée (« les titres exécutoires »). Il s’agissait notamment des mandats d’exécution délivrés par un juge, des décisions et résolutions des tribunaux dans les affaires civiles, commerciales, administratives ou pénales, des ordonnances judiciaires et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Aux fins de l’ouverture des voies d’exécution, la personne en faveur de laquelle le jugement avait été rendu (« le créancier ») ou un procureur qui avait représenté un citoyen ou l’État devant le juge devait remettre aux huissiers un titre exécutoire visé à l’article 3 accompagné d’une demande d’exécution du jugement (article 18). Les huissiers disposaient d’un délai de trois jours pour dire si cette demande avait été formulée conformément à la loi et, dans l’affirmative, pour entamer la procédure d’exécution, qui devait en principe prendre fin dans les six mois (articles 24 et 25).
94. Dans certains cas particuliers prévus par l’article 34 de la loi, les huissiers étaient tenus de suspendre cette procédure, par exemple si un tribunal de commerce ouvrait une instance de faillite contre le débiteur et interdisait le paiement des créances, ou encore si le débiteur était une société inscrite sur la liste des compagnies d’hydrocarbures ou d’énergie et prenant part à une procédure de recouvrement de créances relevant de la loi sur les mesures visant à garantir la stabilité des sociétés d’hydrocarbures ou d’énergie (paragraphe 97 ci-dessous).
95. L’article 37 de la loi disposait que la procédure d’exécution devait être close par exemple si le jugement avait été intégralement exécuté, si le délai prescrit pour le recouvrement de certaines créances avait expiré ou si le titre exécutoire avait été transmis au liquidateur du débiteur une fois celui-ci officiellement déclaré insolvable. Les huissiers devaient rendre le titre exécutoire au créancier si, par exemple, le débiteur ne possédait pas de biens susceptibles d’être saisis aux fins de l’exécution du jugement et si les mesures prises par eux pour trouver de tels biens avaient échoué.
96. Les parties ou participants à une procédure d’exécution pouvaient contester l’action ou l’inaction des huissiers devant les supérieurs de ceux-ci ou devant le juge et demander réparation (articles 7, 85 et 86).
97. Les dispositions transitoires de la loi suspendaient les effets des articles 4 et 5 de ce texte à l’égard des compagnies d’hydrocarbures ou d’énergie participant à une procédure de recouvrement de créances relevant de la loi sur les mesures visant à garantir la stabilité des sociétés d’hydrocarbures ou d’énergie.
E. La loi du 29 novembre 2001 sur l’instauration d’un moratoire concernant la vente forcée de biens (Закон України « Про введення мораторiю на примусову реалiзацiю майна »)
98. Cette loi vise à protéger les intérêts de l’État lors de la vente d’actifs appartenant à des entreprises dans lesquelles il détient au moins 25 % du capital social. Elle a instauré un moratoire sur le recouvrement des créances reconnues par une décision de justice, pour lequel aucun délai n’a été fixé et qui doit s’appliquer tant que le mécanisme de vente forcée des biens de telles entreprises n’aura pas été amélioré.
F. La loi du 23 juin 2005 sur les mesures visant à garantir la stabilité des entreprises du secteur des hydrocarbures et de l’énergie (Закон України Про заходи, спрямовані на забезпечення сталого функціонування підприємств паливно-енергетичного комплексу)
99. Cette loi a instauré un mécanisme pour le paiement et l’amortissement des dettes contractées par les entreprises pour des ressources énergétiques. Elle a également mis en place un registre spécial indiquant les entreprises qui, au regard de ses dispositions, sont concernées par le paiement et l’amortissement de dettes. L’inscription d’une entreprise sur ce registre a pour effet de suspendre toute procédure d’exécution contre elle et elle oblige les juridictions nationales à rejeter toute demande d’ouverture d’une procédure de faillite ou de liquidation la visant.
G. La loi du 16 octobre 2006 sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et l’application de la jurisprudence de celle-ci
100. L’article 1 de la loi donne la définition des termes qui y sont employés. Une décision de la Cour désigne un arrêt définitif dans une affaire dirigée contre l’Ukraine dans lequel une violation est constatée, un arrêt définitif sur la satisfaction équitable dans une affaire contre l’Ukraine, un arrêt/une décision aboutissant à un règlement amiable dans une affaire contre l’Ukraine, ou un arrêt/une décision approuvant une déclaration unilatérale dans une affaire contre l’Ukraine. La réparation est définie comme la somme allouée au titre de la satisfaction équitable, fixée par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de l’article 41 de la Convention, ou une somme indiquée dans une décision approuvant un règlement amiable ou une déclaration unilatérale. Par exécution d’un arrêt/d’une décision, la loi entend le versement d’une indemnité et l’adoption de mesures individuelles complémentaires, ainsi que de mesures générales. Le cinquième point de l’article 8 dispose que la confirmation du versement de la somme et de l’exécution de toute autre obligation indiquée dans le dispositif de l’arrêt de la Cour met fin à la procédure d’exécution. L’article 10 prévoit des mesures individuelles complémentaires (au versement de la réparation telle que définie ci-dessus) englobant la restitutio in integrum dans toute la mesure du possible et d’autres mesures indiquées dans l’arrêt/la décision.
H. La loi du 14 juin 2011 concernant le budget de l’État
101. Cette loi a modifié comme suit la loi de 2011 sur le budget de l’État :
« (…) Établir qu’en 2011 les dispositions des articles (…) 50, 54 (…) de la loi sur les victimes de l’accident de Tchernobyl, la loi sur la protection sociale des enfants de la guerre et la loi sur les pensions du personnel militaire (…) sont mises en œuvre à hauteur des montants déterminés par le conseil des ministres de l’Ukraine conformément aux ressources financières disponibles dans le budget des pensions pour 2011. »
102. Par sa décision no 745 du 6 juillet 2011, le conseil des ministres a fixé les montants concernés. Cette décision est restée en vigueur du 23 juillet 2011 au 1er janvier 2012. Le 23 novembre 2011, le conseil des ministres a adopté une nouvelle décision (no 1210) sur la même question.
I. La loi du 5 juin 2012 sur les garanties apportées par l’État en matière d’exécution des décisions judiciaires, telle que modifiée (Закон України « Про гарантії держави щодо виконання судових рішень »)
103. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2013. Elle impose aux autorités de l’État (le Trésor public) l’obligation d’exécuter les jugements rendus par les juridictions nationales contre les organes et entreprises de l’État (article 2 de la loi).
104. En vertu de l’article 3 § 4 de la loi, les décisions des juridictions nationales doivent être exécutées dans le délai de trois mois à compter de la date à laquelle le demandeur a soumis au Trésor public tous les documents requis. La loi dispose en outre que lorsqu’une décision est demeurée inexécutée pendant plus de trois mois, l’État est tenu d’indemniser la personne concernée à hauteur de 3 % par an de l’encours annuel de la dette.
J. La loi du 2 juin 2016 sur les voies d’exécution (Закон України « Про виконавче провадження »)
105. La nouvelle version de la loi sur les voies d’exécution a mis en place un système d’exécution mixte associant huissiers de l’État et agents de recouvrement privés. Bien que ces derniers ne puissent pas participer à l’exécution de décisions internes lorsque c’est l’État qui est le débiteur, ils sont censés reprendre une partie de la tâche incombant aux huissiers de l’État et réduire ainsi le temps global que ceux-ci consacrent à l’exécution. De plus, la loi prévoit la création d’un système de traitement des données devant permettre l’échange d’informations sur les procédures d’exécution, en vue de l’accélération de la localisation des biens du débiteur et du contrôle de l’activité des personnes chargées de l’exécution.
106. L’article 5 de la loi dispose :
« 1. Les huissiers de l’État et, dans la mesure où la loi le permet, les agents de recouvrement privés sont autorisés à exécuter les décisions.
2. Les agents de recouvrement privés procèdent à l’exécution des décisions (…), excepté pour :
(…)
2) les décisions dans le cadre desquelles le débiteur est un État, une autorité gouvernementale, la Banque nationale d’Ukraine, une autorité autonome, un de leurs responsables, une entreprise d’État ou une entreprise municipale, une institution ou une organisation dans laquelle l’État détient au moins 25 % du capital social, et/ou qui est financée par l’État ou le budget local (…) »
K. La loi du 2 juin 2016 sur les autorités et personnes responsables de l’exécution de décisions de juridictions et d’autres organes (Закон України « Про органи та осіб, які здійснюють примусове виконання судових рішень і рішень інших органів »)
107. L’article 1 de la loi énonce :
« 1. Les huissiers de l’État et, dans la mesure où la loi sur les voies d’exécution le permet, les agents de recouvrement privés sont autorisés à exécuter les décisions de juridictions et d’autres organes (personnes responsables). »
III. LES TEXTES PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE
A. Le Protocole no 14 à la Convention
108. Adopté par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe lors de sa 114e session tenue le 12 mai 2004, le Protocole no 14 à la Convention constitue avec les recommandations et résolutions qui l’accompagnent (paragraphes 110‑112 ci-dessous) une pièce centrale de l’ensemble des mesures de réforme prises par les États contractants pour garantir l’efficacité à long terme du système de la Convention (Broniowski c. Pologne (fond) [GC], no 31443/96, §§ 190-191, CEDH 2004‑V).
109. Le paragraphe 98 du Rapport explicatif du Protocole no 14 évoque en ces termes l’exécution des arrêts de la Cour :
« L’exécution rapide et complète des arrêts de la Cour est primordiale. Elle l’est encore plus lorsque ces arrêts concernent des affaires qui portent sur des lacunes structurelles afin d’éviter que la Cour ne soit engorgée par un grand nombre de requêtes répétitives. Il a donc été estimé indispensable, dans ce contexte, dès la Conférence ministérielle de Rome des 3-4 novembre 2000 (Résolution I) (…), de renforcer les moyens mis à la disposition du Comité des Ministres. Il est de la responsabilité collective des Parties à la Convention de préserver l’autorité de la Cour – et donc la crédibilité et l’efficacité du système de la Convention – face à une Haute Partie contractante qui, selon le Comité des Ministres, refuserait de se conformer, expressément ou du fait de son comportement, à un arrêt définitif de la Cour dans un litige auquel il est partie. »
B. La Recommandation Rec(2004)6 du Comité des Ministres aux États membres sur l’amélioration des recours internes, adoptée le 12 mai 2004
110. Lors de sa 114e session tenue le 12 mai 2004, le Comité des Ministres, ayant examiné les mesures nécessaires pour garantir l’efficacité à long terme du mécanisme de contrôle instauré par la Convention, émit la déclaration suivante :
« Rappelant le caractère subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, qui présuppose, conformément à son article 1er, que les droits et libertés garantis par la Convention soient protégés tout d’abord par le droit interne et appliqués par les autorités nationales ;
Se félicitant à cet égard de ce que la Convention fait aujourd’hui partie intégrante de l’ordre juridique interne de l’ensemble des États parties ;
Soulignant que, ainsi que l’article 13 de la Convention l’exige, les États membres se sont engagés à ce que toute personne pouvant alléguer de manière défendable une violation de ses droits et libertés reconnus dans la Convention ait droit à un recours effectif devant une instance nationale ;
Rappelant que, au-delà de l’obligation de s’assurer de l’existence de tels recours effectifs au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après dénommée « la Cour »), les États ont l’obligation générale de remédier aux problèmes sous-jacents aux violations constatées ;
Soulignant qu’il appartient aux États membres d’assurer que les recours internes soient effectifs en droit et en pratique, et qu’ils puissent aboutir à une décision sur le bien-fondé du grief et à un remède approprié de toute violation constatée ;
Notant que la nature et le nombre des requêtes portées devant la Cour et les arrêts qu’elle rend démontrent plus que jamais le besoin, pour les États membres, de s’assurer de manière efficace et régulière que de tels recours existent en toute circonstance en particulier dans le cas de durée excessive de procédures juridictionnelles ;
Estimant que la disponibilité de recours internes effectifs pour toutes les allégations défendables de violations de la Convention devrait permettre de réduire la charge de travail de la Cour, en raison, d’une part, de la réduction du nombre des affaires qui lui parviennent et, d’autre part, du fait que le traitement circonstancié des affaires au plan national est de nature à faciliter leur examen ultérieur par la Cour ;
Soulignant que l’amélioration des recours au niveau national, tout particulièrement en matière d’affaires répétitives, devrait également contribuer à réduire la charge de travail de la Cour ;
Recommande aux États membres, en tenant compte des exemples de bonnes pratiques figurant en annexe :
I. de s’assurer par un suivi constant, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, que des recours internes existent pour toute personne alléguant d’une façon défendable une violation de la Convention et que ces recours sont effectifs, dans la mesure où ils permettent d’aboutir à une décision sur le bien-fondé du grief et à un remède approprié de toute violation constatée ;
II. de réexaminer, à la suite d’arrêts de la Cour qui révèlent des défaillances structurelles ou générales dans le droit ou la pratique de l’État, l’effectivité des recours internes existants et, le cas échéant, mettre en place des recours effectifs afin d’éviter que des affaires répétitives ne soient portées devant la Cour ;
(…) »
111. La Recommandation s’accompagne d’une Annexe, dans laquelle le Comité des Ministres indiquait ce qui suit :
« (…)
3. La Cour est confrontée à un nombre toujours croissant de requêtes. Cet état de fait compromet à long terme l’efficacité du système et exige donc une réaction vigoureuse de la part des États membres. C’est précisément dans ce contexte que la disponibilité de recours effectifs prend une importance particulière. L’amélioration des recours internes disponibles aura, très probablement, des effets tant quantitatifs que qualitatifs sur la charge de travail de la Cour :
– d’une part, le volume des requêtes à examiner devrait se réduire : moins de requérants se sentiraient contraints de porter leur affaire devant la Cour si l’examen de leurs plaintes était déjà suffisamment approfondi devant une instance nationale ;
– d’autre part, l’examen des requêtes par la Cour sera facilité si les affaires ont fait l’objet au préalable d’un examen au fond par une instance nationale grâce à l’amélioration des recours internes.
(…)
13. Après qu’un arrêt de la Cour qui révèle des défaillances structurelles ou générales dans le droit ou la pratique de l’État (« arrêt pilote ») a été rendu et que de nombreuses requêtes concernant le même problème (« affaires répétitives ») sont pendantes ou susceptibles d’être introduites devant la Cour, l’État défendeur devrait s’assurer que les requérants potentiels disposent d’un recours effectif leur permettant de s’adresser à une autorité nationale compétente, recours qui pourrait être également utilisé par les requérants actuels. Un tel recours rapide et efficace leur permettrait d’obtenir réparation déjà au niveau interne, conformément au principe de subsidiarité du système de la Convention.
14. La mise en place d’un tel recours interne pourrait également contribuer de manière significative à réduire la charge de travail de la Cour. Bien que l’exécution rapide de l’arrêt pilote reste essentielle pour résoudre le problème structurel et prévenir ainsi de futures requêtes sur la même question, il peut exister une catégorie de personnes qui ont déjà été affectées par ce problème avant la résolution de ce dernier
(…)
16. En particulier, à la suite d’un arrêt pilote ayant relevé un problème structurel spécifique, une approche ad hoc pourrait par exemple être adoptée, par laquelle l’État concerné examinerait l’opportunité de mettre en place un recours spécifique ou d’élargir un recours existant par voie législative ou jurisprudentielle.
(…)
18. Lorsque de tels recours spécifiques ont été mis en place à la suite d’un arrêt pilote, les gouvernements devraient en informer rapidement la Cour, afin qu’elle puisse en tenir compte dans le traitement des affaires répétitives.
(…) »
C. La Résolution Res(2004)3 du Comité des Ministres sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent, adoptée le 12 mai 2004
112. Lors de la même session, le 12 mai 2004, le Comité des Ministres adopta une résolution dans laquelle il s’exprimait ainsi :
« (…)
Rappelant le caractère subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, qui présuppose, conformément à son article 1er, que les droits et libertés garantis par la Convention soient protégés tout d’abord par le droit interne et appliqués par les autorités nationales ;
(…)
Rappelant que, en vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après dénommée « la Cour ») dans les litiges auxquels elles sont parties et que l’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution ;
Soulignant l’intérêt d’aider l’État concerné à identifier les problèmes sous-jacents et les mesures d’exécution nécessaires ;
Estimant que la mise en œuvre des arrêts serait facilitée si l’existence d’un problème structurel était déjà identifiée dans l’arrêt de la Cour ;
(…)
Invite la Cour :
I. dans toute la mesure du possible, à identifier dans les arrêts où elle constate une violation de la Convention ce qui, d’après elle, révèle un problème structurel sous‑jacent et la source de ce problème, en particulier lorsqu’il est susceptible de donner lieu à de nombreuses requêtes, de façon à aider les États à trouver la solution appropriée et le Comité des Ministres à surveiller l’exécution des arrêts ;
II. à signaler spécialement tout arrêt comportant des indications sur l’existence d’un problème structurel et sur la source de ce problème non seulement à l’État concerné et au Comité des Ministres, mais aussi à l’Assemblée parlementaire, au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et au Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, et à signaler de manière appropriée ces arrêts dans la base de données de la Cour. »
D. Les procédures du Comité des Ministres pour la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour
113. L’exercice des pouvoirs du Comité des Ministres fondés sur l’article 46 §§ 2 à 5 de la Convention est régi par les Règles du Comité des Ministres pour la surveillance de l’exécution des arrêts et des termes des règlements amiables (« les Règles du CM »), adoptées le 10 mai 2006 lors de la 964e réunion des Délégués des Ministres.
114. Selon les Règles du CM, les affaires restent sous la surveillance du Comité des Ministres tant que les mesures individuelles et générales requises par l’arrêt de la Cour n’ont pas été adoptées. Le Comité des Ministres, après avoir conclu que la Haute Partie contractante concernée a pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt de la Cour, adopte une résolution constatant qu’il a rempli ses fonctions en vertu de l’article 46 § 2 (règle no 17). Dans le cadre de la surveillance de l’exécution d’un arrêt, le Comité des Ministres peut adopter des résolutions intérimaires, afin notamment de faire le point sur l’état d’avancement de l’exécution ou, le cas échéant, d’exprimer sa préoccupation et/ou de formuler des suggestions en ce qui concerne l’exécution (règle no 16).
115. La règle no 6 des Règles du CM énonce :
« 1. Lorsque, dans un arrêt transmis au Comité des Ministres conformément à l’article 46, paragraphe 2, de la Convention, la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles et/ou accorde à la partie lésée une satisfaction équitable en application de l’article 41 de la Convention, le Comité invite la Haute Partie contractante concernée à l’informer des mesures prises ou qu’elle envisage de prendre à la suite de cet arrêt, eu égard à l’obligation qu’elle a de s’y conformer selon l’article 46, paragraphe 1, de la Convention.
2. Dans le cadre de la surveillance de l’exécution d’un arrêt par la Haute Partie contractante concernée, en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention, le Comité des Ministres examine :
a. si la satisfaction équitable octroyée par la Cour a été payée, assortie d’éventuels intérêts de retard ; et,
b. le cas échéant, en tenant compte de la discrétion dont dispose la Haute Partie contractante concernée pour choisir les moyens nécessaires pour se conformer à l’arrêt, si :
i. des mesures individuelles ont été prises pour assurer que la violation a cessé et que la partie lésée est placée, dans la mesure du possible, dans la situation qui était la sienne avant la violation de la Convention ;
ii. des mesures générales ont été adoptées, afin de prévenir de nouvelles violations similaires à celles constatées ou de mettre un terme à des violations continues. »
116. Le Comité des Ministres accorde la priorité à la surveillance de l’exécution des arrêts dans lesquels la Cour a identifié ce qu’elle considère comme un problème structurel selon la Résolution Res(2004)3 du Comité des Ministres sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent (paragraphe 112 ci-dessus).
117. La règle no 4 des Règles du CM se lit ainsi :
« 1. Le Comité des Ministres accordera la priorité à la surveillance des arrêts dans lesquels la Cour a identifié ce qu’elle considère comme un problème structurel selon la Résolution Res(2004)3 du Comité des Ministres sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent.
2. La priorité accordée aux affaires en vertu du premier paragraphe de cette Règle ne se fera pas au détriment de la priorité à accorder à d’autres affaires importantes, notamment les affaires dans lesquelles la violation constatée a produit des conséquences graves pour la partie lésée. »
118. Une approche « double » a été adoptée en janvier 2011. Celle-ci a établi en particulier un système de surveillance comportant deux procédures : une surveillance standard et simplifiée qui constitue la norme et une surveillance soutenue pour certaines affaires. Sont classées dans la catégorie qui appelle une procédure de surveillance soutenue :
– les arrêts exigeant des mesures individuelles urgentes ;
– les arrêts pilotes ;
– les arrêts révélant d’importants problèmes structurels et/ou complexes tels qu’identifiés par la Cour et/ou le Comité des Ministres ;
– les affaires interétatiques.
E. Les conférences de haut niveau sur l’avenir de la Cour tenues à Interlaken, Izmir, Brighton et Bruxelles
119. Face à l’augmentation du nombre de requêtes soumises à la Cour et à l’arriéré croissant des affaires, les États contractants ont tenu quatre conférences de haut niveau destinées à garantir l’efficacité à long terme du système de protection des droits de l’homme instauré par la Convention et à doter la Cour des outils dont elle avait besoin pour accomplir sa mission. À l’issue de chacune de ces conférences, les États parties à la Convention ont émis des déclarations qui, en leurs passages pertinents, se lisent comme exposé ci-dessous.
1. La Conférence et la Déclaration d’Interlaken
120. À l’issue de la Conférence de haut niveau qui s’est tenue à Interlaken, en Suisse, les 18 et 19 février 2010, les États contractants ont fait la déclaration suivante :
« (…)
6. Soulignant la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention et notamment le rôle fondamental que les autorités nationales, à savoir les gouvernements, les tribunaux et les parlements, doivent jouer dans la garantie et la protection des droits de l’homme au niveau national ;
7. Notant avec une profonde préoccupation que le nombre de requêtes individuelles introduites devant la Cour et l’écart entre les requêtes introduites et les requêtes traitées ne cessent d’augmenter ;
8. Considérant que cette situation nuit gravement à l’efficacité et à la crédibilité de la Convention et de son mécanisme de contrôle et qu’elle menace la qualité et la cohérence de la jurisprudence ainsi que l’autorité de la Cour ;
(…)
La Conférence
(…)
(2) Réitère l’obligation des États parties d’assurer la protection intégrale au niveau national des droits et libertés garantis par la Convention et appelle à un renforcement du principe de subsidiarité ;
(3) Souligne que ce principe implique une responsabilité partagée entre les États parties et la Cour ;
(…)
(7) Souligne le caractère indispensable de l’exécution pleine, effective et rapide des arrêts définitifs de la Cour ;
(…) »
Dans le Plan d’action (point 4.b [↩]