Mots clés
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1 . Référé – Mesures provisoires – Conditions d’ octroi – Préjudice grave et irréparable – Préjudice pécuniaire
( Traité CEE, art . 186; règlement de procédure, art . 83, § 2 )
2 . Référé – Mesures provisoires – Conditions d’ octroi – Constitution d’ une caution
( Traité CEE, art . 186; règlement de procédure, art . 86, § 2 )
Sommaire
1 . Le caractère urgent d’ une mesure en référé, mentionnée à l’ article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit être apprécié par rapport à la nécessité qu’ il y a de statuer provisoirement, afin d’ éviter qu’ un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné par l’ application immédiate de la mesure faisant l’ objet du recours principal .
Si, en principe, un préjudice d’ ordre pécuniaire ne saurait être considéré comme irréparable, il peut en être différemment dans des situations exceptionnelles où une compensation pécuniaire n’ est pas susceptible de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice .
2 . La constitution d’ une caution, en cas d’ octroi de la mesure provisoire sollicitée, conformément à l’ article 86, paragraphe 2, du règlement de procédure, ne saurait être envisagée que dans l’ hypothèse où la partie à qui elle est imposée s’ avère être le débiteur de sommes dont la caution doit garantir le paiement et où il y a un risque d’ insolvabilité dans son chef . Un tel risque n’ existe pas dans l’ hypothèse que la Communauté est le débiteur de ces sommes .
Parties
Dans l’ affaire C-195/90 R,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM . Rolf Waegenbaur, conseiller juridique, et Ricardo Gosalbo Bono, membre du service juridique, en qualité d’ agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie requérante,
soutenue par
Royaume de Belgique, représenté par Me Eduard Marissens, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de Me Lucy Dupong, 14 A, rue des Bains,
Royaume de Danemark, représenté par M . Jorgen Molde, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d’ agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l’ ambassade du royaume de Danemark, 11 B, boulevard Joseph-II,
République française, représentée par MM . Jean-Pierre Puissochet, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, et Géraud de Bergues, secrétaire adjoint principal au même ministère, en qualité d’ agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l’ ambassade de France, 9, boulevard Prince-Henri,
Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M . Fernand Kesseler, premier conseiller de gouvernement au ministère des Transports, en qualité d’ agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès du ministère des Transports, 19-21, boulevard Royal,
Royaume des Pays-Bas, représenté par MM . A . Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, et J . W . de Zwaan, conseiller juridique adjoint au même ministère, en qualité d’ agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l’ ambassade du royaume des Pays-Bas, 5, rue C . M . Spoo,
parties intervenantes,
contre
République fédérale d’ Allemagne, représentée par MM . Ernst Roeder, Regierungsdirektor au ministère fédéral de l’ Économie, et Joachim Karl, Oberregierungsrat au même ministère, ainsi que par Me Jochim Sedemund, avocat à Cologne, en qualité d’ agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l’ ambassade de la République fédérale d’ Allemagne, 20-22, avenue Emile-Reuter,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande de mesures provisoires en vue d’ obtenir la suspension de l’ exécution de la loi relative aux taxes sur l’ utilisation des routes fédérales par les poids lourds, du 30 avril 1990 ( » Gesetz ueber Gebuehren fuer die Benutzung von Bundesfernstrassen mit schweren Lastfahrzeugen », BGBl . I, p . 826 ),
LA COUR,
composée de M . O . Due, président, Sir Gordon Slynn, MM . C . N . Kakouris, F . A . Schockweiler et M . Zuleeg, présidents de chambre, G . F . Mancini, T . F . O’ Higgins, J . C . Moitinho de Almeida, G . C . Rodríguez Iglesias, F . Grévisse et M . Díez de Velasco, juges,
avocat général : M . F . G . Jacobs
greffier : M . H . A . Ruehl, administrateur principal
l’ avocat général entendu,
rend la présente
Ordonnance
Motifs de l’arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 juin 1990, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’ article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République fédérale d’ Allemagne, en adoptant la loi relative aux taxes sur l’ utilisation des routes fédérales par les poids lourds, du 30 avril 1990 ( ci-après « loi du 30 avril 1990 « ), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 76, 95 et 5 du traité CEE .
2 Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le même jour, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’ article 186 du traité CEE, une demande en référé visant à obtenir que la Cour enjoigne à la République fédérale d’ Allemagne de prendre les mesures nécessaires en vue de suspendre l’ exécution de la loi du 30 avril 1990 jusqu’ à ce que la Cour ait statué sur le recours formé au principal .
3 Par ordonnance du 28 juin 1990, le président de la Cour, statuant, conformément à l’ article 84, paragraphe 2, du règlement de procédure, sur la demande de mesures provisoires de la Commission avant même que la partie défenderesse ait présenté ses observations, a ordonné ce qui suit :
« 1 ) La République fédérale d’ Allemagne suspend, à titre conservatoire, en ce qui concerne les véhicules immatriculés dans les autres États membres, la perception de la taxe routière prévue par la loi relative aux droits d’ usage des routes fédérales du 30 avril 1990 jusqu’ au prononcé de l’ ordonnance qui mettra fin à la présente procédure en référé .
2 ) Les dépens sont réservés . »
4 Par décision du 27 juin 1990, prenant ses effets le 29 juin suivant, le président de la Cour a, en application de l’ article 85, premier alinéa, du règlement de procédure, déféré à la Cour la décision mettant fin à la procédure en référé .
5 Par ordonnances du 4 juillet 1990, le royaume de Belgique, le royaume de Danemark, la République française, le grand-duché de Luxembourg et le royaume des Pays-Bas ont été admis à intervenir dans la procédure en référé à l’ appui des conclusions de la Commission .
6 Le royaume de Belgique, la République française et le royaume des Pays-Bas ont déposé des observations écrites à l’ appui de leur requête en intervention . La République fédérale d’ Allemagne a présenté ses observations écrites le 29 juin 1990 . La Commission, partie requérante, le royaume de Belgique, le royaume de Danemark, la République française et le royaume des Pays-Bas, parties intervenantes, et la République fédérale d’ Allemagne, partie défenderesse, ont été entendus en leurs observations orales à l’ audience de la Cour du 6 juillet 1990 .
7 La loi du 30 avril 1990 introduit, en son article 1er, une taxe sur l’ utilisation des routes ( » Strassenbenutzungsgebuehr « ), payable, sauf certaines exceptions, pour tout poids lourd dont le poids total en charge autorisé dépasse 18 tonnes, quel que soit son lieu d’ immatriculation, qui utilise les autoroutes fédérales et les routes fédérales, en dehors des agglomérations .
8 Le montant annuel de la taxe varie, selon le poids total en charge du véhicule, de 1 000 à 9 000 DM . La taxe peut, selon certaines modalités, être acquittée pour des périodes déterminées en jours ( 24 heures ), semaines ou mois .
9 L’ acquittement de la taxe donne lieu à la délivrance d’ une attestation devant accompagner le véhicule . Les contrôles nécessaires sont effectués, entre autres, par les services de police et les services des douanes, les contrôles aux frontières entre États membres ne pouvant toutefois être effectués que par sondage, dans le cadre d’ autres contrôles .
10 La loi du 30 avril 1990 porte également, en son article 2, modification de la loi sur la taxe sur les véhicules automoteurs ( » Kraftfahrzeugsteuer « ) et introduit, jusqu’ à la fin de l’ année 1993, un taux réduit pour cette taxe, payable pour tout véhicule, selon un barème variant en fonction du poids total du véhicule, mais ne pouvant dépasser 3 500 DM par année .
11 L’ article 5 de la loi du 30 avril 1990 prévoit qu’ elle entre en vigueur le 1er juillet 1990 et cesse de produire ses effets à la fin de l’ année 1993 .
12 Il ressort, en outre, du dossier que, le 21 mars 1989, le projet de loi en question a été adressé pour consultation à la Commission, conformément à la décision du Conseil, du 21 mars 1962, instituant une procédure d’ examen et de consultation préalables pour certaines dispositions législatives, réglementaires ou administratives, envisagées par les États membres dans le domaine des transports ( JO 23, p . 720 ).
13 Dans l’ avis qu’ elle a émis le 15 juin 1989, conformément à ladite décision, la Commission a relevé que la réduction projetée de la taxe sur les véhicules ne bénéficiait qu’ aux transporteurs allemands, les transporteurs des autres États membres étant, en vertu d’ accords bilatéraux, exonérés de cette taxe, et que cette réduction était pratiquement équivalente au montant de la taxe routière envisagée . L’ introduction de cette dernière taxe constituerait ainsi, en fait, une charge non pas pour les transporteurs allemands, mais uniquement pour les transporteurs des autres États membres qui seraient tenus de la payer sans pouvoir bénéficier d’ une réduction de la taxe sur les véhicules automoteurs .
14 La Commission a conclu, dans ce même avis, que les dispositions envisagées par la République fédérale d’ Allemagne constituaient une infraction à l’ obligation de « standstill » prévue par l’ article 76 du traité CEE, selon lequel, jusqu’ à l’ établissement d’ une politique commune des transports, telle que visée à l’ article 75, paragraphe 1, de ce traité et sauf accord unanime du Conseil, aucun État membre ne peut rendre moins favorables, dans leur effet direct ou indirect, à l’ égard des transporteurs des autres États membres par rapport aux transporteurs nationaux, les dispositions diverses régissant la matière à l’ entrée en vigueur du traité . Selon ledit avis, les dispositions envisagées seraient, en outre, contraires notamment à l’ article 95 du traité CEE .
15 Après l’ adoption, le 6 avril 1990, du projet de loi susmentionné, la Commission a, le 11 avril 1990, fait parvenir aux autorités allemandes une lettre de mise en demeure, suivie, le 1er juin 1990, de l’ avis motivé prévu à l’ article 169, paragraphe 1, du traité CEE .
16 Dans leurs réponses des 30 avril et 22 juin 1990 à la mise en demeure et à l’ avis motivé, les autorités allemandes ont fait valoir que l’ objectif de la loi était, d’ une part, le rapprochement des conditions de concurrence entre les transporteurs allemands et ceux des autres États membres et, d’ autre part, l’ instauration d’ une contribution adéquate aux coûts de l’ infrastructure routière . L’ article 76 du traité CEE ne prévoirait aucune obligation de « standstill » dans une situation de ce genre, mais serait une application particulière de la règle générale de l’ interdiction de discrimination . Ni la nouvelle taxe routière ni la réduction de la taxe sur les véhicules ne seraient en elles-mêmes discriminatoires .
17 La République fédérale d’ Allemagne a souligné, dans ses réponses susmentionnées, que la taxe routière était conforme aux orientations proposées par la Commission elle-même dans sa proposition, du 8 janvier 1988, de directive du Conseil relative à l’ imputation des coûts d’ infrastructure de transport à certains véhicules utilitaires et que la validité de la loi du 30 avril 1990 était limitée dans le temps, dans l’ espoir de l’ adoption, d’ ici à la fin de l’ année 1993, d’ un système harmonisé commun de taxation .
18 Aux termes de l’ article 185 du traité CEE, les recours formés devant la Cour n’ ont pas d’ effet suspensif . Toutefois, conformément à l’ article 186 du traité CEE, la Cour peut prescrire les mesures provisoires nécessaires dans les affaires dont elle est saisie .
19 Selon l’ article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, une décision ordonnant une mesure provisoire est subordonnée à l’ existence de circonstances établissant l’ urgence, ainsi que de moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l’ octroi de la mesure provisoire sollicitée .
20 En ce qui concerne les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l’ octroi de la mesure provisoire, la Commission et les États membres intervenus à ses côtés invoquent trois moyens tirés de la violation respectivement de l’ article 76 du traité CEE, de l’ article 95 du traité CEE et des dispositions combinées des articles 5 et 8 A du traité CEE .
21 La Commission soutient que la République fédérale d’ Allemagne a contrevenu à l’ article 76 du traité CEE, en adoptant des mesures discriminant les transporteurs des autres États membres et en ne respectant pas la clause de « standstill » prévue par cette disposition .
22 La législation allemande serait également contraire à l’ article 95 du traité CEE, en ce que les transporteurs des autres États membres seraient soumis à une imposition plus lourde que les transporteurs allemands et que cette imposition, qui entraînerait une augmentation du prix des transports, se répercuterait inéluctablement sur celui des produits importés .
23 La Commission fait encore valoir que la République fédérale d’ Allemagne a contrevenu à l’ article 5 du traité CEE, qui lui impose de s’ abstenir de prendre des mesures unilatérales susceptibles de mettre en péril la politique commune en matière de taxation des moyens de transport pour l’ utilisation de l’ infrastructure routière par les poids lourds et a créé, de ce fait, des obstacles à l’ établissement d’ un espace sans frontières intérieures, prévu à l’ article 8 A du traité .
24 La République fédérale d’ Allemagne se défend d’ avoir violé l’ article 76 du traité CEE, en faisant valoir que la taxe sur l’ utilisation des routes par les poids lourds, même accompagnée d’ une réduction de la taxe sur les véhicules automoteurs, n’ est pas discriminatoire . La loi du 30 avril 1990 poursuivrait deux objectifs, à savoir, d’ une part, le rapprochement des conditions de concurrence entre les transporteurs allemands et ceux des autres États membres et, d’ autre part, l’ instauration d’ une contribution adéquate aux coûts de l’ infrastructure routière, visant à la fois à décongestionner les routes et à protéger l’ environnement . En ce qui concerne le premier objectif, la République fédérale d’ Allemagne précise que le fait que les transporteurs des autres États membres ne bénéficient pas de la réduction sur la taxe sur les véhicules automoteurs est dû à la circonstance qu’ ils sont exonérés de cette taxe en vertu d’ accords conclus entre les États dans lesquels ils sont établis et la République fédérale d’ Allemagne . Dans ces conditions, la loi du 30 avril 1990 ne serait pas contraire à l’ obligation de « standstill » inscrite à l’ article 76 du traité CEE .
25 A propos de la violation de l’ article 95 du traité CEE, la République fédérale d’ Allemagne, outre qu’ elle souligne le caractère non discriminatoire de la taxe, soutient qu’ il s’ agit d’ un impôt indirect, au sens de l’ article 99 du traité CEE, qui doit faire l’ objet d’ une harmonisation conformément aux règles prévues par le traité .
26 Selon la République fédérale d’ Allemagne, l’ article 5 du traité CEE n’ instituerait pas une clause de standstill générale et, tant que la politique commune des transports n’ aurait pas été instituée, conformément aux articles 74 et 75 du traité CEE, les États membres demeureraient, en principe, compétents en ce domaine .
27 En ce qui concerne le premier moyen invoqué par la Commission, il y a lieu de constater que cette dernière a apporté des éléments sérieux à l’ appui de sa thèse selon laquelle l’ article 76 du traité CEE doit être interprété comme interdisant toute mesure nationale unilatérale ayant pour effet, direct ou indirect, de modifier, au détriment des autres États membres, la situation existante en ce qui concerne les conditions dans lesquelles sont effectués les transports internationaux, au départ ou à destination du territoire d’ un État membre ou traversant le territoire d’ un ou de plusieurs États membres .
28 Tel peut notamment être le cas d’ une nouvelle taxe sur l’ utilisation des routes par les poids lourds, instituée par un État membre, dès lors que la charge pour les transporteurs nationaux est compensée de manière substantielle par une réduction de la taxe sur les véhicules automoteurs, à laquelle les transporteurs des autres États membres ne sont pas soumis en vertu d’ accords bilatéraux conclus entre l’ État où ces transporteurs sont établis et l’ État qui a institué la taxe .
29 S’ agissant de l’ argument du gouvernement allemand selon lequel la loi du 30 avril 1990 favorise le transfert du trafic routier vers les moyens de transport ferroviaire ou fluvial, il y a lieu de constater que, si la protection de l’ environnement constitue, selon la jurisprudence de la Cour, un des objectifs essentiels de la Communauté ( voir arrêt du 20 septembre 1988, Commission/Danemark, 302/86, Rec . p . 4607 ), dont l’ importance a d’ ailleurs été confirmée par l’ Acte unique européen, il n’ en résulte pas pour autant qu’ un État membre puisse, pour ce motif, se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu de l’ article 76 du traité CEE . Il ressort, par ailleurs, de l’ examen de l’ exposé des motifs de la loi du 30 avril 1990 et des positions adoptées par les autorités allemandes au cours de la procédure que cette loi tend principalement à rapprocher les conditions de concurrence pour les transporteurs allemands et n’ a que pour objectif secondaire de décongestionner le réseau routier et de protéger également l’ environnement .
30 Sans qu’ il y ait lieu, à ce stade, d’ examiner les autres moyens invoqués, il convient de constater que le moyen tiré de la violation de l’ article 76 du traité CEE constitue, à première vue, une base suffisante pour l’ octroi de la mesure provisoire sollicitée .
31 En ce qui concerne la condition relative à l’ urgence, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le caractère urgent d’ une mesure en référé, mentionné à l’ article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit être apprécié par rapport à la nécessité qu’ il y a de statuer provisoirement, afin d’ éviter qu’ un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné par l’ application immédiate de la mesure faisant l’ objet du recours principal .
32 Sur ce point, la Commission, soutenue par les États membres intervenus à ses côtés, fait d’ abord valoir que l’ application de la taxe litigieuse risque de causer un préjudice irréparable au moins à certains transporteurs des autres États membres . Le préjudice que subissent ces transporteurs consisterait, selon la Commission, en une augmentation des coûts de transport, susceptible de les contraindre soit à augmenter leurs tarifs, au risque d’ encourir une perte de clientèle, soit à réduire leur marge bénéficiaire, au risque de devoir cesser leurs activités . D’ une façon plus générale, la Commission soutient que l’ introduction unilatérale de la taxe routière par la République fédérale d’ Allemagne constitue un trouble intolérable à l’ ordre public communautaire . L’ introduction de cette taxe risquant de donner lieu à des mesures de rétorsion de la part des autres États membres, elle rendrait illusoire tout progrès en vue de la réalisation de la politique commune des transports .
33 La République fédérale d’ Allemagne conteste l’ existence d’ un préjudice irréparable pour l’ ordre public communautaire, invoqué par la Commission, et pour les opérateurs sur le marché des transports .
34 En effet, la taxe allemande serait neutre en termes de concurrence, elle rapprocherait le système d’ imposition allemand de ceux existant dans la plupart des États membres et poursuivrait l’ objectif d’ une mise en place d’ une politique des transports fondée sur le principe de la territorialité . Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu qu’ elle met en péril la réalisation de la politique commune des transports .
35 Compte tenu, en outre, de son faible impact sur les coûts de transport, la nouvelle taxe ne saurait pas davantage affecter la position concurrentielle des transporteurs des autres États membres . Par contre, les risques de dégradation de la situation concurrentielle seraient plus grands pour les transporteurs allemands, qui se verraient frapper de charges fiscales plus lourdes que leurs homologues des autres États membres .
36 La République fédérale d’ Allemagne fait, en outre, valoir que, dans le cadre de la mise en balance des intérêts en cause, il convient d’ accorder la priorité aux exigences de la protection de l’ environnement et du décongestionnement du réseau routier allemand .
37 Elle ajoute que, de toute façon, même si la Cour devait accueillir le recours principal et estimer que la République fédérale d’ Allemagne a manqué à ses obligations communautaires en instaurant la taxe litigieuse, il serait possible de réparer le préjudice éventuellement subi par les entreprises de transport des autres États membres . Le préjudice qui résulterait, pour la République fédérale d’ Allemagne, d’ une ordonnance de suspension de l’ application de la loi du 30 avril 1990 revêtirait, par contre, un caractère irréparable .
38 A cet égard, il convient de rappeler que, si, en principe, un préjudice d’ ordre pécuniaire ne saurait être considéré comme irréparable, il peut en être différemment dans des situations exceptionnelles où une compensation pécuniaire n’ est pas susceptible de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice .
39 Il n’ est pas exclu que tel soit le cas dans la présente affaire . En effet, eu égard aux marges bénéficiaires souvent très réduites de nombreuses entreprises de transport de taille moyenne dont il a été fait état à l’ audience, l’ incidence de la taxe en cause sur le seuil de rentabilité des transporteurs des autres États membres risque d’ obliger beaucoup d’ entre eux à cesser leurs activités . D’ autre part, l’ application de la taxe litigieuse est de nature à entraîner des modifications irrémédiables au niveau de la répartition des parts de marché entre les transporteurs allemands et les transporteurs des autres États membres . Un tel changement brusque et substantiel, provoqué par une mesure nationale unilatérale, des conditions existant actuellement sur le marché des transports routiers dans la Communauté, qui ne pourraient être ultérieurement reconstituées à l’ identique au cas où la mesure en cause s’ avérerait contraire au traité, rendrait également plus difficiles le développement et l’ achèvement de la politique commune des transports, exigée par l’ article 74 du traité CEE .
40 Il y a, partant, lieu de constater que la Commission, soutenue par les parties intervenantes, a établi l’ existence du risque d’ un préjudice grave et irréparable .
41 La République fédérale d’ Allemagne soutient que l’ octroi de la mesure provisoire sollicitée lui cause des préjudices irréparables consistant dans le manque à gagner en termes de taxes non perçues au cours de la procédure principale et la mise en péril de la survie économique des transporteurs allemands .
42 A cet égard, il convient de relever que ces préjudices allégués par la République fédérale d’ Allemagne ne constitueraient que les suites dommageables d’ une situation existant avant l’ introduction de la nouvelle taxe . Par ailleurs, il n’ a pas été démontré que les mesures introduites aient été imposées par une évolution significative de la situation de fait de nature à aggraver substantiellement l’ importance des dommages existants et à justifier un changement du comportement des autorités allemandes . Enfin, il ne paraît pas probable que les préjudices allégués risquent de s’ aggraver considérablement au cours de la période qui s’ écoulera jusqu’ à l’ adoption de la décision quant au fond .
43 S’ agissant notamment du préjudice consistant dans les taxes non perçues qu’ il serait impossible de recouvrer a posteriori, il suffit de constater que cette taxe n’ a jamais existé dans le passé et que l’ on peut dès lors exclure que le manque à gagner allégué affecte sérieusement les finances publiques de la République fédérale d’ Allemagne .
44 En ce qui concerne la mise en péril de la survie économique des transporteurs allemands, suite à une détérioration de leur situation concurrentielle, il n’ apparaît pas évident, à première vue, qu’ en l’ absence de changements substantiels de la situation sur le marché par rapport aux circonstances ayant existé pendant une période prolongée un tel risque soit susceptible de se réaliser dans les mois à venir .
45 Pour ce qui est de l’ argument spécifique du gouvernement allemand tiré d’ une atteinte à l’ environnement, il y a lieu de relever que ce gouvernement n’ a pas établi avec une certitude suffisante que l’ application de la taxe litigieuse aux transporteurs des autres États membres conduirait à des transferts plutôt du trafic routier vers les moyens de transport ferroviaire et fluvial que de parts de marché des transporteurs des autres États membres vers les transporteurs allemands .
46 Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu’ il est satisfait à la condition relative à l’ urgence .
47 Il convient, dès lors, d’ ordonner, à titre conservatoire, à la République fédérale d’ Allemagne de suspendre, en ce qui concerne les véhicules immatriculés dans les autres États membres, la perception de la taxe routière prévue par la loi relative aux taxes sur l’ utilisation des routes et des autoroutes fédérales par les poids lourds, du 30 avril 1990, jusqu’ à l’ arrêt mettant fin au recours introduit par la Commission .
48 En ce qui concerne la demande de la République fédérale d’ Allemagne tendant à ordonner à la Commission, en cas d’ octroi de la mesure provisoire sollicitée, de fournir une garantie de l’ ordre de 500 millions de DM, en vue d’ assurer le paiement des taxes qui incomberaient aux transporteurs des autres États membres pendant la durée de la procédure et que le gouvernement fédéral ne pourrait pas recouvrer a posteriori même s’ il obtenait gain de cause, il y a lieu de relever que la constitution d’ une caution, conformément à l’ article 86, paragraphe 2, du règlement de procédure, ne saurait être envisagée que dans l’ hypothèse où la partie à qui elle est imposée s’ avère être le débiteur de sommes dont la caution doit garantir le paiement et où il y a un risque d’ insolvabilité dans son chef .
49 Or, tel ne saurait être le cas dans la présente affaire, puisque, en toute hypothèse, il n’ y a pas lieu de s’ attendre à ce que la Communauté ne soit pas en mesure d’ assumer les conséquences d’ une condamnation éventuelle à des dommages-intérêts qui serait prononcée contre elle .
50 Il en résulte qu’ il n’ y a pas lieu de subordonner l’ octroi de la mesure provisoire à la constitution, par la Commission, d’ une garantie de 500 millions de DM .
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
ordonne :
1 ) La République fédérale d’ Allemagne suspend, en attendant l’ arrêt au principal, en ce qui concerne les véhicules immatriculés dans les autres États membres, la perception de la taxe routière prévue par la loi relative aux taxes sur l’ utilisation des routes et des autoroutes fédérales par les poids lourds, du 30 avril 1990 .
2 ) Les dépens sont réservés .
Fait à Luxembourg, le 12 juillet 1990 .