Décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018
NOR: CSCX1804755S
(M. FAROUK B.)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2017 par le juge des référés du Conseil d’Etat (ordonnance n° 415740 du 1er décembre 2017), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Farouk B. par Mes William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-691 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure en tant qu’elles ne prévoient pas de régime particulier pour les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance susceptibles d’être prises à l’égard de personnes ayant fait l’objet de mesures d’assignation à résidence de longue durée sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 ».
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code de justice administrative ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ;
– la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées pour le requérant par Mes Bourdon et Brengarth, enregistrées le 19 décembre 2017 ;
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 décembre 2017 ;
– les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de l’Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 11 décembre 2017 ;
– les observations en intervention présentées pour M. David P. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 19 décembre 2017 et 10 janvier 2018 ;
– les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Brengarth, pour le requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, pour la Ligue des droits de l’Homme, partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 6 février 2018 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 12 février 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur ce qui suit :
1. Les articles L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, dans leur rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017 mentionnée ci-dessus, fixent le régime juridique des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance pouvant être ordonnées par le ministre de l’intérieur aux fins de lutte contre le terrorisme.
2. L’article L. 228-1 prévoit :
« Aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l’intérieur les obligations prévues au présent chapitre ».
3. L’article L. 228-2 prévoit :
« Le ministre de l’intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l’article L. 228-1 de :
« 1° Ne pas se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l’intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s’étend, le cas échéant, aux territoires d’autres communes ou d’autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ;
« 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d’une fois par jour, en précisant si cette obligation s’applique les dimanches et jours fériés ou chômés ;
« 3° Déclarer son lieu d’habitation et tout changement de lieu d’habitation.
« Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l’article L. 228-1 continuent d’être réunies. Au-delà d’une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l’article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Ces recours s’exercent sans préjudice des procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».
4. L’article L. 228-3 prévoit :
« A la place de l’obligation prévue au 2° de l’article L. 228-2, le ministre de l’intérieur peut proposer à la personne faisant l’objet de la mesure prévue au 1° du même article L. 228-2 de la placer sous surveillance électronique mobile, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent. Ce placement est subordonné à l’accord écrit de la personne concernée. Dans ce cas, le périmètre géographique imposé en application du même 1° ne peut être inférieur au territoire du département.
« Le placement sous surveillance électronique mobile est décidé pour la durée de la mesure prise en application dudit 1°. Il y est mis fin en cas de dysfonctionnement temporaire du dispositif ou sur demande de l’intéressé, qui peut alors être assujetti à l’obligation prévue au 2° dudit article L. 228-2.
« La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au port d’un dispositif technique permettant à tout moment à l’autorité administrative de s’assurer à distance qu’elle n’a pas quitté le périmètre défini en application du 1° du même article L. 228-2. Le dispositif technique ne peut être utilisé par l’autorité administrative pour localiser la personne, sauf lorsque celle-ci a quitté ce périmètre ou en cas de fonctionnement altéré dudit dispositif technique.
« Un décret en Conseil d’Etat fixe les modalités d’application du présent article. Il peut déterminer les conditions dans lesquelles la mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance prévu au troisième alinéa, pour lequel peut être mis en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, peut être confiée à une personne de droit privé habilitée à cet effet ».
5. L’article L. 228-4 prévoit :
« S’il ne fait pas application des articles L. 228-2 et L. 228-3, le ministre de l’intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à toute personne mentionnée à l’article L. 228-1 de :
« 1° Déclarer son domicile et tout changement de domicile ;
« 2° Signaler ses déplacements à l’extérieur d’un périmètre déterminé ne pouvant être plus restreint que le territoire de la commune de son domicile ;
« 3° Ne pas paraître dans un lieu déterminé, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée. Cette obligation tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne intéressée.
« Les obligations mentionnées aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de six mois, lorsque les conditions prévues à l’article L. 228-1 continuent d’être réunies. Au-delà d’une durée cumulée de six mois, le renouvellement est subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l’article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine. Ces recours s’exercent sans préjudice des procédures ouvertes aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».
6. L’article L. 228-5 prévoit :
« Le ministre de l’intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à toute personne mentionnée à l’article L. 228-1, y compris lorsqu’il est fait application des articles L. 228-2 à L. 228-4, de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique.
« L’obligation mentionnée au premier alinéa du présent article est prononcée pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre. Au-delà d’une durée cumulée de six mois, le renouvellement est subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de l’obligation prévue au premier alinéa du présent article ne peut excéder douze mois. L’obligation est levée dès que les conditions prévues à l’article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise à l’obligation mentionnée au premier alinéa du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine. Ces recours s’exercent sans préjudice des procédures ouvertes aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».
7. L’article L. 228-6 prévoit :
« Les décisions du ministre de l’intérieur prises en application des articles L. 228-2 à L. 228-5 sont écrites et motivées. A l’exception des mesures prises sur le fondement de l’article L. 228-3, le ministre de l’intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de huit jours à compter de la notification de la décision ».
8. L’article L. 228-7 prévoit :
« Le fait de se soustraire aux obligations fixées en application des articles L. 228-2 à L. 228-5 est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ».
9. Le requérant reproche au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier la liberté d’aller et de venir. En effet, selon lui, la mesure d’assignation à résidence prévue par l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure étant analogue à celle prévue par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée ci-dessus, le législateur aurait dû prévoir des dispositions transitoires en faveur des personnes susceptibles d’être assignées à résidence en vertu du premier article après l’avoir été, dans le cadre de l’état d’urgence, sur le fondement du second.
10. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure.
11. L’une des parties intervenantes rejoint le requérant dans ses griefs. L’autre partie intervenante reproche au législateur, s’agissant des dispositions sur lesquelles porte la question prioritaire de constitutionnalité, d’avoir insuffisamment défini les conditions justifiant le recours à la mesure d’assignation à résidence. Il aurait ainsi méconnu, à la fois, sa propre compétence, la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit au recours effectif.
– Sur le fond :
En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée, du droit de mener une vie familiale normale et du droit à un recours juridictionnel effectif :
12. En vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Dans le cadre de cette mission, il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de cette déclaration et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
13. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
14. L’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure autorise le ministre de l’intérieur, aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, à interdire à certaines personnes de se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique déterminé. Cette assignation à résidence peut être assortie d’une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie et d’une obligation de déclarer son lieu d’habitation et tout changement de ce lieu. Ces dispositions portent donc, en tant que telles, une atteinte à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale.
15. En premier lieu, en vertu de l’article L. 228-1 du même code, la mesure d’assignation à résidence ne peut être prononcée qu’aux fins de prévenir la commission d’un acte de terrorisme. En outre, deux conditions cumulatives doivent être réunies. D’une part, il appartient au ministre de l’intérieur d’établir qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne visée par la mesure constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics. Cette menace doit nécessairement être en lien avec le risque de commission d’un acte de terrorisme. D’autre part, il lui appartient également de prouver soit que cette personne « entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme », soit qu’elle « soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ». En adoptant les dispositions contestées, le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public. Il a également défini avec précision, à l’article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, les conditions de recours à la mesure d’assignation à résidence prévue par les dispositions contestées et limité son champ d’application à des personnes soupçonnées de présenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
16. En deuxième lieu, l’article L. 228-2 prévoit que le périmètre géographique de l’assignation à résidence ne peut être inférieur au territoire de la commune et qu’il doit permettre à l’intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle. L’obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie ne peut excéder une présentation par jour.
17. En troisième lieu, le législateur a limité la durée de la mesure prévue à l’article L. 228-2. Elle ne peut être initialement prononcée ou renouvelée que pour une durée maximale de trois mois. Son renouvellement fait l’objet d’une décision motivée. Au-delà d’une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à la production par le ministre de l’intérieur d’éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de ces obligations ne peut excéder douze mois. Compte tenu de sa rigueur, la mesure prévue par les dispositions contestées ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.
18. En dernier lieu, d’une part, la mesure prévue à l’article L. 228-2, qui peut faire l’objet d’un recours en référé sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, est susceptible d’être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, dans un délai d’un mois après sa notification ou la notification de son renouvellement, devant le tribunal administratif. Ce dernier doit alors se prononcer dans un délai de deux mois. Toutefois, compte tenu de l’atteinte qu’une telle mesure porte aux droits de l’intéressé, en limitant à un mois le délai dans lequel l’intéressé peut demander l’annulation de cette mesure et en laissant ensuite au juge un délai de deux mois pour statuer, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public. Par conséquent, les mots « dans un délai d’un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure et la deuxième phrase du même alinéa doivent être déclarés contraires à la Constitution. En outre, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande d’annulation de la mesure dans de brefs délais.
19. D’autre part, toute décision de renouvellement de la mesure étant notifiée à la personne en cause au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur, celle-ci peut saisir, dans les quarante-huit heures, le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu’il ordonne toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de ses droits et libertés. Ce recours est suspensif. Aux termes du même article L. 521-2, le contrôle mis en œuvre par le juge des référés est limité aux atteintes graves et manifestement illégales. En permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu’un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public. Dès lors, les mots « sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure doivent être déclarés contraires à la Constitution.
20. Il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 17 et 18, en adoptant le reste des dispositions contestées, le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d’application de la mesure qu’il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale et le droit à un recours juridictionnel effectif.
En ce qui concerne le grief tiré de l’incompétence négative :
21. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
22. La mesure d’assignation à résidence prévue par l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ne répond pas aux mêmes conditions que celle prévue par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre de l’état d’urgence, lequel ne peut être déclaré qu’« en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique ». Elle n’a pas non plus la même portée. Par conséquent, le fait qu’une même personne puisse successivement être soumise à l’une puis à l’autre de ces mesures d’assignation à résidence n’imposait pas au législateur de prévoir des mesures transitoires destinées à tenir compte de cette succession.
23. Il résulte de ce qui précède et des motifs énoncés aux paragraphes 15 à 19 de la présente décision que le grief tiré d’une méconnaissance par le législateur de sa compétence doit être écarté.
24. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 17 et 18, le reste des dispositions contestées, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
– Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
25. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration.
26. En premier lieu, l’abrogation immédiate des mots « sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative », figurant à la deuxième phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, aurait des conséquences manifestement excessives. En effet, la combinaison du caractère suspensif du recours avec le fait qu’aucun délai n’est fixé au juge pour statuer pourrait avoir pour conséquence d’empêcher l’exécution de la décision de renouvellement en temps utile. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2018 la date de l’abrogation de ces mots.
27. En second lieu, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité relative aux mots « dans un délai d’un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ainsi qu’à la deuxième phrase du même alinéa. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
Le Conseil constitutionnel décide :
Sont contraires à la Constitution :
– les mots « sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
– les mots « dans un délai d’un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa du même article, dans cette même rédaction ;
– la deuxième phrase du même alinéa, dans cette même rédaction.
Sous les réserves énoncées aux paragraphes 17 et 18, le reste de l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dans cette même rédaction, est conforme à la Constitution.
La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 26 et 27 de cette décision.
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 février 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 16 février 2018.