Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 janvier 1995 par MM Claude Estier, Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Jacques Bellanger, Mmes Monique Ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM Roland Bernard, Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jacques Carat, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier Benezet, Michel Charasse, Marcel Charmant, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Rodolphe Désiré, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM Bernard Dussaut, Léon Fatous, Claude Fuzier, Aubert Garcia, Gérard Gaud, Roland Huguet, Robert Laucournet, Paul Loridant, François Louisy, Philippe Madrelle, Michel Manet, Jean-Pierre Masseret, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Albert Pen, Guy Penne, Daniel Percheron, Louis Perrein, Jean Peyrafitte, Louis Philibert, Claude Pradille, Paul Raoult, René Régnault, Gérard Roujas, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signe, André Vezinhet, Marcel Vidal, sénateurs, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre Ier du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code pénal ;
Vu le code civil ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu le code de l’organisation judiciaire ;
Vu le code de la consommation ;
Vu l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée relative à l’enfance délinquante ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le Conseil constitutionnel a été saisi par des sénateurs de la loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative ; que les auteurs de la saisine n’invoquent à l’encontre de ce texte aucun grief particulier ;
2. Considérant qu’il appartient au Conseil constitutionnel de relever toute disposition de la loi déférée qui méconnaîtrait des règles ou principes de valeur constitutionnelle ;
– SUR L’ARTICLE 35 :
3. Considérant que l’article 35 insère au chapitre II du titre premier du livre premier du code de procédure pénale intitulé : « Du ministère public », une section V intitulée : « De l’injonction pénale » comportant sept articles 48-1 à 48-7 ;
4. Considérant qu’en vertu de ces dispositions, le procureur de la République peut faire une injonction consistant dans l’exécution de certaines obligations à une personne physique majeure contre laquelle les éléments d’une enquête sont de nature à motiver l’exercice de poursuites pour une ou plusieurs des infractions mentionnées à l’article 48-2 ; que ces obligations, définies par l’article 48-4, consistent soit dans le versement au Trésor public d’une certaine somme fixée par le procureur de la République dans les limites définies par la loi, en fonction des circonstances de l’infraction, des ressources et des charges de la personne concernée, soit en la participation de cette personne à une activité non rémunérée au profit d’une personne morale de droit public ou d’une association habilitée à cet effet, dans la limite de quarante heures ; que l’injonction peut prévoir des mesures de réparation du préjudice causé à la victime ; qu’elle peut également prévoir la remise à l’État de la chose qui a servi à l’infraction ou était destinée à la commettre ou de la chose qui en est le produit, à l’exception des objets susceptibles de restitution ; que le délai d’exécution des obligations ainsi prévues doit être fixé par l’injonction sans pouvoir excéder six mois à compter de l’acceptation de cette dernière par la personne intéressée ; que cette injonction pénale ne peut être opérée qu’à la condition que les faits aient été reconnus par la personne à laquelle elle s’applique ; que l’action publique ne doit pas avoir été mise en mouvement ; qu’il doit apparaître au procureur de la République que cette procédure est susceptible de mettre fin au trouble résultant de l’infraction, de prévenir le renouvellement de celle-ci et d’assurer, s’il y a lieu, la réparation du dommage causé à la victime ; que l’exécution par la personne visée par l’injonction des mesures prescrites dans le délai imparti a pour effet d’éteindre l’action publique ; qu’en revanche en cas de refus de l’injonction ou d’inexécution dans les délais impartis, l’article 48-5 dispose que « le procureur de la République, sauf élément nouveau, exerce l’action publique » ;
5. Considérant qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’en vertu de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ; qu’il implique, notamment en matière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ; qu’en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle ;
6. Considérant que certaines mesures susceptibles de faire l’objet d’une injonction pénale peuvent être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle ; que dans le cas où elles sont prononcées par un tribunal, elles constituent des sanctions pénales ; que le prononcé et l’exécution de telles mesures, même avec l’accord de la personne susceptible d’être pénalement poursuivie, ne peuvent, s’agissant de la répression de délits de droit commun, intervenir à la seule diligence d’une autorité chargée de l’action publique mais requièrent la décision d’une autorité de jugement conformément aux exigences constitutionnelles ci-dessus rappelées ;
7. Considérant que, dès lors, l’article 35 de la loi déférée doit être regardé comme contraire à la Constitution ;
– SUR LES AUTRES ARTICLES DE LA LOI :
8. Considérant qu’il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
L’article 35 de la loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative est contraire à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans ses séances des 1er et 2 février 1995.
Le président, Robert BADINTER
Journal officiel du 7 février 1995, page 2097
Recueil, p. 195
ECLI : FR : CC : 1995 : 95.360.DC