NOR : CSCX9010572S
Texte intégral
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 26 décembre 1989, par le Premier ministre, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification des activités politiques ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le texte soumis au Conseil constitutionnel comporte, sous quatre titres distincts, un ensemble de 27 articles ; que le Premier ministre ne soulève à leur encontre aucun moyen particulier ; qu’il appartient toutefois au Conseil constitutionnel de relever d’office toute disposition de la loi déférée qui méconnaît des règles ou principes de valeur constitutionnelle ;
– SUR L’ARTICLE PREMIER RELATIF AU FINANCEMENT ET AU PLAFONNEMENT DES DEPENSES ELECTORALES :
2. Considérant que l’article premier insère, dans le titre premier du livre premier du code électoral, un chapitre V bis intitulé « Financement et plafonnement des dépenses électorales » ; que ce nouveau chapitre est composé des articles L. 52-4 à L. 52-18 du code précité ; que l’article L. 52-14 institue une Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dont il fixe la composition ; que ce même article dispose dans son quatrième alinéa que « la commission peut bénéficier, pour l’accomplissement de ses tâches, de la mise à disposition de fonctionnaires chargés de l’assister et recourir à des experts. Elle peut également demander à des officiers de police judiciaire de procéder à toute investigation qu’elle juge nécessaire pour l’exercice de sa mission » ; qu’en vertu du quatrième alinéa de l’article L. 52-15 du code électoral, dans le cas où la commission a relevé des irrégularités de nature à contrevenir aux dispositions des articles L. 52-4 à L. 52-13 et L. 52-16 du code électoral « elle transmet le dossier au parquet » ;
3. Considérant que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques exerce un contrôle de nature administrative ; que, dans le cadre de ce contrôle, elle ne peut demander à des officiers de police judiciaire que de recueillir des éléments d’information nécessaires à l’exercice de ses missions sur l’origine des fonds d’une campagne électorale ainsi que sur leur emploi ; que la saisine par la commission du parquet, prévue par le quatrième alinéa de l’article L. 52-15, implique que le recours aux pouvoirs de coercition prévus par le code de procédure pénale n’est possible que dans le cadre de poursuites judiciaires ; qu’il suit de là, que le quatrième alinéa de l’article L. 52-14 ne saurait, sur son seul fondement, permettre aux officiers de police judiciaire mandatés par la commission d’exercer des pouvoirs coercitifs ; que toute autre interprétation serait contraire aux dispositions de la Constitution qui garantissent la liberté individuelle ;
– SUR L’ARTICLE 6 RELATIF AUX POUVOIRS DU JUGE DE L’ELECTION :
4. Considérant que l’article 6 de la loi a pour objet d’insérer dans le chapitre VIII du titre I du livre I du code électoral des articles L. 118-2 et L. 118-3 ; qu’aux termes de l’article L. 118-2 : « Si le juge administratif est saisi de la contestation d’une élection dans une circonscription où le montant des dépenses électorales est plafonné, il surseoit à statuer jusqu’à réception des décisions de la commission instituée par l’article L. 52-14 qui doit se prononcer sur les comptes de campagne des candidats à cette élection dans le délai de deux mois suivant l’expiration du délai fixé au deuxième alinéa de l’article L. 52-12 » ; que l’article L. 118-3 comprend deux alinéas ainsi rédigés : « Saisi par la commission instituée par l’article L. 52-14, le juge de l’élection constate, le cas échéant, l’inéligibilité d’un candidat. S’il s’agit d’un candidat proclamé élu, il annule son élection ou, si l’élection n’a pas été contestée, le déclare démissionnaire d’office.- Le juge de l’élection peut également déclarer inéligible pendant un an le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales » ;
5. Considérant que le régime des inéligibilités applicable à un député de même que les conditions d’intervention du Conseil constitutionnel en tant que juge des élections à l’Assemblée nationale sont du ressort de la loi organique en vertu respectivement des articles 25 et 63 de la Constitution ; qu’ainsi, et bien que figurant dans un titre du code électoral intitulé « Dispositions communes à l’élection des députés, des conseillers généraux et des conseillers municipaux », les articles L. 118-2 et L. 118-3 du code électoral ne sauraient en tout état de cause recevoir application pour l’élection des députés ;
6. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 64 de la Constitution en ce qui concerne l’autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l’indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur, ni le Gouvernement, non plus qu’aucune autorité administrative ;
7. Considérant que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une autorité administrative et non une juridiction ; qu’il en résulte que la position que cette commission adopte, lors de l’examen des comptes de campagne d’un candidat, ne saurait en aucune façon s’imposer au juge administratif ; que celui-ci conserve toute liberté pour apprécier, au besoin par la voie de l’exception, si c’est à bon droit que la commission a constaté le dépassement par un candidat du plafond des dépenses électorales imposé par la loi et pour en tirer, le cas échéant, toutes conséquences de droit, notamment en ce qui concerne l’application des inéligibilités visées à l’article L. 118-3 ; qu’en outre, le non-respect par la commission du délai qui lui est imparti par l’article L. 118-2 fait tomber de plein droit l’obligation qui incombe au juge administratif en vertu de cet article de surseoir à statuer ; que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution ;
8. Considérant que, sous cette expresse réserve d’interprétation, l’article 6 de la loi déférée n’est pas contraire à la Constitution ;
– SUR LES DISPOSITIONS RELATIVES AU FINANCEMENT DES PARTIS POLITIQUES :
. En ce qui concerne les articles 10 et 11 :
9. Considérant que l’article 10 de la loi déférée a pour objet de compléter l’article 8 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 par un alinéa supplémentaire dont il ressort que le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances de l’année pour être affecté au financement des partis et groupements politiques est divisé en deux fractions égales, une première fraction destinée au financement des partis et groupements en fonction de leurs résultats aux élections à l’Assemblée nationale, une seconde fraction spécifiquement destinée au financement des partis et groupements représentés au Parlement ;
10. Considérant que l’article 11 de la loi déférée, qui modifie à cet effet l’article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, définit les modalités de répartition de l’aide de l’État ; qu’il est spécifié au premier alinéa nouveau de l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 que : « La première fraction des aides prévues à l’article 8 est attribuée aux partis et groupements politiques qui ont présenté des candidats dans au moins soixante-quinze circonscriptions lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale. Cette condition ne s’applique pas aux partis et groupements politiques n’ayant présenté de candidats aux élections législatives que dans un ou plusieurs départements ou territoires d’outre-mer. La répartition est effectuée proportionnellement au nombre de suffrages obtenus au premier tour par chacun des partis et groupements en cause. Il n’est tenu compte que des résultats égaux ou supérieurs à 5 p. 100 des suffrages exprimés dans chaque circonscription. » ; qu’en vertu du troisième alinéa nouveau de l’article 9 de la loi du 11 mars 1988, la seconde fraction de l’aide de l’État « est attribuée aux partis et groupements politiques proportionnellement au nombre de membres du Parlement qui ont déclaré au Bureau de leur assemblée, dans le mois qui suit l’ouverture de la première session ordinaire de chaque année, y être inscrits ou s’y rattacher » ;
11. Considérant qu’aux termes de l’article 2, premier alinéa, de la Constitution, la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » ; que l’article 3 de la Constitution énonce, dans son premier alinéa, que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » et, dans son troisième alinéa, que le suffrage « est toujours universel, égal et secret » ; qu’enfin, l’article 4 de la Constitution dispose que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » ;
12. Considérant que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l’État accorde une aide financière aux partis ou groupements politiques qui concourent à l’expression du suffrage ; que l’aide allouée doit, pour être conforme aux principes d’égalité et de liberté, obéir à des critères objectifs ; qu’en outre, le mécanisme d’aide retenu ne doit aboutir, ni à établir un lien de dépendance d’un parti politique vis-à-vis de l’État, ni à compromettre l’expression démocratique des divers courants d’idées et d’opinions ; que si l’octroi d’une aide à des partis ou groupements du seul fait qu’ils présentent des candidats aux élections à l’Assemblée nationale peut être subordonné à la condition qu’ils justifient d’un minimum d’audience, les critères retenus par le législateur ne doivent pas conduire à méconnaître l’exigence du pluralisme des courants d’idées et d’opinions qui constitue le fondement de la démocratie ;
13. Considérant que les articles 10 et 11 de la loi déférée satisfont à ces exigences constitutionnelles dans la mesure où ils prévoient que l’aide de l’État est accordée non seulement aux partis et groupements représentés au Parlement, mais également aux partis et groupements politiques « en fonction de leurs résultats aux élections à l’Assemblée nationale » ; que n’est pas contraire à la Constitution le fait de poser en principe que, dans ce dernier cas, l’aide sera répartie « proportionnellement au nombre de suffrages obtenus au premier tour par chacun des partis et groupements » qui, sous réserve des dispositions spécifiques aux départements et territoires d’outre-mer, ont présenté des candidats dans « au moins 75 circonscriptions lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale » ;
14. Considérant en revanche, que le fait de ne prendre en compte pour la détermination de l’aide de l’État allouée aux partis en fonction de leurs résultats aux élections que ceux de ces « résultats égaux ou supérieurs à 5 p. 100 des suffrages exprimés dans chaque circonscription » est, en raison du seuil choisi, de nature à entraver l’expression de nouveaux courants d’idées et d’opinions ; qu’ainsi, l’article 11 de la loi déférée, en tant qu’il impose cette condition, doit être déclaré contraire aux dispositions combinées des articles 2 et 4 de la Constitution ;
. En ce qui concerne l’article 13 :
15. Considérant que l’article 13 de la loi déférée substitue à l’article 11 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 qui définit les obligations pesant sur les partis politiques pour l’établissement de leurs comptes de nouvelles dispositions ; que ces dernières prennent la forme de l’insertion dans le texte de la loi du 11 mars 1988 d’un article 11 nouveau et d’articles 11-1 à 11-8 ;
16. Considérant que parmi ces dispositions il y a lieu de mentionner l’article 11 nouveau de la loi du 11 mars 1988 qui dispose que « les partis politiques et leurs organisations territoriales ou spécialisées qu’ils désignent à cet effet, recueillent des fonds par l’intermédiaire d’un mandataire nommément désigné par eux, qui est soit une association de financement, soit une personne physique » ; que selon l’article 11-1, l’agrément en qualité d’association de financement d’un parti politique est donné par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques aux conditions définies par ledit article ; que l’article 11-4 réglemente l’attribution de dons à une association de financement d’un parti politique ou à la personne physique qui a la qualité de mandataire financier d’un parti ;
17. Considérant que ces diverses dispositions ne sont pas contraires à l’article 4 de la Constitution non plus qu’à d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle dès lors, d’une part, qu’un parti politique n’est pas tenu de constituer une association de financement et conserve la faculté d’avoir recours uniquement à un mandataire financier, et, d’autre part, que l’exigence de l’agrément d’une association de financement doit s’entendre comme conférant seulement à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques le pouvoir de s’assurer que l’association de financement satisfait aux conditions limitativement énumérées par l’article 11-1 ajouté à la loi du 11 mars 1988 ;
18. Considérant par ailleurs que si l’article 11-6 ajouté à la loi du 11 mars 1988 prévoit que l’agrément est retiré à toute association qui n’a pas respecté les prescriptions prévues par les articles 11-1 et 11-4, ces dispositions ne sauraient être interprétées comme dispensant l’autorité administrative, lorsqu’elle se propose de retirer l’agrément, de veiller au respect des droits de la défense ;
– SUR L’ARTICLE 19 RELATIF A L’AMNISTIE :
19. Considérant que le premier alinéa de l’article 19 dispose que « Sauf en cas d’enrichissement personnel de leurs auteurs, sont amnistiées toutes infractions commises avant le 15 juin 1989 en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis et de groupements politiques, à l’exclusion des infractions prévues par les articles 132 à 138 et 175 à 179 du code pénal et de celles commises par une personne investie à cette date, ou à celle des faits, d’un mandat de parlementaire national. » ; qu’aux termes du second alinéa de l’article 19 « Les dispositions de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 portant amnistie sont applicables en ce qui concerne la constatation et les effets de l’amnistie et les contestations relatives à ceux-ci. » ;
20. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant : …l’amnistie » ;
21. Considérant qu’en vertu de cette compétence le législateur peut, dans un but d’apaisement politique ou social, enlever pour l’avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effaçant les condamnations qui les ont frappés ; qu’il lui appartient, alors, d’apprécier quelles sont les infractions et, le cas échéant, les personnes auxquelles doit s’appliquer le bénéfice de l’amnistie ; que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce qu’il délimite ainsi le champ d’application de l’amnistie dès lors que les catégories retenues sont définies de manière objective ;
22. Considérant que pour être amnistiées en vertu de l’article 19 les infractions doivent avoir été commises avant le 15 juin 1989 et être « en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis et de groupements politiques » et ne pas avoir permis « l’enrichissement personnel de leurs auteurs » ; que sont exclues du bénéfice de l’amnistie les infractions relatives à la fausse monnaie prévues par les articles 132 à 138 du code pénal ainsi que les délits d’ingérence et de corruption réprimés par les articles 175 à 178 du même code ; que la seconde exception apportée au bénéfice de l’amnistie concerne les parlementaires nationaux ; que, selon le législateur, cette dernière exception trouve sa justification dans le fait que le but d’apaisement politique et social poursuivi par la loi ne serait pas atteint si les membres du Parlement investis par la Constitution du pouvoir de voter l’amnistie en faisaient usage en leur faveur s’agissant d’infractions en relation avec le financement de campagnes électorales ou de partis politiques ;
23. Considérant que, dans son principe, la prise en compte par le législateur de ces critères d’appréciation pour la détermination du champ d’application de l’amnistie décidée par lui n’est pas contraire à la Constitution ; que toutefois, la mise en oeuvre de ces critères ne saurait conduire à exclure les parlementaires nationaux du bénéfice de l’amnistie qu’autant qu’ils avaient cette qualité à la date du 15 juin 1989 et se trouvaient par là même appelés à exercer les pouvoirs conférés au Parlement en matière d’amnistie par l’article 34 de la Constitution ; qu’en revanche, en retenant également la qualité des intéressés à la date des faits délictueux, alors qu’ils auraient cessé d’être parlementaires au 15 juin 1989, le législateur a introduit une discrimination entre les auteurs d’agissements identiques au regard de l’amnistie, qui ne trouve aucun fondement dans l’objectif d’apaisement politique et social poursuivi par la loi ; qu’il suit de là, que doivent être déclarés contraires à la Constitution, dans le texte de l’article 19 de la loi déférée les mots « ou à celle des faits » ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution dans le texte de la loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification des activités politiques :
à l’article 11, la phrase » il n’est tenu compte que des résultats égaux ou supérieurs à 5 p 100 des suffrages exprimés dans chaque circonscription » ;
à l’article 19, les mots » ou à celle des faits « .
Article 2 :
Sous les réserves d’interprétation énoncées ci-dessus visant les articles 1er et 6, les autres dispositions de la loi ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.