Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat les 8 avril 1994 et 2 août 1994, présentés pour M. Yonathan X…, demeurant … ; M. X… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler un jugement du tribunal administratif de Nice du 7 décembre 1993, rejetant sa requête tendant à l’annulation de son bulletin scolaire du 1er trimestre de l’année 1991-1992, du refus d’admission en classe préparatoire que lui a opposé le proviseur du lycée Masséna à Nice au titre de l’année scolaire 1992-1993, des dispositions du règlement intérieur de ce lycée et de différentes décisions dudit proviseur ;
2°) d’annuler pour excès de pouvoir l’ensemble de ces décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi du 28 mars 1882 relative à l’enseignement primaire ;
Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
Vu l’ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire ;
Vu la loi du 31 décembre 1973, autorisant la ratification de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le décret du 3 mai 1974, portant ratification de cette convention ;
Vu la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989, notamment son article 10 ;
Vu la loi du 2 juillet 1990, autorisant la ratification de la convention relative aux droits de l’enfant, et le décret du 3 octobre 1990 portant publication de cette convention ;
Vu le décret n° 85-924 du 30 août 1985 modifié ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Roger-Lacan, Maître des Requêtes,
– les observations de Me Roger, avocat de M. X…,
– les conclusions de M. Aguila, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions relatives à l’appréciation portée sur le bulletin scolaire de M. X… :
Considérant qu’une telle appréciation n’est pas détachable de la décision prise en fin d’année scolaire sur l’orientation de l’élève, et du refus d’admission en classe préparatoire dont M. X… demande l’annulation ; qu’ainsi, elle n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 7 du règlement intérieur du lycée Masséna de Nice :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. X…, qui était élève de seconde au lycée Masséna de Nice au cours de l’année scolaire 1989-1990, a pris connaissance du règlement intérieur de l’établissement à l’occasion de son inscription dans cette classe c’est-à-dire dès le mois de septembre 1989 ; que ledit article n’a pas été modifié depuis cette date ; qu’ainsi les conclusions de M. X…, tendant à l’annulation dudit article, présentées le 5 février 1993, sont tardives et par suite irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision contenue dans la lettre du proviseur du lycée Masséna en date du 23 juin 1992 :
Considérant que, par cette lettre, le proviseur du lycée Masséna a fait connaître aux parents de M. X… que leur fils ne pourrait être inscrit en classe préparatoire au cours de l’année 1992-1993 pour le double motif que son dossier d’inscription était incomplet faute de comporter l’acceptation du règlement intérieur et qu’il n’était pas possible de dispenser M. X… de l’assistance aux cours du samedi matin comme cela avait pu être fait pendant sa scolarité de second cycle ;
Sur le moyen tiré de l’absence de disposition législative ou réglementaire imposant l’acceptation par l’élève du règlement intérieur :
Considérant que l’article 3 du règlement intérieur pouvait, même en l’absence de disposition législative ou réglementaire instituant une telle procédure, soumettre la possibilité d’une admission définitive dans l’établissement à l’acceptation du règlement intérieur par l’élève, et par ses parents dans le cas d’un élève mineur ;
Sur le moyen tiré de la violation des textes garantissant les libertés de conscience et de culte :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi » ; qu’aux termes de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique ( …) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » ; qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » ;
Considérant, en second lieu, qu’aux termes du préambule de la Constitution du 7 octobre 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte … à l’instruction. L’organisation de l’enseignement laïque et gratuit à tous les degrés est un devoir de l’Etat » et qu’aux termes de l’article 2 du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. » ;
Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 susvisée : « Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements » ; qu’aux termes de l’article 3-5 ajouté au décret du 30 août 1985 par l’article 8 du décret du 18 février 1991 : « L’obligation d’assiduité mentionnée à l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 susvisée consiste, pour les élèves, à se soumettre aux horaires d’enseignement définis par l’emploi du temps de l’établissement ; elle s’impose pour les enseignements obligatoires et pour les enseignements facultatifs dès lors que les élèves se sont inscrits à ces derniers. – Les élèves doivent accomplir les travaux écrits et oraux qui leur sont demandés par les enseignants, respecter le contenu des programmes et se soumettre aux modalités de contrôle des connaissances qui leur sont imposées … – Le règlement intérieur de l’établissement détermine les modalités d’application du présent article » ; qu’enfin aux termes de l’article 7 du règlement intérieur du lycée Masséna de Nice : « L’assistance à tous les cours figurant à l’emploi du temps est obligatoire jusqu’à la fin de l’année scolaire. En particulier, les dates de libération descandidats aux différents examens sont à respecter scrupuleusement » ; que les dispositions réglementaires précitées n’ont pas eu pour objet et ne sauraient avoir légalement pour effet d’interdire aux élèves qui en font la demande de bénéficier individuellement desautorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse dans le cas où ces absences sont compatibles avec l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études et avec le respect de l’ordre public dans l’établissement ;
Considérant toutefois que les contraintes inhérentes au travail des élèves en classe de mathématiques supérieures font obstacle à ce qu’une scolarité normale s’accompagne d’une dérogation systématique à l’obligation de présence le samedi, dès lors que l’emploi du temps comporte un nombre important de cours et de contrôles de connaissances organisés le samedi matin ; qu’ainsi le motif tiré de ce que M. X… ne pourrait bénéficier d’une telle dérogation systématique aux prescriptions de l’article 7 du règlement intérieur du lycée Masséna pouvait légalement être opposé à sa demande d’inscription ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation d’une prétendue décision implicite de rejet d’un recours gracieux de M. X… :
Considérant que la lettre en date du 9 août 1992, adressée par le père de M. X… au proviseur du lycée Masséna, constituait une simple demande d’éclaircissement sur la position de l’administration quant aux dérogations pouvant être accordées aux élèves pratiquant le repos du samedi pour des motifs religieux ; qu’ainsi cette demande qui ne mentionnait pas la lettre du 23 juin 1992 n’avait pas le caractère d’un recours gracieux contre la décision contenue dans cette lettre et que le silence gardé à son sujet par l’administration n’a pu, en tout état de cause, faire naître une décision implicite de rejet susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de la lettre du 18 septembre 1992 :
Considérant que par cette lettre, le proviseur du lycée Masséna s’est borné à informer le père du requérant de son accord de principe pour l’admission différée de son fils en classe de mathématiques supérieures, au titre de l’année scolaire 1993-1994 ; qu’ainsi elle ne présentait pas le caractère d’une décision susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X… n’est pas fondé à se plaindre du rejet de ses différentes conclusions par le jugement attaqué ;
En ce qui concerne la suppression par les premiers juges de certains passages de ses mémoires de première instance :
Considérant que si M. X… critique cette partie du jugement attaqué, il n’assortit pas ces critiques de conclusions tendant à son annulation ;
Sur les conclusions du ministre de l’éducation nationale tendant à ce que M. X… soit condamné à lui verser la somme de 10 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit auxdites conclusions ;
Article 1er : La requête de M. X… est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l’Etat tendant au versement d’une somme de 10 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Yonathan X… et au ministre de l’éducation nationale.