REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 novembre 2010 et 23 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société Novartis Pharma SAS, dont le siège est 2 et 4, rue Lionel Terray BP 308 à Rueil-Malmaison (92506 Cedex), représentée par son président ; la société Novartis Pharma SAS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de la santé et des sports du 25 mai 2010 refusant d’inscrire sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des spécialités agréés à l’usage des collectivités les spécialités Exforge-hydrochlorotiazide 5 mg / 160 mg / 12,5 mg, Exforge hydroclorotiazide 10 mg / 160 mg / 12,5 mg, Exforge-hydrochlorotiazide 5 mg /160 mg /25 mg et Exforge-hydrochlorotiazide 10 mg / 160 mg / 25 mg, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 22 juillet 2010 ;
2°) d’enjoindre aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de se prononcer à nouveau sur l’inscription de ces spécialités sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et sur celle des spécialités agréés à l’usage des collectivités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 24 et 30 octobre 2013, présentées pour la société Novartis Pharma SAS ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,
– les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Ricard, avocat de la société Novartis Pharma SAS ;
1. Considérant que la société Novartis Pharma SAS commercialise les spécialités Exforge-hydrochlorotiazide, destinées au traitement de l’hypertension artérielle, qui associent, selon différents dosages, trois principes actifs ; qu’elle demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre de la santé et des sports du 25 mai 2010 refusant d’inscrire ces spécialités sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des spécialités agréées à l’usage des collectivités, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 22 juillet 2010 ;
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale : » Les médicaments spécialisés, mentionnés à l’article L. 5121-8 du code de la santé publique (…), ne peuvent être pris en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d’assurance maladie, lorsqu’ils sont dispensés en officine, que s’ils figurent sur une liste établie dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État (…) » ; qu’il résulte des dispositions des articles R. 163-2 et R. 163-4 du même code que l’inscription est prononcée par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale, après avis de la commission de la transparence ; que, d’autre part, aux termes du premier alinéa de l’article L. 5123-2 du code de la santé publique : » L’achat, la fourniture, la prise en charge et l’utilisation par les collectivités publiques des médicaments définis aux articles L. 5121-8 (…) sont limités, dans les conditions propres à ces médicaments fixées par le décret mentionné à l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale (…) » ; qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 5123-3 du même code et L. 161-37 du code de la sécurité sociale que l’inscription sur cette liste est également prononcée après avis de la commission de la transparence ;
Sur la légalité de la décision du 25 mai 2010 :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article R. 163-14 du code de la sécurité sociale, pris pour la transposition de l’article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes d’assurance-maladie : » Les décisions portant refus d’inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l’article L. 162-17 du présent code et à l’article L. 5123-2 du code de la santé publique (…) sont communiquées à l’entreprise avec la mention des motifs de ces décisions (…) » ; que la décision litigieuse indique, en se référant aux motifs de l’avis rendu par la commission de la transparence le 31 mars 2010, lui-même préalablement communiqué à la société Novartis Pharma SAS, que les spécialités Exforge-hydrochlorotiazide présentent un service médical rendu insuffisant pour justifier leur prise en charge par l’assurance maladie en application de l’article R. 163-3 du code de la sécurité sociale ; que, par suite, la règle de motivation applicable à cette décision n’a pas été méconnue ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que les allégations tirées de l’irrégularité de la convocation des membres de la commission de la transparence ne sont aucunement étayées et doivent, par suite, être écartées ; qu’il ne résulte pas de la seule circonstance que 19 membres ont participé au vote, alors que 21 membres avec voix délibérative avaient émargé la liste de présence au début de la séance du 31 mars 2011, que le vote se serait déroulé dans des conditions irrégulières ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu’en vertu du dernier alinéa de l’article R. 163-17 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date des décisions attaquées, les membres de la commission de la transparence » ne peuvent prendre part ni aux délibérations ni au vote s’ils ont un intérêt direct ou indirect à l’affaire examinée » ; qu’il résulte des dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 5323-4 du code de la santé publique, auquel renvoyait l’article L. 161-44 du code de la sécurité sociale alors en vigueur, que les personnes collaborant occasionnellement aux travaux de la Haute Autorité de santé ou apportant leur concours à ses commissions spécialisées ne peuvent traiter d’une question dans laquelle elles auraient un intérêt direct ou indirect ;
6. Considérant, d’une part, qu’il résulte des dispositions de l’article R. 161-85 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction alors applicable, que les membres de la commission de la transparence et les personnes qui lui apportent son concours doivent adresser au président du collège de la Haute Autorité de santé, à l’occasion de leur nomination ou de leur entrée en fonctions, une déclaration mentionnant leurs liens, directs ou indirects, avec les entreprises ou établissements dont les produits entrent dans son champ de compétence, ainsi qu’avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs, cette déclaration étant rendue publique et actualisée à leur initiative dès qu’une modification intervient ; que si le retard dans la souscription ou l’absence de publication de certaines déclarations d’intérêts ne révèlent pas, par eux-mêmes, une méconnaissance du principe d’impartialité, il appartient, en revanche, à la Haute Autorité de santé, pour celles des personnes dont la déclaration obligatoire d’intérêts échapperait ainsi au débat contradictoire, de verser au dossier l’ensemble des éléments permettant au juge de s’assurer, après transmission aux parties, de l’absence ou de l’existence de liens d’intérêts et d’apprécier, le cas échéant, si ces liens sont de nature à révéler des conflits d’intérêts ; que la société requérante ayant fait valoir que toutes les déclarations requises n’avaient pas été rendues publiques sur le site internet de la Haute Autorité de santé, la 1ère sous-section de la section du contentieux a ordonné une mesure d’instruction, à la suite de laquelle la Haute Autorité de santé a produit l’ensemble des déclarations d’intérêts souscrites par les membres de la commission de la transparence ayant siégé lors de ses réunions des 27 janvier et 31 mars 2010 ainsi que par les deux rapporteurs sollicités pour l’examen du service médical rendu des spécialités litigieuses ;
7. Considérant, d’autre part, que la société Novartis Pharma SAS soutient que tant les rapporteurs de l’avis, les professeurs Blacher et Chamontin, que l’un des membres de la commission de la transparence, le docteur Nony, présent lors des réunions des 27 janvier et 31 mars 2010, se trouvaient dans une situation de conflits d’intérêts et qu’ont été ainsi méconnues les dispositions précitées des articles R. 163-17 du code de la sécurité sociale et L. 5323-4 du code de la santé publique ; que, toutefois, s’agissant des deux rapporteurs, la société requérante se borne à invoquer, sans apporter aucune précision à l’appui de ses allégations, leurs déclarations d’intérêts ; qu’aucun des éléments mentionnés dans ces déclarations ne permet d’estimer que les professeurs Blacher et Chamontin auraient pu avoir un intérêt direct ou indirect à l’affaire qu’ils ont rapportée ; que, s’agissant du docteur Nony, la société fait valoir qu’il a mentionné, dans sa déclaration d’intérêts, une » aide » apportée en 2008 et 2009 à l’élaboration d’un » plan d’investigation pédiatrique » relatif à une spécialité indiquée dans le traitement de l’hypertension artérielle ; que, toutefois, la participation du docteur Nony à ce programme relatif à l’usage du médicament en pédiatrie, en qualité d’investigateur non principal, ne peut être regardée comme révélant à elle seule un intérêt, direct ou indirect, dans l’affaire en litige ; que, dans ces conditions, et eu égard au surplus au nombre particulièrement élevé de médicaments antihypertenseurs commercialisés et de laboratoires les fabriquant ou les commercialisant, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du dernier alinéa de l’article R. 163-17 du code de la sécurité sociale et du cinquième alinéa de l’article L. 5323-4 du code de la santé publique ne peut qu’être écarté ;
8. Considérant, enfin, qu’il ne résulte pas du seul fait que le ministre compétent ait choisi de suivre l’avis de la commission de la transparence qu’il n’aurait pas procédé à un examen particulier de la demande présentée par la société Novartis Pharma SAS ;
Sur la légalité interne :
9. Considérant qu’aux termes du I de l’article R. 163-3 du code de la sécurité sociale : » Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue au premier alinéa de l’article L. 162-17 au vu de l’appréciation du service médical rendu qu’ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l’efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l’affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur la liste » ; qu’il résulte de l’article R. 163-18 du même code que ces dispositions sont également applicables à l’inscription sur la liste mentionnée à l’article L. 5123-2 du code de la santé publique ;
10. Considérant, en premier lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de la santé et des sports se serait cru lié par l’avis de la commission de la transparence ;
11. Considérant, en deuxième lieu, qu’en prenant en considération les inconvénients résultant, en matière de prescription, des caractéristiques particulières des spécialités en cause, et notamment l’impossibilité d’adapter à la pathologie propre de chaque patient le dosage des différents antihypertenseurs qu’elles associent, la commission de la transparence puis le ministre de la santé et des sports n’ont pas ajouté un critère à ceux au vu desquels le service médical rendu par une spécialité doit être apprécié, mais ont tenu compte des risques que sa prescription pouvait comporter en termes de santé publique, conformément aux prévisions de l’article R. 163-3 du code de la sécurité sociale ; que le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait, pour ce motif, entachée d’erreur de droit, doit, par suite, être écarté ;
12. Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que les quatre spécialités Exforge-hydrochlorotiazide reposent sur l’association fixe de trois principes antihypertenseurs mettant en oeuvre des mécanismes complémentaires pour contrôler la pression artérielle, chaque spécialité correspondant à un dosage différent des trois molécules ; que la réduction du coût du traitement, que relève la société Novartis Pharma SAS, est sans incidence sur l’appréciation du service médical rendu ; que, par ailleurs, la circonstance qu’un service médical rendu important ait été reconnu pour les trois molécules en cause n’implique pas nécessairement qu’un même niveau de service médical rendu doive être reconnu à leur association fixe ; que le ministre fait valoir que les spécialités en cause créent un risque de transfert des prescriptions au détriment des associations libres des trois antihypertenseurs, alors que ces dernières permettent de mieux adapter le dosage à la situation de certains patients, ainsi qu’un risque de confusion, dans la mesure où des spécialités existantes associent déjà deux des trois molécules considérées ; que si la société requérante fait valoir qu’une association fixe, qui réduit le nombre de comprimés par prise, est susceptible d’améliorer l’observance du traitement, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte des études disponibles à la date de la décision attaquée, que le ministre se serait fondé sur des faits matériellement inexacts ou aurait entaché sa décision d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que les spécialités en cause présentaient un service médical rendu insuffisant au regard des autres médicaments disponibles ;
Sur la légalité de la décision implicite de rejet du recours gracieux de la société Novartis Pharma SAS :
13. Considérant qu’aucune règle ni aucun principe n’imposaient d’inviter la société requérante à présenter des observations préalablement au rejet de son recours gracieux ; que les autres moyens doivent être écartés pour les motifs indiqués ci-dessus ;
14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société Novartis Pharma SAS doivent être rejetées, y compris celles qu’elle a présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Novartis Pharma SAS est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Novartis Pharma SAS et à la ministre des affaires sociales et de la santé.
Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.