AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A… F… a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l’Etat à lui verser la somme de 4 800 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de sa détention au centre pénitentiaire de Toulon la Farlède entre le 29 octobre 2015 et le 2 février 2016. Par un jugement n° 1802789 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 20MA03112 du 10 septembre 2020, enregistrée le 11 septembre au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la présidente de la cour administrative d’appel de Marseille a, sur le fondement de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, transmis au Conseil d’Etat le pourvoi formé par M. F… contre ce jugement.
Par ce pourvoi, enregistré au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille le 26 août 2020, et par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 18 janvier et 9 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. F… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Didier, Pinet, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de procédure pénale ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d’Etat,
– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de M. F… ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. F… a été détenu au centre pénitentiaire de la Farlède à Toulon (Var) du 29 octobre 2015 au 2 février 2016. Il a demandé à être indemnisé des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de ses conditions de détention. Par un jugement en date du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 4 800 euros en réparation des préjudices subis. La présidente de la cour administrative d’appel de Marseille a, par une ordonnance du 10 septembre 2020 prise en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, transmis au Conseil d’Etat le recours que M. F… avait formé contre ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
2. Il ressort des pièces de la procédure que M. F… a contesté le jugement rendu en première instance par le tribunal administratif de Toulon devant la cour administrative d’appel de Marseille, conformément aux indications portées sur la notification de ce jugement, en formant contre ce jugement un appel motivé par des moyens tendant à remettre en cause son bien-fondé. Ce jugement ayant toutefois été rendu en dernier ressort, le recours formé par M. F… doit être regardé comme un pourvoi en cassation motivé, qui a été transmis au Conseil d’Etat par ordonnance de la présidente de la cour administrative d’appel. M. F… a régularisé son pourvoi, à la suite de la demande de régularisation qui lui a été adressée, en ayant recours au ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Les moyens soulevés par les écritures produites devant le Conseil d’Etat mettant également en cause le bien-fondé du jugement attaqué, le ministre de la justice n’est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le pourvoi ou les moyens soulevés seraient irrecevables.
Sur l’action en responsabilité contre l’Etat :
3. S’il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l’encontre de l’administration d’apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l’existence de faits de nature à caractériser une faute, il en va différemment, s’agissant d’une demande formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. C’est alors à l’administration qu’il revient d’apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.
4. Il s’ensuit que le tribunal administratif de Toulon a entaché son jugement d’une erreur de droit en écartant la demande indemnitaire de M. F… au motif que ce dernier n’apportait à l’appui de ses affirmations aucun témoignage ni aucune pièce probante, alors que l’administration n’avait pas produit de mémoire en défense et n’avait donc fourni aucun élément de nature à réfuter les allégations précisément détaillées du demandeur. Si le ministre de la justice fait valoir, dans son deuxième mémoire en défense devant le Conseil d’Etat, des éléments de fait relatifs aux conditions de détention de M. F…, il appartiendra au juge du fond, saisi à nouveau de l’affaire, d’en apprécier la portée et l’incidence au regard de la demande présentée par le requérant.
5. Il résulte de ce qui précède que M. F… est fondé, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, à demander l’annulation du jugement qu’il attaque.
6. M. F… a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Didier, Pinet, avocat de M. F…, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement n° 1802789 du tribunal administratif de Toulon du 2 juillet 2020 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Toulon.
Article 3 : L’Etat versera à la SCP Didier, Pinet la somme de 3 000 euros au titre du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A… F… et au garde des sceaux, ministre de la justice.