REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 27 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté pour l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA), dont le siège est au 10 place Léon Blum à Paris (75011) ; l’OABA demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet de sa demande du 27 mars 2012 tendant à l’abrogation du 1° du I de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) d’enjoindre au Premier ministre de prononcer cette abrogation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la directive 93/119/CE du Conseil du 22 décembre 1993 ;
Vu le règlement (CE) n°1099/2009 du Conseil du 24 décembre 2009 ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Fabrice Benkimoun, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, avocat de l’oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs ;
1. Considérant qu’il résulte du 1° du I de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime, dont l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs a demandé l’abrogation, qu’une exception à l’obligation d’étourdissement des animaux avant l’abattage ou la mise à mort est admise si cet étourdissement n’est pas compatible avec la pratique de l’abattage rituel ;
2. Considérant qu’il appartient au Premier ministre, en vertu de ses pouvoirs propres conférés par l’article 37 de la Constitution, d’édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire et tendant à ce que l’abattage des animaux soit effectué dans des conditions conformes à l’ordre public, à la salubrité et au respect des libertés publiques ; que lorsque le législateur est intervenu dans ce domaine, il incombe au Premier ministre d’exercer son pouvoir de police générale sans méconnaître la loi ni en altérer la portée ; que relève ainsi du pouvoir réglementaire, contrairement à ce que soutient la requérante, tant l’obligation d’étourdissement dans les établissements d’abattage que les différents cas de dérogation à cette obligation ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime : » Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » ; qu’aux termes de l’article L. 214-3 du même code : » Il est interdit d’exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu’envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. / Des décrets en Conseil d’État déterminent les mesures propres à assurer la protection de ces animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d’élevage, de parcage, de transport et d’abattage des animaux. (…) » ; que l’article R. 214-75 du même code prévoit un régime d’habilitation des sacrificateurs » par les organismes religieux agréés, sur proposition du ministre de l’intérieur, par le ministre chargé de l’agriculture » ;
4. Considérant que s’il est soutenu que le recours au terme » d’abattage rituel » serait insuffisamment précis, ce moyen doit être écarté dès lors que la dérogation prévue au I de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime par les dispositions contestées repose sur un système d’habilitation préalable sous le contrôle du juge administratif ; que la dérogation ainsi encadrée ne peut davantage être regardée comme autorisant » un mauvais traitement » au sens de l’article L. 214-3 du code rural et de la pêche maritime ;
5. Considérant que la disposition contestée a été édictée dans le but de concilier les objectifs de police sanitaire et l’égal respect des croyances et traditions religieuses ; que, s’il résulte du principe de laïcité que celui-ci impose l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et le respect de toutes les croyances, ce même principe impose que la République garantisse le libre exercice des cultes ; que, par suite, la possibilité de déroger à l’obligation d’étourdissement pour la pratique de l’abattage rituel ne porte pas atteinte au principe de laïcité ;
6. Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ; qu’en prévoyant la possibilité de déroger à l’obligation d’étourdissement imposée aux établissements d’abattage par le I de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime, le pouvoir réglementaire a entendu définir le champ d’application de cette mesure de protection dans le respect de la liberté de culte et de croyance garantie par la Constitution ; qu’ainsi la dérogation instituée par les dispositions contestées n’est ouverte pour l’abattage rituel que lorsque celui-ci n’est pas compatible avec le recours préalable à l’étourdissement ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté ;
7. Considérant, enfin, que si le paragraphe 1 de l’article 3 du règlement du 24 décembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort, qui a abrogé la directive du 22 décembre 1993, fait obligation aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires afin d’épargner » toute douleur, détresse ou souffrance évitable lors de la mise à mort « , il résulte, d’une part, du paragraphe 4 de l’article 4 du même règlement que » pour les animaux faisant l’objet de méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux » l’étourdissement préalable à la mise à mort n’a pas été rendu obligatoire » pour autant que l’abattage ait lieu dans un abattoir » et, d’autre part, des termes mêmes de 1° du I de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime que la dérogation prévue par le pouvoir réglementaire ne porte que sur l’étourdissement préalable ; que, par suite, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que les dispositions du 1° du I de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime seraient contraires à ce règlement ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à sa demande d’abrogation ; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs, au Premier ministre et au ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l’intérieur