REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu, enregistré le 30 mai 2006 au secrétariat du contentieux de Conseil d’Etat, le recours du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 13 avril 2006 par lequel la cour administrative de Marseille, d’une part, a rejeté son recours tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Bastia du 12 décembre 2003 en tant que ce jugement a condamné l’Etat, conjointement et solidairement avec la commune de Carcheto-Brustico, à verser à M. A une indemnité en réparation du préjudice résultant pour lui de dégâts causés à ses propriétés par le bétail en état de divagation et, d’autre part, s’est bornée à ramener de 4 955 euros à 2 973,55 euros l’indemnité que le jugement du même tribunal administratif du 25 novembre 2004 a condamné l’Etat, conjointement et solidairement avec la commune de Carcheto-Brustico, à verser à M. Gérard A ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Conseiller d’Etat,
– les observations de Me Odent, avocat de la Commune de Carcheto-Brustico,
– les conclusions de M. Didier Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sur le recours du MINISTRE D’ETAT , MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE :
Considérant qu’aux termes de l’article 1385 du code civil : « Le propriétaire d’un animal ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé » et qu’aux termes de l’article L. 211-1 du code rural, qui figure sous le titre « animaux de rente » : « Lorsque des animaux non gardés ou dont le gardien est inconnu ont causé du dommage, le propriétaire lésé a le droit de les conduire sans retard au lieu de dépôt désigné par le maire qui, s’il connaît la personne responsable du dommage aux termes de l’article 1385 du code civil, lui en donne immédiatement avis. / Si les animaux ne sont pas réclamés, et si le dommage n’est pas réparé dans la huitaine du jour où il a été commis, il est procédé à la vente sur ordonnance du juge compétent de l’ordre judiciaire qui évalue les dommages … » ; que ces dernières dispositions ne constituent pas un fondement légal de pouvoirs de police du maire mais ont pour seul objet de faciliter la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien de l’animal à l’égard des tiers, instituée par l’article 1385 du code civil dans le cas où l’animal a causé un dommage ;
Considérant toutefois que, même lorsque l’article L. 211-1 du code rural n’est pas applicable, en l’absence de dommage effectivement causé par le bétail, le 7° de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui permet au maire, autorité de police municipale, de prendre des mesures dans le but « d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces … » l’autorise à organiser le dépôt, dans un lieu désigné, du bétail en état de divagation ; que cette mesure est dès lors également au nombre de celles que le représentant de l’Etat dans le département peut prendre, en vertu du 1° de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales et dans les conditions prévues par ces dispositions, en se substituant au maire défaillant ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, avertis des dégradations, nuisances et risques pour la sécurité publique causés par le bétail que des éleveurs laissent divaguer librement sur le territoire de certaines communes de la Haute-Corse, les services de l’Etat ont mené diverses actions destinées à aider les maires concernés à faire cesser ces troubles ; que, notamment, des réunions ont été organisées à la préfecture, une « cellule divagation », créée au sein de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt, a été mise à la disposition des maires, et la création de fourrières communales ou intercommunales où pourraient être menés et gardés les animaux et notamment le bétail en état de divagation a été favorisée, par la mise en place de financements de l’Etat ; que, dans ces conditions, et eu égard par ailleurs à la nature des dommages occasionnés par la divagation des animaux, la cour a inexactement qualifié les faits en jugeant que l’absence de mise en oeuvre par le préfet des pouvoirs de substitution qu’il tient de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales révélait une faute lourde de l’Etat ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE est fondé à demander l’annulation de l’arrêt du 13 avril 2006 en tant que, par cet arrêt, la cour administrative d’appel de Marseille a condamné l’Etat à verser à M. A une indemnité de 2 973,55 euros en réparation du préjudice résultant pour lui de dégâts causés à ses propriétés par le bétail en état de divagation ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond, en tant qu’elle concerne la responsabilité de l’Etat ;
Considérant que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le préfet de la Haute-Corse n’a pas commis, dans l’exercice de ses pouvoirs de substitution, une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’Etat ; que le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE est dès lors fondé à soutenir que c’est à tort que, par les jugements des 12 décembre 2003 et 25 novembre 2004, le tribunal administratif de Bastia a condamné l’Etat, conjointement et solidairement avec la commune de Carcheto-Brustico, à verser à M. A une indemnité de 4 955 euros ;
Sur le pourvoi provoqué de la commune de Carcheto-Brustico :
Considérant que le dépôt, dans un lieu désigné, du bétail en état de divagation sur le territoire municipal est au nombre des mesures que le maire peut prendre en application des dispositions du 7° de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, alors même que la divagation du bétail affecte aussi d’autres communes ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, malgré les troubles causés depuis de nombreuses années par le bétail que des éleveurs laissent divaguer librement sur le territoire de certaines communes de la Haute-Corse, notamment celle de Carcheto-Brustico, le maire de celle-ci s’est borné à prendre des mesures réglementaires interdisant la divagation des animaux, qui ont été dépourvues de tout effet ; que dans ces conditions, en n’engageant aucune démarche pour tenter d’assurer le respect effectif de cette interdiction par les éleveurs, par des mesures telles que, éventuellement avec l’aide proposée par les services de l’Etat, le dépôt du bétail en état de divagation dans un lieu désigné, le maire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, comme l’a jugé, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Marseille ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Carcheto-Brustico, qui se borne à soutenir qu’elle n’a pas commis de faute, sans contester l’évaluation du préjudice retenue par la cour, n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt du 13 avril 2006 en tant que, par cet arrêt, la cour administrative d’appel de Marseille l’a condamnée à verser à M. A une indemnité en réparation du préjudice résultant pour lui de dégâts causés à ses propriétés par le bétail en état de divagation ; que doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions de la commune tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 13 avril 2006 ainsi que les jugements du tribunal administratif de Bastia des 12 décembre 2003 et 25 novembre 2004 sont annulés en tant qu’ils condamnent l’Etat à verser une indemnité à M. A.
Article 2 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Bastia est rejetée en tant qu’elle est dirigée contre l’Etat.
Article 3 : Le pourvoi provoqué de la commune de Carcheto-Brustico est rejeté ainsi que ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES à M. Gérard A, à la commune de Carcheto-Brustico et au ministre de l’agriculture et de la pêche.