Vu la requête présentée pour la Compagnie des chemins de fer de l’Est…, tendant à ce qu ‘il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir, un décret, en date du 1er mars 1901, publié au Journal officiel du 4 mars, et publié à nouveau avec rectifications au Journal officiel du 23 août, portant modification de l’ordonnance du 15 nov. 1846 relative à la police des chemins de fer ;
Ce faire, attendu que la délégation donnée au gouvernement par la loi du 11 juin 1842 (art. 9) et la loi du 15 juill. 1845 (art. 21) en vue de déterminer les mesures et dispositions nécessaires pour garantir la police, la sûreté, l’usage et la conservation des chemins de fer a été épuisée par l’ordonnance du 15 nov. 1846, qui constitue le règlement prévu par ces deux lois ; que c’est d’après ces textes sur lesquels ont été modelés les cahiers des charges, que la compagnie requérante a traité avec l’Etat pour l’établissement et l’exploitation de son réseau; qu’il ne peut dépendre de l’Etat, sous prétexte de réglementation nouvelle, de changer à son gré les bases essentielles des conventions passées avec le concessionnaire ; qu’il ne peut assujettir la compagnie à de nouvelles charges qu’après entente avec elle et suivant des conditions arrêtées d’un commun accord ; que si l’art. 33 du cahier des charges réserve au gouvernement le droit d’édicter les mesures nécessaires pour assurer la police et l’exploitation des chemins de fer, ces mesures ne peuvent être prescrites que par des règlements d’administration publique, la Compagnie entendue ; que le nouveau décret confère au ministre des Travaux publics le pouvoir d’imposer à la Compagnie des charges nouvelles sans qu’elle soit même consultée ; que d’ailleurs, le pouvoir réglementaire du Gouvernement ne peut s’exercer qu’en ce qui concerne la sûreté publique et non en ce qui concerne l’exploitation commerciale ; que le décret attaqué méconnait ces principes ;
Vu les lois des 11 juin 1842, art. 9 ; 15 juill. 1845, art. 21, et l’ordonnance du 15 nov. 1846 ; la loi du 24 mai 1872, art. 9 ;
Sur la fin de non recevoir opposée par le ministre des Travaux publics et tirée de ce que le décret du 1er mars 1901, étant un règlement d’administration publique, ne serait pas susceptible d’être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir :
Cons. qu’aux termes des lois des 11 juin 1842 (art.9) et 15 juill. 1845 (art. 21), des règlements d’administration publique déterminent les mesures et dispositions nécessaires pour garantir la police, la sûreté, la conservation, l’usage et l’exploitation des chemins de fer; que les conclusions des Compagnies de chemin de fer tendent à faire décider que les dispositions édictées par le règlement d’administration publique du 1er mars 1901 excèdent les limites de la délégation donnée au Gouvernement par les lois précitées ;
Cons. qu’aux termes de l’art. 9 de la loi du 24 mai 1872, le recours en annulation pour excès de pouvoir est ouvert contre les actes des diverses autorités administratives ;
Cons. que si les actes du chef de l’Etat portant règlement d’administration publique sont accomplis en vertu d’une délégation législative et comportent en conséquence l’exercice dans toute leur plénitude des pouvoirs qui ont été conférés par le législateur au Gouvernement dans ce cas particulier, ils n’échappent pas néanmoins, et en raison de ce qu’ils émanent d’une autorité administrative, au recours prévu par l’art. 9 précité ; que, dès lors, il appartient au Conseil d’Etat statuant au contentieux d’examiner si les dispositions édictées par le règlement d’administration publique rentrent dans la limite de ces pouvoirs ;
Sur le moyen tiré de ce que, la promulgation de l’ordonnance du 15 nov. 1846 ayant épuisé la délégation donnée au chef de l’Etat par les lois du 11 juin 1842 (art. 9) et du 15 juill. 1845 (art. 21) le décret du 1er mars 1901 n’aurait pu, en l’absence d’une délégation nouvelle du législateur, modifier les dispositions de ladite ordonnance :
Cons. que, lorsque le chef de l’Etat est chargé par le législateur d’assurer l’exécution d’une loi par un règlement d’administration publique, ce mandat n’est pas en principe épuisé par le premier règlement fait en exécution de cette loi ; qu’en effet à moins d’exception résultant de l’objet même de la délégation ou d’une disposition expresse de la loi, cette délégation comporte nécessairement le droit pour le Gouvernement d’apporter au règlement primitif les modifications que l’expérience ou des circonstances nouvelles ont révélé comme nécessaires pour assurer l’exécution de la loi ;
Sur le moyen tiré de ce que les dispositions de l’ordonnance du 15 nov. 1846 ayant servi de base au contrat intervenu entre l’Etat et les Compagnies, ne pouvaient pas être modifiées par l’Etat sans entente préalable avec ces dernières :
Cons. que les pouvoirs de réglementation exercés par l’Etat en matière de chemins de fer, bien que rappelés expressément par l’art. 33 du cahier des charges, dérivent, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, des lois des 11 juin 1842 et 15 juill. 1845 et non pas du contrat de concession lequel ne saurait faire obstacle à leur exercice ; qu’ainsi, en édictant le décret du 1er mars 1901, le Gouvernement a usé d’un droit qui lui appartenait ;
Cons. d’ailleurs que si les Compagnies requérantes se croient fondées à soutenir que les mesures prescrites par le décret attaqué introduisent dans les charges de l’exploitation des éléments qui n’ont pu entrer dans les prévisions des parties contractantes, et qu’il est porté atteinte aux conventions intervenues entre les parties, il leur appartient de porter telles réclamations que de droit devant le conseil de préfecture compétent pour statuer sur les litiges en matière de concessions de travaux publics par application de la loi du 28 pluv. an VIII ;
Sur la légalité des art. 2, 6, 7, 12, 15, 24, 43, 65 et 68 du décret du 1er mars 1901 :
Cons. que les Compagnies requérantes soutiennent que les pouvoirs réglementaires de l’Administration ne pouvaient s’exercer que dans l’intérêt de la sécurité et qu’ainsi il ne lui appartenait ni de réglementer dans l’intérêt de l’hygiène ou de la commodité des voyageurs ni de régler les conditions du travail des agents, ni de se substituer à elles pour déterminer les installations nécessaires, le nombre des trains et la marche générale du service ;
En ce qui concerne les art. 6, 15 et 68 :
Cons. que ces dispositions relatives à l’éclairage des tunnels, à l’hygiène publique et au travail de ceux des agents qui sont nécessaires à la sûreté de l’exploitation, rentrent dans toutes les mesures intéressant la sécurité des voyageurs ; qu’ainsi les Compagnies ne sauraient en contester la légalité ;
En ce qui concerne les art. 12 et 24 :
Cons. que l’Administration tient des art. précités des lois du 11 juin 1842 et du 15 juill. 1845 le pouvoir de réglementer tout ce qui touche à l’usage et à l’exploitation des chemins de fer; que ce pouvoir comporte le droit de prescrire les mesures nécessaires pour la commodité des voyageurs, ainsi que l’avait déjà édicté, par le même art. 12, l’ordonnance du 15 nov. 1846; qu’il suit de là que le décret du ler mars 1901 a pu valablement imposer l’obligation de chauffer les voitures pendant la saison froide et conférer au ministre le soin de fixer le minimum de places affecté à chaque voyageur ;
En ce qui concerne l’art. 7 :
Cons. qu’à l’égard du matériel roulant n’appartenant pas aux Compagnies, le § 2 de l’art. 7, rapproché du § 1er du même article, ne donne au ministre le droit de déterminer que les conditions techniques auxquelles le matériel doit satisfaire pour être admis à circuler sur leurs réseaux ; qu’ainsi cette disposition’ n’excède pas les pouvoirs appartenant au ministre des Travaux publics ;
En ce qui concerne l’art. 43 :
Cons. que les pouvoirs conférés au Gouvernement par les lois du 11 juin 1842 et du 15 juill. 1845 visent tout à la fois, comme il a été dit ci-dessus, la sécurité et l’exploitation ; qu’ils impliquent en conséquence, pour l’Administration, le droit non seulement d’approuver les horaires de trains au point de vue de la sécurité de la circulation, mais encore de prescrire à toute époque les modifications et additions nécessaires pour assurer dans l’intérêt du public la marche normale du service ; que l’art.43 du décret du 1er mars 1901 n’a fait au surplus que préciser à cet égard les droits que le même art. 43 de l’ordonnance du 15 nov. 1846 avait attribués au ministre des Travaux publics ; qu’ainsi ces prescriptions rentraient dans les mesures qu’il appartenait au chef de l’Etat d’édicter par application des lois précitées ; que d’ailleurs, au cas où, dans l’exercice des pouvoirs que lui confère ledit art. 43, le ministre des Travaux publics porterait atteinte aux droits que les Compagnies tiennent de leur contrat, il leur appartiendrait de former devant le conseil de préfecture telles réclamations que de droit au sujet des charges extra-contractuelles qui leur auraient été imposées;
En ce qui concerne les art. 2 et 65 :
Cons. que le décret attaqué se borne à disposer que, si les installations des gares, leur personnel ou le matériel roulant sont insuffisants pour permettre à la Compagnie d’assurer dans les circonstances normales la marche régulière du service, en observant les conditions et délais déterminés par les règlements et tarifs, le ministre devra prendre les mesures nécessaires pour y pourvoir ; que ces prescriptions n’excèdent pas les pouvoirs que la loi a entendu conférer au Gouvernement dans l’intérêt de l’exploitation ;… (Rejet).