Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 mars 1991 et 8 juillet 1991 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la Fédération nationale des syndicats du personnel des industries de l’énergie électrique, nucléaire et gazière, représentée par son secrétaire général en exercice, dont le siège est … ; la fédération demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision commune des directeurs généraux d’EDF-GDF en date du 11 janvier 1991 rejetant sa demande tendant au retrait de trois notes du directeur d’EDF-GDF services en date du 10 octobre 1990, ensemble lesdites notes ;
2°) de décider qu’il sera sursis à l’exécution de ces décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 ;
Vu le décret du 22 juin 1946 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Pêcheur, Maître des Requêtes,
– les observations de Me Baraduc-Bénabent, avocat de la Fédération nationale des syndicats du personnel des industries de l’énergie électrique, nucléaire et gazière et de la SCP Defrénois, Lévis, avocat d’EDF et GDF,
– les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par trois notes en date du 10 octobre 1990, le directeur de la direction « EDF-GDF services » a défini les fonctions, relevant de sa direction, nécessaires au maintien de la sécurité du système de production-transport-distribution d’électricité et devant être assurées, même en période de grève, par les agents figurant au tableau de service et désignés à cet effet par les chefs de service ;
En ce qui concerne la légalité externe :
Sur la compétence du directeur de la direction « EDF-GDF services » :
Considérant en premier lieu qu’en indiquant dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l’assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l’une des modalités et la sauvegarde de l’intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte ;
Considérant qu’en l’absence de la réglementation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ; qu’en l’état de la législation, il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la nature et l’étendue desdites limites pour les agents desdits services ;
Considérant, toutefois, que les principes rappelés ci-dessus ne font pas obstacle à ce que les organes chargés de la direction d’un établissement public, agissant en vertu des pouvoirs généraux d’organisation des services placés sous leur autorité, d’une part, définissent les domaines dans lesquels la sécurité doit être assurée en toutes circonstances ainsi que les fonctions nécessaires pour assurer cette sécurité, d’autre part, déterminent les limitations affectées àl’exercice du droit de grève dans l’établissement en vue d’en éviter un usage abusif au contraire aux nécessités de l’ordre public ;
Considérant, en second lieu, que si, par un arrêté en date du 5 juillet 1990, le ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire a défini les consignes générales de « délestage » sur les réseaux électriques et déterminé les catégories d’usagers prioritaires bénéficiant, lorsque des « délestages » sont nécessaires, du maintien de l’alimentation en énergie électrique, cet arrêté ne constitue pas une réglementation du droit de grève des agents d’Electricité de France, mais se borne à définir le service minimum s’imposant à l’établissement public en toutes circonstances ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le directeur de la direction « EDF-GDF services » agissant par délégation du directeur général d’EDF, pouvait, sans excéder sa compétence, édicter les règles applicables, en cas de grève, aux agents placés sous son autorité ;
Sur la procédure consultative :
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 432-1 du code du travail, « Dans l’ordre économique, le comité d’entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise, et, notamment, sur les mesures de nature à affecter … les conditions d’emploi, de travail … du personnel » ; que si en vertu de l’article L. 431-1 du même code, ces dispositions sont applicables aux établissements publics à caractère industriel et commercial lorsqu’ils « emploient du personnel dans les conditions du droit privé », les notes attaquées du 10 octobre 1990 ne peuvent, eu égard à leur objet, être regardées comme figurant au nombre des mesures pour lesquelles est requise la consultation du comité d’entreprise dans les conditions prévues à l’article L. 432-1 précité ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 236-2 du code du travail, applicable aux établissements publics à caractère industriel et commercial en vertu de l’article L. 231-1 dudit code, le comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail : « est consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail » ; que, toutefois, les notes litigieuses n’affectent pas les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail des agents en cause ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail concernés auraient dû être consultés est inopérant ;
En ce qui concerne la légalité interne :
Considérant, d’une part, qu’eu égard à la nature du service public de production d’électricité, aux impératifs de sécurité qui lui sont liés et aux contraintes techniques de maintien de l’interconnexion et de préservation de l’équilibre entre la demande et l’offre d’électricité, les notes litigieuses ne portent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, une atteinte excessive au droit de grève des agents d’Electricité de France en désignant les fonctions, au sein de la direction « EDF-GDF services », qui doivent être assurées en cas de grève comme en toutes circonstances ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 521-6 du code du travail : »En ce qui concerne les personnels visés à l’article L. 521-2 non soumis aux dispositions de l’article premier de la loi du n° 82-889 du 19 octobre 1982, l’absence de service fait par suite de cessation concertée du travail entraîne une retenue du traitement ou du salaire et de ses compléments autres que les suppléments pour charges de famille. Les retenues sont opérées en fonction des durées d’absence définies à l’article 2 de la loi précitée. » et qu’aux termes de l’article L. 122-42 du code du travail, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 4 août 1982 : « Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite » ; que si les notes attaquées prévoient que « les agents grévistes, présents à leurs postes de travail, doivent assurer les tâches de maintien de la sûreté et de la sécurité des installations » et que les agents dont il s’agit seraient rémunérés, pendant ce poste de travail à hauteur de 20 % du salaire normalement dû pour tenir compte de l’exécution de ces tâches de sûreté et de sécurité, ces notes n’ont pas institué une sanction pécuniaire en méconnaissance du principe général du droit dont s’inspire l’article L. 122-42 précité mais se sont, en réalité, bornées, pour l’application des règles de retenue de salaires prévues à l’article L. 521-6 du code du travail, à tenir compte de l’exécution partielle de leurs obligations de service par ces agents ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante n’est pas fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir des décisions attaquées ;
Article 1er : La requête de la Fédération nationale des syndicats du personnel des industries de l’énergie électrique, nucléaire et gazière est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des syndicats du personnel des industries de l’énergie électrique, nucléaire et gazière, à EDF-GDF et au ministre de l’industrie, de la poste et des télécommunications.