REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 14 mai 2004, présentée par Mme Fatima X…, épouse Y, demeurant 225, avenue du Président Wilson, La Plaine Saint-Denis (93120) ; Mme X…, épouse Y demande au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 13 avril 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté du 2 mars 2004 du préfet de la Seine-Saint-Denis ordonnant sa reconduite à la frontière ;
2°) d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté et la décision fixant le pays de destination ;
3°) d’enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours et sous astreinte de 500 F par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : ‘I. – Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l’étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme X…, épouse Y, de nationalité marocaine, s’est maintenue sur le territoire français plus d’un mois après la notification, le 7 janvier 2004, de la décision du 31 décembre 2003, du préfet de la Seine-Saint-Denis lui refusant un titre de séjour et l’invitant à quitter le territoire ; qu’elle était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées de l’ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d’un étranger à la frontière ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant toutefois qu’aux termes de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, alors en vigueur : Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (…) 3° A l’étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d’étudiant ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme X… Y, épouse Y, réside habituellement en France depuis 1993 ; qu’il suit de là qu’elle justifiait, à la date de l’arrêté attaqué, d’une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans qui lui ouvrait droit au bénéfice des dispositions du 3° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ; que, par suite, le préfet ne pouvait légalement prendre à son encontre l’arrêté de reconduite à la frontière attaqué ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme X… épouse Y est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté Y ;
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ; qu’aux termes de l’article L. 911-2 du même code : Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ; que le III de l’article 22 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 dispose que : Si l’arrêté de reconduite à la frontière est annulé (…) l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas. ;
Considérant que la présente décision prononce l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X…, épouse Y et non pas d’une décision refusant de délivrer à celle-ci un certificat de résident de ressortissante algérienne ; que, dès lors, Mme X…, épouse Y n’est pas fondée à invoquer l’autorité de la chose jugée qui s’attacherait aux motifs de la présente décision pour soutenir que celle-ci implique nécessairement, au sens des dispositions précitées de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, la délivrance d’un certificat de résidence de ressortissant algérien ; mais considérant qu’à la suite de l’annulation d’un arrêté de reconduite à la frontière, il incombe au préfet, en application des dispositions précitées du III de l’article 22 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, non seulement de munir l’intéressé d’une autorisation provisoire de séjour mais aussi de se prononcer sur son droit à un titre de séjour ; que, dès lors, il appartient au juge administratif, lorsqu’il prononce l’annulation d’un arrêté de reconduite à la frontière et qu’il est saisi de conclusions en ce sens, d’user des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, pour fixer le délai dans lequel la situation de l’intéressé doit être réexaminée, au vu de l’ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de prescrire au préfet de la Seine-Saint-Denis de se prononcer sur la situation de Mme X…, épouse Y dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision ; que, toutefois, il n’y a pas lieu dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros que Mme X…, épouse Y demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 13 avril 2004 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et l’arrêté du 2 mars 2004 du préfet de la Seine-Saint-Denis ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X…, épouse Y et la décision du même jour fixant le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de Mme X…, épouse Y dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera à Mme X…, épouse Y la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Fatima X…, épouse Y au préfet de la Seine-Saint-Denis et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.