Chapitre trois- Contentieux administratif
L’étude du contentieux administratif nécessite que soit au préalable définie sa structure. On s’interrogera ensuite sur les conditions de recevabilité des recours contentieux et sur le déroulement du procès administratif. Enfin, on s’intéressera aux voies de recours et aux procédures de référé.
Section I – Structure du contentieux
Il existe plusieurs typologies des recours contentieux. Une première typologie, établie par Laferrière (Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2ème éd.1887, t. 1, p.15 et s.), est fondée sur la prise en compte de la nature et de l’étendue des pouvoirs du juge.
Elle conduit à distinguer quatre types de recours contentieux.
Il s’agit d’abord du « contentieux de pleine juridiction » appelé également « plein contentieux » dans lequel le juge exerce les pouvoirs les plus larges. Il peut non seulement annuler réformer ou modifier une décision administrative, mais il peut également prononcer des condamnations pécuniaires en particulier pour la réparation de préjudices. Autrement dit, il exerce la plénitude de ses pouvoirs.
Doit ensuite être mentionné le « contentieux de l’annulation », qui concerne essentiellement le recours pour excès de pouvoir dont l’objet exclusif consiste à obtenir l’annulation d’une décision administrative.
Une troisième catégorie est formée par le « contentieux de l’interprétation » qui permet au juge, saisi d’un recours en interprétation ou en appréciation de légalité, de déclarer le sens d’un acte administratif manquant de clarté ou de déclarer s’il est entaché d’illégalité. Toutefois, dans le cadre de ce recours, le juge ne peut tirer aucune conséquence de sa décision, ce pouvoir n’appartenant qu’aux juges judiciaires devant lesquels le litige est pendant.
Enfin, Laferrière distingue le « contentieux de la répression » qui concerne le contentieux des contraventions de grande voirie relatives aux infractions commises aux lois et règlements qui protègent le domaine public.
Une typologie plus récente établie par Léon Duguit (Traité de droit constitutionnel, t. 2, ouv. précité p.458 s.) et reprise par d’autres auteurs (V. notamment M. Waline, Vers un reclassement des recours contentieux ? : RDP 1935, p. 305) prend en compte, quant à elle, la nature de la situation juridique qui fonde le recours. Elle conduit à distinguer seulement deux types de contentieux.
Il s’agit d’abord du contentieux objectif qui consiste à confronter l’acte administratif qui fait l’objet du recours aux différentes normes qui s’imposent à l’administration dans le cadre de son action.
Il s’agit ensuite du contentieux subjectif qui tend au rétablissement d’un droit dont le requérant se prétend titulaire, comme par exemple un droit à des dommages-intérêts.
Une autre typologie proposée par René Chapus se propose de distinguer le contentieux des recours – lui-même subdivisé en deux branches : le contentieux de pleine juridiction et le contentieux de l’excès de pouvoir – et le contentieux des poursuites (Droit du contentieux administratif, ouv. précité, p. 205).
Cette dernière approche paraît la plus satisfaisante, dès lors qu’elle permet de classer efficacement les différents types de recours contentieux. Elle conduit à distinguer le contentieux de la légalité du contentieux de pleine juridiction et du contentieux répressif.
§I- Contentieux de la légalité
Le contentieux de la légalité regroupe le contentieux de l’excès de pouvoir, le recours en appréciation de légalité et le recours en déclaration d’inexistence.
I- Recours pour excès de pouvoir
Selon la célèbre expression de Laferrière le recours pour excès de pouvoir « est un procès fait à un acte » (Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, préc., t. 2, p.560). Il s’agit également d’une action opposant deux parties –l’administration et un administré – ce qui explique, notamment, l’exigence d’un intérêt à agir, l’interdiction faite au juge de statuer ultra petita, ou encore la possibilité de tierce opposition lorsque le requérant apporte un moyen nouveau de fait ou de droit (CE, 29 novembre 1912, Boussuge : Rec. p.1128, concl. Blum).
Dans le cadre de ce recours, le requérant demande l’annulation d’un acte, qu’il estime contraire aux normes juridiques qui lui sont supérieures. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité de l’acte à la date de son édiction (CE Sect., 22 juillet 1949, Société des automobiles Berliet : Rec. p.264).
Si l’acte attaqué est effectivement contraire à ces normes, le juge l’annulera, sans considération du comportement des personnes concernées. En outre, le juge ne fera rien d’autre que prononcer cette annulation.
Cette caractéristique a longtemps nuit à l’efficacité du recours pour excès de pouvoir, jusqu’à ce que les lois n°80-539 du 16 juillet 1980 et n°95-125 du 16 juillet 1995 reconnaissent la possibilité d’assortir ce recours d’une demande d’injonction éventuellement assortie d’une astreinte, de façon à contraindre l’administration à prendre des mesures concrètes suite à l’annulation de l’acte attaqué, qu’il s’agisse de prendre une décision dans un sens donné ou de réexaminer une demande (V. sur ce point infra). Il s’agit d’une évolution notable qui constitue le premier jalon d’une évolution qui fait qu’aujourd’hui que le recours pour excès de pouvoir ne plus seulement être conçu comme un simple procès fait à un acte (V. infra p. 342).
Le recours pour excès de pouvoir a longtemps été réservé aux seuls actes administratifs unilatéraux. La jurisprudence récente a néanmoins admis que les clauses règlementaires des contrats (CE Ass., 10 juillet 1996, requête numéro 138536, Cayzeele : RFDA 1997, p. 89, note Delvolvé ; AJDA 1996, p. 732, chron. Chauvaux et Girardot ; CJEG 1996, p. 382, note Terneyre ; LPA 18 décembre 1996, note Viviano), ainsi que les contrats de recrutement des agents publics (CE Sect., 30 octobre 1998, requête numéro 149663, Ville de Lisieux : Rec. p.375 ; AJDA 1998, p. 969 et 977, chron. Raynaud et Fombeur ; JCP G 1999, II, 10445, note Haïm ; Dr. adm. 1998, 374 ; RFDA 1999, p.128, concl. Stahl et note Pouyaud ; AJFP 1999/1, p. 4) pouvaient faire l’objet d’un tel recours. Cependant, puisqu’il s’agit d’un contentieux objectif, les requérants ne sont pas recevables dans le cadre de ce recours à invoquer des moyens tirés de la violation de clauses contractuelles, celles-ci concernant les relations entre les parties, donc un droit subjectif (CE, 14 mars 1997, requête numéro 119055, Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne : Rec. p. 638 ; RFDA 1997, p.349, note Delvolvé).
Enfin, il faut insister sur le fait que, selon l’expression de R. Chapus, le recours pour excès de pouvoir est un recours « d’utilité publique » (Droit administratif général, t.1, préc. p.788). En effet, le respect de la légalité par l’administration doit être conçu comme relevant de l’intérêt général. Comme l’a exprimé le président Pichat dans ses conclusions sur l’arrêt Lafage du 8 mars 1912 (Rec. p.348, concl. Pichat ; D. 1914, III, p.49, concl. Pichat ; RDP 1912, p.266, note Jèze ; S. 1913, III, p.7, concl. Pichat et note Hauriou) le recours pour excès de pouvoir doit ainsi être envisagé comme un « instrument mis à la portée de tous au service de la légalité méconnue ».
Ceci explique pourquoi un décret du 2 novembre 1864 a posé pour principe que le recours pour excès de pouvoir est dispensé du ministère d’avocat. De même, comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans l’arrêt d’Assemblée Dame Lamotte du 17 février 1950 (préc.), il existe un principe général du droit en vertu duquel le recours pour excès de pouvoir est ouvert contre toute décision administrative. Ainsi, le recours pour excès de pouvoir n’est exclu que dans les hypothèses où cette exclusion est expressément mentionnée par un texte de loi.
II- Recours en appréciation de légalité
Le recours en appréciation de légalité est nécessairement lié à une instance pendante devant le juge judiciaire. Dans cette hypothèse, le juge judiciaire est bien compétent pour juger l’affaire dont il a été saisi, mais la résolution du litige principal suppose que soit tranchée au préalable une difficulté sérieuse relative à la légalité d’un acte administratif. Cette difficulté sérieuse constitue une question préjudicielle qui impose en principe au juge judiciaire de surseoir à statuer et de renvoyer cette question au juge administratif.
Exemple :
– CE, 16 décembre 2005, requête numéro 273861, Commune d’Arpajon (Rec. p.567 ; Collectivités territoriales – intercommunalité 2006, 42, note Pellissier et 60, note Erstein) : une servitude de passage instituée en vertu d’un acte de droit privé au bénéfice d’une commune sur une propriété appartenant à son domaine privé constitue un bien communal. Si les litiges nés d’un acte de gestion du domaine privé relèvent de la compétence du juge judiciaire, le juge administratif est seul compétent pour apprécier la légalité de la décision du maire renonçant à cette servitude.
Il s’agit bien d’un contentieux objectif puisque le juge administratif tranche une question relative à la légalité d’un acte administratif. Ce recours est recevable non seulement à l’égard des actes administratifs règlementaires ou individuels, mais il peut également s’appliquer à des actes unilatéraux sans caractère décisoire, ainsi qu’à des contrats. Comme le recours pour excès de pouvoir, il est dispensé du ministère d’avocat.
En revanche, à la différence du recours pour excès de pouvoir, le recours en appréciation de légalité ne conduit pas à l’annulation de la décision en cause. Le juge se borne à déclarer que l’acte est légal ou illégal et c’est au juge judiciaire qu’il appartiendra d’en tirer toutes les conséquences dans le cadre de l’instance qui reprendra devant lui.
III- Recours en déclaration d’inexistence
Très rarement mis en œuvre, le recours en déclaration d’inexistence a pour objet de faire juger qu’en raison de la gravité des irrégularités entachant la décision attaquée, celle ci n’a aucune existence juridique. Ce recours est également dispensé du ministère d’avocat et il n’est soumis à aucune condition de délai (V. CAA Paris, 9 août 2006, requête numéro 06PA01227, Michel B. : JCP A 2006, 1297). Il s’agit bien d’un contentieux objectif, puisqu’il s’agit d’apprécier la légalité d’un acte administratif. Toutefois, le juge ne prononce pas l’annulation de l’acte, puisqu’il se borne à en constater l’inexistence en le déclarant nul et non avenu.
§II- Contentieux de pleine juridiction
Dans ce cadre, le juge a le pouvoir d’aller plus loin qu’une simple annulation. Il peut en effet prononcer des condamnations pécuniaires, mais il peut surtout substituer sa propre décision à celle qui est attaquée. Ainsi « le plein contentieux est aussi hétérogène qu’est homogène le contentieux de l’excès de pouvoir » (R. Chapus, ouv. précité, t. 1, p.790).
En matière de responsabilité et en matière contractuelle notamment, il s’agit manifestement, pour le requérant, de se voir reconnaître un droit. Il s’agit donc bien d’un recours subjectif.
En revanche, le plein contentieux présente un caractère objectif dans le cadre de certains contentieux spéciaux, comme le contentieux électoral, le contentieux fiscal ou encore le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite. S’il s’agit bien ici de questions de légalité, les recours concernés sont rangés dans la catégorie du plein contentieux au regard des pouvoirs conférés au juge qui peut faire plus qu’annuler la décision contestée en prenant une décision positive.
Exemples :
– Dans le contentieux électoral, le juge peut rectifier les résultats proclamés par l’administration ce qui peut le conduire à déclarer vainqueur un candidat différent de celui arrivé en tête à l’issue du scrutin (CE, 20 février 2002, requête numéro 235473, Elections municipales de Saint-Elie).
– Dans le contentieux fiscal, il peut modifier le montant de l’impôt mis à la charge du contribuable.
– Dans le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite il appartient au juge de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés (V. par exemple CE, 7 janvier 2004, 2 arrêts, requête numéro 232465, requête numéro 225451, Colombani et Gresselle : Rec. p.1 ; AJDA 2004, p.1653, note Dord).
Dans le cadre du plein contentieux subjectif, le requérant peut soulever des moyens autres que ceux résultant de la violation d’une norme supérieure.
Exemples :
– Dans le cadre d’une action en responsabilité, c’est une faute de l’administration qui peut être invoquée.
– En matière contractuelle, le requérant peut invoquer la violation des stipulations contractuelles par son cocontractant.
A cela, il faut ajouter que des textes récents, ainsi que la jurisprudence, ont substitué, dans certains domaines, le recours de plein contentieux au recours pour excès de pouvoir. Ceci permet au juge non seulement d’annuler, le cas échéant, la décision déférée, mais surtout de substituer à cette décision celle qu’il estimera justifiée. Pour l’essentiel, les hypothèses visées par des textes concernent les recours exercés contre les décisions de sanction prononcées par des autorités administratives indépendantes.
Exemple :
– L’article L. 151-3 du Code monétaire et financier prévoit que les décisions de sanction prononcées à l’encontre des professionnels par l’Autorité des marchés financiers ne peuvent être contestées que dans le cadre d’un recours de plein contentieux. Ceci permettra notamment au juge de substituer à la décision de sanction qu’il annule une sanction qu’il estime plus appropriée.
Les illustrations issues de la jurisprudence concernent des cas assez hétérogènes.
Exemples :
– CE Sect., 27 avril 1988, requête numéro 74319, Mbakam (Rec. p.172 ; AJDA 1988, p.438, chron. Azibert et de Boisdeffre) : les états exécutoires ne peuvent être contestés que dans le cadre d’un recours de plein contentieux, ce qui autorise le juge à modifier le montant des sommes réclamées.
– CE Ass., 26 juin 1992, 2 arrêts, Lepage-Huglo, Pezet et San Marco (requête numéro 137345, requête numéro 134980, requête numéro 134981, requête numéro 134983, requête numéro 134984, requête numéro 134985 : Rec. p.246 et p.252, concl. Le Chatelier ; AJDA 1992, p.649, chron. Maugüé et Schwartz ; JCP 1992, 21937, note Chaminade) : le contentieux des autorisations de plaider pour le compte des collectivités territoriales relève également du plein contentieux. Ceci permet au Conseil d’Etat, qui est en la matière compétent en premier et dernier ressort, soit d’accorder lui-même l’autorisation refusée par une décision (non juridictionnelle) du tribunal administratif, soit de modifier les termes de cette autorisation.
– CE, 23 décembre 2011, Ministre de l’Intérieur (requête numéro 348647, requête numéro 348678 préc.) : le déféré préfectoral dirigé contre les contrats qui était à l’origine considéré comme une variante du recours pour excès de pouvoir relève désormais du plein contentieux. Il en résulte que lorsqu’il constate une illégalité, le juge n’est pas tenu d’annuler la décision litigieuse. Comme le précise le Conseil d’Etat « il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ».
Cette évolution est également notable en matière de recours contre les sanctions administratives prononcées à l’égard des administrés. Dans un arrêt d’Assemblée Le Cun du 1er mars 1991 (requête numéro 112820 : Rec. p.70) le Conseil d’Etat avait considéré que ces sanctions ne pouvaient être contestées que dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir. Cette solution a été abandonnée à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Société ATOM du 16 février 2009 (requête numéro 274000 : Rec. p.25, concl. Legras ; AJDA 2009, p.583, chron. Liéber et Botteghi ; JCP A 2009, 2089, note Bailleul ; RFDA 2009, p.259, concl. Legras ;RJEP 2009, 30, note Melleray.- V. également sur la question du retrait du permis à points CE, avis, 9 juillet 2010, requête numéro 336556, Bertaux : Dr. Adm. 2011, 133, note Bailleul). Le Conseil d’Etat s’est inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, si à l’origine la Cour considérait que le contrôle normal du juge de l’excès de pouvoir suffisait à garantir le respect de l’article 6§I de la Convention européenne (CEDH, 30 juin 1993, affaire numéro 18.845/91, X c. France), sa jurisprudence s’était par la suite infléchie. Dans un arrêt Gradinger c.Autriche du 23 octobre 1995 (affaire numéro 15963/90.- V. également CEDH, 27 septembre 2011, affaire numéro 43509/08, A. Menarini diagnostics SRL c.Italie) elle a estimé que le juge compétent pour connaître des sanctions administratives doit être doté des attributs « d’un organe de pleine juridiction » et ce qui implique notamment le pouvoir de « réformer en tous points, en fait comme en droit ».
Ceci étant le Conseil d’Etat a voulu cantonner cette évolution aux seules sanctions administratives c’est-à-dire aux sanctions ayant un caractère pénal. Plus précisément, il faut considérer qu’une sanction administrative est « une décision unilatérale prise par une autorité administrative agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique » et qui « inflige une peine sanctionnant une infraction aux lois et règlements » (EDCE 1995, p.35).
La jurisprudence ATOM ne concerne donc pas les sanctions professionnelles, les sanctions disciplinaires prises à l’égard des agents publics (CE, 27 juillet 2009, requête numéro 313588,Ministre de l’Education nationale c. B. : JCPA 2009, 2245, note Jean-Pierre), les sanctions prises par les fédérations sportives (CE, 2 mars 2010, Fédération française d’athlétisme, requête numéro 324439) ou les mesures disciplinaires prises à l’égard des détenus (Conseil d’Etat, SSR., 20 mai 2011, Letona Biteri, requête numéro 326084, publié au recueil) S’agissant de ces sanctions, qui échappent au recours de plein contentieux, le juge de l’excès de pouvoir exerce néanmoins un contrôle maximum, ce qui implique qu’il contrôle leur proportionnalité, y compris désormais pour les décisions sanctionnant les agents publics (solution initiée par CE, Ass, 13 novembre 2013, Dahan, requête numéro 347704, préc.) et les détenus (Conseil d’Etat, SSR, 1er juin 2015, Boromée, requête numéro 380449).
Il faut aussi relever, qu’à la différence du juge de l’excès de pouvoir, le juge du plein contentieux doit se prononcer sur les droits des intéressés « d’après l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre des parties à la date de sa propre décision » (CE Sect., 8 janvier 1982, requête numéro 24948, Aldana Barrena : Rec. p.9, concl. Genevois). C’est notamment cet élément, favorable aux droits des justiciables, qui a justifié l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de sanctions administratives.
Relevons aussi que par exception à la jurisprudence ATOM, le Conseil d’Etat a récemment décidé que les décrets prononçant la déchéance de nationalité à l’égard de français naturalisés condamnés par la justice pénale pour des faits liés au terrorisme continuent de relever de la compétence du juge de l’excès de pouvoir (CE, 8 juin 2016, requête numéro 394348, Turk : AJDA 2016, p. 1758, concl. Domino ; Dr. adm. 2016, 61, Eveillard). Il s’agit pourtant bien ici de sanctions qui ne présentent pas un caractère disciplinaire.
Enfin, se rattache au contentieux de pleine juridiction le recours en interprétation qui a pour objet d’obtenir du juge qu’il se prononce sur le sens qui doit être donné à un acte administratif obscur (CE, 9 juillet 2010, requête numéro 313989,Commune de Lembezat : JCP A 2011, 2022, note Rouault). Ce recours peut être exercé à titre principal – ce qui le différencie du recours en appréciation de légalité- ou de façon incidente, lorsqu’il est lié à une instance judiciaire en cours.
A la différence du recours pour excès de pouvoir, le recours de pleine juridiction est soumis à l’obligation du ministère d’avocat dès lors qu’il a pour objet, comme le précise l’article R. 431-2 du Code de justice administrative, le paiement d’une somme d’argent, la décharge ou la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant. La même règle s’applique en matière de contentieux de l’exécution des contrats. Des exceptions sont toutefois prévues, exclusivement devant les tribunaux administratifs, par l’article R. 431-3. Sont dispensés du ministère d’avocat les litiges en matière de contributions directes, de taxes sur le chiffre d’affaires et de taxes assimilées ; les litiges d’ordre individuel concernant les fonctionnaires ou agents de l’Etat et des autres personnes ou collectivités publiques ainsi que les agents ou employés de la Banque de France ; les litiges en matière de pensions, de prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi, d’emplois réservés et d’indemnisation des rapatriés ; les litiges dans lesquels le défendeur est une collectivité territoriale, un établissement public en relevant ou un établissement public de santé ; les demandes d’exécution d’un jugement définitif. En revanche, depuis l’entrée en vigueur du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 les litiges en matière de travaux publics, de contrats relatifs au domaine public et de contraventions de grande voirie ne sont plus dispensés du ministère d’avocat.
Il faut également relever que lorsque dans une même requête le requérant présente des conclusions en annulation et en réparation du préjudice causé par l’illégalité de la décision attaquée, cela n’a plus pour effet de donner à l’ensemble des conclusions le caractère d’une demande de plein contentieux depuis l’arrêt de Section Marcou du 9 décembre 2011 (requête numéro 337255 : Rec. p. 616, concl. Keller ; AJDA 2012, p. 897, note Legrand ; AJFP 2014, p.198, note Berthoud ; Dr. adm. 2012, 19, note Melleray ; JCP A 2012, 2175, note Pacteau ; RFDA 2012, p.279, concl. Keller et p. 441, note Rambaud). Dans le même arrêt, le Conseil d’Etat considère qu’à l’occasion d’un litige portant sur le versement d’une somme d’argent, les conclusions ayant trait au principal et celles ayant trait aux intérêts sont de même nature. Ainsi, lorsqu’en application de la jurisprudence Lafage (préc.), le requérant est recevable à demander par la voie du recours pour excès de pouvoir l’annulation de la décision administrative qui l’a privé de cette somme, il est également recevable à demander, par la même voie, l’annulation de la décision qui l’a privé des intérêts qui y sont attachés. Enfin, les conclusions à fin d’injonction peuvent également être présentées sans ministère d’avocat – dès lors que les conclusions au principal en sont également dispensées – et elles peuvent porter à la fois sur le versement de la somme retenue et sur les intérêts.
§III- Contentieux répressif
Ce contentieux présente un caractère marginal par rapport au contentieux de la légalité et au contentieux de pleine juridiction. Il est quantitativement moins important et il ne concerne pas un recours dirigé contre un acte mais des poursuites dirigées contre des personnes en vue du prononcé de sanctions.
Comme on l’a déjà évoqué, le contentieux répressif concerne d’abord, historiquement le contentieux des contraventions de grande voirie.
Se rattache également à cette catégorie le contentieux répressif des juridictions financières (Cour des comptes, chambres régionales des comptes, Cour de discipline budgétaire et financière).
Exemples :
– La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes peuvent infliger des amendes aux comptables qui n’ont pas produit leurs comptes dans les délais impartis ou qui n’ont pas répondu aux injonctions qui leur ont été adressées.
– La Cour de discipline budgétaire et financière est compétente pour juger les personnels de l’administration et des entreprises publiques qui ont méconnu les règles de la gestion financière.
Enfin, relèvent du contentieux répressif les juridictions professionnelles, lorsqu’elles prononcent des sanctions disciplinaires professionnelles.
Dans toutes ces hypothèses, le juge administratif est soumis aux règles du procès équitable visées par l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, au sens de cet article, ces autorités sont susceptibles de décider « du bien-fondé d’accusations en matière pénale ». Elles doivent également se conformer aux principes fondamentaux de la répression pénale énoncés par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et par le Code pénal.
Exemples :
– CE, 23 avril 1997, requête numéro 153899, Razzouk (RDP 1997, p.1505) : dans le cadre du contentieux répressif, le juge administratif a l’obligation d’appliquer le principe de non-cumul des peines qui veut que, sauf texte de loi contraire, un même fait ne peut faire l’objet de plus d’une sanction.
– CE Sect.,22 novembre 2000, requête numéro 207697, Société Crédit agricole Indosuez Chevreux (Rec. p. 537 ; AJDA 2000, p.997, chron. Guyomar et Collin ; CJEG 2001, p.68, concl. Seban ; D. 2001, p. 237, obs. Boizard ; JCP 2000, 10531, note Salomon ; EDCE 2001, n°52, p.34 ; Rev. sc. crim. 2001, p. 600, obs. Riffault) : le principe de la personnalité des peines faisait obstacle à ce que le Conseil des marchés financiers inflige à une société absorbant une autre société un blâme à raison des manquements commis par la première société avant son absorption.
Section II- Conditions de recevabilité des recours contentieux
Les conditions de recevabilité sont systématiquement examinées par le juge préalablement à l’analyse du fond du recours. Ces conditions portent sur quatre points : la nature de l’acte attaqué, le requérant, les délais et l’absence de recours parallèle.
§I- Conditions relatives à l’acte attaqué
En principe, les recours juridictionnels ne peuvent être dirigés que contre des décisions, à condition toutefois que ces décisions soient attaquables.
I- Règle de la décision préalable
Le juge administratif ne peut en principe être saisi d’un recours que contre une décision, expresse ou implicite, ce qui aura pour effet de lier le contentieux. Cette règle est énoncée par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative qui précise que « la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».
La règle de la décision préalable a vocation à s’appliquer dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, ce qui ne pose guère de difficultés, mais également, ce qui est moins évident, en matière de contentieux de pleine juridiction.
Exemple :
– Une personne est victime d’un dommage alors qu’elle fait l’objet d’une hospitalisation dans un établissement de santé public. Avant de saisir le juge, elle devra obligatoirement demander réparation à l’administration. Ce n’est donc pas directement que le juge connaîtra d’une action en dommages-intérêts, mais à travers un recours contre une décision de l’administration refusant l’octroi d’une réparation à la victime.
Par exception, les victimes de dommages de travaux publics pouvaient toutefois saisir directement le juge, ce qui avait pour effet de les soustraire au délai de recours de deux mois contre les décisions administratives. Cette solution est toutefois abandonnée depuis l’entrée en vigueur du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 dit « justice administrative de demain » portant modification du Code de justice administrative.
Il faut aussi relever que le même texte prévoit également que dans les litiges indemnitaires, le juge ne pourra désormais être saisi que si une décision de rejet par l’administration est préalablement intervenue. Dans l’état du droit antérieur, le Conseil d’Etat admettait la régularisation du recours non précédé d’une demande préalable lorsque cette demande était formée en cours d’instance et que le silence de l’administration avait fait naître une décision de rejet avant la décision de première instance (CE, 11 avril 2008, requête numéro 281374, Etablissement français du sang : Rec. p. 168.- CE, 4 décembre 2013, requête numéro 354386, Meliane : Rec. tables, p. 787). Il n’y a donc plus de possibilité de régulariser a posteriori l’absence de liaison du contentieux.
Il existe toutefois une exception logique à l’exigence d’une décision préalable dans le cadre de certains référés administratifs (c’est ce qui est expressément visée par les textes pour le référé mesures utiles, le référé constat, le référé instruction et le référé provision.- V. respectivement art. L.521-3, art. R. 531-1, R. 532-1 et R. 541-1 CJA).
II- Actes inattaquables
Certains actes sont jugés insusceptibles de lier le contentieux, et par voie de conséquence sont insusceptibles de recours.
En effet, en principe, seuls les actes unilatéraux de l’administration peuvent faire l’objet d’un tel recours, ce qui exclut – sauf exceptions – les contrats. De même, tous les actes pris par les autorités administratives ne sont pas des actes administratifs, ce qui est le cas des actes de gouvernement. Enfin, certains actes, qui se rattachent à l’activité administrative, ne font pas grief et ne peuvent donc en principe faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir : il s’agit des actes préparatoires, des circulaires, des lignes directrices et des mesures d’ordre intérieur (sur ces questions V. infra).
§II- Conditions relatives au requérant
Le requérant doit disposer de la capacité pour agir et avoir un intérêt pour agir.
I- Capacité pour agir
Le requérant doit remplir les conditions générales pour ester en justice fixées par le droit civil. Il doit donc être majeur et capable juridiquement, ce qui signifie qu’il doit jouir de ses droits civiques. Cependant, la seconde condition est appréciée de façon assez souple en fonction de la nature de la décision contestée.
Exemple :
– CE, 10 juin 1959, Dame Poujol (Rec. p.355) : certaines personnes, incapables selon le droit civil, peuvent exercer un recours pour excès de pouvoir contre les décisions affectant « le principe fondamental de la liberté individuelle ». C’est le cas, en l’espèce, d’une personne placée d’office dans un hôpital psychiatrique.
De même, si le requérant doit avoir la personnalité juridique – ce qui n’est pas le cas par exemple d’une régie municipale (CE, 20 juin 1958, Régie municipale du gaz et de l’électricité de Bordeaux (Rec. p. 371) – le juge administratif estime recevables les recours exercés par des institutions en voie de formation.
Exemple :
– CE, 10 février 1997, requête numéro 168238, Société coopérative ouvrière de service de lamanage (Rec. tables, p.992) : en l’espèce, le Conseil d’Etat connaît du recours d’une société dont les statuts n’ont pas encore été signés par les associés, dirigé contre la décision rejetant sa demande d’agrément. La juridiction administrative suprême décide qu’eu égard à l’objet et aux modalités d’octroi de l’agrément sollicité, la société doit être regardée comme ayant la capacité d’agir en justice pour demander l’annulation du refus d’agrément qui lui a été opposé.
De même, les associations dissoutes ont capacité pour demander l’annulation de la décision qui prononce leur dissolution (CE, 22 avril 1955, Association franco-russe dite Rousky-Dom : Rec. p.205 ; AJDA 1955, II, p.9, note Long ; Rev. Adm. 1955, p. 404, concl. Heumann). Cette solution s’applique également, par exemple, aux établissements publics de coopération intercommunale dissous (CE, 28 décembre 2005, requête numéro 283249, Syndicat intercommunal de Lens-Avion : Dr. adm. 2006, 67, obs. Glaser).
Dans le même ordre d’idées, une particularité doit être relevée concernant les associations non déclarées qui, du fait de cette absence de déclaration, en application des dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 1er juillet 1901, ne peuvent faire valoir en justice leurs droits patrimoniaux. Malgré tout, le Conseil d’Etat a reconnu, dans son arrêt d’Assemblée du 31 octobre 1969, Syndicat de défense des eaux de la Durance (Rec. p.462 ; RDSS 1970, p. 62, obs. Lavagne.- V. également CE, 21 avril 1997, requête numéro 156370, Karrich : D. 1997, inf. rap. p. 126 ; RTD com. 1997, 3, p. 478) que ces associations peuvent exercer un recours pour excès de pouvoir contre les décisions portant atteinte aux intérêts collectifs qu’elles défendent. Cette solution ne s’applique pas, en revanche, aux associations d’Alsace-Moselle, qui ne relèvent pas de la loi du 1er juillet 1901, et dont l’existence est conditionnée par une inscription sur le registre du tribunal d’instance compétent (CAA Nancy, 2 juin 2008, requête numéro 07NC00154, Société OFPI : Environnement 2017, 113, note Gillig).
II- Intérêt pour agir
Cette condition a été posée pour de simples motifs d’opportunité. Il s’agit en effet d’éviter une contestation systématique de l’action administrative, mais également un encombrement des tribunaux alors même que l’on pourrait estimer – au moins pour le recours pour excès de pouvoir – que tout administré devrait être considéré comme ayant intérêt au respect de la légalité par l’administration.
Par conséquent, seules certaines personnes dont le cercle est déterminé par la nature de l’acte attaqué pourront invoquer un intérêt à agir contre cet acte.
Il n’y a pas lieu, sur ces questions, de dissocier le recours pour excès de pouvoir du plein contentieux. Comme l’expose en effet René Chapus « il ne faut pas croire que la recevabilité d’un recours tendant à la reconnaissance d’un droit serait subordonnée, comme on l’affirme généralement, à la justification d’un droit lésé ; cette justification se rapporte à l’examen du bien-fondé du recours » (Droit du contentieux administratif, ouv. précité p. 457).
Sur ce point, la jurisprudence est à la fois très complexe et nuancée, ce qui s’explique par le fait que le juge doit concilier deux impératifs contradictoires : la protection de l’intérêt général et des intérêts particuliers pouvant être atteints par un acte administratif, d’une part, et le rejet de « l’action populaire » qui permettrait à n’importe quelle personne de contester n’importe quel acte, d’autre part.
Un texte peut également intervenir, en général pour limiter l’accès au prétoire. Tel est notamment l’objet de l’ordonnance n°2003-638 du 18 juillet 2003 relative au contentieux de l’urbanisme, qui limite à certaines catégories de requérants le recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager (V. Code de l’urbanisme, art. L. 600-1-2.- V. également Conseil d’Etat, SSR, 10 juin 2015, Bordelle et Gino, requête numéro 386121, publié au recueil : Constr.-urb. 2015, 119, note Santoni ; RDI 2015, p. 434, obs. Soler-Couteaux ; RFDA 2015, p. 993, concl. Lallet).
Si l’on s’en tient à la jurisprudence, deux conditions cumulatives doivent être réunies pour qu’un requérant se voit reconnaître un intérêt à agir : la première tient à la nature de l’intérêt invoqué, la seconde est relative à la qualité du requérant.
A- Condition relative à la nature de l’intérêt invoqué
L’intérêt invoqué par le requérant peut revêtir des formes très variées : il peut être matériel ou moral, individuel ou collectif.
1° Intérêt matériel ou moral
La reconnaissance d’un intérêt à agir est beaucoup plus évidente, car plus tangible, lorsque le requérant invoque un intérêt matériel, d’ordre patrimonial, plutôt qu’un simple intérêt moral. Sur cette dernière question la jurisprudence est particulièrement nuancée.
Exemples :
– CE, 4 avril 1997, requête numéro 177987, Marchal (Rec. p.131 ; AJDA 1997, p.508, concl. Stahl) : l’habitant d’une commune a intérêt à agir pour demander l’annulation du décret portant changement de nom de cette commune.
– CE, 27 octobre 2006, requête numéro 286569, Mme Marie-Dominique C. et a. : un architecte n’a pas intérêt à agir contre un permis de construire qui aurait pour effet d’entraîner la destruction de l’aménagement de la place de la gare de Strasbourg réalisée quelques années auparavant selon ses plans.
– CE, 17 mai 2002, requête numéro 231905, Hofmann : les requérants, qui se prévalent de leur qualité de résidents alsaciens ayant des convictions laïques, n’ont pas d’intérêt à agir contre un décret relatif au régime des cultes catholique, protestant et israélite dans les départements du Bas-Rhin du Haut-Rhin et de la Moselle.
2° Intérêt individuel ou collectif
Le plus souvent, le recours émane d’un individu et porte sur un acte lésant ses intérêts personnels. C’est le cas par exemple d’un fonctionnaire qui demande l’annulation de la nomination d’autres fonctionnaires en invoquant la méconnaissance des conditions de possession de diplômes exigés par la réglementation en vigueur (CE, 11 décembre 1903, Mot : Rec. p. 780 ; S. 1904, III, p. 113, note Hauriou).
Mais dans certains cas, c’est une personne morale – généralement une association ou un syndicat – qui intente un recours pour excès de pouvoir contre une décision portant atteinte aux intérêts collectifs qu’elle a vocation à défendre.
Cette jurisprudence a été inaugurée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli (Rec. p. 962, concl. Romieu ; D. 1907, III, p. 41, concl. Romieu ; S. 1907, III, p. 33, note Hauriou). En l’espèce, la juridiction administrative suprême a considéré qu’était recevable un recours intenté par cette association représentant les intérêts collectifs des usagers des transports publics, contre une décision concernant le fonctionnement de ce service.
Pour que l’intérêt à agir des personnes morales soit reconnu, encore faut-il que l’intérêt allégué ait une relation directe avec leur vocation initiale.
Exemples :
– CE, 28 décembre 2005, requête numéro 274527, Union syndicale des magistrats administratifs (AJDA 2006, p. 940, note Pontier) : des dispositions règlementaires qui donnent compétence, pour connaître des appels formés contre certaines décisions, aux cours administratives d’appel en dérogeant aux règles relatives à la compétence territoriale des cours ainsi qu’au délai d’appel, ont des conséquences sur les conditions d’emploi et de travail des membres des juridictions administratives. Par suite, un syndicat de magistrats administratifs justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour contester ces dispositions. En revanche, en tant qu’il organise la procédure d’arbitrage, le décret ne porte atteinte ni aux droits et prérogatives des magistrats administratifs, ni à leurs conditions d’emploi et de travail. L’Union syndicale des magistrats administratifs est donc dépourvue d’intérêt à demander l’annulation de ces dispositions.
– CE Sect., 18 avril 1986, requête numéro 53934, Compagnie des mines de potasse d’Alsace (AJDA 1986, p.292) : une collectivité locale étrangère est recevable à agir contre une décision d’une autorité administrative française susceptible de porter atteinte à l’intérêt collectif de ses habitants.
B- Condition relative à la qualité invoquée
Seuls certains requérants, en raison de leur titre ou de leur qualité, ont vocation à recourir contre l’acte qu’ils estiment illégal. Il doit exister un lien suffisamment étroit entre l’acte attaqué, l’intérêt allégué par le requérant et le requérant lui-même. Il s’agit d’éviter que des personnes non directement concernées ne se posent en défenseurs de la légalité, le cas échéant contre le gré des principaux intéressés.
Le requérant doit ainsi faire partie d’un « cercle d’intéressés » admis à critiquer l’acte, lequel est déterminé en fonction de son contenu (V. B. Chenot, conclusions sur CE, 10 février 1950, Gicquel : Rec. p.100).
L’arrêt Casanova du 20 mars 1901 (Rec. p. 333 ; S. 1901, III, p.76) constitue un excellent exemple de cette notion. En l’espèce, les juges reconnaissent que la qualité de contribuable d’une commune confère intérêt à agir contre les décisions des autorités de ces communes ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses publiques. On voit bien dans cette affaire la distinction entre les deux éléments conférant intérêt pour agir : le requérant peut invoquer un intérêt de nature matérielle, et en tant que contribuable il se voit reconnaître la qualité pour défendre cet intérêt.
Bien évidemment, l’existence d’un intérêt direct et personnel sera plus largement admis lorsque l’acte attaqué est un acte règlementaire. A l’opposé, si l’acte est individuel, les personnes ayant intérêt pour agir ne seront en général que celles nommées par l’acte.
Sur la question de la qualité du requérant, également, la jurisprudence présente un caractère casuistique marqué.
Exemples :
– CE, 23 novembre 1988, requête numéro 94282, Dumont (Rec. p.418) : contrairement a ce qui a été reconnu par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Casanova, pour le contribuable d’une commune, le Conseil d’Etat estime que le recours d’un contribuable de l’Etat contre une décision susceptible d’accroître les dépenses de la nation est irrecevable.
– CE Sect., 28 mai 1971, requête numéro 78951, Damasio (Rec. p.391, concl. Théry) : un hôtelier a un intérêt direct et personnel pour agir contre un arrêté ministériel fixant la date des vacances scolaires, celles-ci perturbant l’activité d’une station thermale en ne permettant de n’organiser que trois périodes de cure au lieu de quatre.
– CE, 4 décembre 2006, requête numéro 293965, Le Pen : la qualité de conseiller régional d’Ile-de-France ne confère pas à elle seule qualité à agir contre un décret admettant un ancien ministre au bénéfice de l’amnistie.
– CE, 13 mars 2002, requête numéro 177509, requête numéro 180544, Union fédérale des consommateurs : la qualité d’usager d’un service public donne un intérêt pour agir à l’encontre d’une décision administrative affectant les conditions d’utilisation de ce service. Un usager des transports parisiens a donc intérêt à demander l’annulation d’une décision tarifaire concernant les transports de la région Ile-de-France. En revanche, cette qualité d’usager ne lui confère pas un intérêt pour agir à l’encontre des dispositions tarifaires relatives aux militaires contenues dans cette même décision. Cependant, dans la mesure où ces dispositions ne forment pas un tout indivisible avec celles à l’encontre desquelles le requérant a intérêt pour agir, la requête de ce dernier est recevable.
– CE, 17 mai 2006, requête numéro 268938, Bellanger c. Ministre de l’Emploi(AJDA 2006, p. 1513, concl. Keller ; Droit adm. 2006, 154, note Taillefait ; JCPA 2006, 1212, note Jean-Pierre ; Collectivités territoriales – intercommunalité, 114, note Bentilola) : un agent en Etat d’ébriété tue une personne dans un accident de la circulation, prend la fuite et livre de fausses déclarations sur les circonstances de l’accident. Le fils de la victime exerce un recours contre la sanction prononcée par l’administration à l’encontre de l’agent, considérant que celle-ci n’est pas assez sévère. Sa requête est jugée irrecevable, faute d’intérêt pour agir. En effet, comme le précise le Conseil d’Etat, les sanctions infligées par l’administration à ses agents ont « pour seul objet de tirer, en vue du bon fonctionnement du service, les conséquences que le comportement (des agents) emporte sur (leur) situation vis-à-vis de l’administration ».
–CE Sect., 21 novembre 2016, requête numéro 392560, Thalineau (AJDA 2017, p. 999, note Costa) : les qualités de membre de la communauté chrétienne appartenant au diocèse de Tours, de résident du ressort de ce diocèse et d’usager du service public des monuments historiques dont se prévaut le requérant ne suffisent pas à lui donner intérêt pour agir contre la décision par laquelle le ministre de l’intérieur a autorisé l’inhumation d’un ancien archevêque et cardinal dans la cathédrale de Tours.
D’autres difficultés se posent concernant les recours intentés par les personnes morales, et plus particulièrement – une fois encore – par les associations et les syndicats. En toute logique, la qualité à agir s’apprécie au regard des statuts de la personne morale. Ainsi, une association dont l’objet statutaire est trop général et dont le champ d’action est national, ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité à agir pour demander l’annulation d’une décision qui n’a d’effet que dans une aire géographique limitée (CE, 29 avril 2002, requête numéro 227742, Association en toute franchise.- V. également CAA Douai, 27 novembre 2013, requête numéro 12DA00884, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen : JCP A 2014, 2032, concl. Eliot).
Exemple :
–CE, 24 août 2011, requête numéro 336268, SAS Distribution Casino France : eu égard au caractère national de son champ d’intervention, à la généralité de son objet social et aux missions qui lui sont conférées, l’assemblée permanente des chambres de métiers ne justifie pas d’un intérêt pour intervenir contre une autorisation d’équipement commercial. Il en va autrement, en revanche, s’agissant d’une société exploitant un hypermarché dans la zone de chalandise concernée.
La jurisprudence s’est toutefois récemment assouplie dans ce domaine. Certes, le Conseil d’Etat maintient le principe selon lequel le fait qu’une décision administrative « ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation ». Toutefois « il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales » (CE, 4 novembre 2015, requête numéro 375178, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen : Rec. p. 375 ; AJDA 2016, p. 316, note Doubovetsky JCP A 2015, 2370, note Pauliat.- V. également CE, 7 février 2017, requête numéro 392758, Association Aides).
Exemple :
-Dans l’affaire Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen étaient contestés deux arrêtés municipaux : l’un interdisant la fouille des poubelles, conteneurs et autres lieux de regroupement de déchets, l’autre interdisant la mendicité, dans un contexte marqué par l’installation dans la commune d’un nombre significatif de personnes d’origine « rom ». L’association requérante était recevable à contester ces arrêtés dès lors que « la mesure de police édictée par l’arrêté attaqué était de nature à affecter de façon spécifique des personnes d’origine étrangère présentes sur le territoire de la commune et présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d’être rencontrée dans d’autres communes, une portée excédant son seul objet local ».
En outre, dans l’arrêt du 28 décembre 1906, Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges (Rec. p. 977, concl. Romieu ; S. 1907, III, p. 23 ; RDP 1907, p. 25, note Jèze), le Conseil d’Etat a précisé que les associations et les syndicats ne sont recevables à agir que pour la défense d’intérêts collectifs, et non pas pour le seul intérêt de l’un de leurs membres.
En application d’une approche restrictive de l’intérêt pour agir, le Conseil d’Etat a récemment précisé sur ce point, que lorsque l’objet d’un syndicat est défini par la loi, il convient de se référer à celle-ci, à l’exclusion des dispositions des statuts par lesquelles il s’attribuerait des missions supplémentaires. Ainsi, le syndicat de la magistrature, dont l’objet est limité à la défense des intérêts collectifs de ses membres, ne saurait être autorisé à agir en justice au nom de la défense des libertés et des principes démocratiques, ni même au nom de l’indépendance de la justice (CE, 27 mai 2015, requête numéro 388705, Syndicat de la magistrature : AJDA 2015, p. 1543, concl. Bretonneau ; Procédures 2015, 281, note Deygas ; JCP G 2015, act. 660, obs. Langelier).
Il faut ici relever que la mise en œuvre des principes issus de la jurisprudence Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges est très délicate, dans la mesure où la ligne de démarcation entre intérêt individuel et intérêt collectif est extrêmement vague. En principe, l’intérêt des personnes morales sera toutefois assez largement admis dans le cadre de recours dirigés contre un acte règlementaire alors que, normalement, le juge estimera que le recours pour excès de pouvoir contre un acte individuel relève de l’initiative de son destinataire. Il en va autrement, cependant, lorsque le juge considère qu’une mesure individuelle a des conséquences sur tout un groupe de personnes, comme c’est le cas pour des actes qui profitent à leurs destinataires, mais qui excluent par là même d’autres personnes.
Exemple :
– CE, 2 juin 2010, requête numéro 309445, Centre communal d’action sociale de Loos (JCPA 2010, 2345, note Jean-Pierre) : une union syndicale de fonctionnaires est recevable à contester un arrêté de promotion.
Cette solution a vocation à s’appliquer y compris si le fonctionnaire concerné par la décision négative est le représentant élu de ce syndicat (Conseil d’Etat, SSR, 23 juillet 2014, Fédération des fonctionnaires, requête numéro 362559, mentionné aux tables).
En outre, restreignant la portée de la jurisprudence Croix-de-Seguey-Tivoli, le Conseil d’Etat a fait évoluer récemment sa jurisprudence concernant les recours contre les actes détachables des contrats. Désormais « si des tiers peuvent poursuivre l’annulation des actes détachables d’un contrat, la recevabilité d’un tel recours est subordonné à la condition que les stipulations du contrat en cause soient de nature à les léser dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine » (CE, 11 mai 2011, requête numéro 331153, Société lyonnaise des eaux France : Rec. tables, p. 1065 ; AJDA 2011, p.989, obs. Biget ; JCPA 2011, 2213, note Busson). En l’espèce, « la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en reconnaissant l’intérêt à agir de l’association au regard de son objet social sans rechercher si la transaction avait eu pour effet de léser les usagers dans leurs intérêts en affectant l’organisation ou le fonctionnement du service public de l’eau dont le syndicat a la responsabilité, ou en augmentant les tarifs payés par les usagers du service public de l’eau ». En d’autres termes, l’examen de l’objet social de l’association ne suffit pas à lui conférer intérêt à agir. Encore faut-il, en effet, que cet intérêt soit effectivement lésé, ce qui veut dire que l’association n’a plus nécessairement qualité pour le défendre. Il faut relever, toutefois, que l’intérêt de cette solution doit être relativisé, dès lors que le recours contre les actes détachables préalables à la conclusion du contrat est en principe désormais fermé aux tiers (V. infra).
Enfin, des règles particulières s’appliquent en matière d’action de groupe et d’action en reconnaissance de droits, notions introduites dans le Code de justice administrative par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Il s’agit, dans ces deux cas, de mécanismes d’accès collectif au juge dont les règles – complexes – sont définies par les articles L. 77-10-1 et suivants Code de justice administrative.
L’action de groupe permet d’obtenir la cessation du manquement à l’origine d’un dommage et/ou d’engager la responsabilité de la personne ayant causé ce dommage et d’obtenir la réparation des préjudices subis (CJA art. L. 77-10-3). Seules les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins et dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte peuvent exercer cette action (CJA, art. L. 77-10-4) qui est soumise à la règle de la décision préalable (CJA, art. L. 77-10-5).
La seconde action collective est une action en reconnaissance de droits. Elle permet à une association régulièrement déclarée ou à un syndicat professionnel régulièrement constitué de déposer une requête tendant à la reconnaissance de droits individuels résultant de l’application de la loi ou du règlement en faveur d’un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt, à la condition que leur objet statutaire comporte la défense dudit intérêt. Il s’agit donc d’une exception notable à la jurisprudence Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges (préc.). Cette action peut poursuivre trois finalités différentes visées par l’article L. 77-12-1 CJA. Elle permet, tout d’abord de « déposer une requête tendant à la reconnaissance de droits individuels résultant de l’application de la loi ou du règlement en faveur d’un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt, à la condition que leur objet statutaire comporte la défense dudit intérêt ». En revanche, cette action ne peut tendre à la reconnaissance d’un préjudice, ce qui est le terrain d’élection de l’action de groupe. Toutefois, l’action en reconnaissance de droits peut aussi « tendre au bénéfice d’une somme d’argent légalement due », ainsi qu’à « la décharge d’une somme d’argent illégalement réclamée ».
§III- Condition relative aux délais
Normalement, le recours n’est recevable que dans un délai de deux mois suivant l’accomplissement des formalités de publicité exigées : publication, affichage ou notification (CJA, art. R. 421-1).
Le délai est franc, ce qui veut dire que ne sont pas pris en compte ni le jour où commence à courir le délai, ni celui auquel le délai cesse de courir. Le calcul se fait de quantième à quantième.
Exemple :
– Un décret paraît au Journal officiel le 1er janvier 2014. Le délai court à compter du 2 janvier à 0 heures. Les deux mois sont achevés le 1er mars, mais le recours est recevable jusqu’au 2 mars à minuit. Dans le cas où ce jour est un dimanche ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’au premier jour ouvrable suivant à 24 heures.
Cependant, pour le cas des décisions implicites de rejet, le délai court à compter du lendemain du jour où est intervenue la décision.
Exemple :
– L’administration est saisie le 1er janvier 2014. La décision implicite de rejet intervient le 1er mars à minuit, même s’il s’agit d’un dimanche ou d’un jour férié. Le délai de recours court à compter du 2 mars à 0 heure pour expirer le 2 mai à minuit.
Il faut noter, cependant, que lorsqu’une décision explicite de rejet intervient avant l’expiration du délai de deux mois à compter de la date de la décision implicite de rejet, elle fait à nouveau courir le délai de recours (CJA, art. R. 421-2).
L’article R. 421-3 CJA prévoit toutefois que « l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet » dans deux hypothèses : dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ; dans le cas où la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction administrative. La portée de ces dispositions a été sérieusement restreinte depuis l’entrée en vigueur du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016, puisque la règle visée par l’article R. 421-3 ne s’applique plus aux recours de plein contentieux. Cette ancienne règle impliquait que dans les hypothèses où la demande préalable a fait naître une décision implicite de rejet, le requérant ne soit enfermé dans aucun délai. L’action contentieuse n’était plus alors limitée que par le délai de prescription quadriennale. Désormais, il n’est donc plus indispensable pour l’administration de notifier le rejet d’une demande relevant du plein contentieux pour que les délais et voies de recours soient opposables. Par exception, cependant, le Conseil d’Etat a considéré que ces dispositions n’étaient pas applicables en matière de plein contentieux fiscal. En effet, « en cas de silence gardé par l’administration fiscale sur la réclamation pendant six mois, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif, le délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre tant qu’une décision expresse de rejet de sa réclamation, laquelle doit être motivée et, conformément aux prévisions de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, comporter la mention des voies et délais de recours, ne lui a pas été régulièrement notifiée (CE, 7 décembre 2016, requête numéro 384309, EURL Cortansa).
Dans le cas de non accomplissement des formalités de publicité, le délai de recours contentieux demeure perpétuellement ouvert. Il en va de même, pour les actes individuels uniquement, lorsque la notification de la décision ne mentionne pas les délais et les voies de recours ouverts aux requérants (CJA, art. R. 421-5).
Toutefois, la portée de cette règle a été atténuée suite à l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat Czabaj du 13 juillet 2016 (requête numéro 387763, préc.- V. également CE Sect., 31 mars 2017, requête numéro 389842, Ministre des Finances et des Comptes publics c/ Amar.- CE, 9 mars 2018, requête numéro 401386, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, préc.- CE, 9 mars 2018, requête numéro 405355, Communauté de communes du pays roussillonnais). Dans cet arrêt, conformément à l’objectif de valeur constitutionnel de bonne administration de la justice et au principe de sécurité juridique, lequel ne bénéficie pas exclusivement aux administrés (CE Sect., 13 décembre 2006, requête numéro 287845, Lacroix, préc.), les juges posent le principe d’un délai raisonnable au-delà duquel les requérants seront forclos introduire un recours pour excès de pourvoir, alors même que les voies et délais de recours ne seraient pas indiqués par la décision contestée. En l’espèce, le requérant avait mis vingt-deux ans à contester une décision qui ne portait pas l’indication de la juridiction compétente pour connaître d’un éventuel recours et il ne niait pas avoir reçu notification. Le Conseil d’Etat décide d’encadrer le recours par un délai raisonnable qu’il fixe, sauf circonstances particulières, à un an à compter de la notification de la décision ou, en l’absence de notification ou s’il est impossible de rapporter la preuve de son existence, de la prise de connaissance effective de la décision par l’administré.
Il faut également relever que le délai du recours contentieux peut être prorogé du fait d’un recours gracieux ou hiérarchique exercé dans le même délai que le recours contentieux. La prorogation ne peut cependant jouer qu’une seule fois.
Enfin, en cas d’expiration des délais, le recours est irrecevable. Cependant, les administrés ne seront pas totalement démunis, puisqu’il leur restera deux possibilités pour contester un acte illégal, alors même que les délais seraient expirés.
Tout d’abord, l’administration est obligée d’abroger les règlements illégaux dès l’origine, ou devenus illégaux en raison d’un changement des circonstances de droit ou de fait (CE Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia, requête numéro 74052, préc.- dispositions codifiées à l’article 243-1 CRPA). Si l’administration refuse d’abroger le règlement, sa décision, qu’elle soit expresse ou non, pourra faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dans un délai de deux mois.
Ensuite, lorsqu’un acte règlementaire fait l’objet de mesures individuelles d’application, le requérant peut se prévaloir à l’encontre d’un recours contre l’une de ces mesures, de l’illégalité de l’acte règlementaire. L’illégalité de cet acte contaminera la décision individuelle qui sera annulée. Cependant, cette annulation ne remettra pas en cause l’acte règlementaire lui-même qui subsistera. On n’omettra pas enfin de rappeller que dans ses arrêts d’Assemblée du 18 mai 2018, Syndicat CGT de l’administration centrale et des services des ministères économiques et financiers et du Premier ministre (requête numéro 411045, préc.) et Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT (requête numéro 414583, préc.), selon la même approche du principe de sécurité juridique favorable à l’administration de celle retenue par l’arrêt Czabaj, le Conseil d’Etat a exclu la possibilité pour le requérant de se prévaloir, dans le cadre de son recours, de vices de forme ou de procédure entachant l’acte réglementaire.
§IV- Condition tenant à l’absence de recours parallèle
En principe, le recours pour excès de pouvoir est irrecevable lorsque le requérant peut obtenir le résultat qu’il recherche par une autre action, plus efficace.
Exemples :
– CE, 13 mars 2006, requête numéro 265582, Réseau ferré de France, Société nationale des chemins de fer : les contributions au fonds du service public de la production d’électricité déterminées par la Commission de régulation de l’énergie ne peuvent être contestées par la voie du recours pour excès de pouvoir. Ces contributions constituent, en effet, un impôt, contestable seulement devant le juge de l’impôt qui pourra non seulement annuler la décision contestée, mais surtout la réformer.
–CE Ass., 4 avril 2014, requête numéro 358994, Département du Tarn-et-Garonne (préc.) : le recours de plein contentieux ouvert à certaines catégories de tiers contre un contrat administratif exclut pour eux la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes détachables intervenus avant la conclusion du contrat.
Une hypothèse proche, relevant de la même logique de subsidiarité, a été dégagée par le Conseil d’Etat à l’occasion d’un arrêt Cassinari du 28 avril 2006 (Conseil d’Etat, SSR, 28 avril 2006, Cassinari, requête numéro 280878, publié au recueil : Rec. p. 210 ; AJDA 2007, p. 266, note Claeys ; BJCL 2006, p. 599, concl. Devys ; JCP A 2006, 1198, note Moreau.- V. également CE, 24 septembre 2010, requête numéro 330886, Barthélémy). Dans cette affaire, les juges ont considéré qu’un contribuable ne peut être autorisé à exercer une action appartenant à la commune dès lors qu’il dispose d’un intérêt le rendant recevable à agir par la voie du recours pour excès de pouvoir.
Par le passé, l’exception de recours parallèle était très développée, mais l’évolution du recours pour excès de pouvoir, qui a progressivement pénétré des domaines jusqu’alors réservés au plein contentieux, l’a fait reculer. Dans certains cas, la remise en cause de l’exception de recours parallèle présente un caractère indirect et elle est liée à la progression de la théorie de la détachabilité. Dans d’autres cas, en revanche, la remise en cause est plus directe et permet de substituer à l’exercice du recours pour excès de pouvoir un recours de pleine juridiction.
I- Remise en cause indirecte de l’exception de recours parallèle liée à la progression de la théorie de la détachabilité
Le recours pour excès de pouvoir a pénétré des domaines qui étaient autrefois le terrain d’élection du plein contentieux. Les juges vont ainsi identifier des actes administratifs unilatéraux détachables pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette théorie a notamment vocation à s’appliquer en matière de contentieux électoral, contractuel et fiscal.
A- Contentieux électoral
Le juge administratif est compétent à l’égard des actes détachables relatifs à une élection (CE, 7 août 1903, Chabot : D. 1904, III, p.1, note Hauriou), comme peuvent l’illustrer un certain nombre d’exemples :
– CE, 28 janvier 1994, requête numéro 148596, requête numéro 150024, requête numéro 150286, requête numéro 150650,Elections municipales de Saint-Tropez (Rec. p.38 ; AJDA 1994, p.193, chron. Maugüé et Touvet ; RDP 1994, p.830, concl. le Chatelier) : décisions portant convocation des électeurs.
– CE Ass., 12 mars 1993, requête numéro 145858, requête numéro 145859, Union nationale écologiste et Parti pour la défense des animaux (Rec. p. 67 ; AJDA 1993, p. 336, chron. Maugüé et Touvet, p. 375 ; RFDC 1993, p. 410, concl. Kessler) : mesures concourant à l’organisation des élections législatives.
En revanche, revenant sur sa position initiale, le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent à l’égard de décrets décidant de soumettre un projet de loi à référendum et organisant le référendum et la campagne en vue du scrutin (CE Ass., 1er septembre 2000, requête numéro 223890,requête numéro 223949,requête numéro 224054,requête numéro 224066,requête numéro 224502, Larrouturou et a. : Rec. p. 365, concl. Savoie ; AJDA 2000, p. 858 et 803, chron. Guyomar et Collin ; D. 2001, p. 1844, obs. Ghevontian ; JCP G 2000, IV, 1091, note Rouault ; RFDA 2000, p. 889, concl. Savoie, note Ghevontian). Le Conseil d’Etat a pris acte de l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui s’était lui-même reconnu compétent à l’égard de ce type d’actes (CC, 25 juillet 2000, décision numéro 2000-21 REF, Hauchemaille : Rec. CC, p.117 ; RFDA 2000, p. 1004, note Ghevontian).
B- Contentieux contractuel
Les juges estiment que différents actes unilatéraux se détachent du contrat, lorsque leur existence ne repose pas sur un accord de volonté entre les parties, mais sur l’intervention unilatérale de l’administration. Cette solution s’est longtemps appliquée aux actes détachables préalables à la conclusion du contrat, c’est-à-dire à ceux qui autorisent ou refusent d’autoriser la conclusion d’un contrat, ou encore qui portent approbation d’un contrat (CE, 4 août 1905, Martin : Rec. p. 749, concl. Romieu ; D. 1907, jurispr. p. 49, concl. Romieu ; S. 1906, III, p. 49, concl. Hauriou ; RDP 1906, p. 249, note Jèze). Elle n’est toutefois plus d’actualité, le Conseil d’Etat ayant récemment décidé que tous les tiers lésés dans leurs intérêts de manière « suffisamment directe et certaine » peuvent directement recourir contre le contrat (CE, 4 avril 2014, requête numéro 358994, Département du Tarn-et-Garonne). Le recours pour excès de pouvoir contre les actes préalables à la conclusion du contrat leur est désormais fermé, excepté pour le préfet dans le cadre de son contrôle de légalité, tant que le contrat n’a pas été signé.
En revanche, demeurent des actes détachables du contrat, certains actes unilatéraux survenus durant l’exécution du contrat, comme une décision de modification unilatérale ou de résiliation unilatérale du contrat. Toutefois, , le recours pour excès de pouvoir contre ces actes n’est ouvert qu’au bénéfice des tiers au contrat (sur ces questions V. infra).
C- Contentieux fiscal
Depuis l’arrêt Breil du 28 février 1913 (Rec. p.289 ; S. 1918-1919, III, p.37), les juges considèrent qu’il existe, en matière fiscale, des actes détachables de la procédure d’imposition.
Cette jurisprudence s’applique d’abord à l’ensemble des actes règlementaires qui ont un lien avec la procédure d’imposition.
Exemples :
– CE, 1er juin 1990, requête numéro 91413, Commune de Levallois-Perret (Dr. fisc. 1991, 367, concl. Fouquet) : est recevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre un décret fixant la délimitation des zones et les taux de la redevance en région Ile-de-France sur les bureaux et locaux de recherches.
– CE Sect., 4 mai 1990, requête numéro 55124, requête numéro 55137, Association freudienne : est recevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre une instruction administrative qui, au sein de la catégorie des psychanalystes non docteurs en médecine, distingue une sous-catégorie, celle des titulaires d’un diplôme de psychologie, auxquels elle étend le bénéfice de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée, alors que les requérants n’appartiennent pas à cette sous-catégorie.
S’agissant maintenant des actes non règlementaires relatifs à l’accomplissement d’une opération concernant l’assiette ou le recouvrement de l’impôt, la jurisprudence est plus nuancée. A l’égard des tiers, ces actes sont détachables de la procédure d’imposition et ne peuvent donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette solution se justifie par le fait que ces tiers, à la différence du contribuable, ne disposent pas d’une voie de recours spécifique devant le juge de l’impôt.
Exemple :
– CE, 11 juin 1980, requête numéro 11673, Ministre de l’Economie et des Finances c. Commune de Mauzé-Thouarsais, (Rec. p.265 ; Dr. fisc. 1981, 912 et 1434, concl. Fabre) : la décision de classement d’une propriété non bâtie dans l’une des catégories servant de base à la taxe foncière sur les propriétés non bâties est détachable de la procédure d’imposition et peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir de la part d’une commune.
En revanche, à l’égard de leurs destinataires, ces actes ne sont normalement pas considérés comme détachables des opérations d’établissement et de recouvrement de l’impôt.
Exemples :
– CE Sect., 30 juin 1995, requête numéro 119848, Dame Coutaud (Quot. Jur. 31 octobre 1995, p.3 ; Dr. fisc. 1996, p. 121, 37) : la notification de pénalités n’est, pas davantage que la notification de redressements qui l’a précédée, détachable de la procédure d’imposition dont la requérante a fait l’objet. Elle ne peut, dès lors, être contestée que dans le cadre du litige contentieux concernant l’imposition elle-même, après son établissement.
– CE 26 mars 2008, requête numéro 278858, Association pro-musica (BDCF 2008, n°80, concl. Séners ; JCP A 2008, 2175, note Dieu) : une lettre par laquelle l’administration fiscale avait indiqué à une association qu’elle était redevable d’impôts pouvait être regardée comme une décision faisant grief, mais elle ne constituait pas pour autant un acte détachable de la procédure d’imposition susceptible d’être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir.
Ce dernier principe connaît toutefois un certain nombre d’exceptions, notamment concernant des décisions prises sur des demandes d’agréments qui, si elles sont accordées, permettent aux contribuables de bénéficier de réductions d’impôts ou d’exonérations (CE Sect., 23 mai 1969, Société distillerie Brabant et Cie. : Rec. p.264, concl. Questiaux ; AJDA 1969, p. 640, note Tournier ; D. 1970, jurispr. p. 762, note Fromont).
II- Remise en cause directe de l’exception de recours parallèle
A partir de l’arrêt Lafage du 8 mars 1912 (préc.), la jurisprudence a développé des hypothèses dans lesquelles le requérant dispose d’un choix entre l’exercice d’un recours de plein contentieux et un recours pour excès de pouvoir.
Cet arrêt pose le principe selon lequel le recours pour excès de pouvoir peut être exercé en lieu et place d’un recours de plein contentieux contre une décision à objet pécuniaire, lorsque la question à juger est exclusivement celle de la légalité de cette décision, et que le requérant ne demande rien de plus que son annulation. Dans l’arrêt Lafage, par exemple, le requérant se plaignait d’une décision le privant de frais de représentation d’un montant minime.
Cette solution était justifiée de deux points de vue. Tout d’abord, si des réclamations sur des sommes minimes ne pouvaient être portées devant le juge administratif que par l’intermédiaire d’un avocat, comme cela est obligatoire dans le plein contentieux, les frais de procédure excéderaient le montant de la condamnation. Ensuite, déclarer irrecevable le recours pour excès de pouvoir dans de telles hypothèses, laisserait subsister dans l’ordre juridique des décisions illégales.
Par conséquent, dès lors qu’une décision, même si elle a une portée pécuniaire, viole la légalité, le recours pour excès de pouvoir est recevable. Evidemment, dans un tel cas, le juge ne peut pas aller plus loin qu’annuler la décision illégale prise par l’administration. Il ne peut pas, par exemple, condamner l’administration à verser des dommages intérêts au requérant. Toutefois il est possible d’assortir le recours en annulation d’une demande d’injonction, ce qui permettra de garantir le paiement des sommes en litige. Par ailleurs, s’agissant d’un contentieux de type objectif, le juge ne pourra connaître que de moyens mettant en cause la légalité de l’acte contesté.
Exemples :
– CE, 19 juin 1991, requête numéro 82265, Meyet (Rec. p.250) : un usager d’un service public administratif peut contester par la voie du recours pour excès de pouvoir la décision par laquelle un chef de service a refusé de lui rembourser une somme qu’il estimait avoir été trop perçue.
– CE, 8 décembre 1999, requête numéro 200941, Chassey : peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir la décision par laquelle le ministre de la Défense a refusé la prise en charge par l’Etat de l’intégralité des frais de déménagement d’un militaire à l’occasion d’un changement de résidence.
La faculté ouverte au requérant par la jurisprudence Lafage peut susciter un certain nombre de difficultés. Il a ainsi été jugé que dans le cas où l’annulation est suivie d’une demande d’indemnités, les intérêts courront non pas à compter de la date de la demande d’annulation, mais à compter de celle de la date de demande d’exécution du jugement (CAA Bordeaux, 23 juin 2009, requête numéro 08BX00627, Ministre de l’Intérieur : JCPA 2009, 2247, obs. Pacteau).
Section III- L’instance
Selon la définition de R. Chapus « l’instance est le processus qui, déclenché par la saisine du juge, se déroule, de façon plus ou moins simple et plus ou moins rapide, jusqu’à ce que soit rendu un jugement destiné à y mettre fin » (Droit du contentieux administratif, ouv. précité, p.749).
La procédure est peu onéreuse. Elle est même gratuite depuis la suppression du droit de timbre de 35 euros au 1er janvier 2014, conformément à l’article 128 de la loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013 et de l’article 8 du décret n°2013-1230 du même jour.
L’instance doit se dérouler dans un délai raisonnable, cette exigence résultant à la fois des stipulations de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme et, « des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives » (CE Ass. 28 juin 2002, requête numéro 239575, Ministre de la Justice c. Magiera : Rec. p.247, concl. Lamy ; RFDA 2002, p. 756, concl. Lamy ; AJDA 2002, p. 596, chron. Donnat et Casas ; D. 2003, p.23, note Holderbach-Martin ; Dr. adm. 2002, 167, note Lombard ; LPA octobre 2002, n°197, concl. Lamy ; LPA novembre 2002, n°221, note Rouault ; JCP G 2003, II 10151, note Menuret). Lorsque le droit des justiciables à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable n’a pas été respecté, la responsabilité de l’Etat pourra être engagée pour faute simple en raison du « fonctionnement défectueux du service public de la justice ».
L’instruction, qui se situe en amont de la procédure, doit respecter un certain nombre de principes généraux. Dans le cadre de l’instance, le juge dispose de pouvoirs strictement délimités. A l’issue de la procédure, il prend une décision à laquelle sont tenues de se conformer les parties.
§I- Caractère généraux de la procédure d’instruction
La procédure d’instruction est secrète, écrite, inquisitoriale et contradictoire.
I- Secret
Si en application des dispositions de l’article L. 6 du Code de justice administrative, les débats ont lieu en audience publique (CE, 3 novembre 1999, requête numéro 203748, Zurmely: Rec. tables, p. 1015 ; RFDA 2000, p.1079, concl. Roul), les tiers n’ont pas la possibilité de prendre connaissance des mémoires des parties, ce qui constitue un point commun entre la procédure administrative contentieuse et la procédure civile. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans un autre arrêt Zurmely du 7 juin 2000 (requête numéro 206362 : Rec. tables,p.1059) « aucun principe général du droit, non plus que les stipulations de l’article 6§I de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, n’impose la publicité de la procédure préalable d’instruction ».
Les personnes qui, à un titre quelconque, participent ou assistent au délibéré sont soumises à l’obligation d’en respecter le secret sous peine des sanctions visées par l’article 226-13 du Code pénal (CJA, art. R. 731-5).
II- Caractère écrit
La procédure administrative contentieuse est essentiellement une procédure écrite. Elle donne lieu à la rédaction de mémoires qui sont échangés par les parties et à l’examen des procès-verbaux des mesures d’instruction. Toutes les pièces doivent figurer dans le dossier, les plaidoiries et les observations orales à l’audience ne pouvant que développer le contenu de ces pièces. On aura toutefois l’occasion de souligner que les évolutions récentes de la procédure administrative contentieuse font aujourd’hui une place plus grande à l’oralité. De la même façon, la procédure peut ou doit être dématéralisée selon les cas (décret n°2012-1437 du 21 décembre 2012, V. CJA, art. R. 414-1 s. pour ce qui concerne le dépôt des requêtes et art. R. 611-8-2 s. CJA pour ce qui concerne l’échange des mémoires et des pièces).
Il faut aussi relever que le décret n°2010-164 du 22 février 2010 a inséré dans le Code de justice administrative un article R. 611-8-1, dont la rédaction est très largement inspirée par l’article 753 du Code de procédure civile, qui précise que « le président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, le président de la chambre chargée de l’instruction peut demander à l’une des parties de reprendre, dans un mémoire récapitulatif, les conclusions et moyens précédemment présentés dans le cadre de l’instance en cours, en l’informant que, si elle donne suite à cette invitation, les conclusions et moyens non repris seront réputés abandonnés ». De même, en appel « il peut être demandé à la partie de reprendre également les conclusions et moyens présentés en première instance qu’elle entend maintenir ».
Le décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 a complété ces dispositions en prévoyant une sanction. Désormais l’autorité compétente peut « en outre fixer un délai, qui ne peut être inférieur à un mois, à l’issue duquel, à défaut d’avoir produit le mémoire récapitulatif (…) la partie est réputée s’être désistée de sa requête ou de ses conclusions incidentes ». Le même article précise que la demande de production d’un mémoire récapitulatif doit informer la partie concernée des conséquences du non-respect du délai fixé.
III- Caractère inquisitorial
Contrairement à la procédure civile, qui présente un caractère accusatoire, la procédure administrative est une procédure inquisitoriale. En d’autres termes, c’est le juge, et non pas les parties, qui commande la marche du procès.
Cette différence fondamentale s’observe d’abord du point de vue de la technique de saisine du juge. Ainsi, l’article R. 411-1 du Code de justice administrative prévoit que « la juridiction est saisie par requête », ce qui signifie que le requérant s’adresse directement au juge. En revanche, selon l’article 54 du Nouveau Code de procédure civile le demandeur fait une « assignation » à son adversaire de se présenter devant le juge civil.
De même, la conduite de l’instruction relève du juge et plus précisément du rapporteur qui aura été désigné et qui devra prendre ou faire prendre toutes les mesures qui permettront au juge d’établir sa conviction. Selon l’article R. 611-10 du Code de justice administrative, qui est applicable aux tribunaux administratifs : « sous l’autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l’affaire, le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires. Il peut demander aux parties, pour être jointes à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige » (pour les cours administratives d’appel V. art. R. 611-16 s., pour le Conseil d’Etat V. R. 611-20 s.).
Notamment, le juge peut « exiger de l’administration compétente la production de tous documents susceptibles d’établir la conviction du juge et de permettre la vérification des allégations des requérants »(CE Ass., 28 mai 1954, Barel et a., préc.). Le juge peut notamment exiger de l’administration qu’elle lui fasse connaître les motifs de sa décision (V. également Conseil d’Etat, SSR., 29 octobre 2013, M.A.B c. Conseil supérieur de la Magistrature, requête numéro 346569, publié au recueil, Vidon).
Comme en matière civile, la charge de la preuve appartient en principe au demandeur. Toutefois, le juge s’octroie la possibilité de renverser la charge de la preuve. Dans un arrêt Cordière du 26 novembre 2012 (requête numéro 354108 : Rec. p. 394, concl. Bourgeois-Machureau ; AJDA 2012, p. 2373, chron. Domino et Bretonneau ; Droit adm. 2013, 14, note Eveillard.- V. également CE, 27 janvier 2017, requête numéro 385998, SCI La Cigalière, la SCI La Rose des vents et a.), le Conseil d’Etat a ainsi rappelé qu’il appartient au juge « de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties ». Dans le cadre de son office, s’il peut « écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance ». Le cas échéant, il revient au juge « avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur ».
IV- Caractère contradictoire
Le principe du contradictoire impose que l’ensemble des éléments de l’affaire à juger soient connus par les parties qui doivent avoir la possibilité d’en discuter. A l’origine, en dehors des hypothèses visées par les textes, l’exigence d’une procédure contradictoire s’appliquait aux juridictions disciplinaires et elle était liée au principe plus général de respect des droits de la défense (CE, 20 juillet 1913, Téry : Rec. p. 736, concl. Corneille ; S. 1920, III, p. 13). Le principe du contradictoire constitue, selon le Conseil constitutionnel, le corollaire du principe constitutionnel du respect des droits de la défense (CC, 29 décembre 1989, numéro 89-268 DC, Loi de finances pour 1990 : JO, 30 décembre 1989, p.16498 ; RJF 1990, p. 127 ; Dr. fisc. 1990, 57). Il constitue également l’un des principaux aspects du droit à un procès équitable défini par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Son champ d’application est toutefois plus général puisqu’il s’agit désormais d’un principe général du droit applicable à l’ensemble des juridictions administratives (CE Sect., 12 mai 1961, Société La Huta : Rec. p. 313).
Le principe du contradictoire a vocation à s’appliquer tout au long de la procédure d’instruction. Il implique, notamment, l’obligation pour le juge de demander aux parties de présenter leurs observations lorsqu’il entend relever d’office un moyen d’ordre public (CJA, art. R. 611-7).
Dans le but de dynamiser l’instruction, et suivant la réforme du contentieux de l’urbanisme opérée en 2013 (Code de l’urbanisme, art. 600-4), les présidents de la formation de jugement et, au Conseil d’Etat, le président de la chambre chargée de l’instruction, peuvent désormais d’office et dans tous les litiges, fixer une date à partir de laquelle de nouveaux moyens ne pourront plus être invoqués (CJA, art. R. 611-7-1). Cette cristallisation du litige est une simple faculté à l’initiative du juge. Elle ne concerne toutefois pas les moyens d’ordre public et ne s’applique pas lorsque des dispositions contraires s’y opposent (V. par ex. l’article L. 199 C du livre des procédures fiscales qui permet au demandeur de soulever devant le juge de l’impôt tout moyen jusqu’à la clôture de l’instruction).
Par ailleurs, le Conseil d’Etat s’oppose à ce que les parties aient connaissance de l’intégralité des conclusions du rapporteur public avant leur prononcé (CE, 29 juillet 1998, requête numéro 179635, requête numéro 180208,Esclatine : Rec. p.320, concl. Chauvaux ; JCP 1999, I, 128, chron. Petit ; D. 1999, jurispr. p. 85, concl. Chauvaux ; AJDA 1999, p. 69, note Rolin.- CE Sect., 21 juin 2013, requête numéro 352427, Communauté d’agglomération du pays de Martigues : AJDA 2013, p. 1276, chron. Domino et Bretonneau ; RFDA 2013, p. 805, concl. de Lesquen). Notons toutefois que le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 a institutionnalisé la pratique qui consiste, avant l’audience, à communiquer aux parties le sens des conclusions (CJA, art. R. 711-3 et R. 712-1). Il a été précisé que lorsque le rapporteur public, après une première communication, modifie le sens de ses conclusions, il doit en avertir les parties (CE, 4 mai 2016, requête numéro 380548, Delay).
La Cour européenne des droits de l’homme avait estimé, dans son arrêt Kress c. France du 7 juin 2001 (affaire numéro 39594/98: AJDA 2001, p. 675, note Rolin ; Dr. adm. 2001, 75 ; D. 2001, inf. rap. p.1998 ; JCP G 2001, II, 10578, note Sudre ; RFDA 2001, p. 991, obs. Genevois et p. 1000, obs. Autin et Sudre), que le statut de l’ancien commissaire du gouvernement était conforme aux exigences du procès équitable, réserve faite de son assistance au délibéré (V. également sur ce point : CEDH, 12 avril 2006, affaire numéro 58675, Martinie c. France : JCP A 2996, 1131, note Andriantsimbazovina ; Droit fiscal 2006, 544). S’agissant plus précisément du principe du contradictoire, la Cour avait estimé, dans sa décision APBP c. France du 21 mars 2002 (affaire numéro 38436/97 : RDP 2003, p.694, note Gonzalez), que le fait que les parties puissent répliquer après l’audience aux conclusions du commissaire du gouvernement par une note en délibéré rédigée dans un délai suffisant et expressément visée par l’arrêt contribue au respect de ce principe. Cette jurisprudence a été reprise à son compte par le Conseil d’Etat qui veille à ce que le juge prenne connaissance de la note en délibéré avant de rendre sa décision (CE, 12 juillet 2002, requête numéro 236125, Leniau : Rec. p.278 ; RFDA 2003, p. 307, concl. Piveteau. – CE, 21 novembre 2003, requête numéro 244820, A. B.-G.).
S’agissant plus spécialement de la participation au délibéré du rapporteur public l’article R. 732-2 du Code de justice administrative, créé par le décret n°2006-964 du 1er août 2006, précise que « la décision est délibérée hors la présence des parties et du rapporteur public ». En revanche, s’agissant du Conseil d’Etat l’article R. 733-3 du même code prévoit que « sauf demande contraire d’une partie, le rapporteur public assiste au délibéré. Il n’y prend pas part ». Ces dispositions également introduites par le décret du 1er août 2006 mettent un terme aux difficultés que posait la présence au délibéré du rapporteur public au regard de l’article 6§I de la Convention européenne des droits de l’homme, selon les jurisprudences Kress et Martinie. La Cour a en effet considéré, en dépit des doutes que pouvait faire naître la rédaction de l’article R. 733-3, que ce nouveau dispositif était désormais compatible avec ces stipulations (CEDH, 15 septembre 2009, affaire numéro 11396/08, Etienne c. France : AJDA 2009, p. 1920 – V. égalementConseil d’Etat, SSR, 25 mai 2007, requête numéro 296327, mentionné aux tables, Courty : AJDA 2007, p. 1424, concl. Keller).
Cette solution a été confortée par une décision Marc-Antoine c/France du 4 juin 2013 (affaire numéro 54984/09: AJDA 2013, p.1580, note Platon), dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la communication du projet de décision du rapporteur au seul rapporteur public ne méconnaissait pas le droit à un procès équitable, et plus précisément le principe d’égalité des armes. Elle valide ainsi l’ensemble du dispositif concernant le rapporteur public. Selon la Cour, en effet, cette « particularité procédurale » permet aux justiciables de « saisir la réflexion de la juridiction pendant qu’elle s’élabore et de faire connaître leurs dernières observations avant que la décision ne soit prise ».
§II- Déroulement de l’audience
L’affaire est appelée à l’invitation du président de formation, par le greffier d’audience. Cet appel consiste en l’énoncé des références du dossier, des noms des parties et le cas échéant de leur mandataire assorti de la mention de leur présence ou absence.
Les affaires sont appelées sans ordre particulier, en principe individuellement, sauf en cas de jonction d’instance. Il peut y avoir jonction d’instance lorsqu’il existe un lien de connexité entre plusieurs affaires.
Exemple :
– CE, prés. sect. cont., requête numéro 131572,2 décembre 1992, Raja : sont ici jointes les requêtes rédigées en termes identiques par des époux qui demandent l’annulation de l’arrêté de reconduite à la frontière qui les concernent respectivement.
Le rapporteur lit son rapport.
Devant le Conseil d’Etat les avocats au Conseil d’Etat représentant les parties peuvent ensuite présenter leurs observations orales (CJA, art. R. 733-1).
En revanche, ce n’est plus le cas devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel où ces observations orales n’interviennent plus qu’après le prononcé des conclusions du rapporteur public. L’inversion de la prise de parole, devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, avait été expérimentée par le décret n°2009-14 du 2 janvier 2009. Elle a été généralisée par le décret n°2011-1950 du 23 décembre 2011 (CJA, art. R. 732-1).
Par ailleurs, la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 a créé l’article L. 732-1 du Code de justice administrative qui permet au président de la formation de jugement, devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, de dispenser le rapporteur public d’exposer à l’audience ses conclusions sur une requête. Cette dispense est prononcée « eu égard à la nature des questions à juger » dans les matières visées par l’article R. 732-1-1 du Code de justice administrative, créé par le décret n°2011-1950 du 23 décembre 2011. Sont concernés notamment les contentieux relatifs au permis de conduire, à la naturalisation ou encore à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers à l’exception des expulsions. La liste énumérée par l’article R. 732-1-1 est exhaustive. Il ainsi été jugé qu’un litige relatif à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne figurant pas dans cette liste, il ne peut donc donner lieu à une dispense de conclusions (CE, 27 mars 2017, requête numéro 401205, Société Auchan France). L’objectif poursuivi par le législateur est de permettre au rapporteur public de ne plus être « contraint de se disperser, voire de s’épuiser, sur des dossiers qui posent des questions récurrentes dans un cadre juridique parfaitement déterminé » (Questions à Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État : AJDA 2011, p. 412). Si ce dispositif a été jugé conforme à la Constitution, le Conseil constitutionnel n’en a pas moins rappelé que la loi aurait été « contraire au principe d’égalité devant la justice en ce qu’elle conférerait au rapporteur public et au président de la formation de jugement un pouvoir discrétionnaire pour décider, au cas par cas, d’une telle dispense » (CC 12 mai 2011, numéro 2011-629 DC, Loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit).
Exceptées les hypothèses susvisées, le rapporteur public prononce ses conclusions.
Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, les parties peuvent ensuite présenter soit en personne, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l’appui de leurs conclusions écrites. Cependant, le président a la faculté de leur retirer la parole si elles ne sont pas en mesure de discuter leur cause avec la modération ou la clarté requises. La formation de jugement peut également entendre les agents de l’administration compétente ou les appeler devant elle pour fournir des explications (CJA, art. R. 732-1).
Devant le Conseil d’Etat, cette possibilité de s’exprimer après la lecture du rapport est laissée aux seules parties et aux avocats au Conseil d’Etat représentant les parties (CJA, art. R. 733-1), y compris dans les matières où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire (CE, 25 octobre 1996, requête numéro 128723, Commune d’Olivet : Rec. p. 1100). Mais il s’agira ici de présenter de « brèves observations orales », ce qui est normal puisque devant le Conseil d’Etat les « observations orales » interviennent avant que le rapporteur public ne prononce ses conclusions. Il est à noter que la possibilité de reprendre la parole après le rapporteur public n’a pas à être mentionnée dans le jugement (CE, 16 décembre 2009, requête numéro 327619,Ezelin).
Postérieurement au prononcé des conclusions du rapporteur public, toute partie à l’instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré qui permet de répondre par écrit aux conclusions du rapporteur public (CJA, art. R. 731-3). Cette possibilité est également ouverte dans les cas de dispense de conclusions.
Le délibéré débute par la lecture de la note en délibéré, lorsqu’elle a été produite. La note est lue par le rapporteur avant qu’il ne lise le projet de décision et que ne soient entamés les débats. La décision n’aura pas à répondre aux arguments invoqués par la note puisqu’il ne s’agit pas d’une pièce de la procédure contradictoire. Cependant, si la note fait apparaître une difficulté ou un élément nouveau susceptible d’avoir une incidence sur le sens de la solution, l’affaire est rayée et l’instruction contradictoire rouverte.
§III – Pouvoirs du juge
Le cadre du procès est délimité par les conclusions des parties. Ainsi, à l’image du juge judicaire, le juge administratif n’a pas le droit de statuer au-delà ou en deçà de ce que demandent les parties.
Toutefois, le juge a la possibilité, et même l’obligation, de relever d’office les moyens d’ordre public qui n’auraient pas été invoqués par les parties. C’est le cas, par exemple, des moyens tirés de la violation des règles de compétence juridictionnelle ou des règles de recevabilité. De même, peuvent être concernés des moyens relatifs au fond du droit comme l’incompétence de l’auteur d’une décision administrative ou la méconnaissance d’une annulation prononcée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.
En revanche, si l’on excepte les cas des injonctions d’instruction, le juge n’a pas le droit d’adresser des injonctions à l’administration, c’est-à-dire de la condamner à des obligations de faire ou de ne pas faire.
Ce principe connaît une dérogation majeure visée par les articles L. 911-1 s. du Code de justice administrative. Ces textes permettent en effet au juge administratif d’adresser des injonctions à l’administration, éventuellement assorties d’astreintes, en vue de l’exécution de la chose jugée. Ceci concerne les cas où la chose jugée « implique nécessairement » qu’une mesure d’exécution déterminée soit prise, soit immédiatement, soit au terme d’une nouvelle instruction de l’affaire.
Relevons ici que si ces dispositions sont rédigées de façon générale, et peuvent donc concerner une grande variété de domaines, un cas particulier est désormais visé par l’article L. 911-1-1 du Code de justice administrative créé par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016. Cet article permet expressément à la juridiction de prescrire de réintégrer toute personne ayant fait l’objet d’un licenciement, d’un non-renouvellement de son contrat ou d’une révocation en méconnaissance de la protection des lanceurs d’alerte en matière de conflits d’intérêt ou ayant relaté un crime ou un délit.
Cependant, le juge n’a pas la possibilité de prononcer des injonctions à titre principal dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ordinaire (en revanche cette possibilité lui est ouverte dans le cadre de la procédure de référé liberté visée par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative et dans le cadre de ses pouvoirs d’instruction).
Exemple :
– CAA Nancy, 22 avril 2004, requête numéro 99NC02146, Mme. Nicole X. : l’annulation de la notation d’un agent administratif pour l’année 1998 implique nécessairement que la commune procède à une nouvelle notation de l’intéressée pour cette même année. En revanche, les conclusions présentées par la requérante demandant aux juges d’enjoindre à la commune de réviser à la hausse sa fiche de notation, de revaloriser sa qualification, de conformer son échelon de rémunération à son ancienneté et de récupérer ses heures de travail cumulées sous forme de congés, tendent au prononcé d’une injonction à titre principal et sont donc irrecevables.
§IV- Obligation de se conformer à la chose jugée
Les décisions du juge administratif entraînent un certain nombre d’effets. Toutefois, la portée de ces décisions est parfois difficile à appréhender, et il sera nécessaire, dans certains cas, que le juge incite, voire contraigne, l’administration à s’exécuter.
I- Effets des décisions du juge administratif
Les décisions du juge administratif sont rendues au nom du peuple français et elles sont directement exécutoires. Elles constituent un titre qui permettra éventuellement de recourir à l’exécution forcée et elles sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, ce qui fait qu’elles ne pourront plus être contestées que dans le cadre des voies de recours.
des voies de recours.
Il pourra cependant être fait échec à l’obligation d’exécuter la chose jugée dans les cas où le législateur exerce le pouvoir de validation qui lui appartient. L’exercice de ce pouvoir va permettre d’éviter les difficultés inextricables que peut poser l’exécution de certaines décisions de justice. Par exemple, l’annulation des opérations d’un concours de recrutement de la fonction publique doit conduire à considérer que les fonctionnaires recrutés, qui ont parfois débuté leur carrière depuis plusieurs années, ne l’ont jamais été. Dans un tel cas, une loi de validation pourra intervenir pour valider, non pas le concours lui-même, mais les nominations qui ont été prononcées à son issue (CC., 22 juillet 1980, numéro 80-119 DC, Loi portant validation d’actes administratifs, préc).
Ce pouvoir de validation législative est toutefois strictement encadré par la jurisprudence. D’une part, la validation ne saurait avoir pour effet de valider des actes définitivement annulés, ce qui ferait obstacle à la fois au respect dû à la chose jugée et au principe de séparation des pouvoirs (CC., 29 décembre 2005, numéro 2005-531 DC, Loi de finances pour 2006 : Droit adm. 2006, 32 ; LPA, 13 janvier 2006, p. 4, note Mathieu et 16 janvier 2006, p.7, note Schoettl). Elle doit également respecter le principe de non-rétroactivité des sanctions pénales et administratives. L’acte validé ne doit méconnaître aucun principe de valeur constitutionnelle, réserve faite de cas où « le but d’intérêt général visé par la validation serait lui-même de valeur constitutionnelle ». Enfin, conformément aux exigences du procès équitable visées par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la validation législative doit être justifiée par « (d’)impérieux motifs d’intérêt général ». (CEDH, 28 octobre 1999, affaire numéro 24846/94, 34165/96, 34173/96, Zielinski et Pradal, Gonzalez et a. c/ France: AJDA 2000, p. 533, obs. Flauss ; D. 2000, p. 184, obs. Fricero ; RFDA 2000, p. 1254, étude Bolle ; RTD civ. 2000, p. 436, obs. Marguénaud et p. 629, obs. Perrot) . Cette solution a été reprise par la Cour de cassation (Cass. ass. plén., 24 janvier 2003, pourvoi numéro 01-41.757,: Bull. ass. plén., no 2 ; D. 2003. 1648, note Paricard-Pioux ; RFDA 2003, p. 470, note Mathieu ; RDSS 2003, p. 306, note Boulmiere) par le Conseil d’Etat (CE, 23 juin 2004, requête numéro 257797, Société des Laboratoires Genevrier : Rec. p. 256 ; RDSS 2004, p. 916, note Peigné.- V. toutefois admettant la possibilité d’un contrôle d’intensité variable selon la nature du droit en cause, CE Ass., 27 mai 2005, requête numéro 277975, Provin : AJDA 2005, p.1455, chron. Landais et Lenica ; RFDA 2005, p.893) puis par le Tribunal des conflits (Tribunal des Conflits, 13 décembre 2010, Société Green Yellow contre Electricité de France, requête numéro C3800, publié au recueil préc.). De son côté, le Conseil constitutionnel a longtemps exigé que la loi de validation poursuive un « but d’intérêt général suffisant », ce qui paraît constituer une exigence moindre (CC, 21 décembre 1999, numéro 99-422 DC, Loi de financement pour la sécurité sociale pour 2000 : Rec. CC, p. 143). Mais finalement, à l’occasion d’une décision du 14 février 2014, le Conseil constitutionnel s’est également aligné sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (décision numéro 2013-366 QPC : AJDA 2014, p. 377, noter Roux ; RFDA 2014, p. 589, chron. Roblot-Troizier et Tusseau ; RTD civ. 2014, p. 604, obs. Deumier.- V. également Conseil Constitutionnel, 24 juillet 2014, Loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF, décision numéro 2014-695 DC : AJCT 2014, p. 400, note Lasserre Capdeville ; Constitutions 2014, p. 360, note de Baecke ; RTD com. 2014, p.669, obs. Legeais).
Si l’on met de côté la question des validations législatives, les jugements statuant dans le cadre de l’excès de pouvoir ont normalement l’autorité absolue de chose jugée et leur respect est d’ordre public (CE, 22 mars 1961, Simonet, Rec. p. 211). De la même façon, les jugements et décisions statuant sur la légalité d’actes sont reconnus par les deux ordres de juridictions comme ayant une autorité absolue de chose jugée dont le respect est d’ordre public. Cette solution est de longue date admise par la Cour de cassation (Cass. crim., 4 décembre 1930, Abbé Gautrand, rapport Bourdon et obs. Appleton D. 1931.I.33 ; V. égalementCour de cassation, 1e civ., 19 juin 1985, Office national de la chasse, pourvoi numéro 84-11.528, publié au bulletin. D. 1985, p. 426, rapport Sargos). En revanche, le Conseil d’Etat considérait à l’origine que les jugements rendus sur recours préjudiciels comme n’étant soumis qu’à une autorité relative de la chose jugée (Conseil d’Etat, SSR., 5 juin 1981, Layani, requête numéro 23721, inédit au recueil. : RDP 1982 p. 528.- Conseil d’Etat, Section, 2 mars 1990, Commune de Boulazac, requête numéro 84590, Rec. p. 57. : Rec. p. 57 ; Conseil d’Etat, SSR., 3 juillet 1996, Ministre de l’Equipement, requête numéro 112171, Rec. p. 259. : Rec. p. 259). Cependant, le Conseil d’Etat a finalement procédé à un revirement de sa jurisprudence et a aligné sa position sur celle de la Cour de Cassation (Conseil d’Etat, SSR., 28 décembre 2001, Syndicat CNT des PTE de Paris et autres, requête numéro 205369, publié au recueil. : AJDA 2002, p. 547, obs. Seiller).
Dans un arrêt de Section Anschling du 28 avril 2014 (Conseil d’Etat, Section, 28 avril 2014, A. et autres, requête numéro 357090, publié au recueil : AJDA 2014, p. 1274, chron. Bretonneau et Lessi ; Dr. adm. 2014, 53, note Eveillard ; JCP A 2014, 2293, note Traoré ; RFDA 2014, p. 512, note de Barmon et p. 721, étude Seiller), le Conseil d’Etat a précisé quelles sont les conséquences qu’un organisme public doit tirer d’une décision du juge administratif déclarant l’illégalité d’un acte réglementaire. En l’espèce, cette déclaration d’illégalité concernait des délibérations fixant les tarifs des services de l’eau. Le Conseil d’Etat rappelle que cette déclaration n’a eu pour effet ni de faire disparaître rétroactivement ces délibérations de l’ordonnancement juridique (V. dans ce sens, Conseil d’Etat, SSR, 27 mai 2002, SA Transolver Service, requête numéro 227338, publié au recueil), ni de faire revivre la délibération précédemment applicable (V. dans ce sens, Conseil d’Etat, Assemblée, 18 janvier 1980, requête numéro 14397, publié au recueil, Bargain : Rec. p. 29). Les juges considèrent ensuite « qu’eu égard à la nature et à l’objet des redevances pour service rendu, qui constituent la rémunération des prestations fournies aux usagers », la déclaration d’illégalité ne les déchargeait pas « de toute obligation de payer une redevance en contrepartie du service dont ils ont effectivement bénéficié » (V également Conseil d’Etat, SSR, 28 mai 2014, Compagnie des Bateaux Mouches, requête numéro 359738, mentionné aux tables). Ainsi, le Conseil d’Etat admet que l’autorité administrative compétente avait pu « légalement, pour régulariser les situations nées de ces litiges, adopter une délibération fixant de manière rétroactive, dans le respect des motifs constituant le support nécessaire du jugement du tribunal administratif (…) le tarif de l’eau devant être appliqué, (…) aux usagers ayant bénéficié du service et contesté, par la voie contentieuse, les montants de redevance mis à leur charge ». Cette solution constitue une exception au principe de non-rétroactivité des actes administratifs qui avait déjà été reconnue dans le cas d’annulation par le juge de l’acte réglementaire fixant des tarifs (Conseil d’Etat, SSR., 19 mars 2010, Syndicat des compagnies aériennes autonomes et autres, requête numéro 305047, Rec. p. 622., requête numéro 305049, requête numéro 312221, requête numéro 312883, requête numéro 313595, Syndicat des compagnies aériennes autonomes).
II- Problèmes de détermination de la portée de la chose jugée
Dans de nombreuses hypothèses, l’administration n’éprouvera aucune difficulté à déterminer la portée de la décision la condamnant. Tel est le cas, notamment, dans le cadre du plein contentieux, lorsqu’elle est condamnée au versement de dommages et intérêts où lorsque le juge de l’élection rectifie les résultats d’un scrutin.
En revanche, la portée de l’annulation d’un acte administratif est parfois difficile à apprécier. En principe, l’acte disparaît rétroactivement. Toutefois, le Conseil d’Etat a admis, de façon exceptionnelle, que dans les cas où l’annulation rétroactive aurait des conséquences manifestement excessives pour les intérêts publics ou privés en présence, le juge a la possibilité de moduler dans le temps l’effet de ses décisions. Ainsi, il peut estimer que tout ou partie des effets antérieurs de l’acte doivent être considérés comme définitifs, ou encore que la décision d’annulation ne prendra effet qu’à compter d’une date ultérieure à la décision (CE Ass., 11 mai 2004, requête numéro 255886, Association AC ! et a. : Rec. p.97, concl. Devys ; AJDA 2004, p.1183, chron. Landais et Lenica et p. 1049, tribune Bonichot ; D. 2004, p. 1603, chron. Mathieu ; Droit adm. 2004, 115, note Lombard ; JCPA 2004, 1828, note Bigot ; LPA 2004, n°208, chron. Melleray et n°230, note Monford ; LPA 2005, n°25, note Crouzatier-Duran ; RFDA 2004, p. 438 et 454 note préparatoire Stahl et Courrèges et concl. Devys ; RDP 2005, p.536, obs. Guettier.- CE Sect., 25 février 2005, requête numéro 247866, France télécom : Rec. p.86 ; AJDA 2005, p.997, chron. Landais et Lenica ; JCPA 2005, 1162, note Saunier-Cassia et 1263, note Breen ; RDP 2005, p.1643, note Idoux ; RFDA 2005, p.802, concl. Prada-Bordenave.– CE, 19 décembre 2008, requête numéro 312553, Kierzkowski-Chatal et a. : JCP G 2009, II, 10042, note Dupic et Tifine.- CE, 10 février 2010, requête numéro 329100, Perez : Dr. Adm. 2004, 54, note Melleray.- CE Sect., 30 décembre 2010, requête numéro 329513, Robert : Dr adm. 2011, 25, note Melleray.- CE, 17 juin 2011, requête numéro 324816,Société canal plus distribution : D. 2011, p. 1678 ; RLDI 2011, n° 73, actualités, obs. L. C.- CE Ass., 23 décembre 2011, requête numéro 335033, Danthony, préc. – CE, 28 mars 2012, requête numéro 341067, Confédération générale des petites et moyennes entreprises – Conseil d’Etat, Assemblée, 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, requête numéro 322326.- Conseil d’Etat, SSR, 1 juin 2012, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale et de la recherche publique, requête numéro 341775, inédit au recueil : JCP A 2012, 2254, note Touzeil-Divina .- Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2013, Société Métropole Télévision, requête numéro 363702, publié au recueil : Dr. adm. 2014, 29, note Bazex ; RJEP 2014, 33, note Idoux.- Conseil d’Etat, SSR, 14 mai 2014, Fédération UNSA spectacle et communication, requête numéro 355924, mentionné aux tables – Conseil d’Etat, SSR., 9 juillet 2015, Football club des Girondins de Bordeaux, requête numéro 375542.- Conseil d’Etat, SSR, 5 octobre 2015, Association France nature environnement, requête numéro 383956, publié au recueil.- CE, 17 janvier 2018, requête numéro 410280, Cimade et a.). Cette solution s’applique également à l’hypothèse d’un refus d’annulation d’un acte dont la suspension avait été auparavant obtenue dans le cadre d’une procédure de référé (CE, 27 octobre 2006, Société Techna SA et a., requête numéro 260791, requête numéro 260792: Rec. p. 451 ; RFDA 2007, p. 265, concl. Séners ; JCP A 2006, II, 10208, note Damarey ; RFDA 2007, p. 265, concl. Séners.- V. également CE, 29 janvier 2014, requête numéro 360791, Conseil national des professions de l’automobile).
Il faut noter que dans l’hypothèse où la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une question préjudicielle, et qu’elle a refusé de faire usage du pouvoir de modulation dans le temps de ses arrêts qui lui appartient également, le juge national ne pourra ensuite contredire la délimitation par la Cour du champ d’application dans le temps de sa décision en recourant à la jurisprudence AC ! (Conseil d’Etat, SSR., 28 mai 2014, Association Vent de Colère : AJDA 2014, p. 1784, note Mamoudy ; Dr. adm. 2014, 54, note Bazex ; Dr. fisc. 2014, 450, concl. Legras, note Maitrot de la Motte et Dubout ; JCP A 2014, act. 465, obs. Touzeil-Divina ; Procédures 2014, 254, note Deygas ; RFDA 2014, p. 783, concl. Legras). Une telle modulation opérée par le juge national constituerait en effet une atteinte à l’autorité de la chose jugée. En revanche, la Cour de justice estime que lorsqu’une illégalité est établie au regard du droit de l’Union européenne, la modulation n’est possible qu’à titre exceptionnel, en raison d’une nécessité impérieuse et compte tenu des circonstances spécifiques de chaque affaire. Il est également exigé « qu’aucun doute raisonnable n’existe quant à l’interprétation et l’application des conditions posées par (la jurisprudence de la Cour) à une telle limitation » (CJUE 28 février 2012, affaire numéro C-41/11, Inter-environnement Wallonie ASBL : AJDA 2012, p. 995, chron. Aubert, Broussy et Donnat . – CJUE 28 juill. 2016, aff. C-379/15, France nature environnement (Assoc.) c/ Premier ministre et ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie : AJDA, p. 2209, chron. Broussy, Cassagnabère et Gänser, et note Mamoudy). C’est cette solution qui a été admise par le Conseil d’Etat dans une affaire où, après avoir annulé un décret réglementant les prix du gaz au regard du droit de l’Union européenne, il a estimé que les effets antérieurs de ce décret doivent être maintenus en raison des « incertitudes graves qu’une annulation rétroactive ferait naître sur la situation contractuelle passée de plusieurs millions de consommateurs et de la nécessité impérieuse de prévenir l’atteinte à la sécurité juridique qui en résulterait » (CE Ass., 19 juillet 2017, requête numéro 370321, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie : AJDA 2017, p. 1879, chron. Odinet et Roussel ; RTD comm. 2017, p. 853, note Lombard).
Le Conseil d’Etat a également été amené à préciser l’hypothèse où après avoir, par une précédente décision, annulé pour excès de pouvoir un acte et sursis à statuer sur la date d’effet de cette annulation, il décide de limiter, par une décision postérieure, les effets de cette annulation. Dans ce cas, les actions contentieuses contre les actes pris sur le fondement de l’acte annulé qu’il est tenu de réserver, sont celles engagées à la date de la décision ayant prononcé l’annulation de cet acte, et non à la date de la décision par laquelle il en a limité les effets dans le temps (CE, 15 mai 2013, requête numéro 337698, Fédération nationale des transports routiers : Rec. tables, p. 797 ; AJDA 2013, p. 1876, note Connil).
Dans la lignée de la jurisprudence AC ! le Conseil d’Etat a également admis la possibilité de maintenir certains effets de l’acte annulé, dans des circonstances encore plus exceptionnelles (CE, 23 juillet 2014, requête numéro 349717, Société Octapharma France : Rec. p. 243 ; AJDA 2014, p. 2315, note Mamoudy). Les difficultés qui peuvent résulter de l’annulation d’une décision peuvent ainsi conduire le juge non pas à différer dans le temps les effets de celle-ci mais à définir le droit applicable pour une période transitoire.
Ces jurisprudences dénotent une évolution de l’office du juge de l’excès de pouvoir dans le sens d’une subjectivisation. En d’autres termes, le juge de l’excès de pouvoir ne se borne plus à annuler mécaniquement les actes illégaux sans tenir compte des effets de son annulation. Toutefois, il est important de souligner que ces solutions n’ont toutefois vocation à s’appliquer que dans des cas exceptionnels. En principe, par conséquent, la décision annulée n’est censée n’avoir jamais existé et l’administration devra prendre toute mesure destinée à effacer les conséquences de ces actes.
Dans certains cas, ceci implique l’obligation pour l’administration de réexaminer le dossier et de prendre une nouvelle décision. On devrait également considérer que les effets de droit produits par l’acte annulé devraient être réduits à néant. Cependant, une position trop stricte sur ce point peut présenter de graves inconvénients. Elle pourrait en effet aboutir à la remise en cause de situations qui paraissaient acquises. Pour éviter que le principe de légalité ne l’emporte systématiquement sur la stabilité des relations juridiques, des aménagements ont ainsi été prévus par la jurisprudence.
Ainsi, l’annulation d’un acte règlementaire est sans incidence sur les décisions individuelles prises sur son fondement dès lors quelles sont créatrices de droits (CE, Section, 1er avril 1960, Quiéraud : Rec. p. 245, concl. Henry). En particulier, l’exécution du jugement par lequel un acte réglementaire a été annulé n’implique pas que le juge, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative enjoigne à l’administration de revenir sur les mesures individuelles prises en application de cet acte (Conseil d’Etat, Section, 13 mars 1998, Assistance publique – Hôpitaux de Paris, requête numéro 175199, publié au recueil : Rec. p. 78 ; AJDA 1998, p. 408, chron. Raynaud et Fombeur). Il arrive cependant que des solutions plus nuancées s’appliquent dans certains domaines et notamment en matière d’urbanisme.
Exemple :
– CE, 28 janvier 1987, requête numéro 39146, Comité de défense des espaces verts c. SA Le Lama (Rec. p. 20 ; AJDA 1987, p.281, concl. Vigouroux) : si un permis de construire ne peut être délivré que pour un projet de construction respectant la règlementation d’urbanisme applicable, il ne constitue pas un acte d’application de cette règlementation. Par conséquent, l’annulation d’un document de planification n’entraîne pas de plein droit celle d’un permis de construire délivré sous l’empire de ce document. Ce principe trouve toutefois exception dans le cas où cette annulation aurait été prononcée en raison de l’illégalité d’une disposition ayant pour objet de rendre possible l’octroi du permis litigieux. En dehors de ce cas, il appartient au juge, s’il est saisi de moyens en ce sens par la partie qui critique le permis, de rechercher si le projet de construction autorisé est ou non compatible avec les dispositions d’urbanisme redevenues applicables à la suite de l’annulation de ce document.
Pour ce qui concerne les actes individuels, l’administration est tenue de prendre toute mesure nécessaire au rétablissement de la situation préexistant à l’acte qui a été annulé.
Exemple :
– CE, 26 décembre 1925, requête numéro 88369, Rodière (Rec. p. 1065 ; S. 1925, III, p. 49 note Hauriou) : l’annulation d’un tableau d’avancement de fonctionnaires oblige le ministre compétent à reconstituer la carrière des fonctionnaires irrégulièrement nommés.
La jurisprudence est toutefois extrêmement nuancée, le juge faisant parfois prévaloir un certain pragmatisme sur la logique juridique.
Exemple :
– CE Sect., 10 octobre 1997, requête numéro 134766, Société Strasbourg FM (Rec. p.355, concl. Pécresse ; Dr. adm. 1998, 27 ; JCP G 1997, IV, p. 398) : l’annulation d’une décision de refus d’attribution de fréquence par le Conseil supérieur de l’audiovisuel n’entraîne pas l’obligation de retirer les fréquences octroyées simultanément au refus et devenues définitives.
III- Mécanismes visant à inciter ou à contraindre l’administration à respecter la chose jugée
Conformément à l’article 16 de la Constitution, le Conseil constitutionnel considère que constitue le corollaire du droit au juge le fait que toute décision de justice a force exécutoire (Conseil Constitutionnel, 29 juillet 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, décision numéro 98-403 DC). Pour la Cour européenne des droits de l’homme, le droit à l’exécution effective des décisions de justice est également une composante du droit au procès équitable et au recours effectif (CEDH, 19 mars 1997, affaire numéro 18357/91, Hornsby c. Grèce : Rec. CEDH 1997-II ; GACEDH, n° 28 AJDA 1997, p. 977, obs. Flauss ; JCP G 1997, II, 22949, obs. Dugrip et Sudre), ce qui impose à l’administration de prendre toutes les mesures qu’implique l’annulation de la décision contestée. Pour autant, la condamnation de l’administration n’est pas toujours suivie des effets qu’implique le respect de la chose jugée. Comme on l’a déjà évoqué, l’administration peut éprouver des difficultés à appréhender la portée de la décision qui la condamne. Elle peut également, mais c’est beaucoup plus rare, refuser délibérément de respecter cette décision. Pour éviter que les décisions de justice ne restent lettre morte il existe différents mécanismes auxquels il peut être recouru pour inciter ou contraindre l’administration à respecter la chose jugée.
A- Incitation à l’exécution
Alors que cette question était jusqu’alors totalement ignorée par le pouvoir réglementaire, le décret n°63-766 du 30 juillet 1963 a institué des procédures non juridictionnelles destinées à faciliter l’exécution des jugements condamnant l’administration. En particulier ce texte a institué la procédure de demande d’éclaircissement qui permet à l’administration condamnée d’obtenir des précisions sur les modalités d’exécution du jugement. La commission du rapport et des études du Conseil d’Etat – devenue la section du rapport et des études en 1985 – était à l’origine seul compétente en la matière, jusqu’à ce que le décret n°2015-1145 du 15 septembre 2015 déconcentre ce pouvoir au profit des cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs pour leurs propres décisions. Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel concerné peut toutefois, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, renvoyer la demande d’éclaircissements au Conseil d’Etat (CJA art. R. 921-1 et R. 931-1). Il faut aussi préciser que depuis l’entrée en vigueur du décret du 30 juillet 1963 le rapport annuel du Conseil d’Etat signale les difficultés rencontrées dans l’exécution des décisions des juridictions administratives.
Le décret n°2017-493 du 6 avril 2012 a supprimé la procédure non juridictionnelle d’aide à l’exécution de l’article R. 931-2 du Code de justice administrative qui permettait aux parties – en fait au bénéficiaire du jugement condamnant l’administration – de « signaler » les difficultés qu’elles peuvent rencontrer pour obtenir l’exécution d’une décision à la section du rapport et des études. Désormais les parties peuvent demander au Conseil d’État de « prescrire les mesures nécessaires». La nouvelle procédure, qui calque pour l’essentiel celle qui existait déjà au niveau des juridictions du fond (CJA, art. R. 921-5 s.), distingue deux phases : une phase non juridictionnelle puis éventuellement une phase juridictionnelle. Dans un premier temps, toutes les demandes adressées au Conseil d’Etat sont enregistrées par la section du rapport et des études, qui effectue des diligences en vue de parvenir à l’exécution de la décision. Ensuite, en cas d’échec de ces diligences, le président de la section du contentieux ouvre une procédure juridictionnelle qui peut conduire au prononcé d’injonction et d’astreintes (V. infra p. 346 s.). Le décret permet aussi au président de la section du rapport et des études Conseil d’Etat, de sa propre initiative, de demander à l’administration de justifier de l’exécution de certaines décisions rendues par la section du contentieux (CJA, art. R. 931-6).
Il faut également relever que les juges ont de plus en plus tendance à faire œuvre de pédagogie, allant même jusqu’à rédiger un véritable « guide de l’exécution » lorsqu’ils pressentent que l’exécution de leur décision risque de poser des difficultés d’interprétation pour l’administration condamnée.
Plus précisément, les juges vont préciser, dans les motifs de la décision, quelles sont les obligations que comporte l’annulation prononcée pour l’auteur de cette décision (prise de mesures dans un délai raisonnable, obligation de statuer dans tel ou tel sens sur les demandes individuelles présentées dans l’intervalle, etc.).
Cette tendance est d’ailleurs ancienne. On en trouve une trace dans l’arrêt Rodière du 26 décembre 1925 (préc.) dans lequel le Conseil d’Etat estime que c’est à bon droit qu’un ministre, suite à l’annulation d’un tableau d’avancement dans un corps de fonctionnaires, avait reconstitué rétroactivement la carrière des intéressés comme si le tableau annulé n’avait jamais existé.
Sous une forme plus moderne, cette tendance s’observe notamment lorsque le juge prononce une « annulation en tant que ne pas », c’est-à-dire lorsqu’il censure non pas des dispositions que contient un texte, mais l’absence de dispositions qui devraient y figurer.
Exemple :
– CE Ass., 29 juin 2001, requête numéro 213229, Vassilikiotis (Rec. p.300, concl. Lamy ; AJDA 2001, p. 1046, chron. Guyomar et Collin ; LPA octobre 2001, n° 212, note Damarey ; Europe 2001, 265, note Cassia ; RDP 2002, p.748, note Guettier) : le Conseil d’Etat définit très précisément les obligations de l’administration consécutives à l’annulation d’un arrêté qui avait pour effet d’empêcher les ressortissants de la Communauté européenne d’être guides de musée, leur cas n’étant pas prévu. Notamment, en attendant la rédaction d’un nouveau texte, l’autorité compétente est tenue de mettre en place un régime transitoire pour statuer sur les demandes de cartes professionnelles présentées par les demandeurs concernés.
Mais cette tendance ne se retrouve pas seulement dans ce type d’hypothèses.
Exemple :
– CE Ass., 25 juin 2001, requête numéro 234363, SAOS Toulouse football club (LPA, 28 septembre 2001, p.4, concl. de Silva ; AJDA 2001, p.887, note Simon) : en refusant de prononcer la sanction du match perdu à l’encontre de l’Association sportive de Saint-Etienne et en décidant d’homologuer les résultats de la rencontre jouée avec le Toulouse football club, alors qu’elle avait relevé que deux joueurs de ce club avaient usé de passeports établis dans des conditions frauduleuses, la commission fédérale d’appel de la Fédération française de football a commis une illégalité. Il résulte de ce qui précède que la requérante est fondée à demander l’annulation de la décision de la commission d’organisation des compétitions de la Ligue nationale de football en date du 22 mai 2001 homologuant le classement final du championnat de France professionnel de première division pour la saison 2000-2001. Les juges précisent ensuite que cette décision a nécessairement pour conséquence qu’appelée à se prononcer de nouveau sur l’homologation du classement final du championnat, la commission d’organisation des compétitions de la Ligue nationale de football applique pour la rencontre du 2 décembre 2000 la sanction prévue à l’article 187 des règlements généraux en retirant trois points à l’Association sportive de Saint-Etienne et en les attribuant au Toulouse Football club. Il lui appartient également, le cas échéant, d’infliger la même sanction pour tout autre match qui présenterait une irrégularité de même nature et dont les résultats n’auraient pas encore été définitivement homologués.
B- Contrainte à l’exécution
Il résulte de la jurisprudence que toute décision non conforme à la chose jugée sera annulée en cas de recours et donnera lieu au versement de dommages et intérêts.
Par ailleurs, la loi n°73-6 du 3 novembre 1973, telle qu’elle avait été modifiée par la loi n°76-1211 du 24 novembre 1976, avait attribué compétence au Médiateur de la république pour adresser des injonctions pour contraindre l’administration à exécuter les décisions passées en force de chose jugée. Ce mécanisme était toutefois inefficace, la seule sanction prévue par le texte consistant en la publication au journal officiel d’un rapport spécial constatant l’inexécution. La nouvelle institution du Défenseur des droits, créée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, en remplacement notamment du Médiateur de la République, ne dispose plus de pouvoirs dans ce domaine.
En revanche, les lois n°80-539 du 16 juillet 1980 et n°95-125 du 16 juillet 1995 ont mis en place des mécanismes de contrainte beaucoup plus efficaces.
L’article 1er de la loi du 16 juillet 1980 prévoit tout d’abord que lorsqu’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l’administration au paiement d’une somme d’argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut d’ordonnancement dans ce délai, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement. Dans le cas d’une condamnation à l’encontre d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public passée en force de chose jugée, le préfet ou l’autorité de tutelle, à l’expiration d’un délai de deux mois, procède au mandatement d’office.
Par ailleurs, la loi du 16 juillet 1980 avait mis en place un système d’injonctions éventuellement assorties d’astreintes en vue de contraindre l’administration à prendre des mesures concrètes visant à assurer le respect de la chose jugée. Toutefois à l’époque, seul le Conseil d’Etat était compétent pour prononcer ces mesures. En outre, la section du rapport et des études ne pouvait être saisie qu’a posteriori, c’est-à-dire après que l’inexécution du jugement a été constatée. La loi du 16 juillet 1995 a permis une évolution sur ces deux points. D’une part, elle a déconcentré le pouvoir de prononcer des injonctions et des astreintes au niveau des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel pour les jugements rendus par eux. D’autre part, elle a introduit un mécanisme d’injonctions a priori, c’est-à-dire accompagnant le jugement condamnant l’administration. Ces solutions s’appliquent à la fois dans le contentieux de l’excès de pouvoir et dans le contentieux de pleine juridiction.
Désormais, le Code de justice administrative permet ainsi aux juridictions à compétence générale, d’ordonner dans la décision elle-même les mesures d’exécution que celle-ci implique, assorties, le cas échéant, d’une astreinte (CJA, art L. 911-3).
Ce mécanisme permet tout d’abord à la juridiction, lorsque sa décision implique nécessairement que soit prise « une mesure d’exécution dans un sens déterminé », lorsqu’elle est saisie de conclusions dans ce sens, de prescrire, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution (CJA, art. L. 911-1). Le juge de l’exécution devra alors prendre en compte la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision (CE, 4 juillet 1997, requête numéro 156298, Bouzerak : Rec. p. 278 ; AJDA 1997. 584, chron. Chauvaux et Girardot RFDA 1997, p. 815, concl. Abraham ; RDP 1998, p. 271, note Waschmann), alors qu’il se place à la date de la décision contestée lorsqu’il statue sur un recours pour excès de pouvoir.
Exemples :
– CE, 28 juillet 2000, requête numéro 204024, Association France nature environnement (Rec. p.322 ; Collectivités-Intercommunalité 2000, 307) : le Conseil d’Etat enjoint au Premier ministre de prendre dans un délai de six mois un décret fixant la liste des communes soumises à la loi littoral dans les estuaires.
– CAA Paris, 24 octobre 2006, requête numéro 04PA00716,Mme. Gisèle X. : après avoir annulé le jugement du tribunal administratif rejetant une demande d’annulation d’une décision de refus de délivrance d’un titre de séjour, la cour enjoint à l’autorité compétente la délivrance à Mlle X, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».
– CAA Nancy, 24 mars 2005, requête numéro 03NC00869, requête numéro 04NC00925, Commune de Clouange c. Schutz (AJDA 2005, p.1684, note Janicot ; LPA 2006, n° 152, note Tifine): les juges annulent la décision du maire de la commune qui avait refusé de faire publier un article de l’opposition dans le bulletin municipal d’information et enjoignent à la commune de publier l’article rédigé par les conseillers de l’opposition si, le bulletin d’information devant être à nouveau édité, elle est saisie d’une demande en ce sens.
De même, lorsque la décision juridictionnelle implique que l’autorité administrative prenne une mesure, parmi plusieurs solutions, le juge, lorsqu’il est saisi de conclusions dans ce sens, a la possibilité de lui enjoindre de prendre cette mesure dans un délai déterminé. Ainsi, le pouvoir de l’administration de choisir entre plusieurs solutions légales est respecté, mais il lui est imposé de décider rapidement (CJA, art. L. 911-2).
Exemple :
– CE, 31 janvier 2005, requête numéro 267600, Charkaoui c. Préfet de la Seine-saint-Denis : il appartient au juge administratif, lorsqu’il prononce l’annulation d’un arrêté de reconduite à la frontière et qu’il est saisi de conclusions en ce sens, d’user des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 911-2 du Code de justice administrative, pour fixer le délai dans lequel la situation de l’intéressé doit être réexaminée, au vu de l’ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen.
Par ailleurs, lorsque le juge administratif a déjà rendu une décision sans prononcer d’injonction, le bénéficiaire de cette décision peut le saisir une nouvelle fois en vue qu’il assure l’exécution de cette décision en prononçant une injonction éventuellement assortie d’astreintes (CJA, art. L. 911-4 et L. 911-5). Dans cette hypothèse, il est également possible de saisir ce juge après que des injonctions a priori ont été prononcées à l’occasion du jugement condamnant l’administration. Si des mesures d’exécution ont déjà été prescrites, « dans l’hypothèse où elles seraient entachées d’une obscurité ou d’une ambigüité », le juge de l’exécution peut en préciser la portée (Conseil d’Etat, SSR, 23 mars 2015, Veysset, requête numéro 366813, publié au recueil). Surtout, le juge peut édicter de nouvelles mesures en se plaçant à la date de sa décision, mais à condition de ne pas remettre en cause les mesures d’exécution déjà prescrites, « ni méconnaître l’autorité qui s’attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l’exécution lui est demandée ». En d’autres termes, il ne saurait rectifier des erreurs de droit ou de fait dont serait entaché le jugement, ces questions devant nécessairement être tranchées dans le cadre des voies de recours.
Enfin, si le pouvoir d’injonction est étroitement encadré par les textes, il existe deux hypothèses, en dehors du référé liberté et des injonctions d’instruction, dans lesquelles le Conseil d’Etat utilise ce pouvoir, en dehors de l’application des articles L. 911-1 et suivants du Code de justice administrative.
Tout d’abord, dans son arrêt du 21 mars 2011, Ville de Béziers, dit « Béziers II » (requête numéro 304806, préc.) le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour le cocontractant de l’administration de contester une décision de résiliation devant le juge du contrat, lequel pourra décider la reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, le cas échéant en ajoutant une indemnité.
Ensuite, le Conseil d’Etat a récemment admis que la victime d’une carence fautive de l’administration peut, dans le cadre d’un recours indemnitaire, demander au juge administratif non seulement la réparation des préjudices qu’elle a subis en raison de cette carence mais également d’enjoindre à l’administration de prendre les mesures pour y mettre fin (CE, 27 juillet 2015, Commune d’Hébuterne, requête numéro 367484 : Rec. p. 285 ; AJCT 2016, p. 48, obs. Defix ; AJDA 2015, p. 2277, note Perrin ; JCP A 2015, act. 723, obs. Langelier). D’un point de vue pragmatique, l’intérêt de cette solution est évident. En effet, la victime ne se retrouve plus contrainte d’exercer un recours pour excès de pouvoir contre la décision à l’origine de ce comportement ou le refus d’y mettre fin, en assortissant ce recours d’une demande d’injonction.
Section IV – Voies de recours
L’article L. 4 du Code de justice administrative définit comme principe que « sauf dispositions législatives spéciales, les requêtes n’ont pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par la juridiction ». Cette règle, qui découle du privilège du préalable, s’applique notamment en matière d’appel, ce qui constitue un point de différence notable avec la procédure civile.
Les deux principales voies de recours sont l’appel et la cassation. Elles coexistent avec des voies de recours spéciales.
§I – Recours en appel
L’appel doit être formé dans un délai de deux mois contre les jugements rendus en premier ressort, devant une cour administrative d’appel ou devant le Conseil d’Etat (CJA, art. R. 811-2). Ce délai court contre toute partie à l’instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 du Code de justice administrative. Il a un effet dévolutif, ce qui signifie que le juge d’appel est saisi de l’ensemble du litige et qu’il va juger une seconde fois avec les mêmes pouvoirs que le premier juge. Il s’agit d’une conséquence du principe de double degré de juridiction.
Toutefois, la mission du juge d’appel ne se limite pas à cette fonction. En effet, le juge d’appel, selon l’expression du professeur Chapus (Droit du contentieux administratif, Montchrestien, ouv. précité, p.1199), exerce deux missions complémentaires : il juge le jugement et il rejuge le litige.
En effet, d’une part, il vérifie la régularité externe de la décision rendue. Sur ce point, les irrégularités peuvent concerner une erreur sur la compétence, c’est-à-dire des hypothèses dans lesquelles les premiers juges se sont déclarés à tort compétents ou incompétents. L’erreur peut également porter sur la recevabilité du recours, par exemple lorsque la demande du requérant a été présentée après l’expiration du délai de recours contentieux. Peuvent également être sanctionnées des irrégularités dans la composition de la formation de jugement, la violation du principe du contradictoire, etc.
D’autre part, le juge d’appel rejuge le litige, c’est-à-dire qu’il va connaître de l’ensemble des éléments de droit et de fait qui ont déjà été soumis aux premiers juges.
A partir de là plusieurs cas de figure sont susceptibles de se présenter.
Le juge d’appel peut d’abord estimer que la première décision est régulière. Il fait alors jouer l’effet dévolutif de l’appel et rejuge l’affaire sur le fond.
Il peut ensuite estimer que le premier jugement est irrégulier, ce qui va conduire à son annulation. Dans une telle hypothèse, le juge d’appel dispose d’une alternative.
Il peut d’abord choisir de renvoyer l’affaire aux premiers juges, puisque cette solution est la seule qui permette de respecter la règle du double degré de juridiction. En effet, l’annulation du premier jugement a un effet rétroactif, ce qui fait que ce jugement est censé n’être jamais intervenu. Par conséquent, si le juge d’appel statue sur le fond du litige, il n’aura été régulièrement jugé qu’une seule fois.
Il peut toutefois évoquer le litige et statuer sur le fond, cette solution paraissant conforme à l’idée de bonne administration de la justice qui suppose qu’une procédure juridictionnelle aboutisse dans des délais raisonnables. En outre, dans un tel cas, la dérogation apportée au principe de double de degré de juridiction est généralement limitée. En effet si, en droit, le premier jugement est censé n’avoir jamais existé, dans les faits, les premiers juges ont déjà néanmoins connu de l’ensemble des éléments de fait et de droit du litige. Ceci étant, cette observation n’est pas valable dans les cas où les premiers juges ont rendu un jugement d’incompétence ou déclarant irrecevable le recours. Dans cette hypothèse, en effet, en cas d’évocation, le fond de l’affaire ne sera abordé pour la première fois qu’en appel.
Il se pose alors la question de savoir ce qui va conduire le juge d’appel à choisir l’une ou l’autre de ces solutions.
Dans certaines hypothèses, le juge d’appel a l’obligation d’utiliser la technique de l’évocation après avoir annulé le premier jugement. C’est le cas, notamment, en matière de contentieux des contraventions de grande voirie, ce qui va permettre que les poursuites soient jugées le plus rapidement possible (CE, 14 juin 1967, Nouveau syndicat intercommunal de la vallée d’Orge, Rec. p.905). Cette solution est manifestement inspirée des principes généraux de la procédure pénale qui obligent le juge à évoquer le litige. Toutefois, elle n’a pas été étendue aux autres contentieux répressifs relevant de la compétence des juridictions administratives.
Hormis ces rares hypothèses, le principe retenu est que le juge d’appel est pratiquement libre d’évoquer l’affaire ou de la renvoyer aux premiers juges. Pour que l’évocation soit possible, il suffit que la juridiction d’appel soit saisie de conclusions des parties – c’est-à-dire de demandes – tendant à ce qu’elle statue sur le fond. Cette restriction est liée à l’idée que le juge ne peut pas statuer ultra petita, c’est-à-dire au-delà de ce que demandent les parties. Toutefois, cette règle est appréciée très souplement par la jurisprudence : celle-ci n’exige pas, en effet, que l’une des parties demande expressément au juge d’évoquer. Il suffit simplement que l’appelant ou l’intimé soulèvent devant le juge d’appel une question touchant au fond du litige. Par conséquent, l’évocation n’est impossible que dans les cas, extrêmement rares, ou les parties ne discutent en appel que de la régularité du premier jugement.
Il n’existe plus d’autres limites à la faculté d’évoquer depuis l’arrêt de Section Dlle Bloc’h du 22 mai 1981 (Rec. p.236 ; AJDA 1982, p.166, concl. Costa). Avant le revirement provoqué par cet arrêt, la jurisprudence soumettait la faculté d’évoquer à l’obligation que l’affaire soit en l’état d’être jugée. En d’autres termes, pour que le juge d’appel puisse évoquer, il fallait qu’il soit en mesure de statuer immédiatement, sans qu’il lui soit nécessaire de prescrire des mesures d’instruction ni de mettre en cause de nouvelles parties qui ne l’avaient pas été devant les premiers juges.
§II- Recours en cassation
Alors que la compétence d’appel appartient aux cours administratives d’appel et au Conseil d’Etat, celle de juge de cassation n’appartient qu’au Conseil d’Etat, juridiction suprême de l’ordre administratif. Il convient d’examiner la question de l’exercice du recours en cassation, avant d’évoquer les moyens de cassation et la décision du juge de cassation.
I- Exercice du recours en cassation
Le recours en cassation est ouvert de plein droit contre toutes les décisions des juridictions administratives, ce qui veut dire que ce recours est ouvert même si aucun texte ne le prévoit, sauf pour ce qui concerne les décisions du Conseil d’Etat et des juges statuant en premier ressort dans les cas où leurs décisions peuvent faire l’objet d’un appel.
Ce principe a été dégagé par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée d’Aillières du 2 février 1947 (Rec. p. 50 ; RDP 1947, p. 68, concl. Odent, note Waline ; JCP G 1947, II, 3508, note Morange). Après avoir décidé que les jurys d’honneur sont des juridictions administratives, il se posait la question dans cette affaire de savoir si leurs décisions pouvaient être attaquées. Or, la loi instituant les jurys d’honneur se bornait à préciser que leurs jugements ne sont susceptibles d’aucun recours. Pour le Conseil d’Etat, cette disposition ne pouvait être interprétée « en l’absence d’une volonté contraire clairement manifestée » par le législateur, « comme excluant le recours en cassation devant le Conseil d’Etat ». Par conséquent, le recours en cassation est en principe ouvert, sauf dans les cas où il est expressément exclu par le législateur.
Toutefois, pour qu’un jugement fasse l’objet d’un examen par le juge de cassation, il doit passer par le filtre de la procédure préalable d’admission prévu à l’origine par l’article 11 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, cette procédure étant exercée non plus, comme cela était le cas à l’origine, devant une commission spéciale, mais devant chacune des chambres depuis le décret n°97-1177 du 24 décembre 1997 (CJA, art. R. 822-1 s.). La non-admission doit être justifiée soit par l’irrecevabilité du recours, soit par l’absence de moyens sérieux dans le pourvoi (CJA, art. L. 822-1). Elle n’est susceptible que d’un recours en rectification d’erreur matérielle ou d’u recours en révision (CJA, art. R. 822-3).
Pour être recevable, le recours en cassation doit être exercé dans un délai qui est en principe de deux mois à compter de la notification régulière de la décision contestée (CJA, art R. 821-1 s.). Le ministère d’un avocat aux conseils est en principe obligatoire (CJA, art. R.821-3 s.).
II- Moyens de cassation
Le régime de la cassation est inspiré par les règles applicables dans l’ordre judiciaire : l’idée principale est que le juge de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction. Il ne rejuge donc pas de l’intégralité du litige. Ce qui lui est soumis, ce sont uniquement des questions de droit et non pas des questions de fait. Par conséquent, et sauf exceptions, les questions de fait selon l’expression consacrée « relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond ».
Le contrôle de cassation porte sur la régularité externe des jugements qui précède l’examen de leur régularité interne.
A- Contrôle de la régularité externe des jugements
La violation des règles de compétence, de procédure et de forme est susceptible de provoquer la cassation des jugements attaqués devant le Conseil d’Etat.
Exemple :
– CE, 16 mars 1998, requête numéro 139738, Ruggiu (Rec. p.89 ; Droit adm. 213, obs. R.S.) : en se bornant à regarder les faits reprochés à un entrepreneur comme constitutifs d’une faute assimilable à une fraude ou à un dol sans rechercher leur caractère intentionnel et sans se prononcer sur la gravité de leurs conséquences, la cour administrative d’appel a insuffisamment motivé sa décision qui est cassée par le Conseil d’Etat.
– CE, 8 juillet 1983, requête numéro 31170, Association gestionnaire de l’école Violet : Rec. p. 304 : la décision du conseil supérieur de l’éducation nationale, qui, tout en faisant état des améliorations apportées ou projetées au fonctionnement de l’école d’électricité et de mécanique industrielle dite école Violet, lui retire la faculté de délivrer des diplômes d’ingénieurs, est entachée tout à la fois d’insuffisance et de contradiction de motifs et encourt l’annulation.
B- Contrôle de la régularité interne des jugements
Du point de vue du contrôle de la régularité interne des jugements, le juge de cassation contrôle l’existence d’une erreur de droit, d’une erreur de fait et d’une erreur sur la qualification juridique des faits.
1° Contrôle de l’erreur de droit
Il y a erreur de droit lorsque les juges du fond ont mal appliqué un texte où mal apprécié la portée de règles jurisprudentielles.
Exemple :
– CE Sect., 5 juillet 1991, requête numéro 108826, Société Mondial auto (Rec. p. 272 ; RDP 1992, p. 557 ; RFDA 1991, p. 949, concl. Gaeremynck) : les juges d’appel refusent de faire bénéficier une société d’une exonération fiscale concernant des installations de magasinage, au motif que celles-ci ne sont pas exclusivement réservées au magasinage. L’arrêt est cassé par le Conseil d’Etat qui relève que le texte qui prévoit l’exonération n’a pas posé une telle restriction à sa mise en œuvre.
De même, il y a erreur de droit lorsque les juges du fond ont appliqué un texte ou un principe inapplicable, ou au contraire lorsqu’ils ont écarté l’application d’un texte ou d’un principe applicable.
Exemple :
– CE, 9 mai 2001, requête numéro 210944, Entreprise de transports personnelle Freymuth (préc.) : le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, ne trouve à s’appliquer, dans l’ordre juridique national, que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, en rejetant la demande de l’entreprise au motif que les conditions d’application du principe de confiance légitime n’étaient pas réunies, alors qu’il était en réalité inapplicable, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
2° Contrôle de l’erreur de fait
Il y a erreur de fait lorsque les faits pris en considération par les juges du fond et qui conditionnent l’issue du litige n’existent pas. Cet élément est contrôlé par le Conseil d’Etat alors que selon la Cour de cassation, la matérialité des faits relève de « l’appréciation souveraine des juges du fond » (Cass. Ch. Réunies, 2 février 1808, S. 1908, I, p.183).
Cette solution a été retenue à l’occasion de l’arrêt Moineau du 2 février 1945 (Rec. p. 27). Les juges distinguent, dans cette affaire, la matérialité des faits qui est contrôlée, de l’appréciation juridique des faits qui ne l’est pas. Il a été jugé dans cette affaire « qu’il ne ressort pas des pièces du dossier au vu duquel a statué la chambre de discipline de l’ordre national des médecins que sa décision soit fondée sur des faits matériellement inexacts ». Les juges relèvent ensuite que « l’appréciation que la chambre de discipline a faite de la valeur de certaines méthodes pratiquées par le sieur Moineau échappe au contrôle du juge de cassation… compte tenu de cette appréciation souveraine, les actes reprochés au requérant étaient de nature à motiver le refus de son inscription au tableau de l’ordre des médecins ».
Il est très rare, en pratique, qu’un jugement fasse l’objet d’une cassation pour erreur de fait.
Exemple :
–Conseil d’Etat, SJS, 5 juillet 2013, Sakkriou, requête numéro 367316, inédit au recueil : le juge des référés avait rejeté la requête du requérant comme manifestement irrecevable au motif que la copie de la requête tendant à l’annulation des décisions litigieuses n’était pas jointe à la requête à fin de suspension. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la copie du recours en annulation était au nombre des pièces jointes à la demande de suspension, conformément à l’inventaire annexé à cette demande. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que le juge des référés s’est fondé sur des faits matériellement inexacts.
3° Contrôle de la qualification juridique des faits
Le Conseil d’Etat censure les juges du fond qui ont improprement décidé que les faits dont ils ont à connaître rentrent dans une catégorie juridique donnée, ce qui se justifie par le fait qu’une telle erreur influe directement sur les règles appliquées.
Exemple :
– Le comportement d’un agent public est qualifié de faute de service par les premiers juges. Cette décision sera cassée si le Conseil d’Etat estime que ces faits sont constitutifs d’une faute personnelle.
Ceci étant, la notion de qualification juridique des faits est très délicate à aborder. En effet, on se situe ici à la frontière entre les questions de droit et celles de fait, le pouvoir du juge de cassation étant borné par « l’appréciation souveraine des juges du fond ». Ceci signifie que le juge de cassation, s’il peut contrôler l’existence des faits, ne contrôle pas en principe leur appréciation par les juges du fond (CE, 2 février 1945, Moineau, préc.).
Toutefois, ce dernier principe souffre d’une exception qui concerne les cas où le juge d’appel a dénaturé les faits qui lui ont été soumis, c’est-à-dire lorsqu’il a donné une interprétation des faits fausse ou tendancieuse (CE Ass., 4 janvier 1952, Simon : Rec p.13, concl. Letourneur). Même si elle s’en rapproche, cette hypothèse ne doit pas être confondue avec celle de l’erreur de fait : il y erreur de fait en cas d’inexactitude des faits, alors que la dénaturation résulte d’une erreur d’analyse des faits par les juges du fond qui le conduisent à en faire une interprétation erronée.
Exemple :
– CE, 3 décembre 1975, requête numéro 98671, Bové : le Conseil d’Etat est saisi d’un recours en cassation dirigé contre une décision de la commission des objecteurs de conscience. L’article 41 de la loi du 10 juin 1971 portant Code du service national prévoyait que « les jeunes gens qui, avant leur incorporation, se déclarent en raison de leurs convictions religieuses ou philosophiques, opposés en toute circonstance à l’usage personnel des armes » peuvent bénéficier du statut d’objecteur de conscience. En l’espèce, le requérant s’était réclamé de la non-violence et avait notamment déclaré « les méthodes non violentes sont incompatibles avec les concepts actuels de défense ». Par suite, en affirmant que cette requête consiste en une simple « critique de la société ainsi que de la législation relative au service national », cette juridiction a dénaturé les faits qui lui étaient soumis.
Ce problème mis à part, une difficulté majeure résulte du fait que les notions d’appréciation des faits et de qualification juridique des faits sont très proches, et qu’il n’existe pas de moyens fiables de les distinguer. En effet, comme l’expose le professeur Chapus « la notion d’appréciation des faits n’est pas susceptible de définition. Si elle est à mi-chemin entre l’opération de constatation des faits et celle de leur qualification juridique, elle est liée à la fois à la première comme à la seconde » (Droit du contentieux administratif, ouv. précité, p.1274).
Ainsi, le raisonnement du juge suivrait trois étapes chronologiques la première et la dernière étant systématiquement contrôlées, la seconde n’étant contrôlée qu’en cas de dénaturation des faits.
Dans certains cas, cette distinction est assez simple à opérer.
Exemple :
– CE, 4 octobre 1991, requête numéro 100064, Milhaud (Rec. p.320 ; AJDA 1992, p.233, obs. Théron ; RFDA 1991, p.1026) : un médecin pratique des expérimentations, ce qui relève de la constatation des faits (le juge de cassation contrôle qu’il n’y a pas d’erreur de fait). Le juge d’appel apprécie les faits et estime que l’expérimentation comportait des risques non justifiés et ne présentait aucun intérêt direct pour le patient (cet élément n’est pas contrôlé, sauf en cas de dénaturation des faits). Compte tenu de ces éléments, le juge d’appel qualifie juridiquement les faits en retenant que l’expérimentation a été réalisée en violation avec les règles du Code de déontologie, ce qui justifie une sanction (cet élément est toujours contrôlé).
En réalité, cependant, il est très difficile, dans de nombreux cas, de distinguer ce qui relève de l’appréciation des faits de ce qui relève de leur qualification juridique. Compte tenu du caractère souvent artificiel de cette distinction, le commissaire du gouvernement Hubert, dans ses conclusions sur l’arrêt de Section Salva-Couderc du 3 juillet 1998 (requête numéro 172736 : Rec. p. 297 ; AJDA 1998, p. 847, chron. Raynaud et Fombeur ; D. 1999, jurispr. p. 101, note Hostiou ; Dr. adm. 1998, 345 ; RFDA 1999, p. 112, concl. Hubert, note Bourrel ; LPA, 11 juin 1999, n° 116, p. 15, note Morand-Deviller ; RDI 1999, p. 623, chron. Morel et Hubert ; BJDU 1998, n° 5, p. 375, concl. Hubert), est même allé jusqu’à proposer la suppression de la distinction entre appréciation des faits et qualification juridique des faits. Cette proposition n’a toutefois pas été retenue, mais il faut bien constater que ce sont essentiellement des questions de politique jurisprudentielle qui conduisent le Conseil d’Etat à classer les questions qui lui sont soumises dans l’une ou l’autre de ces catégories.
L’examen du contrôle de cassation en matière de responsabilité du fait des dommages de travaux publics ou liés à l’existence d’un ouvrage public constitue une très bonne illustration de cette politique jurisprudentielle. Le régime de responsabilité appliqué dans ce domaine varie en fonction de la qualité de la victime. S’il s’agit d’un tiers, il bénéficie d’un régime de responsabilité sans faute. L’usager bénéficie, quant à lui, d’un régime de présomption. Pour ne pas être condamnée, l’administration devra apporter la preuve qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage public. Toutefois, si l’ouvrage en cause a le caractère « d’ouvrage public exceptionnellement dangereux », l’usager bénéficie d’un régime de responsabilité sans faute.
Dans l’arrêt de Section du 26 juin 1992, Commune de Béthoncourt (requête numéro 114728 : Rec. p. 268 ; RFDA 1993, p. 71, concl. le Chatelier) le Conseil d’Etat a décidé que la question de l’existence d’un défaut d’entretien normal relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. En revanche, dans un autre arrêt de Section du 5 juin 1992, Epoux Cala (requête numéro 115331 : Rec. p. 224 ; RFDA 1993, p. 68, concl. le Chatelier ; AJDA 1992, p. 650, chron. Maugüé et Schwartz), le Conseil d’Etat a estimé que la question de savoir si un ouvrage public présente un caractère exceptionnellement dangereux est une question de qualification juridique.
Comme on le voit, dans ces deux cas, la question qui se posait au juge de cassation était pourtant d’une nature identique : il s’agissait de savoir si les faits soumis aux juges du fond justifiaient ou non le déclenchement de l’un ou l’autre des régimes de responsabilité appliqués aux usagers.
La seule justification de cette différence de solutions se situe du point de vue de l’opportunité et des conséquences de la décision du juge d’appel. Dans l’affaire Commune de Béthoncourt, il s’agissait simplement de savoir s’il y avait lieu d’engager la responsabilité de l’administration. Dans l’affaire Cala, la question de l’application d’un régime de responsabilité déterminé se posait également, mais ce n’était pas la seule. Il s’agissait en effet de s’assurer que les juges du fond n’avaient pas une conception trop extensive du régime de responsabilité sans faute qui s’applique aux usagers, lequel est censé demeurer d’application exceptionnelle. Il était donc nécessaire de préserver la frontière entre le régime de responsabilité sans faute et celui de présomption de faute qui est normalement appliqué. La question présentait un enjeu qui dépasse la seule affaire Cala et nécessitait manifestement d’être contrôlée par le Conseil d’Etat.
III- Décision du juge de cassation
Le juge de cassation rejette le pourvoi en cassation ou il annule le jugement attaqué.
Dans le second cas, il dispose d’une alternative : il peut renvoyer le litige ou décider de le retenir, c’est-à-dire de juger lui-même l’affaire sur le fond (CJA, art. L. 821-2).
Lorsqu’il prononce le renvoi, le Conseil d’Etat peut renvoyer l’affaire à la même juridiction du fond qui devra statuer dans une autre formation, ou la renvoyer à une autre juridiction du fond lorsque cela est possible (c’est le cas si l’arrêt a été rendu par une cour administrative d’appel, mais cette possibilité n’existe pas lorsque la décision cassée a été prise, par exemple, par la Cour des comptes).
Dans tous les cas, le juge de renvoi a l’obligation de se conformer à la chose jugée dès le premier renvoi, contrairement à la règle qui prévaut devant les juridictions civiles (CE, 8 juillet 1904, Botta : Rec. p. 557, concl. Romieu; D. 1906, III, p.33, concl. Romieu ; S. 1905, III, p.81, note Hauriou).
Pour ce qui concerne le règlement au fond litige, il est obligatoire seulement dans le cas où le Conseil d’Etat est saisi d’un deuxième pourvoi en cassation après un premier renvoi de l’affaire et qu’il prononce une nouvelle cassation (CJA, art. L. 821-2.- V. par ex. CE, 27 octobre 2006, requête numéro 244353, Commune de Saint-Paul-en-Pareds).
Dans tous les autres cas, le règlement au fond du litige est une faculté, l’article L. 821-2 du Code de justice administrative se bornant à préciser que le Conseil d’Etat juge de cassation peut juger au fond les litiges « si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ». Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat va se comporter comme s’il était une juridiction d’appel, ce qui est logique puisqu’il se substitue à elle pour rejuger l’affaire sur le fond.
Dans la pratique, le Conseil d’Etat fait une utilisation très fréquente de la possibilité de retenir les litiges. En effet, environ 80% des arrêts de cassation sont suivis d’un jugement au fond, ce qui peut se justifier de différents points de vue.
Il peut s’agir, dans des affaires complexes, de la volonté de rendre un arrêt de principe.
De même, lorsque l’affaire se rattache à un contentieux de masse, la volonté d’éviter d’encombrer les juridictions du fond peut entrer en ligne de compte.
Enfin, dans certains cas, la solution au litige devient évidente après la cassation, sans qu’il soit besoin de rentrer dans des questions de fait.
Exemple :
– CE Sect., 28 juillet 1989, requête numéro 92631, Département des Hauts-de-Seine (Rec. p. 169 ; AJDA 1989, p. 726, obs. Prétot ; D. 1990, p. 187, note Prétot ; RTDSS 1990, p. 132, concl. Tuot ; RFDA 1989, p. 919, note Tuot) : le Conseil d’Etat casse un arrêt de la caisse centrale d’aide sociale qui mettait à la charge du département des Hauts-de-Seine certaines dépenses. Le Conseil d’Etat a estimé que cette juridiction administrative spéciale avait commis une erreur de droit et que ces dépenses incombaient, en réalité, à l’Etat. Le renvoi apparaissait inutile, puisque la solution sur le fond découlait directement de l’arrêt de cassation.
A l’opposé, s’il reste des éléments à juger, le Conseil d’Etat aura plutôt tendance à renvoyer l’affaire.
Exemple :
–CE Sect., 5 juin 1992, Cala (préc.) : le Conseil d’Etat casse l’arrêt d’appel qui avait décidé d’engager la responsabilité sans faute de l’administration, la voie publique sur laquelle l’accident à l’origine du dommage dont la réparation est demandée s’était produit n’étant pas, on l’a vu, un ouvrage public exceptionnellement dangereux. Dans cette hypothèse, le renvoi est motivé par le fait qu’il reste à décider s’il peut être mis à la charge de l’administration un défaut d’entretien normal de la voie, auquel cas sa responsabilité sera engagée dans le cadre d’un régime de présomption de faute.
§III – Voies de recours spéciales
Les voies de recours spéciales constituent non pas des voies de réformation, mais des voies de rétractation qui ont vocation à être portées devant le juge qui a rendu la décision litigieuse.
Le recours en interprétation est toutefois irréductible à cette distinction, puisqu’il ne constitue ni une voie de rétractation, ni une voie de réformation. Ce recours, qui est ouvert sauf texte contraire devant toutes les juridictions, permet de saisir la juridiction qui a déjà statué et il « n’est recevable que s’il émane d’une partie à l’instance ayant abouti au prononcé de la décision dont l’interprétation est sollicitée et dans la seule mesure où il peut être valablement argué que cette décision est obscure ou ambiguë » (CE, ord. réf., 24 novembre 2005, requête numéro 287348, Moissinac Massenat). Il peut être exercé sans condition de délai. Toutefois, l’erreur doit présenter un caractère véritablement matériel, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas conduire le juge à reconsidérer les questions de droit qui lui ont été préalablement soumises.
Exemples :
– CE, 7 novembre 1979, requête numéro 16837, Etablissements Chaumeil (RDP 1980, p.1212) : le recours en interprétation est recevable à l’encontre d’une décision qui ne mentionnait pas le point de départ des intérêts légaux produits par une indemnité.
– CAA Marseille, 16 décembre 2004, requête numéro 04MA01027, Brun : la contestation d’une méthode d’évaluation de détermination de l’assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties concernant le bien-fondé de l’arrêt de la Cour, ce moyen n’est pas recevable devant le juge de l’interprétation.
Au demeurant, le recours sera irrecevable s’il apparaît que la décision en cause n’était ni obscure ni ambigüe (CE, 13 mars 2013, requête numéro 339943, Département du Tarn-et-Garonne : Rec. tables p. 759). En particulier, il n’est pas recevable s’il a « pour objet d’obtenir la correction d’une erreur contenue dans la décision juridictionnelle en cause » (CE, 27 juillet 2016, requête numéro 388098, Duc).
Comme le recours en interprétation, l’opposition et la tierce opposition sont des voies de recours spéciales, ouvertes sauf texte contraire devant toutes les juridictions. Cependant, à la différence du recours en interprétation, elles relèvent de la catégorie des voies de rétractation.
L’opposition a pour objet de faire rétracter un jugement rendu par défaut (V. CJA, art. R. 831-1 s.). Elle est ouverte à la partie qui n’a pas produit d’observations écrites lors de l’instruction initiale et elle est recevable dans un délai de deux mois. L’article R. 831-6 du Code de justice administrative précise que les jugements et ordonnances des tribunaux administratifs ne sont pas susceptibles d’opposition. Il faut aussi relever que l’expiration du délai d’opposition, sans que cette voie de recours ne soit exercée, a pour effet de régulariser le pourvoi en cassation introduit prématurément (CE Sect., 20 novembre 1992, requête numéro : Rec. p. 417 ; AJDA 1993, p. 130, concl. Arrighi de Casanova).
La tierce opposition permet à une personne de contester le jugement qui préjudicie à ses droits (sur cette notion V. par exemple CE, 4 avril 2012, requête numéro 356401, Société Céphalon France : JCP A 2012, 2302.-Conseil d’Etat, Avis SSR, 29 mai 2015, Association Nonant Environnement, requête numéro 381560, publié au recueil : Dr. adm. 2015, 63, note Eveillard), dès lors que ni elle ni ceux qu’elle représente n’ont été présents ou régulièrement appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision (V. CJA, art. R. 832-1 s.). Le délai de recours est également de deux mois, mais à la différence de l’opposition, la tierce opposition est ouverte devant toutes les juridictions. En outre, en l’absence de notification régulière, le délai ne court pas, même si l’auteur de la tierce opposition a eu connaissance du jugement (CE, 8 janvier 1958, Consorts de Batz de Tranquelléon : Rec. p. 18.-Conseil d’Etat, SSR, 18 décembre 1987, requête numéro 60892, mentionné aux tables, Masse : Rec. tables, p. 877).
Le recours en révision présente, quant à lui, la particularité de n’être ouvert que lorsqu’un texte le prévoit expressément : c’est le cas devant le Conseil d’Etat, contre ses propres arrêts (CJA, art. R. 834-1 s.) et devant certaines juridictions administratives spéciales, comme la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes (Code des juridictions financières, L. 245-3 et art. R. 142-15). Devant le Conseil d’Etat, ce recours doit être exercé dans un délai de deux mois et il n’est recevable que dans trois hypothèses : si la décision a été rendue sur pièces fausses (sur cette notion V. Conseil d’Etat, SSR, 17 décembre 2014, requête numéro 369035, mentionné aux tables, X.) ; si la partie a été condamnée faute d’avoir produit une pièce décisive qui était retenue par son adversaire (V. par ex.,Conseil d’Etat, SSR, 1 mars 2006, Rousseau, requête numéro 271355, mentionné aux tables) ; si la décision est intervenue sans qu’aient été observées les dispositions du Code de justice administrative relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu’à la forme et au prononcé de la décision (par exemple en cas de méconnaissance de la règle selon laquelle les parties sont mises en mesure de connaître le sens des conclusions du rapporteur public avant la tenue de l’audience, V. Conseil d’Etat, SSR, 10 juillet 2013, Société Stanley international betting limited, requête numéro 357359, mentionné aux tables).
Un arrêt récent du Conseil d’Etat a étendu considérablement le champ du recours en révision. Cette extension concerne les juridictions administratives spéciales qui ne relèvent pas du Code de justice administrative et pour lesquelles aucun texte n’a prévu l’existence d’une telle voie de recours. Le recours en révision peut néanmoins être formé, en vertu d’une règle générale de procédure découlant des exigences de la bonne administration de la justice. Ceci exclut donc les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, le Code de justice administrative n’envisageant ce recours que devant le Conseil d’Etat. Ce recours est ouvert à l’égard d’une décision passée en force de chose jugée, dans l’hypothèse où cette décision l’a été sur pièces fausses ou si elle l’a été faute pour la partie perdante d’avoir produit une pièce décisive qui était retenue par son adversaire. Cette possibilité est ouverte à toute partie à l’instance, dans un délai de deux mois courant à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu’elle invoque (CE Sect., 16 mai 2012, requête numéro 331346, Serval : Rec. p. 225 ; AJDA 2012, p. 1397, chron. Domino et Bretonneau ; Dr. adm. 2012, 68, note Melleray ; JCP A 2012, 2296, note Claeys ; RFDA 2012, p 730, concl. Roger-Lacan).
Enfin, il existe deux voies de recours spéciales qui sont ouvertes même en l’absence de texte, mais devant certaines juridictions seulement : le recours en rectification d’erreur matérielle et le recours dans l’intérêt de la loi.
L’article R. 833-1 du Code de justice administrative prévoit que « lorsqu’une décision d’une cour administrative d’appel ou du Conseil d’Etat est entachée d’une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire, la partie intéressée peut introduire devant la juridiction qui a rendu la décision un recours en rectification ». Il résulte également de la jurisprudence que ce recours est ouvert « même en l’absence de texte le prévoyant » devant « toute juridiction statuant en dernier ressort » (CE Ass., 4 mars 1955, Veuve Sticotti : Rec. p.131 ; RDP 1955, p.733, concl. Jacomet). Elle peut donc être exercée devant une juridiction administrative spéciale et même devant le Tribunal des conflits (TC, 7 juin 1999, requête numéro 3158, Bergas : Rec. p. 456). Ainsi, sauf texte dérogeant à ce principe, un jugement de première instance qui comporte une erreur matérielle ne peut faire l’objet d’une correction que par la voie de l’appel. Toutefois, pour éviter autant que possible les lourdeurs de la procédure d’appel, l’article R. 741-11 du Code de justice administrative prévoit que « lorsque le président du tribunal administratif constate que la minute d’un jugement ou d’une ordonnance est entachée d’une erreur ou d’une omission matérielle, il peut y apporter, par ordonnance rendue dans le délai d’un mois à compter de la notification aux parties de ce jugement ou de cette ordonnance, les corrections que la raison commande ».
Enfin, le recours dans l’intérêt de la loi est ouvert même en l’absence de texte et sans condition de délai, mais seulement devant les juridictions souveraines (V. CE, 1er octobre 1997, requête numéro 180661, Ministre de la Défense c. Martin : Rec. p.324 ; RFDA 1997, p.1330), ce qui ne concerne – depuis la disparition de la commission supérieure des dommages de guerre et de la commission spéciale de cassation des pensions – que le Conseil d’Etat. Le recours est réservé aux seuls ministres et il a pour objet de supprimer, dans des décisions juridictionnelles, les erreurs juridiques. Il ne concerne que les jugements définitifs, à l’exception des jugements rendus par le Conseil d’Etat lui-même. Les décisions rendues dans le cadre de ce recours n’ont qu’une portée doctrinale et elles n’auront, par conséquent, aucune incidence sur la situation des parties à l’instance dans laquelle le jugement contesté a été rendu. Il s’agit exclusivement de purger le jugement de l’erreur juridique qu’il contient pour éviter que celle-ci ne se perpétue dans les décisions qui seront ultérieurement rendues.
Section V- Procédures de référé
Les procédures de référé permettent d’accélérer la procédure et d’obtenir en quelques semaines, voire en quelques jours, une décision qui n’aurait été obtenue que beaucoup plus tardivement dans le cadre d’une procédure ordinaire.
Le Code de justice administrative distingue trois grands types de référés : les référés d’urgence de droit commun, les référés de droit commun non conditionnés par l’urgence, et les référés spéciaux.
§I- Référés d’urgence de droit commun
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 il existait deux grands types de procédures d’urgence de droit commun : le sursis à exécution qui avait pour objet l’obtention de la suspension d’un acte administratif et le référé conservatoire ou référé mesures utiles, qui permettait principalement au juge de prononcer des injonctions à l’encontre de personnes privées qui refusaient de respecter des décisions administratives.
La loi du 30 juin 2000 a remplacé la procédure de sursis à exécution par une procédure de référé suspension. Si la procédure de référé mesures utiles subsiste, la loi a créé une nouvelle procédure de référé liberté qui permet notamment au juge de prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration.
Notons également que, concernant l’ensemble des référés d’urgence de droit commun, l’article L. 522-3 du Code de justice administrative permet au juge d’opérer un tri des requêtes en amont de la procédure : lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste qu’elle ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, la requête peut être rejetée par une ordonnance motivée. Lorsqu’il fait usage de ces dispositions, le juge des référés n’organisera pas d’audience publique et le principe du contradictoire n’aura pas vocation à s’appliquer.
I- Référé suspension
La procédure de référé suspension succède à l’ancienne procédure de sursis à exécution. Il conviendra d’en apprécier le champ d’application avant d’étudier ses conditions de mise en œuvre.
A- Référé suspension et sursis à exécution
La suspension de l’exécution d’une décision administrative permet de faire échec au caractère exécutoire de cette décision qui constitue, selon la formule de l’arrêt d’Assemblée Huglo du 2 juillet 1982 « la règle fondamentale du droit public » (requête numéro 25288, requête numéro 25323 : Rec. p. 257 ; AJDA 1982, p. 657, concl. Biancarelli, note Lukaszewicz ; D. 1983, chron. p. 327, Dugrip ; Dr. adm. 1982, 627). Comme on l’a vu, en effet, en droit administratif, les voies de recours ne sont pas suspensives. Pour obtenir cette mesure, l’intéressé doit assortir son recours contre la décision contestée d’une demande de suspension. Il sera ensuite statué sur cette demande selon une procédure d’urgence, avant que le recours ne soit examiné sur le fond. Il s’agit ainsi d’éviter qu’une éventuelle annulation postérieure de la mesure soit rendue inutile du fait que celle ci a été déjà exécutée, en partie ou partiellement.
Le juge des référés – qui est un juge unique (V. Code de justice administrative, art. L. 511-2) – statue par voie d’ordonnances qui peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Ce pourvoi doit être présenté dans les 15 jours de la notification de l’ordonnance.
Le régime de la suspension des décisions administratives a été assez profondément modifié par la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 sur le référé devant les juridictions administratives.
Avant cette loi, deux conditions étaient exigées dans le cadre de la procédure de sursis à exécution de droit commun : l’existence de moyens sérieux, c’est-à-dire de moyens qui jettent un doute sérieux sur la légalité de la mesure contestée ; l’exécution de la décision contestée devait entraîner des conséquences difficilement réparables.
Ces règles ont été modifiées par la loi du 30 juin 2000 qui a créé une procédure de référé suspension. Selon l’article L. 521-1 du Code de justice administrative « quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ».
B- Domaine du référé suspension
Une demande de référé suspension peut être dirigée contre l’ensemble des actes administratifs unilatéraux, qu’ils soient exprès ou implicites.
En revanche, les juges ont longtemps considéré que les décisions de rejet ne pouvaient faire l’objet d’un sursis à exécution, en application de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 23 janvier 1970, Ministre d’Etat chargé des Affaires sociales c. Amoros (requête numéro 77861 : Rec. p. 51 ; AJDA 1970, p. 174, note Delcros ; RDP 1970, p. 1035, Waline).
Cette position était justifiée par le fait que la suspension d’un acte ne serait utile qu’à l’encontre des décisions exécutoires, le caractère exécutoire des actes administratifs impliquant que l’administration peut, par ses décisions, modifier l’état du droit, créer une règle opposable aux administrés. Or, une décision de rejet ne fait généralement qu’entériner l’état du droit existant. Par conséquent, elle ne présenterait pas de caractère exécutoire, et une demande de sursis dirigée contre une telle décision serait donc sans objet.
La jurisprudence Amoros était également justifiée par le fait que, à l’époque où cet arrêt a été rendu, le juge administratif n’avait pas le pouvoir d’adresser des injonctions à l’encontre de l’administration, excepté dans le cadre de l’instruction des affaires portées devant lui (CE Ass., 28 mai 1954, Barel et a., préc.). Or, prononcer le sursis à exécution d’un acte de rejet revient à enjoindre à l’administration de prendre une décision contraire.
Exemple :
– Si le juge suspend l’exécution d’une décision rejetant une demande de permis de construire, cela revient à enjoindre à l’administration d’accorder ce permis ou au moins de réexaminer la demande.
En dépit de ces justifications, la jurisprudence Amoros était toutefois assez largement critiquée par la doctrine. D’une part, il faut en effet constater que les décisions de rejet ont des conséquences sur la situation des personnes intéressées, ne serait-ce que parce que si elles ne modifient pas leur situation juridique, elles ne leur accordent pas de droits. Ainsi, par exemple, il est difficile d’affirmer qu’une décision de rejet d’une demande d’obtention d’un permis de construire ne présente pas de caractère exécutoire. D’autre part, la législation récente a multiplié les hypothèses dans lesquelles le juge administratif s’est vu reconnaître un pouvoir d’injonction. C’est le cas de la loi n°80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public et de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
Pour toutes ces raisons, le Conseil d’Etat a finalement abandonné la jurisprudence Amoros à l’occasion de l’arrêt de Section Ouatah du 20 décembre 2000 (requête numéro 200647 : AJDA 2001, p. 146, chron. Guyomar et Collin ; RFDA 2001, p. 371 s., concl. Lamy).
Cependant, cet arrêt n’a fait qu’anticiper l’entrée en vigueur, au premier janvier 2001, de la loi du 30 juin 2000. En effet, cette loi précise expressément que les demandes de référé suspension sont recevables à l’encontre des décisions de rejet.
Exemples :
–CE, 5 décembre 2001, requête numéro 237189, Commune de Contes (BJDU 1/2002, p. 60, concl. Austry) : en application de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, le juge des référés suspend l’exécution d’un certificat d’urbanisme négatif et enjoint à l’autorité administrative de délivrer un nouveau certificat dans un délai de deux mois après réexamen de la demande.
–Conseil d’Etat, Juge des référés, 17 octobre 2014, Rigollet, requête numéro 384757, inédit au recueil (AJDA 2015 : p. 200) : l’exécution de la circulaire du 2 juillet 2014 de la ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, relative aux modalités d’attribution des bourses d’enseignement supérieur sur critères sociaux et des aides à la mobilité internationale pour l’année 2014-2015 est suspendue en tant qu’elle supprime l’aide au mérite pour les étudiants qui ne bénéficiaient pas pendant l’année universitaire 2013-2014 de cette aide. Cette solution revient à enjoindre à la ministre de verser aux étudiants concernés l’aide au mérite que la circulaire avait voulu supprimer.
C- Conditions d’obtention des mesures de suspension
Selon l’article L. 521-1 du Code de justice administrative l’obtention d’une mesure de suspension est conditionnée par la réunion de deux conditions : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Toutefois, il faut relever au préalable que même si les deux conditions sont réunies, le juge n’est pas tenu de prononcer la mesure de suspension. En effet, le texte actuellement en vigueur, qui reprend une solution qui avait déjà été consacrée par la jurisprudence dans l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 13 février 1976, Association de sauvegarde du quartier Notre-dame (requête numéro 99708 : Rec. p. 100 ; D. 1977, chron. p. 115, Pellet ; AJDA 1976, p. 300, Nauwelaers et Fabius ; RDP1976, p. 303, Drago ; Rev. adm. 1976, p. 381, concl. Morisot), précise que si ces deux conditions sont réunies, le juge « peut » prononcer la suspension de la décision contestée, ce qui implique qu’il n’est pas obligé de le faire. Cette faculté, qui a vocation à demeurer d’application « exceptionnelle » (Conseil d’Etat, SSR, 15 juin 2001, Société Robert Nioche et ses fils SA, requête numéro 230637, mentionné aux tables), s’explique par le fait que, selon la formule de l’arrêt Huglo (préc.), le caractère exécutoire des décisions administratives demeure « la règle fondamentale du droit public ».
Exemple :
–Conseil d’Etat, SSR, 15 juin 2001, Société Robert Nioche et ses fils SA, requête numéro 230637, mentionné aux tables, préc. : ne commet pas d’erreur de droit le juge des référés qui rejette une demande de suspension d’un arrêté interdisant la circulation sur un pont en jugeant que les moyens de légalité externe soulevés devant lui ne sont pas, quels que soient leurs mérites, de nature à justifier la suspension de cet arrêté, alors que n’existe aucun doute sérieux sur le fait que celui-ci repose sur des faits matériellement exacts et a été rendu nécessaire, compte tenu du mauvais état du pont, par des motifs de sécurité publique.
1° Urgence
La condition d’urgence remplace la condition tenant à l’existence d’un préjudice difficilement réparable qui était exigée dans l’ancienne procédure de référé suspension, ce qui conduit à s’interroger sur la portée de cette modification.
Il faut relever, d’une part, que si l’exécution de la décision contestée est susceptible de créer un préjudice difficilement réparable, il sera nécessairement urgent d’y mettre fin. Par conséquent, l’ancienne condition est entièrement incluse dans la nouvelle. D’autre part, si l’urgence recouvre la condition d’existence d’un préjudice difficilement réparable, l’inverse n’est pas vrai.
Ainsi, avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, les juges refusaient très fréquemment de reconnaître l’existence d’un préjudice difficilement réparable dès lors que ce préjudice pouvait être réparé ultérieurement par le versement d’une somme d’argent. Or, dans un tel cas, il peut désormais y avoir urgence à prononcer la mesure de référé suspension.
Dans l’arrêt de Section Confédération nationale des radios libres du 19 janvier 2001 (requête numéro 228815 : Rec. p. 29 ; AJDA 2001, p. 150, chron. Guyomar et Collin ; LPA 2001, n° 30, p. 10, note Chahid-Nouraï et Lahami-Depinay ; Dr. adm. 2001, 153, note L.T ; RFDA 2001, p. 378, concl. Touvet ; D. 2001, p. 1414, note Seiller ; D. 2002, p. 2220, note Vandermeeren; RDP 2002, p. 756, chron. Guettier), le Conseil d’Etat a ainsi estimé que la condition d’urgence pouvait être remplie « alors même que cette décision n’aurait un objet ou des répercussions que purement financières et que, en cas d’annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire ».
Exemple :
– CE, ord. ref., 8 mars 2001, requête numéro 230748, Association pour la protection de la population et de l’environnement des vallées de la Creuse et de la Gartempe : en matière d’expropriation, le juge avait tendance à rejeter systématiquement les demandes de suspension des arrêtés portant déclaration d’utilité publique. En effet, la mesure n’était pas considérée comme ayant des conséquences difficilement réparables puisque le Code de l’expropriation prévoit l’indemnisation ultérieure des personnes évincées. Désormais, une mesure de référé suspension contre de telles décisions peut être prononcée.
La loi du 30 juin 2000 n’a pas défini la condition d’urgence, mais ce point a été précisé par l’arrêt Confédération nationale des radios libres (préc.) selon lequel « la condition d’urgence … doit être considérée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate a un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend ».
Cette formule a été précisée par l’arrêt de Section du 28 février 2001, Préfet des Alpes-maritimes et société sud-est assainissement (requête numéro 229562 requête numéro 229563 requête numéro 229721 : AJDA 2001, p. 46 ; Collectivités-Intercommunalité 2001, 126) dont il résulte que l’urgence s’apprécie « objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce ».
C’est donc au cas par cas que sera appréciée l’urgence, ce qui explique le caractère très casuistique de la jurisprudence dans ce domaine.
Exemple :
– Comme on l’a vu, le juge des référés accepte désormais de considérer qu’il peut y avoir urgence à demander la suspension d’une déclaration d’utilité publique (CE, ord. réf., 8 mars 2001, Association pour la protection de la population et de l’environnement des vallées de la Creuse et de la Gartempe, préc.). Toutefois, les conséquences qui s’attachent à une déclaration d’utilité publique ne sont pas par elles-mêmes de nature à caractériser une situation d’urgence (CE, ord. réf., requête numéro 345466, 26 décembre 2002, Association pour la protection des intérêts de Cazaubon-Barbotan : AJDA 2003, p. 674, note Hostiou). Cependant, si les travaux sont sur le point de commencer – en tout cas s’ils sont susceptibles de débuter avant l’intervention du jugement au fond – la condition d’urgence sera en principe satisfaite (CE, 3 juillet 2002, requête numéro 245236, Commune de Beauregard-de-Terrasson, Association Alerte 89 et a. c. Société autoroutes du sud de la France : AJDA 2002, p. 751, concl. Chauvaux ; RD imm. 2003, p. 52, obs. F.D. ; Ann. de la voirie 2002, n° 72, p. 233, note Duval ; Collectivités-Intercommunalité 2002, 237, obs. Célérier).
C’est en principe au requérant d’apporter la démonstration de l’urgence, celle-ci ne pouvant découler de manière automatique du caractère irréversible d’une situation de fait. Pour certains types de décisions, cependant, l’urgence est présumée.
Il en va ainsi concernant la suspension des permis de construire (CE, 27 juillet 2001, requête numéro 230231, Commune de Tulle : RD imm. 2001, p.542, chron. Soler-Couteaux ; BJDU 2001, p.381, concl. Chauvaux) et des permis d’aménagement (CE, 3 juillet 2009, requête numéro 321634, Lelin : Rec. tables, p.992 ; AJDA 209, p.1345 ; BJDU 2009, p.285, concl. Geffray), ou encore pour les arrêtés de cessibilité (Conseil d’Etat, SSR, 5 décembre 2014, Consorts Le Breton, requête numéro 369522, mentionné aux tables : Dr. adm. 2015, 26, note Eveillard). Cependant, il ne s’agit pas de présomptions irréfragables.
Exemple :
-CE, 22 mars 2010, requête numéro 324763, Seghier (AJDA 2010, p.646, obs. Biget) : s’agissant d’un permis de construire, compte tenu de l’intérêt public qui s’attache à l’exécution de la décision litigieuse et de la faible dimension de la construction autorisée, alors que la requérante fait seulement valoir en termes généraux que cet ouvrage offrira à ses utilisateurs un point de vue sur sa propriété et pourra être source de désagréments, la condition d’urgence, qui doit s’apprécier objectivement et globalement, ne peut être regardée comme remplie.
Au demeurant, la présomption ne joue pas concernant les décisions de retrait d’un permis (CE, 30 juillet 2003, requête numéro 255368, Ministre de l’Equipement, du Transport, du Logement, du Tourisme et de la Mer : Rec. tables, p.923 ; BJDU 2003, p.411, note Maugüé, obs. J.-C B. ; Dr. Adm. 2003, 232, note C.M.) ou de sursis à statuer sur une demande de permis de construire (CE, 23 janvier 2004, requête numéro 257779, Commune de Meyreuil : BJDU 2004, p.63, concl. de Silva).
On retrouve le même type de raisonnement dans des cas où sont en cause des décisions de préemption. En effet, si le juge des référés accepte de présumer l’urgence en faveur de l’acquéreur évincé sollicitant la suspension d’une décision de préemption (CE, 23 novembre 2002, requête numéro 248851, Hourdin : Rec. p.396 ; BJDU 2002, p.460, concl. Stahl, obs. J.-C B. ; RFDA 2003, p.203 ; RDI imm.2003, p.205, obs. P. S.-C.), il refuse d’en faire bénéficier le vendeur (CE, 14 novembre 2003, requête numéro 258248, Colladant : Rec. p. 924 ; Constr.-urb. 2004, 89, note Rousseau).
2° Moyen propre à créer un doute sérieux quant à légalité de la décision
L’appréciation d’un tel moyen soulevé par le requérant doit s’opérer, précise le texte, « en l’état de l’instruction » ce qui signifie que le juge des référés doit soupeser les chances d’aboutir de la requête présentée sur le fond. Là encore, tout est question d’appréciation, le juge des référés devant déterminer au cas par cas s’il existe un doute véritablement sérieux sur la légalité de la décision.
II- Référé liberté
Le référé liberté est la grande innovation de la loi du 30 juin 2000. Cette procédure permet au juge des référés, en cas d’urgence, « d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». Le juge des référés devra alors se prononcer dans un délai de 48 heures, son ordonnance pouvant ensuite faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’Etat dans les quinze jours de sa notification. En cas d’appel, le juge des référés du Conseil d’Etat doit statuer dans un délai de quarante-huit heures.
La principale innovation de ce texte est qu’il permet au juge des référés d’ordonner toutes mesures visant à faire cesser le trouble causé par l’administration. Ceci signifie que le juge des référés se voit reconnaître, entre autres, un pouvoir d’injonction à l’encontre de l’administration : ce n’est donc pas seulement une décision qui peut être mise en cause, mais un agissement de l’administration. Ceci explique que, contrairement à la procédure de référé suspension, la recevabilité de la demande de référé liberté n’est pas subordonnée au dépôt d’un recours sur le fond.
Un pouvoir d’injonction avait été attribué au Conseil d’Etat, par la loi n°80-539 du 16 juillet 1980, puis aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel en application de la loi n°95-125 du 8 février 1995, mais seulement pour contraindre l’administration à exécuter une décision de justice. Désormais, ce pouvoir leur est reconnu pour imposer à l’administration de réparer les conséquences d’un comportement illicite. Toutefois, la possibilité ainsi reconnue est subordonnée au respect d’un certain nombre de conditions. On ne reviendra pas ici sur les rapports entretenus entre la voie de fait et la procédure de référé liberté, et sur le fait que la jurisprudence ne limite plus la compétence du juge du référé liberté aux seuls cas où l’administration a agit « dans l’exercice de ses pouvoirs ». Sont exigées les conditions suivantes : une situation d’urgence, une atteinte à une liberté fondamentale qui doit être à la fois « grave » et « manifestement illégale ».
A- Condition d’urgence
La condition d’urgence s’apprécie de façon plus restrictive dans la procédure de référé liberté que dans celle de référé suspension, comme l’a précisé une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 28 février 2003 Commune de Pertuis (requête numéro 254411 : Rec. p. 68 ; AJDA 2003, p. 1171, note Cassia et Béal ; BJCL 2003, p.606, concl. Austry ; JCP A 2003, 1584, note Quillien.- V. également CE, ord. réf., 28 mars 2008, requête numéro 314368, Commune de Raincy : Rec. tables, p.25 ; AJDA 2008, p.729 ; Constr.-urb. 2008, 87, note Février ; BJDU 2008, p.133, obs. J.-C B. ; LPA 17 avril 2009, note Le Bot ; Gaz. Pal. 4 décembre 2008, jurispr. p.16, note Graveleau).
Cette différence n’est toutefois pas radicale dans la mesure où l’urgence doit d’abord être appréciée de façon concrète et globale, comme cela est le cas pour la procédure de référé suspension en application de la jurisprudence Confédération nationale des radios libres (préc.). L’arrêt Commune de Pertuis ajoute toutefois un élément supplémentaire à cette définition : l’urgence doit être immédiate, ce qui veut dire que la situation doit rendre nécessaire l’intervention du juge des référés dans le délai de 48 heures qui lui est spécifiquement imparti dans le cadre de la procédure de référé liberté. Si la nécessité qu’il soit statué aussi rapidement n’apparaît pas, la procédure de référé liberté ne pourra être mise en œuvre.
Exemple :
– Dans l’affaire Commune de Pertuis, était en cause une délibération d’un conseil municipal modifiant le règlement intérieur de ce conseil. Cette mesure portait atteinte à la liberté d’expression, qui est une liberté fondamentale, mais la condition d’urgence propre à la procédure de référé liberté n’était pas remplie en l’espèce.
Comme en matière de référé suspension, l’urgence peut être présumée. Cette présomption n’a toutefois jusqu’alors été reconnue que lorsque le recours vise des décisions d’assignation à résidence prises dans le cadre de l’état d’urgence (Conseil d’Etat, Section, 11 décembre 2015, Domenjoud, requête numéro 395009: AJDA 2016, p. 247, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2016, 25, note Eveillard ; JCP A 2015, act. 1068, obs. Erstein ; RFDA 2016, p. 105, concl. Domino et p. 123, note Roblot-Troizier).
B- Condition d’atteinte à une liberté fondamentale
La procédure de référé liberté ne peut être utilisée qu’en cas d’atteinte à une liberté fondamentale. Si le droit de propriété n’est pas expressément visé par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, il résulte de la jurisprudence que ce droit est également protégé par la procédure de référé liberté. Enfin, il est nécessaire que l’atteinte portée à une liberté fondamentale ou au droit de propriété présente un caractère de gravité suffisant et qu’elle soit manifestement illégale.
1° Notion de liberté fondamentale
La notion de liberté fondamentale est difficile à saisir. Si, très souvent, elle se rattache à des principes de valeur constitutionnelle, certaines décisions qui font référence à des libertés fondamentales « au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative » paraissent indiquer le caractère autonome de cette notion dans le cadre de la procédure de référé liberté. Il en résulte une jurisprudence assez casuistique emprunte d’une grande subjectivité.
Ainsi, par exemple, constituent des libertés fondamentales :
– La liberté d’aller et de venir (CE, ord. réf., 9 janvier 2001, requête numéro 228928, Deperthes) ;
– Le principe du caractère pluraliste de l’expression des courants d’opinion et de pensée (CE, ord. réf., 24 février 2001, requête numéro 230611, Tibéri : Rec. p.85 ; D. 2001 p.1748, note Ghevontian ; RFDA 2001, p.629, note Malignier) ;
– Le droit constitutionnel d’asile et son corollaire, le droit de solliciter le statut de réfugié et de demeurer en France le temps nécessaire à l’examen de la demande (CE, ord. réf., 12 janvier 2001, requête numéro 229039, Hyacinthe : Rec. p.12 ; AJDA 2001, p.589, note Morri et Slama ; Droit adm. 2001, 102 ; JCP A 2001, I, 318, obs. Boiteau) ;
– Le principe de libre administration des collectivités territoriales (CE Sect., 18 janvier 2001, requête numéro 229247, Commune de Venelles et Morbelli : Rec. p.18, concl. Touvet ; D. 2002, somm. comm. p.227, obs. Vandermeeren ; D. 2001, inf. rap., p.525 ; AJDA 2001, p.153, chron. Guyomar et Collin ; RDP 2002, p.753, obs. Guettier ; LPA février 2001, n°30, note Chahid-Nouraï et Lahami-Depinay ; Droit adm. 2001, 155, obs. L.T.) ;
– La liberté d’association (TA Dijon, 2 mars 2001, Association pour les adultes et jeunes handicapés, comité de l’Yonne : AJDA 2001, p. 783, note Laidié ; Dr. adm. 2001, 153, obs. Sauvageot).
En revanche, d’autres libertés n’ont pas été considérées comme fondamentales par le juge administratif.
Exemples :
– CE, ord. réf.,22 octobre 2001, requête numéro 239194, Caillat, Maleczki et Smajlagic et Association Livry-Gargan Handball (D. 2002, somm. p.2709, obs. Lachaume) : droit de participer à une activité sportive et de concourir aux compétitions organisées par une fédération.
– CE, 29 novembre 2002, requête numéro 247518, Arakino : une mesure d’exclusion d’un élève d’un lycée pour motif disciplinaire ne peut être regardée comme portant atteinte à une liberté fondamentale.
– CE, ord. réf., 8 septembre 2005, requête numéro 247518, Garde des Sceaux c/B. (Rec. p.388) : si la protection de la santé publique constitue un principe à valeur constitutionnelle, il n’en résulte pas que le droit à la santé soit au nombre des libertés fondamentales au sens de l’art. L. 521-2 du Code de justice administrative.
2° Extension aux atteintes portées au droit de propriété
Le droit de propriété n’est pas expressément visé par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Ceci étant, certains aspects de ce droit sont indirectement protégés par cette procédure.
Exemple :
– CE, ord. réf., 23 mars 2001, requête numéro 231559, Société Lidl (préc.): une mesure de référé liberté peut être prononcée à l’encontre d’une décision portant atteinte à la libre disposition de son bien par un propriétaire.
– CE, 29 mars 2002, requête numéro 243338, SCI Stephaur (Rec. p.117 ; AJDA 2003, p.345, note Grosieux ; D. 2003, p.1114, note Martin ; JCP G 2002, I, 142, chron. Braconnier et 10179, note Zarka ; RFDA 2003, p.386, note Lequette) : il en va de même lorsque est en cause le droit du locataire de disposer librement des biens pris à bail, qui est qualifié de corollaire du droit de propriété.
Cette solution a ensuite été reprise concernant les atteintes au droit de propriété publique qui a été expressément qualifié de liberté fondamentale par le Conseil d’Etat (CE, ord. réf., 9 octobre 2015, requête numéro 393895, Commune de Chambourcy : AJDA 2015, p. 1888, obs. Pastor et AJDA 2015, p. 2388, note Foulquier ; Dr. adm. 2016, 2, note Cornille ; JCP A 2015, 2360, note Pauliat).
C- Gravité de l’atteinte portée à une liberté fondamentale
L’atteinte à la liberté fondamentale doit être grave, ce qui doit être apprécié au cas par cas par le juge des référés.
Exemples :
– CE Sect., 30 octobre 2001, requête numéro 238211, Dame Tliba (AJDA 2001, p. 1055 ; RFDA 2002, p. 324, concl. de Silva ; JCP G 2002, IV, 2468, obs. Rouault) : la condition de gravité de l’atteinte portée à la liberté de vivre avec sa famille par une décision d’expulsion doit être regardée comme remplie si trois éléments sont présents : la mesure contestée doit pouvoir faire l’objet d’une exécution d’office par l’autorité administrative ; elle ne doit pas être susceptible de recours suspensif devant le juge de l’excès de pouvoir ; elle doit faire directement obstacle à la poursuite de la vie en commun des membres d’une famille. Doit ainsi faire l’objet d’une mesure de suspension, « une mesure d’expulsion du territoire français, susceptible d’une exécution d’office, s’opposant au retour en France de la personne qui en fait l’objet, et prononcée à l’encontre d’un ressortissant étranger qui justifie qu’il mène une vie familiale en France ».
– CE, ord. réf., 2 mai 2001, requête numéro 232997, Ministre de l’Intérieur c. Dziri (D. 2001, p. 3478, note Julien-Laferrière ; JCP G 2001, I, 344, obs. Ondoua) : était en cause en l’espèce une demande d’asile qui avait été rejetée par l’administration. Il y avait donc atteinte à une liberté fondamentale. Cependant, cette requête aurait dû être présentée devant un autre Etat, l’administration ne faisant ici que rejeter la possibilité que lui ouvrent les textes de traiter elle-même la demande. L’existence de ce qui est, non pas une obligation, mais une simple faculté, explique que l’atteinte à la liberté fondamentale n’est pas assez grave pour que soit prononcée une mesure d’urgence.
– CE, ord. réf., 3 mai 2005, requête numéro 279999, CFTC : la liberté du salarié de ne pas être astreint à accomplir un travail forcé est une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Cependant, pour la mise en œuvre des dispositions de cet article, le degré de gravité que peut revêtir une mesure affectant la liberté du travail doit prendre en compte les limitations de portée générale apportées à cette liberté qui ont été introduites par le législateur pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations du travail notamment sur la durée du travail, les jours fériés et les congés. La demande du requérant, qui tendait à ce que soit enjoint au ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale de suspendre l’exécution de la « journée de solidarité » fixée au lundi de Pentecôte est donc rejetée.
D- Caractère manifestement illégal de l’atteinte portée à une liberté fondamentale
Le référé liberté est conçu comme une procédure d’exception. Ainsi, l’existence d’une simple illégalité ne suffit pas à permettre sa mise en œuvre. Cette illégalité doit en effet présenter un caractère manifeste.
Exemple :
– CE, ord. réf., 8 septembre 2005, requête numéro 284803, Garde des Sceaux (JCPA, act. 568, obs. Rouault) : le consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont prodigués ainsi que le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui est une liberté fondamentale. Cependant, l’installation d’un détenu atteint d’un cancer du myocarde, avec deux non-fumeurs et un fumeur qui « s’efforce de ne pas fumer en cellule par égard pour ses voisins », n’est pas manifestement illégale.
Il résulte également de la jurisprudence du Conseil d’Etat que n’est pas manifeste, au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, l’illégalité susceptible d’entacher une décision prise sur le fondement de dispositions comportant une ambiguïté.
Exemple :
-CE, ord. réf., 18 mars 2002, requête numéro 244081, GIE Sport libre (JCP G 2002, I, 142, chron. Boiteau) : est en cause en l’espèce une décision de la ligue nationale de football de lancer une procédure d’appel d’offres pour la commercialisation des droits radiophoniques relatifs aux compétitions qu’elle organise. Il s’agit de déterminer si la commercialisation de ces droits est conforme aux dispositions de la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation des activités sportives qui prévoit la possibilité de percevoir des droits d’exploitation. Pour les requérants, ce texte ne s’applique qu’aux retransmissions télévisuelles la loi se référant à la commercialisation « d’images ». Le juge relève cependant que le texte est ambigu puisqu’il se réfère également aux « services de communication audiovisuelle » ce qui peut donc également concerner les radios. Compte tenu de cette ambiguïté, l’illégalité susceptible d’entacher la décision contestée n’est pas manifeste.
Enfin, dans une ordonnance Diakité du 16 juin 2010 (requête numéro 340250, 16 juin 2010 : AJDA 2010, p. 1355, chron. Liéber et Botteghi, note Le Bot ; Constitutions 2010, p.399, obs. Barthélemy et Boré ; JCP A 2010, ac. 510 ; JCP 2010, 739, note Cassia ; Procédures 2010, 332, obs. Deygas ; RTDE 2010, p.975, chron. Ritleng, Kovar et Bouveresse), le juge du référé liberté du Conseil d’Etat a considéré qu’une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant lui. Il peut, dans cette hypothèse, rejeter la requête pour défaut d’urgence, irrecevabilité ou incompétence de la juridiction administrative. S’il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l’un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer sur la transmission de la QPC. Il peut aussi prendre immédiatement toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. A ce stade, il ne s’agit toutefois pas de paralyser l’action du législateur, mais uniquement de vérifier si l’administration ne méconnaît pas la loi de façon grossière. Ce n’est qu’après la réponse du Conseil constitutionnel à la QPC qu’il appartiendra au juge des référés d’en tirer toutes les conséquences (Conseil d’Etat, Section, 11 décembre 2015, Domenjoud, requête numéro 395009, préc.).
Par ailleurs, il avait été jugé que, eu égard à l’office du juge du référé liberté, un moyen tiré de l’incompatibilité de dispositions législatives avec les règles du droit de l’Union européenne n’est de nature à être retenu qu’en cas de méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit de l’Union (Conseil d’Etat, ord. réf., 16 juin 2010, requête numéro 340250, Diakité : préc.). Dans une autre décision, très médiatique, le Conseil d’Etat avait également décidé d’ignorer l’interdiction de connaître en référé d’un moyen tiré de l’incompatibilité de la loi Leonetti avec les stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme (Conseil d’Etat, Assemblée, 24 juin 2014, Mme Lambert et autres, requête numéro 375081, 375090, 375091 : Rec. p. 175, concl. Keller ; AJDA 2014, p. 1669, note Truchet ; JCP G 2014, 825, note Vialla ; RFDA 2014, p. 657, concl., p. 702, note Delvolvé.- V. également Conseil d’Etat, Section, 11 décembre 2015, Domenjoud, requête numéro 395009, préc.). De même, le juge du référé liberté acceptait de connaître d’un moyen tiré de l’incompatibilité d’une loi à un traité international lorsqu’un juge ne statuant en référé s’était déjà prononcé sur ce point (Conseil d’Etat, Juge des référés, 21 octobre 2005, Association aides et autres, requête numéro 285577, publié au recueil. : Rec. p. 438 ; AJDA 2006, p. 944, note Rihal.).
Toutefois, en dehors de ces hypothèses, le principe retenu a longtemps été qu’un moyen tiré de la contrariété de la loi à des engagements internationaux n’est pas, en l’absence d’une décision juridictionnelle ayant statué en ce sens, rendue soit par le juge saisi au principal, soit par le juge compétent à titre préjudiciel, susceptible d’être pris en considération. Cette solution, qui est d’abord apparue dans le contentieux du référé suspension (CE, 30 décembre 2002, requête numéro 240430, Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement c/ Carminati : Rec. p. 510 ; AJDA 2003, p. 1065, obs. Le Bot) avait ensuite été transposée dans le cadre du référé liberté (Conseil d´Etat, 9 décembre 2005, Mme A, requête numéro 287777 : Rec. p. 562 ; AJDA 2006, p. 1875, étude Girardot). Toutefois, cette solution a été abandonnée à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Mme. A. du 31 mai 2016 (Conseil d’Etat, Assemblée, 31 mai 2016, Gonzalez-Gomez, requête numéro 396848). Désormais, en effet, le juge du référé liberté « eu égard à son office, qui consiste à assurer la sauvegarde des libertés fondamentales » peut prendre en cas d’urgence « toutes les mesures qui sont de nature à remédier aux effets résultant d’une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale, y compris lorsque cette atteinte résulte de l’application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements ».
III- Référé mesures utiles
L’article L. 521-3 du Code de justice administrative prévoit que « en cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ».
Cette procédure, qui avait été instituée par l’ordonnance du 31 juillet 1945 relative à l’organisation du Conseil d’Etat, a été reprise, dans ses grandes lignes, par la loi du 30 juin 2000. Elle permet au juge de prendre une grande variété de décisions, mais sa mise en œuvre est soumise au respect de conditions précises.
A- Mesures prononçables
Comme l’expose M. Chapus, les mesures prononcées par le juge des référés dans le cadre de la procédure de référé mesures utiles « ont pour objet de prévenir la survenance ou l’aggravation d’une situation dommageable, la prolongation d’une situation illicite, ou d’assurer la protection des droits et intérêts d’une partie ou de sauvegarder l’intérêt général » (Contentieux administratif, Montchrestien, ouv. précité, p.1404).
Elles consisteront, en général, en des injonctions prononcées à l’encontre de personnes privées, éventuellement assorties d’astreintes.
Exemples :
– CE Sect., 13 juillet 1956, Office HLM de la Seine (Rec. p.343, concl. Chardeau ; AJDA 1956, II, p. 312, concl. Chardeau et p. 398, chron. Fournier et Braibant ; RDP 1957, p. 296, note Waline) : le juge ordonne à un entrepreneur de travaux publics de rapporter les matériels qu’il a retirés d’un chantier où il travaillait.
Fréquemment ces injonctions pourront être prononcées à l’encontre d’occupants sans titre du domaine public.
Exemple:
– TA Grenoble, ord. réf., 20 Mars 2006, requête numéro 0601123, Université Joseph Fourier, Université Pierre Mendès France, Université Stendhal (AJDA 2006, p. 629, obs. Brondel) : le juge enjoint aux personnes occupant les trois universités grenobloises « de mettre fin au blocage de l’accès à ces bâtiments et de libérer les lieux sans délai ». L’occupation « qui ne permet plus aux personnels enseignants et administratifs comme aux étudiants d’accéder aux locaux fait obstacle au fonctionnement régulier et continu du service public … elle met en cause la sécurité des bâtiments qui n’est plus assurée par des personnes qualifiées ».
Plus rarement, les injonctions seront prononcées à l’encontre de personnes publiques.
Exemple :
– CE Sect., 6 février 2004, requête numéro 256719, Masier (Rec. p.45 ; RDP 2005, p.521, obs. Guettier ; RFDA 2004, p.1170, concl. Stahl ; Collectivités-Intercommunalité 2004, 92, obs. Pelissier ; JCP A 2004, 1180, obs. Noguellou ; Dr. adm. 2004, 221) : le juge peut, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, et alors que des travaux étaient en cours malgré un référé suspension, suivi de l’annulation du permis construire, enjoindre à l’administration de procéder à un procès-verbal, de prononcer l’interruption desdits travaux et de transmettre copie dudit procès-verbal au procureur de la République.
B- Conditions
Le juge des référés est susceptible de prononcer une mesure conservatoire lorsque trois conditions sont réunies : il faut qu’il y ait une situation d’urgence, que la mesure requise soit utile et qu’elle ne fasse pas échec à l’exécution d’une décision administrative.
1° Urgence
Il est nécessaire, tout d’abord, qu’il y ait urgence, c’est-à-dire que le comportement litigieux soit de nature à créer une situation dommageable ou une situation dangereuse difficilement réversible.
Exemples :
– CE Sect., 18 juillet 2006, requête numéro 283474, Elissondo Labat (Rec. p. 369 ; AJDA 2006, p. 1839, chron. Landais et Lenica ; RFDA 2007, p. 314, concl. Chauvaux) : en vue de « prévenir ou faire cesser un dommage dont l’imputabilité à des travaux publics ou à un ouvrage public ne se heurte à aucune contestation sérieuse », le juge des référés peut « enjoindre au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou mettre un terme aux dangers immédiats présentés par l’état de l’immeuble ».
– CE, 11 avril 2012, requête numéro 355356, Société Prathotels : la poursuite sur le domaine public de l’activité de la société requérante, en violation tant des dispositions régissant l’occupation du domaine public que des règles de police administrative en matière d’hygiène et de sécurité, circonstances ayant conduit à la fermeture de l’établissement, constituait un trouble manifeste à l’ordre public qu’il était urgent de faire cesser.
Par exception aux règles de droit commun, l’article L. 521-2-1 du Code de justice administrative précise que la condition d’urgence n’est pas requise en cas de requête relative à une occupation non autorisée de la zone des cinquante pas géométriques. Toutefois, lorsque la demande tend à l’expulsion d’occupants sans titre d’une parcelle du domaine public provenant pour partie seulement de la zone des cinquante pas géométriques, la condition d’urgence demeure requise pour l’autre partie de la parcelle (Conseil d’Etat, SSR, 3 décembre 2014, Province sud de Nouvelle-Calédonie, requête numéro 375364, mentionné aux tables). Le même article précise qu’en cas d’évacuation forcée, l’autorité chargée de l’exécution de la décision du juge doit s’efforcer par tous moyens de proposer un relogement aux occupants sans titre en situation régulière sur le territoire national. Dès lors qu’une proposition adaptée de relogement a été faite, le juge peut ensuite ordonner la démolition de la construction illégale.
2° Utilité de la mesure requise
La mesure doit être « utile », ce qui implique principalement que le juge des référés n’a pas la possibilité de prendre une mesure que l’administration pourrait prendre elle-même, en vertu de la jurisprudence Préfet de l’Eure (CE, 30 mai 1913 : S. 1915, III, p. 9, note M. Hauriou).
Exemple :
– CE, 15 novembre 2006, requête numéro 293370, Ministre des Transports, de l’Equipement, du Tourisme et de la Mer (Rec. p.464 ; Dr. Adm. 2007, 6) : le juge judiciaire est compétent pour connaître de la demande d’une commune visant à ce que soit ordonnée l’évacuation de « résidences mobiles » stationnées sur une propriété privée ou publique située sur son territoire dans l’hypothèse où ce stationnement méconnaîtrait un arrêté d’interdiction de stationnement, ou risquerait de porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques. Les juges estiment néanmoins que les textes en vigueur n’ont pas pour effet de priver un « propriétaire public, autre que la commune, ou un propriétaire privé de la faculté de faire valoir ses droits en cas d’occupation sans droit ni titre par des résidences mobiles d’un bien lui appartenant ». En cas d’occupation sans titre de terrains appartenant au domaine public de l’Etat, le juge administratif peut donc être saisi dans le cadre de la procédure de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative.
L’utilité de la mesure sollicitée s’apprécie également eu égard à l’existence d’un recours au fond. Ainsi, un référé mesures utiles ne peut être utilisé pour obtenir la communication d’un document administratif dans le cas où un recours au fond a déjà été formé, le juge du fond pouvant ordonner cette communication en vertu des pouvoirs généraux d’instruction dont il dispose (CE, 20 février 2012, requête numéro 353134, Valery : Dr. adm. 2012, 58, note Ferrari).
Enfin, l’utilité de la mesure doit également s’apprécier au regard des autres procédures que le requérant aurait pu utiliser. En effet, le référé mesures utiles présente un caractère subsidiaire par rapport au référé suspension et au référé liberté (Conseil d’Etat, Sect., 27 mars 2015, Section française de l’Observatoire international des prisons, requête numéro 385332 ; Rec. p. 132, concl. Crepey ; AJDA 2015, p. 979, chron. Lessi et Dutheillet de Lamothe ; Dr. adm. 2015, 47, note Eveillard ; JCP A 2015, act. 321, obs. Langelier ; RFDA 2015, p. 491). Par conséquent, « le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L 521-2 » (Conseil d’Etat, Sect., 5 février 2016, Benabdellah, requête numéro 393540, publié au recueil : AJDA 2016, p. 474, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2016, 29, note Eveillard ; JCP A 2016, act. 125, obs. Touzeil-Divina).
3° Absence d’obstacle à l’exécution d’une décision administrative
Cette condition limite fortement la possibilité pour le juge de prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration. De fait, cette possibilité est pratiquement limitée aux demandes de communication de documents détenus par l’administration.
Exemple :
– CE, 30 décembre 2002, requête numéro 248787, Commune de Pont-Audemer : en ordonnant à un maire d’interrompre les travaux de démolition entrepris par la commune sur un bien relevant de son domaine public, le juge des référés, saisi en application de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, fait obstacle à l’exécution d’une décision administrative révélée par l’engagement desdits travaux et excède ainsi les compétences qu’il tenait de cet article.
Elle s’applique y compris pour une décision refusant d’adopter les mesures ensuite demandées au juge, sauf en matière de travaux publics (Conseil d’Etat, Section, 18 juillet 2006, Mme Elissondo Labat, requête numéro 283474, rec. p. 369, préc.), ce qui s’explique par le fait que ce contentieux est dispensé de la règle de la décision préalable. Dans les autres contentieux, cette condition est écartée dans l’hypothèse où la saisine du juge des référés a pour objet de « prévenir un péril grave » (Conseil d’Etat, Sect., 5 février 2016, Benabdellah, requête numéro 393540, publié au recueil, préc.).
En dehors de ce cas particulier, la procédure de référé mesures utiles, lorsqu’elle est utilisée par un administré à l’encontre de l’administration est pratiquement limitée aux demandes de communication de documents détenus par elle.
Toutefois les décisions qui accordent des autorisations et qui, ainsi, n’ont pas de caractère impératif, peuvent également donner lieu à une procédure de référé mesures utiles.
Exemple :
– CE, 16 janvier 1985, requête numéro 57106, Codorniu (Rec. tables, p.176 ; Dr. adm. 1985, 205) : le juge peut prescrire la suspension de travaux autorisés par un permis de construire devenu définitif jusqu’à ce que soit tranchée la question de l’appartenance de la parcelle litigieuse au domaine public maritime.
§II- Référés de droit commun non conditionnés par l’urgence
Même si elles ne sont pas conditionnées par l’urgence, ces procédures de droit commun donneront également lieu à un jugement rapide par un juge unique qui statuera au terme d’une procédure allégée. On distingue à ce titre : le référé constat, le référé instruction et le référé provision.
I- Référé constat
Selon l’article R. 531-1 du Code de justice administrative « s’il n’est rien demandé de plus que la constatation de faits, le juge des référés peut, sur simple requête qui peut être présentée sans ministère d’avocat et même en l’absence d’une décision administrative préalable, désigner un expert pour constater sans délai les faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction ». Depuis l’entrée en vigueur du décret n°2013-730 du 13 août 2013 il peut désigner une personne figurant sur le tableau d’expert auprès de la cour administrative d’appel ou toute autre personne de son choix.
De façon tout à fait dérogatoire, et puisqu’il s’agit uniquement de faire constater des faits par un expert, cette procédure n’est pas soumise au respect du principe du contradictoire. Le juge des référés a pour simple obligation d’aviser de l’ordonnance les défendeurs éventuels. L’ordonnance est susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel dans la quinzaine de sa notification (Code de justice administrative, art. R. 533-1).
II- Référé instruction
L’article R. 532-1 du Code de justice administrative prévoit que « le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction ». Ceci lui permettra notamment d’enjoindre à l’administration de communiquer les motifs d’une décision, comme cela avait déjà été admis par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Barel et a. du 28 mai 1954 (préc.). .). En outre, le Conseil d’Etat a récemment considéré que ce pouvoir d’injonction peut également être mis en œuvre à l’égard de tiers en vue qu’ils communiquent des pièces, documents ou informations nécessaires à la vérification des allégations des parties. Dans cette hypothèse, le juge devra soumettre le résultat de ses investigations à la contradiction des parties, dans la limite du respect des secrets protégés par la loi (Conseil d’Etat, Section, 1 octobre 2014, E., requête numéro 349560, publié au recueil : Dr. adm. 2015, 2, note Eveillard).
La mesure prononcée peut faire l’objet d’un appel dans un délai de 15 jours à l’issue duquel le président de la cour, ou le magistrat délégué par lui, pourra immédiatement suspendre provisoirement l’exécution de l’ordonnance si elle est « de nature à préjudicier gravement à un intérêt public ou aux droits de l’appelant » (Code de justice administrative, art. R. 533-2).
La seule condition posée par le texte est que la mesure d’instruction soit utile au règlement du litige principal. Il résulte de la jurisprudence que « l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’expertise … doit être appréciée dans la perspective d’’un litige principal, actuel ou éventuel, relevant lui-même de la compétence de la juridiction à laquelle ce juge appartient, et auquel cette mesure est susceptible de se rattacher » (CE, 30 décembre 2002, requête numéro 241793, Office public d’habitation de Nice et des Alpes-Maritimes : AJDA 2013, p. 960.- CE, 12 avril 2013, requête numéro 363282, SCI Châlet des Aulnes : Dr. adm. 2013, 51, note Gillig).
Exemples :
– CAA Marseille, 21 octobre 2003, requête numéro 03MA00560,SA G. Vila et Cie : présente un caractère utile une mesure d’expertise visant à déterminer et évaluer les travaux de remise en Etat d’une grotte, à constater les désordres et dégradations et les disparitions de mobilier et à définir les mesures propres à y remédier ainsi que leur coût.
– CAA Bordeaux, 26 mars 2001, requête numéro 00BX01760, Lurton c. Commune de Haims : est inutile une demande d’expertise visant à établir un rapport entre des travaux d’entretien de fossés et l’inaccessibilité à des parcelles privées, ce lien étant évident et non contesté par la commune défenderesse.
Toutefois, même si cela n’est pas expressément visé par les textes, le juge n’a pas la possibilité de confier à un expert une mission comportant l’examen de questions de droit, celui-ci devant se borner à des constatations factuelles.
Exemple :
– CAA Paris, 27 novembre 2001, requête numéro 01PA02498, Port autonome de Paris : par l’ordonnance attaquée, le juge des référés avait donné pour mission à l’expert de fournir « les éléments susceptibles de caractériser les éventuelles fautes » du requérant. Même si cette mesure est utile au sens de l’article R. 532-1 du Code de justice administrative, elle implique qu’une appréciation soit portée par l’expert sur la qualification des faits constatés au cours de ses investigations, ce qui a pour effet de lui donner pour mission de trancher des questions de droit. L’ordonnance contestée est donc annulée.
III- Référé provision
L’article R. 541-1 du Code de justice administrative prévoit que « le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».
Cette procédure est l’équivalent du référé provision judiciaire qui est visé par l’article 849 du Code de procédure civile. Elle permet au requérant d’obtenir une avance sur les sommes qui leur seront allouées, en attendant que le montant exact de leur créance soit déterminé.
Le décret nº 2000-1115 du 22 novembre 2000 ayant supprimé la condition tenant à l’exigence d’une « demande au fond », le succès du référé dépend désormais exclusivement de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable.
L’ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant la cour administrative d’appel dans la quinzaine de sa notification (Code de justice administrative, art. R. 541-3).
C’est toutefois un recours en cassation qui doit être exercé dans les hypothèses où l’obligation dont le requérant se prévaut pour demander la provision se rattache à l’une des matières qui, au fond, sont jugées en premier et dernier ressort par le tribunal administratif (Conseil d’Etat, SSR., 9 décembre 2015, Commune du Cannet et autres, requête numéro 391626, ).
§III- Référés spéciaux
Il existe de nombreuses procédures d’urgence spécifiques qui se caractérisent, pour la plupart, par un allégement des conditions d’obtention d’une mesure d’urgence exigées dans le cadre des procédures de droit commun.
Par exemple, le préfet peut assortir ses déférés en annulation des actes des collectivités territoriales d’une demande de suspension. Contrairement à la procédure de référé suspension de droit commun, la condition d’urgence n’est pas exigée. L’article L. 554-1 du Code de justice administrative qui renvoie à l’article L. 2131-6, al. 3 du Code général des collectivités territoriales, prévoit en effet qu’il « est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué ». Le juge des référés dispose d’un délai d’un mois pour statuer.
Par ailleurs, selon l’article L. 554-3 du Code de justice administrative, qui renvoie à l’article L. 2131-6, al. 5 du Code général des collectivités territoriales, « lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures ». La décision relative au sursis peut faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’Etat dans la quinzaine de sa notification et dans ce cas, le juge des référés doit statuer dans un délai de 48 heures. Il s’agit donc ici d’une procédure qui est très proche de celle de référé liberté, mais qui ne peut viser qu’à obtenir la suspension d’un acte. Par ailleurs, cette procédure protège les « libertés publiques ou individuelles » alors que le référé liberté protège les « libertés fondamentales », ce qui est plus restrictif.
La procédure de référé précontractuel visée par les articles L. 551-1 et suivants du Code de justice administrative permet quant à elle de censurer la violation des règles de publicité et de mise en concurrence qui doivent être respectées préalablement à la conclusion de certains contrats administratifs notamment ceux « qui ont pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». Le juge pourra ordonner à l’auteur du manquement « de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages » (Code de justice administrative, art. L. 551-2). Il a également la possibilité d’annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Il existe également une procédure de référé contractuel, visée par les articles L. 551-13 et suivants du Code de justice administrative, qui peut s’exercer après la conclusion du contrat par les personnes « qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local » (Code de justice administrative, art. L. 551-14). Le juge dispose d’une large gamme de pouvoirs qui vont de l’annulation du contrat – qu’il prononce obligatoirement dans certains cas et notamment l’absence de mesures de publicité (Code de justice administrative, art. L. 551-18) – jusqu’à une simple pénalité financière (Code de justice administrative, art. L. 551-19).
Enfin, la suspension d’une décision d’aménagement soumise à une enquête publique préalable prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête est accordée si cette demande comporte un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci (Code de justice administrative, art. L. 554-12 renvoyant au Code de l’environnement, art. L. 123-16). Le Conseil d’Etat a toutefois récemment décidé que le juge des référés pouvait ne pas prononcer la suspension de la décision, alors même que toutes les conditions susvisées sont remplies, dès lors que cette suspension « porterait à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité » (CE, 16 avril 2012, requête numéro 355792, Commune de Conflans-Sainte-Honorine : Dr. adm. 2012, 59, note Melleray ; RGD mai 2012, note Cossalter). Le même article précise également que le juge des référés fait droit à toute demande de suspension d’une décision prise sans que l’enquête publique requise ait eu lieu ou en l’absence d’évaluation environnementale, d’étude d’impact ou des documents visés aux articles L. 122-1-1 et L. 122-8 du Code de l’environnement s’ils sont exigés.
Pour aller plus loin :
–Bailleul (D.), Les nouvelles méthodes du juge administratif : AJDA 2004, p. 1626.
–Broyelle (C.), De l’injonction légale à l’injonction prétorienne : le retour du juge administrateur : Droit adm. 2004, 6.
–Derosier (J.-P), La nouvelle réforme de la justice administrative. – Le décret du 13 août 2013 portant modification de la partie réglementaire du Code de justice administrative : JCPA 2013, 2022.
–Dubos (O.) et Melleray (F.), La modulation dans le temps des effets de l’annulation d’un acte administratif : Droit adm. 2004, étude n°15.
– Frier (P.-L.), L’ordre de recettes, acte charnière : RFDA 1987, p.130 et p.315.
–Ghevontian (R.), Un labyrinthe juridique : le contentieux des actes préparatoires en matière d’élections politiques : RFDA 1994, p.793.
–Glenard (C.), Les critères d’identification d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative : AJDA 2003, p.2008.
–Hecquard-Theron (M.), De l’intérêt collectif : AJDA 1986, p. 65.
–Laligant (M.), La notion d’intérêt pour agir et le juge administratif : RDP 1971, p. 43.
–Melleray (F.), La distinction des contentieux est-elle un archaïsme ? : JCPA 2005, 1296.
–Mignon (M.), Une évolution inachevée : la notion d’intérêt ouvrant le recours pour excès de pouvoir : D. 1953, chron. p. 121.
–Nandan (V.), Quelques remarques sur l’utilité d’une modulation à l’envers : l’inexistence en question, Dr. Adm. 2010, étude 12.
–Pacteau (B.), Du recours pour excès de pouvoir au recours de pleine juridiction ? : Rev. adm., numéro spécial 1999, p. 51.
–Renaudie (O .), L’intérêt à agir : coll. Au cœur du débat, Berger-Levrault 2016 (dir.).
–Tercinet (J.), Le retour de l’exception de recours parallèle : RFDA 1993, p.115.
– Toutée (H.), L’intérêt pour agir des syndicats pour la défense des intérêts individuels de leurs membres : RFDA 1993, p. 250.
–Vier (Ch.-L), Le rapporteur public et la simplification, paradoxes d’une réforme : AJDA 2011, p. 1189.
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