Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 avril 2004 et 9 août 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION, dont le siège est 4, avenue de Château Thierry B.P. 8 à Soissons (02201) ; la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION demande au Conseil d’Etat :
1° d’annuler l’arrêt en date du 12 février 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 30 avril 2002 du tribunal administratif d’Amiens rejetant sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 18.695.000 francs, majorée des intérêts au taux légal, capitalisés, en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait de la suppression de ses silos de stockage et de ses installations de combustion de Soissons par un décret du 16 avril 1999 ;
2° statuant au fond, d’annuler le jugement du 30 avril 2002 du tribunal administratif d’Amiens et de condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 850 034,38 euros, majorée des intérêts au taux légal capitalisés ;
3° de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 6 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu, enregistrée le 28 septembre 2005, la note en délibéré présentée pour le ministre chargé de l’environnement ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 ;
Vu le décret n° 77-133 du 21 septembre 1977 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Bertrand Dacosta, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIÉTÉ COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre de l’écologie et du développement durable,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 1er de la loi du 19 juillet 1976, dans sa rédaction alors en vigueur, dont les dispositions sont désormais codifiées à l’article L. 511-1 du code de l’environnement : « Sont soumis aux dispositions de la présente loi les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature et de l’environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments » ; qu’aux termes du second alinéa de l’article 15 de la même loi, dont les dispositions sont désormais codifiées au second alinéa de l’article L. 514-7 du code de l’environnement : « Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis du conseil supérieur des installations classées, peut ordonner la fermeture ou la suppression de toute installation, figurant ou non à la nomenclature, qui présente, pour les intérêts mentionnés à l’article 1er, des dangers ou inconvénients tels que les mesures prévues par la présente loi ne puissent les faire disparaître » ;
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, un décret en date du 16 avril 1999 a ordonné la suppression des silos de stockage de céréales exploités à Soissons par la coopérative agricole du Soissonais ; que la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION, venant aux droits de la coopérative agricole du Soissonais, se pourvoit contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté sa requête tendant à la réparation du préjudice qu’elle soutient avoir subi de ce fait ;
Sur la régularité de l’arrêt attaqué :
Considérant que le moyen tiré de ce que l’arrêt attaqué ne viserait ni n’analyserait avec une précision suffisante les moyens des parties, manque en fait ;
Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt attaqué en tant qu’il a écarté la responsabilité pour faute de l’Etat :
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, la cour a répondu de façon suffisamment motivée au moyen tiré de l’insuffisance de l’instruction ayant conduit au décret du 16 avril 1999, en relevant notamment qu’était suffisamment précis et circonstancié le rapport établi par l’inspection des installations classées le 9 septembre 1998 ;
Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt attaqué en tant qu’il a jugé que la loi du 19 juillet 1976 excluait que puisse être engagée la responsabilité sans faute de l’Etat :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que l’autorité administrative, en prenant le décret ordonnant la suppression des installations de la coopérative agricole du Soissonais, s’est bornée à faire usage des pouvoirs qu’elle tirait de l’article 15 de la loi du 19 juillet 1976 ; qu’ainsi le préjudice allégué trouve son origine dans la loi elle-même et non dans le décret du 16 avril 1999 ;
Considérant qu’il résulte des principes qui gouvernent l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat que le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ; qu’ainsi, en l’absence même de dispositions le prévoyant expressément, l’exploitant d’une installation dont la fermeture ou la suppression a été ordonnée sur le fondement de la loi du 19 juillet 1976 en raison des dangers ou inconvénients qu’elle représentait, est fondé à demander l’indemnisation du dommage qu’il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé ;
Considérant qu’il suit de là qu’en estimant que, par son silence, la loi du 19 juillet 1976 excluait tout droit à réparation pour l’exploitant d’une installation faisant l’objet d’une mesure de fermeture ou de suppression, la cour administrative d’appel a entaché l’arrêt attaqué d’erreur de droit ; que la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION est fondée à en demander, pour ce motif et dans cette mesure, l’annulation ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que réclame l’Etat au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de l’Etat le versement à la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION d’une somme de 3 000 euros ;
D E C I D E : ————– Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai en date du 12 février 2004 est annulé en tant qu’il rejette les conclusions de la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION tendant à ce que soit engagée la responsabilité sans faute de l’Etat. Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Douai. Article 3 : L’Etat versera à la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION est rejeté. Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COOPERATIVE AGRICOLE AX’ION et au ministre de l’écologie et du développement durable.