REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 16 mars 1979 et 7 mai 1980 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, dont le siège est …, représentée par ses dirigeants en exercice, et pour le SYNDICAT GENERAL DES PERSONNELS DES AFFAIRES SOCIALES C.G.T., dont le siège est …, représenté par ses dirigeants en exercice, et tendant à ce que le Conseil d’Etat annule pour excès de pouvoir la circulaire °n 475 du 12 décembre 1978 du ministre du travail et de la participation relative à la discrétion professionnelle et à l’indépendance de jugement,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution de la République Française ;
Vu le code du travail ;
Vu le code civil ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure civile ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l’ordonnance du 4 février 1959 ;
Vu la loi du 17 juillet 1978 ;
Vu la loi du 11 juillet 1979 ;
Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
– le rapport de M. Fraisse, Conseiller d’Etat,
– les observations de la S.C.P. Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL et du SYNDICAT GENERAL DES PERSONNELS DES AFFAIRES SOCIALES C.G.T.,
– les conclusions de Mme de Clausade, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les organisations syndicales requérantes contestent la légalité des dispositions de la circulaire °n 475 du 12 décembre 1978 du ministre du travail et de la participation relative aux obligations de discrétion professionnelle et d’indépendance de jugement qui s’imposent aux directeurs départementaux du travail et de l’emploi et aux inspecteurs du travail ;
En ce qui concerne les dispositions relatives à la motivation de certaines décisions :
Considérant que, si à la date à laquelle est intervenue la circulaire attaquée aucun texte ni aucun principe n’obligeaient les directeurs départementaux du travail et de l’emploi et les inspecteurs du travail à motiver les décisions qu’ils prennent en matière de dérogation à la durée du travail, de licenciement économique, d’organisation des élections de représentants du personnel et d’autorisation de licenciement de salariés protégés, le ministre du travail et de la participation a commis une erreur de droit en estimant que l’obligation de discrétion professionnelle qui s’impose à ces fonctionnaires leur interdisait de motiver de telles décisions ; que, par suite, les organisations syndicales requérantes sont fondées à soutenir que la première phrase du sixième alinéa de la circulaire, selon laquelle « aucune décision prise … en matière de dérogations à la durée du travail, de licenciements économiques, d’organisations des élections de représentans du personnel, d’autorisations de licenciements de salariés protégés ne doit être motivée » est entachée d’illégalité ;
En ce qui concerne les dispositions relatives à la communication d’informations, de justifications ou de documents :
Sur les dispositions du sixième alinéa de la circulaire :
Considérant qu’aux termes des deuxième et troisième phrases du sixième alinéa de la circulaire contestée : « Le directeur ou l’inspecteur ne peut donner à l’une des parties concernées des informations ou des justifications refusées à l’autre. Cette règle de discrétion vis-à-vis des parties doit être observée rigoureusement tout au long de la procédure administrative ; elle ne peut être enfreinte ultérieurement, même lorsque les tribunaux judiciaires ou administratifs sont saisis » ;
Considérant, d’une part, que ces dispositions n’ont pas pour objet et n’auraient pu légalement avoir pour effet d’interdire aux fonctionnaires qu’elles concernent de communiquer aux juridictions saisies les motifs de leurs décisions ni de prêter leur concours auxdites juridictions dans le cadre des règles de procédure applicables devant elles ; qu’ainsi, elles ne méconnaissent ni l’article 10 du code civil, ni l’article 197 du nouveau code de procédure civile, ni les articles R.139 et suivants du code des tribunaux administratifs, ni l’article 109 du code de procédure pénale ;
Considérant, d’autre part, que les dispositions précitées n’ont pas non plus pour objet, et n’auraient pu davantage avoir légalement pour effet, de restreindre la liberté d’accès aux documents administratifs définie et organisée par la loi °n 78-759 du 17 juillet 1978 ; qu’ainsi doit être écarté le moyen tiré de ce que la circulaire contestée devait être soumise à l’avis préalable de la commission d’accès aux documents administratifs en application de l’article 6 de cette loi ;
Sur les dispositions du onzième alinéa de la circulaire :
Considérant qu’aux termes du onzième alinéa de la circulaire attaquée : « Quand un salarié, un représentant du personnel ou un syndicat saisit la juridiction civile, et notamment le juge des référés, aucun document ne doit être délivré à une des parties par l’inspecteur du travail, qui soit susceptible d’être produit devant les tribunaux » ; que les organisations syndicales requérantes sont fondées à soutenir que de telles dispositions impliquent une inégalité de traitement entre les employeurs et les salariés quand ils saisissent une juridiction et qu’elles sont, à ce titre, entachées d’illégalité ;
En ce qui concerne les dispositions relatives au secret professionnel :
Considérant que le douzième alinéa de la circulaire attaquée dispose : « Le secret professionnel ne peut être levé devant le juge d’instruction ou les tribunaux répressifs que dans les cas et les limites prévus par l’article 21 du code de procédure pénale. Si l’obligation de secret professionnel doit fléchir devant un intérêt d’ordre public, elle reprend toute sa force quand les intérêts civils sont seuls en jeu » ;
Considérant que l’article 34 de la Constitution réserve à la loi de fixer les règles concernant la procédure pénale ; qu’en vertu de l’article 109 du code de procédure pénale, « toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer, sous réserve des dispositions de l’article 378 du code pénal », et qu’aux termes de l’article 378 du code pénal » … toutes … personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 500 à 8 000 F ;
Considérant que l’article 21 du code de procédure pénale, auquel se réfère la circulaire attaquée, ne concerne pas le secret professionnel ; qu’ainsi, par leur formulation générale et erronée, les dispositions précitées de ladite circulaire ont pour effet de modifier les règles qui régissent le secret professionnel auquel sont tenus les inspecteurs du travail et les conditions dans lesquelles ils peuvent l’invoquer devant les juridictions ; que, par suite, lesdites dispositions sont entachées d’incompétence ;
Sur les autres dispositions de la circulaire :
Considérant que ces dispositions, qui se bornent à commenter sans y ajouter les lois et règlements en vigueur, ne méconnaissent ni l’article 34 de la Constitution qui réserve notamment au législateur le pouvoir de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés et les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical, ni les dispositions de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », ni les stipulations de la convention internationale du travail °n 97 concernant les travailleurs migrants, et ne portent aucune restriction au pouvoir de décision dont sont investis les fonctionnaires qu’elles concernent ; que, dès lors, les organisations syndicales requérantes ne sont pas recevables à en demander l’annulation ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les organisations syndicales requérantes sont seulement fondées à demander l’annulation des dispositions de la première phrase du sixième alinéa, du onzième alinéa et du douzième alinéa de la circulaire du ministre du travail et de la participation en date du 12 décembre 1978 ;
Article 1er : Les dispositions de la première phrase du sixième alinéa, du onzième alinéa et du douzième alinéa de la circulaire °n 475 du ministre du travail et de la participation en date du 12 décembre 1978 sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL et du SYNDICAT GENERAL DES PERSONNELS DES AFFAIRES SOCIALES C.G.T. est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, au SYNDICAT GENERAL DES PERSONNELSDES AFFAIRES SOCIALES C.G.T. et au ministre des affaires sociales et de l’emploi.