REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 janvier 1995 et 10 mai 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société de bourse Patrice Wargny, dont le siège est …, représentée par son président directeur général en exercice ; la société DE BOURSE Patrice Wargny demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision du 7 novembre 1994 par laquelle le conseil du marché à terme, siégeant en formation disciplinaire, lui a infligé un blâme et une sanction pécuniaire de 200 000 F ;
2°) de condamner le conseil du marché à terme à lui verser la somme de 25 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 mars 1885 modifiée et le décret n° 90-256 du 21 mars 1990 ;
Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. de la Verpillière, Conseiller d’Etat,
– les observations de Me Ricard, avocat de la société de bourse Patrice Wargny et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du Conseil du marché à terme,
– les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 17 de la loi du 28 mars 1885, dans sa rédaction issue de la loi n° 89-531 du 2 août 1989 : « Toute infraction aux lois et règlements relatifs au marché à terme ainsi que tout manquement à leurs obligations professionnelles, commis par une des personnes mentionnées aux articles 8 et 8-1 donne lieu à des sanctions disciplinaires prononcées par le conseil du marché à terme. (…) Les sanctions sont l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire ou définitive de tout ou partie des activités. (…) Le conseil peut également infliger des sanctions pécuniaires dont le montant ne peut être supérieur à cinq millions de francs ou au décuple des profits éventuellement réalisés. Les sommes sont versées au Trésor public » ;
Sur la régularité de la décision attaquée :
Considérant, en premier lieu, que l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’énonce aucune règle ou aucun principe dont le champ d’application s’étendrait au-delà des procédures contentieuses suivies devant les juridictions, et qui gouvernerait l’élaboration ou le prononcé de sanctions, quelle que soit la nature de celles-ci, par les autorités administratives qui en sont chargées par la loi ; qu’il résulte des dispositions des articles 6 et 17 de la loi du 28 mars 1885 que le conseil du marché à terme, même lorsqu’il statue en matière disciplinaire, n’est pas une juridiction ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant lui ne respecterait pas les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est inopérant ;
Considérant, en deuxième lieu, que si l’article 3 du décret n° 90-256 du 21 mars 1990 prévoit que le commissaire du gouvernement dispose d’un délai de trois jours pour demander une deuxième délibération du conseil du marché à terme, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que la décision prise par cet organisme soit notifiée à la personne poursuivie sans attendre l’expiration du délai de trois jours ;
Considérant, en troisième lieu, que le conseil du marché à terme, s’il doit, en vertu des dispositions de l’article 17 de la loi du 28 mars 1885, énoncer les éléments de fait et de droit constitutifs des infractions commises par la personne poursuivie, n’est pas tenu d’indiquer les raisons qui le conduisent à infliger une sanction plutôt qu’une autre parmi celles qui sont prévues audit article ; qu’ainsi, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
Sur l’existence des infractions et l’adéquation des sanctions :
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 28 mars 1885 que les démarcheurs doivent être regardés, pour l’application de l’article 4.1.1.4 du règlement général du marché à terme, comme des préposés des personnes et établissements mentionnés aux articles 8 et 8-1 de la loi du 28 mars 1885 ; que ces personnes et établissements peuvent donc légalement, contrairement à ce qui est soutenu, être poursuivis disciplinairement pour des infractions commises par leurs démarcheurs ;
Considérant, en deuxième lieu, que, selon l’article 8-2 de la loi du 28 mars 1885, les personnes habilitées à effectuer des opérations sur le marché à terme « peuvent recevoir de leurs clients un mandat de gestion qui, à peine de nullité, doit faire l’objet d’un contrat écrit conforme à un contrat type approuvé par le conseil du marché à terme » ; qu’en ne précisant pas, dans les contrats conclus avec six de ses clients, que le droit d’entrée de 1 % stipulé au contrat était destiné à rémunérer l’intervention de la société ICS en tant qu' »apporteur d’affaires », la société requérante a méconnu les obligations qui s’imposaient à elle, ainsi que l’a relevé le conseil du marché à terme ;
Considérant, en troisième lieu, que les « donneurs d’ordres », dont le règlement de la négociation du 7 novembre 1990 impose d’inscrire l’identité sur une fiche lors de la réception des ordres, sont les clients et non les préposés des membres du marché ; qu’ainsi, la société requérante, contrairement à ce qu’elle soutient, a commis une infraction en enregistrant globalement des ordres les 1er, 2 et 3 septembre 1993, avec les seules initiales de ses agents ;
Considérant, en revanche, que la décision n° 89-3 du 23 février 1989 du conseil du marché à terme, prise pour l’application des dispositions précitées de l’article 8-2 de la loi du 28 mars 1885, si elle prévoit que le mandat de gestion doit indiquer dans tous les cas l’étendue du risque financier accepté par le mandant, n’impose de fixer une limite de perte que s’il en a été convenu une entre les parties ; qu’en l’espèce, les contrats litigieux, qui stipulaient que le mandant autorisait le mandataire à engager la totalité des actifs du compte, satisfaisaient à l’obligation ci-dessus mentionnée, contrairement à ce qu’a estimé le conseil du marché à terme ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, eu égard à l’importance qui s’attache à ce dernier grief, qu’il y a lieu de réduire la sanction prononcée en la limitant au blâme et à une sanction pécuniaire d’un montant de 100 000 F ;
Sur les conclusions de la société de bourse Patrice Wargny tendant à ce que le Conseil d’Etat constate que le bénéfice de l’amnistie lui est acquis :
Considérant qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi d’un recours de pleine juridiction en application de l’article 12 du décret du 21 mars 1990, de statuer sur les conclusions tendant à ce qu’il constate, sur le fondement du 3ème alinéa de l’article 16 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie, que le bénéficie de l’amnistie est acquis à la société requérante ;
Considérant que si l’article 14 de la loi du 3 août 1995 amnistie « les faits commis avant le 18 mai 1995 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles », il résulte du 3ème alinéa du même article que sont exceptés du bénéfice de l’amnistie les faits constituant des manquements à la probité, aux bonnes moeurs ou à l’honneur ; qu’en l’espèce, les faits reprochés à la société de bourse Patrice Wargny, qui privaient ses clients de certaines garanties prévues par la loi du 28 mars 1885, sont exclus du bénéfice de l’amnistie ; que les conclusions ci-dessus analysées doivent par suite être rejetées ;
Sur les conclusions de la société de bourse Patrice Wargny et du conseil du marché à terme tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la société de bourse Patrice Wargny, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer au conseil des marchés financiers, qui s’est substitué au conseil du marché à terme en vertu des dispositions de l’article 98 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, la somme de 30 000 F qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, cependant, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le conseil des marchés financiers à payer à la société de bourse Patrice Wargny la somme de 25 000 F qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La sanction prononcée à l’encontre de la société de bourse Patrice Wargny par la décision du conseil du marché à terme en date du 7 novembre 1994 est limitée au blâme et à une sanction pécuniaire de 100 000 F.
Article 2 : La décision du conseil du marché à terme en date du 7 novembre 1994 est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société de bourse Patrice Wargny est rejeté, ainsi que les conclusions du conseil du marché à terme tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société de bourse Patrice Wargny, au conseil des marchés financiers et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.