Une personne âgée se trouvant dans l’impossibilité de demeurer à son domicile a été accueillie dans un établissement spécialisé et prise en charge par l’aide sociale. Dans cette situation, le dispositif législatif prévoit que les ressources de cette personne sont, à l’exception des prestations sociales, affectées au remboursement des frais d’hébergement et d’entretien dans la limite de 90 % (Code de l’action sociale et des familles, article L. 132-3 ; Code de l’action sociale et des familles, article R. 231-6). Une somme mensuelle minimum est donc laissée à la disposition de la personne hébergée. L’association « Action d’aide aux personnes protégées 17 », curateur de l’intéressé, sollicite la prise en charge des frais de mutuelle et d’assurance responsabilité civile de la personne âgée hébergée, en plus de ses frais d’hébergement, par les services sociaux du département de Charente-Maritime. La commission centrale d’aide sociale lui donne raison, mais le Président du Conseil général forme un pourvoi devant le Conseil d’État.
Dans le cadre de cette affaire, l’Assemblée du contentieux est amenée à interpréter la législation en vigueur pour déterminer la nature des sommes qui doivent être déduites de l’assiette permettant le calcul de la contribution de 90%. Les exigences constitutionnelles en matière de protection de la santé publique, consacrée à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 impose, selon la Haute juridiction, d’interpréter la loi sociale comme écartant de l’assiette plusieurs dépenses. Sont concernés soit la part des tarifs de sécurité sociale restant à la charge des assurés sociaux du fait des dispositions législatives et réglementaires et le forfait journalier prévu par l’article L. 174-4 du code de la sécurité sociale, soit les cotisations d’assurance maladie complémentaire nécessaires à la couverture de ces dépenses.
Indépendamment de ses conséquences sur le droit de l’action sociale, la décision permet de mettre en lumière une technique jurisprudentielle originale : l’interprétation conforme. Selon cette technique, lorsqu’un texte est susceptible de plusieurs sens, la signification choisie par le juge sera celle qui permet d’assurer, soit le respect des principes généraux du droit (CE Ass., 17 février 1950, Ministre de l’agriculture c/ Dame Lamotte, rec. p. 110), soit le respect de la hiérarchie des normes (CE Ass., 3 juillet 1996, Koné, requête numéro 169219, rec. p. 255).
Dans notre affaire, l’audace du juge administratif se mesure à l’aune de la norme de référence employée pour l’interprétation conforme de la loi : le principe constitutionnel de protection de la santé. Le juge administratif refuse traditionnellement d’assurer la supériorité des normes constitutionnelles sur les lois (CE, 6 novembre 1936, Arrighi, rec p. 966 ; CE, 5 janvier 2005, Mlle Deprez et M. Baillard, requête numéro 257341, rec. p. 1). Ainsi, la constitutionnalité d’un acte administratif pris en application d’une disposition législative ne pourra être discutée devant lui. Les dispositions du Préambule de 1946, le principe de protection de la santé notamment, n’échappe pas à la théorie de la « loi écran » (CE, 23 avril 1997, GISTI, requête numéro 163043, rec. p. 142). À l’aide de la technique de l’interprétation conforme à la lumière d’un principe constitutionnel, le juge administratif s’autorise cependant à neutraliser une application potentiellement inconstitutionnelle d’une loi. Par exemple, le Conseil d’État s’est inspiré de la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour interpréter un article du statut de la fonction publique de l’État conformément au principe constitutionnel d’égal accès aux emplois publics (CE Sect., 22 juin 2007, Lesourd, requête numéro 288206).
Il est intéressant de remarquer que la technique de l’interprétation conforme a été mise en œuvre à l’égard d’un principe constitutionnel dont la portée est incertaine : la protection de la santé (Constitution du 27 octobre 1946, préambule alinéa 11). Le juge administratif reconnaît sans hésitation la valeur constitutionnelle de ce principe (CE sect., 30 avril 1997, Association nationale pour l’éthique de la médecine libérale, requête numéro 180838, requête numéro 180839, requête numéro 180867, rec. p. 174). À plusieurs reprises dans le passé, le moyen tiré de la violation du onzième alinéa du Préambule de 1946 a pu être jugé directement invocable au soutien d’un recours contre un acte réglementaire (CE sect., 9 décembre 1996, GISTI, requête numéro 163044 ; CE, 27 avril 1998, Confédération des syndicats médicaux français, requête numéro 185645, requête numéro 185675, requête numéro 185693, requête numéro 185695, rec. tables p. 695). Mais le contenu du principe constitutionnel de protection de la santé reste assez largement indéterminé (par exemple v. CE sect., 15 mai 1995, M. Raut, requête numéro 152417, rec. tables p. 629). De plus, il semble désormais faire partie des principes jugés trop imprécis pour s’imposer directement à l’autorité administrative (pour le droit d’asile v. CE, 27 septembre 1985, France Terre d’asile, requête numéro 44484, requête numéro 44485, rec. p. 263). Ainsi, le moyen tiré de la violation du onzième alinéa du Préambule de 1946 ne saurait être invoqué utilement devant le juge administratif en l’absence de dispositions législatives le mettant en œuvre (CE 28 juillet 2004, Préfet de la police c/ Nait Saada, requête numéro 253927).
Notons, enfin, que dans le cadre de la procédure du référé-liberté (Code de justice administrative, article L. 521-2), la qualité de liberté fondamentale a été expressément déniée au « droit à la santé » par le Conseil d’État (CE ord., 8 septembre 2005, Garde des Sceaux, ministre de la justice c/ M. Bunel, requête numéro 284803, rec. p. 388).
En tout état de cause, l’Assemblée du contentieux attache dans cet arrêt des conséquences précises et concrètes au principe constitutionnel de protection de la santé publique.