Les trois espèces portent toutes sur des décisions édictées en milieu pénitentiaire, milieu traditionnellement propice aux mesures d’ordre intérieur. La première concerne le déclassement d’emploi édicté par la directrice d’une maison d’arrêt à l’encontre d’un détenu auxiliaire cuisinier (Planchenaut). La deuxième porte sur une décision de changement d’affectation d’un détenu d’un établissement pour peine vers une maison d’arrêt à titre préventif (Boussouar). Enfin, la troisième est relative à des mesures constituant une « rotation de sécurité ». Elles consistent à prévenir notamment les tentatives d’évasion en changeant très régulièrement l’affectation du détenu (Payet). Dans chacune de ces espèces, le Conseil d’État exclut la décision attaquée de la catégorie des mesures d’ordre intérieur.
À l’évidence, ces trois arrêts interviennent dans un contexte très favorable. En effet, le Conseil d’État, rompant avec ses précédentes décisions (CE, 28 février 1996, Fauqueux, requête numéro 106582: rec. 52), estime désormais que le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré ne s’analyse plus en une mesure d’ordre intérieur (CE, 30 juillet 2003, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Remli, requête numéro 252712: rec. 366). Les trois arrêts d’assemblée contribuent à réduire encore la catégorie des mesures d’ordre intérieur en donnant toute sa portée à la jurisprudence Marie laquelle énonce qu’une punition de cellule constitue une décision faisant grief « eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure » (CE Ass., 17 février 1995, Marie, requête numéro 97754 : rec. 84). De la même manière, les arrêts Planchenault et Boussouar qualifient respectivement une mesure pénitentiaire d’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir « eu égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus ».
La confrontation de ces décisions montre un assouplissement jurisprudentiel concernant les deux critères permettant de distinguer les mesures d’ordre intérieur des décisions susceptibles de recours juridictionnel. L’un est relatif à la nature de la décision, l’autre à ses effets.
Sur le premier critère, l’arrêt Payet considère que toute mesure instituant un « régime de détention spécifique » est susceptible d’être exclue de la catégorie des mesures d’ordre intérieur. Et cela simplement en raison de sa nature objective. En effet, le juge énonce laconiquement « qu’une telle décision, qui institue un régime de détention spécifique, ne constitue pas une mesure d’ordre intérieur » (Payet). Le juge applique ainsi un raisonnement mis en œuvre notamment au sujet d’un blâme adressé à un militaire (CE, 12 juill. 1995, Monfroy, requête numéro 130053 : rec. 304). En revanche, le juge considère que la seule nature préventive d’une décision non disciplinaire ne suffit pas à identifier une mesure d’ordre intérieur (Boussouar et Planchenault), revenant ainsi sur sa jurisprudence antérieure (CE, 12 mars 2003, Ministre de la justice c/ M. Frérot, requête numéro 237437 : rec. p.121).
D’autre part, le critère des effets de la mesure donne lieu à un examen in concreto par le juge administratif. L’arrêt Hardouin faisait même prédominer, avec beaucoup de pragmatisme, les effets concrets de la mesure, qu’ils affectent directement « la liberté d’aller et venir du militaire », ou indirectement sa carrière du fonctionnaire (CE Ass., 17 février 1995, Hardouin, requête numéro 107766: rec. 82 ; également CE, 18 mars 1998, Druelle, requête numéro 191360: rec. 98). Sur ce point, le critère est assoupli par les trois décisions. Il n’est plus requis que les effets produits par la mesure soient particulièrement graves, mais simplement « importants », pour que celle-ci devienne susceptible de recours.
Ces critères apparaissent principalement comme étant cumulatifs et exceptionnellement alternatifs. En effet, le juge examine en premier lieu la nature de la décision. Celle-ci peut suffire à exclure la décision des mesures d’ordre intérieur (Payet). Si tel n’est pas le cas, le juge procède alors à l’examen concret des effets de la mesure (Planchenault). En tout état de cause, le juge ne peut pas se dispenser de ces critères (Boussouar). Par conséquent, commet une erreur de droit la cour administrative d’appel « se fondant exclusivement sur l’existence et le contenu des dispositions législatives et réglementaires » pour qualifier une mesure d’ordre intérieur sans se référer à ces critères.
Cette réduction de la catégorie des mesures d’ordre intérieur ne signifie pas son extinction. Le Conseil d’État assure fort logiquement que « des refus opposés à une demande d’emploi ainsi que des décisions de classement » restent des mesures d’ordre intérieur (Planchenault). Pour autant, il ne subsiste des mesures d’ordre intérieur que les décisions les plus infiniment minimes. Ces jurisprudences réduisent au strict nécessaire les mesures d’ordre intérieur et mettent fin à un archaïsme incompatible avec la conception contemporaine de l’Etat de droit.