Les ressemblances de cette affaire avec celle ayant donné lieu à l’arrêt Aquarone (CE Ass., 6 juin 1997, Aquarone, requête numéro 148683 : rec. p. 206) frappent avec évidence. Fonctionnaire retraité du bureau de l’Organisation internationale du travail, le requérant perçoit une pension versée par la caisse commune des pensions du personnel des Nations-Unies. L’administration fiscale a imposé le retraité sur la base de cette pension. Les dispositions combinées des articles 4A et 79 du Code général des impôts permettent d’assujettir à l’impôt sur les revenus les personnes ayant établi leur domicile fiscal en France et recevant une pension de retraite. S’opposant à cette imposition, le requérant a vu sa requête rejeter par le tribunal administratif de Marseille, puis par la cour administrative de Lyon (CAA Lyon, 17 janvier 1996, Paulin, requête numéro 92LY00823 : rec. p. 854). Le requérant demande au juge administratif de faire application de la jurisprudence Nicolo (CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243 : rec. p. 190), laquelle consacre la supériorité des traités internationaux sur la loi, même si cette dernière est postérieure à la norme internationale. Sur ce fondement, il soutient que les dispositions législatives du Code général des impôts sont incompatibles avec, d’une part, la constitution de l’Organisation internationale du travail et, d’autre part, un principe général du droit international.
1°) Le Conseil d’État en a tiré les conséquences attendues de la jurisprudence Nicolo (CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243, préc.) au sujet des normes de droit communautaire. Tout d’abord, l’application d’une loi doit être écartée si celle-ci s’avère incompatible avec un règlemeçnt communautaire (CE, 24 septembre 1990, Boisdet, requête numéro 58657 : rec. p. 251). La prévalence du droit communautaire dérivé sur les dispositions législatives a ensuite été étendue aux directives communautaires (CE Ass., 28 février 1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France, requête numéro 56776 : rec. p. 78), non sans quelques réserves (CE Ass., 22 février 1978, Cohn-Bendit, requête numéro 11604 : rec. p. 524 ; CE Ass., 6 février 1998, Tête, requête numéro 138777, requête numéro 147424, requête numéro 147425 : rec. p. 30). Enfin, le juge administratif a parachevé cette construction en reconnaissant aux principes généraux du droit communautaire une autorité identique à celle du traité sur l’Union européenne (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique (SNIP) et autres, requête numéro 226514 : rec. p. 624).
2°) Le requérant fonde ses prétentions sur l’incompatibilité entre les dispositions législatives du Code général des impôts et celles de l’article 40 de la constitution de l’Organisation internationale du travail du 28 juin 1919 (OIT). Ce moyen est rejeté sans difficulté. D’une part, ce texte se borne à accorder à certains de ses membres « des privilèges et immunités qui leur sont nécessaires pour exercer (…) leurs fonctions en rapport avec l’organisation ». L’absence de précisions relatives aux pensions doit être interprétée, a contrario, comme excluant celles-ci des privilèges accordés. Par ailleurs, il est manifeste que l’article 40 de la constitution de l’OIT ne prévoit ces règles dérogatoires qu’en tant que le fonctionnaire exerce ses fonctions. Bien entendu, tel n’est plus le cas en l’espèce. D’autre part, le juge administratif précise que même si l’exonération fiscale des pensions de retraite était imposée par la convention de l’OIT, cette disposition serait dépourvue d’effet en droit interne, faute d’avoir été ratifiée par la France. Il faut remarquer que le Conseil d’État exerce ici sa compétence pour interpréter les traités (CE Ass., 29 juin 1990, Groupement d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), requête numéro 78519 : rec. p. 171). Et qu’aucun texte n’imposait une procédure de renvoi pour interprétation devant la Cour internationale de justice comme le soutenait le requérant.
3°) La haute juridiction réaffirme implicitement l’applicabilité de la coutume internationale en droit interne et reproduit le considérant de principe de la décision Aquarone (CE Ass., 6 juin 1997, Aquarone, requête numéro 148683, préc. ; V. aussi CE Sect., 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation Compagny LTD, requête numéro 72951 : rec. p. 319). De plus, elle complète sa jurisprudence en reconnaissant une valeur identique aux principes généraux du droit international. Par conséquent, l’ensemble du droit international non-écrit s’applique en droit interne. Toutefois, le Conseil d’État confirme que l’article 55 de Constitution de 1958 ne permet pas au juge administratif d’écarter une loi contraire à une coutume internationale ou un principe général du droit international. La formulation adoptée démontre la précaution de la juridiction suprême. En vérité, le juge ne consacre pas la supériorité de la loi sur un principe général du droit international, de la même façon que la loi ne prime pas la coutume internationale. Cela n’aurait pas beaucoup de sens en raison de l’assimilation de ces normes au traité international. En revanche, Le juge administratif n’est pas constitutionnellement habilité pour faire respecter la primauté d’un principe général du droit international sur une loi en droit interne. À l’inverse, on peut raisonnablement considérer qu’il le serait en cas de conflit entre un règlement et un tel principe.
Le Conseil d’État corrobore ici la dissymétrie entre, d’une part, la coutume internationale et les principes généraux du droit international, et, d’autre part, les principes généraux du droit communautaire. Si cette jurisprudence est solidement fondée en droit, on peut objecter qu’elle dessert largement la cohérence du contrôle de conventionnalité exercé par le juge administratif.