L’ordre des avocats au Barreau de Paris contestait la légalité du décret numéro 2004-1119 du 19 octobre 2004, portant création de la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (MAPPP) (JO 21 octobre 2004, p. 17821), pris en application de l’article 2 de l’ordonnance numéro 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat (JO 19 juin 2004, p. 10994). Selon le requérant, l’exclusivité donnée à la MAPPP, service administratif de l’État ne disposant pas de la personnalité morale, pour assister les administrations de l’État dans la préparation, la négociation et le suivi des contrats de partenariat serait contraire aux principes juridiques encadrant l’intervention des personnes publiques en matière économique.
La décision rendue dans cette affaire est l’occasion pour le Conseil d’État de délimiter le champ d’application des activités économiques susceptibles d’être prises en charge par les personnes publiques et de systématiser les principes qui leurs sont applicables. Sur ce second point, le juge administratif s’attache à préciser l’articulation entre, d’un côté, les règles anciennes organisées autour de la liberté du commerce et de l’industrie (Loi des 2-17 mars 1791, interdisant les coalitions en France, dite « Le Chapelier ») et, de l’autre, les principes plus récents issus des règles de la concurrence (Traité CE, article 81 ; Ordonnance n° 86-1243, 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, JO 9 décembre 1986, p. 14773, reprise à l’article L. 410-1 du code de commerce) et de la commande publique (CC, décision numéro 2003-473 DC, 26 juin 2003, Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit : rec. p. 382). La grille d’analyse offerte par la Haute juridiction administrative permet de tracer une ligne de démarcation entre les règles conditionnant l’accès des personnes publiques au marché et celles qui encadrent les modalités concrètes de leur intervention sur le marché.
1°) Les activités de puissance publique dépourvues de caractère marchand n’entrent pas dans le champ d’intervention des personnes publiques en matière économique (CE, Avis, 23 octobre 2003, Fondation Jean-Moulin, requête numéro 369315 : EDCE 2004, p. 209). Si la jurisprudence antérieure comportait quelques indices d’une telle réserve, notamment lorsque les activités, par leur nature ou leur objet, relevaient d’une mission de service public existante ou d’attributions définies par la loi (CE Ass., 12 juillet 1939, Chambre syndicale des maîtres-buandiers de Saint-Étienne : rec. p. 478 ; CE Sect., 11 janvier 1952, Association des parents d’élèves de l’enseignement de Seine-et-Oise : rec. p. 26), le Conseil d’État l’inclut ici pour la première fois dans un considérant de principe. Ce partage établi en fonction de la nature économique de l’activité n’est pas sans rappeler celui opéré par le juge communautaire sur ces mêmes questions au moyen de la notion d’entreprise (CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elser, affaire numéro C-41/90 : rec. p. I-1979 ; CJCE, 17 février 1993, Poucet et Pistre, affaire numéro C-159/91, affaire numéro C-160/91 : rec. p. I-637).
En l’espèce, alors même qu’il existe un marché des prestations de services juridiques, le Conseil d’État considère l’activité de la MAPPP comme se rattachant à la mission dévolue à l’État de veiller à la bonne application de la règle de droit, activité administrative par essence (CE, 17 décembre 1997, Ordre des avocats à la cour de Paris, requête numéro 181611 : rec. p. 491). La consubstantialité de ce type de prestation avec l’exercice de la puissance publique la soustrait à l’emprise du marché. Il n’est pas certain que le juge communautaire raisonne de la même manière (TPICE, 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati c/ Commission, affaire numéro T-155/04 : rec. p. II-4797).
2°) La légalité de l’initiative publique en matière économique reste soumise au respect de la liberté du commerce de l’industrie (CE Sect., 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers et sieur Guin, requête numéro 6781: rec. p. 583 ; CE Ass., 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux, requête numéro 247298 : rec. p. 476 ; CE Sect., 10 mars 2006, Commune d’Houlgate et Société d’exploitation du casino d’Houlgate, requête numéro 264098, requête numéro 264123, requête numéro 268524 : rec. p. 138), laquelle a valeur de principe général du droit (CE Sect., 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs-conseils, requête numéro 92099 : rec. p. 394 ; CE Sect., 28 octobre 1960, Martial de Laboulaye : rec. p. 570 ; CC, décision numéro 81-132 DC, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation : rec. p. 18). Au terme d’une longue évolution jurisprudentielle marquée par des assouplissements progressifs, la légitimité de l’intervention économique de la personne publique est désormais admise dans son principe. Ainsi, la personne publique peut intervenir dans cette sphère en présence d’un intérêt public, résultant notamment d’une carence de l’initiative privée, et pourvu qu’elle agisse dans la limite de ses compétences. Cette dernière condition montre bien l’importance de la question de compétence, principe fondamental du droit public français qui sanctionne l’aptitude légale des personnes publiques à agir. Si les deux autres conditions sont elles aussi classiques, leur place est ici réassignée. L’intérêt public tient désormais la place essentielle et permet seul de passer outre aux intérêts privés. Là où la jurisprudence antérieure exigeait que l’intérêt public avancé révèle l’existence de circonstances exceptionnelles (CE, 1er février 1901, Decroix : rec. p. 105 ; CE, 29 mars 1901, Casanova, requête numéro 94580 : rec. p. 333), puis particulières de temps et de lieu (CE Sect., 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, préc.), celui-ci recouvre désormais les hypothèses les plus diverses (CE Ass., 24 novembre 1933 Zénard : rec. p. 1100 ; CE Sect., 17 avril 1964, Commune de Merville-Franceville : rec. p. 231 ; CE Sect., 20 novembre 1964, Ville de Nanterre : rec. p. 562), ainsi que toutes sortes d’activités accessoires du service public et qui en sont le complément normal (CE Sect., 18 décembre 1959, Delansorme et autres : rec. p. 692). Alors qu’elle était d’ordinaire appréciée de manière autonome, la condition d’existence d’une carence de l’initiative privée, qui peut être quantitative ou qualitative (CE Sect., 20 novembre 1964, Ville de Nanterre, préc.), n’est désormais plus qu’un élément subsidiaire permettant de caractériser l’intérêt public. En l’espèce, le Conseil d’État regarde la mission de la MAPPP comme une prestation de services intégrés, l’État se rendant service à lui-même (cf., dans le même sens, CE, 29 avril 1970 Société Unipain, requête numéro 77935 : rec. p. 280).
3°) Admise dans son principe, l’intervention sur le marché de la personne publique doit encore respecter les règles écrites des droits interne et communautaire de la concurrence (CE Sect., 8 octobre 1996, Fédération française des sociétés d’assurance, requête numéro 122644 : rec. p. 441 ; CE Sect., 3 novembre 1997, Société Million et Marais, requête numéro 169907 : rec. p. 406). Le Conseil d’État y rattache également des principes plus généraux, auxquels il donne un fondement autonome, mettant ainsi un terme à une difficulté d’articulation entre les deux corps de principes encadrant l’intervention publique en matière économique, intervenue à l’occasion de la consécration du principe d’égale concurrence (CE, Avis, 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, requête numéro 222208 : rec. p. 492). Ces principes généraux découlent dorénavant directement du droit de la concurrence. La personne publique ne peut intervenir sur le marché qu’à condition de respecter une certaine égalité des armes avec les opérateurs privés. Ainsi, lorsqu’elle agit comme un opérateur économique, la personne publique ne doit pas tirer avantage dans les prix qu’elle pratique de son statut, de sa situation particulière, de ses ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses autres missions de service public (CE Sect., 30 avril 2003, Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau et d’assainissement, requête numéro 230804 : rec. p. 189). Le prix proposé doit ainsi refléter l’ensemble des coûts de la prestation. En l’espèce, la mission régalienne de la MAPPP s’exerce à titre gratuit et ne s’inscrit pas dans une logique commerciale.
Cet encadrement du comportement de la personne publique sur le marché n’est pas sans rappeler le principe de concurrence loyale, dont on trouve quelques occurrences en jurisprudence (CE, 23 juin 1965, Société aérienne des recherches minières : rec. p. 380).