La commune de Cabourg avait conclu avec un entrepreneur privé un contrat d’affermage de droit de place. Le fermier était chargé en vertu de cette convention de percevoir les droits de place versés par les commerçants en contrepartie de leur occupation temporaire du domaine public communal. Le cocontractant de la commune a assigné celle-ci devant le tribunal de grande instance en faisant valoir que la non application d’une clause du contrat permettant la variation des tarifs de droits de place générait pour lui un manque à gagner. La commune fait valoir en défense que le tribunal était tenu de surseoir à statuer et d’adresser au juge administratif une question préjudicielle portant sur la légalité de la clause litigieuse. Concurremment à l’action menée devant le juge judiciaire, la commune de Cabourg a saisi directement le tribunal administratif d’une demande de déclaration de nullité de la clause de variation des prix, alors que l’instance devant le tribunal de grande instance était pendante. Le tribunal administratif s’est déclaré incompétent, par une décision rendue avant que le juge judiciaire ait statué. De son côté, le tribunal de grande instance a jugé que l’appréciation de la légalité du contrat administratif relevait de la compétence exclusive du juge administratif et a sursis à statuer. La ville a considéré qu’il résultait de ces deux décisions un conflit négatif. Saisi de cette difficulté, le Tribunal des conflits rejette ici la requête de la commune tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour apprécier la légalité de la clause. Il considère qu’il n’y a pas en l’espèce de conflit négatif, dès lors que la juridiction administrative s’est à juste titre déclarée incompétente, et que le juge judiciaire n’a pas statué sur la compétence.
Le juge administratif est compétent pour connaître des litiges portant sur les contrats administratifs que sont les contrats d’affermage, ainsi que ceux portant occupation du domaine public, en vertu du décret-loi du 17 juin 1938. Mais le juge judiciaire se voit attribuer par exception la compétence, sur le fondement de la loi des 7-11 septembre 1790, pour connaître des actions civiles relatives à la perception des impôts indirects. C’est par conséquent à la juridiction judiciaire qu’il appartient de connaître des litiges portant sur les contrats d’affermage des droits de place, dès lors que ces droits de place constituent des taxes indirectes locales (CE, 16 novembre 1952, Istria : rec. p. 861 ; TC, 4 août 1877, Commune de Langeac c/ Bertin : rec. p. 825). Cette qualification a été reprise à l’article L. 2331-3-b-6° du code général des collectivités territoriales qui les classifie parmi les recettes fiscales inscrites dans la section de fonctionnement des budgets communaux. Mais le Tribunal des conflits fonde ici la compétence de la juridiction judiciaire sur une disposition plus spécifique, le décret du 17 mai 1809 portant règlement relatif aux octrois municipaux, qui attribue spécialement la compétence à la juridiction judiciaire pour les litiges portant sur les baux des octrois, auxquels sont assimilés les contrats de délégation de la perception des droits de place (CE, 13 mars 1891, Medioni c/ Commune d’Hennaya : S. 1893, III, p. 49 ; CE, 24 février 1926, Ville d’Annonay c/ Dupré : rec. p. 209).
Si l’attribution au juge judiciaire de la compétence pour connaître des litiges relatifs à la fiscalité indirecte s’entend largement et permet à ce dernier d’interpréter lui-même les clauses des contrats en cause (Cass. civ., 16 février 1915, Ville de Caen c/ Servat ; Cass. civ., 19 juillet 1929, Durand c/ Barthe : Gaz. Pal. 1929, 2, p. 603), l’article 136 du décret du 17 mai 1809 a, par opposition, pour effet de réattribuer dans le cas particulier des octrois et des droits de place la compétence de la juridiction administrative pour interpréter les dispositions contractuelles. Il résulte de cette réserve de compétence que le juge judiciaire, qui demeure par principe compétent en la matière, doit seulement surseoir à statuer et soumettre au juge administratif toute question relative à l’interprétation des conventions. La juridiction administrative est incompétente pour se prononcer directement sur la légalité de ces conventions, en dehors de tout renvoi préjudiciel (CE, 23 novembre 1877, Ville de Boën-sur-Lignon c/ Lombard : rec. p. 888). C’est donc à bon droit que le juge administratif s’est déclaré ici incompétent pour connaître d’une action directement exercée devant lui.
Le Tribunal des conflits apporte cependant dans cette décision une précision supplémentaire quant aux conséquences à tirer des dispositions de l’article 136 du décret du 17 mai 1809. Il retient en effet dans le premier considérant de sa décision que le juge administratif peut être saisi sur renvoi non seulement pour préciser l’interprétation à donner aux contrats portant sur les droits de place perçus dans les halles et marchés, mais également pour apprécier la légalité de ces conventions. Il s’agit là d’une lecture extensive de la lettre du décret de 1809, qui était interprété auparavant comme conférant à la juridiction judiciaire la compétence pour apprécier directement la légalité des conventions d’affermage des droits de place. Une telle évolution, souhaitée par le commissaire du gouvernement, serait propre à garantir une bonne administration de la justice, et s’inscrit en conformité avec la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. com., 7 janvier 2004, Les fils de Mme Géraud, pourvoi numéro 99-11357 ; Cass. 1e civ., 14 novembre 2006, Commune de Bondy, pourvoi numéro 04-20009).
Cette solution a cependant été critiquée, dans la mesure où elle renforce le partage entre les deux ordres de juridiction, et contribue à un allongement des délais de jugement en multipliant les procédures de renvoi préjudiciel. Une évolution est ainsi souhaitée par certains auteurs, dans le sens d’une unification du contentieux des contrats d’affermage de perception des droits de place au profit de l’un ou l’autre des ordres de juridiction.