Par une délibération du 18 juillet 1991, le conseil de la Communauté urbaine de Lyon a décidé la réalisation de travaux sur le périphérique de l’agglomération lyonnaise et approuvé les clauses du contrat de concession de travaux pour les réaliser. En qualité de contribuable de la Communauté urbaine de Lyon, M. Tête a saisi le tribunal administratif de Lyon pour obtenir notamment l’annulation de cette délibération. Après le rejet de sa requête par le juge de premier ressort, il saisit le Conseil d’État. Celui-ci va constater l’illégalité de la procédure de passation de la concession au regard des exigences posées par la directive 71/305/CEE du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JOCE n° L 185, 16 août 1971, p. 5), telle que modifiée par la directive 89/440/CEE du 18 juillet 1989 (JOCE n° L 210, 21 juillet 1989, p. 1), et conclure à l’annulation de la délibération. Ce faisant, il est conduit à exploiter toutes les potentialités ouvertes par la jurisprudence Cohn-Bendit (CE Ass., 22 février 1978, Cohn-Bendit, requête numéro 11604 : rec. p. 524.).
La Communauté urbaine de Lyon n’avait procédé, en l’espèce, à aucune publicité antérieurement à la décision de conclure le contrat. Pourtant, la directive 89/440/CEE exigeait, de la part de tout pouvoir adjudicateur, la mise en œuvre de formalités de publicité préalables, indiquant les caractéristiques essentielles des travaux faisant l’objet de la concession. Cependant, à la date de la délibération attaquée, cette directive n’avait pas encore fait l’objet d’une transposition complète en droit français. Alors que ses dispositions auraient du être introduites dans l’ordre juridique interne pour le 20 juillet 1990, ce n’est qu’à partir du décret numéro 92-311 du 31 mars 1992, soumettant la passation de certains contrats de travaux à des règles de publicité et de mise en concurrence, et modifiant le livre V du code des marchés publics (JO 1er avril 1992, p. 4571) auquel renvoyait l’article 11 de la loi numéro 91-3 du 3 janvier 1991, relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence (JO 5 janvier 1991, p. 236), que l’exigence d’une publicité préalable s’est imposée aux autorités publiques. Le droit antérieur, caractérisé par l’absence de réglementation sur cette question, laissait au contraire une complète liberté au bénéfice de ces autorités, constatée par le juge (CE Ass., 14 février 1975, Époux Merlin : rec. p. 110) ; et c’est sous son empire que la délibération attaquée a été prise.
Or, ce vide juridique, lié à l’absence de tout texte, ne pouvait être comblé par l’application de la directive 89/440/CEE, puisque le Conseil d’État se refuse à consacrer tout effet direct des directives (CE Ass., 22 février 1978, Cohn-Bendit, requête numéro 11604, préc.). Dans cette décision, il admettait seulement la possibilité, pour un requérant, de se prévaloir, par voie d’exception, de la contrariété avec les objectifs d’une directive de la réglementation nationale, sur le fondement de laquelle l’acte attaqué avait été pris. Or, en l’espèce, une telle exception d’inconventionnalité n’était, a priori, pas envisageable, dans la mesure où la Communauté urbaine de Lyon n’avait agi sur le fondement d’aucun texte applicable.
Pour remédier à cette situation, plusieurs voies pouvaient être envisagées par le juge. D’une part, il pouvait rejeter le moyen tiré de l’absence de publicité préalable ; une telle solution, illustrant les limites de la jurisprudence Cohn-Bendit et mettant particulièrement en lumière la contradiction des jurisprudences nationales et communautaires, n’était pas satisfaisante au regard des exigences communautaires de coopération loyale, d’autant plus que le problème juridique posé avait pour origine l’absence de transposition dans les délais de la directive 89/440/CEE. D’autre part, le juge pouvait, inversement, opérer un revirement de jurisprudence et consacrer l’effet direct de la directive, sur le fondement de laquelle il aurait alors annulé la délibération. Plutôt que d’abandonner une jurisprudence traditionnelle à laquelle il reste encore aujourd’hui attaché, le Conseil va opter pour une solution intermédiaire. Il va, en l’espèce, admettre qu’une exception d’illégalité puisse être soulevée à l’égard des règles nationales applicables, même lorsqu’elles n’ont par pour origine un texte. Ainsi, c’est l’état général du droit français qui était, lors de la délibération du la Communauté urbaine, contraire aux objectifs de la directive ; prise sur son fondement, celle-ci devait donc être déclaré illégale.
La jurisprudence Cohn-Bendit est ainsi poussée dans ses dernières extrémités, tant l’admission de l’exception d’illégalité tirée de l’état du droit né de la jurisprudence administrative, se rapproche, en pratique, de l’admission de l’effet direct de la directive. Elle tend, en effet, à permettre à la directive de combler les lacunes du droit national, en rendant, par le jeu de l’exception d’illégalité, ses dispositions opposables à l’autorité publique, même en l’absence de toute réglementation nationale. Le juge fait donc preuve d’innovation dans l’application d’une théorie, quant à elle, traditionnelle.