Était contesté devant le Conseil d’État le décret numéro 2005-1412 du 16 novembre 2005 portant approbation du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (JO 17 novembre 2005, texte n° 21), pris en application de la loi numéro 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière (JO 2 août 2003, p. 13220), qui avait pour objet de garantir une indépendance réelle des commissaires aux comptes, ainsi que de renforcer l’efficacité de leur contrôle sur les comptes des sociétés. Le dispositif posait un certain nombre d’obligations nouvelles, assorties de sanctions disciplinaires, voire pénales. Les requérants invoquaient plusieurs moyens tirés notamment de l’imprécision ou de la rigueur excessive des nouvelles obligations, de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, ainsi que de la violation du principe de non-rétroactivité, la réglementation s’appliquant aux situations contractuelles en cours.
L’appréciation des moyens relatifs aux principes régissant l’action dans le temps du pouvoir réglementaire a donné l’occasion à la Haute juridiction de dégager un nouveau principe général du droit administratif français, le principe de sécurité juridique, dont elle a précisé les conditions de mise en œuvre.
En l’espèce, il était reproché au décret de méconnaître le principe de non-rétroactivité des actes administratifs et de ne pas avoir prévu, par des dispositions transitoires, un délai raisonnable permettant aux intéressés de se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation.
Si le premier principe n’est pas expressément rattaché au principe de sécurité juridique, il en est une composante, tout comme l’exigence de stabilité des situations juridiques. Paradoxalement, c’est l’action du pouvoir réglementaire dans le futur qui fait l’objet d’un rattachement explicite et de la véritable novation. Enfin, le juge administratif maintient son refus de reconnaître en droit interne le principe de confiance légitime.
1°) En principe, les règles nouvelles ont vocation à s’appliquer immédiatement aux situations en cours, à compter de la date de leur entrée en vigueur (CE Ass., 22 janvier 1943, Société artisanale de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Lyon : rec. p. 14 ; CE Sect., 28 juin 1946, Société Le Polo et autres : rec. p. 184 ; CE Sect., 19 décembre 1980, Revillod et autres, requête numéro 12387 : rec. p. 479), laquelle intervient, sauf dispositions contraires, le lendemain de leur publication au journal officiel (article 1er de l’ordonnance numéro 2004-164 du 1er juin 2004, relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs, JO 21 février 2004, p. 3514).
Une place particulière doit néanmoins être réservée aux contrats, qui sont régis par les règles en vigueur à la date de leur conclusion. En cas de changement de législation, ils restent soumis à la loi ancienne. Selon ce raisonnement, toute atteinte aux contrats en cours est traditionnellement considérée comme une forme de rétroactivité. Il en va ainsi dès lors qu’il est porté atteinte à une situation contractuelle de droit privé (CE Ass., 14 mai 1965, Association départementale du Rhône pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence : rec. p. 279 ; CE Sect., 29 janvier 1971, Sieurs Emery, Barbier et Union des propriétaires de la Sarthe : rec. p. 80 ; CE Sect., 3 novembre 1997, Société Intermarbres, requête numéro 165260 : rec. p. 393). En l’espèce, le décret modifiait les règles applicables aux contrats liant le commissaire aux comptes à l’entreprise certifiée en cours d’exécution. Il est à noter que l’obligation légale pour les entreprises de désigner un commissaire aux comptes n’affecte en rien la nature du contrat en cause, qui reste de droit privé.
En vertu du principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE Ass., 25 juin 1948, Société du journal l’Aurore : rec. p. 289), les textes réglementaires qui s’appliquent aux contrats en cours (CE, 7 décembre 1973, Le Couteur et Sloan, requête numéro 80357 : rec. p. 705) et, de manière plus générale, aux situations constituées (CE Sect. 28 janvier 1955, Consorts Robert et Bernard : rec. p. 54 ; CE, 9 février 2001 Société Westco Trading Corporation, requête numéro 214564 : rec. p. 52) sont entachés de rétroactivité illégale. Seule une autorisation expresse donnée par la loi permet d’y déroger. Lorsque la liberté contractuelle est atteinte, la loi doit, de surcroît, répondre à un motif d’intérêt général suffisant (CC, décision numéro 98-401 DC, 10 juin 1998, Loi d’orientation et d’incitation à la réduction du temps de travail : rec. p. 258 ; CC, décision numéro 2002-464 DC, 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003 : rec. p. 583 ; CC, décision numéro 2006-543 DC, 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l’énergie : rec. p. 120). Tel était le cas en l’espèce. Il ressortait implicitement mais nécessairement de la loi du 1er août 2003, compte tenu de son caractère d’ordre public, que celle-ci avait implicitement habilité le pouvoir réglementaire à modifier les situations contractuelles de droit privé en cours.
2°) Le principe de l’effet immédiat de la réglementation nouvelle doit désormais être concilié avec le principe de sécurité juridique, lequel impose au pouvoir réglementaire de mettre en place un dispositif transitoire accompagnant un changement brutal de législation. Si cette préoccupation n’est pas nouvelle en jurisprudence (CE Ass., 27 novembre 1964, Ministre des finances et des affaires économiques c/ Dame veuve Renard : rec. p. 590 ; CE, 9 juillet 1993, Association « Collectif pour la défense des droits et des libertés », requête numéro 139445 : rec. t. 590 ; CE, 5 octobre 1998, Fédération française des pompes funèbres et Association force ouvrière consommateurs, requête numéro 193261, requête numéro 193359 : rec. p. 349), elle reçoit ici une consécration expresse et de portée générale.
Il est certain que le champ d’application de cette nouvelle obligation ne se limite pas à la question de la modification des situations contractuelles en cours.
La formulation de la décision montre clairement qu’il n’existe toutefois aucune obligation de principe pour le pouvoir réglementaire d’édicter des dispositions transitoires. Celle-ci restera limitée aux cas dans lesquels la mise en place d’un régime transitoire est manifestement nécessaire. Selon la formule du Commissaire du gouvernement Yann Aguila, concluant sur cette affaire, « cette exigence résulte d’une balance entre l’inertie du passé et l’urgence du présent ». Le juge procèdera à un bilan entre, d’un côté, la nécessité d’une application immédiate, résultant de la nature et de la finalité de la règle et, d’un autre côté, la nature des droits qui sont remis en cause, l’importance du bouleversement ou encore les obstacles pratiques à la mise en œuvre de la règle nouvelle.
En l’espèce, si le caractère d’ordre public de la loi du 1er août 2003 et la circonstance que le changement de législation était largement prévisible commandaient une mise en vigueur immédiate, il appartenait au pouvoir réglementaire de prévoir des dispositions transitoires en raison des perturbations excessives provoquées par les interdictions et obligations nouvelles que le décret met en place, par rapport à l’objectif poursuivi. Le décret contesté est partiellement annulé pour non-respect du principe de sécurité juridique.
3°) La consécration du principe de sécurité juridique ne saurait toutefois aboutir à la reconnaissance par le droit français d’une garantie contre les changements de réglementation (CE, 30 novembre 1994, S.C.I. Résidence Dauphine, requête numéro 128516 : rec. p. 515) et, corrélativement, à l’introduction dans notre ordre juridique du principe de confiance légitime (CE, 9 mai 2001, Entreprise personnelle de transports Freymuth, requête numéro 210944 : rec. t. 865). Il en va différemment dans le champ d’application du droit communautaire (CJCE, 4 juillet 1973, Westzucker GmbH, affaire numéro 1/73 : rec. p. 723 ; CE, 25 janvier 2006, Société « La laiterie de la montagne », requête numéro 265964).