Le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations. Les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l’administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté.
1) A l’occasion de son avis Marteaux du 3 mai 2000, le Conseil d’Etat détermine la portée du principe de laïcité tel qu’il s’impose aux agents de l’administration, et notamment aux agents du service de l’enseignement public. Est ainsi résolue, pour ces agents, et plus généralement pour l’ensemble des agents publics, la question de la conciliation de l’article 1er de la constitution du 4 octobre 1958 qui institue ce principe, et de l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui prévoit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Le Conseil d’Etat estime, dans un premier temps, que comme tous les agents publics, les agents de l’enseignement public bénéficient de la liberté de conscience, ce qui implique qu’ils ne sauraient subir de discrimination en raison de l’appartenance à une religion. Ainsi, il résulte d’une jurisprudence constante que l’administration ne peut légalement écarter des candidats à la fonction publique sur la seule considération de leurs croyances religieuses (CE, 28 avril 1938, Weis : DP 1939, 3, p. 41. – CE, 29 juillet 1938, Beis : Rec. p. 524. – CE, 8 décembre 1948, Pasteau : S. 1949, 3, p. 41, note Rivero. – CE, 3 mai 1950, Jamet : Rec. p. 247). Le même principe interdit de licencier un enseignant en raison de ses croyances (CE, 7 juillet 1954, Janinet : RPDA 1954, n° 363), y compris lorsqu’il appartient à une communauté religieuse qualifiée de secte par un rapport parlementaire (CAA Lyon, 4 octobre 2005, Ministre de l’éducation nationale c/ M. T., requête numéro 99LY00612 .- V. également censurant une décision d’un président de conseil général licenciant une assistante maternelle qui avait adhéré aux Témoins de Jehovah : TA Pau, 3 novembre 2005, F. B. c/ Département du Gers).
Par exception, cependant, les ministres du culte sont exclus des fonctions enseignantes, sauf de celles de l’enseignement supérieur. Cette solution, qui résulte pour l’enseignement primaire d’une loi du 30 octobre 1886 a été étendue par le Conseil d’Etat à l’enseignement secondaire (CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre : Rec. p. 561, concl. Heilbronner ; RDP 1912, p. 453, concl. Heilbronner, note Jèze ; S. 1912, 3, p. 46, note Hauriou.- V. cependant, paraissant revenir sur cette jurisprudence : CE, avis, 21 septembre 1972, in Y. Gaudemet, B. Stirn, T. Dal Farra, F. Rolin, Les grands avis du Conseil d’Etat, n° 6).
2°) Mais si les agents de l’enseignement public disposent de la liberté de conscience, et ne sauraient subir de discriminations de ce fait, ils n’ont pas la possibilité, en revanche, de manifester leurs croyances dans le cadre du service. Cette interdiction s’applique de façon rigoureuse et elle s’oppose à toute démonstration de foi par les agents. Elle implique, notamment, l’interdiction du port de tout signe destiné à marquer l’appartenance de l’agent à une religion et cela quelles que soient les fonctions qu’il exerce. Sont donc concernés non seulement les enseignants, ainsi que les autres membres de la communauté éducative, mais plus généralement l’ensemble des agents publics, comme cela a été confirmé par la jurisprudence postérieure à l’avis Marteaux.
Ainsi, notamment, il a été jugé que le refus réitéré d’une contrôleuse du travail de retirer le voile qu’elle portait en service constitue un motif justifiant légalement le non renouvellement de son contrat (CAA Lyon, 27 novembre 2003, Ben Abdallah, requête numéro 03LY01392). Une solution identique a été retenue à propos d’une assistante maternelle, alors même qu’elle se trouvait en situation de grossesse au moment de son licenciement (CAA Versailles, 23 février 2006, Rachida E. c/ Commune de Guyancourt, requête numéro 04VE03227 : JCPA 2006, 1165, obs. Pellissier).
L’interdiction de manifester ses croyances n’est pas limitée à la seule question des signes d’appartenance à une religion. Ainsi, il a été jugé qu’était légal un retrait d’agrément d’une assistante maternelle fondé sur le fait qu’elle fournissait aux enfants des repas exclusivement conformes aux prescriptions d’une religion (TA Amiens, 6 novembre 2003, Aouicha, requête numéro 002827 : JCP A 2004, 1356, note Chavrier). De la même façon, constitue une faute disciplinaire le fait pour un agent d’utiliser le courriel et l’adresse électronique de son service aux fins d’échanges entrepris en sa qualité de membre pour de l’association pour l’unification du christianisme mondial (CE, 15 octobre 2003, Odent, requête numéro 244428 : AJDA 2003 p. 1959).
L’avis Marteaux tranche avec la position beaucoup plus souple qui avait été adoptée par le Conseil d’Etat sur la question du port de signes religieux par les usagers du service public de l’éducation. Toutefois, la jurisprudence très nuancée née de l’avis Kherouaa du 27 novembre 1989 (requête numéro 346893 : RFDA 1990, p.1, note Rivero ; AJDA 1990 p.39, note J-P C.) qui permet, dans une certaine mesure, à ces usagers de manifester leurs convictions religieuses, a été remise en cause par la loi numéro 2004-228 du 15 mars 2004 dont il résulte que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » (codifié à l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation).
Il est à noter également qu’il s’est récemment posé la question de savoir si l’interdiction faite aux agents publics de manifester leurs croyances religieuses devait également s’appliquer aux collaborateurs de ces services publics, et notamment du service public de l’enseignement. Saisie de cette question la HALDE s’est prononcée, de façon assez étonnante, en faveur d’une conception restrictive du principe de laïcité en estimant que présentait un caractère discriminatoire le refus opposé à la participation à des sorties scolaires et à des activités éducatives de mères de famille au motif que ces dernières portaient le foulard islamique (Halde, 14 mai 2007, délibération numéro 2007 – 117 : JCPA 2007, 2171, note Tawil).
Quoi qu’il en soit, la jurisprudence administrative paraît tout à fait conforme à la position de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère que si les agents publics disposent de la liberté religieuse (CEDH, 12 avril 2007, Ivanova c/ Bulgarie, affaire numéro 52435/99 : JCPA 2007, 2315, obs. Szymczak), les manifestations de leur croyance peuvent être encadrées par les législations nationales (CEDH, 15 février 2001, Dahlab c/ Suisse, affaire numéro 42393/98: Rec. CEDH 2001, V ; AJDA 2001, p. 480, note Flauss .- CEDH, 29 juin 2004, Leyla Sahin c/ Turquie, affaire numéro 44774/98 : Droit adm. 2004, 146, note Lombard).